L’audace de commencer : stratégie pour un autre monde

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Grande horloge, Musée d’Orsay, Paris © Erik Witsoe

« Le jour d’après ne sera pas comme le jour d’avant » a promis Emmanuel Macron, dans son discours aux Français, le 16 mars dernier. On voudrait y croire. À condition qu’il ne soit pas le jour que nous préparent ceux qui ont démontré leur goût pour la morale des indifférents : il faut que tout change pour que rien ne change. À condition qu’il soit le véritable commencement d’un nouveau siècle, libéré de la force d’inertie vertigineuse provoquée par la soumission de l’avenir à la répétition du présent. À condition qu’il débute « dès maintenant » et que dans le vacarme du moment, nous parvenions à distinguer les paroles salutaires des lieux communs. Stratégie alors pour temps de détresse : 1. Se prémunir contre ceux qui prédisent, un peu trop vite, l’effondrement du capitalisme. 2. Comprendre ce qui nous arrive. 3. Agir pour faire naître l’autre monde.


I. L’effondrement qui ne viendra pas et l’arnaque du « monde d’après »

Le glas du capitalisme ?

Un refrain médiatique et politique voudrait que l’on sonne enfin le glas du capitalisme et de ses avatars : productivisme, mondialisme, néolibéralisme. La pandémie de Covid-19 viendrait en effet comme radicaliser les failles d’un système et le précipiter dans sa chute. Une hypothèse largement partagée depuis la gauche de la gauche jusqu’aux plus réactionnaires, qui entretiennent l’espoir secret de leurs grands soirs respectifs : révolution pour les uns, retour à la tradition pour les autres. Cette convergence, pourtant, loin de nous réjouir, devrait susciter notre méfiance. Comment expliquer en effet que les plus farouches adversaires s’accordent soudainement dans un même requiem ? Par-delà leur détestation conjointe des « enchantements démocratiques du narcissisme marchand » [2] et la désignation sans équivoque de leur ennemi commun, c’est aussi le recours tacite à un logiciel historique, que l’on croyait obsolète, qui vient éclairer cette conjonction. Le marxisme vulgairement diffusé, prévoyant l’effondrement nécessaire du capitalisme sous le poids de ses contradictions, trouve à s’hybrider avec les nouvelles thèses effondristes et collapsologistes qui annoncent la fin prochaine du monde. Curieux climat apocalyptique d’époque, qui conduit à faire ressurgir les vieux démons déterministes et téléologiques, où tout est joué d’avance et où chaque signe des temps est interprété à la lumière d’un : « On vous l’avait bien dit ! ».

“Curieux climat apocalyptique d’époque, qui conduit à faire ressurgir les vieux démons déterministes et téléologiques, où tout est joué d’avance et où chaque signe des temps est interprété à la lumière d’un : « On vous l’avait bien dit ! »”

Il convient pourtant de rappeler les nombreuses critiques qui se sont élevées contre cet historicisme de boulevard, certes commode par sa prétention à l’explication exhaustive, mais faisant l’impasse sur la véritable dimension historique de l’expérience collective, à savoir son irréductible contingence. Dans un entretien daté de 1974, Hannah Arendt mettait ainsi en garde contre tous les prophètes de la nécessité historique : « Comment est-il possible qu’après coup il semble toujours que ça n’aurait pas pu se passer autrement ? Toutes les variables ont disparu et la réalité a un impact tellement puissant que nous ne pouvons pas prendre la peine d’envisager une variété infinie de possibilités ». [3] Face au choc mondial provoqué par l’apparition du coronavirus, il est en effet tentant d’oublier son origine : une zoonose supplémentaire (maladies transmissibles de l’animal à l’être humain), dont la propagation n’avait rien d’inscrit dans l’ADN du capitalisme. Non qu’il faille entièrement dédouaner ce dernier, le saccage environnemental auquel il s’adonne n’a pas été sans effets sur le biotope et a multiplié les risques pandémiques, mais tout du moins se prémunir des raisonnements trop mécanistes. Car la célébrité fulgurante du pangolin – petit animal qui aurait fait office d’agent transmetteur du SARS-CoV-2 – semble avoir éclipsé un autre spectacle qui suivait très bien son cours, où l’on renvoyait déjà chacun chez soi, à coup de réduction des libertés publiques, pour faire avaler la pilule des réformes à l’agenda. Manière de rappeler que le néolibéralisme, mutation contemporaine du capitalisme, est loin d’avoir épuisé ses ressources et qu’il est prêt à tous les sacrifices pour assurer sa survie.

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René Magritte, La Décalcomanie, 1966. Centre Pompidou, Paris © Ωméga *

Penser « le monde d’après »

L’injonction soudaine à penser « le monde d’après » de la part de ceux qui se contentaient très bien du « monde d’avant », apparaît déplacée sinon hypocrite à la lumière de cet autre possible, où l’heure actuelle pourrait tout aussi bien être à la bataille pour les « droits qui restent ». Fiers cependant de leur indépassable dialectique de crise – d’ailleurs, elle-aussi, fille de l’historicisme –, ils brandissent partout qu’au négatif succèdera le positif. Et d’autres de concert, y compris leurs opposants, les rejoignent pour être « force de proposition ». Florilège des promesses et des initiatives qui menacent de se solder par leur insignifiance. Celle, bien sûr, du président de la République, Emmanuel Macron, qui par un revirement de stratégie communicationnelle a souhaité s’afficher comme un nouveau héros national. C’est tout juste s’il n’affirmait pas : « Je vous ai compris ». Gloire pourtant de courte durée ; lorsqu’il a assuré, par exemple, vouloir placer la santé « en dehors des lois du marché », on a cru à une mauvaise plaisanterie – tandis que l’ensemble du personnel soignant est demeuré bouche bée face à tant de cynisme. Les masques n’ont pas tardé à tomber, comme en témoignent les récentes déclarations du directeur de l’Agence régionale de santé du Grand Est [4]. En dépit de la pression sanitaire, ce dernier n’a pas remis en cause la suppression de 598 postes et 174 lits d’ici 2025. Pilotée par le « comité interministériel de performance et de la modernisation de l’offre de soin », la subordination de l’hôpital public aux logiques de rentabilité est donc loin d’être enterrée.

“L’injonction soudaine à penser « le monde d’après » de la part de ceux qui se contentaient très bien du « monde d’avant », apparaît déplacée sinon hypocrite à la lumière de cet autre possible, où l’heure actuelle pourrait tout aussi bien être à la bataille pour les droits qui restent.”

Les responsables politiques n’ont pas fait beaucoup mieux. « 58 parlementaires appellent les Français à construire le monde d’après » titrait ainsi LCP, à la suite de la publication d’un communiqué commun. Parmi les signataires, des macronistes déçus et convaincus ainsi que des députés affiliés à divers groupes (Libertés et territoires, Mouvement démocrate, Socialistes et apparentés, UDI Agir et Indépendants, non-inscrits) et un constat d’une lucidité éblouissante : « [Cette crise] a violemment révélé les failles et les limites de notre modèle de développement, entretenu depuis des dizaines d’années ». Fort heureusement, une nouvelle plateforme vient d’ouvrir, lejourdapres.parlement-ouvert.fr, afin de procéder à une concertation collective et d’envisager des mesures, capables d’alimenter « un grand plan de transformation de notre société et de notre économie » ! L’épiphanie collective semble être de mise et certaines propositions, pareilles à de véritables oasis dans le désert : « Revalorisation de 200 euros nets mensuels pour les aides à domicile, aides-soignantes, infirmières et autres agents hospitaliers, TVA réduite sur les biens de consommation issus de l’économie circulaire, relocalisation de l’activité industrielle en France et en Europe, etc. » Un sursaut de bonne volonté, qui enverrait presque au chômage technique les dangereux « gauchistes ». Chez eux, néanmoins, la riposte se prépare aussi : « Effondrement, décroissance, relocalisation… Comment la gauche pense l’après-coronavirus », résume Le Monde. Cette dernière risque pourtant d’achopper sur les mêmes dilemmes qui la traverse depuis l’échec de la troisième voie et du social-libéralisme.

Une de presse au lendemain de la signature des Accords de Grenelle, 28 mai 1968 © Archives Le Monde

Plus révélateur encore est l’appel de certains universitaires à un « Grenelle du Covid-19 » dont la bienpensance démocratique fragilise l’ambition de son apostrophe. « Concertation », « efficacité », « transparence » disent en creux les promesses édulcorées d’une modernité libérale à bout de souffle. Le choix même d’emprunter la mémoire du Grenelle traduit une flexibilité, sinon une méconnaissance historique ; comment comparer les accords qui surviennent au terme d’un des plus longs conflit social [5] de ces dernières décennies, à l’immobilisation forcée engendrée par la crise du coronavirus ? Rien n’assure non plus que, du côté des citoyens, s’affirme la volonté de négocier avec des dirigeants qui n’ont cessé de les trahir. Enfin, on ne saurait trop mettre en garde contre l’espérantisme dont témoigne la tribune : « Nul ne peut dire quand nous pourrons sortir du confinement. Pourtant, nous avons besoin d’espoir. […] Préparer collectivement l’avenir, s’affranchir de l’imminence de la fin du mois pour mieux surmonter la fin du monde, voilà ce qui nous donne espoir ». Outre le mauvais détournement du slogan « fin du monde, fin du mois, même combat », il est nécessaire de réaliser qu’on ne « surmonte pas la fin du monde » et que l’on ne s’affranchit pas miraculeusement de la fin du mois. Bien au contraire, il s’agit de les affronter avec la plus grande exigence et la plus grande responsabilité. L’« espoir », sinon, aura bientôt la même couleur que celui des timides progressistes de l’entre-deux-guerres, qui, en fantasmant l’horizon, laissent brûler la maison.

II. Crises et châtiments : stratégie du choc et illusions perdues

Le pire est à venir

Et il y a de nombreuses raisons de s’en inquiéter ; car avant la crise rédemptrice viennent d’abord les signes de normalisation d’un état d’exception. Parmi les avertissements les plus radicaux, celui d’Agamben qui, interrogé par Le Monde [Comment sera, selon vous, le monde d’après ?], n’a pas hésité à répondre : « Ce qui m’inquiète, ce n’est pas seulement le présent, mais aussi ce qui viendra après. » [6] Si l’avis du philosophe n’a pas manqué de déclencher des polémiques en Italie [7], conduisant certains à l’accuser de minimiser la crise sanitaire au nom de la liberté, il n’en demeure pas moins que sa mise en garde conserve de sa pertinence : « Une société qui vit dans un état d’urgence permanent ne peut pas être une société libre », renchérit-il. État d’urgence qui devient également prétexte, lors de chaque crise, à pratiquer abondamment la stratégie du choc, formalisée par Naomi Klein [8]. Des mesures « provisoires » deviennent bientôt des mesures durables et contribuent à abattre les derniers régimes de protection, s’interposant entre les velléités néolibérales et les droits des citoyens. Pour s’en convaincre, la loi urgence coronavirus a démontré sa formidable capacité à démanteler le droit du travail, en ouvrant la voie à la multiplication des dérogations post-crises pouvant, par exemple, orchestrer le passage de la semaine de 35h à la semaine de 60h. Autre cas, celui de la généralisation d’un capitalisme de surveillance, où les méthodes de récolte des données et de traçage des individus, d’abord présentées comme des moyens d’assurer la « sécurité sanitaire publique », présagent de se transformer en outils supplémentaires de l’arsenal sécuritaire dont dispose déjà l’État. Agamben, loin alors d’être le seul à appeler à la prise de conscience, est secondé par la voix des juristes et des avocats : tandis que Dominique Rousseau a pris soin de retracer la logique d’urgentisation qui gagne nos sociétés depuis plusieurs années, François Sureau a, quant à lui, invité à se demander si nous voulions « vivre dans une société où l’État sait en permanence qui se trouve où » [9].

“État qui, aux mains des gouvernements actuels, trouve d’ailleurs très bien à s’allier avec leur projet économique. La mise en place d’un néolibéralisme autoritaire articule en effet le projet historique de ce dernier avec sa condition d’effectivité pratique.”

État qui, aux mains des gouvernements actuels, trouve d’ailleurs très bien à s’allier avec leur projet économique, contrairement aux idées reçues. La mise en place d’un néolibéralisme autoritaire articule en effet le projet historique de ce dernier avec sa condition d’effectivité pratique. L’ouvrage de l’historien François Denord, Néolibéralisme : version française, retrace notamment les ramifications intellectuelles d’une idéologie, construite autour d’un paradoxe : celui « d’imaginer l’État comme l’acteur de son propre dessaisissement » et de faire naître « un interventionnisme libéral » [10]. À mille lieux donc du libéralisme classique et son « laissez-faire ». Précieux rappel qui devrait nous vacciner contre les mirages d’une politique de « relance », en pleine crise sanitaire, dès lors qu’elle est menée par ceux qui ne savent que trop bien comment employer les ressources de l’État à leurs avantages. Problème, pour imposer un tel programme de dérégulation régulée, il faut parvenir à passer outre les forces sociales qui manifestent leur résistance à cette marchandisation intégrale et à ce désencastrement de l’économie des structures collectives, selon la thèse de Karl Polanyi [11]. Quelle meilleure stratégie alors qu’un gonflement de l’appareil répressif, désormais régisseur disciplinaire et organe centralisé de contrôle [12], profitant de chaque prétendue « menace », pour s’inventer de nouveaux instruments, capables de décourager et de faire taire les plus farouches ?

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La surveillance généralisée pourrait bien être une des caractéristiques du “monde d’après” © Rostyslav Savchyn

La difficile reconquête

Face à cet « état d’exception dans lequel nous vivons [qui est devenu] la règle », Walter Benjamin nous pressait, déjà en 1940, de « faire advenir le véritable état d’exception » [13]. Celui qui, nourri de la tradition des opprimés, entendait instaurer un ordre émancipé d’une histoire reproductrice des injustices. Si l’injonction du philosophe allemand n’a pas pris une ride, elle semble pour l’heure difficile à accomplir. Et pour cause : le défi premier est celui de la solidarité, mise à mal par l’« individualisme possessif » [14] et peinant à faire corps, par-delà les moments de crise. La rhétorique de l’union nationale et l’applaudissement enthousiaste des soignants par « les Français » chaque soir à leurs fenêtres cachent une méfiance réciproque, qui ne manquera pas de ressurgir, une fois que la vie aura repris son cours – et dont on a pu voir les traces dans les comportements pointés comme « inciviques », à l’instar des razzias en règle, dans les supermarchés. Mais il serait trop facile d’en rester là, de jeter l’opprobre sur les « méchants égoïstes », renvoyant à nouveau chacun à sa morale personnelle. Il s’agit aussi de souligner les mots trop bien choisis : « distance sociale ». Circulez, il n’y a rien à voir. L’espace public devient désert et l’on comprend la prudence de ceux qui garderont « leurs distances » une fois le confinement levé. On comprend aussi ceux qui, de nouveau prisonniers de l’ombre après l’épisode d’une gloire éphémère, garderont rancune face à cette « société du mépris » [15], soucieuse de retrouver sa confortable apathie. On comprend enfin ceux qui, en colère, cèderont à la vindicte et chercheront, à tout prix, « des responsables ». Autant d’indignations qui, à défaut d’un nouveau contrat social mis clairement sur la table, s’exposent à se concurrencer et à défaire les véritables liens, dont nous avons tant besoin.

“Autant d’indignations qui, à défaut d’un nouveau contrat social mis clairement sur la table, s’exposent à se concurrencer et à défaire les véritables liens, dont nous avons tant besoin.”

Autre danger, celui du « retour » d’une gauche palliative – certes volontaire, mais condamnée à l’enfermement des « mesurettes », répondant à un impératif démocratique immédiat, mais perdant de vue la force d’innovation qu’il s’agit désormais d’incarner. Éloquent est à ce titre le débat qui s’annonce autour du revenu de base, dont il ne faut pas laisser le monopole aux libéraux de tous bords. Auquel cas, ces derniers se réjouiront de s’en servir pour s’acheter bientôt une conscience sociale et écologique ; on distribuera des « minimums », non par souci de la vie bonne et digne, mais pour mieux pallier les chocs subis par le système économique. L’interruption de la machine productiviste pourrait même trouver grâce à leurs yeux, à condition qu’elle soit temporaire, qu’elle permette de « refaire une santé à la planète », et qu’on puisse reprendre de plus belle. L’enjeu, désormais, pour le camp adverse, est d’articuler aux « mesures » un « modèle » : qu’au revenu de base réponde toujours une conception renouvelée du travail, à l’image de celle développée par le sociologue Bernard Friot [16]. Une « révolution » d’autant plus urgente que la crise sanitaire, que nous traversons a jeté une lumière plus crue sur les inégalités socio-économiques, dépendantes d’une organisation du travail à deux vitesses, où les plus nécessaires sont aussi les plus précaires, et subissent la romantisation outrancière du confinement des bullshit jobs temporaires. D’aucuns y déchiffreraient une manifestation supplémentaire de l’opposition entre bloc populaire et bloc élitaire [17], qui, si rien n’est fait, pourrait favoriser l’arrivée au pouvoir des populistes de droite. En Italie, où la pandémie de Covid-19 a sévi avec le plus de virulence, l’on s’inquiète déjà de l’après, qui sera fonction de « la qualité ou de la médiocrité de nos dirigeants actuels ». « S’ils échouent, l’histoire nous enseigne que ce genre de crises profite souvent au pire », remémore Jacques de Saint-Victor. [18]

III. Une crise peut en cacher une autre

Crises et catastrophe

À la crise sanitaire succédera la crise économique, « pire que celle de 2008 » annoncent les médias, en passe de transformer le coronavirus en « coronakrach ». Les observateurs plus avisés feront néanmoins remarquer que la pandémie n’est que l’« élément détonateur » et non l’origine directe de la nouvelle crise financière. Les signaux étaient déjà au rouge depuis plusieurs mois, ce qui témoigne là encore de l’instabilité d’une économie financiarisée. Parmi les lanceurs d’alerte, Gaël Giraud, ancien évaluateur de risques bancaires et ex-chef économiste de l’Agence française du développement, soulignait dans nos colonnes, en novembre 2019 : « Nous sommes probablement à la veille d’une nouvelle crise financière majeure. » Une succession de crises qui n’en finit donc pas, à tel point que le sentiment de vivre dans un monde en crise permanente, ne cesse de s’intensifier. Un double-piège puisqu’il conduit à deux phénomènes contraires : insécurité radicale pour les uns, habituation pour les autres. Et l’on finit par manquer cruellement de discernement à l’égard de toutes les menaces, qui tantôt se complètent, s’annulent ou s’aggravent mutuellement. Pour échapper à cette matrice « de crises », une distinction s’impose entre deux termes, rendus trop souvent équivalents par le discours médiatique et politique : « crise » et « catastrophe ». Tandis que la crise, aussi éprouvante soit-elle, peut se prévaloir d’un « après », la catastrophe, elle, est suspendue à un temps conditionnel. Bruno Latour peut ainsi déclarer : « Si nous avons de bonnes chances de « sortir » de la première [la crise du coronavirus], nous n’en avons aucune de « sortir » de la seconde [la catastrophe écologique]. » [19]

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Le sociologue et philosophe, Bruno Latour © Wikimedia Commons

Le schéma, pourtant, n’est pas binaire. Il se complexifie dès lors qu’on comprend que la catastrophe englobe toutes les crises présentes et à venir et inversement, que les crises ne sont pas sans effets sur la catastrophe. Le SARS-CoV-2 est une « maladie de l’anthropocène », a notamment indiqué Philippe Sansonetti, microbiologiste et professeur au Collège de France [20]. D’aucuns préféreraient le terme de « capitalocène » [21] qui met en cause, non pas les conséquences des actions de l’homme sur l’environnement, mais bien plutôt le modèle productiviste, adopté depuis l’entrée dans l’ère industrielle. La dénomination semble en effet mieux choisie. Pour preuve, le confinement de la moitié de l’humanité a enrayé la machine : retour du chant des oiseaux, transparence retrouvée des canaux vénitiens, respiration du ciel de Chine, le temps de la dissipation du nuage de pollution provoqué par la suractivité des usines.

“Immense paradoxe : nous voilà arrivés à un stade de développement tel, qu’une maladie du capitalocène conduit finalement à modérer les conséquences néfastes de ce dernier. […] Il est au moins à envisager que cette « coronapocalypse » réveille ceux que le sommeil capitaliste a enveloppés.”

Immense paradoxe cependant, car nous voilà arrivés à un stade de développement tel, qu’une maladie du capitalocène conduit finalement à modérer les conséquences néfastes de ce dernier. Absurdité, cercle vicieux, c’est selon, mais il est au moins à envisager que cette « coronapocalypse » réveille ceux que le sommeil capitaliste a enveloppés. Elle pourrait aussi agir comme ces « récits de la fin du monde », dont parle J.-P. Engélibert, dans un livre d’époque, Fabuler la fin du monde – La puissance critique des fictions d’apocalypse. À l’heure où la fiction et le réel s’entrecroisent, il est salvateur d’entendre le message qu’il délivre : « Fabuler la fin du monde n’est synonyme ni de l’espérer ni de désespérer de l’éviter, mais peut signifier tenter de la conjurer et ainsi rouvrir le temps. » [22]

Leçons d’indifférence collective

À condition toutefois que l’on parvienne à se défaire de notre indifférence collective, plus ou moins librement consentie, loin d’ailleurs d’être le seul fait de notre contemporanéité. Dès le début du dix-neuvième siècle, ce qu’on ne nomme pas encore « catastrophe écologique » est présagée, dès lors que les idéaux des Lumières se marient avec les transformations économiques et donnent naissance aux rêves du progrès et de l’abondance – rêves aujourd’hui sérieusement remis en cause. Malgré cela, la catastrophe, bien que de mieux en mieux documentée, n’en a pas perdu sa puissance déresponsabilisante. Au contraire, à mesure que croît la banalisation du désastre à venir, s’affaiblit la conviction de pouvoir s’y opposer. Günther Anders, journaliste et philosophe allemand, a formulé avec une grande justesse, la morale qui tend à s’imposer face au danger de la catastrophe : « On crèvera tous ensemble. » [23] Et s’il rapporte cette expression, à la suite d’un échange avec un passager, lors d’un voyage en train, à propos de la menace nucléaire, elle continue de nous permettre de déchiffrer une certaine attitude face à la catastrophe écologique. « Le défaut dont il souffrait, écrit Anders, n’était manifestement pas un aveuglement face à l’apocalypse mais plutôt une indifférence à l’apocalypse. » Autre genre d’une tragédie des communs, la catastrophe est trop immense, « trop grande pour être seulement mienne ou tienne », qu’elle annule la capacité à s’y rapporter, tandis que la doctrine des « petits gestes » subit l’effet pervers inverse. La question est, en définitive, toujours la même : comment quitter l’indifférence ?

L’hypothèse du moment voudrait que le choc causé par la pandémie de coronavirus agisse comme un « déclic » – qu’elle soit enfin « la crise de trop ». Dans les pages du Monde, on pouvait lire : « La crise due au nouveau coronavirus est vue comme l’occasion de faire table rase. Un moment de conscientisation collective express, une sorte de crise salvatrice. » [24] Plus prudente, la philosophe Cynthia Fleury précise : « L’un des enjeux majeurs de cette épidémie est d’apprendre à construire un comportement collectif face au danger. » [25] Il y a en effet de sérieuses raisons de douter de l’équation crise est égal à collectif ; il est, en revanche, plus juste d’affirmer la nécessité de recréer ce dernier. Comment ? En débutant par valoriser le projet d’une ambitieuse refondation du lien générationnel. Abîmé par de multiples causes [26], il est aujourd’hui, plus que jamais, nécessaire de réinscrire une continuité entre les générations qui cohabitent au sein d’une même société, mais aussi entre celles passées et à venir. Car nous sommes toujours déjà précédés : biologiquement, certes, par nos parents, mais aussi, historiquement, par ceux qui nous lèguent, sans testaments, leurs combats. Nous sommes également, non pas « responsables » de ceux « d’après », mais à notre tour de futurs légataires, « On ne crèvera pas encore tous ensemble. » Alors, dans ce temps qui reste, il nous faut perpétuer l’élan du « prendre soin les uns des autres » qu’a ranimé la crise sanitaire et lutter contre toutes les causes des violences intergénérationnelles qu’elle a également dévoilées en opposant, par exemple, « les jeunes » intouchables et les « vieux » vulnérables.

“Dans ce temps qui reste, il nous faut perpétuer l’élan du « prendre soin les uns des autres » qu’a ranimé la crise sanitaire et lutter contre toutes les causes des violences intergénérationnelles qu’elle a également dévoilées.”

Une page de notre histoire, qui s’est déroulée pendant la Révolution française, nous rappelle qu’il avait jadis été question de créer deux chambres parlementaires : l’une des anciens, l’autre de la jeunesse. « La première sera la sagesse de la République, la seconde, son imagination » proclamaient les révolutionnaires [27]. Et pour ceux que l’éloquence ne saurait persuader, une autre proposition, plus subversive encore, est sur la table : elle s’appelle Métamorphoses. « La métamorphose est la continuité entre tous les vivants présents, passés et futurs […] Chacun de nous est la vie des autres » soutient le philosophe Emanuele Coccia [28]. Vertige que de se figurer tous dépendants d’une même existence ? Il y a de ça, oui. Mais également une perspective tout aussi palpitante, car la métamorphose est imprévisible et source intarissable de renouveau : « Les virus nous rappellent que n’importe quel être peut détruire le présent et établir un ordre inconnu. » [29]

IV. Le temps du changement

« Comme si de rien n’était »

On voudrait y croire. « Est-ce vrai, enfin, rien ne sera plus comme avant ? » Avant de se laisser séduire, il nous faut faire détour par une dernière étape et renverser la question. Pourquoi les choses continuent-elles toujours comme avant ? Pourquoi, après chaque crise et ses mirobolantes promesses, cet insupportable retour au même ? L’écrivain Franz Kafka peut nous guider, lui qui écrit, dans la fulgurance de l’aphorisme : « « Il retourna alors à son travail comme si de rien n’était. » Cette observation nous est familière parce qu’elle procède d’une grande quantité obscure de vieux récits, même si elle n’apparaît peut-être dans aucun d’eux. » [30] C’est qu’il ne faut pas sous-estimer la puissance des histoires – de celles qu’on se raconte, mais surtout de celles qu’on nous raconte. D’abord, celle de « l’état naturel des choses » : elle a grandi à mesure de la victoire du libéralisme économique. Si bien que nous voici désormais dans ce qui ressemble à une étrange impasse : comment se libérer du libéralisme ? Puis, celle de « l’absence d’alternative » : elle s’est confirmée à mesure que nous rendions nos armes. Enfin, celle de « la fin de l’histoire », qui, pour sa part, s’est ridiculisée. Mais la rengaine est déjà ancienne, on a prédit beaucoup de fins qui ne sont pas arrivées. Pour autant, il ne faut pas sous-estimer la force d’inertie qui travaille l’Histoire. Marx, dans Misère de la philosophie, insistait déjà : « Il y a eu de l’histoire, mais il n’y en a plus. » [31] La « bourgeoisie », une fois arrivée au pouvoir, maintient sa domination et perpétue des « lois naturelles indépendantes de l’influence du temps » [32]. À moins que nous ne reprenions le contrôle du temps, à moins que nous ne parvenions à nous tirer des filets de la résignation, à moins que, cette fois-ci, nous n’y retournions pas. Pas comme ça. Pas avec les mêmes conditions. Pas avec cette existence au rabais, où il faut apprendre à « se contenter de ce qu’on a » et à « s’estimer heureux d’avoir un toit sur la tête ». « Le bonheur n’a de valeur que s’il est commun et partagé » rappelle Thomas Branthôme [33]. Pour conjurer alors la tentation du renoncement, c’est à l’expression de tous les « quand même », qu’il faut s’attaquer ; à tous ceux qui essaieront, « quand même, il faut y retourner… », on répondra non.

“Il ne faut pas sous-estimer la force d’inertie qui travaille l’Histoire. […] À moins que nous ne reprenions le contrôle du temps, à moins que nous ne parvenions à nous tirer des filets de la résignation, à moins que, cette fois-ci, nous n’y retournions pas. Pas comme ça. Pas avec les mêmes conditions. Pas avec cette existence au rabais.”

La seule stratégie d’immunité collective qui vaille est donc désormais celle contre l’oubli, car il est la véritable assurance vie d’un système injuste. « Nous n’oublierons pas » écrivait Andy Battentier, dans nos pages, pour appeler chacun d’entre nous à exiger que nos gouvernants rendent leurs comptes – eux, qui d’ailleurs s’en inquiètent déjà [34]. Plus encore, il s’agit de ne pas oublier tous les « héros du quotidien », tous ceux qui ont continué à prendre des risques pour assurer le confort des autres. Et quelle violente réalité, quand Paris découvre, par exemple, que ceux qui la font vivre sont ceux « d’au-delà du périph’ », pour qui elle n’a d’habitude guère d’égards [35]. Enfin, il s’agira plus fondamentalement de ne pas oublier que le changement ne doit plus être fonction de nouveaux drames ; qu’il ne faut plus attendre des milliers de morts, dont nombreux ne bénéficient plus même d’un deuil honorable, pour finalement comprendre que nous devons entièrement modifier nos priorités. Car chaque vie doit être protégée – et toutes celles qui le peuvent, être sauvées. Très loin, très loin de cette « médecine guerre », dont il nous faudrait nous accommoder « en temps de crise », et qui cherche à nous expliquer lesquels méritent de ne pas mourir [36].

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Le temps à l’arrêt © Emiel Van Betsbrugge

Si l’on se promet alors qu’il n’y aura pas de crise de plus, accepterions-nous de tout arrêter ? La pandémie de coronavirus est décrite, sous la plume de plusieurs intellectuels, comme « un signal d’alarme », venant « mettre à l’arrêt le train fou d’une civilisation fonçant vers la destruction massive de la vie » [37]. D’autres théorisent la révolution comme « frein d’urgence », dans le sillage des travaux de Walter Benjamin [38]. Mais cette dernière pour se parachever tient peut-être, non pas seulement au geste d’interruption, mais à notre capacité de faire durer cette suspension, au moins le temps qu’il faudra. Serions-nous assez visionnaires pour parier ainsi sur un autre avenir ? Face au « confinement temporel » [39], qui est l’autre nom de notre absence d’horizon, il faut écrire un avenir qui ne ressemblera pas à tous les autres. Un avenir qui doit se penser depuis le moment radicalement singulier qui est le nôtre : à la fois temps conditionnel de la catastrophe écologique qui guette, mais aussi temps résolument ouvert. François Hartog, dont les travaux font autorité sur l’histoire et la sociologie du temps [40], vient tout juste d’écrire, « trouble dans le présentisme », où il affirme que « la crise actuelle pourrait bien ouvrir sur un temps nouveau. » [41]

Le courage de commencer

Notre tâche toutefois est grande, car si le temps est ouvert, encore faut-il s’y infiltrer. Rappelons Blanchot qui, commentant René Char, poète de la Résistance, n’a pas manqué de clairvoyance : « L’avenir est rare, et chaque jour qui vient n’est pas un jour qui commence. » [42] Il n’y a en effet de commencements, que là où nous passons à l’action. Certains ont déjà pris les devants, « les forces vives » ont fissuré l’immuable et l’inéluctable. Les brèches sont nombreuses, entre celles creusées depuis les anciennes places occupées, jusqu’aux derniers soulèvements des gilets jaunes, sans évidemment négliger toutes les batailles sociales, pour le droit du travail, pour les retraites, pour l’hôpital. Non qu’elles soient équivalentes et qu’elles « convergent » entre elles, avec le projet d’un programme commun, dont on leur a toujours reproché le défaut. Leurs finalités n’étaient pas de préparer les élections, mais de préparer le terrain. Désormais, il est l’heure d’être à la hauteur des premiers, qui ont été courageux. « Avec le souci d’agir. Dès maintenant » écrit Serge Halimi « car, contrairement à ce que le président français a suggéré, il ne s’agit plus d’« interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde ». La réponse est connue : il faut en changer. » [43] Nous en avons une occasion historique, comme en atteste l’intuition soudainement partagée d’un « kairos », pour reprendre un terme des Grecs, qui voulaient, par-là, signifier « cet instant opportun qui transforme un événement en commencement historique, qui produit un avant et un après » [44]. Et l’historien Jérôme Baschet d’ajouter : « Le XXIe siècle a commencé en 2020, avec l’entrée en scène du Covid-19. » [45] Précisons, à condition que nous soyons prêts, car le virus, lui, n’a que faire de nos calendriers.

“Rappelons Blanchot qui, commentant René Char, poète de la Résistance, n’a pas manqué de clairvoyance : « L’avenir est rare, et chaque jour qui vient n’est pas un jour qui commence. » Il n’y a en effet de commencements, que là où nous passons à l’action.”

Le sommes-nous ? « L’alternative » tant fantasmée est-elle disponible ? Le débat est ouvert : certains n’y croient pas. Le sociologue Michel Wieviorka persiste, dans une tribune publiée dans Libération [46], « Les jours heureux sont pour demain », pas pour maintenant. En cause selon lui, l’absence « d’acteurs et de pensées politiques », capables de « se projeter vers un futur » et de « transformer la situation ». Il poursuit : « Nous ne voyons guère pour l’instant se constituer les lieux, les forces et les idées d’un New Deal ou d’une Reconstruction. » À l’inverse, nous répliquons qu’il y a des acteurs et des pensées politiques et que ne se profile, à travers ces dernières lignes, qu’un délit d’attentisme, qui risque d’ailleurs de nous faire perdre notre « kairos ». L’autre monde ne sera pas « livré », il ne sera pas prêt-à-l’emploi. Il n’adviendra seulement que si la multiplicité des forces à l’œuvre dans nos sociétés se conjuguent. Beaucoup sont déjà là, dès lors qu’on apprend à mieux observer : forces programmatiques (scénarios et plans de financement de la transition écologique ; préservation et réinvention de l’État social ; rénovation de la démocratie et réaffirmation la souveraineté populaire [47]), forces idéologiques (renaissance d’un socialisme-écologique, non-productiviste, porté par le Green New Deal [48] ; renouveau du républicanisme, coloré de l’héritage jacobino-marxiste), forces intellectuelles (refondation épistémologique de l’histoire soutenue par Jérôme Baschet [49], éclairage des idées politiques apporté par Pierre Charbonnier [50], renaissance d’un féminisme anticapitaliste venu des États-Unis et des travaux de Nancy Fraser [51]), forces citoyennes, enfin – nombreux sont ceux qui s’activent partout sur le territoire et qui sont prêts.

“Le défi, à présent, n’est plus de « penser » l’autre monde, mais de le concrétiser.”

Le défi, à présent, n’est plus de « penser » l’autre monde, mais de le concrétiser. Dans son ouvrage, ambitieusement nommé Utopies réelles, traduit en français en 2017, le sociologue Erik Olin Wright insiste sur la nécessité de combiner trois stratégies que le socialisme a pourtant historiquement dissociées : une stratégie révolutionnaire et « rupturiste », une stratégie interstitielle correspondant au développement en marge de l’État de communautés « alternatives », une stratégie symbiotique fidèle au jeu institutionnel des démocraties et reposant sur les luttes de la social-démocratie. Il se pourrait que les deux premières soient adoptées : kairos révolutionnaire, brèches communautaires. Manque à l’appel la subversion du jeu institutionnel, dont une force politique émergente doit absolument se saisir. Mais ne nous y trompons pas, la transformation du monde ne sera envisageable que si les forces politiques se changent en forces socio-politiques. Pour cela, il nous faut gagner une autre bataille : celle du probable et du possible. Nous avons désormais “grâce” à la crise sanitaire, de notre côté, la preuve qu’une volonté politique ambitieuse peut prendre des décisions tout aussi ambitieuses. Il nous reste à convaincre de la possibilité d’un another way of life. La société de production, la société de consommation, la société du spectacle ont fait leur temps. Ces dernières ont su conquérir les imaginaires ; notre tâche est d’en faire de même.

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“La Liberté guidant le peuple” d’Eugène Delacroix, actualisé par les Gilets jaunes. Graff par PBOY © Wikimedia Commons

Ainsi, la politique commence avec l’imagination. Jacques Rancière affirme, qu’au moment de la Révolution française, « c’est cette imagination politique qui a changé le monde » [52]. Et si elle « manque cruellement aujourd’hui », selon lui, charge à nous de l’alimenter ; en détournant les médiums qui nous enferment, en lisant, en écrivant, en parlant, en créant [53]. En retrouvant une « joie brute », que Spinoza considérait comme le remède aux passions tristes, qui ont plus facilement tendance à gagner la population [54]. En luttant, ultimement, contre nous-mêmes ; car notre pire ennemi, outre l’infinie résilience « du système », est aussi notre douce servitude. Faire tomber alors la stratégie du passager clandestin et déminer le cercle infernal du « j’agis, seulement si toi d’abord » ; voilà également un projet d’époque. En prenant la mesure des dépendances qui nous asservissent et de celles qui nous protègent, en consacrant le passage d’un régime normatif du devoir (« Nous devrions assurer la santé de tous ») à un régime performatif du pouvoir (« J’assure la santé de tous, si… »), il nous sera à nouveau permis d’espérer. Osons, cette fois, faire Cité commune. Osons, cette fois, collectivement commencer.

Remerciements tout particuliers à la rédaction du Vent Se Lève et aux « amis » qui ont rendu ce texte possible, au fil de leurs riches contributions et de nos inépuisables discussions.

[1] Voir S. Halimi, « Dès maintenant », Le Monde diplomatique, Avril 2020.

[2] J. Rancière, En quel temps vivons-nous ? Paris : La Fabrique éditions, 2017. In extenso : « Il y a quand même une chose que Badiou, Zizek ou le Comité invisible partagent avec Finkielkraut, Houellebecq ou Sloterdijk : c’est cette description basique du nihilisme d’un monde contemporain voué au « service des biens » et aux enchantements démocratiques du narcissisme marchand. »

[3] R. Errera, Entretiens avec H. Arendt, New York, 1973. [en ligne]

[4] Le directeur de l’Agence régionale de santé du Grand Est a, dans le temps de la rédaction de cet article, été limogé. Il a précisé, dans un entretien donné à Libération : « Je ne suis pas en colère. Je ne fais pas de politique, je suis un fonctionnaire loyal. », 8 avril 2020.

[5] Les accords de Grenelle résultent en effet du conflit social de « Mai 1968 », qui paralysa toute la société française. La révolte des étudiants se transforme bientôt en grève générale et ce sont près de 8 millions de grévistes, soit plus de la moitié des salariés, qui cessent les activités afin d’exiger des conditions de travail et des rémunérations plus dignes. Les accords de Grenelle réunissent ainsi à la table des négociations gouvernement, patronats et syndicats, avant d’aboutir notamment à l’augmentation des salaires, à la réduction du temps de travail, ou encore à l’élargissement du droit syndical.

[6] G. Agamben, « L’épidémie montre clairement que l’état d’exception est devenu la condition normale », Le Monde, Samedi 28 mars 2020.

[7] La première tribune du philosophe est publiée dans le journal italien Il Manifesto (« Coronavirus et état d’exception », 26 février 2020).

[8] N. Klein, La stratégie du choc, Montée d’un capitalisme du désastre, Paris : Actes Sud, 2008.

[9] M. Siraud, « Coronavirus: l’exécutif ouvre la voie au «tracking» », Le Figaro, 6 avril 2020.

[10] F. Denord, Néo-libéralisme version française. Histoire d’une idéologie politique. Paris : Demopolis, 2007.

[11] K. Polanyi, La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps [1944]. Paris : Gallimard. 1983.

[12] Voir G. Deleuze, « Post-Scriptum sur les sociétés de contrôle », Pourparlers, Paris : Minuit, 1990.

[13] W. Benjamin, « Thèse VIII », Thèses sur le concept d’histoire [1940]. in : Oeuvres, Tome III, Paris : Gallimard, 2000.

[14] C. B. Macpherson, La Théorie politique de l’individualisme possessif. De Hobbes à Locke, Paris : Gallimard, 1971.

[15] A. Honneth, La société du mépris, Vers une nouvelle théorie critique, Paris : La découverte, 2008.

[16] Voir par exemple, B. Friot, Puissances du salariat, nouvelle édition augmentée, Paris : Éditions La Dispute, 2012.

[17] J. Sainte-Marie, Bloc contre bloc, La dynamique du macronisme, Paris : Éditions du Cerf, 2019.

[18] J. Saint-Victor, « L’Italie n’est plus conciliante avec les pays du Nord qui l’ont laissée seule face au virus », Le Figaro, 4/5 avril 2020.

[19] B. Latour, « Imaginer les gestes- barrières contre le retour à la production d’avant-crise », AOC, 30 mars 2020.

[20] Voir la conférence donnée par P. Sansonetti au Collège de France : https://www.college-de-france.fr/site/actualites/Covid-19ChroniqueEmergenceAnnoncee.htm.

[21] Voir, par exemple, A. Campagne, Le capitalocène : aux racines historiques du dérèglement climatique, Paris : Éditions divergences, 2017.

[22] J.-P. Engélibert, Fabuler la fin du monde. La puissance critique des fictions d’apocalypse, Paris : La Découverte, 2017. Accessible en ligne gratuitement, pendant le confinement.

[23] G. Anders, Le temps de la fin, Paris : L’Herne, 1960.

[24] A. Mestre, S. Zappi, « Comment la gauche pense l’après-coronavirus », Le Monde, 4 avril 2020.

[25] C. Fleury, « Construire un comportement collectif respectueux de l’Etat de droit », Le Monde, 28 mars 2020.

[26] Parmi les signes les plus récents de cette dégradation, on peut souligner par exemple le procès en génération des « boomers ». Cependant, par-delà les causes « culturelles », ce sont pourtant des causes politiques qui détissent plus profondément les liens entre les générations. Songeons par exemple, à la récente réforme des retraites, souhaitée par le gouvernement Macron, « retraites à points » qui ne signifiait rien de moins que le passage d’un système de solidarité intergénérationnel à un système de capitalisation individuel.

[27] Voir J. Saint-Victor, T. Branthôme, Histoire de la République en France, Des origines à la Ve République, Paris : Economica, 2018.

[28] E. Coccia, « Les virus nous rappellent que n’importe quel être peut détruire le présent et établir un ordre inconnu », Libération, 14/15 Mars 2020.

[29] Ibid.

[30] F. Kafka, Aphorismes de Zürau, 1931. [en ligne : Œuvres ouvertes].

[31] K. Marx, Misère de la philosophie, 1847.

[32] Ibid.

[33] T. Branthôme, « Il ne faut pas avoir peur de faire une critique de la République lorsqu’on est républicain », Marianne, 10 juin 2019.

[34] M. Rescan, O. Faye, « Coronavirus : l’exécutif sur la défensive face aux critiques de sa gestion de la crise », Le Monde, 1er avril 2020.

[35] L. Couvelaire, « L’inquiétante surmortalité en Seine-Saint-Denis : « Tous ceux qui vont au front et se mettent en danger, ce sont des habitants du 93 », Le Monde, 4 avril 2020.

[36] C. Fleury, « Construire un comportement collectif respectueux de l’Etat de droit », art. cit. « Les médecines de guerre et de catastrophe connaissent bien ce dilemme, qui ne se focalise plus sur la singularité du patient mais sur une logique collective. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous pouvons tous retarder, voire empêcher, cette priorisation. »

[37] J. Baschet, « Le XXIe siècle a commencé en 2020, avec l’entrée en scène du Covid-19 », Le Monde, 2 avril 2020. Voir également B. Latour, « Imaginer les gestes- barrières contre le retour à la production d’avant-crise », AOC, 30 mars 2020.

[38] M. Löwy, La révolution est le frein d’urgence, Paris : L’Éclat, 2019. Accessible en ligne gratuitement, pendant le confinement.

[39] J.-L. Nancy, « La pandémie reproduit les écarts et les clivages sociaux », Marianne, 28 mars 2020.

[40] Voir à ce sujet les travaux de F. Hartog, Temps, histoire, régimes d’historicité, Paris : Points, 2003 (préface de 2012).

[41] F. Hartog, « Trouble dans le présentisme : le temps du Covid-19 », AOC, 1er avril 2020.

[42] M. Blanchot, à propos de R. Char, La parole en archipel [1962], Paris : Gallimard, 1986.

[43] S. Halimi, « Dès maintenant », Le Monde diplomatique, art.cit.

[44] C. Fleury, « Construire un comportement collectif respectueux de l’Etat de droit », art. cit. Voir également : F. Hartog, « Trouble dans le présentisme : le temps du Covid-19 », art cit. ; H. Rosa. « Le miracle et le monstre un regard sociologique sur le Coronavirus », AOC, 8 avril 2020.

[45] J. Baschet, « Le XXIe siècle a commencé en 2020, avec l’entrée en scène du Covid-19 », Le Monde, art. cit.

[46] M. Wieviorka, « Les jours heureux sont pour demain », Libération, 5 avril 2020.

[47] Voir par exemple les récentes notes de l’Institut Rousseau : « Comment financer une politique ambitieuse de reconstruction écologique ? », « Décentralisation et organisation territoriale : vers un retour à l’État ? », « Listes citoyennes, municipalisme : Quelle démocratie locale après les gilets jaunes ? ».

[48] Un renouveau du socialisme venu des États-Unis, dont Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez se sont faits les porte-voix politique et médiatique.

[49] J. Baschet, Défaire la tyrannie du présent, Temporalités émergentes et futurs inédits, Paris : La Découverte, 2018.

[50] P. Charbonnier, Abondance et liberté, Une histoire environnementale des idées politiques, Paris : La Découverte, 2020. Accessible en ligne gratuitement, pendant le confinement.

[51] N. Fraser, Le féminisme en mouvements. Des années 1960 à l’ère néolibérale, Paris : La Découverte, 2012. Voir également : C. Arruzza, N. Fraser, T. Bhattacharya, Féminisme pour les 99 % : Un manifeste, Paris : La Découverte, 2019.

[52] J. Rancière, En quel temps vivons-nous ?, op.cit.

[53] Parmi les derniers grands élans de créativité collective, songeons à celle qui s’est déployée au cours du mouvement des gilets jaunes. Voir à ce sujet : D. Saint-Amand, « Parce que c’est notre rejet » : poétique des Gilets Jaunes », AOC, 30 juillet 2019.

[54] « Méfiance », « Lassitude », « Morosité », arrivaient ainsi toujours en tête pour caractériser « l’état d’esprit actuel » des Français, dans le dernier Baromètre de la confiance politique (Février 2020).

« La caméra nous aide à raconter des histoires en parlant de notre présent » – Entretien avec les parasites, créateurs de la série « L’Effondrement »

Bastien Ughetto, Jérémy Bernard, Guillaume Desjardins © Pierre Delareux pour Le Vent Se Lève

Avec plus de 500 000 abonnés sur leur chaîne YouTube où ils ont fait leurs armes, le jeune trio de réalisateurs-auteurs surnommés « Les Parasites » ont sorti en novembre dernier les premiers épisodes de leur série anthologique L’Effondrement, produite par Canal+ Décalé. En reprenant la thématique de la collapsologie, les réalisateurs Jérémy Bernard, Guillaume Desjardins et Bastien Ughetto racontent en huit épisodes, chacun en plan-séquence, l’effritement progressif qui hante la société française. À l’heure où ils sont en plein dans la préparation de L’Atelier 7, un projet de résidence pour jeunes créateurs, nous avons voulu les rencontrer pour discuter de cinéma, d’écologie et de crise politique et médiatique. Entretien réalisé et retranscrit par Victor Touzé.


LVSL – J’aimerais d’abord revenir sur vos débuts. Avant de réaliser la série L’effondrement, vous vous êtes faits connaître par la multitude de vos créations sur YouTube. Comment vous vous êtes rencontrés et comment sont nés Les Parasites ?

Guillaume Desjardins – On a tous les trois fait la même école, l’EICAR, où on s’est rencontrés. Ensemble, on a participé au 48 heures Film Project, un concours où l’on doit réaliser un court-métrage en 48 heures. C’est là qu’on a trouvé notre nom d’équipe, Les Parasites, parce qu’on se vivait comme les « intrus » du festival parce qu’on le faisait pour s’amuser. On a mis nos films sur YouTube et ça a pris une ampleur qu’on n’imaginait pas ! Nos envies, c’était juste d’imaginer, de créer et de faire des histoires. La chaîne YouTube n’était qu’un prétexte pour la diffusion des films. On n’était pas et on ne s’est jamais revendiqués comme des YouTubeurs, on ne vit pas de ça et on n’est pas les employés de YouTube.

Bastien Ughetto – Guillaume avait créé sa boite de films d’entreprise, Jérémy faisait de la régie et moi j’essayais d’être acteur à droite à gauche et de faire des petits boulots. Ces différents projets ont marqué nos années de transitions entre l’école et nos courts-métrages sur Internet. Notre envie, c’était de raconter des histoires avec une caméra.

Jérémy Bernard – Internet nous permettait de montrer nos films à nos amis et à un public plus large qu’en festival. Aussi, c’était beaucoup de boulot pour les envois en festival, et on ne croyait pas tellement à nos chances, les mettre sur le net était beaucoup plus pratique.

LVSL – Très vite, vos courts-métrages font échos aux problèmes politiques actuels, qu’ils soient écologiques ou sociaux, et vous participez à l’avènement de la chaîne YouTube Thinkerview. Comment tout ça est né ?

Guillaume – Personnellement, c’est en commençant à m’engager dans des causes que j’ai découvert la chaîne Thinkerview qui n’avait que 4000 abonnés. On voyait dans les premières vidéos des gens qui passaient rarement dans les médias, comme Alain Chouet, ancien chef de service de la DGSE. J’avais envie d’écrire un scénario sur des hackers et je ne voulais pas que ça sonne faux comme dans certains films américains où ils piratent en 30 secondes en tapant sur un clavier. J’ai rencontré Sky, le créateur de la chaîne, et j’ai commencé à filmer les interviews.

Avec Jérémy et Arnaud Huck, on a aidé à structurer le projet, avec un son et une image de qualité en direct, avec un fond noir et un tipee. C’était surtout un moyen pour nous de rencontrer des gens et de se faire des conférences privées. Le succès de la chaîne nous a vraiment étonnés mais ça commençait à nous prendre beaucoup de temps pour développer nos propres projets à côté. On a arrêté en Janvier 2019.

Bastien – Notre engagement est venu en grandissant, avec le temps. Ça a commencé à transpirer dans nos créations au fur et à mesure.

LVSL – Vous aviez un modèle économique sur YouTube ?

Jérémy – On a toujours été bénévoles durant cette période, même avec Thinkerview.

LVSL – Quel rapport vous entretenez aujourd’hui avec cette plateforme ?

Bastien – On aimerait s’en détacher en réfléchissant à une alternative qui soit plus vertueuse pour les créateurs.

Guillaume – On veut trouver notre indépendance. On aimerait être suivis directement par nos abonnés et ne plus confier notre chaîne à des monopoles.

Guillaume Desjardins © Pierre Delareux pour LVSL

LVSL – À voir votre parcours (l’engagement politique, l’unité de temps, la série anthologique…), on a l’impression que tout est une suite logique qui mène à la série L’effondrement. Vous l’avez vue comme un aboutissement de votre travail ?

Jérémy – Tout notre travail a mené à L’effondrement mais ce n’en est pas l’aboutissement. Ce projet va en amener d’autres, dans une certaine suite logique, mais ce n’est pas une apothéose. On reste très fiers de nos courts-métrages. Disons plutôt que L’effondrement est une mue, le passage d’un format à un autre.

LVSL – Comment est née l’idée de ce projet ?

Jérémy – On a très vite pensé la série comme une suite anthologique. A l’origine, on avait le projet de produire six faux documentaires, comme La Boucherie éthique. Le projet traînait, et on a eu l’idée d’écrire à la place une série en six épisodes sur la fin du monde qui s’appellerait L’effondrement, dont un épisode qui serait un plan-séquence unique. Cet épisode en une prise était le synopsis le plus abouti, il se déroulait devant une station-service. En attendant de réaliser ces six documentaires, on a décidé de tourner ce pilote bénévolement et de le mettre sur notre chaîne YouTube. Finalement, on l’a présenté à Canal et on l’a retourné dans le cadre d’une série anthologique de huit épisodes. On a réécrit tous les autres épisodes pour qu’ils tiennent chacun en un plan-séquence unique.

Guillaume – Quand on a commencé à penser au projet, les idées d’effondrement et de collapsologie n’étaient pas aussi connues qu’aujourd’hui, on ne savait même pas qui était Pablo Servigne ! A force d’interviews, de lectures et de vidéos sur le sujet, on avait envie de réaliser avec nos moyens un film ou une série qui traite de l’effondrement de la civilisation occidentale. À la base, on voulait faire cette série seuls et en totale indépendance. On n’imaginait pas que Canal et France TV accepteraient de financer !

LVSL – Comment s’est passée la production avec Canal+ Décalé ? Que ce soit l’organisation ou l’économie…

Jérémy – Très bien, rien ne nous a été imposé, pas même les plans-séquences. On nous a juste demandé de faire huit épisodes.

Bastien – On avait aussi la liberté sur le choix des acteurs avec un directeur de casting et nos propres équipes techniques.

Guillaume – Notre seule condition était que tout devait être diffusé gratuitement sur YouTube. Notre indépendance était totale. C’est Arielle Saracco, directrice des créations originales chez Canal+ qui s’est chargée du projet et nous faisait des retours sur le scénario. Sensible aux causes féministes et écologiques, elle avait aussi envie de parler de cette problématique. Le projet a pris deux ans, de l’écriture jusqu’à la diffusion.

LVSL – L’une des particularités de la série est que chaque épisode est un plan-séquence unique d’environ 20 minutes. Comment vous est venue cette idée ?

Jérémy – Le plan-séquence n’était pas d’abord un choix de communication. Ça nous changeait en termes de réalisation par rapport à ce qu’on faisait d’habitude. Et puis ça a pris sens par rapport au sujet qu’on traitait : ça rajoutait du réalisme, de l’urgence, ça avait un réel impact sur le spectateur. C’était un défi scénaristique parce que tout était à prévoir dans une unité de temps.

Bastien – C’était un travail d’organisation très important. On devait penser le plan-séquence dès l’écriture pour que tout soit logique. Concrètement, on faisait ça en trois temps : une journée de lecture avec les comédiens, une deuxième journée sur le décor sans les figurants, et la troisième journée était celle du tournage. Le résultat nous a rendus globalement contents et on a réussi à avoir des épisodes qui nous plaisent.

Guillaume – C’était aussi performatif : ça nous éclatait. On fait ce métier d’abord parce que c’est une passion et un jeu.

LVSL – La série est une anthologie qui fonctionne de façon simple : des personnages aux profils sociologiques particuliers (petite classe moyenne, grands bourgeois) sont mis en situation d’effondrement dans un décor qui favorise le débordement. Comment avez-vous réfléchi à cette construction narrative ?

Jérémy – On prenait une situation de départ et on cherchait à la faire déborder. On voulait que ça touche différents lieux et différents milieux selon leurs fonctionnements à chacun. Les milieux sont assez homogènes, sauf les deux riches et la ministre du dernier épisode. Les personnages nous venaient assez naturellement. Ils nous rappelaient des gens ou des situations lambda de la classe moyenne.

Guillaume – Les lieux nous permettaient d’aborder des thèmes de manière concrète et réaliste : la thématique de la pénurie d’essence se passait naturellement dans une station-service.

LVSL – Même si la série fonctionne dans une grande homogénéité, les registres changent selon certains épisodes, au point de frôler des genres de cinéma, comme le burlesque dans l’épisode 3, ou le survival dans l’épisode 7… Vous y avez pensé dès l’écriture ?

Bastien – En tout cas ça n’apparaissait pas du tout à l’écriture. On ne pensait pas la série comme une mosaïque avec un épisode triste, un autre comique etc.

Jérémy – Certains épisodes étaient plus lents, comme le sixième, sur la maison de retraite. Il nous fallait malgré tout soutenir un rythme. L’épisode 3, sur le riche, est drôle parce que l’acteur Thibault de Montalembert est au service de son personnage qui perd ses pouvoirs.

Guillaume – On a d’abord imaginé L’effondrement comme une multitude de courts-métrages et pas comme une série. Chaque court-métrage pouvait être unique et autonome.

LVSL – La série fonctionne sur une idée fondamentale : l’unité de temps. Chaque épisode fonctionne comme une montée de tension, sans temps mort, qui explose en plein vol à la fin. Pourquoi ?

Guillaume – On voulait que tout soit maîtrisé et que la série ne soit pas ennuyeuse. Il fallait qu’elle reste divertissante !

Jérémy – Les enjeux étaient forts, et il fallait que ça bouge. L’absence de temps mort tendait les situations et créait du stress au détriment peut-être du réalisme. Mais c’était un choix.

LVSL – Bien que vous ne vous disiez pas cinéphiles, on sent que L’effondrement est inspiré par certaines références cinématographiques. Vous en aviez ?

Jérémy – On avait pensé aux Fils de l’homme d’Alfonso Cuaron et à Victoria (réalisé par Sebastien Schipper [NDLR]), un film allemand en un unique plan-séquence. La lecture de l’essai L’effondrement de Jarret Diamond fut aussi très bénéfique, c’était la première fois que je voyais ce mot en titre. Aujourd’hui, beaucoup de monde a entendu parler de ce sujet, mais ce n’était pas encore si clair il y a trois ans. On a participé récemment à une conférence avec Alain Damasio et Pablo Servigne. Même si le La Horde du contrevent n’est pas une référence directe pour la série, son œuvre m’interpelle et imprègne totalement ce que je fais.

Bastien – Les thèmes de Damasio reviennent régulièrement dans ce que l’on fait : la surveillance, l’écologie, la crise industrielle…

Guillaume – On voulait traiter L’effondrement de façon réaliste même si scénaristiquement on a grossi les traits pour que ce soit intéressant et que ça se passe dans l’urgence. On avait imaginé un effondrement de manière à ce que ça arrive aujourd’hui. On associe parfois la série Black Mirror à L’Effondrement, mais ça n’a pas été une référence importante durant l’écriture, même si on aime bien et que ça nous interpelle.

LVSL – En voyant la série et à vous entendre, on sent que vous êtes très bien renseignés sur la collapsologie. Vous aviez des références littéraires ou théoriques précises ?

Guillaume – La lecture de Jacques Blamont a été super importante pour moi. C’était la première personne qui a été interviewée sur Thinkerview, en 2013. Il a 94 ans aujourd’hui, il est le fondateur du programme spatial français et il bossait au CNES. Il a écrit plusieurs livres avant Servigne, dont Introduction au siècle des menaces et Propositions pour un futur de l’humanité.

Blamont est très pessimiste sur ce qui nous attend. Il a les chiffres et les courbes depuis très longtemps, il les décrit avec beaucoup de rigueur et voit le problème à l’échelle globale. Pour lui, il n’y a aucune solution. Il a été voir le Cardinal noir de l’Eglise catholique pour qu’il convertisse les fidèles au végétarisme, ce qui permettrait de ralentir la catastrophe. Il a surtout peur des tensions géopolitiques qui vont mener à des guerres à cause de la raréfaction des ressources et des famines dues au climat, ou des pandémies. Dès qu’on a eu l’idée de la série, on a organisé un repas avec lui pour en parler en détail. Dans le dernier épisode, le personnage du scientifique est appelé Jacques Monblat, c’était en hommage à Jacques Blamont.

LVSL – Vous aviez envie de parler de la société française ?

Jérémy – Ce sont plutôt des situations, mais on voulait vraiment que ça se passe en France, dans des lieux qu’on connaissait.

Guillaume – En vérité, L’effondrement existe déjà dans certains pays. Certaines fictions comme Capharnaüm de Labaki (sur la misère des quartiers de Beyrouth [NDLR]) traite d’un effondrement bien pire que ce que l’on a montré dans la série ! On voulait montrer cette catastrophe mais dans un pays occidental et privilégié économiquement, dans un moment où tous ces privilèges tombent. On n’aurait pas la prétention d’avoir fait un « portrait » du peuple français : c’est surtout une situation occidentale. L’effondrement dans la série n’est presque qu’un problème de riche…

L’effondrement © Canal+

LVSL – Vous semblez très attachés à la fiction. Elle vous a aidés à mieux aborder le problème ?

Jérémy – La caméra ne nous aide qu’à une chose : raconter des histoires en partant de notre présent.

LVSL -Vous vouliez créer un divertissement qui puisse engager et faire penser les spectateurs ?

Bastien – On avait envie que les gens réfléchissent et cherchent à comprendre notre réalité et ses conséquences.

Bastien Ughetto © Pierre Delareux pour LVSL

LVSL – Le ton général de la série est très grave. Vous vouliez imaginer un effondrement sans issue, apocalyptique ?

Jérémy – Scénaristiquement, on n’avait pas trop le choix s’il fallait que ça bouge. On voulait des enjeux forts, et mille situations étaient possibles. Ce que l’on montre est tout à fait probable en cas de crise, c’est basique finalement. Notre effondrement a surtout à voir avec la peur, notre simple peur de l’envisager notamment, nous, en tant que créateurs.

Guillaume – On considère qu’on a été gentils. On a peint des situations qui ne sont pas si chaotiques que ça. C’est possiblement ce qui pourrait arriver. L’entraide existe dans certains épisodes. Quand on voit certains mouvements de foule, en plein Black Friday notamment, c’est un effondrement d’une certaine manière. C’est certainement pire, humainement, que ce que l’on montre.

LVSL – L’unité de temps participe aussi à une autre idée fondamentale qui régit l’effondrement : la paranoïa. J’ai l’impression que la série parle d’un double effondrement : écologique et industriel d’abord, mais que l’on ne voit jamais, et d’un autre qui est social. Les personnages, stressés, ne pensent qu’à leurs petits calculs égoïstes, et font rarement corps ensemble pour affronter collectivement la menace. Qu’en pensez-vous ?

Guillaume – Les problèmes écologiques et sociaux sont extrêmement liés. L’Effondrement a beaucoup à voir avec la répartition et la raréfaction des ressources. Il nous semblait facile de mêler ces problèmes de ressources de façon concrète, avec des personnages occidentaux.

Jérémy – On traite du problème écologique par petites touches. La panique des personnages vient du fait qu’ils sont des victimes directes du manque de ressources. On traite plutôt des conséquences de l’effondrement plutôt que de sa racine : on ne parle pas de la raréfaction du pétrole liée à un krach pétrolier ou à des vagues de chaleurs. Il n’y a pas tant de paranoïa que ça chez les personnages, et c’est vrai que, pris un par un, les épisodes semblent sombres. Tout le monde fait ce qu’il peut pour s’en sortir.

Guillaume – De toute façon, personne n’est capable de savoir d’où le problème va venir en cas d’accélération qui provoquerait un tel effondrement. La série est très clairement sur l’effondrement. La question qui régit chaque épisode est : qu’est-ce qui se passe si ça arrive dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, où les institutions ne tiennent plus ? Comment on réagit ? Les avis sur la série sont assez divisés : soit on nous trouve trop gentils par rapport à ce qu’il peut se passer, soit on nous trouve hyper violents.

LVSL – L’épisode 6, dans la maison de retraite, est l’épisode le plus apaisé. Il montre bien que c’est en acceptant la fin de ce monde qu’on survit d’une certaine manière à l’effondrement, qui est régi par la panique.

Jérémy – Ce n’est pas une série sur l’égoïsme non plus ! On voulait montrer qu’il suffit qu’une personne soit paranoïaque pour que la catastrophe advienne. C’est hypothétique, mais si ça arrive demain, il faudra se faire confiance.

Guillaume – On a aussi voulu parler d’entraide, mais pour ça il fallait montrer son opposée. L’épisode sur la centrale (le cinquième) ne se fonde que sur l’entraide. S’il y a un effondrement comme dans la série, il n’y aura pas de méchant.

LVSL – Vous vous sentez politisés ?

Guillaume – Nous ne sommes pas des partisans, mais nous participons à une action politique avec nos films. De toute façon, tout est politique. On exprime un point de vue sur une réalité existante et on a été sensibilisés à la question écologique depuis l’enfance. Personnellement, c’est le trou dans la couche d’ozone qui a été très important pour moi. A l’époque, ils se sont mis d’accord à l’échelle mondiale pour interdire les produits qui ont provoqué ce trou. Aujourd’hui, on en serait incapables.

LVSL -Vous allez en manifs ou vous participez à des actions collectives ?

Jérémy – On n’a fait pas mal de manifs gilets jaunes et plusieurs contre la réforme des retraites et on a participé à des actions de désobéissance du mouvement écologiste.

Jérémy Bernard © Pierre Delareux pour LVSL

LVSL – Le dernier épisode de la série parle des médias et du mépris de la télévision envers les scientifiques et l’idée d’effondrement. Quel rapport entretenez-vous aujourd’hui avec les médias et leur traitement du problème ?

Guillaume – Ce que dit notre scientifique dans l’épisode est ce que l’on pense : les politiques et les médias mainstream n’ont pas su prendre leurs responsabilités et ne sont pas à la hauteur du défi. La terminologie de « chiens de garde » est encore d’actualité et la mainmise des puissances d’argent sur les médias est flippante.

Bastien – La classe politique est déjà au courant de tout, de la même façon qu’ils savaient ce qu’il se passait en banlieue avant de voir Les Misérables cette année. Au fond, je préférerais me dire que tout ça n’est qu’un complot : ça voudrait dire que des gens dirigent quelque chose dans cette crise. Le problème est que ce n’est pas le cas. Ce ne sont que des intérêts de nantis et de puissances privées occidentales. Ce sont les grandes puissances de nos pays qui créent ces désastres.

LVSL – Quels sont vos projets à venir ?

Bastien – On arrête tout et on prend le maquis ! (rire)… Plus sérieusement, on réfléchit encore à ce qu’on va faire, et on ne peut pas encore trop en parler concrètement, mais ça va certainement parler de maquis. On est vraiment tentés par le long-métrage.

Guillaume – On est aussi en plein dans L’Atelier 7, qui est une résidence de création, sans profs ni programme, avec des intervenants. On va lancer une session cet été d’un mois, où on y accueillera 22 participants, 11 filles et 11 garçons, où on leur ramènera du matériel pour qu’ils puissent créer ensemble ce qu’ils veulent.

LVSL -Cet atelier se fait en réaction à quelque chose ?

Guillaume – On a surtout envie de créer ce qu’on a envie de voir exister, mais c’est aussi en réaction avec la manière dont on a appris le cinéma. C’est une remise en question de l’éducation de façon générale. Le choix de création y sera total. On veut expérimenter une « école démocratique » où les participants font la vie de cette résidence, choisissent et se réunissent toutes les semaines pour décider des projets qu’ils ont envie de faire.

Effondrement de la biodiversité : les abeilles et la Reine Rouge

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Focus sur l’effondrement de la biodiversité, ses conséquences et sur la nécessité d’instaurer un paradigme écologique qui replace l’Homme au cœur de son environnement.

Du 4 au 17 décembre a lieu la COP Biodiversité au Mexique. Pourtant, rares sont les médias et les politiques de grande envergure à tirer la sonnette d’alarme. Nous avons tous été témoins du grand battage médiatique autour de la COP21 sur le Climat. Étonnamment, la sensibilisation citoyenne sur la biodiversité est moindre comparé à l’ampleur de la catastrophe qui se profile. Tous les voyants sont au rouge [1], et si rien n’est fait, les deux tiers des vertébrés auront disparu d’ici 2020. Une étude, publiée le 7 décembre par cinq ONG de protection de l’environnement, estime que seuls 10% des engagements pris par 101 pays membres de la COP Biodiversité (objectifs d’Aichi, plan stratégique 2011-2020) sont à la hauteur des ambitions initialement fixées. Pour ce qui est de la France, force est de reconnaître tout de même des initiatives. On citera la création accrue d’aires marines protégées et l’interdiction, acquise de haute lutte, des insecticides néonicotinoïdes en agriculture, en partie responsables de l’extinction des abeilles. Pour autant, au regard de l’urgence vitale que constitue la préservation de celles-ci, est-il justifié de devoir attendre 2020 l’interdiction totale de leur usage ? A-t-on une alternative crédible à leur rôle de pollinisatrices ? A quel titre plus vital que celui de la survie de l’homme et de son environnement accorder des dérogations ? Tout le monde aura compris que sans les abeilles, officiellement en voie de disparition, nous pouvons faire une croix sur tout un système, naturel et gratuit, qui nous permet de nous nourrir. Que dire des quotas de tirs de loups, variable d’ajustement française pour soulager les conflits entre chasseurs, éleveurs et associations environnementalistes, alors que l’espèce est menacée et protégée au niveau européen ? De la multiplication des zones marines mortes du fait de l’élévation des températures océaniques, de la pollution et de la surpêche ? Que dire enfin, du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui compte sacrifier des zones humides uniques sur l’hôtel de la modernité et de l’économie ?  Si la secrétaire d’Etat à la biodiversité, Barbara Pompili, a signé au nom de la France la « Déclaration de Cancun » qui vise l’intégration de la protection de la biodiversité dans les secteurs de l’agriculture, de la foresterie, du tourisme et de la pêche, la réalité fait mentir les promesses. 

Preuve de la considération subsidiaire des politiques pour la question de la biodiversité, l’écologie est pour le moment la grande oubliée de la campagne présidentielle française. [2] Pour preuve, « sur 570 minutes de débat à la primaire de la droite, 7 ont été consacrées à l’Ecologie ! » Pourtant, à en croire le sondage YouGov réalisé en septembre dernier, 74% des français estiment que l’environnement devrait occuper une place « très ou plutôt importante » dans la campagne présidentielle. Les seuls rescapés des débats à droite auront été le principe de précaution, pour le fustiger, et le nucléaire, dont on aura de cesse de répéter qu’il est vendu dans un joli papier cadeau par François Fillon et sa clique ordolibérale [3]. Ainsi, si les libéraux prônent le « laisser-faire » quasi-mystique des marchés, les ordolibéraux considèrent que la libre concurrence n’est pas spontanée et que l’Etat doit agir pour l’aider à se développer, en édifiant son cadre juridique, technique et moral [4]. Au diable donc le principe de précaution, obstacle à l’innovation et à l’économie ! Fi des réglementations environnementales (interdictions de certains pesticides, restriction des OGM) qui entravent, soi-disant, le dynamisme de la filière agricole ! Pillons, rasons, polluons, tuons… puisque c’est bon pour la croissance ! Mais l’espoir perdure car la conscience écologique imprègne la jeunesse. Dans une enquête publiée en décembre 2016 et réalisée par Générations Cobayes, 98% des 55 000 jeunes sondés (18-35 ans) répondent qu’il est nécessaire, voire vital, d’agir personnellement, à notre échelle, pour réduire notre impact sur la planète et les êtres humains. Soit les intentions des candidats de droite ne sont pas à la hauteur des revendications des Français, soit les électeurs de la primaire de la droite et du centre (à savoir une majorité d’hommes, retraités et de CSP+) ne sont pas représentatifs des aspirations réelles de la société française et des générations futures.

Quels sont aujourd’hui, les sujets prioritaires pour le devenir de notre société ? S’alarmer et s’engager pour la biodiversité, c’est comprendre que, sans elle, c’est tout notre système de santé, notre système agricole et notre économie qui s’effondrent. Rien que ça ! Et la plus grande leçon que la nature puisse nous donner, c’est l’équité de son jugement. Que l’on soit au RSA, que l’on paye l’ISF, ou que l’on cherche à ne plus le payer, nous aurons tous une part du gâteau. A la différence, non négligeable, que l’on ne subit et ne subira pas les effets de la crise écologique de la même manière, selon la classe sociale, le genre ou la minorité ethnique à laquelle on appartient. [5] Pour faire simple, « en période de désastres naturels, les plus affectés sont ceux qui sont le moins bien équipés ! » [6]Préparez-vous à vivre dans un désert ou dans un aquarium, soit que l’on parie davantage sur l’élévation des températures, l’érosion des sols ou la fonte accélérée des glaces ; et le tout sans une once de vie animale et végétale ! Et si nous cessions de cantonner l’écologie aux rubriques « planète » ou « environnement » ? C’est ce que martèle à juste titre La Fabrique Ecologique. Il s’agit de réaliser que c’est une redéfinition globale de la place de l’être humain au cœur de son environnement qui est en jeu. Dans le second tome d’Alice au pays des merveilles, la Reine Rouge annonce : « Ici, voyez-vous, il faut courir le plus vite possible pour rester sur place. » Cette course fatidique est celle que nous vivons : lorsque l’environnement évolue plus vite qu’une espèce vivante ne peut s’y adapter, cette espèce est vouée à s’éteindre [7]. Et quand viendra notre tour, quand les conséquences de l’effondrement de la biodiversité, dont nous sommes responsables, dépasseront notre capacité d’imagination et d’adaptation, ni les abeilles, à jamais disparues, ni les OGM, ni le nucléaire ne nous permettront d’échapper à notre triste sort. Quand la Reine Rouge nous aura coupé la tête, il ne restera qu’un fauteuil vide sur une plage de sable fin.

Crédits photo : ©Sonel. Libre pour usage commercial

[1] Biodiversité : tous les indicateurs sont au rouge, Pierre Le Hir, Le Monde, 7 décembre 2016.

[2] Sur 570 minutes de débat à la primaire, 7 ont été consacrées à l’Ecologie ! We Demain, 1 décembre 2016.

[3] Vous avez dit urgence ? Ecologie, primaire et sparadrap, Manon Dervin, Le vent se lève, 6 décembre 2016.

[4] L’ordolibéralisme allemand, cage de fer pour le vieux continent, Pierre Rimber et alii., Le Monde diplomatique, août 2015.

[5] La nature est un champ de bataille, Razmig Keucheyan, Essai d’écologie politique, La Découverte, 2014.

[6] Michèle Bachelet, présidente du Chili en septembre 2014 à New-York.

[7] L’effet de la Reine Rouge, Leigh Van Valen, 1973.