Le clivage gauche-droite est-il dépassé ?

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De gauche à droite Manuel Bompard, Chantal Mouffe et Lenny Benbara.

Vous avez manqué notre Université d’été ? Retrouvez notre débat sur l’actualité du clivage gauche-droite avec Chantal Mouffe et Manuel Bompard (LFI).

 

 

Crédits photo : ©Ulysse Guttmann-Faure pour LVSL.

Peut-on s’affranchir du clivage gauche/droite ?

Benoit Hamon lors du lancement du M1717 ©Ulysse Guttmann-Faure pour LVSL

On entend régulièrement dans les médias, de la bouche d’experts, de journalistes ou de responsables politiques, un discours théorisant l’effacement du clivage gauche/droite. Serions-nous arrivés à un stade de dépassement des affrontements idéologiques ? Rien n’est moins sûr.

Que vaut le clivage gauche/droite ?

La vie politique de la Ve République s’est structurée sur la base d’une opposition entre deux camps clairement définis, la gauche et la droite. Bien qu’il soit difficile de discuter de manière exhaustive les marqueurs qui ont défini cette bipolarisation, la gauche est rattachée  à l’égalité, la solidarité et le progressisme quand la droite est associée à l’ordre, l’autorité et le conservatisme. En dehors de l’épisode du 21 avril 2002, la compétition politique s’organisait sans conteste entre ces idéologies incarnées par des partis, principalement le Parti Socialiste et la droite républicaine.

Par définition, un clivage n’est pas souhaitable : il s’agit de diviser, de fracturer un groupe et d’entretenir une conflictualité. Cependant, c’est un fait incontestable qu’il existe dans l’opinion différents courants de pensée, différentes conceptions de la société qui sont parfois totalement incompatibles : notre démocratie a fait le choix de confier l’exercice du pouvoir à la conception majoritaire, incarnée par les acteurs politiques qui la défendent.

 

Un pragmatisme raisonnable qui transcende les idéologies ?

La thèse de l’effacement des clivages soutient que notre temps est maintenant celui du dépassement de la gauche et de la droite au profit d’une coalition la plus large possible qui gouvernerait selon le bon sens pragmatique. On parle alors de prendre « les bonnes mesures de l’un et de l’autre » pour arriver à une formidable synthèse, fondée sur la raison.  Le pays deviendrait presque une entreprise qu’il faudrait gérer selon des critères d’efficacité jugés neutres, par la raison et non pas par la passion des convictions. Mais on ne peut pas réduire les doctrines politiques à des compilations de mesures : elles sont le fruit d’une construction historique et philosophique, de luttes et de confrontation à la société. S’il existait une seule façon raisonnable de traiter un problème quand les autres sont forcément idéologisés, impossibles, etc… Autant abandonner la politique pour confier nos vies à un comité de savants, comme un parti unique de la vérité.

Ce discours rejoint la rhétorique du procès en utopie : on oppose deux choix politiques, récemment Hamon et Valls à la primaire, en arguant que l’un est utopique et l’autre réaliste et suggérant qu’il n’existe qu’une seule possibilité ancrée dans le réel et que le reste n’est que poésie. Il n’y aurait alors plus deux candidats avec deux projets de société, mais un projet réaliste, possible et fondé sur la raison, quand l’autre est jugé impossible, considéré au mieux comme un joli rêve de jeunesse avec un certain mépris.

Réalisme ou pragmatisme : ces vertus supposées incontestables visent à délimiter le discours politique sérieux, réalisable, c’est-à-dire celui qui ne remet pas en cause la pensée économique libérale. Toute critique du modèle néolibéral est alors discréditée et est associée au domaine des passions, populistes pour Jean-Luc Mélenchon ou utopistes pour Benoît Hamon, contrairement au néolibéralisme dont certains vanteraient jusqu’à une véracité scientifique, à l’instar de la démarche scientiste des « économistes en blouse blanche »

Ce discours peut fonctionner dans l’opinion publique, dans un contexte de rejet des partis et des élites politiques qui en sont issus. Il s’agit d’amalgamer les luttes idéologiques qui déterminent les choix de société et les luttes intestines de parti. Tout le monde est épuisé par les querelles et manœuvres politiciennes du Parti Socialiste et de LR-ex-UMP-ex-RPR, on essaye alors d’affirmer que tout le monde est épuisé par l’opposition entre deux conceptions de la répartition des richesses et qu’il faudrait en faire une synthèse raisonnable.

Cette invocation du pragmatisme conduit notamment, sur les questions économiques, à ce qu’un gouvernement de gauche applique une politique néolibérale justifiée par un « principe de réalité ». Sauf que ce principe de réalité est en réalité le principe d’une réalité qui n’est pas transcendantale aux idéologies mais qui en est une au même titre que les autres, elle porte même un nom : le néolibéralisme. Ainsi, une politique de droite se dissimule derrière le masque “gauche pragmatique” et un glissement idéologique de la scène politique s’opère au point qu’une opinion de gauche devient d’extrême-gauche, populiste ou utopiste.

 

L’illusion du consensus

Cette course au consensus centriste censé gouverner avec le bon sens de la raison, que Manuel Valls évoquait dans une interview à L’Obs avec une grande “maison des progressistes”, de Valls à Juppé,  a créé un espace politique idéal pour une candidature comme celle d’Emmanuel Macron : pour au final, un vide intellectuel comblé par des incantations et de la communication. Comme réaction au durcissement de certains discours populistes, il faudrait la raison (néolibérale) pour enfin avancer et “faire les réformes dont le pays a besoin”, avec le postulat qu’il y a des réformes à faire sur lesquelles tout le monde est d’accord mais que le fameux “système” empêche.

Cette illusion de consensus est notamment décrite par Chantal Mouffe, une philosophe qui redonne des armes théoriques à la gauche et qui inspire aujourd’hui Podemos comme la gauche française. Elle souligne la nécessité d‘assumer une conflictualité du débat public, la négation de cet antagonisme étant un argument néolibéral justifiant l’effacement de la politique au profit d’une vérité incontestable.

Il ne s’agit pas de s’accrocher aux étiquettes « gauche » et « droite » comme à des artefacts sacrés, mais de reconnaître l’existence de luttes entre des idéologies qui s’opposent et qui dessinent des futurs totalement différents. Les orientations que nous décidons aujourd’hui auront un impact décisif sur l’avenir de l’humanité, alors faisons de vrais choix politiques pour définir le monde que nous voulons construire demain.


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