Etats-Unis, Chine, Inde : jusqu’où ira la montée des tensions ?

©The White House from Washington, DC. L’image est dans le domaine public.

Depuis quelques mois, la situation s’échauffe en Asie et de nouvelles lignes de forces apparaissent. Pendant que Trump et Narendra Modi, le Premier Ministre Indien, mettent en scène leur idylle, les armées chinoises et indiennes se font face au nord du Sikkim. La militarisation se poursuit en mer de Chine. Un jeu d’échec dangereux s’établit autour de l’Afghanistan. Et la Corée du Nord vient nous rappeler que la menace nucléaire rode. La course à la guerre n’a jamais été ici dangereuse dans une région qui compte trois puissances nucléaires, voire 4.

 L’Idylle indo-américaine

A première vue, Narendra Modi et Donald Trump n’ont rien en commun. Trump est un héritier grossier et ignorant, néophyte en politique étrangère qui a su capter les craintes de l’Amérique de Pittsburgh. Narendra Modi est un ancien vendeur de thé d’Ahmedabad, issu des basses castes de la société Hindoue ayant fait peu à peu ses armes au sein du groupe nationaliste hindou RSS (accusé notamment d’être lié au meurtre du Mahatma Gandhi et interdit pendant quelques années suite à cet épisode) et du BJP, parti réunissant les adhérents de la famille politique du Sangh Parivar, ayant en commun de penser l’Inde comme une société exclusivement hindoue et dans laquelle musulmans et chrétiens sont des intrus.  Cependant, les deux leaders ont un ennemi commun : la Chine qui menace leur position dans la région pour l’Inde, dans le monde pour les Etats-Unis. Si le président américain a traité durement l’Inde lors de son discours justifiant son retrait de la COP 21, le sujets difficiles ont été écartés lors de la visite du Premier Ministre Indien à Washington pour le premier dîner d’un chef d’Etat étranger à la maison blanche durant l’ère Trump.

Deux choses obsèdent Narendra Modi : le Pakistan (lubie des nationalistes qui leur permet de construire une Inde fondamentalement hindoue) et attirer des investissements directs à l’étranger. On a les ambitions que l’on mérite. Deux choses obsèdent le président américain : l’influence grandissante de la Chine sur le continent asiatique et sa balance commerciale. On peut y ajouter le terrorisme islamiste. Sur ces sujets, Modi et Trump peuvent fonder une alliance stratégique pour contrer l’influence de la Chine et isoler le Pakistan. 

Pour mettre à l’aise son homologue, Trump a donc commencé par inscrire Syed Salahudeen, patron du groupe terroriste kashmiri Hizb-ul-Mujahideen dont l’Inde dit qu’il est soutenu par le Pakistan à  la liste des “Specially Designated Global Terrorist”. Des accords de coopération militaire ont également été signé. Les Etats-Unis ont vendu 22 drones de haut-niveau – qu’ils réservent à leurs plus proches alliés habituellement- pour 2 milliards de dollars. Cela renforcera les capacités de surveillance maritimes de l’Inde au moment où le sous-continent constate une activité inhabituellement élevée de la Chine dans l’Océan Indien. Par ailleurs, Modi a soutenu l’intégration de son allié américain en tant que membre observateur du symposium naval de l’océan Indien, organisation de coopération réunissant 35 membres. Autre élément digne d’intérêt : l’exercice militaire commun que l’Inde, les Etats-Unis et le Japon comptent mener dans l’océan Indien.  Trump a même qualifié l’événement de “plus large exercice militaire jamais conduit dans l’Océan Indien.” J’ajoute que des discussions devraient s’ouvrir dans les prochains mois sur la vente d’avions F-16 et de F/A-18, et d’hélicoptères d’attaque Apache. Tout cela dans le cadre du forum Indo-Américain pour les technologies de défense et le commerce. Cerise sur le gâteau : la presse américaine a laissé entendre que les Etats-Unis pourraient retirer au Pakistan son statut d’allié d’exception hors OTAN.

Alors que l’Inde récolte les fruits de 20 ans de positions pro-américaines, la volonté de Trump de durcir sa ligne contre le terrorisme soutenu par le Pakistan et contre le gouvernement Chinois ont fait fortement accélérer les choses. Modi obtient ce qu’il voulait : un partenariat stratégique avec les Etats-Unis et un durcissement de la ligne américaine contre le Pakistan, allié historique des nord-américains. Trump, quand à lui, obtient un allié de choix contre le terrorisme islamiste et une puissance capable de contre-balancer l’influence de la Chine en Asie. L’Inde sera le bras-armé de la politique anti-chinoise de Trump.

Enfin, sur le terrain commercial, Narendra Modi est venu faire la publicité de sa réforme fiscale : le fameux GST. Le but est d’unifier la fiscalité indirecte sur le marché Indien. Bien que l’application souffre de nombreuses exceptions, l’idée est d’avoir une TVA unifiée sur tout le sous-continent et d’en finir avec le fatras d’exceptions locales. De fait, depuis son arrivée au pouvoir, la nationaliste hindou s’attache à satisfaire les demandes du gouvernement américain et du FMI. Il privatise notamment la compagnie aérienne Air India. Il facilite la venue d’IDE en Inde jusque dans le secteur de la defense nationale. Autre réforme imposée par l’USAID (l’agence américaine pour le développement) : le retrait de 86% de la monnaie en circulation en novembre dernier pour engager la mutation de l’économie indienne vers un système “sans cash”. C’est un moyen afin d’intégrer l’immense marché Indien dans le système bancaire international. Enfin, une réforme du marché du travail devrait intervenir. Bref, s’il bombe le torse contre le Pakistan, Modi le nationaliste, fait des pieds et des mains pour “adapter” l’Inde à la mondialisation et aux normes définies par Washington et le FMI. Tout cela dans le but de renforcer le flux d’IDE en Inde et de s’engager dans un modèle de développement à la chinoise. Bien que l’industrie pharmaceutique américaine grogne encore contre les barrières qui empêchent les Etats-Unis de s’emparer de l’industrie du médicament en Inde et que Modi n’a pas obtenu d’assouplissement sur les visas H-B1 permettant aux brillants ingénieurs Indiens qui font le bonheur de la Silicon Valley de s’installer plus facilement aux Etats-Unis, la coopération commerciale entre les Etats-Unis et l’Inde est au beau fixe. C’est que les deux leaders y voient un intérêt. Les deux veulent accroître leur relations commerciales pour réduire leur déficit commercial avec la Chine.

Les manoeuvres Chinoises et les provocations dangereuses des Etats-Unis

Alors que la coopération indo-américaine se renforce avec un but : isoler la Chine sur le continent asiatique, le président Chinois réplique. Après avoir mis en place, de concert avec ses autres partenaires des BRICS, une banque de développement visant à contrecarrer l’hégémonie de la banque mondiale et du FMI, bras armé des Etats-Unis dans le monde, les Chinois se lancent dans un immense projet d’infrastructures et de commerce pour une nouvelle route de la soie unissant l’ensemble de l’Asie, une partie de l’Europe de l’Est et le Moyen-Orient. Le but est de réunir 64 pays représentants 60% de la population mondiale et 30% du PIB mondial. 29 pays ont participé au sommet de mai dernier. Seul pays de l’Asie du Sud à boycotter l’initiative ? L’Inde et pour cause : un des projets de cette vaste initiative consiste à construire un corridor entre la Chine et le Pakistan. Problème ? Ce corridor passe par la partie du Kashmir occupée par le Pakistan. Une insupportable atteinte à la souveraineté nationale indienne pour Narendra Modi. La réplique ne s’est pas fait attendre : l’Inde ouvre des lignes directes de commerce avec son allié historique : l’Afghanistan, ce que Pékin a qualifié de provocation. En effet, cette ligne de commerce outrepasse l’un de ses alliés dans la région : le Pakistan. Par ailleurs, l’Inde, l’Iran et l’Afghanistan travaillent de concert sur un projet de port en Iran pour faciliter les liens entre les trois alliés historiques dans la région. Au final, l’alliance stratégique de l’Inde avec les Etats-Unis l’isole et renforce la position centrale de la Chine dans le secteur. Des contradiction vont d’ailleurs entre l’Inde et nombre de ses alliés historiques au premier rang desquels l’Iran qui voit d’un mauvais oeil le partenariat stratégique entre l’Inde et Israël.

Si cette guerre de position en Asie semble circonscrite à une bataille d’influence entre l’Inde et la Chine pour le contrôle de l’Asie Centrale, deux épisodes récents sont d’autant plus inquiétants que leur portée est mondiale et qu’ils met en présence des puissances nucléaires de premier plan.

Le premier épisode concerne la frontière indo-chinoise et sa jonction avec le royaume du Bhoutan. En cause : une route que le gouvernement chinois veut construire dans la vallée de Chumbi jusque sur le plateau du Doka Ladu ou du Donglang selon le terme utilisés par les Chinois. Le problème ? Ce plateau est le sujet d’une dispute territoriale entre la Chine et le Bhoutan qui n’entretiennent pas de relations diplomatique. L’Inde est donc intervenue empêchant la Chine de poursuivre les travaux alléguant que la Chine violait la souveraineté territoriale de son allié historique : le Bhoutan. En réponse à ce qui constitue une intrusion de l’Inde sur un territoire Chinois aux yeux de Xi Jinping, l’empire du milieu a détruit deux bunkers Indiens installés en 2012 pour protéger la frontière entre le Bhoutan et la Chine. Une cinquantaine de pèlerins ont été empêchés de rejoindre le Tibet chinois. La situation est particulièrement tendue : armées chinoises et indiennes se font face depuis près d’un mois. Alors que les officiels Chinois ont appelé l’Inde à se “souvenir des leçons de l’histoire” dans une référence évidente à la défaite militaire infligée à l’Inde par l’armée Chinoise en 1962, ils réagissaient à une provocation verbale du patron de l’armée indienne, le général Bipin Rawat déclarant quelques  mois plus tôt que l’armée Indienne était préparée à une guerre sur deux fronts et demis (le front Pakistanais, le front Chinois et le front intérieur). Alors que l’Inde indique que la Chine viole un accord de 2012 dans lequel elle s’engageait à régler ce conflit territorial par la voie de la négociation, la Chine refuse toute concession tant que l’armée indienne ne se sera pas retirée d’un territoire qui n’est pas le sien. Les tensions ne cessent de monter entre la Chine et l’Inde depuis quelques mois : quelques semaines auparavant, la visite du Dalaï Lama dans le territoire disputé de l’Arunachal Pradesh a provoqué l’ire des dirigeants Chinois. Ils ont depuis renommé la région le Tibet du sud.

C’est loin d’être un conflit territorial anecdotique. En effet, le plateau du Doka Ladu se situe au Nord de la jonction entre le Bhoutan, la Chine et l’Inde. Au sud de cette jonction se trouve l’Etat du Sikkim (Indien depuis 1976) et le nez du coq, corridor étroit qui relie les Etats du Nord-Est de l’Inde au reste du sous-continent. Le face-a-face des armées Chinoises et Indiennes au milieu du Bhoutan et les diverses provocations des deux puissances fait planer sur la region le drapeau noir de la guerre généralisée entre deux puissances nucléaires de premier plan.

Autre menace pour la sécurité du monde : les manoeuvres américaines et chinoises en mer de Chine autour de différents territoriaux que la Chine entretient avec le Japon et la Corée du Sud. Depuis quelques jours, le president américain durcit sa politique anti-chinoise. Le bruit court qu’il serait mécontent par la complaisance de la Chine vis-à-vis de la Corée du Nord, dont elle reste le principal partenaire commercial. En réaction, le gouvernement américain a commandé un rapport sur le trafic humain qui épingle la Chine (plus que l’Inde, étrangement), émis des sanctions contre une banque et une entreprise chinoise accusées de commercer avec la Corée du Nord, et un livré un lot de 1,4 milliards de dollars d’armes à Taiwan. Mais l’escalade guerrière a franchi un seuil avant hier puisqu’un destroyer américain est passé à 15 km d’une île chinoise ! Si les provocations entre l’Empire du milieu et le géant américain continuent ainsi, le risque d’une déclaration de guerre n’est pas à exclure.

Le blocus organisé par l’Arabie Saoudite contre le Qatar peut inquiéter, a juste titre, puisqu’une guerre engagerait le combat entre trois axes : l’axe arabe soutenu par les Etats-Unis, l’axe Qatari soutenu par le Hezbollah et la Turquie et l’axe Perse soutenu par la Russie. La guerre en Syrie, qui devient un affrontement entre les Etats-Unis et la Russie peut dégénérer en conflit généralisé mais il s’agirait de ne pas oublier que le drapeau noir de la mort et la menace de la guerre généralisée plane aussi en Asie, où l’on vient d’apprendre que la Corée du Nord a lancé un dernier missile balistique qui pourrait être tombé sur le territoire japonais, à 250 km des côtes du pays du soleil Levant…

Credits photos : ©The White House from Washington, DC. L’image est dans le domaine public.