Front National : le parti anti-système propulsé par les médias

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©Rémi Noyon

Un récent rapport du CSA indique que Marine le Pen a été la seconde personnalité la plus médiatisée après Emmanuel Macron du 20 au 26 février. Cette information n’a pas manqué de surprendre : les médias sont l’une des cibles favorites du Front National. Les journalistes, de leur côté, ne mâchent pas leurs mots sur le Front National et multiplient reportages et analyses extrêmement critiques à son égard. Les relations entre le Front National et les médias seraient-elles plus complexes que ce qu’il n’y paraît ?

Marine le Pen et Florian Philippot : tapis rouge dans dans les médias pour critiquer les médias

Durant les élections présidentielles de 2012, le Front National a été le plus médiatisé de tous les partis politiques après le Parti Socialiste et l’UMP. Selon le rapport annuel du CSA, le Front National a occupé en moyenne 15,6% du temps d’audience des émissions politiques de TF1, Canal+, M6, Direct8 et TMC. C’est moins que le temps d’antenne dont ont bénéficié le Parti Socialiste et l’UMP. Mais c’est beaucoup plus, par exemple, que le temps qui a été accordé à Jean-Luc Mélenchon, alors candidat du Front de Gauche, qui n’a totalisé que 7,4% du temps d’audience lors de ces mêmes émissions politiques.

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Capture d’écran

Dans quelle mesure cette forte médiatisation du Front National explique-t-elle son très haut score (17,8%) au premier tour des élections présidentielles de 2012 ?

Les élections européennes surviennent deux ans plus tard. Durant la campagne politique, c’est Florian Philippot qui détient le record d’invitation aux matinales des émissions de radio.  Là encore, le Front National réalise un très haut score. Encore une fois, il est permis de se demander dans quelle mesure la presse y a contribué.

Cette sur-médiatisation ne cesse pas après les élections européennes. Florian Philippot continue à décrocher le record de la personnalité la plus invitée dans les matinales durant l’année 2014 puis 2015.

En cette fin de mois de février 2017, Marine le Pen a été la seconde personnalité la plus médiatisée, en terme de temps d’antenne, après Emmanuel Macron.

temps de parole
Capture d’écran

L’oeuf ou la poule ? Le faux débat

Le Front National est-il médiatisé parce qu’il est un parti politique important, ou devient-il un parti politique important parce qu’il est médiatisé ?

En réalité, cette question n’a pas de sens car la réponse est à peu près invérifiable. En revanche, il est permis de faire une remarque : l’image d’un parti marginalisé, « boycotté » ou « censuré » par les médias que tente de se donner le Front National est complètement mensongère. La médiatisation du parti de Marine le Pen est au contraire très complaisante si on se penche sur le temps d’audience qui lui est dévolu. Curieux paradoxe ? Les éditorialistes, malgré leur opposition affichée au Front National, ont puissamment contribué à sa progression en invitant régulièrement ses représentants. Pourquoi une telle audience médiatique pour le Front National ?

Logique d’audimat ?

Le Front National se verrait-il accorder autant de temps d’antenne parce que la moindre de ses provocations fait le « buzz » ? Il est vrai que le parti de Marine le Pen est un sujet vendeur ; le moindre article qui lui est consacré est assuré de connaître un succès éditorial certain. Comme l’admet Caroline Laurent-Simon, journaliste à l’AFP, Marine le Pen se vend « comme un pur slogan publicitaire ». Néanmoins, la logique d’audimat n’explique probablement pas tout.

L’épouvantail Front National : la diabolisation des idées contestataires

Il faut dire que le Front National tombe à pic pour les éditorialistes. Le parti de Marine le Pen mêle des revendications populaires (résistance à la construction européenne, à la mondialisation, à la classe politique) à des provocations grossières (comparaison entre les prières de rue des musulmans et l’Occupation nazie). En cela, il diabolise un certain nombre d’idées contestataires. Ainsi, la sortie de l’euro est aujourd’hui considérée par la classe médiatique comme une idée d’extrême-droite car prônée par le Front National.

Extrême droite = sortie de l'euro
Capture d’écran

Proposer de résister à la « construction européenne” serait ainsi « faire le jeu du FN » ou « le lit des nationalistes ».

Jeu du FN 3.0

Jeu du Front National 2.0.
Capture d’écran

De la même manière, fournir une critique radicale de la classe politique et médiatique serait une démarche d’extrême-droite

Ces accusations ne manquent pas de sel si on garde à l’esprit que le Front National était le plus pro-européen et le plus libre-échangiste de tous les partis il y a quelques décennies.

Qu’importe ! L’épouvantail Front National permet à la caste politico-médiatique de défendre le néolibéralisme propagé par l’Union Européenne et la classe politique avec un discours humaniste. Car défendre l’Union Européenne, c’est « faire reculer les nationalismes » et « combattre les idées du Front National »…

Projet européen vs nationalismes
Capture d’écran

Marine le Pen et Daniel Cohn Bendit, meilleurs ennemis

Le populisme, voilà l’ennemi ! Qu’importent les millions de personnes jetées à la rue, le chômage record qui frappe la zone euro, les taux d’extrême-pauvreté monstrueux de la Grèce ou de l’Espagne : dans le petit monde fermé des journalistes parisiens, il faut à tout prix « défendre » le « projet européen » et la classe politique contre la « vague nationale-populiste ». Très bien. Il y aurait donc d’un côté les « progressistes », partisans de l’Union Européenne, de la classe politique, du progrès et du capitalisme sauvage ; et de l’autre les « nationaux-populistes », protectionnistes, démagogues, conservateurs et xénophobes.

Sainte Europe vs méchant national-populisme
Capture d’écran

Grosses ficelles. Et pourtant, c’est cette matrice idéologique qui permet à la gauche néolibérale de justifier son existence.

Sortir de l'euro
« Sortir de l’Union Européenne ? Renverser la classe politique ? Mais vous faites le jeu du Front National !” Montage

Que serait un Bernard-Henri Lévy, un Daniel Cohn-Bendit, un Jean-Christophe Cambadélis ou un Manuel Valls si le Front National n’existait pas ? Comment pourraient-ils défendre le « projet européen », la mondialisation néolibérale et la classe politique au pouvoir s’il n’y avait pas l’épouvantail Front National comme repoussoir ?

« Si le Front National n’existait pas, il faudrait l’inventer » : le point de vue du Parti Socialiste

Depuis 1983, il n’existe plus aucune différence tangible entre le Parti Socialiste et son adversaire « de droite » sur les questions socio-économique ; les deux partis, à genoux devant l’oligarchie financière, ont accepté la mondialisation néolibérale, la « construction européenne » et ses dérivés.

Qu’est-ce qui pouvait encore légitimer le Parti Socialiste qui avait trahi les aspirations des classes populaires ? La lutte contre le Front National tombait à pic… L’un des arguments clefs du Parti Socialiste est devenu « la lutte contre le montée de l’extrême-droite ».

lutte contre fN...
Capture

Cet impératif permet de court-circuiter tout débat sur les questions socio-économiques : il s’agit de « voter utile », c’est-à-dire voter pour le Parti Socialiste.

Vote utile...
Capture d’écran
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Libération, journal “de gauche”, a abandonné toute forme de critique du système capitaliste et de la mondialisation depuis les années 80. Sur les questions socio-économiques, il tient le même point de vue qu’un journal « de droite » comme le Figaro. Mais heureusement, il y le Front National, qui permet encore à Libération de se distinguer des quotidiens de droite et de ne pas faire faillite… ©Liberation

Tant pis si son programme socio-économique est le même que celui de la droite : c’est ça ou le Front National !

Il est comique de voir le Front National prendre une posture « anti-système ». Ultra-médiatisé, il remplit une fonction essentielle pour le maintien du pouvoir en place. En diabolisant l’idée de souveraineté nationale, il permet à l’élite médiatique d’assimiler toute critiquer de l’Union Européenne à une idée d’extrême-droite. Il sera désormais impossible d’employer le mot tabou de « souveraineté » sans s’entendre dire que l’on « chasse sur les terres du Front National ». Il sera impossible de fournir une critique conséquente de la caste politique et médiatique sans être amalgamé à une nébuleuse “nationale-populiste » dont fait partie le Front National. En multipliant les provocations, le Front National permet au système politique d’acquérir une nouvelle légitimité aux yeux du peuple en tant que barrage à l’extrême-droite ; et de perpétuer le pouvoir en place. Le Front National, anti-système ? La réalité est tout autre : le système a besoin du Front National et le Front National a besoin du système pour continuer à exister.

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