Confinement et Covid-19 : la protection de l’enfance dans la tourmente

Les restrictions qu’impose le confinement, les inquiétudes et les risques sanitaires que provoque la pandémie de Covid-19 n’épargnent pas le secteur de la protection de l’enfance. Comme toutes les crises, celle-ci met en évidence les dysfonctionnements d’un système : aujourd’hui, les enfants bénéficiant de ce service public essentiel sont plus fragilisés qu’ils ne l’étaient déjà. Les travailleurs sociaux à leurs côtés sont dans une situation d’autant plus délicate et précaire que l’accompagnement des enfants ne connaît aucune interruption. Retour sur un service public déjà sous tension, qui subit la crise sanitaire de plein fouet.


Temps de crise et temps normal, même situation ?

La politique publique de protection de l’enfance vise à « garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation. » Ses actions consistent en la prévention, à destination des parents et des enfants, mais aussi dans le repérage des situations de danger ou de risque de danger pour l’enfant, ainsi qu’en des décisions administratives et judiciaires pour protéger l’enfant. Cette politique s’inscrit dans un triple cadre : international, national et local. La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), traité ratifié par la France et presque tous les pays du monde, est censée garantir les droits de chaque enfant dans tous les pays signataires. Dans le cadre national, c’est le Ministère des solidarités et de la santé qui mène la politique générale de la protection de l’enfance. Cette politique étant décentralisée, elle relève donc des départements.

La crise de Covid-19 et le confinement mettent à rude épreuve le respect des différentes mesures prises en temps normal ou qui pourraient l’être dans les différents cas de violences subies par l’enfant. Si l’enfant bénéficie d’un suivi éducatif à domicile, un travailleur social, en temps normal, passe régulièrement le voir en présence de ses parents au domicile familial pour les assister dans l’éducation de leur enfant. Or, pendant le confinement, toutes les mesures d’accompagnement éducatif au domicile des parents ont été interrompues. Le risque de subir des violences est donc accru. De manière générale, même les enfants qui ne font pas l’objet d’un suivi éducatif à domicile sont, du fait du confinement, s’il se passe en présence des parents, plus exposés aux violences potentielles dans le cadre familial. Dans certains cas, le seul fait d’être confiné avec des parents dans un espace très restreint peut être considéré comme une violence faite à l’enfant (et aux autres membres de la famille). Certains enfants sont même hébergés dans des chambres d’hôtel, comme c’est le cas pour 300 mineurs suivis par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) des Hauts-de-Seine, dont certains, comme le reportait Le Parisien le 1er avril dernier, vivent à plusieurs dans une toute petite chambre. Les éducateurs qui suivent ces jeunes sont contraints de maintenir le contact avec eux à distance comme ils le peuvent (par le biais de l’application WhatsApp par exemple).

« Le seul fait d’être confiné avec des parents dans un espace très restreint peut être considéré comme une violence faite à l’enfant. »

Si l’enfant a été placé au sein d’une structure éducative, comme une Maison d’enfants à caractère social (MECS), un foyer de l’enfance, une pouponnière à caractère social, un village d’enfants, une famille d’accueil, cela engendre d’autres problèmes. En effet, au début de la période de confinement, les travailleurs du secteur social ne faisaient pas partie des professionnels désignés prioritaires pour bénéficier de la garde d’enfants, de l’accès aux écoles et collèges, de l’accueil en crèche et de la scolarisation de leurs enfants. Les effectifs d’éducateurs étaient alors insuffisants. La garde de leurs propres enfants ou leur état de santé les retenait chez eux, ils ne pouvaient donc pas se rendre au travail.

Lyes Louffok, membre du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) et de l’association SOS Enfants Placés, rapportait à France Inter le 21 mars dernier que certains foyers se retrouvaient même avec moins de 50 % des effectifs. Les conditions d’hébergement étant très inégales d’un établissement à l’autre sur le territoire national, les foyers ont connu des difficultés différentes : quand ils se situent en milieu urbain, le manque de place est plus problématique, comme le montre l’exemple dans le 6e arrondissement de Paris d’un foyer qui n’a qu’une petite cour intérieure pour une trentaine d’enfants. Un article du 20 mars dernier dans Le Monde rapportait qu’une bagarre au couteau y avait eu lieu parmi des adolescents atteints de troubles psychiques. D’autres problèmes se sont manifestés, comme le manque de matériel de protection (certains travailleurs accueillant les mineurs non accompagnés travaillent sans masques) ou encore le manque d’ordinateurs pour les enfants qui doivent pouvoir poursuivre leur scolarité en ligne pendant le confinement. La réponse du gouvernement : un appel aux dons et la mise en place d’une plateforme qui y est dédiée. Cette plateforme, « Des ordis pour nos enfants », a pour but de combler le manque de plus de 10 000 ordinateurs. Et ce matériel s’avère d’autant plus nécessaire que, comme le rapporte Lyes Louffok, 70 % des enfants placés qui sortent de l’Aide sociale à l’enfance se retrouvent sans diplôme ; il s’agit donc d’éviter que les enfants soient dans une extrême précarité aggravée par l’absence de diplôme.

« 70 % des enfants placés qui sortent de l’Aide sociale à l’enfance se retrouvent sans diplôme. »

L’autre problème est que les effectifs d’éducateurs n’étaient pas forcément préparés à d’éventuels retours d’enfants vivant habituellement en foyer, mais exceptionnellement partis dans leur famille pendant le confinement. D’autres difficultés étaient plus propres à certains établissements : par exemple, la gestion des addictions de certains jeunes placés et confinés. L’association SOS Enfants Placés, qui a fait remonter l’information au gouvernement par Twitter, a revendiqué la mise à disposition de médecins addictologues dans les établissements et la facilitation de l’accès à des substituts. Après la mobilisation de certains acteurs de la protection de l’enfance, Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des Solidarités et de la santé chargé de la protection de l’enfance, dans un communiqué de presse du 24 mars dernier, a enfin reconnu aux travailleurs du secteur de la protection de l’enfance les droits des professionnels désignés prioritaires. Enfin, dans le cas où l’enfant serait victime de violences pendant le confinement et qu’il n’aurait jamais eu affaire à la protection de l’enfance auparavant, le problème serait alors celui du repérage et du signalement des violences subies. Pour cela, un numéro d’appel existe et le confinement n’empêche pas la poursuite du service : il s’agit du 119. Il existe aussi le 114 auquel on peut envoyer des SMS. Ces services sont gratuits, accessibles nationalement 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Depuis le début du confinement, le gouvernement a pris une mesure particulièrement exceptionnelle, que certains militants de la protection de l’enfance n’espéraient plus. Il s’agit de la prolongation de la prise en charge des jeunes majeurs jusqu’à 21 ans, pour qu’ils ne se retrouvent pas à la rue une fois leur suivi terminé à l’Aide sociale à l’enfance.

© Capture d’écran Twitter

 

Or, cette mesure, qui apparaît dans la « loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 » du 23 mars dernier, est limitée dans le temps jusqu’à la fin du confinement. On voit donc les priorités : on limite la durée d’une mesure pour la protection de l’enfance, mais quand il s’agit de faire travailler certaines franges de la population plus longtemps, aucune date limite n’apparaît dans le texte de loi. On peut donc dire que le temps normal et le temps de crise ont tendance à ne pas être très différents l’un de l’autre. Certaines améliorations ne seront en place que pendant le confinement, tandis que d’autres mesures prises rendent les conditions de travail et de vie pour les travailleurs et les enfants encore plus difficiles qu’en temps normal.

Un service public et des enfants déjà abandonnés ?

Avant cette période de crise, certaines mesures libérales ont été prises en matière de protection de l’enfance, notamment dans la loi Bourguignon. Le suivi des enfants à l’Aide sociale à l’enfance se fait jusqu’à 18 ans, voire 21 ans. Après le suivi, la précarité guette souvent ces jeunes. On estime qu’un SDF sur quatre est un ancien enfant placé. Pour éviter ce phénomène, les départements peuvent décider de prolonger le suivi jusqu’à 21 ans en concluant avec le jeune un « contrat jeune majeur ». Mais Brigitte Bourguignon, députée La République en Marche à l’origine de la proposition de loi, a fait état des lacunes du dispositif et d’une ambiguïté législative permettant aux départements de considérer ce prolongement comme facultatif. Bourguignon a donc proposé, dans la version initiale de son texte, de rendre obligatoire la conclusion d’un contrat jeune majeur pour les majeurs de moins de 21 ans qui cumulent un certain nombre de difficultés. Adoptée en commission en juillet 2018, la proposition de loi a pour objectif d’en finir avec les difficultés rencontrées par les jeunes placés quand ils atteignent la majorité. Mais le dispositif est finalement modifié peu avant son examen dans l’hémicycle. Le 6 mai 2019, Brigitte Bourguignon présente devant la commission des affaires sociales un amendement réécrivant totalement l’article 1er du texte. Le nouvel amendement inclut notamment une mesure décisive : le jeune souhaitant conclure un contrat devra avoir été confié à l’aide sociale à l’enfance pendant au moins 18 mois, entre l’âge de 16 ans et celui de 18 ans. Lyes Louffok trouve cette mesure discriminatoire. Selon lui, 44 % des personnes bénéficiant d’un contrat jeune majeur ont été placées après l’âge de 16 ans et cette mesure discriminerait certaines populations comme les mineurs isolés étrangers, les enfants placés tardivement, les jeunes LGBT exclus de leur domicile et les victimes de la traite d’être humain.

En somme, cette mesure prise en temps normal tend à confirmer ce que la crise a révélé : là où la générosité pourrait s’exprimer de la part du gouvernement, elle est inexistante. En revanche, elle s’exprime vis-à-vis d’autres personnes, comme par exemple les plus favorisés, quand il s’agit de supprimer l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

La protection de l’enfance, une question politique

On peut donc dire que la protection de l’enfance n’incombe pas seulement aux familles, mais que c’est bien une question politique, un problème auquel il s’agit de répondre collectivement. On peut penser que le collectif doit agir comme un filet de sécurité pour les plus fragiles. À l’inverse, on peut dire que considérer la protection de l’enfance comme relevant seulement des familles serait le signe d’une conception libérale.

« La protection de l’enfance n’incombe pas seulement aux familles, c’est bien une question politique, un problème auquel il s’agit de répondre collectivement. »

Plus largement, tout ce qui se passe dans le cadre familial est politique. On peut penser aux violences domestiques envers les enfants, mais aussi à celles faites aux femmes, qui sont l’expression d’un système de domination patriarcale. La famille n’est pas séparée du reste de la société. Si des moyens collectifs pour rendre des situations familiales plus supportables sont mis en place, il y a fort à parier que cela constitue une amélioration pour l’ensemble de la société. Les mesures néolibérales, à l’inverse, laissent les inégalités s’amplifier et permettent la maltraitance. Le libéralisme laisse les individus « libres », sans prendre en compte leurs conditions de vie matérielles de départ, ignorant par là que certains sont nés dans des conditions qui les pénalisent, là où d’autres ont eu plus de chance. En somme, c’est la liberté sans l’égalité ni la fraternité. Ainsi, bien des sujets, pourtant politiques, se retrouvent relégués par certains traitements médiatiques parmi les faits divers : les violences faites aux femmes, celles subies par les enfants ou encore, les accidents du travail. Autant de problèmes qui pourraient être compris comme le produit d’un système dont il s’agirait de faire la critique, sont présentés comme un propos sensationnel, qui n’a aucune analyse critique de la situation.

Revendications et questionnements

Il y a plusieurs revendications visant à améliorer la protection de l’enfance. Lyes Louffok demande notamment la revalorisation du travail social. En effet, il semblerait que les travailleurs du secteur social souffrent de la même violence structurelle que subissent les personnels de santé, due à des conditions de travail dégradées (manque d’équipements et de personnels), laquelle se répercute sur les enfants sous forme de maltraitances institutionnelles, que les travailleurs les plus zélés ne peuvent que commettre à contrecœur. Dans la santé comme dans le social, il existe cette même tendance à faire reposer le poids de tous les dysfonctionnements sur les épaules des travailleurs, comme si chacun était responsable individuellement de tous les maux. En tout cas, cette volonté de revaloriser le travail social questionne, d’autant plus en temps de crise. Quelles professions sont essentielles au fonctionnement de notre société ? Qui sont les élites ? Pourquoi telle ou telle fonction est plus valorisée qu’une autre ?

Par ailleurs, Lyes Louffok revendique un encadrement des formations professionnelles des travailleurs sociaux. Il propose, par exemple, de créer un ordre professionnel pour cadrer la profession, comme les médecins, et ainsi éviter les dérives dues au fait que certaines personnes ne sont pas diplômées.

Une autre revendication est la renationalisation de la protection de l’enfance. Avant l’Aide sociale à l’enfance, l’instance qui s’occupait de la protection de l’enfance était la DDASS (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales), qui était gérée par l’État. Aujourd’hui, la libre administration des départements peut avoir des effets pervers : il y a d’importantes inégalités entre les territoires, notamment en ce qui concerne les financements : les établissements se retrouvent avec plus ou moins de moyens, selon qu’ils sont dans tel ou tel département. Si on a la chance de naître dans un département et d’être suivi dans un établissement bien financé, tant mieux. Sinon, tant pis. Les inégalités entre départements sont telles que le rapport d’information de juillet 2019 sur l’Aide sociale à l’enfance réalisé à l’Assemblée nationale mentionne que : « La décentralisation engendre autant de politiques d’aide sociale à l’enfance qu’il existe de départements. » Nous sommes bien loin du principe d’une République une et indivisible.

« La décentralisation engendre autant de politiques d’aide sociale à l’enfance qu’il existe de départements. »

Un autre argument évoqué est celui, plus spécifique, qui concerne les familles d’accueil. Pour devenir famille d’accueil, il faut avoir reçu un agrément. À la suite de maltraitances subies par un enfant dans une famille, celle-ci, condamnée dans un département, peut, si elle le veut, déménager et redevenir famille d’accueil dans un autre département. C’est pourquoi Lyes Louffok propose la création d’un fichier national répertoriant les familles maltraitantes, pour éviter que celles-ci ne reproduisent leurs méfaits.

Enfin, un questionnement émerge quant à la Convention internationale des droits de l’enfant. Bien qu’elle soit censée être contraignante pour les pays signataires, on constate que certains des droits de ce traité ne sont pas respectés en France. À titre d’exemple, qu’en est-il du droit « d’avoir une alimentation suffisante et équilibrée » alors que l’interdiction du glyphosate est sans arrêt repoussée ? Qu’en est-il du droit « d’être protégé de la violence, de la maltraitance et de toute forme d’abus et d’exploitation » si la protection de l’enfance qui, précisément, devrait s’employer à cette tâche, est contrainte de maltraiter du fait de conditions de travail dégradées dues à une politique d’austérité ? Qu’en est-il du droit « d’être protégé contre toutes les formes de discrimination » quand on voit les mesures prises dans la loi Bourguignon qui discriminent certaines populations ? Qu’en est-il du droit « d’avoir un refuge, d’être secouru, et d’avoir des conditions de vie décentes » quand on sait qu’un SDF sur quatre est un ancien enfant suivi par l’Aide sociale à l’enfance ? Autant de questions pour témoigner du fait qu’il reste encore du travail pour améliorer ce service public trop longtemps invisibilisé.

Congé paternité : pourquoi tout le monde y gagnerait

©PublicDomainPictures. Licence : CC0 Creative Commons.

Fin octobre, le magazine Causette publiait une pétition intitulée « Pour un congé paternité digne de ce nom ». Directement adressée au chef de l’État, à la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes Marlène Schiappa et à la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn, la pétition demande, en substance, la fin du caractère optionnel du congé paternité et son allongement à six semaines, contre onze jours actuellement.

Son écho s’est trouvé décuplé par la souscription d’une quarantaine de personnalités, dont l’économiste Thomas Piketty, le rappeur Oxmo Puccino, l’acteur Jean-Pierre Darroussin ou encore l’animateur radio Guillaume Meurice. De plus, cette pétition s’inscrit dans un mouvement plus vaste qui déborde la seule question du congé paternité : on se souvient notamment de la bande dessinée d’Emma, Fallait demander !, sur la répartition des tâches ménagères, ou encore de l’annonce des deux mois de travail qu’accomplissent bénévolement les femmes, par le collectif Les Glorieuses.

C’est donc dans ce contexte de visibilisation croissante du travail gratuit des femmes – qu’il soit domestique ou professionnel – qu’intervient cette pétition, qui souligne l’inégale répartition du travail familial au sein du couple, et sa naturalisation par les politiques publiques. Car, en n’accordant aux pères que onze jours bien dérisoires, comment créer un lien affectif avec l’enfant, participer pleinement à son accueil et son éveil, et assumer toutes les charges, mentales comme physiques, que son arrivée implique ?

 

Les Français, si « bien lotis » ?

Selon Le Figaro, « les pères français sont plutôt bien lotis » comparés au reste du monde. Mais comment faire moins bien que l’Allemagne ou que les États-Unis, qui ne prévoient strictement aucun jour de congé paternité, ou que l’Arabie Saoudite et l’Italie qui n’en proposent qu’un ? On relativisera tout de même la chance des pères français et leurs 11 jours de congés en comparaison d’autres voisins européens à qui sont donnés bien plus de moyens d’exercer leur paternité : les Islandais (90 jours), les Finlandais et les Slovènes (54 jours) semblent en effet bien mieux lotis que les pères français.

Il faut dire qu’une telle bigarure de particularismes législatifs est permise par l’absence de la moindre disposition légale européenne en la matière, quand, inversement, la question du congé maternité est clairement investie par l’Union Européenne, qui prévoit 14 semaines d’arrêt de travail, dont deux obligatoires. En France, le congé maternité est même de 16 semaines, dont 8 obligatoires.

Un congé parental peu incitatif pour les pères

Certes, on pourrait objecter que d’autres possibilités sont offertes aux pères français : un congé parental existe en effet, et semble a priori les encourager à participer davantage au travail familial. Dans la dernière version du congé parental (la Prestation Partagée d’éducation de l’enfant, aussi appelée PreParE, mise en place en 2014), les parents peuvent bénéficier d’une aide financière pendant un an –3 ans à compter du deuxième enfant – afin d’accueillir l’enfant. Cette aide est tout de même soumise à condition : chaque parent ne peut prendre que 6 mois de congé parental au maximum.

Ainsi, si le couple souhaite disposer d’un an de congé parental, il faut que la mère comme le père prennent chacun 6 mois de congés : la mère ne peut pas prendre la totalité des 12 mois. Il s’agit donc d’une mesure incitative en droit, mais qui est de fait économiquement prohibitive au vu des montants de l’aide versée aux parents. En 2017, l’aide pour une cessation totale d’activité s’élève à 392 euros par mois par parent, et 253 euros si le parent choisit de conserver son emploi à mi-temps. Comme trois femmes sur quatre ont un salaire inférieur à celui de leur conjoint, il apparaît rapidement que cette mesure est vouée à demeurer en grande partie formelle, la majorité des couples n’ayant aucun intérêt économique à ce que ce soit l’homme qui prenne le congé.

C’est d’ailleurs le reproche principal qui a été fait au congé parental : sous couvert d’œuvrer pour une meilleure répartition du travail familial, il s’agit surtout de réduire le montant des aides versées – la précédente version du congé parental accordait un demi-SMIC au parent qui en bénéficiait, contre un tiers de SMIC en 2017. Et lorsqu’on s’avise que dans la précédente version du congé parental, plus avantageuse sur le plan économique, seulement 1 à 3% des hommes choisissaient d’en bénéficier, on peut douter de l’efficacité présumée de la nouvelle version. Début 2016, l’OCDE montrait qu’un an après la mise en application de PreParE, seulement 4,5 % des congés parentaux étaient pris par des hommes.

« Faire accepter les congés paternité »

Puisque le congé parental mis en place en France reste somme toute bien frileux, et économiquement peu avantageux, on comprend que la pétition s’oriente vers un congé paternité bien mieux rémunéré (80% du salaire) et de fait bien plus pratiqué (68% des hommes y ont recours).

L’OFCE a d’ailleurs déjà estimé les coûts qu’entraîneraient les propositions de la pétition : l’étude de Hélène Périvier montre qu’un congé paternité de onze jours obligatoires impliquerait un coût supplémentaire pour l’État de 129 millions d’euros, et de 1.26 milliards d’euros pour l’alignement de sa durée sur celle du congé maternité (soit six semaines obligatoires après la naissance). Malgré les différentes estimations chiffrées, qui balisent possiblement un dialogue politique, et alors que certains candidats à la présidentielle s’étaient emparés de la question, le gouvernement actuel semble assez indifférent à cette problématique.

L’interview SMS de Marlène Schiappa par le magazine Neon (juillet 2017) est à ce titre symptomatique d’un tel désintérêt :

Extrait de l’interview de Marlène Schiappa par Neonmag

Que dire d’un programme qui refuse de s’emparer de cette question au prétexte que les quelques pères rencontrés au hasard d’une rue ne sont pas tous en faveur d’un allongement du congé paternité ? Outre cette stratégie, confondante de simplisme, l’interview révèle en creux l’asymétrie du dialogue social, que l’on a beau jeu de nous faire passer pour l’ignorance des salariés : ici, les pères « n’osent pas » demander un congé paternité, ou ne connaissent pas leurs droits.

Aucune mention n’est faite des pressions exercées sur les salariés pour les dissuader de prendre leur congé. Depuis la mise en ligne de la pétition, plusieurs témoignages de pères ont été relayés, qui font état du chantage subi lors de leur demande de congé. D’ailleurs, si 68% des pères français prennent un congé paternité, ce taux s’élève à près de 90% pour le secteur public, qui est mieux rémunéré et où les pressions sont faibles.

Et puis, il faut parler de cette remarque avisée : les hommes n’accouchent pas, quel serait donc l’intérêt d’allonger leur congé paternité ?

« En effet les hommes n’accouchent pas je crois »

Malgré la puissance d’analyse de Marlène Schiappa dans cette interview, on pourra objecter d’une part que certes, les hommes n’accouchent pas, mais que cette donnée biologique ne les confine pas fatalement en dehors du processus d’éveil infantile. Après tout, les hommes aussi ont le droit de développer leur « instinct paternel ». D’autre part, il est en soi absurde que la mère, souvent épuisée par son accouchement, assume seule l’ensemble des tâches familiales et écope, seule toujours, des retombées négatives sur sa vie professionnelle.

Ces retombées sont réelles. Une enquête de Cadreo de mars 2016 montre que pour 47% des femmes cadres interrogées, le fait d’avoir un enfant est cité en premier parmi les événements qui ont bouleversé leur carrière, contre 25% pour les hommes. Cette même étude est d’ailleurs révélatrice quant aux pressions subies par ces femmes cadres : 30% de leurs employeurs ont selon elles mal accueilli la nouvelle de leur grossesse. Ainsi, si le congé paternité se hissait à six semaines, comme le demande la pétition, il n’y aurait plus a priori de discrimination justifiée par la maternité, puisque hommes et femmes seraient susceptibles de la même durée d’interruption de travail.

Un autre argument est souvent mis en avant contre le congé paternité obligatoire : celui-ci constituerait une immiscion sacrilège dans la sphère privée, une ingérence au sein des familles qui auraient trouvé un « équilibre dans une répartition qu’elles estiment plus complémentaire qu’inégale », comme l’écrit Le Figaro, qui concède tout de même qu’il « existe de nombreux cas pour lesquels ces inégalités [professionnelles] sont inacceptables et injustes ».

Mais pourquoi la sphère privée ne saurait être investie par des questions politiques, en l’occurrence féministes ? Comme l’explique Hélène Périvier dans son rapport, les choix des couples au sein de la sphère privée ont également une dimension sociale : « les représentations des rôles des femmes et des hommes dans la société et l’état des inégalités économiques entre les sexes poussent les femmes vers la famille et les hommes vers le marché du travail ». On aurait donc tort de cloisonner le privé et le public, et de postuler leur foncière extériorité. Quant à dire que ce congé obligatoire deviendrait une contrainte pour les hommes, c’est présupposer qu’il n’y avait nulle contrainte auparavant : or cela ne revient-il pas à naturaliser le rôle maternel des femmes, qui sont les seules à se voir imposer un congé obligatoire ?

Ce dernier, certes, est nécessaire au bon rétablissement des mères, mais n’étant obligatoire que pour les femmes, il les confine absurdement, et elles seules, au travail familial, entraînant de fait la fatigue qu’il était censé pallier : triste tautologie aux effets contre-productifs, qu’un congé paternité obligatoire et surtout allongé dans sa durée pourrait un tant soit peu équilibrer.

par Marine de Rochefort et Quentin Morvan

 

Crédits :

Interview de Marlène Schiappa par Neonmag, capture d’écran : https://www.neonmag.fr/video-linterview-texto-de-marlene-schiappa-489989.html.

©PublicDomainPictures. Licence : CC0 Creative Commons.