Interview de Mr Mondialisation

On a parlé de mondialisation, de Notre-Dame-des-Landes, de souveraineté, d’engagement politique, des médias dominants et de Donald Trump aussi, avec Mr Mondialisation. Interview à découvrir…

LVSL – Le moins que l’on puisse dire est que vous êtes devenu un média alternatif influent. Vous avez plus d’un million d’abonnés sur Facebook, ce qui vous place devant Libération, par exemple, et fait de vous un concurrent sérieux de la presse mainstream. Comme celui d’autres médis alternatifs, votre succès pose la question du devenir de la presse mainstream, à qui les citoyens font de moins en moins confiance. Le système médiatique traditionnel (c’est-à-dire la presse écrite et financée par de puissants intérêts économiques) a-t-il fait son temps ?

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Mr Mondialisation – Si on regarde l’histoire des médias, on constate que la presse a toujours été en évolution constante mais sur de plus longues périodes. Tout comme l’industrialisation s’est « accaparée » l’outil du travailleur, une poignée de médias ont également gagné peu à peu le contrôle de l’outil de publication des journalistes (le vrai travailleur). Avec Internet, l’outil est rendu aux mains du journaliste qui peut choisir de s’exprimer sans passer par le prisme d’une grande entreprise d’information. C’est exactement le phénomène que nous observons. Le système médiatique traditionnel n’est pas encore révolu, mais il va devoir coexister avec des « maquis » journalistiques libres qui peuvent gagner autant de visibilité qu’ils en ont aujourd’hui. La grande question reste de savoir comment ces journalistes peuvent vivre dans leur activité car aucune aide ne leur est offerte, le système ayant deux décennies de retard sur la réalité.

LVSL – Vous avez commencé votre activité de blogueur en 2004. Depuis douze ans, la question écologique a gagné en importance au sein des discours politiques ; cette année, les grandes puissances se sont réunies à Paris pour signer les accords de la Cop 21 sur le réchauffement climatique. Pensez-vous qu’elle témoigne d’une prise de conscience de l’urgence de la question écologique ? Depuis 2004, constatez-vous plus largement une évolution positive dans la manière dont le monde politique considère la question écologique ?

mr-mondisaltion-billetsMr Mondialisation Je n’ai malheureusement pas le sentiment d’une véritable prise de
conscience du drame écologique dans les discours politiques des partis dominants. La COP21 fut présentée comme un événement historique qui changerait tout. Les précédentes COP également. Dans les faits, toutes les structures de la société continuent de porter la Croissance des productions comme étant le seul objectif louable, et cette « croyance » commune se reporte dans les discours politiques : compétitivité, emplois, développement… Ainsi, quand j’écoute un Fillon, une Le Pen ou un Macron, leur aveuglement (ou cynisme) me frappe. Tous, ou presque, se persuadent qu’ils vont régler nos problèmes environnementaux en conservant le modèle qui en est à la source. Certes, on peut admettre que la question écologique prend une plus grande place dans les discours qu’il y a dix ans, mais surtout sur la forme, et rarement le fond. Et pourtant, voilà déjà trop longtemps que nous n’avons plus le luxe d’attendre.

mr-m-iiiLVSL – On distingue d’ordinaire deux approches de la question écologique : une approche individuelle, selon laquelle chaque citoyen peut, par ses choix individuels (en réduisant sa consommation, en la modifiant…) protéger la planète des menaces qu’elle encourt ; et une approche politique, selon laquelle c’est le changement des structures institutionnelles (politiques et économiques) qui permettra de mettre fin au saccage de la planète. Privilégiez-vous l’une de ces deux approches par rapport à l’autre ?

Mr Mondialisation – Je n’ai jamais aimé les positionnements extrêmes, tout noir ou tout blanc. Je crois sincèrement que ces deux composantes sont complémentaires et qu’il serait impossible d’articuler l’une sans l’autre. Je m’explique : un changement de structure à un niveau politique n’est possible que si une large portion de la population change de comportement de consommation et accepte donc des réformes qui seraient jugées contraignantes par les consommateurs lambdas avides de produits industriels low-cost. Il ne peut y avoir de changement structurel sans une population politiquement engagée. Et par politique, j’entends une véritable citoyenneté « dans la cité » qui s’inscrit autant à travers l’idée que les actions du quotidien. Nous avons été bercés à l’idée qu’il existait un fossé entre politique, institutions et le peuple. C’est ce fossé qu’il faut combler, notamment à travers des outils beaucoup plus démocratiques qu’aujourd’hui. 

Par opposition, les possibilités d’action sur le terrain sont nécessairement limitées par les réglementations qui sont aussi l’effet de la volonté collective. En matière d’urbanisme par exemple, les règles sont très contraignantes pour ceux qui aspirent à l’habitat alternatif. On comprend donc que les approches individuelles et collectives sont imbriquées et ne peuvent être séparées. Les discours clivants qui cherchent à opposer ces deux univers viennent ainsi ralentir le processus démocratique et les possibilités de transition.

LVSL – Vous vous revendiquez volontiers “apartisan”. Cela veut-il dire que vous jugez les partis politiques insuffisants pour régler la question écologique, ou tout simplement incapables et dépassés ?

Mr Mondialisation – Je me revendique « apartisan » et non pas apolitique, c’est à dire que je suis libre de tout mouvement partisan au sens des partis politiques d’un pays déterminé. Et pour cause, Mr Mondialisation touche de nombreux pays francophones. Même si nous avons des idées politiques clairement identifiables, nous voulons garder notre indépendance vis à vis du jeu politicien pour nous focaliser sur les actes et les idées. Ceci ne nous empêchera donc pas de critiquer vivement une figure ou même de suggérer un débat sur une autre figure politique qui partagerait certaines de nos idées.

LVSL – Face aux aspects néfastes de la mondialisation (ultralibéralisme, pollution), deux solutions se profilent ; la première passe par une transformation de la mondialisation ; la seconde prône la reconquête des souverainetés nationales face aux structures supranationales qui propagent la mondialisation (FMI, OMC, Union Européenne…). Vous avez plusieurs fois suggéré votre préférence pour la première option ; la seconde option est-elle pour autant en contradiction avec les valeurs de citoyenneté mondiale et du “penser global, agir local” que vous prônez ?

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Mr Mondialisation – C’est un sujet délicat car les mouvements nationalistes entretiennent volontairement une vision manichéenne radicale du monde pour justifier leur position. Allons dans le concret. Qu’est-ce qui permet à une multinationale d’aller exploiter un travailleur chinois, dans des conditions environnementales dramatiques, pour trois fois rien à l’autre bout du monde pour revendre le fruit de cet esclavagisme moderne au français moyen ? C’est précisément le fait que les réglementations sociales et environnementales sont plus souples en Chine, donc le fruit de leur souveraineté politique, qui permet cette exploitation. Quand certains parlent de fermer les frontières et de cristalliser les différences, ils accentuent au contraire ces hétérogénéités qui font le profit des multinationales. Cette mondialisation n’en est donc pas vraiment une : les gens ne peuvent pas circuler où ils le souhaitent, ils ne bénéficient pas du même salaire, ni des mêmes droits, ni des mêmes protections. La seule mondialisation que le « système » autorise, c’est celle du déplacement des capitaux. Le reste, nos différences légales, permettent l’exploitation des peuples. Ce monde a besoin de solidarité entre les peuples, pas de davantage de division. C’était le sens premier de « l’internationale ». Offrir à chaque humain une chance de vivre dignement où qu’il se trouve. C’est donc un faux débat que de vouloir maintenir ses différences en voguant sur les peurs et les frustrations économiques.

Cependant, si les structures supranationales font le jeu de ces différences pour alimenter le dogme de la Croissance et de l’économie triomphante, il semble évident qu’une volonté de s’en affranchir soit légitime. Alors, comment « le français » peut-il lutter contre l’exploitation d’autres peuples par leurs gouvernements ? Au niveau local, c’est réapprendre à consommer de manière éthique en s’assurant que le producteur/travailleur soit respecté, où qu’il se trouve. À un niveau politique, c’est envisager une forme de protectionnisme solidaire qui pénalise économiquement une importation qui soit socialement et écologiquement insoutenable sur une base rationnelle. Ainsi, pourquoi un petit producteur indépendant de cacao bio respectant une éthique sociale (bons salaires, droits,..) devrait-il être traité de la même manière qu’un géant de l’industrie du cacao exploitant des enfants et responsable de la déforestation ? Si nous étions sur un marché de village, qui voudrait tolérer des producteurs ayant du sang sur les mains à venir vendre sa marchandise moins chère ? Alors pourquoi est-ce si facile de fermer les yeux à l’échelle globale ? En pénalisant ceux qui ne respectent pas les règles des droits de l’Homme et des droits de la Terre, on offre le marché à ceux qui « produisent bien », autant en local qu’ailleurs, et on le ferme à ceux qui refusent de s’adapter. Mais c’est une position nuancée, sans doute complexe à mettre en oeuvre, qui demande du courage politique et surtout une analyse rationnelle des situations, sans possibilité de lobbying.

 

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LVSL – Une étude publiée par l’université de Stanford affirme qu’il est possible de bâtir une économie basée à 100% sur l’énergie renouvelable d’ici cinquante ans. C’est loin d’être la seule. Pourtant, la majorité des partis politiques ne font pas de la transition vers l’énergie renouvelable leur priorité. Quelle en est l’explication d’après vous ?

Mr Mondialisation – L’étude de l’université de Stanford n’est effectivement pas la seule à le démontrer. Oui, les énergies renouvelables sont l’avenir aujourd’hui autant pour des raisons élémentaires d’environnement que d’économie, celles-ci étant chaque année plus abordables et donc compétitives. C’est donc paradoxalement l’appât du gain qui aujourd’hui permet l’évolution de ces énergies. Mais c’est aussi ce même appât du gain qui restreint leur avancée ! Je m’explique. En matière d’énergie, l’argent n’a pas d’odeur. Si dans le domaine du renouvelable on trouve beaucoup d’outsider et de petites structures, les acteurs des énergies fossiles sont des mastodontes bien difficiles à faire bouger. Ils ont un pouvoir de lobbying impressionnant, ils étaient à la COP21 et seront aux prochaines pour négocier avec les gouvernements, ils ont des capitaux colossaux et continuent d’investir dans de nouvelles formes d’extraction du pétrole ou d’autres sources fossiles. Pire, l’industrie fossile continue de recevoir des aides d’Etat colossales (directes ou indirectes). L’ensemble de notre civilisation moderne axée sur l’hyper-consommation repose sur une énergie bon marché et facilement transportable. Il existe ainsi énormément de facteurs qui expliquent pourquoi la transition est lente et difficile. Des événements locaux comme l’opposition citoyenne à un nouvel aéroport, où encore contre la construction d’un oléoduc géant aux Etats-Unis, montre comment, sur le terrain, des gens conscientisés souhaitent la transition dès aujourd’hui. Mais les pouvoirs prennent la défense de la libre entreprise et de la propriété privée des grands détenteurs de capitaux pour justifier et protéger ces projets d’un autre âge.

LVSL – La justice française vient d’autoriser les travaux à continuer sur le site de Notre-Dame des Landes. Que pensez-vous de cette décision?

Mr Mondialisation – Comme je le suggère plus haut, les institutions baignent en plein délirium. La notion de bien être collectif, toute forme de raison environnementale, sont éludées du débat au profit de décisions quasi-mécaniques et froides. Nous vivons le règne du capital à court terme et de la liberté de l’utiliser, même si cette utilisation met en péril la survie des générations futures. Ce qu’il manque aujourd’hui, c’est un outil institutionnalisé (et légal) pour mesurer rationnellement l’impact d’une décision de ce type sur la collectivité. Bref, une vision d’avenir bâtie sur des faits.

LVSL – Un commentaire sur l’élection récente de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis d’Amérique ?

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Mr Mondialisation – Est-ce bien nécessaire ? Ce délirium dont nous parlions est autant symbolisé par l’élection de Trump qu’il ne l’aurait été par celle de Clinton. L’un comme l’autre ont une vision commune en matière d’emploi ou de nécessité économique. C’est encore plus pesant aux USA où l’idée de liberté de faire du business est inscrite dans leurs veines. Il n’y a rien à espérer de cette élection. Les candidats avec un réel potentiel de changement ont été éludés du débat et des médias depuis longtemps et la plupart des citoyens n’ont même pas idée de leur existence. Je crains que la France ne fasse bientôt face à la même expérience. Seront placés sous les yeux des électeurs deux principaux candidats jugés « satisfaisants » pour l’intérêt de l’establishment et non celui des français. Je crois que nous arrivons à un point où chacun comprend que c’est la structure même de la démocratie qui doit évoluer aujourd’hui, depuis la manière dont on vote à la représentativité des élus ou encore le poids des lobbies dans le processus démocratique. Les outsiders qui questionnent ces institutions devraient avoir toute notre attention.