Zones faibles émissions : une « écologie » punitive et anti-sociale

Embouteillage et smog dû aux rejets des pots d’échappement. © Jacek Dylag

Après la taxe carbone en 2018, qui avait donné naissance au mouvement des gilets jaunes, la voiture sera-t-elle à nouveau à l’origine de contestations sociales massives dans les prochaines années ? De plus en plus d’élus s’inquiètent de la colère grandissante contre les Zones à Faibles Émissions, y compris au sein du gouvernement. Il faut dire que cette mesure incarne à peu près tout ce qu’il ne faut pas faire en matière de politique écologique : non seulement elle va compliquer la vie des ruraux et des plus pauvres, mais en plus ses conséquences environnementales paraissent plutôt nulles, voire négatives. Plutôt que de développer réellement les alternatives à la voiture, les pouvoirs publics s’entêtent dans une impasse.

L’idée de départ des Zones à faibles émissions (ZFE) est simple : dans de nombreuses d’agglomérations, l’air est trop pollué, notamment en raison du trafic routier. On ne peut nier la gravité de cet enjeu : selon Santé Publique France, environ 48.000 décès prématurés peuvent être attribués à la pollution de l’air chaque année, ce qui en fait une des premières causes de réduction de l’espérance de vie. En 2015, une commission d’enquête du Sénat chiffrait quant à elle à 100 milliards d’euros par an le coût de la pollution de l’air, notamment en raison des impacts sur le système de santé. Plus que le CO2, connu pour son impact d’accroissement de l’effet de serre, les gaz les plus dangereux pour la santé sont les fameuses « particules fines » (PM2,5) et le dioxyde d’azote (NO2). 

Si les sources d’émission de ces gaz sont multiples, on peut notamment citer les centrales électriques thermiques, les chauffages au bois peu performants et la circulation automobile. Pendant longtemps, la France s’est peu préoccupée de la pollution de l’air, d’autant qu’elle ne compte pas beaucoup de centrales thermiques et que les normes imposées aux constructeurs automobiles permettaient de diminuer cette pollution malgré l’augmentation constante du nombre de véhicules en circulation. Mais depuis quelques années, le sujet est devenu de plus en plus présent dans la sphère publique, notamment à la suite des révélations du dieselgate – où l’on apprit que Volkswagen, mais aussi d’autres constructeurs, trafiquaient leurs moteurs pour passer les tests de pollution – et de plusieurs condamnations  de l’Etat français en justice pour ne pas avoir respecté des seuils d’exposition prévus par la loi.

Au cours des deux années à venir, les millions de Français propriétaires d’un véhicule polluant vont devoir en changer s’ils souhaitent continuer à se déplacer dans les grandes villes.

En 2019, l’Etat décide donc de mettre en place des ZFE dans les grandes agglomérations afin d’interdire progressivement la circulation des véhicules les plus polluants, définis ainsi en fonction de leur vignette Crit’Air (de 5 pour les plus polluants à 0 pour ceux qui sont considérés propres, telles que les voitures électriques). Si l’idée n’est pas forcément mauvaise, la montée en puissance rapide des ZFE inquiète fortement les élus. D’une part, celles-ci vont très vite se multiplier : si onze métropoles (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Strasbourg, Grenoble…) ont déjà créé leur ZFE, d’ici le 1er janvier 2025, toutes les agglomérations de plus de 150.000 habitants (soit 43 au total) seront concernées. D’autre part, les véhicules interdits vont être de plus en plus nombreux : l’interdiction concernera les Crit’Air 5 en 2023, puis les Crit’Air 4 en 2024 et enfin les Crit’Air 3 en 2025. Au total, ces trois catégories représentaient en 2021 38% du parc automobile français selon Le Monde. Enfin, si les contrôles sont pour l’instant rares, les villes sont en train de s’équiper de caméras connectées et un système de vidéo-verbalisation devrait être opérationnel courant 2024, l’amende étant fixée à 68 euros.

La grogne monte

Au cours des deux années à venir, les millions de Français propriétaires d’un véhicule polluant vont donc devoir en changer s’ils souhaitent continuer à se déplacer dans les grandes villes. Or, ceux qui roulent avec un vieux diesel le font rarement par choix. Acheter une nouvelle voiture est en effet devenu extrêmement coûteux. Selon le cabinet AAA Data, le prix moyen d’une voiture neuve a atteint le record de 32.600 euros cette année, soit une hausse de 21% en deux ans à peine. Beaucoup d’acheteurs se tournent donc vers l’occasion, alimentant là aussi une flambée des prix : une voiture d’occasion de moins de huit ans coûterait en moyenne 25.000 euros aujourd’hui, selon Les Echos. Les raisons en sont multiples : éviction des anciens modèles bientôt interdits de rouler dans les grandes villes, pénurie de composants électroniques, nouvelles normes de sécurité, passage à l’électrique (30% plus cher à l’achat qu’un modèle à essence équivalent, hors primes), répercussions des hausses des prix de l’énergie et des matières premières… Bref, la voiture tend à devenir un bien de luxe hors de prix.

Bien sûr, de nombreuses aides existent pour changer son véhicule : bonus-malus écologique allant jusqu’à 7.000 euros de subvention pour les 50% les plus modestes, prime à la conversion pour racheter le véhicule mis au rebut, nouvelle prime de 1.000 euros pour les personnes vivant en ZFE, aides locales des métropoles (jusqu’à 5.000 euros à Strasbourg et Rouen)… Mais le compte n’y est pas : selon une mission flash conduite par l’Assemblée nationale cet été sur les ZFE, « le reste à charge moyen des ménages et des entreprises bénéficiant de ces aides demeure supérieur à 20.000 euros et atteint jusqu’à 40.500 euros en moyenne pour l’achat d’un véhicule hybride rechargeable neuf » ! Pour tenter de contourner le problème, l’Etat a depuis mis en place un prêt à taux zéro jusqu’à 30.000 euros et prépare un système de leasing, c’est-à-dire de location. Mais ces solutions peinent à convaincre. Pour beaucoup, s’endetter n’est en effet pas une solution, surtout dans une période où les revenus sont déjà grignotés par l’inflation. 

La mesure passe pour un « racket » supplémentaire venant s’ajouter aux prix des péages, aux radars, aux coûts des assurances et aux taxes sur l’essence. 

Or, cette dernière touche particulièrement les plus pauvres, dont le budget est grevé par les dépenses contraintes, et les ruraux, plus dépendants de la voiture. L’Insee estime ainsi la perte de pouvoir d’achat entre janvier 2021 et juin 2022 à 580 euros pour les ménages en région parisienne, contre 910 euros pour ceux qui vivent à la campagne, une fois tenu compte des aides de l’Etat. En outre, beaucoup ne voient pas pourquoi ils devraient changer leur véhicule alors que celui-ci roule encore sans problème et obtient le contrôle technique. La mesure passe alors pour un « racket » supplémentaire venant s’ajouter aux prix des péages, aux radars, aux coûts des assurances et aux taxes sur l’essence. 

Les pouvoirs publics s’entêtent

Outre l’aspect financier, les ZFE renforcent un clivage entre les zones urbaines et rurales, déjà visibles dans plusieurs domaines et qui semble peser de plus en plus dans les résultats électoraux. D’abord, pour les habitants des zones périurbaines se rendant en ville, les aides des métropoles ne seront pas forcément disponibles, en fonction de leur lieu exact de résidence. Surtout, les habitants des campagnes propriétaires de vieux véhicules ne pourront, de fait, plus se rendre dans les grandes villes. Or, même quelqu’un vivant la grande majorité de son temps à la campagne est parfois amené à se rendre dans une métropole, pour effectuer des démarches administratives ou des achats, rendre visite à un proche… Cela mérite-il une amende ? Pour le sondeur Jérôme Fourquet, les ZFE envoient un signal politique terrible : il y aurait d’un côté les grandes villes, « oasis écologiques » connectées à la mondialisation, débarrassées des véhicules polluants, et de l’autre les campagnes, « la France de l’arrière-cour » ou du « monde d’avant ». Un cadeau en or pour le Rassemblement National, qui peut se contenter de fustiger les « bobos parisiens » ou les « élites déconnectées » et engranger des voix facilement. Au final, les ZFE rassemblent donc largement contre elles : selon un sondage Opinion Way, 42% des Français envisagent de braver l’interdiction. Signe de la montée en puissance de la colère, les termes de « zone de flicage écolo » ou de « zone à forte exclusion » se répandent dans le débat public.

Selon un sondage, 42% des Français envisagent de braver l’interdiction.

Pour tenter de désamorcer la contestation naissante, les métropoles multiplient depuis quelques mois les « concertations ». Objectif : trouver des petites adaptations pour rendre la ZFE plus acceptable. Le 24 décembre, la Première Ministre a par exemple pris un arrêté pour exempter les métropoles en dessous d’un certain seuil de dioxyde d’azote de la mise en place de ZFE, ce qui devrait surtout concerner l’Ouest et le Centre de la France (Angers, Poitiers, Tours, Brest, Pau…). Certains axes majeurs, notamment les autoroutes urbaines, peuvent par ailleurs être exclus du périmètre de la ZFE. Les véhicules de collection ou de secours, ou encore ceux des personnes handicapées, font également l’objet de dérogation. Puis chaque ville y va de sa proposition : pas de ZFE après 20 heures à Paris, carnet avec un certain nombre de dérogation à Strasbourg, étude des dossiers au cas par cas, exception pour les petits rouleurs à Montpellier… Si ces aménagements vont dans le bon sens, ils risquent surtout de rendre la mesure totalement incompréhensible. 

Par ailleurs, les métropoles ne cessent de gonfler les aides financières et de demander un soutien plus important de la part de l’Etat. Là encore, si l’intention est plutôt bonne, l’absence d’un dispositif national unique conduit à des inégalités entre territoires, notamment en défaveur de ceux qui ne vivent pas dans ces métropoles mais doivent s’y rendre. Surtout, personne ne semble s’interroger sur les montants dépensés dans ces aides, qui bénéficient bien plus aux constructeurs automobiles qu’aux ménages modestes. L’installation de caméras connectées et de leurs systèmes de vidéo-verbalisation, qui devrait être confié à un gestionnaire privé, risque d’être elle aussi très coûteuse.

Une mesure pas vraiment écologique

Si les critiques portent principalement, et pour des raisons évidentes, sur les enjeux financiers et le sentiment des ruraux et périurbains d’être méprisés, la promesse originelle des ZFE est elle moins contestée. Pourtant, l’argument environnemental des promoteurs de la mesure paraît bien fragile. Certes, les émissions de CO2 devraient baisser grâce aux moteurs plus performants des Crit’Air 1 et 2 et à la croissance du parc électrique. Mais cette pollution est seulement déplacée, puisque la voiture électrique dépend de métaux rares dont l’extraction ravage l’environnement et d’électricité, dont la production peut être plus ou moins polluante. En revanche, concernant les particules fines, les effets des ZFE risquent d’être faibles. Selon l’ADEME, les voitures électriques émettent en effet autant de particules fines que les modèles thermiques les plus récents. La raison est assez simple : les pots catalytiques étant devenus très perfectionnés, ces émissions ne proviennent que minoritairement du moteur à combustion. L’usure des freins et des pneus est désormais la première source de particules fines, d’où des niveaux comparables de pollution peu importe l’énergie utilisée par le véhicule.

Par ailleurs, l’usure des freins et des pneus est corrélée certes au style de conduite, mais surtout au poids des véhicules, qui a tendance à augmenter. En cause ? La mode désastreuse du SUV, qui représentait plus de 40% des ventes l’an dernier, qui a fait passer le poids moyen à vide d’une voiture à près d’une tonne et demie ! Pour un même modèle, les véhicules électriques sont par ailleurs encore plus lourds, en raison du poids des batteries. Même en dehors des SUV, la tendance à des voitures plus confortables et apparaissant comme plus sécurisantes pousse leur poids à la hausse. Dès lors, le renouvellement forcé de millions de véhicules Crit’Air 5 à 3 risque de conduire ces ménages vers des véhicules plus lourds, pour, au mieux, une baisse de pollution pratiquement nulle, au pire une hausse de cette dernière.

Un Porsche Cayenne à 70.000 euros (2,3 tonnes, 20 litres au cent) est autorisé à circuler, tandis qu’une Clio d’ancienne génération (1 tonne, 6 litres au cent) ne l’est pas…

Par ailleurs, le fait de voir d’énormes SUV être autorisés à rouler en ville alors que des petites voitures économes ne le seront plus, risque de vite conduire à l’exaspération. A Montpellier, la conseillère municipale d’opposition Alenka Doulain (France Insoumise) a utilisé un exemple marquant : une Porsche Cayenne à 70.000 euros (2,3 tonnes, 20 litres au cent) est autorisé à circuler, tandis qu’une Clio d’ancienne génération (1 tonne, 6 litres au cent) ne l’est pas… Un deux poids, deux mesures totalement incohérent et injuste. Pour lutter contre la mode du SUV et encourager les constructeurs à proposer de nouveaux modèles moins lourds et plus petits, la Convention Citoyenne pour le Climat avait ainsi proposé une taxe sur les véhicules de plus de 1400 kilos. Le gouvernement  a finalement retenu le seuil de 1800 kilos, qui ne concerne que moins de 2% des véhicules… Dès lors, étant donné le peu d’effet des ZFE sur la pollution atmosphérique et leurs effets nuisibles sur les propriétaires de vieux véhicules, ne serait-il pas plus intelligent d’obliger les constructeurs à proposer des modèles plus légers et plus efficaces ?

Proposer des alternatives à la voiture individuelle

Si cette éventualité n’a visiblement pas été étudiée, il faut sans doute y voir l’influence du lobby automobile. Les constructeurs automobiles sont en effet les seuls grands gagnants de la création des ZFE. En obligeant des millions de personnes à changer leur véhicule encore fonctionnel, ils peuvent espérer une jolie hausse de leurs ventes, soutenues à grand renfort d’argent public via les multiples aides. Par ailleurs, les prix d’achat prohibitifs renforcent la tendance à la location de son véhicule, via un crédit de longue durée généralement contracté auprès de la banque du fabricant du véhicule. Une nouvelle activité des constructeurs qui leur permet de réaliser de très jolis profits. Enfin, la quantité croissante de capteurs et d’électronique embarquée dans les voitures récentes rendent leur réparation par des garages indépendants de plus en plus difficile. En dehors de tâches assez simples (vidange, changement de pneus et de plaquettes de frein…), les automobilistes seront bientôt totalement captifs des constructeurs pour les réparations les plus importantes, souvent facturées extrêmement cher.

Mise à la casse de véhicules en état de circuler, remplacement par des voitures lourdes et hors de prix, installation de caméras et d’algorithmes de verbalisation, impossibilité croissante de réparer soi-même son véhicule… Les ZFE sont un parfait exemple de l’écologie punitive et anti-sociale qui suscite de plus en plus de rejet et renforce les discours anti-écolo de l’extrême-droite. Ce dispositif illustre également l’impasse du techno-solutionnisme, cette tendance à voir dans l’innovation la solution à tous nos problèmes. Or, plutôt que de nouvelles voitures électriques, la véritable solution à la pollution de l’air et aux défis écologiques est bien connue : sortir du tout-voiture. 

Les ZFE sont un parfait exemple de l’écologie punitive et anti-sociale qui suscite de plus en plus de rejet et renforce les discours anti-écolo de l’extrême-droite.

Bien sûr, on ne peut pas dire que les villes n’aient pas mis en place des politiques importantes pour réduire la place de la voiture dans le cœur des agglomérations depuis au moins une vingtaine d’années. Zones piétonnes, réduction du nombre de parkings, développement des réseaux de transports en commun, pistes cyclables, hausse des tarifs de stationnement… Tout un panel de solutions a été déployé. Le problème est que la fracture entre les grandes villes et le reste du pays n’en est que plus grande : pendant que les métropoles mettaient peu à peu à l’écart les voitures, les campagnes et le péri-urbain voyaient les services publics et les commerces fermer, obligeant à prendre de plus en plus la voiture. En parallèle, la fermeture de petites lignes de train et le culte de la maison individuelle ont encore renforcé cette dépendance à l’automobile. Enfin, notons aussi que nombre de personnes travaillant en ville sont obligées de vivre de plus en plus loin en raison de la spéculation immobilière.

Dès lors, si la suppression des ZFE est souhaitable afin d’éviter un gaspillage d’argent public et une nouvelle mise à l’écart des plus pauvres pour le seul profit de l’industrie automobile, on ne saurait se contenter du statu quo. La politique de développement du vélo et des transports en commun doit être poursuivie, mais pas seulement dans une poignée de métropoles. Les RER métropolitains – récemment vantés par le chef de l’Etat, mais sans aucune annonce concrète alors que plusieurs projets n’attendent plus que les financements pour débuter – sont aussi une solution pour le péri-urbain : en rouvrant des haltes ferroviaires et en augmentant la fréquence des trains en banlieue des grandes villes, on peut espérer une forte hausse de leur fréquentation. Par ailleurs, la gratuité des transports, au moins ciblée sur certains types de passagers (les jeunes, les plus pauvres, les retraités…) est un très bon outil pour encourager à prendre les transports publics, si tant est que les montants nécessaires n’empêchent pas le développement de nouvelles lignes. Enfin, une autre politique d’urbanisme et d’habitat doit être adoptée, contre l’étalement urbain, pour la mixité des activités et avec plus de logements sociaux abordables. Le contrôle des loyers, théoriquement mis en place dans quelques grandes villes françaises, doit lui être sérieusement renforcé pour être respecté. Bien sûr, toutes ces politiques auront un coût important et prendront des années avant de donner des résultats. Mais le rôle de l’Etat est-il de faire vendre des voitures ou de réfléchir à l’intérêt général sur le long-terme ?

Ecologie : Macron veut ouvrir des mines !

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Montage par ©GuillaumeTC

Diesel, mines, nucléaire, recherche sur les OGM. Jeudi 9 février, Emmanuel Macron dévoilait (enfin) ses propositions en matière de transition écologique. Invité en Facebook live de l’émission du WWF France, il a confirmé une vision floue et contradictoire de l’écologie. De quoi faire frémir.


Réalité écologique 3.0

« Notre croissance n’est pas soutenable car notre planète n’y suffit pas. » Tiens, le voilà devenu décroissant le banquier ? Et bien non ! Rejetant tout autant le déni écologique que la décroissance, il a indiqué croire en une « croissance choisie, sélective ». Trop beau pour être vrai. Pointant du doigt la surconsommation des ressources, il a mis en avant le concept très publicitaire de « réalité écologique ». Que faut-il entendre ? En son sens, adapter la production, l’innovation et la consommation pour faire de l’écologie un des piliers de son programme d’investissement. Une économie 3.0 relancée par l’écologie. En d’autres termes, faire de l’écologie une nouvelle filière de développement économique. Cette apparente conscience écologique des limites de notre système implique-t-elle une transition radicale ? Les dessous de ce discours moderne ne sont pas très verts. Peut-on revendiquer des mesures écologiques sans remettre en cause nos modes de production et de consommation ? La « réalité écologique » d’une prétendue révolution macroniste s’inscrit finalement dans la continuité d’un capitalisme vert. Morceaux choisis de positions dignes d’un greenwashing de multinationale.

Une révolution énergétique ?

En matière d’énergie, Emmanuel Macron entend accélérer le développement des énergies renouvelables. Il entend les amener à atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030, c’est-à-dire ce qui est déjà inscrit dans la Loi de Transition Energétique. L’objectif en lui-même n’est donc pas une proposition innovante. Il a insisté sur des procédures de « simplification », d’autorisation de production, de raccordement au réseau, de meilleure visibilité en matière d’appels d’offre. Vers une libéralisation maximum du secteur ?

Ses intentions en matière d’énergies renouvelables pourront séduire certains. Mais il s’agit de garder l’œil ouvert. D’une main, il entend séduire les écologistes convaincus, de l’autre, il flatte l’électorat pro-nucléaire persuadé qu’en finir avec le nucléaire c’est revenir à l’époque des bougies. Il considère ainsi que « tout n’est pas à jeter » dans le nucléaire, étant une des énergies les moins « carbonées », c’est-à-dire rejetant le moins de Gaz à effet de serre (GES). Mais la crise écologique ce n’est pas juste le réchauffement induit par les GES ! La crise écologique ce sont aussi les déchets nucléaires que l’on ne sait pas traiter, le risque d’accident qui serait irréversible. Et là le nucléaire devient la technologie la plus dangereuse sur le plan environnemental. Emmanuel Macron concède tout de même notre problème de dépendance énergétique, 75% de notre énergie électrique dépendant du nucléaire. Et donc de l’importation d’uranium.

 Emmanuel Macron souhaite atteindre 32% du mix énergétique d’ici 2030. Il émet dans le même temps ses doutes quant à la faisabilité de l’objectif de 50% du nucléaire dans le mix français d’ici 2025. Objectif pourtant inscrit dans la même Loi de Transition Energétique votée en 2015. Dans le même temps, il prône un rattrapage de la fiscalité du diesel vis-à-vis de l’essence par un « accompagnement des industriels ». Pas d’abandon des énergies fossiles donc. Et pas plus que ce qui ne se fait déjà, voire moins ambitieux qu’en l’état. Rappelons également qu’Emmanuel Macron est à l’initiative de la libéralisation et du développement du transport par autocars, au détriment du train. Mentionnons aussi son engagement assumé en faveur du CETA, dont nous connaissons les conséquences aggravantes sur l’environnement. Alors, écolo le Macron ?

Contradictions et belles paroles

Les mesures environnementales de l’ex-banquier et ex-ministre de l’économie trahissent une intention de satisfaire le plus grand nombre au détriment d’une vision cohérente. Ainsi, aucun permis d’exploitation d’hydrocarbures et gaz de schiste ne sera autorisé. Tout comme la culture des OGM. Mais Emmanuel Macron ne s’interdit pas de développer la recherche publique sur ces sujets. Dans la perspective de revenir sur ses positions plus tard ? Et pourquoi pas rouvrir les mines d’or en outre-mer, mais attention des mines « responsables » ! On a beau, chercher, un trou est un trou. Une destruction de la biodiversité n’est jamais responsable. Quoique la jolie étiquette sur l’emballage puisse indiquer. Quelle pertinence de revendiquer la fermeture des centrales à charbon d’ici 5 ans si c’est pour ouvrir des mines ?

Dernier exemple révélateur : Notre-Dame-des-Landes. Encore une foi un double-jeu. Il a juré ne s’être jamais montré favorable au projet. Il dénonce même « les fondamentaux économiques qui ne sont plus conformes » à la situation actuelle. Mais, selon lui, on ne peut passer outre une consultation publique. Sa solution ? Envoyer un médiateur pour étudier plus avant les alternatives, avant de se prononcer définitivement. Mais pas d’évacuation de la ZAD ou de recours à la violence. Bref. Rien d’engageant. Peu de promesses osées ou radicales. Rien qui n’existe déjà ou ne soit difficile à tenir. Tout pour ne froisser personne et surtout séduire le plus possible par la stratégie du vide.

 

Crédit photo : Montage par ©GuillaumeTC / https://twitter.com/guillaumetc

100 milliards d’euros : ce que coûte chaque année la pollution à la France

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Tandis que les pics de pollution atmosphériques sont désormais récurrents dans de nombreuses villes françaises, les autorités, qui en connaissent le coût démesuré pour la santé publique et l’environnement, sont réticentes à mettre en place des mesures décisives pour les combattre.

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Les ours blancs débarquent à l’enseigne 

Un peu moins d’un an après le triomphe symbolique de nos gouvernants à la COP21, le spectre du changement climatique se fait plus menaçant que jamais. Pendant tout le mois de décembre, une horde d’ours polaires avaient quitté (ou fui?) leur banquise pour venir folâtrer dans les rayons du magasin de luxe parisien l’Enseigne. Très jolie à voir, la présentation commençait par un globe terrestre dont la banquise couvrait une très grande partie du pôle nord. Ironie ? Car derrière ce conte pour enfants se cache la réalité : 2016 pulvérise les records de fonte de la banquise, avec des anomalies de température montant jusqu’à 18°C aux pôles le 22 décembre.

Pics de pollution dans toutes les grandes villes françaises

Sans parler des conséquences catastrophiques sur la libération de méthane avec le dégel annoncé du permafrost, remontons à la cause majeure de ce grignotage : les émissions de gaz à effet de serre. Le mérite des pics de pollution, si l’on peut dire, est de nous rappeler que notre modèle énergétique fondé-sur-le-nucléaire-qui-n’émet-pas-de-gaz-à-effets-de-serre est un modèle très carboné.

Pic de pollution le 7 décembre (franceinter.fr)
Pic de pollution le 7 décembre

Culotté, le sorcier Sarkozy pour rejetait la faute sur la charbonnière Merkel : “Quand je vois que les allemands viennent de rouvrir toutes leurs centrales à charbon qui envoient leurs particules jusqu’à Paris qui nous inondent…” avait-il osé déclarer. Certes, le charbon fournit 40 % de l’électricité allemande, contre un tiers pour l’ensemble des sources renouvelables. Mais le lien de cause à effet avec la pollution aux particules fines est plus que douteux. En effet, l’un des principaux émetteurs de ces particules, c’est le moteur à diesel. Or, la France est championne du diesel en Europe : l’INSEE a d’ailleurs relevé une augmentation récente de la part des véhicules diesel dans le parc automobile français (de 59,2 % à 62,4 % entre 2012 et 2015). De toute façon, même un collégien peu dégourdi serait capable en regardant une carte comme celle-ci (situation au 7 décembre) d’en tirer un constat simple : les poches de particules fines ont une tendance assez nette à se concentrer sur les grandes agglomérations.

L’effet boule de neige

Une pincée de campagne, une pincée de ville, résultat explosif (asso.airparif.fr)
Une pincée de campagne, une pincée de ville, résultat explosif 

Parmi les grands méchants pollueurs, on ne présente plus le méthane, issu de la digestion des bovins notamment. : son effet de serre est 23 fois plus puissant que celui du CO2. Le dioxyde d’azote est lui impliqué dans de nombreux scandales industriels (dernier en date chez le constructeur automobile Fiat Chrysler). Mais saviez-vous que l’ammoniac, qu’on trouve dans les nettoyants industriels à l’odeur insupportable, est lui aussi un polluant atmosphérique de premier ordre ? Ce composé, qui permet aux végétaux d’incorporer l’azote contenu dans l’atmosphère, est essentiellement émis par les engrais industriels, et le stockage du lisier, émis lui-même par l’élevage (surtout l’élevage intensif, avec les problèmes d’algues vertes qu’on lui connaît). Comme quoi, Angela n’est pas la source de tous nos maux, même si l’Europe se passerait bien volontiers de l’industrie charbonnière allemande.

 

 

Une facture très salée : des dizaines de milliards d’euros qui partent… en fumée

Pour essayer d’éclaircir le préjudice sanitaire et donc économique de la saturation de l’air en saloperies diverses et variées, une commission d’enquête sénatoriale a rendu public un rapport intitulé “Pollution de l’air : le coût de l’inaction” (juillet 2015). Spoil alert : les conclusions sont accablantes.

Il s’agissait, selon Mme Leïla Aïchi, sénatrice de Paris, de prendre en compte non seulement les répercussions des épisodes spectaculaires de pollution, mais aussi et surtout la pollution dite “de fond” : celle que les professionnels de santé rattachent à diverses maladies respiratoires (bronchopneumopathie obstructive, cancers du poumon….), cardiaques (infarctus, entre autres ), mais aussi, par un effet de prévalence, à la maladie d’Alzheimer et à l’obésité. La même qui endommage la biodiversité, défigure les bâtiments et contamine l’eau.

Première conclusion : la “faiblesse de la mobilisation de l’Etat face à un enjeu qui est durablement inscrit au premier rang des préoccupations de nos concitoyens“. Ensuite : le résultat de l’ “effet cocktail” des différents polluants, peut être évalué, en ajoutant les coûts non sanitaires (baisse des rendements agricoles, dégradation des bâtiments, etc.) aux coûts sanitaires, à hauteur de 68 à 97 milliards d’euros. Pas dans le monde, pas en Europe, en France. Et le bénéfice net de la lutte contre la pollution de l’air tourne quant à lui autour de 11 milliards d’euros par an, ce qui est tout aussi astronomique.

Mode d’emploi pour le grand nettoyage

Bien sûr, il nous faut des fables d’ours polaires facétieux pour ne pas sombrer dans le défaitisme face au réchauffement du climat, à l’acidification des océans, à l’effondrement de la biodiversité, à la chute de la fertilité des sols… et au cynisme des grandes entreprises. Mais il faut transformer l’essai esthétique en pratiques responsables.

En jetant un œil aux recommandations du rapport, les amateurs de mesures concrètes et vraiment ambitieuses resteront sur leur faim. Mise en place d’une fiscalité écologique sans risquer le “fiasco” de l’écotaxe, mieux coordonner les plans nationaux, les schémas régionaux et les plans de protection de l’atmosphère, favoriser l’innovation, accompagner les acteurs (TPE, PME) dans leur transition vers des activités non polluantes grâce à BPI France, ou encore promouvoir le coworking et le télé-travail : c’est jouer petit bras, dans la mesure où il s’agit pour l’essentiel de revendications qui ne seront pas entendues par le pouvoir en place, ou qui seront traduites qu’en termes de “recommandations” sans réel pouvoir de contrainte, morale et juridique.

La responsabilité du diesel n’est plus à démontrer : dès maintenant, il faut contraindre les industriels automobiles à organiser très rapidement l’après-diesel. Par exemple en sanctionnant très sévèrement les tricheurs (ex. Vökswagengate), en durcissant le système bonus-malus tout en organisant la possibilité, afin de ne pas créer davantage d’injustices sociales, pour les propriétaires de véhicules diesel de pouvoir se tourner à peu de frais vers des véhicules hybrides ou électriques, en sautant la case essence, et donc en boostant l’actuelle prime à la conversion. En matière de pollution de l’air intérieur, il faut tout simplement bannir les solvants et métaux lourds soupçonnés de nuire, surtout en synergie, à la santé.

De même, la nécessité d’une transition du modèle agricole productiviste actuel vers un modèle écologique (agroécologie, permaculture, fermes polyvalentes), soulevée timidement par le rapport, passe nécessairement par l’arrêt des subventions massives accordées aux méga-exploitations et leur affectation à la création de dizaines de milliers d’exploitations intensives en main d’oeuvre, afin de les réorienter vers une agriculture socialement responsable L’accompagnement pédagogique des citoyens doit lui aussi être ambitieux, à l’école, dans les médias ou sur le lieu de travail, à propos de la nécessité de réduire la part des protéines carnées dans notre alimentation, et en matière d’éco-responsabilité en général.

Histoire, au moins, de pouvoir regarder les vrais ours polaires sans frémir de honte.

Crédits photos :

  • sortiraparis.com
  • franceinter.fr
  • asso.airparif.fr
  • Patrick Kovarik-AFP (bfmtv.com)