Réforme de l’éducation : bonnet d’âne pour Jean-Michel Blanquer

S’il est un ministre qui fait peu parler de lui et qui parvient à conserver une certaine popularité, il s’agit de Jean-Michel Blanquer. Ancien directeur de l’ESSEC et directeur de l’enseignement scolaire auprès de Luc Chatel sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il n’essuie que peu de critiques au fil de ses réformes, qu’il mène en martelant une volonté de « retour à l’excellence » ou encore de « liberté ».


L’année scolaire 2018-2019 se situe « dans le sillon » de « l’école de la confiance » selon les dires du ministre. Pour comprendre la philosophie qui sous-tend les réformes actuelles, un tour d’horizon et un décryptage des réformes passées ou en cours sont nécessaires. Celles qui sont actuellement menées par l’actuel ministre de l’Education Nationale étaient déjà augurées dans son ouvrage programmatique L’Ecole de demain (Odile Jacob, 2016)notamment à travers la réorganisation des filières et des séries, et la refonte du baccalauréat.

Une réforme de la filière professionnelle à rebours des enjeux actuels

C’est ainsi sous une relative indifférence que le personnel des établissements professionnels s’est mobilisé contre la réforme de leur filière, le jeudi 27 septembre 2018. Cette réforme avait vu sa trame annoncée au mois de mai dernier sans pour autant susciter l’enthousiasme des syndicats et des professeurs. Elle remet en effet en cause la philosophie même de cette filière souvent dévalorisée, mais concernerait pourtant 38% des lycéens.

Tout d’abord, un recours accru à l’apprentissage en dehors des salles de classe émergerait, ce qui entraînerait mécaniquement une diminution du volume horaire des enseignements. Cette diminution peut être estimée à une perte de 60 heures par an pour ce qui est des enseignements dits “professionnels”, et une baisse de 276 heures dans les enseignements “généraux” comme l’histoire-géographie ou encore le français. Cette diminution pose plusieurs problèmes et la refonte de la filière ne garantit pas sa revalorisation.

La réforme permet également d’envisager des suppressions de postes et sous-tend un rapport éminemment utilitariste aux disciplines « générales ». En effet, là où l’histoire-géographie, les langues vivantes ou encore le français participent de l’épanouissement et de la formation de l’esprit critique d’un citoyen en devenir, leur diminution et la mise en place d’heures dites en « co-intervention » vont à l’encontre de cette conception. Ces dernières lieraient les enseignements généraux et professionnels, orientant par exemple les cours de français vers la rédaction de lettres de motivation. L’origine sociale déterminant très largement le choix des filières (46% des enfants issues de familles ouvrières ayant choisi le bac professionnel en 2012 contre 10% des enfants de cadres supérieurs selon une enquête de l’Observatoire des inégalités), ce sont des catégories déjà fragiles qui verront leur accès à un bagage culturel émancipateur restreint.

Si l’accès à l’enseignement supérieur était chose peu aisée pour les lycéens issus des filières professionnelles, comment prétendre à des passerelles avec la définition d’attendus sur la plateforme Parcoursup ? Malgré la restriction engendrée par ces attendus, les bacheliers des filières professionnelles ne seront pas pour autant prêts à rejoindre le monde du travail une fois le baccalauréat obtenu.

La spécialisation de ces bacheliers sera par ailleurs reculée d’un an. Elle n’interviendra plus qu’à l’entrée en classe de première, la classe de seconde proposant une découverte de « familles de métiers ». Le bac professionnel avait déjà vu sa durée raccourcie d’un an en 2008 en étant passé d’une formation en 3 plutôt qu’en 4 années (deux années de BEP suivies de deux années de Bac pro). Avec une formation résolument plus générale et déjà assez courte, c’est finalement l’insertion professionnelle dans un contexte de chômage élevé qui va être rendue plus difficile. Si les « familles de métiers » (hôtellerie-restauration ou encore relation client pour ne citer qu’elles) ont ceci de rassurant qu’elles laissent un choix apparent, elles ne donnent finalement qu’un aperçu scolaire là où la technicité attendue est grande et nécessite du temps. À l’heure où émergent de nouvelles professions et de nouveaux besoins liés notamment aux enjeux climatiques, aux nouvelles énergies qui constituent des domaines d’avenir et sur lesquels il est salutaire d’agir, ne serait-ce pas sur les vocations et leur précision qu’il faudrait au contraire se focaliser?

Un baccalauréat à la carte : à la recherche du lycéen economicus ?

La réforme du baccalauréat simplifie un examen souvent jugé complexe et coûteux. Cependant, elle modifie le rapport du lycéen à sa scolarité en créant un « parcours à la carte » qui a pour conséquence d’individualiser tant la réussite que l’échec.

Les élèves auront ainsi à choisir entre deux enseignements de spécialité en seconde, trois en première et finalement deux en terminale. Cela implique un nombre de combinaisons, de stratégies importantes : 36 combinaisons en seconde, 265 en première et enfin 57 en terminale en omettant les options. Si un élève indécis n’a pas pris telle ou telle option, il pourra se voir refuser l’accès à certaines formations dans le supérieur du fait de la mise en place d’« attendus » par Parcoursup. Cela induit une forte inégalité entre les grands établissements, qui pourront proposer un large panel d’enseignements, d’options (comment faire tenir dans un emploi du temps autant de possibilités ?) et les autres.

Une inégalité qui se répercute directement sur les élèves. Certains pourront ainsi bénéficier des conseils et arbitrages tant des parents que du personnel éducatif là où d’autres seront encore davantage livrés à eux-mêmes. Les acteurs pourront dès lors se rabattre sur les combinaisons perçues comme « sûres » et reconstitueront de fait les filières qui existent actuellement : si un bac scientifique avec une spécialité mathématiques constitue aujourd’hui la filière dite « reine », pourquoi se risquer à faire des choix optionnels et des combinaisons risquées ? Aussi, les asymétries d’informations et de moyens pourront, si elles ne rendent pas inefficaces la réforme, créer d’importantes inégalités entre les élèves. Les filières actuelles présentent des limites et sont souvent remises en cause, mais l’individualisation des parcours finalement en conformité avec le projet macroniste peut à terme induire une forme de sélection induite et légitimée par de « mauvais » choix qui auraient été faits en amont dans la scolarité, là où la relative uniformité des filières protège.

A cela vient s’ajouter une dose de contrôle continu dans les épreuves du baccalauréat. Le temps accru consacré aux évaluations induit mécaniquement une diminution des heures d’enseignement. Si une commission académique aura en charge l’harmonisation des notes, le risque est de rapporter la note à l’établissement et à son prestige, là où l’épreuve nationale atteste des compétences acquises par les lycéens et ce, indépendamment de leur établissement d’origine. C’est donc à terme un baccalauréat estampillé par tel ou tel établissement qui sera délivré.

Des vertus du dédoublement des classes

Lors de sa conférence de presse du 29 août 2018, Jean-Michel Blanquer s’était félicité des dédoublements des classes qui recevait une approbation qui dépassait « tous les clivages politiques ». Au total, 87% des communes sont parvenues à dédoubler physiquement de REP+ et de CP en 2017. Cette mesure a été étendue aux classes de CE1 dans les zones considérées comme difficiles soit 190 000 écoliers. Partant du constat que 20% des élèves ne maîtrisent pas les « fondamentaux » au sortir de l’école primaire, ces dédoublements ont pour objectif de renforcer le suivi des élèves. Ils supposent le redéploiement de professeurs dans les établissements, au moment même où des suppressions de postes ont été annoncées. Si cette mesure a en soi permis à certains élèves de progresser, les redéploiements à l’heure d’une crise des vocations et dans un contexte plus large de suppression de postes pose problème.

Le ministre avait annoncé en effet la suppression de 1 800 postes dans l’Éducation Nationale quelques jours avant la rentrée scolaire, soit 0,2% des emplois du ministère. Pour compenser cela, il suggérait la mise en place d’heures supplémentaires qui sont exonérées de cotisations salariales. Ces suppressions de postes se rattachent plus largement au programme porté par Emmanuel Macron et rappelé par Édouard Philippe à la rentrée, à savoir « supprimer 50 000 postes à l’horizon 2022 ».

Aussi, ce double mouvement de réduction des effectifs et de suppression de postes justifié par la volonté de rendre plus efficace et de moderniser l’action de l’Etat permet de déceler l’aporie des politiques issues du New public management : il reconnaît en effet la nécessité d’un suivi accru, de plus de moyens pour permettre la réussite de chacun, là où les suppressions de postes, le recours toujours plus important au numérique (qui occupe une place importante dans le rapport Cap 22) viennent défaire un lien social déjà fragilisé.

Des territoires mis en concurrence ?

“Les territoires ruraux ne doivent plus être la barrière d’ajustement. Il n’y aura plus aucune fermeture de classe dans les écoles rurales” avait déclaré Emmanuel Macron en juillet 2017. Pourtant, plusieurs centaines de classes vont être fermées en zones rurales à la rentrée prochaine. Une promesse en passe de ne pas être tenue ? Un premier test pour Jean-Michel Blanquer en tout cas, au vu de la contestation suscitée par cette annonce.

Dans son discours du 18 juillet 2017 au Sénat, le Président Macron avait en effet promis que les fermetures de classes dans les zones rurales cesseraient, tout en investissant dans l’école avec le dédoublement des classes de CP et CE1 en zone REP et REP+. Christophe Castaner avait d’ailleurs insisté sur cette annonce, précisant qu’elle prendrait effet dès la rentrée scolaire 2017. En ce sens, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, s’est présenté sur ce dossier comme un fervent défenseur des écoles rurales, tout en annonçant dans le même temps la fermeture de 200 à 300 classes à la rentrée. Le ministre précisait également qu’à l’échelle nationale, « on ouvrait plus de classes qu’on en fermait ». Le solde officiel arrêté le 12 mars fait pourtant état de 783 ouvertures pour 990 fermetures dans les 45 départements les plus ruraux, réalité d’autant plus problématique que les ouvertures se concentrent dans les villes de ces départements, selon les syndicats.

Il est intéressant de noter que cette décision semble unanimement condamnée par l’opposition : à l’Assemblée nationale, des députés Les Républicains, dont le vice-président du parti Guillaume Peltier, mais aussi de La France insoumise et du Front national, se sont faits entendre ces dernières semaines, pour rappeler le président Macron à ses engagements pris l’été dernier. À la rentrée 2017, le dédoublement des classes de CP en REP+, en zone d’éducation prioritaire renforcée, a nécessité la création de 2 400 postes. En septembre 2018, cette mesure s’étendra aux CP en REP, aux CE1 de REP+ et REP, ce qui nécessitera, selon les syndicats, 7 200 postes en plus. Les syndicats ont recensé pour leur part jusqu’à 816 fermetures de classes rurales contre 183 ouvertures. Ils dénombrent parallèlement à ces fermetures l’ouverture de 3 642 postes dans les zones d’éducation prioritaires. Pour expliquer ces différences avec les chiffres du gouvernement, les syndicats pointent du doigt les fermetures de classes dans des zones rurales, mais qui ne font pas nécessairement partie des 45 départements considérés comme ruraux. À cette guerre des chiffres correspondent en effet des manques de moyens croissants sur le terrain. Pour la secrétaire nationale du SNUipp, Francette Popineau, pourtant favorable au dédoublement des classes de REP, « ce qui est mal vécu, c’est la fermeture d’une classe à 15 élèves dans une école rurale et l’ouverture d’une classe à 12 à quelques dizaines de kilomètres, en éducation prioritaire ». Elle regrette par ailleurs le fait que « le ministère met en concurrence les enfants des champs et les enfants de villes ».

« Des collèges qui ont moins de 30 élèves par classes, ce n’est pas bon, même pour les élèves »

Le gouvernement justifie néanmoins ces décisions par la baisse de la démographie : à la rentrée 2018, 32 000 élèves de moins rentreront en maternelle, une baisse d’autant plus sensible dans les zones rurales. À cet argument s’oppose le sentiment des parents, qui ont l’impression de payer notamment pour les fameux dédoublements des CP et CE1 en REP, mesure phare du gouvernement. En Touraine, le président a déclaré que « des collèges qui ont moins de 30 élèves par classes, ce n’est pas bon, même pour les élèves ». Un nombre qui s’avère déjà très élevé et qui remet en cause le suivi des élèves.

Emmanuel Macron affirmait en préambule de son programme que « face aux multiples défis auxquels la France et les Français sont confrontés, l’école est le combat premier. Seule l’éducation pourra garantir la cohésion sociale et la prospérité ». Le candidat y dénonçait également le creusement des inégalités à l’école et la place croissante du déterminisme. Sans exclure cette promesse de fermer des classes, la question se posait dès lors de réduire ces inégalités. En effet, ces fermetures de classes, quand il ne s’agit pas de fermetures d’écoles, vont avoir pour conséquence d’augmenter le nombre d’élèves par classe. En ce sens, le souhait de renforcer le lien entre les professeurs et les élèves va être difficile à exaucer. À terme, c’est la fermeture de certaines écoles qui est en jeu, et il incombera donc aux parents, dans les zones rurales, d’assurer le transport de leurs enfants dans des zones éloignées.

Des mesures qui remettent donc en cause l’égalité d’accès à l’éducation

Les services publics ont pour principes l’égalité, la continuité, la mutabilité et l’accessibilité, sur l’ensemble du territoire national. Ces principes ont de plus valeur juridique. Or, les fermetures de classes remettent justement en cause ces principes d’égalité, de continuité et d’accessibilité. La rupture d’égalité en termes de continuité introduit une discrimination entre ceux qui ont accès facilement au service et ceux qui en sont privés. La Charte française des services publics indique ainsi qu’« elle suppose aussi dans son acceptation actuelle la présence de services publics rénovés et polyvalents dans les zones rurales et les quartiers urbains en difficulté ». S’il ne s’agit pas de mettre en concurrence les enfants scolarisés dans les écoles rurales et les élèves de zones d’éducation prioritaires, on voit là une déclinaison de la stratégie qui consiste à rééquilibrer la situation en donnant à certains en prenant à d’autres. Cependant, cela va avoir des conséquences directes tant sur la qualité de l’enseignement que sur le bien-être des élèves, ce dernier étant bien évidemment corrélé à la réussite scolaire.

Sur le terrain, les projections ne sont donc pas optimistes, et le discours général du gouvernement sur la fonction publique, présentée comme un vivier d’économies par le gouvernement, ne rassure personne. Un dispositif « qui vampirise un grand nombre de postes au détriment des dispositifs de scolarisation de moins de trois ans, des remplacements mais surtout des dispositifs en territoire ruraux », déplorait sur Europe 1 Hervé-Jean Le Niger, vice-président national de la FCPE, fin février. De son côté, le député de la Somme François Ruffin, dans une interview à Marianne, rappelle qu’il était favorable à ce dédoublement des classes de CP et CE1, tout en dénonçant un « bricolage » de la part du gouvernement : « le problème, c’est qu’aucun moyen n’est dédié à la réalisation de cette mesure. Afficher des ambitions, trop d’ambition, sans mettre de moyens ce n’est pas sérieux. » Il faut dire que le département de la Somme affiche le deuxième plus haut taux de difficultés de lecture (17,5% de jeunes, derrière le département de l’Aisne à 17,7%, contre moins de 8% à Paris), et est l’un des départements à avoir le moins de candidats au baccalauréat. Pourtant, le gouvernement prévoyait d’y supprimer pas moins de 63 classes. Un chiffre finalement limité à 38 classes, à la suite de luttes de la part des syndicats et parents d’élèves. De telles fermetures de classes mettent à nouveau en scène un exécutif bradant les principes républicains d’égalité d’accès aux services publics, malgré ses déclarations d’intentions. Simplement pour préserver une mesure phare, emblématique de la campagne du candidat Macron. Quitte à fragiliser encore un peu plus le système éducatif français.

Les réformes de Jean-Michel Blanquer bénéficient d’un certain soutien notamment du fait d’une communication qui se concentre sur les dédoublements de classe et sur le recours perpétuel à l’idée d’un retour à l’excellence. Cependant, ces politiques qui reconnaissent les limites du système actuel sont toujours guidées et circonscrites par des objectifs d’économie ou d'”efficacité” budgétaire. Là où il faudrait augmenter le nombre de postes pour assurer un soutien plus individualisé et éviter l’échec, l’accent mis sur le primaire se fait au détriment du secondaire. Là où il faudrait mieux préparer les lycéens professionnels à des métiers qui changent, c’est en fait de la précarité en devenir qui est façonnée. Là où la liberté est mise en avant, c’est en fait l’esquisse d’une future sélection à l’entrée de l’Université qui émerge.

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Projet de réforme du lycée : vers un système éducatif à l’anglo-saxonne ?

La commission mise en place par Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education Nationale, vient de rendre sa copie. Déjà, la plupart des syndicats s’inquiètent d’une réforme qui risque fort d’aggraver un peu plus la déliquescence du système éducatif français.

Le lycée « modulaire » : vers un système éducatif à l’anglo-saxonne

L’une des principales pistes explorées dans le rapport de la commission Mathiot, chargée de réfléchir à la réforme du lycée, est la mise en place d’un lycée dit « modulaire ». Concrètement, cela signifie que les filières que l’on connaît aujourd’hui (Littéraire, Economique et Sociale, Scientifique) disparaîtraient. Tous les lycéens auraient un tronc commun de cours (en Français, LV1, Histoire-Géographie…) et, en parallèle, se spécialiseraient en choisissant un couple de matières aux horaires renforcées parmi neuf couples possibles, parmi lesquels Mathématiques-SVT, Lettres-Histoire, Sciences Economiques et Sociales-Histoire. L’argument avancé par la commission est que cela permettrait aux élèves une orientation plus souple et graduelle.

Cette idée n’est pas une invention de la commission, qui est allée puiser dans un modèle si cher aux partisans du gouvernement : le Royaume-Uni.

Une fracture territoriale accrue

Cette réforme est symptomatique de la politique mise en place par Emmanuel Macron depuis son accession au pouvoir : tout pour les métropoles, tout pour les plus riches, et les autres n’auront qu’à se débrouiller. En effet, ce projet renforcerait considérablement des inégalités territoriales déjà criantes, entre grandes métropoles et France périphérique.

Dans les faits, seuls les lycées les mieux dotés auraient les moyens de proposer l’intégralité des neuf couples de disciplines proposés aux lycéens. Dans les établissements à dimension plus modeste, où le nombre d’élèves et donc d’enseignants est plus faible, le nombre de couples de matières proposés pourrait plutôt tourner autour de cinq.

Dès lors, quelle solution pour les jeunes vivant dans ces espaces déjà délaissés, et souvent économiquement sinistrés ? Les plus favorisés d’entre eux choisiront l’internat du lycée de la grande ville la moins éloignée tandis que le plus grand nombre devra subir son orientation. S’en suivront perte de toute motivation et entrée dans l’enseignement supérieur avec un bagage scolaire qu’ils n’auront pas choisi et qui bridera leurs choix d’orientation.

Un accroissement des inégalités à prévoir

De nombreux spécialistes du monde éducatif, mais aussi des syndicalistes, affirment que cette réforme, loin de régler le problème flagrant des inégalités en milieu scolaire, le creusera encore plus. On peut ici s’appuyer sur le même exemple que la commission Mathiot, à savoir le Royaume-Uni. Le SNES-FSU, premier syndicat enseignant, a publié une note à ce sujet. A la lecture de celle-ci, on s’aperçoit que la prétendue « liberté » donnée aux élèves dans la construction de leur projet d’orientation est en réalité complètement bridée par de multiples déterminismes.

L’orientation genrée est particulièrement forte dans ce type de système. Ainsi, parmi les dix couples de matières les plus fréquemment choisis par les garçons, 7 ne contiennent que des disciplines scientifiques, et tous en contiennent au moins deux. A l’inverse, chez les filles, 4 des couples de matières les plus fréquemment choisis ne contiennent aucune matière scientifique. Ces dernières privilégient les matières littéraires. Certes, ce clivage est également très fort en France, notamment dans les études supérieures où les filières scientifiques les plus reconnues socialement (écoles d’ingénieur notamment) sont nettement dominées par une population masculine. Est-ce toutefois une raison pour aggraver ces inégalités déjà très fortes ?

Outre les inégalités de genre, les inégalités sociales sont également particulièrement fortes dans ce type de système. En éducation comme en économie, derrière les beaux discours sur la « liberté de choix » se cache bien souvent la liberté pour les riches de rester entre eux et de ne pas partager le savoir et donc le pouvoir avec les classes populaires.

Ainsi, en Grande-Bretagne, les lycéens issus de milieux favorisés (on parlerait, en France, des enfants de cadres et  de professions intellectuelles supérieures) sont surreprésentés dans les filières scientifiques, qui sont socialement valorisées. A l’inverse, les lycéens issus de milieux populaires (enfants d’ouvriers, d’employés) se retrouvent essentiellement dans les filières littéraires ou techniques, à la reconnaissance sociale moindre.

Ce clivage social accru s’explique justement par cette prétendue « liberté » laissée aux jeunes dans la construction de leur orientation. En effet, cette liberté de choix favorise mécaniquement les classes aisées, qui disposent du capital culturel et social nécessaire pour offrir la « bonne » orientation à leurs enfants. Confrontés très tôt aux professions socialement valorisées, les jeunes sauront, avec l’aide de leurs parents, choisir la filière qui leur permettra de reproduire le schéma social dans lequel ils ont grandi : leurs parents, au courant de l’actualité économique, politique et culturelle, sauront guider leurs enfants vers une voie porteuse, tout en valorisant l’école et le goût de l’effort et de la réussite personnelle. Au contraire, l’orientation des enfants d’origine sociale plus modeste est nécessairement plus difficile, car ils ne disposent pas de relations ou d’un milieu familial qui pourraient les aider à faire leur choix.

Demain, avec une telle réforme, ces déterminismes sociaux déjà particulièrement forts dans le système scolaire seraient donc très probablement accrus, et l’ensemble serait justifié par les sempiternelles tirades gouvernementales sur la « revalorisation des filières professionnelles » qui, si elle est une réalité dans le discours dominant, n’a encore jamais eu d’effet concret dans le monde réel.

Derrière la prétendue réforme, toujours des suppressions de postes

Emmanuel Macron et son gouvernement ne s’en cachent pas : au cours du quinquennat, 120 000 postes de fonctionnaires doivent être supprimés. Avant l’élection présidentielle, nous présumions déjà que l’Education Nationale serait fortement touchée par cette décision dans la mesure où ce ministère est celui qui emploie le plus.

Bien entendu, le gouvernement a assuré que l’éducation était une de ses priorités, en témoigne le dédoublement des classes de CP dans les zones difficiles, les fameuses classes à 12 élèves. Si cette mesure est bonne sur le papier, elle se fait sans aucun moyen supplémentaire, ce qui lui retire toute efficacité. Mais surtout, c’est une opération de communication très habile, qui masque le véritable plan social en cours dans l’enseignement secondaire.

Ces suppressions de postes ont déjà commencé, de façon discrète : le gouvernement a réduit le nombre de postes offerts aux concours de recrutement pour la prochaine session. C’est-à-dire que celui-ci prévoit, sur le long terme, de réduire le nombre d’enseignants, alors que le nombre d’élèves grandit d’année en année.

Mais cette réforme du lycée permettrait d’aller encore plus vite. En effet, celle-ci prévoit une baisse du temps de cours hebdomadaire des lycéens, qui oscille aujourd’hui entre 27 et 30 heures. Cela permettrait de passer de 142 000 enseignants au lycée aujourd’hui à 117 000 demain, soit environ 25 000 postes supprimés rentrée après rentrée, d’après les estimations du SNES. Dans les années 80, le ministre socialiste de l’Education Nationale Claude Allègre rêvait de « dégraisser le Mammouth » : les libéraux en rêvaient, Macron le fait.

Ainsi, loin de répondre aux problèmes auxquels cette réforme prétend s’attaquer, elle ne ferait que les creuser… Au bénéfice de ceux qui ont porté Macron au pouvoir.