Sauver le climat, renouveler la démocratie : l’épopée de la Convention citoyenne pour le climat

Les 150 lotis. © Convention Citoyenne pour le Climat

La Convention citoyenne pour le climat a publié dimanche 21 juin ses recommandations destinées à « réduire les émissions de gaz à effet de serre françaises d’au moins 40 % par rapport à 1990, dans un esprit de justice sociale ». Exercice inédit de démocratie délibérative, cette Assemblée citoyenne tirée au sort apporte de nombreux enseignements politiques et sociaux. D’où vient-elle ? Qu’a-t-elle décidé et comment ? Quelles perspectives ouvre-t-elle ? À quelles mobilisations appelle-t-elle ? Tentative d’état des lieux.


La Convention est née grâce aux luttes

Le vote final des mesures de la Convention est « un rendez-vous historique à bien des égards » selon Hélène Landemore, professeure de sciences politiques à l’Université de Yale. C’est, pour commencer, un produit des luttes de son époque.

La politique d’Emmanuel Macron en matière d’écologie était à l’automne 2018 dans une complète impasse. Nicolas Hulot, alors Ministre de la Transition Écologique et Solidaire, annonçait sa démission en direct sur France Inter 1. D’un ton abattu, le ministre démissionnaire confiait l’impuissance d’une politique de « petits pas », et d’accommodements libéraux, face aux menaces du réchauffement climatique et de l’effondrement de la biodiversité.

À partir du 8 septembre 2018, les marches pour le climat battent le pavé, rassemblant parfois près de 150 000 participants 2. Puis en novembre, le mouvement des Gilets Jaunes émerge – d’abord sur Facebook, puis sur les ronds-points. Les protestations prennent de l’ampleur chaque samedi, et rassemblent entre 130 000 et 150 000 protestataires lors des actes II et III, qui marquent la capitale 3. Parti d’un mot d’ordre simple, le rejet de la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), le mouvement se diversifie. Les protestataires dénoncent une fiscalité injuste, dont la suppression de l’ISF est un symbole, et réclament la démission du Président.

Les pouvoirs publics tentent de parlementer. Peine perdue : les insurgés refusent obstinément de se reconnaître un leader. Mieux encore, ils revendiquent une démocratie directe, se passant de représentation élue. Un acronyme est bientôt sur toutes les lèvres : RIC-ETM, Référendum d’initiative citoyenne en toute matière 4.

Ces revendications attirent l’attention du collectif Démocratie ouverte 5. Celui-ci commence à organiser des discussions entre des Gilets Jaunes et des acteurs de l’innovation démocratique. Courant janvier 2019, le groupe se renomme Gilets citoyens. Il se compose notamment de l’économiste Laurence Tubiana, du philosophe Dominique Bourg, du professeur de science politique Loïc Blondiaux et d’une des figures médiatiques des Gilets jaunes, Priscillia Ludosky.

Les Gilets citoyens commencent un travail de plaidoyer collectif auprès du gouvernement, auquel ils conseillent d’organiser une réponse démocratique au mouvement. Le 18 décembre est annoncée le « Grand débat national » 6. « Une farce », selon Armel Le Coz, cofondateur de Démocratie ouverte, qui ne décourage pas les Gilets citoyens. Ils adressent une lettre ouverte au Président le 23 janvier 2019, demandant, entre autres, « la mise en place d’une Assemblée citoyenne tirée au sort […] chargée de faire des propositions donnant lieu à un référendum à choix multiples ». Cette proposition est défendue auprès du Président de la République le 13 février par Cyril Dion et Marion Cotillard 8. Après des mois de négociation entre les Gilets citoyens et le Gouvernement sur la méthodologie, la création de la Convention citoyenne pour le climat est annoncée par Emmanuel Macron le 25 avril 2019 9. Son organisation est confiée au Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Souvenons-nous que la première Assemblée citoyenne tirée au sort que la France ait connue n’aurait pas vue le jour sans l’action déterminée des Gilets jaunes.

Le tirage au sort de la Convention

Avec le refus de la taxe sur les produits pétroliers une écologie de marché élitiste, qui réduisait l’intervention de l’État à la fixation d’un signal-prix – heurtant démesurément les ruraux et les classes populaires, avait échoué. A contrario, la Convention devait être « une France en miniature », selon son coprésident Thiérry Pèche, afin d’adopter des mesures socialement justes pour toute la population.

Par praticité, nous appellerons les 150 membres tirés au sort de la Convention des « lotis ». « Loti » est un mot court, distinctif, de prononciation épicène, proposé par Gil Delanoi. Il signifie littéralement « gagnant d’une loterie ».

Le tirage au sort est lancé le 26 août 2019, par l’institut Harris Interactive, qui génère automatiquement des numéros de téléphones. Des 250 000 personnes contactées, 30 % ont donnés un accord, 35 % se sont déclarées intéressées sans s’engager formellement et 35 % ont refusé. Les tirés au sort ont subi une sélection additionnelle, selon six critères sociologiques fixés d’après les données de l’INSEE.

La Convention est composée à 51 % de femmes et à 49 % d’hommes, répartis selon 6 tranches d’âges, proportionnelles à la pyramide des âges à partir de 16 ans. Vingt-six pour cent des lotis n’ont pas de diplômes, 21 % un diplôme supérieur au Bac et 13 % sont étudiants. Il y a 27 % de retraités, 10 % d’ouvriers, 18 % d’inactifs et 9 % de cadres supérieurs. Cinq pour cent des lotis sont ultramarins, 20 % viennent d’Île-de-France. Soixante-deux pour cent viennent d’une commune « appartenant à un grand pôle », 23 % venant d’une commune « appartenant à la couronne d’un grand pôle », 15 % venant de communes « appartenant à un petit ou moyen pôle ou isolées » – de plus 13 % vivent dans un quartier prioritaire. On note d’ailleurs, que lorsqu’ils prennent la parole lors de la première séance, les lotis citent leur prénom, suivi de leur ville ou région.

« Le tirage au sort assure une représentativité plus importante que le vote », assurait en 2019 le chercheur de Sciences Po Gil Delanoi. Outre leur représentativité sociale, Hélène Landemore, avance que la « diversité cognitive » des lotis devrait leur permettre de trouver des solutions originales et adaptées.

« J’apprécie le fait que l’on ait réuni 150 personnes de toute la France, même des outre-mers. On aura vraiment une grande diversité de solutions et d’idées. […] C’est une grande responsabilité. Seules 150 personnes ont été choisies, ça veut dire que chacun parle un peu au nom de la catégorie de Français à laquelle il appartient. Moi ,ce sont les jeunes, les étudiants. » – Alexia Fundéré, étudiante de Guadeloupe, octobre 2019

Tous les lotis bénéficient d’une indemnité de perte de revenu, auquel s’ajoute la rémunération des jurés d’assises (86 € par jour). Leurs frais sont pris en charge. Le budget total de la Convention est de 5 389 126 €, tous frais compris. À titre de comparaison, les dépenses courantes de l’Assemblée Nationale s’élevaient en 2014 à 41 millions d’euros, pour un budget total de 505 millions d’euros.

L’organisation de la Convention

Le regroupement d’un panel représentatif ne suffit pas en lui-même à assurer la qualité des délibérations, s’il ne s’accompagne pas d’un travail long et méthodique. Voyons d’abord les deux organes de la Convention destinés à l’organiser et assurer son indépendance.

Le programme de travail et sa mise en œuvre a été élaboré par le Comité de gouvernance établi par le CESE. Celui-ci est co-présidé par Thierry Pech et Laurence Tubiana, accompagnés de 12 personnes qualifiées. Le comité comprend de plus 2 citoyens tirés au sort parmi les 150, avec un roulement entre chaque session.

À ce comité de gouvernance est ajouté un collège de garants, composé de Cyril Dion, Anne Frago et Michèle Kadi. Ils sont chargés de surveiller l’indépendance et le fonctionnement de la Convention.

Enfin un « groupe d’appui » et un « comité légistique » sont proposés par le comité de gouvernance pour aider les lotis à évaluer l’impact climatique de leurs mesures et à les rédiger dans les formes du droit.

Le déroulement des travaux

Les lotis se rencontrent pour la première fois à Paris, du 4 au 6 octobre. Ils sont répartis (toujours par tirage au sort) dans cinq groupes thématiques : « se loger », « se nourrir », « se déplacer », « produire et travailler » et « consommer ». À partir de la quatrième session est formée « l’escouade », un sixième groupe chargé de questions transversales communes à tous les groupes : le financement, l’éducation, la Constitution, etc.

Des 6 sessions de trois jours initialement prévues, les grèves de l’hiver et les demandes des lotis eux-mêmes ont étendus les travaux de la Convention à 7 sessions, d’octobre 2019 à juin 2020. À ses réunions dans les bâtiments du CESE, s’ajoutent des boucles WhatsApp, des envois de documents et, lors du confinement dû au Covid-19, des télé-conférences sur Zoom. L’hybridation entre travail à distance et en face à face a augmenté la capacité de travail de la Convention.

© Convention Citoyenne pour le Climat

« Ce weekend [de première session] nous avons eu des discours de crédibilité politique, mais surtout un état des lieux condensé de la situation (merci Valérie Masson-Delmotte), puis une énumération des points de blocages globaux qui m’ont permis de me rendre compte de l’ampleur de la tâche. C’est vertigineux. En bref, j’ai pris une grosse claque. Je suis en train de me documenter un maximum sur le thème “Produire/travailler” qui m’a été attribué par tirage au sort. Si vous avez des suggestions de lectures, conférences, documentaires… je suis à votre écoute. » Lambert, loti de Lille, octobre 2019

Soumettre « les experts » à la question

Les lotis ont fait preuve d’un engagement et d’une évolution remarquable, au cours des 9 mois de travail de la Convention, acquérant progressivement une forme d’expertise.

« J’étais climato-sceptique, je n’étais pas d’accord avec la conclusion que le réchauffement climatique était due aux Hommes. J’ai malheureusement dû me rendre à l’évidence : l’augmentation des gaz à effet de serre est exponentielle depuis 100 ans et est uniquement due aux activités humaines » Hugues Olivier Brillouin, loti du sud-Touraine.

En effet, la qualité de « simple citoyen » des lotis les place en situation de mener une enquête documentée sur la société. Leurs délibérations évoluent ainsi d’intentions générales (réduire les déchets, limiter l’étalement urbain, etc.) à des mesures de plus en plus précises. Ils alternent entre sessions plénières, travaux en groupes sur des propositions et auditions d’experts, invités à leur demande.

« [Les lotis] ont abattu un travail énorme : avoir emmagasiné des savoirs en politiques publiques et en politiques climatiques […] Ils ont dû s’adapter aux règles juridiques et aux contraintes du droit écrit afin de permettre à leurs mesures d’être transmises sans filtre », Maxime Gaborit, doctorant à l’université Saint-Louis, Bruxelles.

En tout, les lotis ont auditionné plus de 138 personnes. Les choix des intervenants s’est porté principalement sur des responsables de syndicats, d’entreprises, d’associations et d’agences publiques. Il a étonnamment plu aux lotis d’interroger successivement, Guillaume Riou, président de la Fédération nationale d’agriculture biologique et Olivier Dauger, élu de la FNSEA, le Président du Conseil de Surveillance de PSA Louis Gallois et le chercheur sur les modes de vies en transition Mathieu Saujot.

Comment expliquer ce surprenant mélange d’acteurs de la transition écologique et de dirigeants réticents au changement ? Peut-être d’une part, est-ce la volonté des lotis de disposer de l’information la plus directe possible sur les points de blocages actuels. Peut-être, d’autre part, la volonté de mettre devant leur responsabilité, voire de bousculer, des gens à la tête du système de production. Je retiens ainsi la remarque faite à Sébastien Soleille de la BNP Paribas au sein du groupe « se loger », le 8 février 2020 : « Nous les gueux ont nous demande toujours d’anticiper, de réfléchir, ne pouvez-vous pas anticiper, vous les banques ? ».

Rappelons aussi brièvement l’audition, assez décousue, d’Emmanuel Macron le 10 janvier 2020, dont on ne retient pas d’engagements fermes.

Démocratie délibérative et participation directe

La Convention a mêlé la délibération, à 150, et la participation directe, ouverte à toute la population. À partir du 25 octobre, une plateforme en ligne a permis à toute personne intéressée d’apporter sa contribution sur chacun des cinq thèmes abordés. La synthèse des contributions a été proposée aux lotis par le comité de gouvernance de la Convention.

Bien qu’auparavant anonymes, certains lotis se sont signalées sur Twitter et ont multiplié les rencontres avec le public, les associations et élus locaux. Je me souviens notamment d’un « Clim’Apéro » qui avait eut lieu à la Recyclerie, à Paris, permettant aux noctambules d’échanger directement avec les deux co-présidents, cinq lotis… et de débattre de propositions sur un coin de table.

Quelques critiques sur la méthode

Nous pouvons formuler quelques critiques méthodologiques, destinées à améliorer de futures Conventions citoyennes portant sur d’autres thèmes.

1. La Convention a manqué de temps pour transcrire toutes ses mesures en lois. Seul un tiers des mesures adoptées par la Convention sont traduites en texte de loi. Le temps imparti aux lotis – huit mois et 21 jours de réunions présentielles en tout, a été trop court. Peut-être une année complète de travail était-elle nécessaire pour transcrire toutes les propositions en droit.

2. Le mandat de la Convention Citoyenne pour le Climat était très large. Les 150 lotis ont travaillé en petits groupes sur l’alimentation, le logement, le travail, les transports… Autant de sujets complexes qui auraient chacun pu faire l’objet d’une Convention citoyenne spécifique. Les prochaines conventions Citoyennes pourraient avoir des mandats plus spécialisées, leur permettant de proposer des mesures plus précises.

3. Le vote en session plénière est intervenu un peu trop tard dans le processus. Après avoir travaillé dans cinq groupes distincts, les lotis se sont retrouvés lors de la dernière séance pour le vote collectif des mesures. Toutes ont été adoptées, à l’exception de la semaine de 28 heures de travail payée 35 h, rejetée à 65 % des voix. Le vote en plénière aurait pu intervenir plus tôt, pour éviter au groupe « produire et travailler » de passer du temps sur une mesure qui sera rejetée in extremis par l’ensemble des lotis. D’autre part, le vote « par paquet de mesures » génère quelques frustrations. Un vote mesure par mesure, plus long mais plus précis, devrait être envisagé.

4. Le destin des mesures n’est pas assuré, l’exécutif n’est pas contraint juridiquement de les appliquer. Tout au long des travaux de la Convention, les lotis ont travaillé dans l’inquiétude que leurs délibérations soient jetées à la corbeille par le Gouvernement ou l’Assemblée Nationale. Cette attitude a pu les amener à se modérer, à s’auto-censurer. Il faudrait que les prochaines Conventions citoyennes disposent d’une garantie constitutionnelle.

Les délibérations de la Convention Citoyenne pour le Climat

Le 20 juin, la Convention se retrouve pour adopter 149 mesures, dont un tiers sont traduites sous forme de lois. Nous vous recommandons vivement d’en consulter la liste complète ici. Les propositions de la Convention forment un tout. Mais cet article n’évoquera que les objectifs plus importants en termes d’impact. Chacun est accompagné de mesures d’incitation, d’aide et de contraintes, qui ne figurent pas ici.

1. Se déplacer

  • Créer les conditions d’un retour fort à l’usage du train au-delà des voies à grande vitesse (réduction de la TVA, investissement dans les infrastructures, mesures tarifaires attractives, etc.),
  • Réduire la vitesse sur autoroute à 110 km/h maximum,
  • Développer les autres modes de transport que la voiture individuelle et aménager les voies publiques pour permettre de nouvelles habitudes de déplacement (augmentation du fonds vélos, interdiction des véhicules polluants en centre-ville, parkings relais, etc.),
  • Réduire la circulation des poids lourds sur de longues distances, en permettant un report modal vers le ferroviaire et/ou le fluvial (favoriser le transport de marchandises sur circuits courts par une modulation de la TVA, développer les autoroutes de fret maritime (et fluvial), sur des trajets déterminés, etc.).

2. Se loger

  • Rendre obligatoire la rénovation énergétique globale des bâtiments d’ici à 2040 (Déployer un réseau harmonisé de guichets uniques et un système progressif d’aides à la rénovation, avec prêt et subventions pour les plus démunis, obliger les bailleurs, etc.),
  • Lutter contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain en rendant attractive la vie dans les villes et les villages (Définir une enveloppe restrictive du nombre d’hectares maximum pouvant être artificialisés réduisant par 2 l’artificialisation des sols et rendre les PLUI et PLU conformes aux SCOT (et non plus compatibles), prendre immédiatement des mesures coercitives pour stopper les aménagements de zones commerciales périurbaines très consommatrices d’espace, etc.),
  • Limiter de manière significative la consommation d’énergie dans les lieux publics, privés et les industries.

3. Se nourrir

  • Engager la restauration collective vers des pratiques plus vertueuses (Étendre les dispositions de la loi Egalim à la restauration collective privée à partir de 2025, une prime pour les établissements leur permettant d’atteindre les objectifs de la loi Egalim, etc.),
  • Atteindre 50% d’exploitations en agroécologie en 2040 (Diminuer l’usage des pesticides, avec une interdiction des produits CMR, et une diminution de l’usage des produits phytopharmaceutiques de 50% d’ici à 2025, interdire les pesticides les plus dommageables pour l’environnement en 2035, etc.),
  • Rendre les négociations tripartites plus favorables aux agriculteurs, réformer la formation agricole, développer les circuits courts, etc.

4. Produire et travailler

  • Favoriser une production plus responsable, développer les filières de réparation, de recyclage et de gestion des déchets,
  • Ajouter un bilan carbone dans le bilan comptable de toutes les structures qui doivent produire un bilan,
  • Mieux prendre en compte les émissions GES liées aux importations dans les politiques européennes.

5. Consommer

  • Créer une obligation d’affichage de l’impact carbone des produits et services (« CO2- score »),
  • Réguler la publicité pour réduire les incitations à la surconsommation, mettre en place des mentions pour inciter à moins consommer,
  • Renégocier le CETA (Comprehensive economic and trade agreement, accord commercial avec le Canada [ndlr]) au niveau européen pour y intégrer les objectifs climatiques de l’accord de Paris.

Constitution de la Ve République

  • Ajout d’un nouveau deuxième alinéa au préambule : « La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité »,
  • Ajout d’un troisième alinéa nouveau à l’article 1er : « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique »,
  • Renforcer les recours possible pour la protection de l’environnement, avec la reconnaissance du crime d’écocide et la la création d’un « Défenseur de l’environnement », sur le modèle du Défenseur des droits,
  • Transformer le Conseil Économique et Social (CESE).

Par ses propositions, la Convention Citoyenne pour le Climat démontre que les délibérations de citoyens tirés au sort peuvent surpasser en compétence celles des élus. Les mesures ambitieuses, détaillées et concrètes des lotis tranchent avec les atermoiements des majorités parlementaires – cela fait pourtant près de 20 ans qu’ils savent que notre maison brûle…

L’occasion manquée du référendum délibératif

Pour le chercheur à l’Université de Lausanne Dimitri Courant, le tirage au sort a cinq vertus démocratiques : l’égalité, l’impartialité, la représentativité, l’inclusion et la légitimité-humilité, c’est-à-dire la capacité à ne pas surestimer ses connaissances. Cependant, cette humilité du citoyen tiré au sort, qui n’est l’élu de personne, est un frein à l’acceptation des délibérations proposées à la population.

Aussi, il conseille de soumettre les délibérations des assemblées tirées au sort à des référendums à choix multiple. La décision du peuple représenté par tirage au sort en petit groupe devient alors celle du peuple tout entier. C’est le « référendum délibératif ». Il devrait construire une démocratie semi-directe, intelligente – puisque les décisions sont mûrement réfléchies – et légitime – puisque le référendum est considéré comme l’expression par excellence du peuple souverain.

L’on peut donc regretter qu’après d’âpres débats, la Convention Citoyenne pour le Climat ait décidé le 21 juin de ne soumettre au référendum que la modification de la Constitution et la reconnaissance du crime d’écocide. Les lotis ont eu peur que le peuple, ne disposant pas de leurs informations sur le climat et soumis à des manipulations partisanes ou médiatiques, rejettent de nombreuses mesures techniques. Sans référendum pour soutenir ces propositions, il faudra redoubler d’effort pour défendre les mesures de la Convention Citoyenne pour le Climat.

« Débat sur le #referendum à la #ConventionCitoyenne « Trop risqué » « rien ne passera » « les Français ne seront pas assez informés »… À ne pas assez nous entraîner à la démocratie (dernier référendum en 2005), les citoyens en perdre eux-mêmes le goût et l’espérance » témoigne un loti, sous pseudonyme (@micro_climat).

Nouvelles perspectives pour la démocratie et nouvelle stratégie pour la gauche

Avant la Convention citoyenne pour le climat, une assemblée tirée au sort avait déjà été organisée en Islande en 2011, pour une révision de la Constitution, et en Irlande, pour plusieurs réformes dont le droit à l’avortement, entre 2012 et 2014. Le succès de telles expérimentations ouvre aujourd’hui de nouvelles perspectives. Nous pouvons faire, dès maintenant quelques recommandations stratégiques pour le renouvellement de la Démocratie – et le succès de la Gauche.

À court terme, nous devrions supporter les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, dont l’application n’est pas encore acquise. D’importants efforts de communication devraient être déployés pour vulgariser l’idée d’assemblées citoyennes tirées au sort auprès des populations, françaises et étrangères. Des discussions sont déjà en cours pour répliquer la Convention citoyenne pour le climat en Allemagne et en Espagne.

À moyen terme, nous devrions revendiquer l’organisation de nouvelles Assemblées citoyennes à d’autres échelles et sur d’autres enjeux, avec deux objectifs : avancer sur des problèmes importants pour les populations et ancrer la pratique dans les esprits. Nous pouvons imaginer des Assemblées citoyennes sur la fiscalité, l’éducation nationale, la politique de santé publique vis-à-vis des addictions – bref, tout sujet d’importance. De telles assemblées citoyennes peuvent avoir lieu à l’échelle nationale, mais aussi régionale ou municipale. La région Occitanie réfléchirait déjà discrètement à convoquer une Convention citoyenne pour diriger son plan de relance post-épidémique. Signalons aussi qu’une association se mobilise aujourd’hui pour la tenue d’une Assemblée citoyenne sur la modification du génome humain… à l’échelle mondiale.

Pour assurer la démocratie délibérative, changer la Constitution

Contacté par téléphone, Armel Le Coz rappelle « qu’aujourd’hui, la Convention pour le climat n’est inscrite dans aucun texte. Elle n’a pas d’existence juridique qui lui garantit que ce qu’elle va faire ne sera pas foulé aux pieds ». Nous devrions donc revendiquer des changements constitutionnels pour intégrer les mécanismes de la démocratie délibérative.

La première piste pour ce faire est la création d’une « Assemblée citoyenne du futur » au sein de la Ve République − proposition soutenue par la Fondation pour la Nature et pour l’Homme, Dominique Bourg, et le collectif Nous les Premiers, lui aussi lié à Démocratie ouverte.

Cette troisième chambre parlementaire, entièrement tirée au sort, remplacerait le CESE. Elle aurait la capacité de s’opposer à des projets de loi menaçant les générations futures et peut-être de déclencher des référendums à choix multiples ou de faire des propositions sur un sujet donné. Si les contours de cette proposition sont encore en discussion, notons qu’il serait bien dommage de réduire les citoyens tirés au sort un simple rôle de veto, lorsque nous avons vu leur capacité à faire de véritables projets et propositions.

La Convention citoyenne pour le climat a elle-même proposée la transformation du CESE en « Chambre de la participation citoyenne », comptant une moitié de citoyens tirés au sort et représentatifs de la population. L’avis de cette chambre serait cependant consultatif.

Il est aussi possible de s’inspirer de la communauté belge d’Ostbelgien, où un Conseil citoyen a déjà été institué – notamment grâce à mobilisation de la plateforme pour la démocratie ouverte G1000, emmenée par l’historien David Van Reybrouck. Ce Bürgerrat est composé de 24 citoyens tirés au sort pour 18 mois, renouvelés d’un tiers tous les six mois. Il a la capacité d’organiser des Conventions citoyennes tirées au sort, thématiques et temporaires, dont les conclusions sont – pour le moment − simplement remises au parlement élu.

Enfin, la piste la plus radicale est l’organisation d’une Constituante, dans chaque pays, instituant de nouvelles Républiques. Leurs institutions, déterminées par des Constituantes tirées au sort, pourrait associer par exemple, une chambre basse souveraine tirée au sort, un congrès fédéral élu représentant les territoires et un exécutif collectif élu au jugement majoritaire. La chambre basse pourrait recevoir des pétitions, voter des lois, convoquer des référendums et organiser des Conventions citoyennes temporaires chargées d’un thème spécifique. Il s’agit bien sûr d’une vision à long terme.

Dans tous les cas, estime Hélène Landemore, la réforme devrait être confiée à une Assemblée tirée au sort, qu’elle appelle « Convention citoyenne sur la rénovation démocratique ». En effet, « cette réflexion ne peut pas être laissée aux seuls élus, à cause d’un conflit d’intérêt évident et des œillères cognitives propres à leur mode de sélection. Il faut inclure le jugement de représentants citoyens tirés au sort et réunis dans un cadre délibératif adéquat. […] Renouveler la démocratie est une priorité et doit se faire avec des citoyens comme [ceux de la Convention citoyenne pour le climat]. »

La prochaine étape

Le Président de la République Emmanuel Macron s’est engagé à apporter « une première réponse » aux propositions de la Convention le 29 juin. Il y a beaucoup à craindre. Il pourrait décider de ne retenir que quelques mesures, oubliant la cohérence et l’ambition de l’ensemble. Il pourrait remettre à plus tard leur application ou demander à la majorité parlementaire de les détricoter discrètement, à l’abri des regards. Les lotis de la Convention citoyenne pour le climat ont d’ores et déjà fondé une association, « Les 150 » pour le suivi et la promotion de leurs mesures. Pour le climat et pour la démocratie délibérative, la lutte continue.

1 Les arbitrages du premier Ministre sur les dossiers du glyphosate et de l’accord de libre-échange CETA sont usuellement considérés comme le déclencheur de cette démission. https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-28-aout-2018

2 Les sociologues Maxime Gaborit et Yan Le Lann ont depuis montrés la sociologie particulière des participants : jeune, diplômée, à gauche voire très à gauche et disproportionnellement issue des classes aisées. Voir : https://reporterre.net/Qui-manifeste-pour-le-climat-Des-sociologues-repondent

3 « Mobilisation des gilets jaunes : 136 000 manifestants samedi en France », Parismatch, 2 décembre 2018.

4 https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9f%C3%A9rendum_d%27initiative_citoyenne

5 https://www.democratieouverte.org

6 Dont l’organisation n’est pas confiée à la Commission du débat public, mais au seul gouvernement – le laissant libre d’en tirer ses propres conclusion.

7 Ajoutons qu’en parallèle, le think tank Terra Nova publie le 18 février 2019 une note proposant un référendum d’initiative citoyenne “délibératif” adossé à la création d’une assemblée de citoyens tirée au sort. Voir : « Le Référendum d’Initiative Citoyenne Délibératif », sur tnova.fr.

8 Maël Thierry et Barnabé Binctin, « Ecologie : comment Cyril Dion et Marion Cotillard ont influencé Macron », l’Obs,‎ (lire en ligne [archive])

9 Gaspard d’Allens, « Comment Cyril Dion et Emmanuel Macron ont élaboré l’assemblée citoyenne pour le climat » [archive], sur reporterre.net.