La colonisation, un crime qu’il est urgent d’admettre

La sortie récente de Macron en Algérie à propos de la colonisation « crime contre l’Humanité » a relancé, encore une fois, le débat bien français autour de cette période sombre de l’Histoire. La droite et l’extrême-droite, raccords sur la question, ont sorti les dents pour tacler le candidat En Marche, pour défendre le roman national, la France glorieuse, les « bienfaits » de la colonisation… Autant d’âneries qu’il est urgent de combattre.

Les propos anti-coloniaux d’Emmanuel Macron ont réveillé dans le débat politique cette vieille question française, qui taraude nos politiciens et ressurgit ça et là, à la (dé)faveur d’un discours de Dakar, ou d’une sortie de Fillon sur le récit national dans les manuels scolaires. La colonisation, ici française : atrocité ou bienfait ? Généralement, le clivage est assez net ; en témoignent ces tweets venus de la droite.

https://twitter.com/GDarmanin/status/831910808695214080?ref_src=twsrc%5Etfw

Alors, soyons bien clair : le but ici n’est pas de défendre Macron. Ce candidat du vide, au discours creux et au programme flou, dit tout et son contraire pour tenter une improbable fusion des électorats de droite comme de gauche. Il y a quelques mois, l’homme qui promet entre autres absurdités d’ouvrir des « mines responsables », proclamait l’inverse de ce qu’il a dit en Algérie en rappelant « les éléments de civilisation » de la colonisation française en Algérie, qui aurait permis par exemple « la naissance d’un État ». Pour ce qui est de l’inexactitude historique de cette dernière phrase, la vidéo de Nota Bene sur la question y répond clairement.

Ce qui va nous intéresser ici, c’est de comprendre comment ce débat en France peut encore avoir lieu, comment des gens peuvent encore défendre une période historique qui se caractérise par l’appropriation illégitime de terres, l’asservissement de peuples, le pillage de leur identité et de leurs richesses. Comment des hommes et des femmes politiques peuvent-ils avoir, en 2017, à cœur de défendre la France sur cette question ? Pour ce faire, il faut analyser les éléments de langage déployés par les défenseurs de la colonisation, qui en disent long sur l’idéologie sous-jacente.

Civilisation, ethnocentrisme et bilan de la colonisation

Civilisation. C’est le mot-clé qui revient dans les débats. La France aurait apporté la civilisation aux peuples colonisés. C’est l’argument massue qu’on peut retrouver dans la contribution à la construction de l’État algérien chez Macron, mais également chez Florian Philippot (FN), qui rappelle « les routes, les hôpitaux, la langue française » comme « bienfaits de la colonisation ». Si tant est que cet argument soit valide – et il ne l’est pas, nous y reviendrons – en quoi cela absout-il la France coloniale de ses crimes ? Des peuples discriminés et privés de leurs droits par le pays des Lumières, des répressions sanglantes (Algérie, Indochine, Madagascar…), un démantèlement territorial faisant fi des cultures préexistantes ? Le fait d’avoir construit des infrastructures, qui par ailleurs n’était pas un cadeau chaleureux fait aux colonisés mais répondait au besoin des colonisateurs, n’excuse en rien la torture et la souffrance infligées par l’administration française sur cette période. Ce serait peu ou prou comme défendre le régime d’Hitler en disant : « oui, mais il a redressé l’économie allemande » (comme ça, le point Godwin, c’est fait).

Ensuite, on peut largement nuancer l’apport politique de la France dans la construction des États africains : au contraire, la plupart des greffes du régime français à la décolonisation n’ont pas prises, et ont abouti à des républiques bananières autoritaires dont les Présidents sont au pouvoir depuis plus de vingt ans (à l’instar d’Idriss Déby au Tchad ou Denis Sassou-Nguesso au Congo, anciennes colonies françaises).

Les "bienfaits" de la colonisation, épisode 1 : les zoos humains
Les “bienfaits” de la colonisation, épisode 1 : les zoos humains

Ensuite, plus largement, cette idée d’apport de civilisation montre un regard complètement ethnocentré porté sur l’Afrique. Cela nourrit la vision qui perçoit l’Afrique pré-coloniale comme une sorte de désert préhistorique non-civilisé, qui aurait évolué uniquement avec l’arrivée des colons occidentaux. Cet argument, invalidé par l’existence des grandes puissances africaines pré-coloniales (comme l’Empire du Mali), doit être combattu avec force. L’Afrique pré-coloniale avait bien entendu ses civilisations, ses cultures, ses peuples et ses langues, n’en déplaise à Florian Philippot (le soi-disant cadeau de la langue française leur a donc été bien inutile). La colonisation est venue écraser tout cela : ce n’est pas une mission civilisatrice, mais l’imposition d’une culture aux détriments d’une autre, c’est-à-dire un ethnocide. Un ethnocide qui a de plus engendré le chaos sur le continent : l’instabilité de la région résulte souvent directement du legs colonial (cf. le génocide au Rwanda, hérité de l’ethnicisation des rapports de forces créés de toute pièce par le colon belge). Cette idée reçue sur l’Afrique pré-coloniale, qui n’aurait demandé qu’à être éduquée, témoigne du paternalisme ethnocentré qui frappe une grande partie de la classe politique, et nos concitoyens à travers eux. Cela réaffirme aussi la nécessité urgente d’apprendre l’Histoire ancienne africaine dans les manuels scolaires, de lui donner une véritable importance, puisque nous l’avons liée à la nôtre par la force.

Les "bienfaits" de la colonisation épisode 2 : le partage et le mélange des cultures
Les “bienfaits” de la colonisation épisode 2 : le partage et le mélange des cultures

L’exemple allemand

Par ailleurs, une idée revient souvent : celle de « repentance, d’auto-flagellation » qui agace la droite notamment. Il est utile de se demander pourquoi ces hommes et ces femmes, qui prennent chaque critique envers la responsabilité française lors de la colonisation comme un coup de poignard, une insulte, le ressentent ainsi. C’est pourquoi j’ai eu ici l’envie de le comparer avec l’Allemagne, quitte à me faire insulter pour avoir « osé » comparer les crimes nazis et la colonisation. L’idée défendue par les agacés de la « repentance », c’est celle qui veut que les Français doivent se sentir fiers de leur pays, et que toute acceptation de la réalité de la colonisation va à l’encontre de cette idée. C’est à travers cet argument que François Fillon défendait un programme scolaire d’histoire mettant en valeur le récit national.

Les Allemands doivent affronter leur passé et composer avec lui. A l’école, rien ne leur est épargné du nazisme, et nous serions les premiers choqués si de tels crimes étaient euphémisés. Ils ont bien compris l’intérêt du devoir de mémoire, pour éviter que de telles atrocités ne se reproduisent. L’identité allemande s’est-elle pour autant effondrée, sous toute cette « repentance » ? Non, bien au contraire. Les Allemands peuvent se sentir fiers d’avoir surmonté collectivement cela, d’avoir construit autre chose, pour faire barrage à l’horreur.

A titre personnel, je me sentirais bien plus fier dans une France qui accepte sa part de responsabilité dans les souffrances des peuples colonisés et qui va de l’avant, que dans cette France qui miroite son passé glorieux en refusant d’admettre qu’elle a du sang sur les mains. Alors pourquoi la France est-elle incapable de faire son propre examen de conscience ?

La République et le fantasme post-colonial

Si l’on reprend la comparaison avec l’Allemagne, un élément est frappant. L’Allemagne qui a été responsable du nazisme n’est plus. Le Troisième Reich est mort dans les cendres de la Seconde guerre mondiale, et la République fédérale allemande a bâti une démocratie solide. Pour la classe politique allemande actuelle, la rupture est nette : les Allemands peuvent affronter leurs « démons » car ils ont été vaincus. Un Allemand peut avoir honte de l’Histoire de son pays, mais n’a pas de raison (en tout cas sur ce point) d’avoir honte de son pays à proprement parler, puisque l’Allemagne d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle d’hier. En France, c’est bien différent. Si les politiques français ont peur de faire face à la colonisation en tant que crime français, s’ils la ressentent comme une insulte presque personnelle, c’est parce que la colonisation est un crime de la République. Un crime au nom des valeurs républicaines, universalistes, civilisatrices, des Lumières, qui ont alimenté l’impérialisme de la République bourgeoise. Le discours “républicain” a été instrumentalisé et a servi de justification aux capitalistes français, qui se sont partagés des morceaux de l’Afrique et ont exploité la main d’œuvre locale. Des valeurs, qui du XIXème siècle à nos jours, ont perduré dans une formidable continuité historique. Si les républiques se sont succédé, le socle républicain bourgeois est resté le même. C’est donc bien une partie de l’identité républicaine française actuelle qui est à remettre en question quand on en vient à parler de la colonisation. Pourtant, il n’y a aucun danger : au contraire, c’est une formidable opportunité d’arrêter de vivre dans un récit passéiste, pour construire une identité fondée sur l’avenir : la liberté, l’égalité et la fraternité (ces mots sont dans notre devise, il serait toujours temps de s’en servir). Rappelons au passage l’exemple historique de la République de 1793, en avance sur son temps, qui sentait que l’esclavage et la colonisation étaient contraire à l’égalité entre les hommes et à l’idéal d’une République sociale, ce qui la conduisit en 1794 à voter l’abolition de l’esclavage, à accorder la pleine citoyenneté aux anciens esclaves, et à permettre l’élection des premiers députés noirs.

La colonisation illustrée comme une mission civilisatrice
La colonisation illustrée comme une mission civilisatrice

La France doit sortir définitivement du colonialisme en admettant son crime, et en l’enseignant comme tel à l’école. Car le post-colonialisme a des ramifications insoupçonnées, au-delà de l’ingérence française en Afrique : cette idée de hiérarchisation des civilisations (un coucou à Claude Guéant), n’est-elle pas celle qui nourrit les discours xénophobes qui prétend que la culture des immigrés (majoritairement l’islam aujourd’hui) est incompatible avec la nôtre ? Ne demande-t-on pas encore à des cultures étrangères de s’écraser au profit d’une qui lui serait supérieure ? Plus généralement, les failles du multiculturalisme français sont héritées de l’idéologie coloniale : la construction d’un « Nous » supérieur aux « Autres », est un mal qui ronge notre société, qui conduit au rejet et au communautarisme.

Crédits photos :

http://une-lettre-francaise.over-blog.com/article-de-vichy-a-l-union-europeenne-la-continuite-coloniale-au-moyen-orient-112529587.html

http://www.hgsavinagiac.com/article-31615907.html

http://www.lisapoyakama.org/la-colonisation-a-t-elle-eu-des-roles-positifs/