Esclavage moderne au Qatar : les multinationales épargnées par la critique

Travailleurs migrants au Qatar. © OIT

A l’occasion de la Coupe du monde de football, les nations occidentales ont, à juste titre, accusé le Qatar, pays hôte, de se livrer à une exploitation des travailleurs et de faire preuve d’autoritarisme. Le monde post-colonial a de son côté reproché à l’Occident son hypocrisie sur le sujet. Les multinationales, pourtant grandes gagnantes de la compétition, ont elles été épargnées par les critiques. Article de notre partenaire Jacobin, traduit par Alexandra Knez et édité par William Bouchardon.

La récente Coupe du monde 2022 de la FIFA a suscité de nombreux articles à propos de la politique de soft power par le sport – décrit par certains comme du « sports washing » – pratiquée par le Qatar. Avant le tournoi, les commentateurs occidentaux ont critiqué l’autoritarisme politique et les conditions de travail draconiennes du pays hôte de la compétition. En réponse, les commentateurs des pays anciennement colonisés ont légitimement pointé du doigt l’hypocrisie de l’Occident. Après tout, les anciennes superpuissances coloniales ont bien jeté les bases de la débâcle qui a eu lieu au Qatar.

Bien que chaque camp soulève des remarques pertinentes, la discussion qui en a résulté n’a guère été productive. Le discours politique autour du mondial 2022 a surtout montré que les récits de « choc des civilisations » continuent de dominer l’imaginaire politique mondial, malgré une réalité moderne toute autre dans laquelle le capital international – qu’il soit oriental ou occidental – règne en maître, et a le pouvoir de mettre les gouvernements au pas. Pendant que nous sommes occupés à nous pointer du doigt les uns les autres, les multinationales se frottent les mains.

Le scandale de la Coupe du Monde

Depuis qu’il a obtenu, en 2010, le feu vert pour l’organisation de la Coupe du monde du football dans des circonstances de corruption manifestes, le petit pays pétrolier du Qatar, qui ne possédait que peu ou pas d’infrastructures sportives au départ, a lancé un mégaprojet de 220 milliards de dollars pour accueillir l’événement télévisé le plus regardé au monde.

Si l’économie qatarie fait depuis longtemps appel aux travailleurs migrants dans tous les secteurs, leur nombre a augmenté de plus de 40 % depuis que la candidature a été retenue. Aujourd’hui, seuls 11,6 % des 2,7 millions d’habitants du pays sont des ressortissants qataris. Il y a eu une augmentation massive de migrants précaires, principalement originaires d’Asie du Sud-Est, embauchés pour effectuer le travail manuel nécessaire à la construction des infrastructures pratiquement inexistantes en vue de 2022.

Stade de Lusail au Qatar. © Visit Qatar

Malgré les centaines de milliards investis, les conditions de travail de ces travailleurs manuels ont fait l’objet d’une exploitation flagrante. Les travailleurs migrants du Qatar ont dû faire face à des environnements de travail mettant leur vie en danger, à des conditions de vie précaires, à des paiements tardifs et dérisoires, à des passeports confisqués et à des menaces de violence, tout en effectuant un travail manuel rendu particulièrement pénible par la chaleur étouffante du soleil du Golfe. Selon The Guardian, 6 751 travailleurs migrants sont décédés depuis que le Qatar a obtenu l’organisation de la Coupe du monde.

Les principaux médias occidentaux n’ont commencé à souligner ces injustices qu’au cours du mois précédant le tournoi, une fois les billets achetés, les hôtels entièrement réservés et toutes les infrastructures terminées.

Alors que les ONG de défense des droits de l’homme et les journalistes avaient documenté l’exploitation rampante des travailleurs migrants au Qatar depuis environ une décennie avant la Coupe du monde 2022, les principaux médias occidentaux n’ont commencé à souligner ces injustices qu’au cours du mois précédant le tournoi – une fois les billets achetés, les hôtels entièrement réservés et toutes les infrastructures terminées. Le média occidental le plus virulent a été la BBC, qui a même refusé de diffuser la cérémonie d’ouverture, choisissant plutôt de diffuser une table ronde condamnant le bilan du Qatar en matière de droits de l’homme.

Bien sûr, les critiques de la BBC à l’égard du Qatar sont tout à fait valables. Toutefois, elles ne reconnaissent pas le rôle de l’héritage colonial du Royaume-Uni dans l’établissement des conditions d’exploitation de la main-d’œuvre qui existaient au Qatar bien avant la Coupe du monde. La Grande-Bretagne est en effet intervenue d’une manière matérielle et codifiée qui continue de profiter à la fois à la monarchie qatarie et au marché mondial dominé par le capital international.

Le kafala, un héritage britannique ?

Au cœur de l’exploitation systémique des travailleurs d’Asie du Sud-Est au Qatar et au Moyen-Orient en général, se trouve le système de kafala (parrainage), qui dispense les employeurs parrainant des visas de travailleurs migrants de se conformer aux lois du travail protégeant les ressortissants qataris. Les travailleurs migrants n’ont pas le droit de chercher un nouvel emploi, de faire partie d’un syndicat, ni même de voyager.

La version moderne du système de kafala a pour origine un fonctionnaire colonial relativement inconnu nommé Charles Belgrave. L’actuel Qatar, et plus généralement une grande partie du Golfe de la péninsule arabe, sont tombés sous domination coloniale britannique après la défaite de l’Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale. Belgrave, un vétéran anglais de la Grande Guerre, a été nommé en 1926 conseiller de la monarchie tribale de ce qui allait devenir l’actuel Bahreïn, dans le but d’aider à créer un État-nation moderne doté d’une bureaucratie gouvernementale fonctionnelle.

L’intention des Britanniques en administrant le Moyen-Orient post-ottoman, composé de « protectorats » ou de « mandats » plutôt que de colonies, était de garantir les intérêts britanniques à long terme dans la région. Ainsi, si le colonisateur disposait d’un certain pouvoir, les élites locales ont également conservé une grande part de leur influence et de leur patrimoine, donnant naissance à une symbiose entre les intérêts des classes dirigeants locales et celles du Royaume-Uni. Prévoyant l’éventuelle non-viabilité de la domination coloniale directe au lendemain de la guerre, l’objectif était de créer des structures stables pour que des gouvernements d’État favorables à l’Occident et alignés sur un système économique de marché libre puissent prendre le relais.

Avant la découverte du pétrole, Bahreïn et la région environnante abritaient des sociétés côtières et nomades gravitant autour de la pêche et de la culture des perles. L’avènement des frontières tracées par les colonisateurs a créé des obstacles à cette industrie régionale qui reposait sur la libre circulation du commerce et de la main-d’œuvre à travers la mer, désormais restreinte par de nouveaux concepts comme les passeports et les visas.

Pour y remédier, Belgrave, en coopération avec les élites locales, a codifié la première version du système moderne de kafala, qui s’est rapidement étendu à d’autres gouvernements nouvellement formés dans la région. Cela a finalement permis à Bahreïn, au Qatar, à Oman et à d’autres États du Golfe de faciliter l’immigration et l’exploitation de travailleurs d’Asie du Sud-Est.

En 1957, la forte impopulaire du kafala au Bahreïn conduit à des protestations qui finissent par faire démissionner Belgrave de son poste. Mais le système a persisté bien après le départ de ce dernier et la fin du pouvoir britannique dans le Golfe dans les années 1960 et 1970, témoignant de l’attachement des dirigeants locaux à cet équivalent moderne de l’esclavage. Si, à la suite des révélations des ONG et d’une enquête de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), le système du kafala a théoriquement été aboli en 2019, très peu semble avoir changé en réalité. Selon un ancien haut-fonctionnaire international sur Blast, l’OIT aurait même été acheté par les qataris pour qu’une exception leur soit accordée et que la procédure judiciaire soit classée sans suite.

Les multinationales, véritables vainqueurs du mondial

Le kafala n’est qu’un des nombreux systèmes modernes d’exploitation du travail dans le soi-disant « tiers-monde » qui remontent à la domination coloniale occidentale. De manière générale, le mode de vie de consommation dont jouissent de nombreux Occidentaux est rendu possible par l’externalisation d’une exploitation économique extrême dans des pays post-coloniaux socialement répressifs et politiquement autoritaires.

Ignorant les faits historiques, les reproches de l’Occident à l’égard du Qatar ont donc été, à juste titre, qualifiés d’hypocrites par de nombreux acteurs du monde post-colonial. Un certain nombre de commentateurs se sont empressés de souligner les lacunes des gouvernements occidentaux dans leur propre lutte contre leurs mauvaises conditions de travail, sans parler du racisme, de la misogynie et de l’homophobie (autres griefs légitimes à l’encontre du gouvernement qatari) existant dans leurs propres pays.

Ces critiques ont des arguments légitimes, tout comme le sont les critiques envers le Qatar lui-même. Mais ce débat n’a mené nulle part, l’Occident reprochant à l’Orient son retard et l’Orient reprochant à l’Occident son éternelle hypocrisie. Ce discours s’appuie sur un clivage Est/Ouest réducteur et ne parvient pas à saisir les intérêts communs des gouvernements occidentaux et orientaux et de leurs entreprises respectives dans le maintien de régimes d’exploitation et de répression sociale.

L’administration Biden a donné son feu vert à une vente d’armes d’un milliard de dollars au Qatar pendant la mi-temps du match entre l’Iran et les États-Unis.

Le Qatar, très proche de l’Iran, abrite la plus grande base militaire américaine du Moyen-Orient. Ce n’est donc pas une coïncidence si l’administration Biden a donné son feu vert à une vente d’armes d’un milliard de dollars au Qatar pendant la mi-temps du match entre l’Iran et les États-Unis. Un comportement habituel : les États-Unis ne se privent pas de fermer les yeux sur le despotisme de leurs alliés riches en pétrole dans le Golfe, tout en critiquant leurs ennemis autoritaires qui adoptent pourtant ce même comportement.

Les gouvernements et les entreprises de l’Union européenne entretiennent également des relations profitables avec le Qatar. À ce sujet, quatre membres du Parlement européen ont été accusés le 11 décembre dernier d’avoir reçu des pots-de-vin de la part de responsables qataris qui cherchaient à influencer des décisions politiques. Pourtant, le fait que l’Occident profite du despotisme qatari – et de celui du Golfe en général – n’a pas été pris en compte dans les critiques adressées au Qatar ces dernières semaines. Cela n’a pas non plus été souligné par ceux qui se sont empressés d’esquiver ces critiques.

Les critiques et les détracteurs ont très peu parlé des sponsors occidentaux, des marques de vêtements de sport, des diffuseurs sportifs et d’autres entités commerciales internationales qui ont engrangé des bénéfices massifs sur le dos des travailleurs qui ont peiné et sont morts en préparant ce tournoi. La seule organisation occidentale complice de la controverse Qatar 2022 faisant l’objet de critiques justifiées est la FIFA, une entité non corporative ou gouvernementale. À l’instar des gouvernements occidentaux, les entreprises occidentales ont été largement épargnées.

Les critiques et les détracteurs ont très peu parlé des sponsors occidentaux, des marques de vêtements de sport, des diffuseurs sportifs et d’autres entités commerciales internationales qui ont engrangé des bénéfices massifs sur le dos des travailleurs.

Ce récit de « choc des civilisations » qui alimente le discours autour du mondial 2022 détourne l’attention d’un autre plus grand problème qui touche à la fois le Moyen-Orient et les travailleurs migrants exploités dans le monde entier, à savoir le capitalisme néolibéral mondialisé. Le véritable gagnant de la Coupe du monde est le capital international, qu’il soit occidental ou qatari, et les véritables perdants sont les travailleurs migrants exploités et les citoyens politiquement réprimés du Qatar et du Moyen-Orient post-colonial.

La focalisation respective de chaque partie sur des nations orientales vues comme barbares ou sur des nations occidentales hypocrites ne rend pas compte du caractère financiarisé et international du capitalisme du XXIe siècle et de la façon dont il a modifié le paysage politique mondial – unissant souvent l’Est et l’Ouest dans un projet commun visant à tirer un maximum de profit des populations pauvres exploitées de par le monde.

Sur une note plus optimiste, la Coupe du monde 2022 a également vu l’expression d’une solidarité panarabe et post-coloniale qui va au-delà de ces frontières dessinées par la colonisation, une forme de conscience politique historiquement liées à des tendances anticapitalistes et de gauche dans les décennies passées. La présence continue du drapeau palestinien et le soutien massif dont a bénéficié l’équipe du Maroc de la part des Arabes et des Africains suggèrent le retour possible d’un discours politique post-colonial qui rompt avec ces récits improductifs de « choc des civilisations » souvent liés à l’existence des États-nations.

Échec de la Super-League : une victoire du football populaire ?

@roarnews.co.uk, Spielball, adidas, Symbolbild

Lundi 19 avril, des millions de fans de football se sont réveillés avec une gueule de bois, mais pas celle qu’ils ont coutume de connaître au lendemain d’une défaite de leur équipe préférée. Cette fois, les médias annonçaient la création imminente d’une Super League européenne par un noyau de quelques dirigeants de clubs de football européens fortunés. Cette Super League européenne devait concurrencer puis remplacer la ligue des champions, la compétition européenne des clubs qui règne sur l’Europe depuis 1992 et qui succédait à la Coupe des clubs champions européens, créée quant à elle en 1955. Fondé sur des préceptes mercantiles et devant permettre à des clubs fortunés d’amasser des recettes télévisuelles encore plus importantes, le projet est le dernier rejeton du processus d’ultra-libéralisation et de financiarisation à l’œuvre dans le football européen et mondial depuis des décennies. La Super League est désormais un projet mort-né, la quasi totalité des clubs fondateurs l’ayant quitté face à la vague d’indignation qu’il a suscité. Seuls restent le Real Madrid, le FC Barcelone et la Juventus de Turin. Et pourtant, le foot-business est loin d’être derrière nous.

La ligue des champions, une compétition de football européenne au fonctionnement a priori méritocratique

La Super League devait à terme remplacer la ligue des champions, compétition de football organisée depuis 1955 par l’UEFA (Union européenne des associations de football). La ligue des champions est la compétition sportive la plus suivie au monde après la coupe du monde de football. Elle voit s’affronter à l’échelle européenne les clubs qui ont été les plus performants au sein de leurs championnats nationaux lors de la saison précédente. Les clubs participants s’affrontent d’abord lors d’une phase de poules (à l’heure actuelle, 8 poules comprenant chacune 4 équipes) puis lors de phases finales comprenant des huitièmes de finale, des quarts de finale, des demi-finales et pour finir, une finale. Cependant, tous les pays ne sont pas représentés également. Les fédérations de football nationales sont classées chaque année en fonction des résultats obtenus par leurs clubs au sein des compétitions européennes. Le classement prend en compte les résultats au cours des cinq dernières années. En fonction de leur situation au sein de ce classement, certaines fédérations envoient les quatre premiers de leur championnat en ligue des champions (Angleterre, Espagne), d’autres les trois premiers (Allemagne et Italie), d’autres encore les deux premiers (France, Portugal). Les pays d’Europe de l’Est et du Nord se partagent généralement les miettes, en passant par une succession de tours préliminaires qui seuls leur permettent d’accéder à la compétition en tant que telle.

Cette dernière permet aux clubs participants de s’assurer des revenus conséquents. La simple participation rapporte 15 millions d’euros aux clubs et chaque victoire assure un gain de 2,7 millions d’euros. Tout club qui parvient en huitièmes de finale gagne automatiquement 9,5 millions d’euros, 10,5 millions d’euros si il parvient en quarts, 12 millions pour les demis, 15 millions pour la finale et 19 millions si il emporte la victoire finale. Il faut ajouter à cela le TV pool, c’est-à-dire les revenus qu’assurent les droits TV aux clubs participants. Ceux-ci sont répartis par l’UEFA, l’instance dirigeante du football européen. Ces revenus sont répartis par club en fonction de plusieurs critères : classement dudit club lors du dernier championnat, nombre de matchs européens joués par le club, coefficient UEFA du championnat auquel appartient le club(1) – le coefficient UEFA est un indice calculé chaque année sur la base des performances sportives européennes de chaque pays – en 2021, la France est 5ème au classement de l’indice UEFA.

La ligue des champions repose donc sur un principe a priori méritocratique : ce sont les meilleurs clubs des meilleurs championnats européens qui s’affrontent, et seules leurs compétences sportives à l’échelle européenne leur donnent le droit d’accéder au sommet du football européen et déterminent la part de revenus qui leur revient.

Le projet de Super League européenne, dernier rejeton de l’ultra-libéralisation et de la financiarisation du football

Le projet de Super League promettait de mettre à bas ces généreux principes. Les 12 clubs fondateurs de la Super League (Real Madrid, FC Barcelone, Atletico de Madrid en Espagne ; Inter de Milan, AC Milan, Juventus de Turin en Italie ; Arsenal, Tottenham, Manchester United, Manchester City, Liverpool en Angleterre) auraient eu une place assurée et permanente au sein de la nouvelle compétition tandis que 5 clubs auraient été « invités » chaque année sur la base de critères flous. La compétition aurait vu la tenue d’une phase de poules organisée autour de 2 groupes de 10 équipes puis d’une phase finale. Le nombre de matchs augmentait ainsi sensiblement par rapport à la ligue des champions. Le format de cette compétition permettait, selon ses organisateurs, de voir s’affronter chaque année les meilleures équipes continentales. En effet, les 12 clubs fondateurs cumulent l’essentiel des victoires en ligue des champions et sont pour la plupart habitués au haut du tableau en ligue des champions. Cependant, la participation des clubs à la Super League n’était plus conditionnée par leurs résultats sportifs au cours de la saison précédente mais par une sorte de légitimité historique largement contestable puisque certains clubs historiques de la ligue des champions comme l’Ajax Amsterdam ou le Celtic Glasgow, multiples vainqueurs au cours des décennies 1960, 1970 et 1980 ne faisaient pas partie des plans de la Super League. La présence des clubs n’ayant encore jamais participé à une quelconque ligue des champions ou ayant toujours échoué en phase de poules n’était quant à elle même pas envisagée.

La Super League avait en réalité l’avantage d’assurer chaque année une place européenne à des clubs puissants financièrement mais soumis chaque année à l’incertitude inhérente au football. L’adhésion de ces clubs au projet de Super League repose donc surtout sur un argument de stabilité financière. Les clubs fondateurs de ce projet représentent les principaux marchés à l’échelle européenne et ils sont pour la plupart cotés en bourse et soutenus par des fonds d’investissement étrangers. L’intégration de ces clubs au sein de marchés financiers les rend ainsi dépendants financièrement d’investisseurs et d’actionnaires qui cherchent à limiter les risques conjoncturels de pertes financières et de manques à gagner qu’engendrerait leur non-participation à la ligue des champions. La Super League promettait donc de sécuriser des investissements soumis jusqu’ici à l’aléa du sport. C’est ce qu’expliquait notamment celui qui a piloté le projet, l’actuel dirigeant du Real Madrid Florentino Perez lors de l’émission espagnole El Chiringuito du 19 avril : « Nous avons besoin d’argent pour le football, nous voulons que cet argent soit stabilisé et que le monde du football fonctionne comme une pyramide. Si l’argent est assuré, alors celui-ci peut descendre vers les étages inférieurs du monde du football». L’argumentaire est ici très proche de celui dit de la « théorie du ruissellement » chère au libéralisme économique et à son principal représentant français, Emmanuel Macron. Avec ce projet, Liverpool et la Juventus de Turin, clubs parmi les plus riches à l’échelle européenne mais respectivement 6ème et 4ème de leurs championnats respectifs et à l’heure actuelle non qualifiés pour la prochaine édition de la ligue des champions, n’avaient plus aucune crainte à avoir. De même, la présence des clubs milanais au sein de la ligue des champions, peu assurée ces dernières années, était cette fois gravée dans le marbre de la Super League.

« Nous avons besoin d’argent pour le football, nous voulons que cet argent soit stabilisé et que le monde du football fonctionne comme une pyramide. Si l’argent est assuré, alors celui-ci peut descendre vers les étages inférieurs du monde du football »

Florentino Perez, El Chiringuito,

On comprend mieux cette préoccupation soudaine de Florentino Perez pour les « strates inférieures » du football lorsqu’on s’aperçoit que son club cumule une dette de 900 millions d’euros. La plupart des clubs fondateurs du projet cumulent en effet des dettes colossales, celles du FC Barcelone et de Chelsea atteignant respectivement 1,173 et 1,510 milliards d’euros(2). Ces dettes sont dues notamment à la pandémie de COVID-19 qui a entraîné une baisse des droits TV et des pertes de revenus conséquentes du fait de la fermeture des billetteries. Elle est aussi due à des transferts de joueurs pour des sommes démesurées et à une inflation continuelle de la masse salariale des grosses écuries. La présence permanente de ces clubs au sein de la Super League leur assurait donc des revenus constants désindexés des résultats sportifs et leur permettait de combler leurs dettes.

@commons.wikimedia.org. Le logo du Real Madrid, l’un des clubs fondateurs de la Super League, endetté à hauteur de 900 millions d’euros.

Mais la Super League était également un formidable « coup » financier. Les 15 membres fondateurs se seraient partagés 32,5 % des recettes chaque année. 32,5 autres % auraient été répartis entre les 20 clubs participants chaque année (incluant donc les participants invités). Les gains associés aux performances n’auraient été que de 20 %(3). Les clubs fondateurs auraient donc accumulé chaque année une manne financière plus que confortable. Enfin, les gains représentés par les droits TV auraient été gérés par les clubs eux-mêmes, là où l’UEFA se donne le droit de les répartir elle-même dans le cadre de la ligue des champions actuelle. Au total, les droits TV de la nouvelle compétition auraient pu atteindre les 4 milliards de dollars, soit le double de la ligue des champions. Cette augmentation considérable des droits tv aurait elle aussi permis à ces clubs trop gourmands de résoudre leurs problèmes financiers. La compétition, quant à elle, aurait été ouverte à de nombreux investisseurs sous la forme d’appel d’offres. Si l’on sait aujourd’hui que la banque américaine JP Morgan aurait financé le projet à hauteur 3,5 milliards d’euros, d’autres banques ou multinationales bien connues s’étaient elles aussi proposé : Amazon, Facebook, Disney ou Sky. La Super League se serait donc offerte aux GAFA et à leur « capitalisme de plateforme ». Selon ses défenseurs, elle aurait permis l’ouverture du football à de nouveaux marchés télévisuels, américains et asiatiques notamment.

@Flickr, La banque d’affaire JP Morgan était censée financer le lancement de la Super League à hauteur de 3,5 milliards d’euros

Ce projet de Super League aujourd’hui à l’agonie était donc inscrit dans son époque. En proposant une ligue fermée de grosses écuries s’affrontant chaque année, il copiait le modèle américain du Super Bowl (football américain) ou de la NBA (basket) dont les parts d’audience ne font qu’augmenter. Le football européen aurait ainsi à la manière des franchises de baskets ou de football américain été conditionné par les possibilités du marché. L’institution footballistique du club, ancrée dans un territoire et articulée sur une culture populaire aurait été durablement fragilisée par le projet. A travers ce projet, on a donc assisté à une tentative d’américanisation et de « soccerisation » du football européen(4). Enfin, celui-ci promettait aussi de rapprocher le football d’un public consommateur internationalisé friand de sensations et de grosses affiches mais pas forcément attaché à un club en particulier. Autant dire que le supporter de « petit club» ou « l’ultra » n’étaient pas les cibles prioritaires.

La Super League est morte, vive le football ?

Après l’annonce du projet de Super League, l’ensemble des acteurs du monde football a été pris d’effroi. En Angleterre, des supporters de Manchester United, de Liverpool et de Chelsea sont descendus dans les rues exprimer leur désaccord avec ce « hold-up ». D’anciennes stars emblématiques telles que Gary Neville, ex-joueur de Manchester United, ont montré leur indignation. Des banderoles : « Created by the poors, stolen by the rich » ont été déployées un peu partout, des journalistes espagnols et français ont publiquement critiqué le projet. Emmanuel Macron s’est déclaré inquiet du nouveau projet et Boris Jonhson s’est dit prêt à « entreprendre toute action nécessaire visant à freiner le projet ». L’UEFA, l’instance dirigeante du football européen a déclaré que les clubs participants à la Super League pourraient être exclus des compétitions internationales et de leurs propres championnats. On a ainsi assisté à une bronca générale envers un projet unanimement dépeint comme « cupide » et « égoiste ». Les clubs à l’initiative du projet n’ont pas longtemps résisté à cette vague d’indignation. Dès mercredi 28 avril, les clubs anglais engageaient leur retrait du projet, suivis peu après par les clubs italiens et espagnols. On pourrait donc croire à une révolte générale du foot populaire contre le foot-business, à un dernier sursaut du premier qui aurait finalement été fatal au second, le tout sous la férule bienveillante de l’UEFA.

Des banderoles : « Created by the poors, stolen by the rich » ont été déployées un peu partout

La situation est cependant bien plus ambiguë. L’UEFA, par le biais de son président Aleksander Ceferin, a présenté la semaine dernière la tant attendue nouvelle version de la ligue des champions. Celle-ci va dans le sens d’une augmentation du nombre de matchs à la fois en phase de poules mais aussi en phase finale, ce qui permet une augmentation générale des droits TV. Là où il fallait auparavant jouer 13 matchs avant de pouvoir remporter la ligue des champions, il faudra désormais en jouer 18 en moyenne. Le nombre de matchs joués augmente donc sensiblement, et avec cette augmentation, celle des droits TV. L’augmentation des revenus générés par le football, réclamée par les clubs dissident, est donc au cœur de cette réforme de la ligue des champions. Les clubs qui ne seraient pas en position favorables à l’issue de la phase de groupes seraient autorisés à jouer des « play-offs » contre des équipes elles aussi mal classées, leur permettant ainsi d’accéder aux huitièmes de finales de la compétition. Il s’avère donc que même si l’UEFA s’est montrée ferme à l’égard des clubs dissidents de la Super League, la nouvelle version intègre certaines de ses propositions. On peut même faire l’hypothèse que certains clubs fondateurs du projet de Super League ont rejoint le projet non du fait d’une volonté réelle de quitter la ligue des champions, mais plutôt dans l’optique de menacer l’UEFA et d’imposer une certaine direction au football européen.

@Golforadio, Aleksander Ceferin

On peut dès à présent faire l’hypothèse que ces dissidences n’entraîneront pas un changement de paradigme de la part de l’UEFA. Croire que celle-ci peut être amenée à enrayer ou au moins à réguler ce processus de marchandisation et de dérégulation propre au football relève d’une pure illusion. Les instances dirigeantes du football européen (mais on pourrait en juger ainsi du football mondial) se sont toujours efforcées de faire du football un spectacle commercialisable à souhait, un produit consommable comme un autre. Ainsi, tout a été fait pour favoriser des grosses écuries footballistiques en situation de quasi monopole sportif et économique au sein de leurs championnats et au sein des ligues européennes. De l’arrêt Bosman en 1995, autorisant les clubs européens à recruter des joueurs extranationaux sans aucune limite pour des montants faramineux, jusqu’aux différentes versions de la ligue des champions éliminant progressivement les clubs d’Europe de l’Est et du Nord, le football européen est devenu un marché capitaliste comme un autre. Si la Super League est pour le moment un projet mort-né, elle s’inscrivait donc au cœur d’un processus de marchandisation et de dérégulation du football encore ininterrompu à l’heure où sont écrites ces lignes. Pour que cela change ou que cela cesse, ne reste peut-être qu’une seule solution : « Supporters de tous les pays, unissez vous ! »

Notes :

(1) Du foot-business vers le foot-Ancien Régime, Blog Mediapart de H.Sabbah, 20 avril 2021.

(2) Graphique dettes Super League, Gazzetta dello Sport.

(3) Schéma sur la répartition des recettes de la Super League, L’équipe 21.

(4) Super League vs UEFA: A la fin, c’est le foot-business qui gagne ?, Le Media, 23 avril 2021.

Maradona, héraut du peuple et icône pop de la révolution

Diego Maradona auréole saint
Diego Maradona ceint d’une auréole. © Affiche du documentaire d’Asif Kapadia, consacré au joueur.

Légende qui a marqué l’histoire de la Coupe du monde, de l’Argentine et du football comme personne d’autre, le « Pibe de Oro », le « gamin en or » des bidonvilles de Buenos Aires, nous a quittés. Un 25 novembre, soit quatre ans jour pour jour après Fidel Castro, qui était devenu son ami, son confident. Celui que l’on croyait immortel nous laisse ainsi orphelins de la joie qu’il savait communiquer, balle au pied, mieux que quiconque, de cette passion enfantine du ballon qui transparaissait à chacune de ses touches de balle, de cette folie maîtrisée qui devenait de l’art. Nul doute qu’il restera éternel, et qu’il conservera à jamais une place dans le cœur de celles et ceux avec lesquels il a partagé cette belle passion qu’est l’amour du football.

La main de Dieu lui a certes été tendue trop tôt cette fois-ci, à notre grand regret, mais Diego nous laisse un héritage considérable : celui d’une icône pop, d’un personnage romantique et engagé, et d’un footballeur hors normes, dans cet ordre. Celui d’un football populaire et festif, humain et addictif, dans lequel le peuple pouvait s’identifier à l’un des siens et retrouver, avec lui, sa dignité. Celui d’un temps où le ballon rond n’était pas encore aseptisé par des impératifs de rentabilité et de retours sur investissement, mais encore un objet de rêves et de passions, un jeu d’enfants qui, devenus grands, savaient rester insouciants mais toujours en quête du « beau geste » qui est par essence gratuit et généreux.

Révolutionnaire autant par son style de jeu intuitif que par ses convictions en faveur du socialisme latino-américain, Maradona était devenu El Diego et même, pour les croyants de l’Église maradonienne, un demi-dieu. L’image de monsieur Tout-le-monde qu’il cultivait à travers une certaine simplicité se mêlait paradoxalement à son amour bien connu des voitures, des femmes et de la drogue. Retour sur la trajectoire de ce héraut du peuple, dont les failles ne le rendaient que plus humain encore, que plus attachant. Hommage de Léo Rosell et Pablo Rotelli.


L’enfant des bidonvilles devenu l’incarnation du « camp populaire »

Si Diego Maradona incarnait autant le peuple argentin, avec toutes ses contradictions, c’est qu’il en était lui-même issu. En effet, Maradona naît dans le quartier de Villa Fiorito, banlieue modeste située au sud du Grand Buenos Aires. Cinquième enfant, et premier garçon d’une famille de huit, il grandit dans un bidonville, et raconte à ce sujet, non sans humour, qu’il a « grandi dans une résidence privée… Privée d’eau, d’électricité et de téléphone. » Il touche également ses premiers ballons, à l’âge de six ans, dans les rues de Villa Fiorito, et dans le club de ce quartier, l’Estrella Roja.

Diego vouait alors un culte à Boca Juniors, le club des bidonvilles, éternel rival des millionnaires de River Plate. À huit ans, c’est toutefois Cebollitas, le centre de formation du club d’Argentinos Juniors, qui le repère, deux ans seulement avant d’apparaître dans son premier journal, Clarin. Le journaliste le qualifie alors de « pibe », annonçant que ce garçon a « la classe d’un futur crack ».

Maradona en 1970
Maradona en 1970.

Ses origines populaires jouent pour beaucoup dans la capacité d’identification des classes subalternes argentines, qui voient en Maradona certes un « enfant du pays », mais encore davantage l’un des leurs. Sa réussite est d’autant plus un modèle qu’elle ne l’a jamais empêché de rester fidèle à ses origines, et de continuer à défendre les intérêts des plus pauvres.

Cet ancrage social fort provoqua tout au long de sa vie des réactions contrastées, des passions articulées autour d’un schéma forgé en Argentine, la grieta, la fissure qui sépare les péronistes des antipéronistes, ceux qui s’identifient au « camp populaire » du reste de la « bonne société ». Celle-ci, éduquée, portègne, blanche, a le regard tourné vers l’Europe et les États-Unis, et rêve d’aller à Miami tandis que le gamin du bidonville a pour seul horizon el potrero, le terrain boueux où l’on joue chaque match comme une finale.

Une carrière à son image, généreuse et systématiquement au service du collectif

Maradona est le trait d’union d’un peuple comme il a été l’individu au service du collectif. S’il ne touche pas toujours le ballon, il organise, il prend des défenseurs avec lui, il dirige, il lie des stars mondiales et autour de lui, le collectif trouve tout son sens.

Alors qu’il joue son premier match professionnel quelques jours seulement avant son seizième anniversaire, et qu’il est sélectionné la même année pour la première fois avec l’équipe nationale, l’Albiceleste, Maradona attire les convoitises. River Plate lui propose alors un salaire astronomique, équivalent à celui d’Ubaldo Fillol, gardien légendaire et joueur le mieux payé du club à l’époque. Toutefois, les convictions et l’amour que Maradona portait au maillot le poussèrent à refuser l’argent de River Plate, et à signer plutôt dans son club de cœur, le rival Boca Juniors. D’ailleurs, lors du Superclásico qui a lieu deux mois plus tard seulement, Maradona livre une performance XXL et signe le deuxième but de cette large victoire 3 à 0, qui sonne comme une humiliation pour l’ennemi juré. La même année, il mène son équipe à la victoire du championnat argentin, en inscrivant un total de vingt-huit buts.

Peu après la Coupe du monde 1982, le FC Barcelone débourse la somme alors record de 1 200 millions de pesetas, équivalent aujourd’hui à sept millions d’euros, pour attirer en Catalogne le talent argentin. Il est à ce titre un artisan majeur de la victoire du club blaugrana lors de la Coupe du Roi en 1983, avant d’infliger une violente défaite au Real Madrid lors de la finale de la Coupe de la Ligue. À cette occasion, les supporters merengue se lèvent pour applaudir le joueur, vingt ans avant que le stade Bernabeu ne réitère ce geste face à un triplé de Ronaldinho.

Mais après avoir provoqué une bagarre générale face à l’Athletic Bilbao en 1984, et écopé de trois mois de suspension, il entame l’écriture des plus belles pages de sa carrière en signant à Naples, dont il deviendra une légende vivante. Lors de sa présentation, 80 000 supporters l’accueillent triomphalement au sein du stade San Paolo.

Maradona présentation Napoli
Diego Maradona lors de sa présentation à Naples, en 1984.

Alors que le club était la saison précédente à seulement un point de la relégation, cette arrivée est décisive pour le club qui renoue avec les premières places du classement, synonyme de qualification aux compétitions européennes. En 1986-1987, Maradona offre au Napoli le premier Scudetto de son histoire, avec en prime une Coupe d’Italie, doublé à nouveau réalisé en 1990. Le club populaire de Naples rivalise alors avec le puissant Milan AC mené par Baresi, Gullit ou encore Van Basten, à travers une opposition qui rappelle celle de David et Goliath.

Sa plus belle victoire : rendre sa dignité au peuple argentin

Toutefois, c’est avec l’équipe nationale argentine que Diego a acquis l’immortalité. Au début des années 1980, le pays a perdu la guerre des Malouines au profit du Royaume-Uni. En 1986, alors fraîchement sorti des années sanglantes de la dictature de Videla, le moral des Argentins était au plus bas. Cette année-là, la Coupe du monde est organisée en Amérique latine, au Mexique. Après avoir passé les phases de poules et les huitièmes de finale, l’Argentine retrouve l’Angleterre en quarts de finale, le 22 juin.

Le souvenir de la guerre des Malouines est alors omniprésent, y compris en tribunes. Le conflit s’est conclu quatre ans plus tôt par une victoire britannique. Sur le terrain, les Argentins remportent une revanche symbolique, menés par un numéro 10 auteur ce jour-là des deux buts les plus emblématiques de sa carrière, ayant marqué à jamais l’histoire du football. À la 51e minute, il devance de peu le gardien adverse et boxe du poing gauche le ballon aux fonds des filets.

L’arbitre valide ce but qui fera dire à son auteur, en conférence de presse, que le ballon a « été touché un peu avec sa tête et un peu avec la main de Dieu », baptisant ainsi ce but légendaire de façon aussi malicieuse que spirituelle. Un tel but, que certaines mauvaises langues ont assimilé à de la « triche », catalyse, à ce moment précis, cette logique de la revanche, ressentie plus qu’exprimée. C’est la dignité d’un peuple opprimé dans les relations internationales qui prend sa revanche contre l’impérialisme, et la dignité populaire devient alors éminemment politique.

Trois minutes seulement après, Maradona s’empare à nouveau du ballon et dribble la moitié de l’équipe anglaise pour enfin tromper le gardien en tirant pourtant dans un angle fermé. Ce deuxième but, à nouveau caractérisé par une combinaison de beauté, de magie et de débrouille, est commenté avec passion et larmes par le journaliste Victor Hugo Morales, et aussitôt qualifié par de « but du siècle ».

Il offre en même temps à l’Argentine son ticket pour la demi-finale contre la Belgique. Diego y marque à nouveau un doublé, avant de se qualifier pour la finale contre l’Allemagne. À son issue, le capitaine, artisan de ce triomphe, soulève la deuxième Coupe du monde de l’histoire du pays. Avec cinq buts et six passes décisives, il est logiquement élu meilleur joueur de cette compétition.

Héros du peuple et voyou désigné pour la bourgeoisie

Diego a mené son équipe nationale à la victoire, procurant à tout un pays plus de fierté nationale en un après-midi que la junte ne l’avait jamais fait. Il est également devenu l’incarnation vivante de la viveza criolla, la « ruse créole », cette intelligence populaire de la débrouille, forme d’empowerment qui consiste à passer entre les mailles du filet et à flirter en permanence avec l’illégalité.

Ce qui se joue, dans cette victoire sportive, est également du ressort du politique, à savoir la volonté de s’inscrire contre un ordre établi, contre une logique imposée par un groupe social au détriment des autres. C’est l’irruption de la plèbe dans la chose publique, à travers le sport et la ferveur populaire qu’il produit, ce qui induit nécessairement un enjeu démocratique de représentation du peuple.

Maradona CDM
Diego Maradona porté aux nues et brandissant la Coupe du monde, 1986.

Les réactions anti-maradoniennes sont alors situées sociologiquement du côté de la grande bourgeoisie argentine. La haine et le mépris moralisateur de cette dernière ne relèvent pas du hasard. De la même manière, l’amour et la passion que Maradona réveille sont profondément liés à la capacité d’identification des classes populaires à l’un des leurs, de telle sorte qu’ils débordent du terrain et du stade pour participer, avec lui, à un véritable raz-de-marée politique.

Si Maradona rapporte la Coupe du monde à un peuple meurtri par la misère et la dictature, ses aventures sexuelles et sa relation avec la cocaïne lui valent au contraire les critiques violentes et à charge de cette bourgeoisie qui voit en lui avant tout un villero, un habitant des bidonvilles. Lorsqu’elle s’empare de questions pourtant légitimes, comme celles de violences machistes ou d’usage de drogues, ce n’est ainsi que pour mieux salir le pauvre, l’empêcher de revendiquer son droit à la dignité, lui aussi.

Les courants associés au féminisme villero, populaire et pauvre, issu du lumpenprolétariat le plus exclu d’une société périphérique comme l’argentine, défendent ainsi Maradona de façon passionnée. Dans un article publié sur le site féministe Marcha, Nadia Fink, Lisbeth Montaña et Camila Parodi s’affirment comme « féministes, populaires et maradoniennes », en justifiant leur position par le fait que leur « féminisme est construit dans la boue et la contradiction, sur le collectif et la célébration, sur les larmes et la douleur quotidienne de l’injustice. »

De même, pour Monica Santino, ancienne joueuse de football et membre du club féministe La Nuestra, de la Villa 31, « il est inconcevable de penser un monde sans Maradona comme il est inconcevable de penser un monde sans féminisme. Ainsi, mettre en contradiction l’un avec l’autre, comme si l’on ne pouvait pas être féministe et aimer Maradona, […] ce n’est pas le féminisme que j’utilise comme outil pour transformer ma propre vie et celle de ceux et celles qui m’entourent. C’est-à-dire, la quête d’un monde plus juste où il n’y aurait plus d’opprimés. Et Maradona a beaucoup à voir avec cela. »

Plus largement, d’autres militantes féministes défendant publiquement Maradona invitent plutôt à regarder en face les contradictions qui imprègnent ce même engagement, rappelant « qu’on ne peut séparer l’homme, non pas du footballeur – comme on pourrait l’entendre – mais des structures historiques et sociales de domination au sein desquelles il s’enracine. Dominations contre lesquelles Maradona s’est bel et bien levé. » La féministe italienne Cinzia Arruzza, notamment co-autrice avec Tithi Bhattachrya et Nancy Fraser de l’essai Féminisme pour les 99%, conclut en ce sens que Maradona était « un homme à la fois génial et terrible, à la fois divin et bien trop humain, devenu un symbole, non seulement de l’anti-impérialisme, mais aussi de dignité pour les opprimés et les colonisés » à travers le monde.

Du Diego de Gloire à la dévotion de D10S, en passant par une longue Passion : l’itinéraire christique de Maradona

Néanmoins, les prestations sportives de Maradona se retrouvent trop rapidement éclipsées par ses frasques en dehors du terrain, notamment sa proximité avec certains membres de la Camorra, et surtout son addiction à la drogue et aux fêtes débridées. Car à la différence de Jésus, Maradona n’a pas su résister aux nombreuses tentations que la vie de superstar du football tend à ses rares élus. De nombreuses rumeurs et une pression médiatique croissantes furent le prélude à une longue descente en Enfer de cet ange déchu du football. Tombé en disgrâce à la suite d’un test positif à la cocaïne, il est transféré à Séville, puis rejoint rapidement son pays natal, où il finit sa carrière, dans son club de cœur, Boca Juniors.

Malgré cette fin de carrière frustrante, et sans doute injuste au regard de son talent, Maradona a laissé derrière lui une marque ineffaçable dans les clubs qu’il a fréquentés, et a reçu à ce titre les hommages d’un dieu vivant de la part de ses fidèles. À Naples, le numéro 10 a été retiré à la suite de son départ. Le stade d’Argentinos Juniors, où il a fait ses débuts en tant que professionnel, a été rebaptisé stade Diego Maradona, tandis que les statues, les graffitis et les fresques murales essaiment dans la ville des Azzuri, comme en Argentine. Maradona est ainsi devenu une icône, imprégnant la culture populaire argentine, napolitaine et plus largement mondiale, inspirant de nombreuses chansons, des films et autres œuvres d’art.

Ses nombreuses représentations christiques, la tête ceinte d’une auréole voire les bras en croix, sont une expression prégnante de cette adoration rituelle pour un personnage mêlant, à l’image du Christ, une dimension humaine, qui le rend mortel attachant, et une dimension divine, qui le rend immortel et fascinant, pouvant justifier dès lors qu’il soit l’objet d’un culte.

Cette dévotion a même mené à une forme d’institutionnalisation, certes en partie burlesque, avec la création à la fin des années 1990 de l’Église maradonienne, qui compte près de 100 000 adeptes à travers le monde. Selon son calendrier, nous sommes ainsi en l’an 60 après D.-M. Le Noël maradonien est célébré le 30 octobre, jour de l’anniversaire du divin joueur, et les Pâques maradoniennes ont quant à elles lieu à une date fixe, le 22 juin, jour de la mystique « main de Dieu », miracle dûment honoré. Après tout, Pier Paolo Pasolini ne disait-il pas que « le football est la dernière représentation sacrée de notre temps » ?

Ces références bibliques et religieuses peuvent bien sûr paraître étonnantes dans nos sociétés sécularisées. Toutefois, si cette idolâtrie est si forte en Amérique latine, et que le christianisme y constitue toujours un facteur d’identification populaire majeur, c’est notamment en raison de l’imprégnation de la théologie de la Libération qui y est née. Cette lecture de l’Évangile considère en effet que « le Christ est le premier et le plus grand des révolutionnaires », pour paraphraser Hugo Chávez, et que la religion est un facteur d’émancipation des peuples opprimés, à rebours de la conception athée et marxiste de la religion dénoncée comme étant « opium du peuple ».

Sa foi catholique n’a d’ailleurs pas empêché Maradona de critiquer le pape Jean-Paul II qui se trouvait incapable de concilier l’opulence du Vatican avec la pauvreté dont souffrent de nombreux catholiques dans le monde entier, rappelant ainsi des principes fondateurs de l’Évangile, en termes de lutte contre la pauvreté. Au contraire, ses liens avec le pape François, très apprécié par les milieux populaires argentins, furent extrêmement chaleureux : lors de sa visite au Vatican, après que le pape l’a pris dans ses bras, Maradona déclara même que la dernière personne qui l’avait pris dans les bras de cette manière était son père.

Un soutien zélé au socialisme latino-américain et à l’anti-impérialisme

Son engagement politique en faveur de la classe ouvrière et de ses intérêts l’a mené à affirmer son soutien à de nombreux leaders de la gauche latino-américaine, au risque de déplaire à certains. Il a ainsi dédié son autobiographie au peuple cubain, et s’est même fait tatouer Fidel et le Che sur son corps, dévoilant fréquemment et avec fierté ces tatouages. De fait, dès 1987, alors au sommet de sa gloire avec Naples et l’Albiceleste, il se rend à Cuba, où il noue une relation de confiance avec Castro, avec lequel il échange notamment sur le Che qu’il admire tant. Cette amitié se traduit par de nombreux séjours dans l’île, notamment pour soigner son addiction à la cocaïne, en 2004. Présent lors des funérailles du « líder máximo », en 2016, l’idole des terrains va jusqu’à déplorer à cette occasion la perte d’un « second père ».

Maradona Castro
Diego Maradona portant un t-shirt du Che en compagnie de Fidel Castro en 2006.

Très proche également d’Hugo Chávez, fondateur de la « révolution bolivarienne » vénézuélienne, il s’était rendu avec Evo Morales, futur président de la Bolivie, au « sommet des peuples » organisé en 2005, lors duquel il avait notamment déclaré : « Je suis fier, en tant qu’Argentin, de pouvoir monter dans ce train pour exprimer mon rejet à l’égard de cette poubelle humaine que représente Bush. Je veux que tous les Argentins comprennent que nous luttons pour la dignité », tandis que Chávez l’invita sur scène lors de son discours, au cri de « Vive Maradona, vive le peuple ! », repris par la foule.

Au cours de la campagne présidentielle de mai 2018, il était allé jusqu’à « mouiller le maillot » en participant au dernier meeting de Maduro à Caracas, déclarant à la tribune qu’il se considérait comme son « soldat ». À la suite du coup d’État mené par Juan Guaidó, et alors qu’il était entraîneur de l’équipe mexicaine des Dorados de Sinaloa, Maradona a même écopé d’une amende par la fédération de football du Mexique pour manquement à la « neutralité politique et religieuse ». En effet, le 31 mars 2019, il avait tenu à « dédier ce triomphe à Nicolás Maduro et à tous les Vénézuéliens qui souffrent », et en avait profité pour critiquer vertement Donald Trump, estimant que « les shérifs de la planète que sont ces Yankees croient qu’ils peuvent nous piétiner parce qu’ils ont la bombe la plus puissante du monde. Mais non, pas nous. Leur tyran de président ne peut pas nous acheter ».

De telles prises de position détonent forcément dans l’univers de plus en plus aseptisé du football. Alors que certains footballeurs brésiliens, comme Neymar, Ronaldinho, Rivaldo, ou Cafu, s’étaient toutefois risqués à apporter publiquement leur soutien au candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro, notamment en raison de leur foi évangéliste partagée, Maradona soutenait au contraire l’ancien président socialiste Lula.

Diego s’inscrit ainsi dans la grande tradition des leaders populistes latino-américains. Sa politique s’appuyait en effet davantage sur l’émotion et les affects que sur la nuance. Le culte politique de Diego s’est d’ailleurs construit sur cette réputation, de telle sorte qu’il jouit d’un niveau de popularité qu’aucun politicien actuel ne pourrait espérer atteindre.

Bref, sa ligne est claire. Que l’on soit d’accord avec lui ou pas, Maradona défend ses positions envers et contre tous, et ce, jusqu’à son dernier souffle. Cela lui vaut, une nouvelle fois, l’amour inconditionnel des secteurs populaires qu’il incarne et le mépris de ses détracteurs qui sont, sans surprise, bien éloignés socialement des premiers.

De la ferveur populaire au deuil national et planétaire

Les scènes de dévotion spontanée dont les images témoignent depuis l’annonce de la mort du Pibe de Oro ainsi que l’annonce par le gouvernement argentin de trois jours de deuil national sont à la hauteur de l’émotion qu’il a su transmettre à ses adorateurs, balle au pied et en-dehors du terrain, par ses prises de positions en faveur des plus humbles.

Les orphelins de Diego sont les mêmes descamisados d’Eva Perón qui ont pleuré sa mort. En face d’eux, ceux qui ont trinqué au slogan de « vive le cancer » — Eva Perón est décédée d’un cancer du sein — sont les mêmes qui condamnent Maradona sur les réseaux sociaux, qui ne respectent pas la douleur populaire et qui attaquent un adversaire endeuillé. Incapables d’aimer ses propres icônes, de se fédérer autour d’un facteur positif, l’opposition ne peut que se rassembler autour de la haine de tout ce qui est populaire, représenté par la gauche latinoaméricaine, incarné dans le prolétariat et les classes populaires. Dans ce gamin qui jongle, cet autre qui vend des glaces au feu rouge, cette prostituée ou ce mendiant. En un mot, la plèbe. Diego Armando Maradona fut un formidable héraut de la plèbe et l’intelligentsia ne le supportait pas.

Cette même plèbe qui fut visée par les premières politiques néolibérales de la dictature de Videla, massacrée par le génocide caché que Rodolfo Walsh a dénoncé dans sa célèbre lettre ouverte à la Junte, et qui lui valut la mort. Issu du même milieu, Maradona ne peut qu’embrasser les Mères de la Place de Mai, dont les fils ont combattu avec courage et détermination cette dictature qui les a condamnés à une misère structurelle. Si l’on peut avoir a priori du mal à comprendre pourquoi une star mondiale du football s’émeut lorsqu’elle prend dans ses bras une femme au voile blanc, le concept de « camp populaire » rend cohérente et intelligible cette réalité. Les éléments qui le composent tissent un lien émotionnel, presque charnel, les uns avec les autres, pour faire peuple vis-à-vis d’ennemis communs, telles que la Junte et les puissances impérialistes qui la soutiennent.

Si on pleure à Naples un étranger devenu familier, et dans le monde, une figure insoumise et un joueur magistral, on ressent en Argentine, et plus largement en Amérique latine, que l’un des piliers fondamentaux sur lesquels se sont construites les identités individuelles et collectives vient de s’effondrer. « Je sens qu’une partie de mon enfance vient de mourir » déclare l’un des portègnes venus lui rendre un dernier hommage à la Place de Mai. Un autre, pour se consoler, estime que « Dieu a plus besoin de lui que nous », justifiant ainsi son rappel à la droite du Père. Sa mort l’immortalise en même temps qu’il nous rend tous plus mortels. « Avec Maradona on meurt tous un peu », déclare un représentant de l’un des mouvements d’entreprises récupérées par ses travailleurs.

Les chants de fidèles venus lui rendre un dernier hommage témoignent également de cet amour du peuple pour Maradona. Que ce soit en entonnant à l’unisson « Diego, querido, le peuple est avec toi » ou « Diego est ma vie car c’est la joie de mon cœur », la foule offre ainsi des images émouvantes qui révèlent la puissance unificatrice et mobilisatrice de cet homme du peuple, dont le charisme et l’engagement sont pour beaucoup dans l’aura qu’il avait auprès d’eux. Un autre slogan, repris notamment sur les réseaux sociaux par l’entraîneur catalan Pep Guardiola, insiste davantage sur la générosité de Maradona dont le peuple se dit reconnaissant, en déclarant que « ce qui importe, ce n’est pas ce que tu as fait dans ta vie, mais ce que tu as fait dans la nôtre ».

Dans sa grandeur et dans sa chute, El Diego incarne cette notion de peuple si difficile à définir académiquement mais si présente dans l’esprit de chacun qui s’y identifie. Il est à la fois celui qui offre à tout un pays une Coupe du monde, celui qui remporte un championnat avec Boca Juniors et celui qui frôle la mort à la suite d’une overdose de cocaïne. L’icône plébéienne ne peut être qu’à l’image, pour le meilleur et pour le pire, de ceux qu’il reflète. Humains. Réels. Loin de l’esthétique bourgeoise dont raffolent certains secteurs socio-économiques en Argentine, Maradona transcende les catégories morales, nécessairement situées, qui ont façonné son époque, et qui manquent cruellement à la nôtre.

Défendre l’héritage de Diego, c’est défendre un football populaire et humaniste

C’est justement cette part d’humain, d’instinct, de folie et de magie, qui se perd dans le football mondialisé. Avec Maradona, un monde disparaît encore un peu plus, celui du football comme on l’a tant aimé, populaire et festif, capable d’exalter tout un peuple à travers des émotions partagées et une dignité retrouvée. Le besoin de rentabilité des joueurs, pensés comme des machines dans lesquelles investir — pour vendre des maillots, obtenir des parts de marché, des droits TV — et des marchandises à échanger sur le marché des transferts, a mené à une forme d’uniformisation des profils et du jeu, de plus en plus mécanique et de moins en moins instinctif. Avec la hausse tendancielle du niveau athlétique et les évolutions technologiques type VAR, l’assistance vidéo, les joueurs ressemblent de plus en plus à leurs avatars des jeux-vidéos FIFA ou PES, et non plus l’inverse.

Ce qui fait le plaisir du jeu, et l’intérêt de ce sport, c’est pourtant sa part d’incertain, ce facteur humain qui permet à la fois les coups de génie et les « boulettes ». Le football est d’autant plus moral qu’il est parfois injuste, et de cette injustice peut alors naître un sentiment d’injustice, des affects et de la colère mobilisables dans le champ politique. Albert Camus aimait à dire : « Tout ce que je sais de la morale, c’est sur les terrains de football et sur les planches de théâtre que je l’ai appris, et qui furent mes véritables universités. »

Ces propos entrent parfaitement en cohérence avec « l’homme révolté » que fut Maradona, humaniste et romantique, avec ses parts d’ombre et de lumière. Notons d’ailleurs que les deux personnages partageaient des origines populaires que le football a su transcender, en leur donnant, à travers la liberté poétique des dribbles, des jongles et des accélérations, une manière à eux de s’émanciper de l’ordre établi, et d’étouffer le silence déraisonnable du monde.

Les supporters privés de leurs droits dans l’indifférence générale

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Stade de la Beaujoire, Nantes © Flickr

Chaque week-end, des centaines de citoyens voient leurs libertés remises en question, et sont interdits de pénétrer dans des lieux publics sans aucune raison apparente. Ces cas, loin d’être isolés, n’ont pas lieu à Moscou ni à Pyongyang, mais à Metz, Strasbourg ou Nice. En effet, dans une indifférence médiatique et politique quasi générale, les interdictions de déplacement de supporters de football se multiplient. Des mesures souvent disproportionnées, qui suscitent la colère dans le monde du football. 


Si vous êtes originaire des Alpes-Maritimes, il valait mieux vous tenir à l’écart de l’agglomération nîmoise ce samedi 17 août. En effet, en prévision d’un match opposant le Nîmes Olympique à l’OGC Nice, le préfet du Gard a dans un premier temps empêché par un arrêté les supporters niçois de se rendre au stade, puis, craignant des débordements, a saisi le ministère de l’Intérieur qui a de son côté interdit le déplacement de « toute personne se prévalant de la qualité de supporter du club de l’OGC Nice, ou se comportant comme tel, entre les communes des Alpes-Maritimes et de Nîmes ». Toute personne refusant de se soumettre à cette règle risquait jusqu’à 6 mois de prison et 10 000 € d’amende.

Des arrêtés qui se multiplient sans raison

Des mesures hautement liberticides comme celle-ci, qui restreignent de façon volontaire le déplacement de citoyens sans raison apparente, le football français en a connu d’autres ces dernières années. Apparues en 2011 dans le cadre de la loi de prévention LOOPSI 2 pour faire face à des situations dites “extrêmes”, celles-ci se sont très largement répandues aujourd’hui jusqu’à être généralisées dans le monde du football. Jugez plutôt : prononcés seulement trois fois pour la saison 2011-2012, ces arrêtés ont été émis à 102 reprises la saison passée. Cette année, et alors que les affaires footballistiques n’ont repris que depuis un petit mois, les préfets ont réussi leur début de saison avec des statistiques impressionnantes, cumulant déjà une douzaine d’arrêtés.

Concrètement, les arrêtés dont il est question peuvent aboutir à deux sentences différentes : l’encadrement ou l’interdiction de déplacement. Il est très important de saisir cette nuance : dans le cas d’un déplacement interdit, aucun supporter de l’équipe qui joue à l’extérieur n’est admis à l’intérieur du stade. Si le déplacement est encadré, le nombre de fans admis en parcage (la tribune réservée aux supporters visiteurs) est restreint. Ceux-ci sont escortés par des forces de l’ordre, et sont interdits de se rendre dans des zones jugées à risque, comme les abords du stade ou le centre-ville. La plupart du temps, « toute personne se prévalant de la qualité de supporter ou se comportant comme tel » est empêchée d’arborer les couleurs de son équipe.

http://www.association-nationale-supporters.fr/wp-content/uploads/2019/08/Arrêté-Nîmes-Nice-Août-2019-Ministériel.pdf
© Capture d’écran : Journal officiel de la République française

Comment expliquer cette augmentation drastique du nombre d’arrêtés ? Le contexte sécuritaire dans lequel est plongée la France depuis ces dernières années, entre plan Vigipirate et forte mobilisation policière lors des manifestations des gilets jaunes, n’explique qu’en partie ces interdictions. « Cela ressemble à de la facilité. Les préfets interdisent les déplacements pour être surs de ne pas avoir de problèmes », note la journaliste Virginie Phulpin, l’une des rares à évoquer le sujet à une heure de grande écoute.

En effet, et si ces arrêtés pourraient être compréhensibles pour des matchs entre équipes rivales (Saint-Étienne – Lyon ou Marseille – PSG, par exemple), comment justifier que des duels entre Reims et Strasbourg ou Lens et Le Havre en Ligue 2 fassent l’objet d’une telle restriction de déplacement ? À ce sujet, les explications inscrites sur les arrêtés sont souvent exagérées, voire grotesques. L’Équipe s’était d’ailleurs amusé à regrouper les raisons les plus absurdes invoquées par les préfets.

On y apprend par exemple que le déplacement des supporters nantais à Reims a été restreint en raison de la Saint-Patrick, ou encore que l’ouverture des soldes d’hiver à Troyes aurait pu empêcher les supporters rennais de se comporter convenablement. Plus étonnant encore, les préfets ne s’embêtent désormais plus à trouver une justification : le simple antécédent d’interdit est une raison suffisante pour restreindre les mobilités. Comprenez : l’interdiction de déplacement des supporters lyonnais à Dijon en 2018 justifie que le même arrêté soit réutilisé en 2019.

« On est traités comme des terroristes »

Avec cette inflation d’encadrements et d’interdictions de déplacement, les autorités participent activement à la restriction des libertés des supporters. En effet, si l’on pourrait considérer un encadrement comme un moindre mal, émettre un tel constat serait insuffisant, ne permettant pas de prendre la mesure des conséquences de ces restrictions. Stéphane*, supporter du FC Metz, raconte ainsi son déplacement à Strasbourg pour le compte de la première journée de Ligue 1 : « Je pars de chez moi à 10h du matin pour aller à 17h dans un lieu situé à 1h30 de chez moi. Je regagne le bus, puis arrivés au stade sous escorte, après quelques noms d’oiseaux avec les Strasbourgeois (rien de bien méchant), on est tout de suite entourés par les forces de l’ordre qui nous font poireauter sur le parking. En arrivant à l’entrée du parcage, la sécurité nous demande d’enlever nos lunettes de soleil. On nous annonce qu’on doit passer devant la caméra. On s’exécute, en faisant quand même remarquer qu’on est traités comme des terroristes ».

“Terroristes”, “criminels” ou “fichés S” sont autant de termes qui reviennent très fréquemment dans les récits des supporters interrogés. « Et encore, c’était pire il y a deux ans pour le même déplacement, continue Stéphane. Cette fois-ci, pas de noms d’oiseaux, nous avons été accueillis sur le parking directement avec des boucliers et des gazeuses avec volonté manifeste d’échauffer les esprits. On est retenus sur le parking jusqu’à quasiment louper le coup d’envoi, et pendant notre absence les bus sont fouillés. À la sortie du stade, une petite grille seulement est ouverte, laissant passer les supporters au compte-goutte sous une pluie de coups de matraques ». Habitué des déplacements depuis vingt ans, Stéphane admet volontiers qu’il s’agit de l’expérience la plus violente qu’il ait connue.

Si les conditions de déplacement racontées par le supporter messin peuvent à la limite être justifiées par la rivalité régionale existant de longue date entre son équipe et le RC Strasbourg, l’expérience vécue à Reims par Fabien, supporter amiénois, est totalement incompréhensible. Alors qu’aucune animosité n’existe entre les fans des deux équipes et qu’aucun arrêté restrictif n’avait été mis en place pour ce match, les 300 supporters de l’Amiens SC dont une grosse partie de supporters lambdas et de familles ont eu droit à un accueil triomphal. « Nous étions attendus par une armée de policiers équipés de matraques, de boucliers et se montrant très agressifs sans aucune raison apparente puisque nous étions encore dans le bus », développe Fabien qui joint la photo ci-dessous légendée « traités comme des criminels pour quatre pauvres fumigènes ». Et le supporter picard de conclure : « Les familles venues pour suivre leur équipe de cœur ne reviendront probablement plus à cause de l’accueil des cow-boys à matraques ».

© Fabien, supporter amiénois après la rencontre Reims-Amiens

Pire, les arrêtés sont souvent pris deux ou trois jours avant les matchs, coupant l’herbe sous le pied de supporters ayant posé des jours de congés ou réservé des billets de train pour l’occasion. « C’est usant de ne jamais pouvoir prévoir, reprend Stéphane. On ne sait jamais où on va pouvoir aller, ces déplacements ont un coût. On est en stress jusqu’au jeudi qu’un arrêté nous tombe dessus pour gâcher notre week-end. Je regrette le temps où on pouvait aller dans toutes les villes en voiture, arborer ses couleurs en risquant tout au plus un peu de chambrage ».

Les quotidiens décrits par ces fans sont transposables à des milliers d’autres supporters injustement réprimés par les instances. S’il existe encore quelques hooligans en France – pourtant minoritaires et ne concernant que « quelques clubs », aveu du chef de la Division nationale de lutte contre le hooliganisme –, des mesures d’une telle violence sont-elles justifiées ? Certainement pas, d’autant que la France est le seul pays à les appliquer. Chez nos voisins espagnols, anglais, portugais ou allemands, il est presque impossible de voir un parcage vide.

Au contraire, il est même très fréquent de croiser des milliers de supporters qui se déplacent pour un même match outre-Rhin. « Les déplacements ne posent aucun problème en Allemagne, indique Mathéo Rabanowitz, spécialiste du football allemand et fondateur du média Fussball Meister. J’ai notamment été voir un Berlin-Hambourg, et malgré la rivalité qui existe entre les deux clubs, les supporters entraient par la même porte sans qu’il n’y ait de problèmes. La Polizei était évidemment présente en très grand nombre, mais à aucun moment elle n’a eu besoin de tirer des lacrymos ou de matraquer les gens au hasard dans la foule. A contrario, étant bordelais, j’ai assisté à cette situation de violence lors des matchs face à Toulouse, Nantes ou Marseille ».

On ne peut pour autant pas vraiment dire que les supporters toulousains, parmi les plus calmes de France, soient plus dangereux que les milliers d’Hambourgeois dont certains peuvent être violents. « Les seuls problèmes sont avec des groupes de certains clubs, mais la Polizei réagit très vite lorsqu’il y a un début d’envahissement de terrain ou de rixe », conclut Mathéo Rabanowitz.

La comparaison entre France et Allemagne présentée ici a d’ailleurs viré à la caricature lors du match de Coupe d’Europe entre le RC Strasbourg et l’Eintracht Francfort le 22 juin dernier. Habitués à se déplacer en très grand nombre dans toute l’Europe (ils étaient 13 000 à Bordeaux en 2013, laissant un très bon souvenir à l’ensemble de la ville), les Allemands ont vu leur venue limitée à 600 personnes en Alsace. Ainsi, alors qu’ils étaient plus de 8 000 pour un match à Chypre un jeudi soir en plein mois de novembre, les supporters de l’Eintracht étaient dix fois moins nombreux pour un match à deux cents kilomètres de chez eux au mois d’août.

Et comme si limiter drastiquement leur venue en nombre ne suffisait pas, le préfet du Bas-Rhin – en très grande forme en ce début de saison, cumulant un sans-faute avec 4 arrêtés pour 4 matchs – a décidé de renforcer le dispositif de sécurité. Les supporters de Francfort étaient interdits de circuler aux abords du stade de la Meinau pendant toute la journée, et des camions, voitures, motos, hélicoptères, chevaux et même canons à eau de police étaient prévus. Les bars étaient fouillés, et le moindre contact entre Français et Allemands immédiatement réprimé.

France – supporters, un mal profond

À travers ces différents épisodes, un constat est clairement à établir : oui, la France a un problème avec ses supporters. Et le pire, c’est qu’aucun dialogue n’est vraiment mis en place entre les fans et les autorités, ces dernières se contentant d’une répression préventive. Le dernier exemple en date, concernant les chants « homophobes » des supporters, fait office de cas d’école pour décrire ce phénomène. Alors que des slogans « la Ligue, on t’enc*le » étaient scandés, la Ligue de football professionnelle (l’instance gérant les compétitions nationales) a décidé d’arrêter temporairement les matchs afin de culpabiliser les supporters fautifs sous couvert de lutte contre l’homophobie.

Soyons clair, si la présence d’homophobie dans le monde du football est malheureusement indéniable (lire à ce sujet l’excellent dossier publié sur le blog Fausse Touche), l’intervention immédiate de personnalités politiques, comme la ministre des Sports Roxana Maracineanu, semble relever de l’opportunisme visant, une fois de plus, à faire passer les supporters dans leur ensemble pour de vilains petits canards. Ces chants, qui révélaient le mécontentement des fans, sans aucune volonté de blesser qui que ce soit, apparaissant comme la réponse à une politique hostile à toute forme de dialogue avec les supporters.

Sans justification convaincante, les interdictions et encadrements de déplacement risquent bien de se retourner contre leurs émetteurs.

Ce mépris de classe ambiant de la part des élites vis-à-vis des supporters de football a notamment été mis en évidence lors du débat sur la présence d’alcool dans les stades. Alors que le champagne coule à flot dans les loges VIP des différents stades, il n’est vraisemblablement pas question d’autoriser la vente de bière pour les supporters lambdas situés dans les tribunes classiques. Le danger que représente l’alcool pour Agnès Buzyn semble ainsi à géométrie variable, tout comme les interventions des personnalités politiques qui ne se privent pas de mettre des centaines de milliers de supporters dans le même sac lorsque l’un d’entre eux commet un écart qui, s’il est évidemment répréhensible, n’engage en aucun cas ses collègues de tribunes, mais évitent étrangement le sujet lorsqu’il s’agit d’évoquer les discriminations et privations de liberté auxquelles sont soumis les fans.

Certains supporters ont toutefois choisi de s’organiser pour défendre leurs droits. L’Association nationale des supporters (ANS) se fait ainsi le porte-voix des différentes revendications exprimées par les supporters, sans pour autant être considérée par les instances. Comme le signe d’un ras-le-bol permanent, des journalistes sportifs ont récemment pris position en leur faveur, et l’OGC Nice a annoncé avoir défendu une requête devant le tribunal de Nîmes suite à l’arrêté cité en préambule.

Sans justification convaincante, les interdictions et encadrements de déplacement risquent bien de se retourner contre leurs émetteurs. Ils ne représentent par exemple pas une bonne publicité pour une LFP qui, complice à défaut d’avoir le pouvoir de mettre en place les arrêtés, est obsédée par l’image que renvoie le football français pour négocier des nouveaux droits de diffusion à l’étranger. Avec un spectacle pas toujours au rendez-vous sur le terrain, il sera encore plus difficile de convaincre les téléspectateurs chinois ou américains lorsque ceux-ci verront des tribunes vides et sans ambiance.

Dans le même temps, des actions collectives sont menées par les supporters. La plateforme de covoiturage StadiumGo permettant de faire voyager des fans ensemble a vu le jour, et on ne peut que recommander les différentes expériences vécues par les groundhoppers (voyageurs mêlant découvertes culturelles et présence dans les stades) répertoriées sur le site au-stade.fr. Preuve s’il en est qu’à défaut de pouvoir pleinement jouir de leurs droits, les supporters ont encore des idées.

* : Le prénom a été modifié

“Le football professionnel est indissociable du monde amateur” – Entretien avec Ulysse Rabaté et Pierre Saint-Gal

©Ulysse Rabaré

Ulysse Rabaté est conseiller municipal de Corbeil-Essonnes et Pierre Saint-Gal, dirigeant de l’US Fontenay. Nous avons souhaité les interroger sur la place du football dans les quartiers populaires après l’euphorie de la Coupe du monde et suite à la publication de leur tribune dans Libération qui appelait à soutenir les clubs amateurs.


LVSL – Quelques jours seulement après la victoire de la France à la Coupe du monde, vous avez publié dans Libération une tribune intitulée « Pour que les Bleus versent 10% de leurs primes à leur premier club », avec Pierre Saint-Gal, dirigeant de l’US Fontenay. Comment vous est venue cette idée ? Des joueurs ont-ils répondu à cet appel ?

Pour nous, il était assez naturel de prendre la parole sur ce sujet. En tant que responsables politique et associatif, on réfléchit toute l’année au développement du sport, à son lien avec la société, à l’articulation entre sports amateur et professionnel. La victoire de l’équipe de France a été un immense moment sportif, mais aussi un épisode politique marquant. Nous avons été nombreux à essayer de comprendre ce qui se jouait hors des terrains. D’autant plus que la connivence entre le sport et la politique n’est un secret pour personne.

L’enjeu politique était le suivant : comment profiter de ce moment exceptionnel, sans sombrer dans une absence coupable de recul critique sur ce qui se jouait ? À l’inverse, comment dénoncer l’instrumentalisation politique et les dérives évidentes d’une compétition, comme la Coupe du monde de football, sans faire les rabat-joies déconnectés du monde réel ?

Le déclic a été cette phrase de Macron adressée aux joueurs à l’Elysée : « N’oubliez pas d’où vous venez ». Cette sortie était tellement scandaleuse, de la part d’un pouvoir politique qui avait attaqué le monde associatif avec la diminution drastique et incompréhensible des contrats aidés, qui avait méprisé ces mêmes associations en enterrant le Plan Banlieue et l’espoir qui l’accompagnait. On a interprété cette sortie hypocrite comme le résultat d’une sorte d’injonction de la réalité : non seulement l’équipe de France championne du monde est en grande majorité issue des quartiers populaires, mais en plus, les joueurs ont à maintes reprises fait référence à leurs villes et à leurs clubs d’origine.

“Ces champions du monde sont au bout d’une chaîne de solidarités et d’engagements, dont le sport professionnel est la partie émergée et déformée. Le football professionnel est indissociable du monde amateur. L’un ne peut exister sans l’autre.”

Écrire cette tribune et l’adresser implicitement aux joueurs était donc une façon d’entrer dans cette brèche qu’ils avaient eux-mêmes ouverte. Désigner « 10 % de leurs primes » était, à vrai dire, plus symbolique qu’autre chose. D’ailleurs, certains joueurs avaient déjà décidé de les reverser entièrement à des associations. L’objectif était de tirer le fil d’une idée simple : les parcours de réussite qui, selon l’expression consacrée, « ne doivent rien à personne », n’existent pas. Au contraire, ces champions du monde sont au bout d’une chaîne de solidarités et d’engagements, dont le sport professionnel est la partie émergée et déformée. Le football professionnel est indissociable du monde amateur. L’un ne peut exister sans l’autre.

Quand Macron prononce cette phrase, il y a quelque chose de scandaleux et d’indécent, qui est une pure expression de son logiciel politique : il ne s’intéresse à « là d’où ils viennent » (de quoi parle-t-il, d’ailleurs ?) que parce qu’ils sont aujourd’hui au sommet. Le monde lui apparaît seulement à travers ceux qui « réussissent »,  et in fine ceux qui lèvent une coupe. Nous, le monde réel, nous le côtoyons tous les jours, et il nous intéresse tous les jours. Notre moteur politique, c’est justement celui ou celle qui ne réussit pas ou plutôt, qui défend ou exprime une autre idée de la réussite.

Si nous nous sommes adressés aux joueurs via cette histoire de prime, c’est que nous considérons que eux, contrairement au Président Macron et à ceux qui l’entourent, font partie de ce monde dont nous parlons. Ils sont en mesure de défendre cette idée plus complexe de la réussite. Par leur parcours, ils savent ce que c’est, que d’être en quête de parents véhiculés pour parcourir les routes un jour de match. Ils ont vu leurs éducateurs faire des allers-retours, ramenant des jeunes jusque dans leur salon. Ils ont fouillé dans leur poche, cotisé avec le reste du vestiaire, pour acheter le pack d’eau qui manque pour l’entrainement. Ils ont aussi vu les copains échouer aux portes des centres de formation et basculer dans le camp des « invisibles ». Le retour de la prime du champion du monde à son premier club, c’était une manière de rappeler tout ça.

“Nous faisons partie de ceux qui ont trouvé ridicules les leçons d’une certaine partie de la « gauche » à l’encontre de l’engouement populaire qu’a généré cette Coupe du monde. Opposer cette ferveur au mouvement social, comme on a pu le lire, c’est ne rien comprendre ni à l’un, ni à l’autre.”

À la publication de cette tribune, nous avons été contactés par de nombreux médias dans l’idée de taper sur les joueurs, selon le fameux refrain des « milliardaires qui tapent dans un ballon ». Mais notre démarche ne s’inscrivait pas du tout là-dedans. Le propos se voulait positif, et soulignait l’excellence française en terme de formation, qui trouve ses racines dans notre milieu associatif et nos territoires, et dont les joueurs sont à bien des égards les dignes représentants. Nous faisons partie de ceux qui ont trouvé ridicules les leçons d’une certaine partie de la « gauche » à l’encontre de l’engouement populaire qu’a généré cette Coupe du monde. Opposer cette ferveur au mouvement social, comme on a pu le lire, c’est ne rien comprendre ni à l’un, ni à l’autre. De la même manière, défendre nos associations de quartier, nos clubs amateurs, en tapant sur les joueurs professionnels, c’est contre-productif. À Corbeil-Essonnes, à Fontenay-sous-Bois, ce succès était un événement chargé d’énergie positive : c’est dans cette énergie que se situent pour nous les ressources pour affronter ce que l’on prétend combattre.

Nous n’avons pas eu de retour des joueurs, mais à vrai dire, ce n’était pas vraiment l’objectif. Nous n’avions pas trop d’illusions, nous connaissons les consignes de la F.F.F. et des agences de communication qui gèrent la carrière des joueurs : pas de commentaire sur la politique ! Alors même qu’on leur demande en permanence d’être « exemplaires » : toutes les polémiques absurdes sur le fait de chanter ou non l’hymne national sont pourtant 100 % politiques. Il suffit de regarder ailleurs pour se rendre compte que cette neutralisation politique n’est pas la même partout. Aux Etats-Unis, certains sportifs s’autorisent à commenter la politique, c’est le cas avec des stars comme Lebron James ou les joueurs de N.H.L qui s’agenouillent durant l’hymne national. Ce fut aussi le cas avec Mohammed Ali, Jesse Owens ou encore Tommie Smith et Juan Carlos. Pourquoi, chez nous, les sportifs sont-ils si « empêchés politiquement » ? La distance entre les sportifs professionnels et le champ politique est une réalité que l’on déplore.

LVSL – Ces clubs sportifs jouent un rôle important pour la cohésion sociale, de surcroît dans les quartiers défavorisés. Qu’est-ce que le football incarne dans ces quartiers ?

La formule que vous employez est un euphémisme. Peut-être faut-il se poser la question dans l’autre sens. Il est important de rappeler que la pratique sportive, sous toutes ses formes, transcende complètement les territoires et les milieux sociaux. La mission première des associations sportives, c’est avant tout d’offrir un lieu de pratique sportive à chacun.e, selon ses capacités, ses désirs et ses ambitions. Depuis les années 80, on a progressivement fait endosser aux associations ce rôle de « cohésion sociale »… exclusivement dans les quartiers populaires !

“Le football n’est pas qu’un colmateur de brèches pour des territoires en mal de cohésion sociale : c’est avant tout un vecteur d’émancipation et de mobilisation collective, profondément ancré dans des contextes sociaux, historiques et politiques.”

Aujourd’hui, nombre d’associations sportives « remplissent le vide » dans les quartiers : il n’y a pas de valorisation complète du travail que font ces associations sans interrogation critique de ce vide. Vous ne trouverez aucun éducateur sportif qui se dira heureux de jouer le rôle de l’école ou des parents ! De la même manière, comment ne pas être désarçonné lorsque le football professionnel, dont on connaît les hasards et les difficultés, constitue la seule perspective d’un jeune de 14 ans ? Le discours selon lequel le football incarnerait « une alternative à la rue » est à la fois une réalité quotidienne et un leurre contreproductif. Pour répondre à votre question, une réponse exigeante serait que le football incarne une promesse démesurée d’ascension sociale qu’il ne devrait pas incarner, et prend une place qu’il ne devrait pas prendre.

Mais dans le même temps, et c’est aussi le versant positif de notre discours, le football incarne une culture et un socle de valeurs qui tirent la société vers le haut. La recherche a révélé ces dernières années ce que Mickaël Correia a appelé « L’histoire populaire du football » dans son livre éponyme. Le football n’est pas qu’un colmateur de brèches pour des territoires en mal de cohésion sociale : c’est avant tout un vecteur d’émancipation et de mobilisation collective, profondément ancré dans des contextes sociaux, historiques et politiques.  Évidemment que le football est un champ de luttes, d’autant plus aujourd’hui avec ce qu’il représente à l’échelle mondiale…

Cette dimension politique et culturelle du football se confronte à des mécanismes permanents de neutralisation. Notre tribune, notre pratique au quotidien en tant qu’élus et acteurs associatifs, c’est justement de refuser cette aseptisation. Et pour vous faire une confidence, c’est le sens aussi de la campagne nationale pour l’éducation populaire que nous lancerons dans les prochaines semaines avec un collectif appelé Quidam, en partenariat avec des acteurs associatifs indépendants et engagés, des intellectuels, des élus locaux et nationaux. Tout comme dans notre tribune, nous revendiquons l’idée que ces actions sont une résistance au néolibéralisme et à l’atomisation de la société qui l’accompagne. Le président Macron veut faire des joueurs de l’équipe de France les ambassadeurs de son modèle de société. La réalité de leur parcours incarne l’inverse. Disons-le et, idéalement, disons-le ensemble.

LVSL – Pourtant, ces associations sont aujourd’hui à bout de souffle. Lors des quatre dernières années, 4 000 clubs amateurs ont disparu, sur 18 000, soit 22% des clubs. Ceux qui survivent le doivent à un engagement collectif exceptionnel, des bénévoles et des professionnels. Comment expliquez-vous cet affaiblissement ?

Depuis quelques années, les raisons de cet affaiblissement sont connues et souvent exprimées par les acteurs de terrain. La baisse des subventions publiques, l’essoufflement de l’engagement bénévole ou encore, pas plus tard que l’an dernier, la suppression par le gouvernement des emplois aidés mettent terriblement à mal les clubs sportifs.

Lors de cette rentrée sportive, les toutes dernières annonces du gouvernement en matière de sport sont une attaque en règle du modèle sportif français. Le budget du ministère va baisser de 6,2% l’an prochain. On annonce la disparition de 1 600 emplois au sein du ministère des sports, soit près de la moitié des professionnels qui constituent ce modèle ! Et comme pour bien marquer ces mesures du sceau de l’idéologie, on plafonne le reversement de la taxe « Buffet » à 25 millions d’euros alors même que les droits TV du foot ont atteint le niveau-record d’un milliard d’euros. Cette taxe était une véritable mesure d’équité qui permettait de reverser une partie de ce montant en direction du sport amateur. Exit donc son esprit originel et l’idée de « ruissellement » qu’elle impliquait entre le sport professionnel et le monde amateur.

Il est certain qu’en mettant bout à bout cette série de décisions, qui visent à considérer le sport comme un supplément d’âme, cela donne une situation alarmante à la base, dans ces clubs où s’échinent des milliers d’éducateurs et de bénévoles. Comme pour la santé ou l’éducation, il existe aujourd’hui une logique de privatisation selon laquelle la pratique sportive tend à n’être accessible qu’aux « premiers de cordée ».

LVSL – Les scènes de liesse lors de la Coupe de monde ont à nouveau illustré la capacité du football à rassembler les Français autour d’une ferveur populaire sincère et communicative. De même, alors que certains cherchaient à ramener ces joueurs à leurs origines, ces derniers n’ont pas été avares de déclarations d’amour pour leur pays, et se sont dits à plusieurs reprises « fiers d’être français ». En tant qu’acteur de la vie politique et associative, qu’avez-vous ressenti lors de ces célébrations, et des débats qui ont suivi cette victoire ? Ces réactions ont-elles une dimension politique ?

D’abord, en tant qu’acteurs politique et associatif en banlieue, nous avons accueilli avec un grand bonheur les moments de fête et de communion qui ont accompagné la victoire. Alors que certains voudraient exacerber les divisions dans notre société, ces moments rappellent l’incroyable énergie du commun, l’évidence des liens entre les citoyens de notre pays. Pour les gens engagés dans la vie publique comme nous, ces moments ont évidemment une portée très politique, et une saveur particulière. On fait le lien entre les valeurs qui sont véhiculées dans des moments comme celui-ci, et le combat « culturel » dans la société d’aujourd’hui, pour aller contre le discours absurde du « choc des civilisations » et tous ses dérivés.

Par ailleurs, l’engouement exceptionnel que beaucoup ont observé (parfois avec étonnement) dans nos villes de banlieue exprimait clairement une fierté à l’égard de l’image de la France que renvoyait l’équipe championne du monde, dont beaucoup de joueurs sont issus de l’immigration. Une image peut-être plus flatteuse, plus proche de la réalité aussi, que celle que renvoient la politique ou les médias. Nous considérons là encore que c’est un aspect très positif du moment que nous avons vécu, dont il faut s’inspirer pour l’avenir.

“Nous pouvons relever des réels motifs d’espoir dans le foot professionnel : l’existence de clubs populaires comme le Red Star, l’activisme des supporters progressistes du FC Sankt-Pauli en Allemagne ou encore le soutien apporté par de nombreux joueurs de foot à leur premier club.”

Les débats qui ont accompagné les déclarations spontanées des joueurs sur « la fierté d’être français » s’inscrivent dans un contexte. Depuis plusieurs années et particulièrement depuis le « traumatisme » de Knysna, le football a cristallisé les injonctions d’une certaine Zemmourisation des esprits : les footballeurs, tout comme les jeunes des quartiers populaires, doivent montrer patte blanche et démontrer qu’ils ont le patriotisme chevillé au corps pour que nous soyons certains de leur amour de la France. C’est une vision à l’opposé de notre façon d’appréhender ce sujet.

Cette sélection comportait vingt-trois joueurs français, aux origines, aux parcours et aux identités multiples. Ils ont chacun fait le choix de défendre les couleurs de leur pays, sont allés au bout d’eux-mêmes pour « ramener la coupe à la maison » et fêter avec leurs concitoyens cette victoire. Dans le sport, il n’y a pas besoin de plus pour prouver l’attachement à son pays.

LVSL – D’une certaine façon, le football apparaît comme un langage universel compréhensible par tous, et son expansion à l’échelle mondiale en est la preuve. Mais cette popularité est en même temps à l’origine d’un foot business et de ses dérives, bien loin des valeurs de partage et de solidarité du football amateur. Le règne du foot business est-il inéluctable ? Le capitalisme a-t-il fini de digérer la culture populaire ?

Comme nous le disions tout à l’heure, nous ne souscrivons pas à cette forme d’angélisme qui tend à considérer le monde amateur comme le paradis perdu des idéalistes et le sport professionnel comme l’incarnation du grand capital et l’opium du peuple moderne. Le football, amateur comme professionnel, n’est qu’un miroir grossissant de notre société. Ce serait un leurre de croire que le foot se vit en toute autonomie. Certes, les sommes en jeu sont considérables car nous parlons du sport le plus populaire au monde. La finale de la coupe du monde a rassemblé plus d’un milliard de personnes sur terre, vous imaginez donc les enjeux colossaux derrière la marchandisation du foot.

“Le règne du « foot-business » n’est pas inéluctable s’il y a en face de la volonté politique.”

Mais il existe également des dérives dans le foot amateur : on peut évoquer la course à l’échalote pour détecter de jeunes prodiges et l’apparition sauvage d’agents de joueurs, ou encore la compétition à outrance dans les catégories de jeunes qui fait perdre de vue l’essentiel de la pratique sportive à ces âges-là. Tout comme nous pouvons relever des réels motifs d’espoir dans le foot professionnel : l’existence de clubs populaires comme le Red Star, l’activisme des supporters progressistes du FC Sankt-Pauli en Allemagne ou encore le soutien apporté par de nombreux joueurs de foot à leur premier club. Le tableau n’est pas tout noir ou tout blanc, il est fait de nuances importantes pour qui veut appréhender le football comme un objet politique de masse.

Le règne du « foot-business » n’est pas inéluctable s’il y a en face de la volonté politique. Nous l’avons vu ces dernières années : l’instauration par la FIFA d’un système de fair-play financier, ou encore le reversement prévu lors d’un transfert d’une partie du montant aux clubs amateurs sont des exemples que les lignes peuvent bouger. Mais il est certain que le foot, en tant que phénomène planétaire, est un terrain de jeu propice aux ambitions financières.

Nous ne dirions pas pour autant que le capitalisme a fini par digérer la culture populaire. Il y a sans nul doute une lutte permanente pour y parvenir, mais on le voit bien avec la dernière pub Nike qui illustre son célèbre slogan « Just Do It » avec le footballeur américain Colin Kaepernick. Kaepernick avait posé un genou au sol durant l’hymne américain pour protester contre les violences policières et avait ensuite été copieusement insulté par Donald Trump. Qui digère qui là-dedans ? Qui oblige l’autre à se positionner ? Une certaine lecture peut nous permettre de dire qu’une révolte populaire a incité ou obligé la plus grande firme au monde, dans un contexte et un environnement précis, à se situer du côté de cette révolte.

Le propre des systèmes de domination, c’est de « voiler » ce qui les fragilise et les remet en cause. Là encore, nous avons envie d’inverser la formulation de votre question : les cultures populaires (on peut discuter ce vocable), considérées comme des ensembles de pratiques, de représentations sont au contraire une ressource incontestable dans le combat contre le capitalisme aujourd’hui et dans la création de valeurs alternatives, largement partagées. Justement parce qu’ils émergent du monde ordinaire, et que les revendications portées sonnent juste. À ce sujet, le grand philosophe américain Stanley Cavell, décédé cette année, parlait de « démocratisation du perfectionnisme » : la culture populaire (pour lui c’était le cinéma populaire, qui faisait l’objet d’une réelle ferveur partagée dans sa jeunesse) est le lieu de la discussion sur la société dans laquelle nous vivons, ses normes et leur (af)franchissement possible.

En ce sens, ce qui s’est passé en France cet été est aussi une leçon d’humilité pour celles et ceux qui prétendent faire de la politique. En effet, il s’agit de toujours mieux considérer ces lieux de formulation de valeurs critiques à l’égard du monde capitaliste. Le football en est bien un ! Voilà pourquoi nous transposons à celui-ci, en tant que culture populaire, cette phrase de Cavell : « S’il existe des gens qui continuent à réaliser des œuvres telles que ces films pour un public d’amis et d’inconnus, des œuvres qui nous aident à imaginer cette possibilité d’échange entre êtres humains, qui sait ce que nous pouvons encore espérer ? ».

Entretien réalisé par Leo Rosell et Lenny Benbara

Jean-Baptiste Guégan : “Le sport a toujours été en Russie un marqueur de puissance”

Auteur de “Football Investigation, les dessous du football en Russie” (Bréal, co-écrit avec Quentin Migliarini et Ruben Slagter), Jean-Baptiste Guégan est journaliste, expert en géopolitique du sport. Il revient pour nous sur les enjeux extrasportifs qui irriguent la “Coupe du Monde de Poutine” et les compétitions suivantes.


LVSL : La Coupe du monde en Russie a commencé le 14 juin. Ces dernières années, le sport russe a été touché par des scandales de dopage. Les athlètes russes n’ont pas pu représenter la Russie lors des derniers JO d’hiver. Ils ont organisé malgré tout les JO d’hiver de Sotchi en 2014. Est-ce que la Coupe du monde 2018 va leur permettre de revenir sur le devant de la scène du sport mondial ?

Jean-Baptiste Guégan : Le sport a toujours été important pour la Russie, c’est à la fois un vecteur d’image et un marqueur de puissance. Le sport leur permet de montrer leur capacité à former leur jeunesse, à rayonner et puis à montrer qu’ils sont un peuple qui gagne. C’est quelque chose d’essentiel pour Vladimir Poutine. Depuis son premier mandat et plus encore depuis le deuxième, il a énormément axé le rayonnement russe autour du sport parce que c’est une manière de rendre leur fierté aux Russes et de montrer que la Russie existe. Cela va leur apporter plusieurs choses. En Russie dès qu’on organise un évènement, c’est multifactoriel. La première c’est de modifier l’image russe. Donc de se servir de la Coupe du monde pour améliorer leur image dégradée à cause des conflits en Ukraine, de l’intervention en Syrie et des prises de position de Poutine sur la scène internationale.

La deuxième c’est une vraie volonté économique, touristique. La Russie est un grand pays avec un patrimoine important et une histoire riche et longue. Sauf qu’au regard de leur territoire et de leur population ils sont sous dotés en touristes. Et donc l’idée de cette Coupe du monde, c’est de montrer ce que la Russie a à offrir au monde et pour cela il faut mettre en vitrine les villes comme Samara ou Saransk.

La troisième motivation, c’est l’aménagement et la valorisation du territoire. Les villes qui ont été choisies, c’est le cas de Saransk et d’Ekatérinbourg, ce sont des villes qui ont été délaissées en termes d’aménagement, en termes de développement depuis la chute de l’URSS et l’arrivée de Poutine au pouvoir. C’est l’occasion avec cette Coupe du monde d’investir énormément comme ils l’ont fait à Sotchi pour développer les transports et les offres d‘hébergement mais aussi finalement l’offre de services.

Après, du point de vue géopolitique, ce Mondial sert, au-delà de toute considération sportive, à construire un rapport de forces avec l’étranger et de montrer que la Russie est un acteur avec lequel il faut compter dans le cadre du multilatéralisme que défend Poutine. Le choix de Kaliningrad a été fait pour gentiment montrer aux Européens que la Russie est au cœur de l’UE. Il sera aussi très intéressant de voir après l’affaire Skripal et les menaces de boycott diplomatique comment les supporters anglais vont être reçus. Et de voir comment l’équipe des Three Lions (la sélection anglaise, ndlr) va être accueillie en Russie. Enfin, il faut reconnaître une chose, c’est que la Russie a tendance à faire deux choses, la première à parler fort et ensuite s’excuser silencieusement. La Russie a accepté les conclusions du rapport McLaren et a priori, cela n’a pas été médiatisé. La Russie a donc fait un pas pour reconnaître le dopage institutionnalisé qui a eu cours.

LVSL : Leur équipe a peu de chances d’aller loin…

La sélection russe est la deuxième nation la moins bien classée à la Coupe du monde devant l’Arabie Saoudite qu’elle rencontre au premier tour. On verra bien ce qu’ils feront. Comme à chaque Coupe du monde, l’organisation des groupes est orientée par un règlement favorable au pays organisateur.

Michel Platini est revenu dessus en parlant maladroitement de “magouille” pour la Coupe du monde 98. En vérité, ce n’est pas une tricherie, c’est juste une orientation du tirage et de son aménagement. C’est typique pour toutes les compétitions internationales de football. L’idée est de préserver le pays organisateur sur le premier tour pour maintenir l’enthousiasme et la passion populaires.

Pour en revenir au seul domaine sportif et pour en avoir discuté avec Alexeï Mechkov, l’ambassadeur de Russie, ils n’attendent rien de la Sbornaya (surnom de l’équipe russe, ndlr). Si ce n’est qu’ils soient à la hauteur des valeurs russes et de la Russie. Et qu’ils soient combatifs sur le terrain, pour renvoyer une bonne image de l’homme russe. C’est dans la logique du virilisme à la russe. Donc quand on discute avec eux, tous prévoient déjà que leur équipe ne passera pas les huitièmes de finale. Vraisemblablement ils tomberont contre l’Espagne ou le Portugal, et vraisemblablement ils se feront éliminer. Ce qui sera intéressant, c’est de voir leurs capacités athlétiques et de voir comment le sélectionneur russe va pouvoir rendre sa fierté à l’équipe russe. S’ils sont au même niveau qu’à la Coupe des confédérations, ce sera compliqué d’aller au-delà des huitièmes de finale.

« Ce Mondial sert, au-delà de toute considération sportive, à construire un rapport de forces avec l’étranger et à montrer que la Russie est un acteur avec lequel il faut compter dans le cadre du multilatéralisme que défend Poutine. »

LVSL : A l’Euro 2016 il y a eu des affrontements à Marseille entre des hooligans anglais et russes. Est-ce qu’on peut s’attendre à des nouveaux affrontements en Russie ?

Pour avoir interviewé plusieurs spécialistes de la question pour notre Football Investigation avec Quentin et Ruben, que ce soit Ronan Evain qui est spécialiste du supportérisme russe, l’ambassadeur russe en France ou les spécialistes du foot russe du site Footballski.fr, tous ont la même réponse : le risque existe mais il est exagéré. Le supportérisme russe est un supportérisme composé d’ultras et de hooligans mais ils ne sont qu’une minorité. Comme dans toute frange de supporters, il y en a qui sont plus radicaux. Pour autant, on peut penser qu’il n’y aura pas de débordements pour plusieurs raisons. La première, c’est qu’il n’y en a pas eu l’année dernière lors de la Coupe des Confédérations. Il y avait un niveau de sécurité rarement atteint, et dans une zone d’un kilomètre autour du stade, il fallait montrer patte blanche. Ensuite, on sait de sources internes que les services de renseignements russes ont fait clairement comprendre aux supporters radicaux qu’il ne fallait pas faire n’importe quoi. Tous ceux qui ont été identifiés comme leaders ultras ont été prévenus aimablement. On n’oublie pas que la Russie est un régime autoritaire. Elle a fait comprendre que ceux qui ne respecteraient pas les règles feraient face à la loi et à sa férocité en Russie.

Et à côté de ça, il y a une autre règle tacite qui a été instituée. Les autorités russes, dans cette logique de virilisme, ont tendance à laisser les “fights”. Mais une condition a été imposée, c’est que ces combats soient organisés en dehors des villes. Avec deux limites : ne pas déranger les Russes moyens et ne pas nuire à l’image de la Russie à l’international. Donc tous les “fights” entre supporters ultras sont délocalisés dans les bois et la seule condition de non-intervention des forces de police et des services de renseignements, c’est qu’il n’y ait pas de blessés ou de morts.

Force est de constater que depuis 2012, cela s’est calmé malgré quelques dérapages. Dans notre livre, “Football investigation, les dessous du football en Russie”, nous revenons là-dessus. Le pouvoir a clairement rappelé à l’ordre ceux qui étaient concernés. Et plus encore depuis l’Euro 2016. On peut se demander si les Russes n’avaient pas intérêt à déstabiliser un Etat comme la France en acceptant d’envoyer des supporters ultras, en les laissant partir car ils savaient pertinemment qu’il y aurait un risque. Notamment en jouant sur la perspective d’un Etat incapable de tenir des supporters dans une des plus grandes villes françaises à l’approche de la présidentielle.

Dans les faits, le supportérisme russe n’est pas forcément politisé. Il y a donc peu de risques de débordements. Malgré les tensions entre la Russie, les Etats-Unis et l’Europe, il y a toujours eu coordination. Les services de police russes et européens continuent à discuter sur la question des ultras et des hooligans. Donc personne n’a intérêt à ce que ça se produise. L’intérêt de cette Coupe du monde est de montrer que la Russie est un pays sûr. Dans la représentation qu’on en a, la Russie est un pays qui fait peur. Les autorités veulent donc montrer que c’est un pays qui ne craint rien et qui est surtout accueillant. On peut penser qu’il n’y aura pas de débordements. Et quand bien même il y en aurait, il y aura tellement de présence policière et militaire dans les stades pour contrôler les radicaux, qu’il n’y aura pas de mauvaises images de débordements.

LVSL : Il y a quatre ans au Brésil lors de la Coupe du monde, il y a eu des manifestations contre le pouvoir. Est-ce que l’opposition russe peut profiter de la Coupe du monde pour manifester contre le pouvoir ?

La première différence est que le Brésil est une démocratie alors que la Russie est un régime autoritaire malgré sa constitution démocratique. D’un point de vue constitutionnel, le rapport n’est pas le même. En Russie, il y a deux types d’opposition. Une opposition légale et acceptée et une opposition durement réprimée. Des opposants comme Navalny se sont faits remarquer au moment du quatrième mandat de Poutine dans le cadre d’une manifestation qui dénonçait “le nouveau tsar”. Ce dernier a fini en prison. On peut remarquer une concomitance avec 2017 où avant la Coupe des Confédérations il y a eu une vague d’arrestations. Donc on peut imaginer des opposants à Poutine essayent de ses servir de la Coupe du monde, je pense aux Femen notamment.

Des ONG essaieront de se servir de cet évènement pour donner une force à leur cause, quelle qu’elle soit. Et notamment quand elles ciblent le pouvoir russe et ses dérives. Après on peut faire “confiance” aux services de renseignements russes pour faire face à ces mobilisations. On peut imaginer, sans prendre parti, qu’il y aura une manifestation sportive très sécurisée et que le moindre débordement sera recadré très vite. Je ne pense pas qu’il y aura d’images aussi négatives que celles attendues parce qu’on n’est d’abord pas dans le même contexte politique ni dans le même contexte économique. La croissance en Russie est revenue et Poutine fait tout pour dynamiser son image. Il n’a pas intérêt à ce type de contre-publicité.

Après on peut faire confiance aux médias internationaux pour montrer ce qui ne va pas en Russie. Nous sommes en pleine guerre de l’information et de l’image des deux côtés. Donc ce sera aux uns et aux autres de faire la part des choses.

LVSL : Début mars, un ancien espion russe a été retrouvé empoisonné en Angleterre. Le gouvernement anglais accuse la Russie de l’avoir assassiné et a annoncé un boycott diplomatique de la Coupe du monde. Aucun membre de la famille royale et du gouvernement n’ira à la Coupe du monde. Est-ce que ce boycott pourra aller plus loin et comment la Russie va accueillir l’équipe d’Angleterre ?

Le boycott britannique de la manifestation russe est un boycott qui est surtout diplomatique et symbolique. On a eu la même chose à Sotchi. Vous aurez du mal en termes de relations internationales à vous passer d’un membre du conseil de sécurité de l’ONU.

Au pic de la crise avec la Russie, il y a seulement eu des expulsions de chargés de renseignements, c’est-à-dire des espions. Il n’a pas eu de rupture définitive et réelle des liens diplomatiques. Il y a juste eu un refroidisseement et une tension. Cela veut dire que si le boycott se poursuit, et il se poursuivra, il sera exclusivement symbolique et médiatique.

“Poutine veut montrer que la Russie est plus forte avec lui que sans lui.”

Après, pourquoi il ne peut pas être sportif ? Pour plusieurs raisons. La première c’est que pour une fois on a une sélection des Three Lions qui est compétitive. Très jeune mais compétitive. Et donc les Anglais vont y aller. La deuxième c’est que le gouvernement de Theresa May est impopulaire, il ne peut pas se permettre de s’aliéner les fans de foot. Il faut rappeler que le foot en Grande-Bretagne est une véritable culture, c’est quelque chose de fondamental. Pour des raisons de politique intérieure et de popularité il y aurait de toute façon eu une équipe britannique. Il y a une troisième raison qui est économique. Le football est une industrie du spectacle particulièrement développée en Angleterre. D’abord du point de vue des médias mais aussi de l’activité générale. Et on ne peut pas imaginer des Britanniques privés de sélection, qui ne seraient pas capables de dépenser leurs livres sterling dans les bars : la perte économique serait trop importante ! Il n’y a jamais eu de boycott d’une phase finale de Coupe du monde donc ce serait une première. Je ne vois pas l’Angleterre le faire et ce n’est pas l’intérêt des pays. L’important, c’est de continuer d’échanger. On a bien vu que la politique de la chaise vide ne menait à rien et que le meilleur moyen de comprendre Poutine, c’est de discuter avec lui.

La Russie a reconnu une partie de sa responsabilité et on peut être sûr que les Britanniques seront bien accueillis. Parce qu’il ne faut pas oublier une chose, c’est que l’économie russe souffre, mine de rien, en raison des sanctions internationales et qu’elle a tout intérêt à renvoyer une image positive aux investisseurs qui pour la plupart sont des Anglo-Saxons. Si on regarde, la moitié des grandes firmes transnationales mondiales sont en grande majorité étrangères et ne regardent qu’une chose : la sécurité de leurs avoirs et de leurs investissements. Le signal serait très mauvais et irait à l’encontre de ce que veut faire Vladimir Poutine. On peut s’attendre à ce qu’il y ait pour la forme des sifflets mais ça n’ira pas au-delà. En tout cas on peut l’espérer. S’il y avait un débordement ou un quelconque problème ce serait gênant.

LVSL : Mais qu’est-ce que Poutine espère de la Coupe du monde ?

Il espère plein de choses. A titre personnel et à titre politique ce qu’il espère, ce n’est même pas conforter son pouvoir, parce qu’il est déjà établi. On a vu sa réélection à plus de 70%. Ce qu’il espère c’est de continuer d’entretenir son image d’homme d’Etat, d’homme qui fait gagner la Russie et lui redonne sa fierté. C’est exactement ce qu’il fait depuis qu’il est réélu. C’est exactement ce qu’il faisait depuis son troisième mandat et même bien avant. Il a compris tout l’intérêt de rendre sa grandeur au peuple russe et tout ce qu’il construit du point de vue médiatique et dans sa communication va dans cette logique-là.

Du point de vue de la politique intérieure, Poutine veut montrer que la Russie est plus forte avec lui que sans lui. Cela fait taire les oppositions, cela rend sa fierté au peuple russe. Enfin, quand on parle de géopolitique du sport on parle d’échanges entre dirigeants. On sait que les Britanniques n’iront pas mais on ne sait pas ce que vont faire les autres dirigeants européens et mondiaux. Le propre de ces manifestations est de faire se rencontrer des gens qui ne se rencontrent pas forcément dans les mêmes cadres.

On est hors d’un G20, d’un G8, donc on peut imaginer des contacts à haut niveau même simplement au niveau personnel, entre Mohamed Ben Salmane, l’héritier du trône saoudien et Vladimir Poutine par exemple. On aura des contacts entre les dirigeants qui viendront sur le sol russe. Et ces contacts seront diplomatiques et précieux pour la Russie.

LVSL : L’organisation d’une Coupe du monde pour une nation, c’est toujours bien pour développer le soft power ?

Cette justification domine, en tout cas depuis quinze ans, depuis que Joseph Nye a théorisé le soft power. L’idée, c’est d’expliquer que toute manifestation sportive concourt à nourrir l’image d’un pays à l’international, à marquer son influence, à accroître son rayonnement et à d’une certaine manière à l’inscrire sur la scène internationale.

La question du soft power est importante, elle est même essentielle mais on a tendance à oublier que pour une nation le fait d’organiser une Coupe du monde, c’est avant tout l’occasion d’aménager son territoire. Derrière chaque manifestation internationale sportive, il y a une volonté de réorganiser le territoire, de le réaménager en bénéficiant par exemple de procédures juridiques d’exception. On l’a vu à l’Euro 2016 avec des procédures juridiques simplifiées, des déclarations à l’international qui permettent de passer outre les réclamations des associations, de s’affranchir finalement d’une certaine légalité dans les procédures au nom de l’intérêt supérieur de l’Etat et de la nation.

Donc ce qu’on voit, c’est que toutes ces manifestations-là sont d’abord l’occasion de dynamiser l’économie, mais surtout de réaménager un territoire et de le valoriser. Je pense notamment à Londres, au quartier de Stratford avec le stade olympique, à Barcelone avec la redynamisation complète de la façade territoriale, ce qui en a fait de une des villes les plus visitées et attractive d’Europe. L’héritage de 92 est là. On va faire pareil à Paris avec la Seine-Saint-Denis. Il y a eu la même chose à Rio avec certains quartiers qui ont été créés de toute pièce qui visent à contrôler, diviser l’aménagement de ces grandes villes. Derrière cette manifestation internationale, oui il y a le soft power, oui c’est important, car aujourd’hui il permet finalement de montrer aux autres qu’on existe, qu’on est capables d’organiser une manifestation et qu’on est un Etat important. Mais ce n’est pas le seul élément qui pousse une nation à organiser un évènement international. Il faut toujours penser, que ce soit pour une Coupe du monde, un Euro ou une manifestation comme les Jeux Olympiques, que les motivations sont multiples. Si on prend Sotchi par exemple, l’idée était de redynamiser le Caucase, de dynamiser les réseaux de partisans inféodés au régime de Vladimir Poutine et à Moscou, dans une zone prompte à l’opposition. Tchétchénie, Abkhazie, etc… Si on prend l’exemple de la Corée du Sud, le choix de Pyeongchang pour les Jeux olympiques d’hiver de 2018 répond à des logiques multiples, d’abord économiques mais on voulait aussi dynamiser un espace qui est resté à l’écart. Donc il y a plusieurs logiques, spatiales déjà, politiques et finalement géopolitiques à toute organisation d’évènements de cette nature.

LVSL : A partir de 2026 la Coupe du monde sera à 48 équipes. Est-ce que c’est une bonne nouvelle pour le football ? Et est-ce que ça va permettre à des équipes qui ne se qualifient pas d’habitude de se montrer et même de faire des exploits comme l’Islande et le Pays de Galles à l’Euro 2016 ?

Pour ce qui est de la compétitivité d’une Coupe du monde à 48, il faut le voir de deux manières. En augmentant le nombre de participants, on augmente le nombre de pays concernés. En augmentant le nombre de pays concernés, on augmente le nombre de diffuseurs, donc de sponsors, donc de partenaires. La première des motivations c’est l’augmentation des revenus de la FIFA.

“Les manifestations sportives sont d’abord l’occasion de dynamiser l’économie, mais surtout de réaménager un territoire et de le valoriser.”

La deuxième motivation c’est que la Coupe du monde à 48 va sécuriser la présence des grands pays en Coupe du monde, qui par exemple ne participent pas à la Coupe du monde 2018, je pense aux Etats-Unis, à la Chine, c’est-à-dire des pays qui vont compter, dans les trente années qui viennent, sur la scène footballistique mondiale. Donc c’est une manière aussi de sortir de la domination bipolaire du football mondial qui se résume à une diagonale Europe-Amérique du Sud. La troisième raison c’est de terminer complètement la mondialisation du foot. Parce que là vous en faites véritablement un évènement global : avec 221 fédérations à la FIFA, globalement on aura un cinquième des fédérations à la Coupe du monde 2026.

Maintenant la question c’est de savoir si c’est profitable pour le football, et là c’est autre chose. Plus il y a de matchs, plus il y a de petites nations et plus il y a d’écart entre les Etats. Donc si on regarde ce qui s’est passé avec l’Euro 2016 (passé à 24 équipes au lieu de 16, ndlr), le premier tour a été globalement ennuyeux, plus défensif, moins enclin à des scores serrés et parfois révélateurs de très gros écarts. Donc on peut imaginer qu’une Coupe du monde à 48 va nous proposer des matchs qui risquent d’être très déséquilibrés.

C’est gênant parce qu’on risque d’avoir les mêmes résultats par exemple qu’en phase de groupes de Ligue des Champions, c’est-à-dire des scores fleuves qui rendent l’intérêt des matchs de premier tour moins grand. Après, on peut aussi se dire qu’à force de rencontrer de grandes équipes les petites nations vont progresser. Ces promesses n’engagent que ceux qui y croient. Pour le football, l’autre intérêt c’est qu’on va pouvoir voir des joueurs qu’on n’a pas l’habitude de voir et qui sont des têtes d’affiche dans de petites équipes. Je pense à l’Egypte et Mohammed Salah (star de Liverpool, ndlr), qui est présent en 2018. Et puis ça va permettre d’inclure tous les footballs moyen-orientaux, asiatiques et océaniens, qui sont aujourd’hui délaissés.

Je pense qu’on boucle simplement la boucle de la mondialisation du football et qu’aujourd’hui cette manifestation montrera vraiment qu’elle est globale parce qu’elle inclut tout le monde. Après, sera-t-elle intéressante ? On verra. Ce que je crois surtout c’est qu’elle pose une autre limite. Elle va limiter  les candidatures potentielles pour l’accueil parce que très peu d’Etats sont et seront en mesure d’accueillir 48 équipes, avec 48 camps de base, avec 48 camps d’entraînement, que ça va demander beaucoup plus de stades qu’une Coupe du monde à 32, donc ça accroît les coûts. On l’a vu avec la défaite marocaine pour la Coupe du monde 2026.

“Le passage à 48 équipes en 2026 est une façon de terminer la mondialisation du football.”

LVSL : Dans quatre ans la Coupe du monde est au Qatar, est-ce que ça va être en hiver, en été, est-ce qu’ils vont changer le calendrier compte-tenu des conditions climatiques du pays ?

La Coupe du monde 2022 aura lieu l’hiver. Les calendriers des championnats sont connus trois ans avant donc là ils sont en négociations depuis un an et demi. Depuis que le Qatar est désigné, il négocie. Ils sont vraiment rentrés dans les phases de désignation. Les calendriers, les faisceaux satellites sont bloqués quatre ans avant. Là il y a toute la dimension logistique à prévoir et ils sont encore en négociations. Cela va affecter tous les championnats européens et les championnats mondiaux. C’est vrai que c’est inhabituel et ça ne respecte pas le cahier des charges initial du Qatar, on verra bien comment ça va se dérouler. Il est clair qu’il y a un ajustement qui est fait. Je pense que la Coupe du monde aura lieu au Qatar quoi qu’il se passe. Reste à savoir dans quelles conditions elle se tiendra. La condition des femmes se pose, la condition des droits des homosexuels et des minorités aussi, celle des travailleurs immigrés sur place également, même s’il y a eu des améliorations sous la pression de la FIFA, des ONG et de l’opinion internationale.

Il faudra aussi se poser la question de l’acheminement des touristes et des pratiques qui sont occidentales et européennes dans des villes où la consommation d’alcool est normalement prohibée. On verra comment les sponsors s’organisent. Est-ce que des zones réservées aux supporters internationaux seront organisées et échapperont à la loi ? On a vu que dans toutes les grandes manifestations sportives internationales des lois d’exception pouvaient être mises en place.

Propos reccueillis par Gauthier Boucly.

Espagne : polémique surréaliste autour du nouveau maillot de la Roja

©Efraimstochter. Licence : CC0 Creative Commons.

Toute une histoire. Ce lundi 6 novembre, Adidas dévoilait le maillot que la sélection espagnole de football devrait arborer prochainement en Russie, à l’occasion de la Coupe du monde 2018.

L’équipementier, qui accompagne la Roja depuis plus de 30 ans, était probablement loin d’imaginer le tollé que son nouveau design allait provoquer. En cause, une illusion d’optique. L’association – heureuse pour les uns, scandaleuse pour les autres – du rouge et du bleu sur le flanc droit du maillot laisse apparaître une longue mais discrète bande violette désormais au centre de toutes les attentions.

Les puristes n’ont pas manqué de saluer l’hommage rendu par Adidas au maillot porté par la sélection lors du mondial de 1994 aux Etats-Unis, au cours duquel la Roja s’était hissée jusqu’en quarts de finale, avant de voir sa course au titre stoppée par la Squadra Azzura italienne. Mais la plupart des observateurs ont voulu voir davantage qu’un simple clin d’œil footballistique. Le violet, aujourd’hui associé aux mouvements féministes et au parti de gauche radicale Podemos, est avant tout l’une des trois couleurs du drapeau républicain espagnol. Ce drapeau, historiquement associé à la Seconde République (1931-1939) symbolise aux yeux des républicains les espoirs brisés du camp de l’émancipation, écrasé par la guerre civile et le franquisme. Profondément ancrée dans l’imaginaire d’une partie de la gauche espagnole – notamment la famille communiste – la « Tricolor » est aujourd’hui encore brandie par les opposants à la monarchie, partisans d’une Troisième République.

Les réseaux sociaux n’ont pas tardé à s’émouvoir de cette référence républicaine supposée. Les critiques fusent, plusieurs internautes y voient une erreur impardonnable : avant toute chose, le sport doit être un vecteur de rassemblement national, au-delà de la diversité des opinions politiques. L’Espagne est d’ores et déjà suffisamment divisée pour que les convictions politiques ne viennent polluer le monde du sport. Certains arguments, classiques, ne sont pas sans rappeler ceux opposés dans les années 2000 à l’association pour la récupération de la mémoire historique, qui œuvre à la réhabilitation des victimes de la dictature : à quoi bon ressasser un passé traumatique, sinon pour rouvrir d’anciennes plaies et mettre à mal la réconciliation entre les « deux Espagnes » ? Le nouvel équipement de la sélection est tout bonnement « répugnant », s’insurge ainsi Eduardo Inda, polémiste résolument marqué à droite, avant de s’enflammer dans une analogie pour le moins surprenante : « Vous imaginez si la sélection américaine avait mis le drapeau confédéré sur son maillot, celui des sudistes esclavagistes qui ont perdu la guerre ? ». Sur Twitter, une jeune femme s’indigne : « Ce sera quoi la prochaine fois : des maillots de la sélection avec le logo d’ETA ? ».

Rapidement, le maillot de la discorde a débordé la sphère des réseaux sociaux pour faire irruption dans l’arène politique. Plusieurs figures des gauches espagnoles s’en sont saisis, à l’image du député Gabriel Rufián, l’un des leaders indépendantistes de la gauche républicaine de la Catalogne, qui a préféré jouer l’ironie sur Twitter : « Rajoy, Sánchez et Rivera se réunissent en urgence afin de se mettre d’accord sur l’application de l’article 155 à Adidas ». Avant d’ajouter le lendemain, plus sérieusement : « Le maillot violet d’un footballeur pour le Mondial vous indigne davantage que la peine de prison infligée à une personne pour ses idées », en référence à l’incarcération le 2 novembre dernier d’Oriol Junqueras, l’ex-vice-président de la Généralité de Catalogne.

Alberto Garzón, coordinateur fédéral d’Izquierda Unida, en a lui aussi profité pour glisser un message politique en évoquant les origines du drapeau républicain sur son compte Instagram : il rappelle “cette tentative républicaine d’élargir les couleurs de la couronne d’Aragon (qui sont à la base du drapeau catalan et de la rojigualda) pour inclure le violet de Castille. Ce sont là les ironies de l’histoire, et le drapeau tricolore représente beaucoup mieux la richesse de l’Espagne que la rojigualda”. Une réflexion loin de passer inaperçue dans un contexte de tensions liées à la crise territoriale que traverse l’Espagne, que le jeune leader communiste propose de résoudre par l’instauration d’une République fédérale. Pablo Iglesias, qui avait déjà fait sensation en disputant un match de football en 2015 affublé d’un maillot aux couleurs de la République, s’est lui aussi exprimé : « Il y a longtemps que la sélection espagnole n’a pas porté un aussi beau maillot. Tou.te.s avec la Roja ».

D’après le quotidien sportif AS, c’est précisément ce tweet qui aurait donné à l’affaire sa tournure éminemment politique. L’ « appropriation indue » du nouvel équipement de la sélection par le leader de Podemos aurait vraisemblablement eu le don d’irriter le gouvernement de Mariano Rajoy. Le président de la Fédération royale de football espagnol (RFEF), Juan Luis Larrea, a déclaré au quotidien avoir reçu des plaintes « venues des hautes sphères », précisant que « le maillot et toute cette histoire ne font pas rire le gouvernement ». Au point que la Fédération décide dans l’urgence de suspendre la présentation officielle du nouvel équipement prévue ce mercredi, qui s’est donc limitée à la traditionnelle photo officielle de l’équipe.

Dans un communiqué conjoint avec la RFEF, Adidas tente d’éteindre la polémique en justifiant le design réalisé par des considérations purement stylistiques, « en dehors de toute connotation politique ». Juan Luis Larrea n’en a pas moins envisagé de faire jouer la sélection avec l’ancien maillot afin d’éviter que l’affaire ne prenne des proportions incontrôlées. Hier soir, Íñigo Méndez de Vigo, porte-parole du gouvernement, déclarait sèchement sur Antena 3 : « je crois que, par le passé, la sélection espagnole a eu des maillots plus beaux que celui-ci ». Le secrétaire d’Etat au Sport a quant à lui exigé que lui soit apporté sur son bureau un exemplaire du maillot tant décrié, raconte AS. Il est formel : « la bande est bleue », de quoi rassurer Adidas. Surréaliste.

Ce n’est pas la première fois que les tensions politiques qui secouent l’Espagne s’immiscent dans la sphère du football. Récemment, c’est le défenseur central de la sélection, le catalan Gérard Piqué, qui se trouvait sous le feu des critiques du fait de ses prises de position pro-indépendance. Le joueur du Barça avait été copieusement sifflé et insulté par les supporters lors d’un entraînement de la Roja au mois d’octobre.

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Foot, magouilles et pétrole : bienvenue à la CAN

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Chez Le Vent se Lève on aime la Coupe d’Afrique des nations ou CAN. Pardon, on adore la CAN. Du coup, quand la compétition reine du football africain a commencé on était tellement excité à l’idée de se farcir un bon vieux Burkina-Cameroun qu’on en a oublié d’écrire un article. Donc depuis samedi, les seize meilleurs nations africaines s’affrontent au Gabon et on a déjà eu le temps de se délecter, de s’endormir et surtout de s’interroger sur un tournoi qui en dit plus qu’il ne pense sur le continent noir. Etat des forces en présence.

La Côte d’Ivoire en favorite

L’édition 2017 s’annonce des plus ouvertes et ce ne sont pas les matchs nuls en pagaille depuis samedi qui vont aider les pronostiqueurs. Tentons tout de même de dégager quelques favoris : la Côte d’Ivoire tout d’abord sera en première ligne pour défendre son titre. Malgré l’absence du leader Yaya Touré, les Eléphants disposent d’une force de frappe offensive considérable, appuyé par un milieu bien en place. Cependant, le nul d’entrée concédé face au Togo lundi soir ne devrait pas rassurer les Ivoiriens. Placés dans un groupe compliqué, le Sénégal aura fort à faire face à l’Algérie. La victoire des Lions de la Teranga face à la Tunisie reste cependant le match référence de ce premier tour et a confirmé leur solidité défensive. Chez les Fennecs en revanche, leur statut d’ex-favori semble confirmé après leur match nul face au Zimbabwe et ce malgré un effectif impressionnant.

N’oublions pas l’Egypte ! Sept ans après leur dernière participation, les Pharaons de Mohammed Sala demeurent les redoutables outsiders d’une compétition qui leur réussit bien (sept titres, un record). Quant aux hôtes gabonais, le match nul en ouverture face à la Guinée-Bissau n’a pas dû rassurer. Mais devant leur public, les Panthères de Pierre-Aymeric Aubameyang auront certainement quelques avantages…

Le ballon et le pouvoir

Car oui, la CAN dispose de certaines traditions dont l’arbitrage maison semble malheureusement faire partie. En attendant les premiers penalties accordés au Gabon, notons que d’autres coutumes de la CAN ont été fidèlement respectées : une équipe a déjà menacé sa fédération de grève pour une sombre histoire de prime (la RDC), les stades ont bien été construits par des entreprises chinoises en échange d’un accès facilité au pétrole gabonais, une grande entreprise européenne – Total – sponsorise l’évènement qui se déroule bien dans une dictature ayant fait réprimer les contestations qui ont suivi la réélection contestée du président Ali Bongo. Si l’on excepte le concert de Booba lors de la cérémonie d’ouverture, le calme règne donc à Libreville. Le football et le business ne seront pas troublés par les exigences démocratiques des Gabonais. Au contraire, la CAN va une nouvelle fois servir de ciment national à un ensemble de régimes aux abois. En effet, la sélection nationale a souvent servie en Afrique à réaliser l’unité autour de jeunes Etats.

Mais pas besoin de lire les journaux pour voir que les rapports de domination Nord-Sud se perpétuent au Gabon. Un simple coup d’œil aux terrains suffit. Alors que le football est le sport le plus populaire du continent, l’immense majorité des joueurs de la CAN évoluent en Europe. En effet, la plupart des pays africains ne disposent pas de championnats professionnels de bon niveau. On assiste alors à une fuite des cerveaux vers l’Europe, comme dans d’autres secteurs de l’économie. Ne parlons même pas de la surreprésentation des joueurs nés ou formés en Europe, l’Afrique ne disposant que de peu de centres de formations de haut niveau.

La CAN, une histoire d’Africains ?

Remarquons également la composition des bancs de touches. Seuls quatre entraîneurs sont africains. Une fois de plus, la CAN va servir de débouché à un certain nombre de “sorciers blancs”, entraîneurs européens n’ayant pas réussi à percer sur le vieux continent. Le football est donc le reflet de la division internationale du travail. Au Nord donc le travail intellectuel, celui du donneur d’ordre, au Sud celui du travail physique, receveur d’ordre. En football non plus la décolonisation n’est pas terminée.

Couleurs chatoyantes, jeu enthousiasmant, surnoms rigolos… Profitons bien de la CAN, elle n’a lieu que tous les deux ans. Mais ne prenons pas pour une fatalité les maux qui l’accompagnent. Le football africain ne peut pas progresser dans le cadre actuel de corruption et de déstabilisation. Seul une Afrique souveraine et démocratique en est capable.

Des supporteurs gabonais, ravis de voir leur pays accueillir la CAN après la réélection d'Ali Bongo
Des supporteurs gabonais, ravis de voir leur pays accueillir la CAN après la réélection d’Ali Bongo

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FC Nantes : vers la fin de l’actionnariat ?

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La fin du match Nantes-Toulouse du 5 novembre dernier a été animée. Alors que les locaux égalisaient, une bande de spectateurs partis d’une tribune populaire tentaient d’envahir les loges pour s’en prendre au président et propriétaire du club Waldemar Kita. Derrière cet accès de violence se cache l’exaspération de plus en plus prononcée d’une large partie du public nantais face à la crise que traverse leur club. Mais l’ennemi est-il Kita ou le modèle actionnarial selon lequel fonctionne le foot moderne ?

« Kita casse-toi ! » Le slogan est simple, court, accrocheur. Depuis plusieurs années il s’est installé dans la tribune Loire, le kop du stade de la Beaujoire où se regroupent les plus fervents des supporters nantais. Les invectives envers l’homme d’affaires franco-polonais sont devenues tellement courantes qu’elles semblent être aussi importantes pour le public que les matchs en eux-mêmes. Il faut dire que cette saison le FC Nantes, historique du championnat de France, ne brille une fois de plus pas par ses exploits sportifs. Englués dans le ventre mou, les canaris ne semblent pas en mesure d’égaler leurs aînés, octuples champions de France. Alors pour le peuple, le coupable est tout trouvé : Waldemar Kita, responsable aux yeux des supporters de s’impliquer dans le domaine sportif auquel il est étranger, de dénaturer l’identité du club ainsi que de nuire à son image à cause d’une communication hasardeuse, si ce n’est totalement incontrôlée.

Les appels à la démission des dirigeants sont monnaie courante dans les stades. Ils représentent un degré assez élevé dans l’exaspération des supporters que le changement d’entraîneur ne suffira pas à calmer. Surtout ils traduisent un niveau de crise profonde dans le fonctionnement d’une structure sportive. Le cas nantais dépasse ce processus en ce sens qu’il ne vise pas uniquement le dirigeant Kita mais les dirigeants d’une manière générale. Le rachat du FCN par un riche investisseur russe ou qatari ne semble pas être une solution satisfaisante pour de nombreux amoureux des jaunes et verts. Pour comprendre comment on en est arrivé à ce stade de colère et d’envie de changement à Nantes, il faut regarder du côté de l’histoire et de l’imaginaire collectif local.

Parmi les clubs les plus titrés du championnat de France, le FCN s’est construit une identité distincte grâce à une combinaison de jeu collectif spectaculaire – dit jeu « à la nantaise » – et l’intégration de nombreux joueurs formés au club. Dans la mythologie du supporter nantais, l’âge d’or canari prend fin avec le passage du statut associatif au statut de société anonyme et le rachat en 2000 par Serge Dassault. S’ensuit une longue crise conclue par une pathétique relégation en Ligue 2 et un changement de propriétaire. Malgré la remontée en Ligue 1, seuls le kop Loire semble remplir son rôle au sein d’un stade qui se vide désespérément, las d’un spectacle toujours plus éloigné de ses attentes. Les invectives à l’encontre du propriétaire fusent régulièrement des tribunes au même titre que les chants de soutiens.

Car la vindicte populaire semble être le moyen le plus direct d’exprimer sa frustration. Le football français n’accorde aucune place aux supporters au sein de club pour les représenter. Tout juste un dialogue est-il établi avec les principaux groupes afin de garantir la sécurité dans les stades mais le plus souvent le public se résume à un ensemble de clients faisant fonctionner le système économique du football professionnel plus que des acteurs et parties prenantes d’un club. Alors que joueurs, entraîneurs et dirigeants vont et viennent au gré des aléas économico-sportifs, les supporters ne peuvent se détourner de leur équipe favorite en raison de la sacro-sainte règle : « on ne change jamais d’équipe de foot ». Alors les supporters restent là, malgré le saccage de ce qu’ils estiment être à eux et malgré le mépris de certains clubs pour qui leur rôle reste de payer sa place et d’animer le stade sans faire de vagues. A Nantes, le sentiment d’abandon de « l’identité » du club qui prédomine alimente la colère envers le modèle du foot business qui fait du propriétaire le décideur en dernier recours selon la formule mainte fois éprouvée par Waldemar Kita du « je paye donc je décide ». Pourtant dès que celui-ci en aura assez de son jouet – par crainte pour sa sécurité ? – où que sa présence dans les Panama Papers le rattrapera, que restera-t-il ? Peut-être qu’un nouvel investisseur rachètera le club et ceux qui suivent le club depuis des décennies iront prier qu’il se différencie de ses prédécesseurs. Ou peut-être que le club fera faillite et repartira dans les divisions amateurs. Pour l’instant le président joue sur cette peur pour justifier sa présence.

Mais cette dernière option ne serait-elle pas préférable pour les supporters nantais au vu des aspirations publiques ? L’association « A la nantaise » compte faire entrer une part d’actionnariat populaire au cours d’une cession future du FC Nantes afin de faire entendre la voix des supporters et ainsi préserver « l’identité » du club. Elle a déjà obtenu le soutien de nombreux acteurs locaux, de la mairie aux entreprises en passant par certaines anciennes gloires du club, indispensables pour obtenir un soutien publique crucial. L’actionnariat populaire existe déjà dans certains clubs espagnols. S’il a permis de préserver un ensemble de symboles auxquels les supporters sont attachés – notamment à Bilbao ou Barcelone – il n’a pas empêché les dérives marchandes de ces institutions désormais prêtes à tout pour engranger les résultats sportifs tant attendus par leur foule d’actionnaires. Mais si les actionnaires disparaissaient ? Et si l’objectif d’un club de football n’était plus la rentabilité financière mais le projet sportif et humain ? La restructuration du club permettrait sa reprise dans une forme de propriété collective et coopérative, seul moyen pour les supporters de s’approprier un objet d’aliénation. Des exemples existent déjà en Angleterre où des supporters dissidents ont fondé des clubs amateurs sur des bases coopératives. Face à la dépossession et à l’aliénation, divers moyens de lutte existent, tous impliquant de s’en prendre au pouvoir actionnarial qui régit le foot moderne. Le cas du FC Nantes, devenu champ de lutte, rappel que l’hégémonie culturelle se construit dans tous les domaines. Que l’on soit bien clair : la disparition d’un club de football professionnel à Nantes serait un crève-cœur pour de nombreux supporters. Mais elle serait peut-être la seule solution pour l’émancipation.

Edit : la tactique de harcèlement de certains fans semble toucher ses fruits. Dans un entretien en date du 19 novembre, M. Kita a fait part de sa lassitude, laissant la porte ouverte à une cession du club pour 1€ symbolique.

Pour aller plus loin :

  • Comment ils nous ont volé le football Antoine Dumini et François Ruffin, Fakir éditions. Un pamphlet à charge contre l’évolution du football moderne, reflet du capitalisme débridé.

  • Looking for Eric, film de Ken Loach mettant en scène la dépossession dont sont victimes les classes populaires britanniques vis-à-vis du football.

    Crédits Photo : ©Manuel MC https://www.flickr.com/photos/mcanevet/296602245/sizes/o/in/photostream/