Avec Henri de la Croix de Castries, Fillon joue l’aristocrate

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Sorti vainqueur de la Primaire de la droite et du centre, François Fillon est désormais lancé vers l’élection présidentielle 2017, après 5 longues années de social-libéralisme qui n’auront satisfait personne. Autour de lui se forme une équipe de choc, dont fait partie Henri de la Croix de Castries, l’ex-PDG d’AXA.

Avec un programme ultra-libéral économiquement et très traditionaliste sur le plan des valeurs, M. Fillon ne fait pas dans la dentelle. Pour sa – probable – future présidence, le Sarthois s’entoure des cadors de ces deux différentes mouvances. En balance pour le poste de premier ministre sont cités Bruno Retailleau, Président de la région Pays de Loire et fervent défenseur de la Manif pour Tous, et Henri de la Croix de Castries, récemment démissionnaire de son poste de PDG d’AXA. Moins connu mais à l’origine du programme économique du candidat Fillon, ce dernier mérite que l’on s’attarde un peu sur son CV.

D’ascendance sadique

Issu de la très haute aristocratie catholique française, Henri de la Croix de Castries [prononcer Castres] est un descendant direct du Marquis de Sade. Cet écrivain du XVIIIe, connu pour ses textes érotiques et violents, était haï dans la haute société et a passé 27 années en prison. Son oeuvre, illégale jusqu’en 1957, lui aura valu de rentrer dans le langage commun avec un mot que tout le monde connaît : le sadisme. Pas très Manif pour Tous  🙂

Noble depuis 700 ans, la famille de la Croix de Castries aurait participé aux Croisades. Henri, fils de militaire, petit-fils du ministre de la Défense Pierre de Chevigné, a épousé Anne Millin de Grandmaison, sa cousine, comme lui descendante de René de la Croix de Castries, “Duc de Castries”, dont il a repris le titre.

Pour lire un portrait moins “à charge” d’Henri de la Croix de Castries, c’est ici

La voie royale

Henri de Castries a suivi le parcours de jeunesse absolument parfait pour un membre de l’élite française : enfance dans le XVIe arrondissement, scoutisme, Lycée Stanislas (6e arr.), HEC (diplômé en 1976), ENA (promotion Voltaire avec Ségolène Royal, Dominique de Villepin et François Hollande, qui sera son camarade de chambrée plus tard à l’armée).

Le blues du businessman

Henri de Castries, 62 ans, a réussi une carrière de tout premier plan dans le monde de l’entreprise et a refusé en 2007 de devenir le ministre de l’économie de Nicolas Sarkozy. Il peut en effet paraître dérisoire de vouloir se lancer en politique quand on excelle à ce point dans les affaires. Il semblerait que François Fillon l’ait convaincu. Son pedigree vaut le coup d’oeil :

  • Après 9 ans à l’inspection des Finances, il intègre AXA, deuxième assureur mondial. Il gravit les échelons jusqu’à être nommé président du directoire en 2000, puis PDG en 2010. Poste qu’il a quitté le 1er septembre 2016.
  • Administrateur chez Nestlé, 30e entreprise mondiale en termes de chiffre d’affaires
  • Administrateur chez Hong Kong & Shangai Banking Corporation (HSBC), 6e entreprise mondiale, et classée parmi les “banques systémiques”, too big to fail

Think tank, fondations et Bilderberg

Au-delà de son patrimoine familial et financier, Henri de Castries est un homme de réseaux et d’influence. De par ses positions, il a su mener une campagne de levée de fonds extrêmement efficace pour François Fillon, d’environ 3 millions d’euros à ce jour. Il est également membre de plusieurs des cercles parmi les plus prestigieux de France et du monde :

  • Président de l’Institut Montaigne. Un think tank créé en 2000, qui regroupe des cadres d’entreprises, de hauts-fonctionnaires, des universitaires et des représentants de la société civile qui débattent sur les enjeux de politique publique à long terme.
  • Ancien administrateur du Louvre. Un poste symbolique mais qui en dit long sur les cadeaux, titres et fonctions que l’on peut obtenir dans l’entre-soi du gotha.
  • Enfin, et c’est là que les complotistes et anti-complotistes de tous bords vont s’écharper, Henri de Castries est le Président du Bilderberg depuis 2012, ce groupe d’influence totalement opaque qui réunit chaque année environ 150 des actuels et futurs décideurs du monde. Le Bilderberg tient son nom de l’hôtel des Pays-Bas dans lequel a eu lieu sa première réunion en 1954 et, pour le décrire, le magazine Challenges utilise ces termes : “Depuis que, dans les années 70, les médias ont découvert l’existence de ces conférences d’une super-élite, dont on ne savait qui étaient les membres ni ce qu’ils faisaient, les spéculations n’ont cessé sur ce cénacle, soupçonné d’être une sorte de directoire occulte de maîtres du monde qui gouvernerait la planète à huis-clos, hors de toute légitimité démocratique”. Pour ma part, je ne crois pas aux “maîtres du monde qui se réunissent en secret”. Je parlerais plutôt du “lobbying de l’entre-soi”.

De la Croix de Castries, de surcroît de la caste

Extrêmement fortuné (même s’il est difficile de trouver des infos fiables pour obtenir un chiffre global sur ce point), Henri de Castries a longtemps fait partie du Top 10 des patrons français les mieux rémunérés de l’Hexagone. Rien que chez AXA, il possède 1,5 millions d’actions (valeur : 29,7M) et 3,1 millions d’options (difficilement estimables). Il devrait toucher 12,5 millions de prime de départ puis 1 million par an de “retraite chapeau”.  Un patrimoine qui lui permet de faire partie des mécènes du scoutisme de France, ainsi que d’être l’heureux propriétaire du château de Gâtine, en Anjou. A côté de lui, François Fillon et son manoir font pâle figure.

L’affaire PanEuroLife, un non-lieu et des questions

Avec son prédécesseur chez AXA et père spirituel Claude Bébéar, ainsi que 40 autres prévenus, il passe la décennie 2000-2010 mis en examen, avec l’épée de Damoclès de la justice au-dessus de la tête. En cause, l’affaire dite “PanEuroLife”. Une société d’assurance-vie soupçonnée d’avoir été au centre d’un vaste réseau d’évasion fiscale et de blanchiment de la France vers le Luxembourg. Malgré tous les éléments à charge, le parquet et le juge d’instruction René Grouman ont décidé de plaider le non-lieu général. Dont acte.

Un autre monde

Cet article peut sembler totalement orienté, visant à décrédibiliser un homme formidable. Je le conçois. Ce n’est pas le cas. Il s’agit juste de présenter des faits qui dressent le portrait d’un homme sans aucun doute très compétent mais totalement coupé du monde réel. Quand on passe sa vie dans le luxe, les avions et les salons, et que l’on propose à l’opposé toujours plus d’austérité aux petites gens, c’est un moindre mal.

Matthieu Le Crom

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Qu’est-ce que le Fillonisme ?

©Maire-Lan Nguyen

Le score impressionnant de celui qui prétend gouverner avec « le bon sens d’un paysan sarthois » en a surpris plus d’un, et notamment tous ceux qui, parmi les commentateurs et éditorialistes, voyaient déjà Alain Juppé à l’Elysée. Pourtant, la victoire de François Fillon lors des primaires de la droite nous apparaît tout à fait logique. Il est certes aisé de dire après coup que tout était écrit d’avance, mais la victoire de F. Fillon semble relever d’un véritable vote d’adhésion qui prend racine dans un contexte historique et n’est en aucun cas la résultante d’une soudaine « Fillon-mania ». Nous nous proposons ici de prendre M. Fillon et la puissante dynamique qu’il est parvenu à susciter au sérieux.


La revanche du bon sens

Cette large victoire de la figure austère de François Fillon s’explique en premier lieu en la replaçant dans un contexte récent. Nous sommes trois ans après La Manif Pour Tous. Laquelle est parvenue à jeter des centaines de milliers d’électeurs de droite dans les rues, et – fait nouveau – à les y maintenir  pendant de longs mois. La Manif Pour Tous, ce n’est pas une démonstration de force le temps d’une journée, comme le 30 mai 1968 lorsqu’un million de personnes avaient marché sur les Champs-Elysées en soutien à De Gaulle. Non. La Manif Pour Tous (LMPT) a duré, et a su poursuivre son combat à travers l’association Sens Commun, laquelle a réussi à ne pas limiter le vaste mouvement qui était né à un simple refus de la Loi Taubira, et est parvenue à devenir force de proposition.

Sens Commun, dont le nom fait référence au terme employé par le théoricien marxiste Antonio Gramsci pour désigner en quelque sorte le bon sens populaire, a su mettre en œuvre une véritable tactique d’entrisme à l’intérieur de l’UMP puis des Républicains. En se constituant en force autonome au sein de ce parti, Sens Commun a été en mesure de tirer le débat vers la droite en faisant s’affronter les candidats désireux d’obtenir son investiture pour la Primaire. Or il se trouve que c’est précisément François Fillon qui l’a obtenue. Le député de Paris a su capitaliser sur cette image d’homme droit et constant situé très à droite de sa famille politique et est ainsi parvenu à incarner cette dynamique née de l’opposition au Mariage Pour Tous. S’il est élu en mai, le candidat LR sera en d’autres termes en mesure de transformer l’essai marqué au sein de la société civile par LMPT.

Nous devons prendre au sérieux François Fillon et inscrire sa victoire dans un contexte historique plus large, dans le temps long. Si, suivant Gaël Brustier qui a consacré un livre à LMPT, on affirme que ce mouvement a constitué un « Mai 68 conservateur », prélude à la construction d’une nouvelle hégémonie conservatrice succédant à l’hégémonie sociale-démocrate née de Mai 68 et parachevée par l’arrivée de la Gauche au pouvoir en mai 1981 ; alors, on peut considérer que la dynamique qui semble annoncer déjà une victoire de F. Fillon aux présidentielles est du même ordre. Suivant cette analyse, celui qui doit notamment son succès à la petite-bourgeoisie catholique, serait donc en train d’accomplir plus ou moins consciemment la construction d’une nouvelle hégémonie conservatrice.

La synthèse filloniste

Cette hégémonie nouvelle, en pleine construction et qui continuera de se construire après Fillon, s’annonce sous un aspect contradictoire. Ainsi donc, F. Fillon est conservateur en matière sociale et sait se donner un genre révolutionnaire à travers la radicalité de ses propositions en matière économique, et plus spécifiquement s’agissant du travail et de la fiscalité. Ce qui explique en première instance sa réussite, c’est sa synthèse des valeurs traditionnelles portées jusqu’à présent essentiellement par l’extrême-droite et des impératifs économiques de la mondialisation. C’est la confirmation de la thèse gramscienne selon laquelle l’hégémonie, et en définitive les identités politiques elles-mêmes, ne sont pas des donnés, mais des construits sociaux. Le présent phénomène n’est pas le simple reflet d’intérêts de classe statiques mais la savante construction d’une synthèse entre les attentes de différentes couches sociales : pour le moment la petite-bourgeoisie, les classes moyennes pour partie (il devra adoucir son discours anti-fonctionnaires s’il veut élargir son assise parmi celles-ci), les artisans et indépendants… auxquelles il faudra peut-être rajouter les classes populaires, ouvriers et employés, absents parmi les votants à cette primaire, si François Fillon décide de réorienter son discours en leur direction.

F. Fillon opère une OPA sur les idées portées jusqu’ici principalement par l’extrême droite, parachevant ainsi leur banalisation – accélérée déjà grâce à la politique de “dédiabolisation” engagée par Marine Le Pen à partir de 2011 et les outrances de Nicolas Sarkozy et de la droite “décomplexée”. Ainsi, F. Fillon s’avérera peut-être capable de priver le Front National (FN) de sa singularité. Le Fillonisme veut prouver que l’on peut être radical dans ses positionnements, que l’on peut incarner le parti du bon sens, sans pour autant adopter une posture contestataire et outrancière. En somme, F. Fillon applique à la droite, la “rupture tranquille” qu’avait appliquée F. Mitterrand à la gauche. Porter Fillon au pouvoir, c’est aspirer à un retour aux valeurs conservatrices sans les risques que comporte une victoire de M. Le Pen pour beaucoup d’électeurs rassemblés au sein de ce halo de la droite dure qui gagne en importance chaque jour.

Vers un rééquilibrage des forces à Droite ?

Cette synthèse entre en concurrence avec l’instable synthèse lepéniste entre ses électorats du nord (classes populaires, chômeurs, demandeurs d’un programme social), et du sud (artisans, petits patrons, demandeurs d’un programme économique libéral, électorat volontiers poujadiste, moins d’Etat, moins d’impôts). Le FN réussit sa synthèse – en vérité très opportuniste – en jouant sur les deux tableaux : Marine Le Pen, qui cherche à faire du Nord de la France son bastion, porte le soi-disant volet « social » du programme du FN, là où Marion Maréchal-Le Pen, très populaire en région PACA, porte un programme économique dur, totalement incompatible avec celui porté par sa tante. Le Front National a capitalisé sur sa schizophrénie en matière économique et sociale (le fameux « Ni droite ni gauche ») et a réussi à transcender cette contradiction évidente, à atténuer la tension entre ces deux pôles antagonistes, en misant sur la question de l’immigration et en mettant sous le tapis les questions qui fâchent.

Ainsi donc, la synthèse lepéniste va affronter la synthèse filloniste et il est à l’heure actuelle difficile de présager de l’issue.

La synthèse filloniste, comprise comme récupération des revendications sociétales portées par l’extrême-droite et abandon de son programme économique imprécis et jugé aventureux par les électeurs au profit d’un libéralisme dur, et ce qu’elle signifie pour la droite tout entière entre en résonance avec un épisode historique crucial dans l’histoire de la Vème République. Je veux parler de l’arrivée de la Gauche au pouvoir en 1981, et de la stratégie mitterrandienne vis-à-vis des communistes. Après la signature du programme commun en 1972, F. Mitterrand a su habilement tirer la couverture à lui et priver les communistes de leur singularité de force de transformation sociale, et ainsi capitaliser sur une image raisonnable et sereine en portant néanmoins les mêmes ambitions que ses alliés, jusqu’à finalement dépasser ceux-ci dans les urnes et amener la rupture – un peu tardive – du programme commun par le PCF en 1977. Par la suite, le Président Mitterrand a abandonné ses ambitions de transformation sociale et conservé seulement le volet sociétal du programme sur lequel il avait été élu. Ce faisant, il inscrivait la Gauche dans le champ politique de manière durable et consolidait l’hégémonie sociale-démocrate, tout en affaiblissant considérablement la seconde force politique de gauche.

Pour ce qui nous concerne, la puissante dynamique qui porte un Fillon à l’image lisse pourrait signifier la fin de la prédominance du Front National à Droite, fin précoce provoquée par la normalisation et l’inscription dans le champ institutionnel de ses idées et de ses valeurs par la nouvelle Droite filloniste. Fillon n’incarne pas la réaction, seulement l’ordre, et n’a aucunement pour ambition de bouleverser la société française, c’est la raison pour laquelle il est capable d’inscrire la dynamique qui le soutient dans le temps long. 

Une autre possibilité existe cependant. La possibilité qu’une victoire de Fillon ne soit pas un baiser de la mort au Front National et la stabilisation d’une hégémonie conservatrice, mais au contraire une étape supplémentaire dans le processus de radicalisation et de droitisation du pays.

Premièrement, F. Fillon, même s’il modifie son discours, ne répondra pas aux aspirations des classes populaires ; deuxièmement, la politique libérale dure qu’il prévoit d’appliquer exacerbera les tensions sociales et l’on peut d’ores et déjà miser sur une chute vertigineuse de sa côte de popularité dès les premiers mois de son quinquennat ; troisièmement, son attachement à la souveraineté n’est qu’un effet de discours et il n’est nullement disposé à remettre en cause le cadre européen. Il convient de ne pas sous-estimer les contradictions abyssales de la synthèse filloniste. Le passage de F. Fillon à l’Elysée peut simplement signifier l’évacuation, l’effondrement de cette force politique, et avoir pour conséquence le renforcement d’un Front National plus avancé encore dans son entreprise de dédiabolisation, dénonçant les effets de discours et mettant sur la table la question de la souveraineté.

En conclusion, nous dirons que la synthèse filloniste est l’annonce de l’avènement de l’hégémonie conservatrice. Mais il est encore trop tôt pour dire si le fillonisme ne sera qu’un symptôme supplémentaire et passager de cette hégémonie qui vient, annonçant seulement une poursuite de la droitisation ; ou bien au contraire s’il saura s’inscrire dans le temps long et inaugurer un nouveau cycle historique… en vérité très ancien.

Sources :

https://www.monde-diplomatique.fr/2015/12/GOMBIN/54357

http://www.latribune.fr/economie/france/francois-fillon-un-conservateur-du-19e-siecle-620428.html

http://www.lemonde.fr/personnalite/francois-fillon/programme/

Photo : ©Marie-Lan Nguyen https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Francois_Fillon_IMG_3361.jpg