ECOPLA : Une petite usine d’irréductibles ouvriers résiste encore et toujours à l’envahisseur

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Serait-ce de l’idéalisation que de comparer les ex-Ecopla (constitués en association “les amis d’Ecopla”), avec les courageux et amusants héros de notre enfance ? Peut-être pas tant que ça. L’histoire des 77 salariés d’Ecopla a tout d’une héroïque épopée, et en même temps ne manque pas d’humour, malgré les circonstances graves. Depuis mars 2016, ils bataillent en justice contre le projet de rachat des machines de Cuki, et occupent leur usine pour empêcher de les voir disparaître à jamais. 

Fakir résumait les dernières années d’Ecopla ainsi:  “l’entreprise Ecopla a été pillée d’abord par un fonds d’investissement, par une banque d’affaires, et enfin par un actionnaire sino-australien”. Mais cela reste assez abstrait. Qui est derrière le fond d’investissement, cette banque, cet actionnaire mystère ? Que s’est-il passé dans les finances de l’entreprise ?

À qui la faute ?

Le fond d’investissement s’appelle Audax c’est un groupe dirigé par Geoffrey S. Rehnert et Marc B. Wolpow.  Ils sont tous deux des anciens partenaires de Bain Capital, un fond d’investissement fondé et dirigé par Mitt Romney. Aujourd’hui, Audax gère des fonds variés, venant de fonds de pensions, du secteur public américain (!), et de familles riches, pour un total de 9 milliards de dollars. Ils achètent Ecopla en 2006. En apparence, ils n’ont pas eu de stratégie néfaste ou agressive envers Ecopla.

La banque d’affaire s’appelle Barclays, c’est l’une des cinq plus grande banque de la City, et 14ème au niveau européen. Elle prend possession d’Ecopla en 2008, à travers son investissement dans Audax. Barclay est impliquée dans plusieurs scandales du monde bancaire, dont EURIBOR/LIBOR. Le PDG de l’époque, Bob Diamond, était le banquier le mieux payé du Royaume-Uni avec un revenu de 17 000 000$ en 2011. 

L’investisseur sino-australien s’appelle Jerry Ren, il dirige le fond d’investissement “Bawtry Investment Ltd”, qui rachète Ecopla en 2012. Son activité principale est dans l’exploitation minière en Australie. Il a une fortune personnelle estimée à  900 000 000$, ainsi qu’une villa à 12 000 000$ à Sidney. C’est lui le qui est accusé d’être le principal responsable  de la faillite d’Ecopla. Il semblerait d’ailleurs que ce ne soit pas la première fois qu’il cherche à liquider une entreprise française

La descente au enfers…

Que s’est-il passé depuis 2012 ? Les ex-salariés accusent Jerry Ren d’avoir “pillé” les fonds propres de l’entreprise et de n’avoir pas investi. En regardant les comptes, on observe que le chiffre d’affaire passe subitement de 22 000 000€ à 7 000 000$ entre 2012 et 2015. Le taux d’endettement lui passe de 1% à 22%. Le fond de roulement (qui sert à gérer les variations de stocks) est passé de +263 000€ à -300 000€ entre 2013 et 2015. De plus, Ecopla a bénéficié en 2014 et 2015 du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) et du CIR (crédit Impôt recherche).

Les salariés alertent dès 2014, et proposent à Jerry Ren un plan de reprise en SCOP (Société Coopérative et Participative), qu’il refuse. Il promet des investissement. Ils ne viendront pas.

Le 19 février 2016, le bilan est déposé, et le 22 mars, la liquidation est décidée. Les 77 salariés sont licenciés. Les amis d’Ecopla déposent alors un dossier pour reprendre l’activité en SCOP, face à Cuki, une entreprise italienne concurrente qui souhaite racheter les machines. Au printemps, ils rencontrent leurs clients, fournisseurs, et les décideurs politiques. Ils ont au total 2 300 000€ de fonds et promesses de commande.

Le 16 juin, le tribunal de commerce de Grenoble décide en faveur de Cuki. La raison invoquée est le remboursement des AGS (régime de garantie des salaires). Pourtant on peut se demander ce qui coutera le plus cher à l’Etat, entre la reprise de l’activité sans remboursement immédiat des AGS, qui sont des cotisations payés par les travailleurs, où le chômage de 77 salariés durant plusieurs années, si ce n’est plus. Mais l’avocate déclare:

“La mission du Tribunal de commerce n’est pas de défendre l’emploi, mais les créanciers”

Les amis d’Ecopla font appel de cette décision. La suite est plus connue : durant l’été, Fakir s’en mêle. Ils les invitent à la fête de l’Huma et les accompagnent pour faire la tournée des QG de campagne et des plateaux télévisés. Leurs cause devient de plus en plus médiatisée. Macron reconnaît à cette occasion :

“S’il y a eu une erreur, c’est la mienne”.

Le 5 octobre a lieu le verdict de l’appel du 16 juin. A l’occasion, un rassemblement a lieu devant le tribunal de commerce, avec Fakir, la CGT, l’urscop (Union Régionale des SCOP), Pierre Laurent (secrétaire du PCF), ainsi qu’Annie David (sénatrice PCF) qui suit le dossier de très près. Mais malgré les soutiens et la solidité du dossier, la juge tranche une nouvelle fois en faveur de Cuki. un autre appel de “tiers oppositioné est fait, qui n’a que peu de chance d’aboutir car les ex-salariés ne sont pas considérés comme un tiers parti puisqu’ils ont perdu le 16 juin. 

…et le début d’un combat

Depuis, les Ecopla ont décidé qu’il était peut-être temps de se révolter contre la loi, puisqu’elle est injuste et ne les protège pas. Le 14 décembre aura lieu un congrès “Alu Debout” à la bourse du travail de Grenoble. Il s’y décidera ou non d’occuper l’usine. Mais ils le disent : ils ne pourront pas le faire tout seuls.

Même si cela peut sembler fou, en pleine période électorale, ce pari pourrait s’avérer gagnant. Bernard Cazeneuve prendrait-il le risque d’une expulsion impopulaire et dommageable pour son propre camp ? Si l’on observe ce qu’il se passe à Notre-Dame des Landes, où il semblerait que l’expulsion n’aura pas lieu avant l’hiver, on peut se permettre d’espérer.

Mais il ne faut pas être naïf : même si les Ecopla triomphent, il existe des centaines d’autres entreprises, industrielles ou non qui ferment chaque année en France. Il faut faire de la lutte des Ecopla un modèle à suivre.  Ce que révèle l’avocate ainsi que la juge est d’autant plus intéressant : la justice française n’est pas faite pour protéger les salariés. Elle préfère rembourser les créanciers, les entrepreneurs, même lorsque ceux-ci ne sont pas français, sont millionnaires et n’ont jamais investi dans l’entreprise. Sans être chauvin, on peut légitimement penser que nos vies valent plus que leurs profits, que nos emplois valent plus que leurs créances. 

Un concept émerge : la justice de classe. Celle qui existe pour assurer la sécurité du capital de la classe possédante, maintenant internationale, celle qui assure la domination du capital sur le travail (presque) partout dans le monde Comment ne pas la voir, et comment ne pas se révolter contre cette injustice ? 

Comment peut-on défendre qu’il est plus important de rembourser un millionnaire chinois que de permettre de travailler aux 77 employés, comme le stipule notre constitution :

“Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi.”

Pour aller plus loin :

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