La catastrophe Parcoursup : bilan des premières semaines

Détournement du tableau “La malédiction paternelle”, Nanterre, 12 mars 2018

Depuis le 22 mai, les lycéens reçoivent – pour les plus chanceux – leurs premières propositions d’admission en première année dans l’enseignement supérieur, sur la nouvelle plateforme Parcoursup. D’après les données publiées le 7 juin, seuls 36% des candidats ont accepté définitivement une proposition d’admission. Retour sur des semaines angoissantes pour les centaines de milliers de lycéens qui passent le bac dans quelques jours.


Les laissés-pour-compte de Parcoursup

Face à l’inquiétude des parents d’élèves et des lycéens, la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, martèle dans les médias que la plateforme est plus performante que la précédente. Pourtant, l’année dernière, à la suite de la première phase d’APB, 80,7% des lycéens avaient une proposition d’admission, qui concernait pour 49,6% d’entre eux leur premier vœu. Les chiffres des premières semaines de Parcoursup vérifient ce que les syndicats et associations de parents d’élèves dénoncent depuis plusieurs mois : la loi « Orientation et réussite des étudiants » instaure bel et bien une sélection à l’entrée de l’université et le portail Parcoursup a été programmé en ce sens. Loin de permettre une démocratisation de l’enseignement supérieur, Parcoursup relègue une partie des lycéens hors des universités.

20% des lycéens n’ont toujours aucune proposition et sont en liste d’attente, y compris pour accéder à des licences. En pleine période de révision du bac, ils doivent se connecter quotidiennement pour guetter les nouvelles propositions et surveiller l’évolution de leur « rang » dans la liste d’attente.

Une partie des candidats a été éliminée dès le début. Nouveauté avec Parcoursup, les lycéens ne sont plus obligés de faire des vœux en licence – autrefois « pastille verte ». Cela permettait de s’assurer qu’un lycéen qui candidate à des formations sélectives (classes préparatoires, IUT, BTS etc.) soit admis quoiqu’il arrive dans l’enseignement supérieur public. Ainsi, pour tous les lycéens – souvent mal renseignés – qui n’ont mis que des vœux sélectifs et n’ont obtenu que des refus, Parcoursup s’arrête. A ce jour, cela représente 23 145 candidats, soit environ le nombre d’étudiants d’une université comme Paris 8, éliminés depuis le 22 mai. Ils pourront tenter leur chance pendant la phase complémentaire qui débute le 26 juin, si des places se libèrent d’ici-là.

« Cela représente 23 145 candidats, soit environ le nombre d’étudiants d’une université comme Paris 8, depuis le 22 mai. »

Des milliers d’inscrits ont choisi de quitter définitivement Parcoursup. Leur nombre n’a cessé d’augmenter pour atteindre en tout 36 866 candidats. Si l’on a peu d’informations sur les motivations de ces départs, on peut envisager qu’ils soient des renoncements à poursuivre des études ou des redirections vers le secteur privé de l’enseignement supérieur.

Les « privilégiés » qui ont eu au moins une réponse positive ne sont pas pour autant tirés d’affaire. Si des places se sont effectivement libérées au fur et à mesure, la moitié des jeunes ayant au moins une proposition d’admission n’a validé aucun vœu et attend de recevoir de meilleures propositions d’admission.

Les disparités sont importantes selon les lycées d’origine. Le syndicat Sud Éducation organise un recensement des résultats de Parcoursup lycée par lycée.[1] Leur étude montre que le type de baccalauréat préparé par les lycées joue beaucoup sur le nombre d’élèves qui n’ont aucune réponse positive. Sur un panel de 11 000 élèves, 60% de ceux qui viennent de la voie professionnelle, et 58% pour la voie technologique, n’avaient aucune proposition d’admission le 1er juin. Alors que dans la filière générale scientifique, ils sont 42% à être dans cette situation. Les syndicats opposés à la réforme assurent qu’avec la mise en place de la loi ORE, les élèves des quartiers populaires subissent une sélection plus forte que les autres sur Parcoursup. Les chiffres, lycée par lycée, que transmettent des enseignants engagés contre la réforme, vont effectivement dans ce sens, mais le gouvernement refuse pour le moment de rendre publique une analyse par académie et par type de bac.

Source : Ministère de l’éducation nationale, Tableau de bord – Phase principale d’admission de Parcoursup, 07/06/2018

Une catastrophe volontaire ?

Le 15 mai dernier, la ministre Frédérique Vidal déclarait à propos de Parcoursup : « C’est un processus plus fluide qui remet de l’humain dans la procédure. ». Au vu des premiers chiffres de la semaine, ces éléments de langage sonnent comme une mauvaise blague pour ceux qui craignent encore de ne pas pouvoir faire les études qu’ils veulent. Des spécialistes nous alertent depuis longtemps : avec la fin de la hiérarchisation des vœux, la suppression des « pastilles vertes » et le calendrier dans lequel les « offres » se font de façon diffuse, l’algorithme de Parcoursup serait un enfer pour les lycéens.

« Le désastre de ces premières semaines était si prévisible, que l’on peut supposer que c’est ainsi que le gouvernement a voulu Parcoursup. »

Le désastre de ces premières semaines était si prévisible, que l’on peut supposer que c’est ainsi que le gouvernement a voulu Parcoursup. Il est, tout du moins, en parfaite cohérence avec le processus de sélection  prévu par la loi ORE et mis en pratique sur la plateforme. En effet, les jeunes doivent, dès leurs 17 ans, anticiper leur place dans la société et faire ce choix déterminant en fonction de leurs « capacités ». Avant le cauchemar du 22 mai, où la moitié d’entre eux a reçu comme réponse « Non » ou « En attente », ils ont dû rédiger des CV, des lettres de motivation et se tenir à carreau en cours pour espérer que le conseil de classe donne un avis favorable à leur projet d’orientation. Tout cela crée, délibérément, un climat d’incertitude et de concurrence. Les laissés-pour-compte, les listes d’attente interminables et le stress qu’elles génèrent, forment avec toute cette procédure très managériale une suite tout à fait logique qui illustre très bien ce que produit en matière de violence la bureaucratie néolibérale, lorsqu’elle veut s’étendre au service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Gare à celui qui voudrait protester, la répression sera au rendez-vous. Des lycéens, que les résultats de Parcoursup n’ont pas tétanisés, organisaient une assemblée générale au Lycée Arago (Paris 12ème). L’action était non-violente, mais les CRS ont interpellé 128 personnes dont 40 mineurs. Ils passeront plusieurs heures enfermés dans un bus, dans le noir, avant de se voir notifier leur garde à vue. Celle-ci durera 48 heures. Un collectif de parents d’élèves a saisi le 29 mai le défenseur des droits[2] contre ce qu’ils considèrent comme de la « maltraitance caractérisée ». Il ne fait pas bon être lycéen dans la Start-up Nation.

[1] http://www.sudeducation.org/Parcoursup-le-bilan-du-formulaire.html

[2] http://www.liberation.fr/debats/2018/05/29/lycee-arago-pourquoi-nous-saisissons-le-defenseur-des-droits_1654960