Pourquoi inscrire la protection de l’environnement dans l’article 1er de la Constitution ?

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Nicolas Hulot ©COP PARIS

« La République agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le réchauffement climatique ». Telle pourrait être la formulation inscrite dans l’article 1er de la Constitution française, si sont adoptés les projets de lois pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, présentés en mai 2018 par le gouvernement Edouard PhilippeD’abord attendue à l’article 34, qui définit les domaines où le Parlement peut légiférer, cette mesure symbolique, lancée par Nicolas Hulot, a été accueillie avec agréable surprise par les militants et les associations environnementales. Alors concrètement, qu’est-ce que cela change, et plus encore, cela change-t-il vraiment quelque chose ?


L’article 1er de la Constitution définit les principes fondamentaux de la République, comme l’égalité ou la laïcité. En y inscrivant la préservation de l’environnement, de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique, le gouvernement instaure ces notions comme un socle, comme un principe fondamental qui supplanterait les autres, y compris l’économie. Il s’agit donc d’un symbole fort.

Mais au-delà du symbole, il offre également une base juridique pour la rédaction et le vote de nouvelles lois, et tend à prévenir les retours en arrière, car les législateurs, sous peine de censure, ne peuvent proposer de lois explicitement contraires à l’article 1er. À l’examen des lois, il permet aussi de justifier une opposition devant le Conseil constitutionnel. Il sera donc désormais plus facile de défendre le principe de protection de l’environnement en s’appuyant clairement sur la Constitution. Dans un communiqué de presse, WWF explique ainsi que « cette décision permettra à l’environnement, au climat et à la biodiversité de peser davantage dans la balance qu’opère le juge constitutionnel entre les différents principes inscrits dans la Constitution, tels que la liberté d’entreprendre ou le droit de propriété». Il s’agit donc d’établir un équilibre.

Cependant, cette annonce ne fait pas l’unanimité au sein des militants écologistes et des députés. Certains décrient tout d’abord la formulation, et auraient préféré au verbe « agir » une formulation comme « assurer » ou « garantir »,  plus contraignante pour l’État. D’autres restent prudents quant aux conséquences réelles de cette décision tandis que des députés LR déplorent une perte de temps avec cette idée « d’enfoncer des portes déjà ouvertes ». Les associations se réjouissent, mais Véronique Champeil-Desplats, professeure de droit public à l’Université Paris-Ouest Nanterre, déplore quant à elle un progrès en demi-teinte avec l’abandon de l’article 34.

Si l’inscription dans l’article 1er relève d’un caractère symbolique important, y ajouter parallèlement une modification de l’article 34, en instaurant le principe de respect du bien commun, aurait permis de donner un cadre plus strict aux interventions et aux missions parlementaires. Qu’en sera-t-il également des projets déjà signés ou en cours ? Il est ainsi possible d’évoquer cette récente controverse concernant l’importation d’huile de palme sur le site Total de Mède, autorisée car résultant d’un accord signé avec le gouvernement précèdent, impossible à rompre malgré la contestation organisée par le secteur agricole en juin dernier. Sera-t-il désormais possible de s’y opposer frontalement, au nom de l’article 1er de la Constitution ? Cela semble encore difficile à dire, car les conséquences ne seront visibles qu’à partir de 2019, lorsque l’adjonction aura pris effet.

Un greenwashing gouvernemental ?

Mais alors comment expliquer un tel regain d’intérêt des députés pour l’environnement après les récentes déconvenues de Nicolas Hulot ? En refusant fin mai l’interdiction de l’utilisation du glyphosate, herbicide classé cancérigène probable par l’Organisation Mondiale de la Santé, d’ici à 2021, les députés se sont vus contestés tant par les militants écologistes que par l’opinion publique qui a, contre toute attente, pris la question très au sérieux. L’image du ministre de la Transition écologique et solidaire s’est vue écornée et le Make our planet great again du président Emmanuel Macron en a définitivement pris un coup. Apaiser le feu des tensions et engager une réhabilitation, donc ?

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Depuis 2008, la Constitution de l’Équateur fait de la Nature une personne juridique à part entière, porteuse de droits propres exigibles devant les tribunaux.

Il ne s’agit pas d’une rupture. La France a déjà intégré en 2004 la Charte de l’environnement dans la Constitution, et ce n’est pas le premier pays à se lancer dans cette voie verte, au contraire. Le mouvement pour la constitutionnalisation du droit de l’environnement est lancé depuis les années 70. Les constitutions grecque, espagnole et suédoise mentionnent par exemple la protection de l’environnement. En Allemagne, l’article 20a souligne la responsabilité de l’État pour les générations futures. Au Brésil et au Portugal, la Constitution décrit précisément les devoirs des pouvoirs publics afin de garantir le droit à un environnement écologiquement équilibré. D’autres pays sont allés encore plus loin : depuis 2008, la Constitution de l’Équateur fait de la Nature une personne juridique à part entière, porteuse de droits propres exigibles devant les tribunaux.

Cette victoire arrive donc à point nommé pour Nicolas Hulot. Celle-ci a certes plus de poids que l’inscription à l’article 34 ou que la Charte de l’environnement,  et possède un caractère plus astreignant. Cependant, elle n’offre aucune garantie. Les « Sages » posséderont toujours une marge de manœuvre, et cet ajout constitue avant tout un appui et une assise pour les défenseurs de l’environnement déjà ralliés à la cause, ce qui peut être prometteur si de nouveaux députés, davantage tournés vers ces problématiques, remplacent les membres actuels.

Mais inscrire une notion dans la Constitution, puisse-t-elle être au 1er article, ne la préserve pas des interprétations sur sa portée et sa signification, en sont ainsi les témoins les éternels débats autour de la laïcité et de l’égalité. La définition même de développement durable est sujette à discussion au sein des communautés scientifiques. Il s’agit donc d’une avancée porteuse d’espoir, sans aucun doute, mais dont les résultats sont encore incertains.

Photo de couverture : © COP PARIS