Pourquoi Silvio Berlusconi est la figure politique emblématique de notre époque

Silvio Berlusconi en 2018. © Niccolò Caranti

Silvio Berlusconi, décédé à l’âge de 86 ans, a structuré la politique italienne autour de son empire télévisuel et a porté l’extrême droite au pouvoir. Prédécesseur de Donald Trump, il reste le symbole ultime de la marginalisation de la démocratie par le pouvoir des médias. Article de notre partenaire Jacobin, traduit par Alexandra Knez.

« La fin d’une époque ». C’est en ces termes que le quotidien italien La Repubblica a parlé de la mort de Silvio Berlusconi, en soulignant sa centralité dans la vie publique italienne durant plusieurs décennies. Cette mise en avant de sa stature « historique » est finalement plus indulgente que l’évoquation de ses liens avec la pègre, ses abus de pouvoir ou son utilisation du Parlement pour défendre son empire télévisuel. Pourtant, dire que sa mort marque la fin d’une époque revient à mal comprendre les changements qu’il a incarnés. De l’actuel gouvernement italien d’extrême droite à la montée du trumpisme aux États-Unis, nous vivons en effet toujours dans le monde de Berlusconi.

En 1994, la première campagne électorale du magnat des médias a inauguré de nombreux changements qui se sont rapidement répandus dans les démocraties occidentales. Axant sa campagne sur la résistance à une gauche prétendument surpuissante, il s’est présenté à la tête non pas d’un parti de masse, mais d’une start-up baptisée Forza Italia. Ses listes électorales étaient composées de ses alliés du monde des affaires, sa campagne s’est déroulée sur ses propres chaînes de télévision privées et son appel en faveur d’une Italie « libéralisée » et libre-échangiste a été associé à l’utilisation du pouvoir de l’État au service de ses propres intérêts commerciaux. En bref, il s’agissait d’une privatisation sournoise de la démocratie italienne.

Cela a été possible grâce à la décomposition de l’ancien ordre politique, ébranlé par un scandale de corruption connu sous le nom de « Tangentopoli », lequel a fait sombrer les anciens partis de masse entre 1992 et 1994. Dans une atmosphère de perte de confiance des citoyens dans leurs institutions, Forza Italia et ses alliés ont prétendu représenter un nouveau mouvement de « libéralisation » et dénigré les « politiciens » élitistes. Le Movimento Sociale Italiano (MSI), parti néofasciste allié à Berlusconi, s’est lui réinventé en parti de « la gente » – des gens ordinaires – et non du « tangente » – du pot-de-vin.

Berlusconi, membre de longue date de la loge maçonnique P2 – qui avait, par l’intermédiaire de son associé Marcello Dell’Utri, des liens avec la mafia – était un choix plutôt surprenant pour représenter ce changement d’époque. En réalité, son règne a au contraire renforcé les liens entre le pouvoir de l’État et les intérêts troubles du monde des affaires. Pourtant, la nouvelle droite qu’il dirigeait a réussi à rallier une minorité importante d’Italiens à son projet, remportant régulièrement les élections alors que la base de la gauche se fragmentait. Si les problèmes juridiques de Berlusconi ont bien fini par entraver sa carrière politique, il laisse derrière lui un espace public durablement affaibli et une droite radicalisée.

La fin de l’histoire

La fin de la guerre froide a joué un rôle décisif dans l’effondrement de l’ancien ordre politique italien et dans la libération des forces qui ont porté Berlusconi au pouvoir. Au milieu du triomphalisme de la « fin de l’histoire » et de ses petites querelles idéologiques, les médias libéraux ont parlé avec enthousiasme d’une opportunité historique : la chute du mur de Berlin permettrait engin de créer une Italie « moderne », « normale », « européenne », qui pourrait renaître des cendres des anciens partis de masse. Les communistes repentis se sont transformés en sociaux-démocrates ou en libéraux, et les partis démocrate-chrétien et socialiste, longtemps puissants, ont disparu sous le poids des affaires de corruption. Les massacres orchestrés par la mafia qui marquèrent le début des années 1990 rendirent encore plus urgent l’appel à l’assainissement de la vie publique italienne – et à l’imposition de l’État de droit par une administration efficace et rationnelle.

L’implosion des partis de masse et de leurs racines sociales n’a pas donné naissance à un domaine public plus moral, enfin libéré du clientélisme, mais plutôt à sa capture par ceux qui, comme Berlusconi, détenaient déjà le pouvoir par des moyens non électoraux.

La première incursion de Berlusconi dans l’arène électorale était une réponse à ce même moment de refondation – mais, tout en exploitant également un esprit « post-idéologique », elle pointait dans une direction presque opposée. L’implosion des partis de masse et de leurs racines sociales n’a pas donné naissance à un domaine public plus moral, enfin libéré du clientélisme, mais plutôt à sa capture par ceux qui, comme Berlusconi, détenaient déjà le pouvoir par des moyens non électoraux. Alors que dans les décennies d’après-guerre, le Parlement et même la radio-télévision publique avaient été dominés par les partis qui avaient mené la résistance contre le fascisme, la situation commençait à changer. L’empire commercial de Berlusconi, d’abord constitué dans l’immobilier, notamment dans le Milan très yuppie des années 1980, ont fait de lui le symbole d’un hédonisme entrepreneurial dynamique. Grâce à ses liens avec le parti socialiste de Bettino Craxi, il a pu, au cours de ces mêmes années, transformer ses réseaux de télévision locaux en chaînes nationales privées.

L’effondrement des anciens partis a également alimenté une « peopolisation » de la vie publique, associée à la recherche de leaders « présidentiels » à l’américaine. Bien au-delà de Berlusconi lui-même, une foule d’hommes d’affaires, de juges et de technocrates se sont disputé le contrôle de l’arène électorale en tant que figures supposées « salvatrices », capables de sortir l’Italie de ses errements de la politique politicienne et des combats idéologiques. Cette personnalisation de la vie publique a sans doute atteint son paroxysme pendant les neuf années où Berlusconi a été Premier ministre, entre 1994 et 2011. Ses propos sexistes et racistes récurrents, sa banalisation du fascisme historique et ses dénonciations des attaques des magistrats prétendument « communistes » à son encontre ont mis en rage ses adversaires et attisé sa propre base.

Durant cette période, le centre gauche est régulièrement tombé dans le piège consistant à faire des méfaits personnels du magnat le centre de sa propre action politique – en tentant sans cesse d’atteindre les franges soi-disant « modérées » de la base de Berlusconi dont on pensait qu’ils finiraient par se lasser de ses frasques. A l’inverse, la priorité absolue accordée aux milieux d’affaires et à la « libéralisation » économique en tant que modèle pour l’avenir de l’Italie ont été beaucoup moins contestés, alors qu’elles affectaient bien plus la vie quotidienne de l’électorat populaire.

Dans une certaine mesure, la corruption personnelle de Silvio Berlusconi a été son talon d’Achille politique. En 2013, il finit par être interdit d’exercice de toute fonction publique à la suite d’une condamnation pour fraude fiscale, ce qui a mis fin à sa position de chef de file de l’alliance de droite et a rapidement ouvert la voie à la Lega de Matteo Salvini. Cependant, au moment où cela s’est produit, le centre gauche avait déjà rejoint le gouvernement avec lui, car l’imposition de mesures d’austérité après la crise de 2008 nécessitait des « grandes coalitions » censées dépasser les clivages politiques.

La radicalisation de la droite italienne

Aujourd’hui, Forza Italia n’est plus la force dominante de la droite italienne : elle est désormais un partenaire minoritaire de la coalition dirigée par les postfascistes de Giorgia Meloni. Des alliés historiques de Berlusconi, comme Gianfranco Miccichè, patron de longue date du parti en Sicile, ont déjà déclaré qu’il était peu probable que Forza Italia survive sans son fondateur historique. Pourtant, si le parti lui-même est à bout de souffle, la transformation berlusconienne de la vie publique italienne est toujours d’actualité.

L’accent mis sur les intérêts personnels de Berlusconi et sur sa personnalité excentrique peut également occulter l’effet plus concret qu’il a eu sur le système des partis.

En effet, l’accent mis sur les intérêts personnels de Berlusconi et sur sa personnalité excentrique peut également occulter l’effet plus concret qu’il a eu sur le système des partis. En 2019, Berlusconi lui-même a apporté des éclaircissements à ce point, au cours d’un discours dans lequel il s’est vanté de son rôle historique dans la construction de la coalition de droite, alors qu’il n’était déjà plus dans la fleur de l’âge. « C’est nous qui avons légitimé et constitutionnalisé la Lega et les fascistes », a-t-il insisté, en formant un gouvernement avec ces forces en 1994, alors que les autres partis les refusaient alors en tant qu’alliés potentiels. Il a tenu ces propos dans un discours où il prenait ses distances avec le nationalisme italien « souverainiste », laissant entendre qu’il avait modéré ces forces en les intégrant à de hautes fonctions. Pourtant, le bilan réel est beaucoup plus mitigé.

Après de nombreux changements et des ruptures sporadiques, cette alliance de base – Forza Italia de Berlusconi, avec la Lega nord régionaliste et les héritiers du fascisme, aujourd’hui organisés en Fratelli d’Italia – a duré près de trois décennies. Ces dernières années, le magnat s’est présenté comme un garde-fou « pro-européen » contre les tendances « populistes », mais dans l’ensemble, les politiques identitaires nationalistes de cette coalition se sont radicalisées sous la direction de Salvini et maintenant de Meloni.

Cette ouverture relevait en partie du révisionnisme historique et visait à banaliser le bilan du fascisme. Certes, les affirmations du milliardaire selon lesquelles Benito Mussolini « n’a jamais tué personne » étaient offensantes pour les antifascistes et ceux qui se ont vécu sous le régime fasciste. Il ne s’agissait pas seulement du passé, mais aussi de faire passer l’Italie et les Italiens pour des victimes du politiquement correct imposé par la gauche et de son hégémonie culturelle qui viendrait plus de son poids au sein des élites culturelles que d’une légitimité obtenue dans les urnes. Berlusconi a également cherché à modifier ce qu’il a appelé la Constitution italienne « d’inspiration soviétique », rédigée par les partis de la Résistance en 1946-47, et à la remplacer par une constitution centrée sur un chef. Aujourd’hui, Meloni promet de poursuivre le même programme : non seulement un révisionnisme historique, mais aussi une mise à mort définitive de l’ordre politique d’après-guerre et de ses partis de masse, par le biais d’une réécriture de la Constitution elle-même.

Vendredi dernier, l’animatrice de télévision Lucia Annunziata a affirmé que les projets de Meloni de réécrire le document et de saturer le radiodiffuseur public RAI d’alliés politiques visaient à créer un « ordre au sommet avec son propre Istituto Luce », en reference à l’appareii de propagande du régime fasciste. L’actuel gouvernement a également été maintes fois comparé à celui du dirigeant hongrois Viktor Orbán. Mais il est aussi le pur produit d’une histoire italienne plus récente, marquée par la chute de la participation démocratique, la montée d’un nationalisme basé sur le ressentiment et un « anticommunisme » qui a largement survécu à l’existence réelle des communistes.

Berlusconi n’a certainement pas vidé la démocratie italienne de sa substance ni donné un coup de pouce à l’extrême droite à lui tout seul. Mais il en est le représentant emblématique, le visage souriant, la figure à la fois ridicule et sombre qui navigue entre blagues racistes et législation réprimant les migrants, entre références « indulgentes » à Mussolini et répression policière meurtrière lors du sommet du G8 à Gênes en 2001. Comme George W. Bush, dont il a soutenu la guerre d’Irak avec le concours de troupes italiennes, Berlusconi fera plus tard presque figure de personnalité positive par rapport à la droite plus dure et plus radicale qui l’a suivi, son amour pour les caniches bénéficiant d’un espace médiatique extraordinaire sur la RAI.

Pourtant, loin d’être une période heureuse qui contraste avec les maux d’aujourd’hui, le règne de Berlusconi a engendré les monstres qui ont suivi. La banalisation de son bilan aujourd’hui, en tant que partisan de l’Europe ou de l’OTAN ou même qu’opposant au « populisme », montre à quel point le courant politique dominant a basculé vers la droite et combien les critères de la « démocratie libérale » se sont effondrés. Berlusconi n’est plus mais nous vivons toujours dans son monde.

En Italie, Salvini plus que jamais leader de l’opposition

© State Department photo by Michael Gross

Largement en tête des sondages d’opinion avec entre 33 et 36% des intentions de vote, Matteo Salvini a confirmé qu’il était bien le leader de l’opposition au gouvernement formé par le Parti Démocrate (PD) et le Mouvement 5 Étoiles (M5S). À l’origine du grand rassemblement « Orgoglio Italiano » (fierté italienne) rassemblant une grande partie de la droite italienne à Rome, en compagnie de Forza Italia (centre-droit) et Fratelli d’Italia (extrême droite) le samedi 19 octobre, le chef de la Ligue en a été le principal protagoniste, adoubé par une foule nombreuse – près de 200 000 personnes selon les organisateurs – et conquise.


On était restés sur l’image d’un Matteo Salvini déçu après la chute de la coalition gialloverde qu’il dirigeait en compagnie du Mouvement 5 Étoiles, mais l’ex-ministre de l’Intérieur semble s’être rapidement remis de ce revers. Ce samedi 19 octobre à Rome, le chef de la Ligue a réussi le pari qu’il s’était lancé : réunir la grande famille de la droite italienne pour un rassemblement contre le gouvernement dirigé par Giuseppe Conte. « Nous sommes venus jusqu’à Rome pour manifester contre un gouvernement antidémocratique, que l’on juge illégitime », déclare Andrea, jeune entrepreneur de 25 ans qui arbore fièrement le drapeau d’un mouvement favorable à l’autonomie de sa région, la Vénétie. Comme lui, de nombreux militants de province ont rallié la capitale pour l’occasion. Tous ne partagent pas les mêmes idées, loin s’en faut – en plus des trois partis précédemment cités, de nombreuses organisations régionalistes étaient présentes, ainsi que des groupuscules néo-fascistes comme CasaPound –, mais leurs avis concordent sur un point : le gouvernement en place n’est pas légitime.

Unis contre le gouvernement…

Le désamour de la droite pour la coalition PD-M5S a atteint un tel point de non-retour que, dès lors que les intervenants successifs ont évoqué certains de leurs représentants, une bronca s’est abattue, bien souvent mêlée à quelques noms d’oiseaux. Encore allié de la Ligue – ou du moins membre du même gouvernement – il y a moins de deux mois, le Mouvement 5 Étoiles est désormais considéré comme l’ennemi juré par l’ensemble de la droite italienne, accusé d’avoir retourné sa veste en formant une coalition avec la gauche afin de rester au pouvoir. « Les 5 Étoiles ont tout fait pour bloquer de nombreuses réformes de la Ligue, détaille Richard Heuzé, ex-correspondant du Figaro à Rome et auteur du livre Matteo Salvini, l’homme qui fait peur à l’Europe, paru en août 2019. Depuis le mois de mai 2019, il y a une forte rancœur qui est née au sein de la Ligue contre le Mouvement 5 Étoiles. Ils passent pour des traitres aux yeux des gens de la Ligue, et il n’est donc pas étonnant que ses membres soient conspués ».

Ainsi, de nombreux slogans « Elezioni ! » réclamant la tenue prochaine d’un nouveau scrutin se sont fait entendre parmi l’assistance, mais également parmi les responsables politiques qui se sont succédé sur la scène. Cependant, un appel aux urnes dans un futur proche semble peu probable selon Vincenzo Emanuele, universitaire et membre de plusieurs instituts de recherche en science politique : « Le PD et le M5S ont tous deux intérêt à maintenir la coalition jusqu’à son terme ‘naturel’ en 2023, car ils encourent le risque d’une victoire probable de Salvini en cas d’élection ».

 

“Jamais avec le PD, jamais avec les 5 Étoiles” : le message est clair

 

Le professeur italien a également tenu à rappeler avant le rassemblement que le principal défi de Salvini consistait à « maintenir son contrôle sur le centre-droit, de façon à renforcer sa légitimité ». Ces prédictions semblent avoir été confirmées après le véritable coup de force réalisé par le chef de la Ligue ce samedi. En effet, en plus d’envoyer un signal fort au gouvernement, Matteo Salvini s’est imposé comme le chef de file de la droite italienne devant Forza Italia et Fratelli d’Italia. Une domination qui n’a au fond rien de surprenante si l’on se fie aux récents sondages, qui créditent chacune de ces formations à environ 8% d’intentions de vote, mais qui s’est traduite de manière concrète par le déroulé des évènements. En véritable chef d’orchestre, Salvini a réussi à tourner une grande partie de l’évènement autour de sa propre personne, reléguant clairement au second plan les dirigeants des deux autres partis, Silvio Berlusconi et Giorgia Meloni. Le premier cité (83 ans) est apparu fatigué et a semblé donner l’impression d’être resté bloqué au siècle précédent, évoquant notamment à plusieurs reprises un curieux « danger communiste » qui rodait autour de l’Italie. À l’inverse, la présidente de Fratelli d’Italia a su convaincre le public en prononçant un discours musclé et très à droite. Racines chrétiennes de l’Italie, rhétorique anti-migrants et anti-taxes ou encore défense de la famille traditionnelle sont autant de thèmes développés durant sa déclaration, prononcée devant un écran affichant le slogan quelque peu troublant du parti : Dieu, Famille, Patrie.

… mais aussi pour Salvini

Pour autant, l’engouement autour de Giorgia Meloni a paru bien faible à côté de la popularité record de Matteo Salvini. T-shirts et banderoles à son effigie étaient légion, et les familles qui se photographiaient faisaient du nom « Salvini » leur « ouistiti ». Surtout, de nombreux drapeaux indiquant le slogan « Salvini Premier » – « car c’est le premier dans les sondages » selon un militant de la Ligue sous couvert d’anonymat, flottaient sur la grande place San Giovanni. Il Capitano a massivement joué de cette popularité, réclamant à plusieurs reprises les applaudissements d’un public conquis qui scandait son prénom en retour. Parallèlement, les personnes amenées à prendre la parole sur scène, qu’elles fussent politiciennes ou responsables de syndicats de police, n’ont pas hésité à remercier « Giorgia, Silvio mais surtout Matteo » pour l’invitation. De quoi oublier que l’évènement était conjointement organisé par les trois partis.

Salvini Premier

Croisée par hasard au milieu de la foule, la journaliste de la RAI Daniela Mecenate confirme l’engouement autour de la figure de Salvini : « En parlant avec les gens, je me suis rendu compte que la grande majorité d’entre eux sont venus pour Salvini, qui est devenu le nouveau leader grâce aux bons résultats électoraux de son parti. Alors qu’il n’était auparavant qu’une personnalité politique de second plan, le voici aujourd’hui capable de rassembler le populisme italien ». Alors que la journaliste de la RAI prononce ces mots, une militante de la Ligue l’arrête immédiatement : « Ce n’est pas du populisme, c’est du bon sens ! ». Pourtant, le discours de Matteo Salvini montre une réelle tentative de mobilisation du peuple à travers sa propre figure. Lui-même aime ainsi se considérer comme un populiste, comme il l’a déclaré dans un entretien donné au Point la semaine dernière (« Être populiste est un compliment. Cela signifie être proche des gens »).

Daniela Mecenate insiste de plus sur le rôle-clé du patron de la Ligue : « Lors des principales manifestations de centre-droit, Berlusconi et son parti Forza Italia étaient l’élément mobilisateur. Désormais, c’est la Ligue qui joue ce rôle ». Voir ces deux partis côte-à-côte malgré quelques divergences idéologiques est d’ailleurs quelque chose d’intriguant : en Italie, il n’existe pas de cordon sanitaire pour faire face à une extrême droite jugée fréquentable par beaucoup. Susana, militante de Forza Italia depuis sa création en 1994, avoue à demi-mot qu’un gouvernement formé avec la Ligue ne la dérangerait pas : « Je crois en un gouvernement de centre-droit uni ». Après tout, l’ex-Ligue du Nord n’a-t-elle pas participé à trois reprises aux gouvernements dirigés par Silvio Berlusconi (1994-1995 ; 2001-2005 et 2008-2011) ? Pour Richard Heuzé, ce positionnement peut également s’expliquer par la volonté d’exister politiquement pour un parti désormais en plein déclin : « Pour Forza Italia, c’est une question de survie. S’ils faisaient route à part, ils disparaitraient très rapidement : alors qu’ils ont récolté 14% des suffrages exprimés en mars 2018, ils sont désormais à 7% d’après les derniers sondages. Être avec Salvini est une garantie d’avoir une représentation »

Foule

Renzi, nouveau meilleur ennemi ?

Devant la foule conquise, le leader n’hésite pas à flatter ses fans, les qualifiant de « vraie Italie » (« Italia vera »). Des mots auxquels réagissent immédiatement de nombreux militants, criant « Italia vera, et pas Italia Viva », en référence au nom du nouveau mouvement lancé, hasard du calendrier, ce même jour par Matteo Renzi au cours d’une manifestation dans son fief de Florence. De l’avis de tous, l’ancien secrétaire du PD (2013-2018) représente un vrai danger pour la droite. Matteo Salvini n’a ainsi pas manqué de faire référence à plusieurs reprises à la Leopolda, nom du rassemblement pro-Renzi, déclenchant des huées à l’unisson. La confrontation Salvini-Renzi pourrait d’ailleurs rapidement s’implanter comme un nouveau vrai clivage dans le pays transalpin. À ce titre la RAI ne s’y est pas trompée, puisqu’elle a organisé ce mardi 15 octobre un débat retransmis en prime time opposant les deux hommes, visualisé par près de 4 millions d’Italiens.

« Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un nouveau clivage, tempère l’universitaire Vincenzo Emanuele. Cependant, chacun des deux leaders reconnaît l’autre comme un vrai adversaire. Ce débat les a tous les deux favorisés, surtout Renzi qui n’est pour le moment crédité que de 4 ou 5% d’intentions de vote. Lui offrir l’opportunité de débattre contre l’homme politique le plus puissant d’Italie est une formidable façon de le légitimer ». Dans sa critique émise envers l’homme politique florentin, Matteo Salvini voit plus loin et table sur la mise en place d’un affrontement entre un peuple qu’il prétend représenter, et une élite caractérisée par Renzi et ses alliés.

Cette démonstration que fait le dirigeant de la Ligue est quelque peu contradictoire, puisque lui-même mise sur un programme économique très libéral. On se souvient, notamment, de la volonté d’introduire une flat-tax dans son programme électoral en vue du scrutin de mars 2018. De plus, Matteo Salvini est largement soutenu par les élites du Nord de l’Italie et ne s’en cache pas, ce qui pourrait s’avérer contradictoire à l’heure de faire les yeux doux à l’électorat plus populaire qu’il vise. Ainsi, le discours économique de Fratelli d’Italia se veut davantage protectionniste, rappelant celui du Rassemblement National. Pendant son discours, la leader Giorgia Meloni a notamment fustigé l’Union européenne menée par la France et l’Allemagne, tandis que Matteo Salvini s’est bien gardé d’évoquer le sujet. Ces divergences entre les différents partis de centre-droit montrent ainsi que, s’ils se rejoignent assurément sur certains points (immigration), ils présentent des visions économiques diamétralement opposées.

En monopolisant l’attention des militants et des journalistes – qu’il ne s’est pourtant pas privé de critiquer -, Matteo Salvini a incontestablement confirmé qu’il était l’homme politique du moment en Italie. Celui qui a déclaré la semaine dernière dans les colonnes du Point qu’il était prêt à gouverner « demain matin, dans six mois ou dans un an » confirme sa soif de pouvoir et se sait soutenu par une part non négligeable de la population italienne. Cependant, rien ne garantit que sa popularité restera aussi haute dans les mois à venir, et le voir en haut de l’affiche en 2023 – si de nouvelles élections ne sont pas convoquées entre temps – est tout sauf certain. « Ces dernières années en Italie, le leadership politique s’effectue vraiment à court terme, conclut Vincenzo Emanuele. Si Salvini a acquis une grande légitimité ces derniers mois, il est impossible de savoir s’il restera populaire encore longtemps ». L’universitaire estime cependant que le discours sur l’immigration est le principal marqueur de popularité de Matteo Salvini : « Tant que l’immigration est perçue comme le problème le plus important, je pense qu’il restera le principal leader ». D’ici là, le natif de Milan aura l’occasion de tester ses résultats électoraux lors de différents scrutins locaux, à commencer par les élections prévues dans différentes régions cette année. Avec une large victoire en Ombrie – pourtant historiquement ancrée à gauche – le 27 octobre, on peut légitimement penser que la phase de conquête de Matteo Salvini est entamée.

Grandeur et décadence du Mouvement cinq étoiles

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Beppe_Grillo_-_Trento_2012_02.JPG
Beppe Grillo, figure historique du M5S ©Niccolò Caranti

Le Mouvement cinq étoiles, en Italie, constitue un objet de fascination pour les politistes, tant il défie les catégories établies pour caractériser les formations politiques en fonction de leur type d’organisation ou de leur orientation idéologique. Emblématique de « l’ère populiste » dans laquelle nous sommes censés être plongés, et outsider autoproclamé du paysage politique italien, ce mouvement original et hétéroclite a connu une ascension rapide, jusqu’à sa nette victoire lors des élections législatives de mars 2018 et son accession au pouvoir en coalition avec la Lega de Matteo Salvini. Pourtant, la dynamique semble depuis lors s’être essoufflée, à tel point que le rapport de force entre les deux partis de gouvernement s’est inversé au profit des leghisti. Les difficultés rencontrées par les Cinque Stelle sont nombreuses, du chaotique exercice du pouvoir au niveau local à l’absence d’identité politique claire à opposer à la ligne de droite radicale avancée par Salvini, en passant par la difficile gestion de l’évolution organisationnelle rapide du parti. Au-delà de certains traits idiosyncratiques du mouvement, la plupart des difficultés qu’il rencontre peuvent être comprises en croisant l’approche laclauienne du populisme et l’analyse politologique du contexte politique de l’Italie post-guerre froide.


 

Le 4 mars 2018, jour des dernières élections législatives italiennes, David Broder publiait dans Jacobin un article au titre provocateur : « Italy is the Future »[1]. Quoi ? Un pays traînant le boulet d’une dette publique considérable et d’une croissance économique atone, décrié pour sa gestion clientéliste des ressources publiques, marqué par des profondes inégalités territoriales, en proie à la succession de mouvements populistes depuis trente ans, témoin impuissant de la montée d’une extrême droite néo-fasciste, incarnerait l’avenir de l’Europe ? Une telle affirmation était d’autant plus subversive qu’elle heurtait de plein fouet le récit dominant, porté par l’extrême-centre de Tony Blair à Emmanuel Macron, selon lequel l’avenir réside dans « l’économie de la connaissance », la flexibilité, l’ouverture, la rationalisation. Ce récit portait en lui un diagnostic qui a joué le rôle de mantra pendant la crise de la zone euro : les économies de la périphérie européenne étaient inadaptées, il fallait les réformer en profondeur pour qu’elles puissent jouir à plein des bienfaits de la mondialisation et de l’intégration européenne par les marchés. Dans ce contexte, la « tentation populiste » – il y aurait beaucoup à dire sur le recours à un champ lexical de l’antéchrist dans le discours antipopuliste, mais ce n’est pas notre objet ici – est elle-même perçue comme un signe de l’arriération de certains secteurs de la population, les fameux « perdants de la mondialisation ». Souvent à leur insu, les observateurs qui proposent ce genre d’interprétations retombent en fait sur un vieux topos des théories de la modernisation en vogue dans les années 1960 et 1970, qui percevaient la montée en puissance de certains mouvements et régimes dans les pays du Tiers-monde comme la marque d’une résistance de certains secteurs de ces sociétés contre les transformations induites par la modernisation/mondialisation[2].

Il y avait donc un côté extrêmement provocateur et contre-intuitif à considérer que l’Italie puisse incarner une quelconque version du « futur de l’Europe ». Pourtant, à y regarder de plus près, il bel paese a présenté de façon extrêmement précoce et marquée l’ensemble des traits que les politologues désignent comme des évolutions structurelles des démocraties occidentales : déclin de la participation politique, effondrement des partis traditionnels et de la gauche historique en particulier, médiatisation et personnalisation de la vie politique, montée en puissance concomitante de la technocratie et du populisme, résurgence de l’extrême droite, etc. Les appareils de partis de masse qui avaient marqué la politique italienne de l’après-guerre se sont en effet effondrés ou ont connu une recomposition forcée à la suite du scandale de Tangentopoli au début des années 1990 ; la montée en puissance de Berlusconi a préfiguré celle de nombreux leaders populistes actuels ; l’accès aux responsabilités exécutives se partage depuis lors entre des gouvernements populistes, d’extrême-centre et « technocratiques » (Lamberto Dini, Mario Monti) ; la Lega Nord, enfin, s’est très tôt affirmée comme mouvement précurseur de la déferlante d’extrême droite qui touche aujourd’hui le continent européen.

La convergence des principaux partis de gouvernements autour de la nomination du gouvernement « technique » et sévèrement austéritaire de Mario Monti, a achevé de décrédibiliser la classe politique italienne.

À ce contexte de moyen terme, marqué par de profondes évolutions du paysage politique italien, il faut ajouter celui de la crise de la zone euro et de sa gestion dans la péninsule. La convergence des principaux partis de gouvernements autour de la nomination du gouvernement « technique » et sévèrement austéritaire de Mario Monti, a achevé de décrédibiliser la classe politique italienne. Cette alliance dissipait en effet les dernières illusions d’une alternance possible et véhiculait l’image d’élites complices et soumises aux injonctions européennes. Bref, le scénario de la « post-politique », ou de la gouvernance « post-démocratique », pour reprendre les termes utilisés respectivement par Chantal Mouffe et Colin Crouch, semblait se matérialiser pleinement.

C’est dans ce double contexte qu’il faut comprendre l’ascension du Movimento Cinque Stelle (M5S), créé formellement en 2009 et qui connaît ses premiers succès électoraux durant les années de crise économique, avant que sa progression régulière ne finisse par lui ouvrir les portes du gouvernement national en 2018, en tant que première force politique de la botte. Mouvement atypique du point de vue organisationnel et idéologique, il a su se poser en unique alternative à « l’establishment », canaliser la profonde désaffection des citoyens à l’égard de celui-ci et se construire dans l’espace laissé vide entre l’individu et l’État par la désagrégation des appareils partisans. La lune de miel entre le M5S et l’électorat italien semble pourtant déjà bel et bien terminée. Outre les difficultés liées à la normalisation et à l’institutionnalisation d’un jeune mouvement qui avait fait de son extériorité au « système » sa marque de fabrique, les précoces expériences d’exercice du pouvoir au niveau local (à Turin et à Rome, en particulier) n’ont pas été sans heurts ni sans polémiques. Surtout, les récentes élections européennes ont acté une transformation radicale du rapport de force entre les deux acteurs du gouvernement italien, le Movimento et la Lega : alors que le premier a vu son score passer de 32% à 17% entre le scrutin législatif national et le scrutin européen, le second a opéré un bond spectaculaire de 17% à 34% sur la même période. Depuis lors, le leader de la Lega a profité de son avantage pour précipiter une crise de gouvernement, dont l’issue reste pour l’instant très incertaine et qui pourrait même, paradoxalement, raviver un M5S moribond. C’est ici que les cinq étoiles posent un défi intellectuel majeur : est-il possible de comprendre à la fois leur ascension fulgurante et leurs déconvenues à partir d’un même prisme d’analyse ? Pour cela, il faut évoquer le contexte politique italien de ces trente dernières années afin d’analyser ce qui, parmi les caractéristiques propres du Mouvement cinq étoiles, détermine sa faculté d’adaptation à celui-ci tout autant que son incapacité à le transformer véritablement.

La post-démocratie du vide

L’Italie, décrite comme une « particratie », lieu par excellence de la confrontation entre partis fortement organisés et idéologisés pendant la guerre froide (en particulier entre la démocratie chrétienne et l’eurocommunisme), a bien changé depuis lors. Le scandale de corruption survenu au début des années 1990 (Tangentopoli) y a provoqué un véritable séisme politique et forcé la disparition (ou la recomposition) des forces dont l’opposition avait rythmé la vie politique des quarante années antérieures. Le pays est devenu, en l’espace de quelques années, un véritable laboratoire politique des évolutions que connaissent aujourd’hui peu ou prou toutes les démocraties occidentales.

L’effondrement des partis de masse italiens intervient en pleine période de triomphe néolibéral et de proclamation de la « fin de l’Histoire », symbolisée en Italie par l’émerveillement candide d’Achille Occhetto, dernier secrétaire du Parti communiste italien, devant le spectacle des gratte-ciels de Manhattan[3]. La disparition des appareils partisans traditionnels n’a pas donné lieu à l’émergence de formations du même type. Les nouvelles forces politiques de la « Seconde République » n’étaient plus ces structures intermédiaires, ancrées dans des univers sociaux bien distincts et fonctionnant comme des lieux-objets de l’identification collective. La forme classique du parti politique du XXème siècle était en effet celle d’une organisation fortement structurée, dotée d’un ancrage social et territorial profond et stable. Elle fonctionnait comme une courroie de transmission entre les groupes sociaux et l’État, dans les deux directions : d’une part, elle agissait comme vecteur d’expression et de représentation des revendications de sa base sociale dans les institutions étatiques et, d’autre part, elle contribuait à l’encadrement et à la politisation de cette base tout en veillant à la satisfaction de ses revendications par la redistribution de ressources publiques. Elle était à la démocratie ce que les corporations étaient à l’Ancien Régime.

Les anciennes structures intermédiaires ont laissé leur place à des formations politiques extrêmement dépendantes de la figure d’un leader charismatique, dans un contexte de médiatisation aiguë et de personnalisation exacerbée de la vie politique.

Ce modèle, en Italie comme presque partout ailleurs, avait déjà entamé un processus d’érosion depuis la fin des années 1970, sous le double effet d’un évidement par le bas et par le haut. Par le bas, avec le début de la désaffiliation partisane, de la complexification du jeu politique, de l’émergence d’une classe moyenne et de la désaffection à l’endroit des institutions. Par le haut, avec le phénomène de « cartélisation »[4] des partis politiques, de plus en plus associés à l’Etat et dépendants de ses ressources à mesure que leur ancrage dans la société se fragilisait. Là où une telle évolution s’est poursuivie sous la forme d’une érosion lente dans la plupart des démocraties occidentales – baisse continue de la participation politique, déclin électoral des partis de gouvernement traditionnels, poursuite de la désaffiliation partisane (et syndicale), etc. – l’Italie a donc connu son accélération brusque avec l’implosion du système politique au début des années 1990, qui a plongé le pays dans une nouvelle ère.

C’est le moment de l’ascension du « phénomène » Silvio Berlusconi et de son « non-parti »[5], Forza Italia, qui allaient profondément et durablement transformer la société et la politique italiennes. Manifestation avant-gardiste d’un populisme de riches hommes d’affaires dont les exemples sont légion aujourd’hui, et dont le plus édifiant est sans aucun doute celui de Donald Trump, Berlusconi a amorcé la transformation du système politique italien vers une « démocratie du leader »[6]. Les anciennes structures intermédiaires ont laissé leur place à des formations politiques extrêmement dépendantes de la figure d’un leader charismatique, dans un contexte de médiatisation aiguë (à laquelle Berlusconi, propriétaire de nombreux médias italiens, a lui-même fortement contribué) et de personnalisation exacerbée de la vie politique. Sans surprise, de telles mutations organisationnelles ont été accompagnées de transformations idéologiques correspondantes, avec l’effacement de clivages autour des grandes orientations de la société au profit d’un clivage pro-/anti-Berlusconi qui allait rythmer la vie politique italienne jusqu’au début des années 2010.

Ces évolutions sont extrêmement emblématiques de « l’évidement » des démocraties occidentales décrit par Peter Mair[7], c’est-à-dire de la disparition des formes d’encadrement, de représentation et de médiation qui avaient caractérisé le modèle de démocratie des partis à son apogée, durant les Trente Glorieuses. Par ailleurs, cette tendance s’est trouvée accentuée et ossifiée par le processus d’intégration européenne. En transférant toujours plus de compétences au niveau européen – soit pour les exercer conjointement dans les espaces de négociation intergouvernementaux, soit pour les déléguer à des institutions technocratiques non élues – les élites politiques nationales se sont insularisées vis-à-vis de toute forme de pression populaire.

Le niveau national serait devenu le règne de la « politique sans attributions », tandis que le niveau européen incarnerait au contraire une logique « d’attributions sans politique ».

Cet isolement s’est concrétisé dans deux transformations majeures. La première est une transformation institutionnelle au cœur de l’État même. L’État-nation européen se serait progressivement transformé en État membre[8], dont la dépendance accrue à l’égard des partenaires européens confère une prévalence toujours plus grande au pouvoir exécutif au détriment des Parlements nationaux, pourtant seuls véritables dépositaires de la souveraineté populaire. La seconde transformation réside dans le creusement d’un fossé entre les lieux d’exercice de cette souveraineté et les lieux d’élaboration concrète des politiques publiques. Le niveau national serait devenu le règne de la « politique sans attributions » (politics without policies), tandis que le niveau européen incarnerait au contraire une logique « d’attributions sans politique » (policies without politics)[9]. C’est une autre manière de réciter l’adage selon lequel « ceux que nous élisons n’ont pas de pouvoir, et ceux qui exercent le pouvoir, nous ne les élisons pas », qui nourrit l’inquiétude de nombreux observateurs quant à la nature post-démocratique de notre temps.

Dans une telle situation, les ressources et l’espace manquent pour conduire des politiques publiques alternatives. L’impression de collusion entre élites politiques d’obédiences variées concourt à creuser un peu plus le vide entre ceux-ci et leur base sociale. En retour, cette distance encourage les élites à approfondir encore ce processus d’auto-isolement, ce qui conduit à terme à une délégitimation du système de représentation et de décision dans son ensemble. Ce phénomène explique en grande partie la prolifération de partis dits populistes et anti-establishment un peu partout en Europe.

L’un des éléments clés de ce processus est bien sûr l’appartenance à l’Union économique et monétaire. Celle-ci réduit considérablement l’espace des politiques économiques disponibles au niveau national en interdisant toute dévaluation unilatérale et en imposant des normes strictes en matière de contrôle de l’inflation et de la dépense publique. L’Italie, économie inflationniste, coutumière des dévaluations compétitives et dépositaire d’une dette publique faramineuse – mais qui n’a jamais suscité d’inquiétude véritable avant la crise de la zone euro[10] – a subi plus que quiconque l’impact de cette nouvelle donne. Les nouvelles élites politiques acquises au dogme néolibéral, du centre-gauche au centre-droit de l’échiquier politique, faisaient à l’unisson l’éloge de l’Union européenne comme « contrainte extérieure » (vincolo esterno) favorisant une « rationalisation » salutaire des finances publiques. Avec l’éclatement de la crise des dettes souveraines au sein de la zone euro, un cap supplémentaire a été franchi. Alors que la situation économique et sociale se détériorait considérablement dans la péninsule, et sous la pression aiguë des institutions européennes, l’ensemble des forces politiques de l’establishment ont soutenu la nomination d’un gouvernement technique, dirigé par Mario Monti, qui a couplé des mesures d’austérité budgétaire et des réformes structurelles d’une ampleur inédite.

C’est dans ce contexte bien spécifique, situé au croisement des transformations de long terme du paysage politique et des effets de décrédibilisation de la classe politique italienne dans le cadre de la crise économique, que le Movimento cinque stelle a engrangé ses premiers succès électoraux.

Naissance, caractéristiques et évolution d’un mouvement atypique

Le Mouvement cinq étoiles est né sous l’impulsion du duo constitué de Beppe Grillo, humoriste et acteur connu pour ses diatribes à l’encontre de la classe politique italienne, et de Gianroberto Casaleggio, entrepreneur et consultant informatique. Ensemble, ils fondent en 2005 le blog beppegrillo.it (géré par l’entreprise du second, Casaleggio Associati), qui deviendra en l’espace de quelques années l’un des blogs les plus consultés d’Italie. Les années suivantes seront marquées par l’organisation d’événements à partir de plateformes en ligne (rencontres meetups, vaffanculo days, etc.) et par de premières participations aux élections municipales à travers des listes « Amis de Beppe Grillo ». À l’été 2009, Grillo propose sa candidature aux élections internes du Parti démocratique (PD), d’orientation sociale-libérale, qui sera refusée en raison de ses attaques répétées contre les élites dirigeantes de ce même parti. Dans la foulée, le nom et le symbole du Mouvement cinq étoiles sont présentés en octobre.

Depuis ses débuts, le M5S affiche un profil organisationnel et idéologique extrêmement atypique, qui déroute les observateurs et déjoue la plupart des explications et catégories classiques de la science politique.

À partir de là, le mouvement connaît un succès croissant lors des échéances électorales successives. Il obtient d’abord de bons résultats aux élections régionales de 2010 en Emilie-Romagne et dans le Piémont. Il est ensuite définitivement consacré comme force politique nationale lors des élections locales de 2012, au cours desquelles il obtient notamment la mairie de Parme. Premier parti en nombre de voix lors des élections régionales siciliennes de la même année, il s’impose comme troisième force politique de la botte aux élections législatives de 2013 (qui font suite à l’interlude du gouvernement « technique » de Mario Monti) avec 25,56% des voix à la Chambre et 23,80% au Sénat. Ces résultats spectaculaires sont tout simplement les meilleurs, pour une première participation électorale à l’échelle nationale, enregistrés en Europe depuis 1945[11]. Il confirme – quoiqu’avec un léger tassement – ces résultats lors des élections européennes de 2014, à l’issue desquelles il obtient 17 eurodéputés. Il étend ensuite sa couverture territoriale lors des élections régionales successives et parvient même, en 2016, à accéder au pouvoir dans les métropoles de Turin (Chiara Appendino) et de Rome (Virginia Raggi). L’aboutissement de cette montée en puissance régulière advient lors des élections législatives de mai 2018. Profitant de l’effondrement spectaculaire du PD et de la parabole descendante de Berlusconi, le Mouvement cinq étoiles s’impose très nettement comme première force politique avec 32,68% des suffrages exprimés. À la suite de ce résultat, il constitue un gouvernement avec la principale force de la coalition de droite, la Lega de Matteo Salvini (17,35%).

Depuis ses débuts, le M5S affiche un profil organisationnel et idéologique extrêmement atypique, qui déroute les observateurs et déjoue la plupart des explications et catégories classiques de la science politique[12]. Sur le plan de l’organisation, le parti – qui se présente comme un mouvement – est caractérisé à son origine par l’absence presque totale de structures intermédiaires. Il se partage entre le leader et son blog d’une part, et les activistes présents sur le territoire, d’autre part. Véhiculant l’image d’une organisation aux mains de ses activistes et reposant sur la délibération en ligne de ses inscrits, le mouvement se caractérise surtout par une centralisation extrême autour de son leader, qui profite de l’absence de structures intermédiaires pour exercer un droit de contrôle exclusif sur la sélection des candidats et l’élaboration des programmes. Progressivement, à partir de son entrée au Parlement en 2013, le mouvement va connaître l’apparition d’un troisième terme, le groupe parlementaire. Il s’engage alors dans un timide processus d’institutionnalisation, avec l’adoption de critères de rotation des charges internes à ce groupe, la mise en place de codes de comportement à signer avant d’entrer en fonction, ainsi que la désignation d’un « directoire » servant de point de référence. Avec la montée en puissance du groupe parlementaire et des élus locaux, la complexification de la structure du mouvement, la mort de Casaleggio en 2016 et les questions soulevées par la gestion de son entreprise, les tensions entre les trois pôles du parti (le leadership, les activistes et les élus) vont s’accentuer et émailler la vie du mouvement jusqu’à aujourd’hui.

Sur le plan idéologique et programmatique, le profil des Cinque Stelle n’est pas moins atypique. Les thèmes examinés sur le blog reprenaient en grande partie ceux que Grillo abordait dans ses spectacles : écologie et affres de la mondialisation, défauts de la société de consommation, corruption, servilité des grands médias et incurie de la classe politique italienne dans son ensemble. Ceux-ci se retrouvent dans les propositions programmatiques du parti, qui mêlent des thèmes classiques de la gauche (environnement, décroissance, protection sociale) et des thèmes plus nettement marqués à droite (euroscepticisme, chauvinisme économique). Le résultat de ce double ancrage est que les principales échelles de mesure positionnent le parti vers le centre (quoique légèrement à gauche) ; toutefois, ce positionnement semble résulter de l’équilibre entre des positions de gauche et de droite plutôt que d’une position « ni de gauche, ni de droite ».

L’identité idéologique du mouvement est rendue d’autant plus complexe et incertaine qu’elle varie considérablement entre les composantes du parti (le leadership, le groupe parlementaire, la base activiste et l’électorat) et dans le temps. En définitive, l’armature idéologique du mouvement semble reposer sur deux piliers. D’une part, elle promeut l’inclusion de thématiques délaissées par les autres forces politiques mais rencontrant un écho considérable dans l’électorat, permettant ainsi de combler un déficit de représentation. D’autre part, elle agite la promesse d’un renouvellement et d’une « moralisation » de la classe politique. La coexistence de thèmes hétéroclites et d’éléments parfois contradictoires est assurée précisément par la focalisation sur cette « question morale », véritable ciment permettant la jonction de positions difficilement conciliables.

Les caractéristiques spécifiques du M5S, qui en font un sujet politique sui generis du point de vue organisationnel et idéologique, ne doivent pas être sous-estimées et oubliées au profit de son inclusion dans des catégories théoriques préétablies. Il est pourtant difficile de résister à la tentation de lire ce mouvement à partir de la grille d’analyse du populisme d’Ernesto Laclau, tant celle-ci semble idéale aussi bien pour en décrire les caractéristiques que pour en analyser la genèse et l’évolution ou en évaluer les forces et les faiblesses. Son approche du populisme, développée en partie avec sa compagne Chantal Mouffe au fil de plusieurs ouvrages[13], est désormais bien connue dans l’espace francophone. Elle tranche avec les définitions classiques qui assimilent le populisme à une idéologie, un style politique ou un type de mouvement spécifique ; elle l’envisage plutôt comme une logique politique, une manière de construire et d’articuler les identités politiques. Cette logique consiste en la construction d’un sujet populaire, d’un « peuple », à partir de la création d’une frontière antagonique entre un « nous » (le sujet populaire) et un « eux » (son adversaire/ennemi).

Deux éléments sont fondamentaux dans ce processus de construction. En premier lieu, ce processus est contingent : le contenu des identités politiques n’est pas donné au préalable (par exemple par le processus de production qui réduirait l’opposition nous/eux à un conflit entre travailleurs et propriétaires), mais est le produit d’une articulation discursive. Il s’ensuit que le contenu du populisme peut tout aussi bien être émancipateur que réactionnaire, selon la façon dont sont construits le peuple (comme un sujet politique et inclusif ou ethnique et exclusif, par exemple) et son adversaire/ennemi (les élites économiques et politiques, les migrants, les intellectuels, etc.). En second lieu, l’unité du sujet populaire n’est pas le résultat de caractéristiques positives que ses membres partagent, mais est produite négativement par la commune opposition à l’adversaire/ennemi. Celui-ci est tenu pour responsable de l’insatisfaction d’un ensemble de demandes sociales hétérogènes qui, parce qu’elles partagent cette commune insatisfaction, peuvent être agrégées et former une « chaîne d’équivalence », soit l’armature du sujet populaire.

Enfin, dans ce processus, il est courant que l’une des demandes assume la fonction de représentation de l’ensemble de la chaîne. On parlera alors de « signifiant (tendanciellement) vide » : il s’agit d’une demande qui perd progressivement son contenu spécifique à mesure qu’elle devient l’incarnation de toutes les autres. L’exemple classique donné par Ernesto Laclau est celui de la lutte du syndicat Solidarnosc en URSS, devenu le symbole de l’ensemble des aspirations démocratiques de la société. Plus proche de nous, les gilets jaunes ont fourni l’exemple le plus limpide de ce processus : le gilet jaune, au départ lié à la protestation originelle contre la taxe sur le carburant, s’est progressivement chargé d’une signification beaucoup plus large pour incarner les aspirations de justice fiscale et de démocratie directe de tout une frange de la population française.

Le M5S court-circuite la logique d’affrontement entre centre-gauche et centre-droit en lui substituant une opposition entre les « citoyens honnêtes », les « petites gens », et les élites politiques et économiques de tous bords, dépeintes comme un ensemble indifférencié et corrompu.

Le M5S correspond pleinement à cette logique populiste décrite par Ernesto Laclau, tant il présente l’ensemble des traits qui lui sont associés. Il naît et prospère dans un moment de dislocation sociale profonde, où les effets de la crise économique génèrent une insatisfaction croissante des demandes sociales. Ces demandes ne peuvent toutefois pas être exprimées et traitées via les canaux politiques établis en raison de la crise structurelle de représentation politique dans laquelle le pays est plongé depuis les années 1980. Le M5S peut alors, sur la base de celles-ci, construire un nouveau sujet populaire uni par son opposition aux élites politiques et économiques, tenues pour responsables du dévoiement de la souveraineté populaire. Il court-circuite la logique d’affrontement entre centre-gauche et centre-droit en lui substituant une opposition entre les « citoyens honnêtes », les « petites gens », et les élites politiques et économiques de tous bords, dépeintes comme un ensemble indifférencié et corrompu. D’ailleurs, le M5S est probablement l’une des manifestations les plus pures[14] du populisme à la Laclau – reflétant par là le degré de délitement du paysage politique italien et la pureté de ses épisodes technocratiques. En effet, contrairement à de nombreux partis populistes dits « de gauche » (Podemos, La France Insoumise) ou « de droite » (Front national, AfD), il repose sur une chaîne d’équivalence extrêmement étendue qui couvre la quasi-totalité du spectre politico-idéologique de l’électorat italien. Ceci est rendu possible par la mise sous le tapis des questions potentiellement clivantes en son sein – celle de l’immigration, par exemple – et par la focalisation sur la « question morale » (la corruption des élites politiques et la nécessité de donner les clés de l’activité politique aux citoyens ordinaires). Cette dernière joue le rôle de signifiant vide permettant, grâce à son caractère vague et protéiforme, de maintenir l’unité du mouvement. À bien des égards, le M5S n’est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, le phénomène du péronisme argentin, dans lequel la centralité de la figure du leader exilé jouait le rôle de signifiant vide permettant d’agréger des groupes hétérogènes allant du fascisme au marxisme[15].

En plus d’incarner à plein la logique populiste, le M5S est aussi la plus parfaite expression, sur un plan organisationnel, de l’air du temps, cette ère de la désintermédiation dont l’Italie fournit un exemple particulièrement précoce et avancé. Le rôle central dévolu au leader, l’absence presque totale de structures intermédiaires, l’organisation lâche et flexible, le recours à internet et aux réseaux sociaux, les mécanismes de participation directe en ligne, l’absence de liens organiques vis-à-vis du monde syndical et associatif, tous ces éléments font des grillini une espèce politique particulièrement adaptée au nouvel écosystème. Combinant paradoxalement les traits d’une verticalité et d’un centralisme extrême, d’une part, et d’un fonctionnement se voulant horizontal et participatif, d’autre part, il représente une forme politique aux antipodes du parti de masse du XXème siècle.

Malgré ces nombreux points forts, le M5S est actuellement en proie à d’énormes difficultés. Sa participation au gouvernement national se révèle être un fiasco.

Nul doute que la combinaison de ces éléments, qui fait du M5S un populisme 2.0 particulièrement adapté à l’ère de la désintermédiation, est pour beaucoup dans l’ascension fulgurante du mouvement et ses succès. Au nombre de ceux-ci, on peut compter la revitalisation d’un système politique moribond, la représentation de secteurs électoraux extrêmement défiants vis-à-vis des institutions, la mise sur le tapis de thèmes peu traités par les autres partis (l’environnement, l’éthique en politique, etc.) ou encore l’adoption de mesures économiques et sociales timides mais tangibles (dont le fameux « revenu de citoyenneté »). C’est précisément parce qu’il est une coupole extrêmement large et ambiguë que le mouvement est parvenu à étendre son appel électoral et à concentrer sur lui le vote des secteurs aliénés de la population. L’absence de tradition idéologique bien définie – hormis l’anti-partisme de Adriano Olivetti[16] – a donné une flexibilité inédite au M5S et lui a permis de recueillir des voix chez les déçus de toutes les formations politiques, toutes obédiences idéologiques confondues. C’est aussi en raison de sa stratégie organisationnelle originale et innovante qu’il est parvenu à mobiliser et à créer un sentiment d’identification collective.

Malgré ces nombreux points forts, le M5S est actuellement en proie à d’énormes difficultés. Sa participation au gouvernement national se révèle être un fiasco. En l’espace d’un an et demi, la Lega emmenée par un Matteo Salvini déchaîné est parvenue à renverser le rapport de force en sa faveur, devenant très largement le premier parti d’Italie dans les intentions de vote – concrétisées lors du scrutin européen de mai 2019 – et réduisant de moitié celles du Mouvement cinq étoiles. Avec un flair politique certain, il n’a pas cherché à traduire son avantage immédiatement par une renégociation des attributions ministérielles, mais s’est attelé à le renforcer un maximum en augmentant progressivement la pression sur son partenaire de gouvernement. Au plus fort de sa domination, après des mois passés à faire porter le chapeau au M5S sur un certain nombre de dossiers et à jeter le doute sur sa loyauté politique – par exemple en le faisant passer pour complice du PD dans la confirmation des forces de l’establishment au niveau européen, incarnée par le vote en faveur de la nouvelle Commission – il a porté l’estocade décisive. Profitant d’un vote défavorable du M5S sur un projet de loi avancé par la Lega concernant la ligne Lyon-Turin, il a fait voler en éclats la coalition gouvernementale. Il espère ainsi un retour aux urnes rapide qui le consacrera comme première force politique de la botte et devrait lui permettre de gouverner seul ou en maître incontesté d’une coalition avec d’autres forces de la droite italienne.

Comment expliquer un retournement aussi rapide et profond du rapport de force entre le M5S et la Ligue ? Forte est la tentation de l’attribuer au talent communicationnel du leader de la seconde qui, à partir de sa position de ministre de l’Intérieur, est parvenu mieux que quiconque à imposer son agenda, à attirer l’attention médiatique et à utiliser les possibilités de communication directe offertes par les réseaux sociaux. Au mieux, une telle explication est cependant partielle. Au pire, elle relève d’une forme de pensée tautologique (puissance communicationnelle et force politique se confondent et s’expliquent l’une l’autre), voire magique (le charisme du chef est doté d’une origine mystérieuse et d’un statut presque mystique). Elle ne prend en compte ni les particularités du M5S – après tout, le mouvement n’est pas en reste en termes de maîtrise de la communication – ni les nombreux signes annonciateurs de ses difficultés actuelles, des tensions internes (avec force expulsions des figures dissidentes) aux turbulences ayant marqué sa gestion des grandes villes (Parme, Turin, Rome). Sans rejeter totalement cette explication, il est donc nécessaire de la replacer dans un cadre plus large et de réfléchir au déclin du M5S sur la base de l’analyse structurelle développée plus haut. De cette façon, on pourra à la fois dresser un tableau plus fin et plus complet de ce déclin et se donner les moyens de tirer les leçons politiques qui en découlent.

Le Mouvement cinq étoiles, traitement ou symptôme ?

Sur la base des éléments évoqués plus haut – le contexte de la vie politique italienne depuis le début des années 1990, les caractéristiques particulières du M5S – on peut avancer une série d’hypothèses plausibles pour expliquer le brusque déclin actuel du mouvement. Certaines ont trait à sa jeunesse, d’autres à ses particularités organisationnelles et idéologiques, d’autres enfin sont liées aux conditions structurelles du nouvel écosystème politique dans lequel il évolue, cette ère de la désintermédiation. Ces hypothèses ne s’excluent pas mutuellement, mais sont au contraire complémentaires ; mises bout à bout, elles dressent le tableau d’une scène politique italienne (et, suivant l’analogie prophétique évoquée en début d’article, européenne) complexifiée. La volatilité exacerbée des allégeances politiques rend difficile la mise en place d’une stratégie pérenne capable de jouer avec les codes de la nouvelle donne politique sans tomber dans le vide d’une politique-marketing orpheline de toute structure organisationnelle et de toute tradition idéologique stables.

La première hypothèse que l’on peut avancer a trait à la jeunesse du mouvement et ne lui est donc pas, à proprement parler, spécifique : le M5S serait simplement victime de son ascension trop rapide. Celle-ci aurait posé des problèmes épineux en termes de gestion de l’institutionnalisation du mouvement. Comment choisir des candidats et assurer un contrôle efficace de ceux-ci, souvent novices en matière d’exercice d’une quelconque fonction politique ? Comment garantir le respect des critères éthiques que le mouvement défend au sein de ses propres rangs ? Comment assurer la cohérence idéologique et organisationnelle d’un mouvement hétéroclite, partagé entre le leadership (un personnage fantasque dans la lumière et un entrepreneur dans l’ombre), la base des activistes en ligne et dans les groupes locaux, et un groupe d’élus qui croît exponentiellement ? Comment organiser la coexistence de ces différentes composantes et, le cas échéant, trancher les conflits qui émergeraient entre celles-ci ? Ces questions sont d’autant plus complexes à gérer pour un mouvement ayant fait de la transparence sa raison d’être et sa marque de fabrique ; à ce titre, le moindre écart de conduite risque d’être jugé bien plus sévèrement que pour ses concurrents. C’est ainsi que le M5S s’est trouvé dans l’embarras lorsque son leader, Luigi di Maio, cherchant à centraliser davantage le contrôle du mouvement et à le stabiliser, a voulu étendre à trois le nombre maximum de mandats qu’un élu peut exercer, précédemment limité à deux. Confronté à la difficile justification de ce choix pour un mouvement tirant à boulets rouges sur la professionnalisation de la politique, il a introduit le concept de « mandat zéro », selon lequel le premier mandat exercé par les élus du mouvement ne comptait pas – une expression qui sera facilement tournée en dérision par les commentateurs de tous bords.

La seconde hypothèse, la plus fondamentale, est que les caractéristiques organisationnelles et idéologiques de ce mouvement, atouts considérables pour construire rapidement une force politique majoritaire en période de crise économique et politique, sont devenus par la suite les principaux obstacles à la solidification de ce mouvement et à son inscription dans la durée en tant que force radicale porteuse d’un projet de transformation de la société.

Le M5S ne dispose d’aucun socle électoral fidélisé sur lequel se reposer lors des périodes difficiles, ni de réseaux de clientèle pérennes facilitant l’exercice du pouvoir au niveau local ou régional. C’est peut-être là que réside une différence fondamentale avec la Lega de Salvini.

Sur le plan organisationnel, le choix mouvementiste du M5S et son refus d’adopter un modèle d’organisation hiérarchisé et territorialisé peut constituer un désavantage relatif par rapport à ses principaux concurrents. Certes, comme cela a été avancé plus haut, aucun des partis politiques actuels (centre-gauche, centre-droit et Lega) ne dispose de l’ancrage territorial, de l’encadrement social et des liens organiques avec la société civile qui caractérisaient les partis de masse de l’après-guerre. Néanmoins, ceux-ci ont eu la possibilité, en vingt-cinq ans d’existence, de se construire des clientèles relativement stables. Le M5S, au contraire, ne dispose d’aucun socle électoral fidélisé sur lequel se reposer lors des périodes difficiles[17], ni de réseaux de clientèle pérennes facilitant l’exercice du pouvoir au niveau local ou régional. C’est peut-être là que réside une différence fondamentale avec la Lega de Salvini, capable mieux que quiconque de combiner un modèle d’organisation solide et stable dans le Nord du pays avec une communication renouvelée, fondée sur la fiction d’un échange direct entre son leader et le citoyen.

Sur le plan idéologique, l’ambiguïté du mouvement constitue également une arme à double tranchant. Avantageuse dans la période de construction du mouvement dans l’opposition, cette caractéristique se retourne brusquement contre lui lorsqu’il accède à des positions de pouvoir. Confronté à la nécessité de s’allier et de mener des politiques publiques spécifiques, le M5S se trouve obligé de prendre parti, d’abandonner sa posture de pure extériorité vis-à-vis des acteurs du système et de déterminer quelles sont les compromissions acceptables et quelles sont ses lignes rouges. Or, quand bien même une partie de plus en plus significative des nouveaux affrontements politiques échappe à la logique gauche-droite, cela ne signifie pas pour autant qu’elle ait entièrement disparu, ne fut-ce que comme point de repère axiologique. Certes, la correspondance entre un groupe social, un appareil partisan et une position idéologique bien identifiable sur l’axe gauche-droite n’est plus aussi nette qu’auparavant ; certes, une partie toujours plus grande de l’électorat (en particulier jeune) refuse de se définir à partir de celui-ci. Mais cet imaginaire politique n’a pas pour autant disparu du jour au lendemain, et continue de peser dans la lecture d’une partie de l’électorat et du personnel politique.

Par conséquent, la plupart des acteurs et des politiques publiques continuent de charrier une connotation relative à cet axe, et la prétention du M5S à n’être « ni de gauche, ni de droite », se heurte à la première expérience concrète d’exercice du pouvoir. S’allier avec l’extrême droite (la Lega), l’extrême centre (le PD) ou un groupuscule de la gauche radicale (Potere al Popolo), voter une réforme fiscale ou une loi sur la sécurité et l’immigration, ne sont aucunement anodins de ce point de vue. Au moindre choix opéré en la matière, la solidarité interne du mouvement s’effrite, une partie de l’électorat fait défection et des dissensions internes apparaissent. Salvini l’a bien compris, lui qui n’a eu de cesse d’orienter l’agenda autour de son propre point fort, l’immigration, sachant que celui-ci constituait en même temps l’enjeu le plus tabou pour le M5S, dont les activistes et les électeurs sont notoirement divisés sur le sujet. Pris à la gorge, le Mouvement cinq étoiles n’a pensé qu’à se défendre et à se donner de l’air. Pourtant, il aurait pu contre-attaquer en déplaçant le débat sur le terrain où son partenaire de coalition est le plus faible, la question régionale. Celle-ci reste en effet l’objet d’un compromis extrêmement précaire entre les barons locaux, garants de l’identité historique et régionaliste de la Ligue, et Salvini, tenant d’une stratégie électoraliste et nationale[18]. Mais là aussi, une telle stratégie offensive est difficilement praticable pour un mouvement peu sûr de son identité idéologique, de son ancrage territorial et de sa base sociologique.

En bref, les caractéristiques organisationnelles et idéologiques du Movimento Cinque Stelle, si elles étaient particulièrement adaptées à une conquête rapide du pouvoir exécutif par les urnes dans un contexte de crise économique et politique profonde, manquent cruellement de consistance lorsqu’il s’agit de promouvoir un projet de société contre-hégémonique capable de remettre en question la doxa néolibérale, incarnée par les forces de centre-droit et de centre-gauche, et sa transfiguration nationale-autoritaire, incarnée par la Lega. En termes gramsciens, le M5S s’est focalisé sur une « guerre de mouvement » prématurée en négligeant totalement de jeter les bases nécessaires à la poursuite d’une « guerre de position » sur le long terme. Pour cela, il aurait fallu recréer patiemment une véritable contre-culture populaire avec ses infrastructures, ses réseaux et ses ressources intellectuelles, sur le terrain laissé dramatiquement vide par le déclin des organisations de la gauche historique. Le M5S a pourtant fait exactement l’inverse, en construisant un modèle organisationnel et idéologique capable, en théorie, de faire l’économie de ce travail de longue haleine. Ce faisant, il a contribué à accentuer les évolutions contemporaines de la démocratie : l’atomisation de l’électorat, la désaffiliation partisane, le déclin des corps intermédiaires, la personnalisation de la vie politique, etc. Avec quelques années de recul, il nous apparaîtra peut-être évident qu’une telle initiative politique ne pouvait à la fois constituer le symptôme d’une dégénérescence démocratique et le traitement à administrer au système pour le soigner de celle-ci. Il est probablement encore trop tôt pour affirmer avec certitude lequel de ces deux diagnostics est le plus en phase avec la réalité ; néanmoins, à ce stade, le Movimento Cinque Stelle semble être devenu la victime choisie de la volatilité politique qu’il a contribué à accentuer et le prisonnier des caractéristiques qui semblaient faire sa force. Ce qui n’est pas le moindre, ni le dernier de ses paradoxes.

[1] David Broder, « Italy is the Future », Jacobin, 4 mars 2018

[2] Anton Jäger, « The Myth of ‘Populism’ », Jacobin, 3 January 2018

[3] « Occhetto, l’ultimo amico americano », La Repubblica, 17 Mai 1989 

[4] Ce phénomène de cartélisation des partis politiques a été théorisé et décrit par Richard S. Katz et Peter Mair dans plusieurs travaux devenus classiques en science politique. Il désigne le phénomène, initié dans les années 1970 et 1980, de fusion des intérêts des partis et de l’appareil d’État, généralement accompagné et favorisé par l’introduction du financement public des partis politiques. Les partis politiques, de plus en plus dépendants des ressources publiques et de moins en moins redevables vis-à-vis de leur base militante, auraient ainsi tendance à collaborer pour se partager ces ressources et empêcher l’émergence de nouveaux acteurs (d’où le terme de « cartel »). En Italie, la situation est un peu particulière, puisque le financement public des partis y a été introduit en 1974, avant d’être abrogé en 1993 dans le contexte de scandale de corruption frappant le pays, pour être ensuite progressivement réintroduit sous la forme d’un remboursement post-électoral dans les années suivantes.

[5] Caterina Paolucci, « Forza Italia : un non-parti aux portes de la victoire », Critique internationale, 2011/1, p.12-20.

[6]Mauro Calise, La democrazia del leader, Roma-Bari, Laterza, 2016.

[7] Peter Mair, Ruling the Void. The Hollowing Out of Western Democracies, London, Verso, 2013.

[8] Christopher Bickerton, European Integration : From Nation-States to Member States, Oxford, Oxford University Press, 2012.

[9] Vivien Schmidt, Democracy in Europe : the EU and National Polities, Oxford, Oxford University Press, 2012.

[10] La dette publique italienne était depuis bien longtemps très élevée, mais ne générait pas d’inquiétude profonde à la fois en raison de la réputation du Trésor italien en matière de gestion de celle-ci et en raison de sa structure très nationale (liée notamment au patrimoine immobilier des ménages italiens) la rendant peu vulnérable à la spéculation étrangère. Son internationalisation relative après des années d’appartenance à la zone euro, ainsi que les craintes de contagion financière dans le cadre de la crise grecque, finiront par jeter une lumière nouvelle sur la dette publique italienne et par alarmer les marchés financiers et les autres gouvernements européens.

[11] Nicolò Conti, Filippo Tronconi & Christophe Roux, « Le Mouvement cinq étoiles. Organisation, idéologie et performances électorales d’un nouveau protagoniste de la vie politique italienne », Pôle Sud, 2016/2, p.21-41.

[12] Pour une description des caractéristiques organisationnelles et idéologiques du mouvement, voir notamment : Filippo Tronconi, Beppe Grillo’s Five Star Movement. Organisation, Communication and Ideology, Fenham, Ashgate, 2015.

[13] Voir, entre autres : Ernesto Laclau & Chantal Mouffe, Hegemony and Socialist Strategy, Londres, Verso, 1985 ; Ernesto Laclau, On Populist Reason, London, Verso, 2005 ; Chantal Mouffe, Pour un populisme de gauche, Paris, Albin Michel, 2018.

[14] Rappelons que pour Ernesto Laclau, le populisme et l’institutionnalisme constitue les deux pôles d’un continuum déterminé par l’extension respective de la logique d’équivalence et de la logique de différence. À ce titre, le populisme peut se manifester concrètement à des degrés divers.

[15] C’est du moins l’analogie que nous avons proposée, mon collègue Samuele Mazzolini et moi-même, dans le cadre d’un autre article (Mazzolini S. & Borriello A. (2017) “Southern European populisms as counter-hegemonic discourses? Podemos and M5S in comparative perspective”, in Marco Briziarelli & Oscar Garcia Augustin (eds.) Podemos and the New Political Cycle. Left-wing Populism and Anti-Establishment Politics, Palgrave Macmillan : 227-254).

[16] Ingénieur et politicien italien durant l’après-guerre, Adriano Olivetti défendait une position hostile à la « démocratie des partis » au nom d’une conception corporatiste et territoriale de l’organisation de l’Etat.

[17] Roberto Biorcio, « The reasons for the success and transformations of the 5 Star Movement », Contemporary Italian Politics, Vol.6, n°1, 2014, p.37-53.

[18] Daniele Albertazzi, Arianna Giovannini & Antonella Seddone, « ‘No regionalism please, we are Leghisti !’ The transformation of the Italian Lega Nord under the leadeship of Matteo Salvini », Regional & Federal Studies, Vol.28, n°6, 2018, p.646-671.

Le Mouvement Cinq Étoiles est Laclausien sans le savoir – Nello Preterossi

Germinello Preterossi, philosophie du droit et des idées politiques.

Nello Preterossi est enseignant-chercheur en philosophie du droit et en histoire des doctrines politiques à la faculté de droit de Salerne. Il est notamment spécialiste de Carl Schmitt et d’Antonio Gramsci. Il est par ailleurs un fin observateur des dynamiques politiques italiennes.


LVSL – Avant les élections, tout le monde pensait que Berlusconi reviendrait au pouvoir. Pourquoi cela ne s’est-il pas produit ?

Nello Preterossi – Pour Berlusconi, les élections ont constitué une déception parce qu’il espérait arriver devant la Ligue. Pour la première fois, Berlusconi a échoué : il a été vidé de sa substance en tant que phénomène politique. La Ligue a conquis l’hégémonie à droite et au centre-droit. Les choses se sont passées comme si Matteo Salvini était l’héritier naturel de Berlusconi – et ce, non parce que Berlusconi l’aurait choisi, mais parce que les électeurs de droite l’ont décidé.

C’est quelque chose de nouveau pour Berlusconi : par le passé, quand il perdait, c’était de justesse. Il y a quelques années encore, il renvoyait une image énergique. Il s’en sortait grâce à ses sketchs et à ses gags. Cette fois, le  disque s’est rayé pour plusieurs  raisons.

Forza Italia a été au pouvoir pendant très longtemps. Il lui est donc difficile d’apparaître en rupture et de représenter une alternative à l’austérité européenne. Au contraire, Salvini est jeune et apparaît, aux yeux des Italiens, comme celui qui a le courage d’évoquer certaines réalités avec clarté. Il parle régulièrement de la dégradation des conditions de travail. Ce sont là les conséquences logiques des politiques européennes imposées violemment, notamment depuis le gouvernement Monti. Salvini a également critiqué la Loi Fornero [une loi qui a eu pour conséquence une hausse importante de l’âge de départ à la retraite en Italie] et insisté sur le fait que de nombreuses personnes ne pourront pas partir à la retraite avant de nombreuses années. On peut discuter des points positifs de cette réforme. Reste que cette loi, votée sous le gouvernement Monti et soutenue par le Parti Démocrate et Forza Italia, a été imposée avec une violence extrême. Tout s’est passé en une nuit. Des personnes qui devaient prendre leur retraite le mois suivant se sont retrouvées à devoir l’attendre encore 6 ou 7 ans.

LVSL – En 2013, quand Matteo Salvini prend la tête de la Ligue, celle-ci rassemble péniblement 4% des électeurs. Aujourd’hui, elle tutoie les 18%. [Les sondages vont jusqu’à la donner à 27% en cas de nouvelles élections] Quelle a été la stratégie du leader leghiste pour arriver à ce résultat ? 

Nello Preterossi – Il faut reconnaître à Salvini de l’habileté tectique et une certaine épaisseur politique. Je sais qu’un tel propos ne fait pas consensus : il est en effet assez insupportable de reconnaître qu’un leader qui soutient des positions parfois inacceptables puisse en même temps être brillant. Cela ne demeure pourtant pas moins vrai. Lorsqu’il  prend la tête de sa famille politique, celle-ci était en état de mort clinique à cause de nombreux scandales. Elle est alors recroquevillée sur ses bastions nordistes. Salvini l’a transformée en un parti d’envergure quasiment nationale. La Ligue recueille désormais 20% des voix en Emilie-Romagne, et une proportion non négligeable de voix en Ombrie et en Toscane, régions où le parti communiste obtenait jadis des majorités absolues. Il en a également rassemblées beaucoup dans le Latium. Son score est certes un peu plus faible dans le Sud.

“La vérité, c’est que la mondialisation n’est pas un dîner de gala, malgré ce que peuvent en dire ses partisans, y compris à gauche. La crise du néolibéralisme a fait déborder le vase. Salvini profite de cette vague et transforme la Ligue en un parti lepénisant, sans toutefois porter en bandoulière le patrimoine encombrant de la famille le Pen.”

Est-ce que ceux qui ont voté Parti Communiste, puis Parti Démocrate, dans les régions du Nord, sont soudainement devenus fascistes et xénophobes ? Je ne le crois pas.

La vérité, c’est que la mondialisation n’est pas un dîner de gala, malgré ce que peuvent en dire ses partisans, y compris à gauche. La crise du néolibéralisme a fait déborder le vase. Salvini profite alors de cette vague et transforme la Ligue en un parti lepénisant, sans toutefois porter en bandoulière le patrimoine encombrant de la famille le Pen.

Il faut bien comprendre ce qu’était la Ligue du Nord avant Salvini. Lorsqu’elle s’affirme dans les années 1990, la Ligue est une force nordique qui désigne ses ennemis : la caste, les voleurs, le gaspillage et le clientélisme. On peut presque qualifier sa matrice d’antifasciste, ou à tout le moins de non autoritaire. La Ligue n’a donc pas la même histoire que le FN : la Ligue ne provient pas du Mouvement Social Italien [Parti néo-fasciste né suite à la dissolution du Parti National Fasciste] et n’a aucun lien avec les héritiers de Mussolini. D’une certaine manière, la Ligue est vue comme un parti populaire et démocratique. Son électorat est constitué d’ouvriers qui se sont détournés du Parti Communiste. Aujourd’hui, diverses forces votent pour elle. Quand un parti recueille plus de 30% des voix dans des régions relativement aisées, il faut se poser des questions : je ne crois pas que tous ses électeurs soient fascistes et racistes.

Matteo Salvini, en compagnie de Marine Le Pen, Gerolf Annemans (Vlams Belang belge), Geert Wilders (PVV néerlandais) et Harald Vilimsky (FPÖ autrichien). ©Euractiv.com

Naturellement, la question migratoire est un facteur de perturbation. Elle n’a pas été prise en main, d’abord parce qu’elle est délicate, ensuite parce que la gauche a balbutié, pensant qu’il était possible d’apporter une solution « rhétorique » au problème, plutôt que des réponses sociales, via l’intégration. L’argument de Salvini est rude mais efficace. Il dit : “Vous ne faîtes rien pour les Italiens, par contre vous faîtes des choses pour les immigrés ?” Évidemment, ce n’est pas vrai. Rien n’est fait, pas plus pour les immigrés que pour les Italiens. Les élites ne s’intéressent aux immigrés que dans la mesure où ils sont à leur service, puis ils s’en désintéressent dès qu’elles rentrent chez elles. À Rome, quels habitants sont confrontés aux immigrés dans la vie quotidienne ? Ceux qui vivent dans les périphéries ou dans des quartiers où les conditions de vie sont déjà difficiles à cause de la pauvreté, du chômage, et de la dégradation des services publics. Dans ce contexte, la réaction populaire est la suivante : “Ils nous ont abandonné  Ils font venir des immigrés, et nous laissent livrés à nous-mêmes pour résoudre les problèmes”. Salvini profite de tout cela. Il tisse des liens entre les enjeux sociaux et identitaires. C’est très dangereux mais c’était prévisible.

“Salvini incarne donc quelque chose d’étrange : il a d’un côté une forte sensibilité sociale, de l’autre une pulsion anti-étatiste. Il fusionne ces deux pôles, et cela fonctionne.”

Vous me demandez comment Salvini a-t-il fait pour connaître un tel succès ? La réponse est simple. Il tient un discours de « vérité » sur plusieurs questions qu’il met en relation. Donne-t-il des réponses adéquates ? La plupart du temps non. Il n’en demeure pas moins qu’il pointe du doigt les problèmes. Il ne faut pas croire que si Salvini n’exploitait pas ces problèmes, ceux-ci n’existeraient pas. En politique, il faut savoir aborder les défis et les problématiques. J’apporterais une réponse différente aux problèmes soulevés par Salvini. Regardez sur l’euro, par exemple : Salvini est le seul à dire la vérité. La zone euro impose aux pays les plus fragiles la déflation salariale et le chômage. Revendiquer la supériorité du droit constitutionnel italien sur le droit européen est une revendication légitime.

Tout en tenant ce discours, Salvini propose l’instauration d’une flat tax, ce qui est en contradiction totale avec le cœur même de la Constitution italienne. L’Italie se distingue en effet par la constitutionnalisation de la progressivité de l’impôt. C’est ce que l’on a appelé le constitutionnalisme social, c’est-à-dire l’idée que l’on doit redistribuer les ressources aux plus démunis en les prenant aux plus aisés. Sur ce point, le discours de Salvini présente une contradiction flagrante : il défend la Constitution italienne et défend une fiscalité en contradiction avec la dite Constitution. Salvini est un mélange de revendications d’autonomie politique, de souveraineté démocratique, et de libéralisme. Il défend l’idée que moins il y a d’impôts, mieux vont les choses. Cela le rapproche fortement de Berlusconi. Salvini incarne donc quelque chose d’étrange : il a d’un côté une forte sensibilité sociale, de l’autre une pulsion anti-étatiste. Il fusionne ces deux pôles, et cela fonctionne.

LVSL – Que pensez vous de l’alliance  entre la Ligue et le M5S ?

Nello Preterossi – Si ces deux forces incarnent une même volonté de changement, il y a tout de même des différences importantes entre ces deux formations. Le M5S hérite d’une partie significative de l’électorat de centre-gauche. Sa progression entre 2013 et 2018 est due au transfert de voix entre le PD et le M5S. Ce type d’électorat a des idéaux et poursuit des objectifs qui sont peu compatibles avec ceux de la Ligue sur certaines questions : la question migratoire, la question fiscale et la question européenne. Cet électorat reste marqué par l’européisme caractéristique d’une certaine gauche.

LVSL – Sur la question européenne, le M5S a changé de position assez radicalement [L’entretien a eu lieu avant la crise avec les institutions européennes et le président Mattarella]. Comment s’explique ce changement ?

Nello Preterossi – Personne ne sait s’il s’agit d’un changement réel ou de façade. Je pense qu’un choix tactique a été opéré pour rassurer certains pouvoirs ainsi qu’une partie de l’électorat. Le M5S a voulu donner l’image d’un parti neuf, modéré, et rassurant.

Dans le Sud en particulier, le M5S incarne une forme de nouvelle grande Démocratie Chrétienne [Parti politique centriste, qui a longtemps disputé au Parti Communiste l’hégémonie du champ politique italien dans les décennies d’après-guerre]. Dans ces régions, le M5S réalise des scores souvent supérieurs à 40%. Cela signifie que quelque chose a profondément changé dans la société. Le taux de chômage dont est victime le Sud n’est pas tenable dans une démocratie. Quelque chose peut se passer.

Le fait que des gens aient voté en masse pour casser l’ancien système politique italien est un symptôme de la crise que traverse la démocratie italienne. Le M5S revendique l’honnêteté. C’est un vieux thème, qui rappelle celui de la morale politique et institutionnelle évoquée par Enrico Berlinguer [leader du Parti Communiste italien jusqu’à la fin des années 70]. Je souhaiterais vous faire remarquer que le M5S attire autant les jeunes précarisés que les votes issus de la bourgeoisie. À titre d’exemple, le M5S a gagné à Chiaia, le quartier bourgeois de Naples.

“Dans cette simplification populiste qui s’exprime à travers un leader, des revendications différentes s’articulent. Il parvient à regrouper de nombreuses demandes : prise en compte des questions sociales, moralisation de la vie politique, opposition à cette administration publique inefficace et aux coupes budgétaires. Le M5S structure ces demandes sur un mode égalitaire.”

Dans le Sud, ce parti constitue une force transversale, inter-classiste et hégémonique. Évidemment, c’est une hégémonie qui pourrait aussi se dégonfler, car elle est laclauienne [d’Ernesto Laclau, théoricien avec Chantal Mouffe du populisme de gauche.] Le M5S est laclauien, sans le savoir.

LVSL – Dans quel sens le M5S est-il laclauien ?

Nello Preterossi – Si l’on analyse les bizarreries et particularités du M5S, on se rend compte que Beppe Grillo en a été la grande auctoritas, la grande autorité interne et externe, un patron vertical qui vous approche et vous parle. Sans Grillo, le M5S n’aurait rien fait. Avant de créer un mouvement politique, Grillo tenait un blog dans lequel il dénonçait les mesures prises par les gouvernements sociaux-démocrates. Il pense alors à se lancer en politique, et renouvelle sa carte au PD qu’il proposait de transformer. Ce geste a certes sa part de provocation. Il se rend ainsi compte qu’il n’y a aucun moyen de changer le PD de l’intérieur. Il sent la poussée contestataire qui monte au sein de la société italienne.

À la suite de cela surviennent la crise structurelle de 2008, l’austérité, et le gouvernement Monti : une autoroute s’ouvre pour le M5S. Grillo devient celui qui incarne ce sentiment anti-politique et cette opposition à la caste. Dans cette simplification populiste qui s’exprime à travers un leader, des revendications différentes s’articulent. Il parvient à regrouper de nombreuses demandes : prise en compte des questions sociales, moralisation de la vie politique, opposition à cette administration publique inefficace et aux coupes budgétaires. Le M5S structure ces demandes sur un mode égalitaire. Se développe l’idée d’une horizontalité, d’une égalité entre tous les citoyens et d’une disparition des corps intermédiaires. Évidemment, c’est irréalisable, mais cette idée de citoyens qui s’auto-organisent, se regroupent, bref l’idée d’une horizontalité structurée par un réseau, s’impose grâce au message de Grillo.

Il faut cependant noter la présence de la Casaleggio Associati [ndlr, le M5S appartient à une entreprise de marketting, la Casaleggio Associati, du nom de l’idéologue Roberto Casaleggio aujourd’hui décédé]. C’est sans doute le point le plus trouble du M5S, parce qu’il est difficile de savoir clairement qui prend les décisions, de quelle manière, d’où vient et comment est géré l’argent. On est face à une situation paradoxale : le M5S profite de la crise du néolibéralisme, et en même temps, croît à partir de la mentalité néolibérale et de l’individualisme croissant de la population. Le mouvement est un contrat notarié, derrière lequel se cache une société de communication privée. Di Maio parle de « contrat de gouvernement » et non « d’accord » car l’accord contient l’idée de compromis. Il laisse penser que le gouvernement pourrait être le résultat d’un vrai contrat en bonne et due forme comme ils sont faits entre agences, entre consommateurs et entre entreprises.

Il est naïf de penser qu’il suffit d’agir avec de bonnes intentions et d’être honnête. C’est important pour le salut de votre âme, mais sur le terrain politique, cela ne fonctionne pas de cette manière. Les gouvernants devront affronter une série de nœuds : les contraintes imposées depuis l’étranger, le poids des marchés internationaux, la libre circulation des capitaux, etc. Comment pourront-ils mettre en oeuvre toutes leurs promesses dans ces conditions ? Leur réponse n’est finalement pas si différente de celle de Renzi. Ils souhaitent pouvoir jouer sur les marges laissées par les traités pour mettre en place des réformes qui ne soient pas totalement incompatibles avec l’austérité. À ce titre, Renzi a introduit un surplus de pouvoir d’achat de 80 euros. Le M5S compte, lui, mettre en place un revenu de citoyenneté. Ce sera peut-être déjà trop pour les gouvernants européens.

Beppe Grillo, fondateur et figure tutélaire du Mouvement Cinq Etoiles ©Niccolò Caranti

Cependant, ce n’est pas suffisant pour l’Italie : le pays a besoin d’investissements publics pour créer des emplois, d’une réduction des impôts sur le travail, de politiques contre la pauvreté, d’un revenu d’inclusion sérieusement financé, voire d’un revenu de citoyenneté conçu comme un instrument d’intégration et non de substitution à l’économie du travail. Combien tout cela coûte-t-il ? Au moins 5-6% du PIB soit entre 60 et 80 milliards d’euros. C’est un argent que nous n’avons pas. J’ajoute qu’il ne faut pas compter sur une reprise de la croissance. On ne pourra donc pas améliorer les conditions de vie des gens en jouant simplement sur les petites marges de manoeuvre que nous laisserait le carcan de l’austérité.

“Transformer l’euro en fétiche, en divinité, c’est faire le jeu des forces de droite. Si on le fait, on crée un grand vide politique, qui doit nécessairement être occupé par quelqu’un d’autre. En Italie, c’est la Lega qui est susceptible de le faire.”

Ce qui est extraordinaire, c’est que l’on a l’impression qu’en Italie, tout le monde pense avoir la recette pour tirer le meilleur parti des règles d’austérité budgétaire. Une fraction du M5S sait que cela n’est pas possible et tente donc de poser le problème de la zone euro. Toutefois, elle refuse de le faire clairement et explicitement. Les dirigeants du M5S ne veulent pas avoir l’air de ceux qui violent les pactes sans arrêt. Au fond d’eux-mêmes, ils savent peut-être que les réformes qu’ils prônent les mettront tôt ou tard au pied du mur ; ou alors ils sont inconscients, et croient vraiment pouvoir gouverner mieux dans le cadre de l’austérité européenne. Je crains que la deuxième analyse ne soit correcte concernant Luigi di Maio et ceux qui l’entourent. Les bruits courent que le M5S serait scindé entre Di Maio et Casaleggio d’un côté, Di Battista, Fico et Grillo de l’autre.

Une chose est sûre : depuis qu’ils sont aux portes du pouvoir, ils pensent qu’il faut envoyer un message rassurant. Pour cela, ils adoptent une posture pro-européenne et atlantique, comme s’ils voulaient souligner qu’il est nécessaire de faire un pacte avec les puissants.

Pour être honnête, le fait qu’ils aient choisi Giacinto della Cananea (juriste de grande valeur qui incarne l’establishment italien) pour présider un comité destiné à vérifier la compatibilité du programme du M5S avec ceux des autres partis, me fait penser qu’ils sont très disposés à s’institutionnaliser. C’est partiellement inévitable. La réalité reste la suivante : s’ils perdent leur énergie politique, le dynamisme que l’approbation du peuple leur a donné, cette approbation populaire disparaîtra.

De ce point de vue, Salvini semble tenir un discours plus constant. Il suffit de penser aux positions qu’il tient sur la Syrie, sur l’alliance atlantique, et même sur l’Europe. Quand il dit à Mattarella [le Président italien] que la Lega respectera les accords par lesquels l’Italie est engagée, mais pas au point d’aller à l’encontre du bien-être des Italiens, il pose une limite. Je ne fais pas l’éloge de Salvini. Je pointe du doigt le fait que certains problèmes devront être traités. J’espère qu’ils ne le seront pas par Salvini.

Il n’en demeure pas moins qu’il faudra dire la vérité sur la zone euro, et sur la mondialisation. Cette dernière provoque une crise de la démocratie et de la société italienne. Est-il possible de réformer la mondialisation ? Pour le faire, il faudrait reconquérir l’autonomie de l’Etat et notre souveraineté démocratique. À cette fin, il faut mener à bien une critique de la mondialisation et de l’européisme. Transformer l’euro en fétiche, en divinité, c’est faire le jeu des forces de droite. Si on le fait, on crée un grand vide politique, qui doit nécessairement être occupé par quelqu’un d’autre. En Italie, c’est la Lega qui est susceptible de le faire. Ailleurs en Europe, ce sont d’autres mouvements de droite identitaire qui prospèrent sur la désignation de bouc-émissaires. Le moins que l’on puisse dire est que ce n’est pas une belle perspective.

LVSL – Dans quelle mesure peut-on rapprocher le M5S d’autres mouvements politiques, comme la France Insoumise ou Podemos ?

N.P – Du point de vue du contenu, des idéaux et du profil identitaire, on peut, dans une certaine mesure, rapprocher le M5S de la France Insoumise et de Podemos. Des similarités avec Podemos son observables dans l’organisation. Ces deux forces sont muées par l’idée d’auto-organisation, d’horizontalité, et de société civile. Mélenchon et Podemos tentent de se situer au-delà du clivage gauche-droite. C’est la même chose pour le M5S, qui est encore plus transversal et post-idéologique que ces mouvements. Le M5S occupe l’espace qui, ailleurs, est occupé par des partis populistes laclauiens.

La théorie de Laclau – que les dirigeants du M5S ne connaissent pas – a beaucoup de défauts mais a le mérite de fonctionner. Elle décrit la forme populiste que prend actuellement la politique. Elle pose une frontière politique [Ndlr, Ernesto Laclau et Chantal Mouffe ont théorisé le populisme comme une opération conflictuelle qui vise à créer une frontière politique entre un “eux” et un “nous”]. Le M5S définit cette frontière. Il occupe cet espace. Il paraît donc difficile qu’un autre mouvement populiste laclauien puisse émerger. Il n’est pas dit qu’il ne puisse pas naître dans un futur proche, si le M5S entre en crise.

Reste qu’actuellement, le M5S obéit à la logique laclauienne. Il incarne la logique du signifiant vide [Ndlr, chez Laclau, les signifiants vides sont des mots et des symboles consensuels dans la société que l’on charge politiquement pour assoir son hégémonie sur le champ politique]. J’ajouterais qu’un signifiant ne peut pas être complètement vide. Ernesto Laclau le disait aussi. Le signifiant vide, si on suit les théories reprises de Lacan, est vide fonctionnellement, c’est-à-dire qu’il fonctionne parce qu’il est vide. Politiquement, cependant, il ne peut pas être réellement vide. Des contenus politiques remplissent le signifiant vide. A mon avis, il est bon qu’il en soit ainsi, parce que la différence entre un mouvement et un autre est constituée par les contenus dont ils sont chargés.

Si nous prenons au sérieux la question de l’hégémonie gramscienne, le contenu doit entrer en jeu. On ne peut pas dire que le signifiant vide est suffisant, parce qu’à la fin il devient une réalité purement rhétorique. C’est l’une des limites de Laclau. C’est sa force et sa limite. Ce que contient le signifiant est important, car on ne peut conquérir l’hégémonie que si on parvient à répondre à des questions réelles, à travers un programme politique qui ne peut être simplement rhétorique. Il doit représenter des intérêts matériels. Sinon, un mot en vaut un autre. Le populisme, qui épouse la forme du conflit qui traverse les sociétés contemporaines, peut-il en être la solution ? En tant que lecteur de Gramsci, je l’espère. Un populisme de gauche doit néanmoins être chargé de contenu pour qu’il soit identifié comme étant de gauche.

Le logiciel du M5S est très simpliste. Cependant, les pulsions qu’il accueille sont des pulsions sociales. Prenons l’exemple du revenu de citoyenneté. C’est devenu un instrument très efficace de lutte politique. C’est un symbole. Cela est du au fait que, depuis une décennie, la population a été totalement laissée à elle-même alors que sa situation sociale se dégrade. Le M5S, instinctivement ou peut-être avec une astucieuse stratégie de communication derrière, a produit des propositions qui tirent leur force de leur simplicité. Le M5S parvient à articuler plusieurs demandes, sur un mode laclauien. Imaginez si la gauche historique avait réalisé cette opération, si elle s’était détournée de ce récit selon lequel tout va bien. Elle aurait du abandonner depuis longtemps ce récit qui a servi à faire passer la précarité, la flexibilité, les politiques anti-sociales et anti-populaires. Les héritiers de ce récit sont devenus partie intégrante de l’establishment. Le PD est le parti de l’establishment. Résultat : la proportion de la société qui les soutient représente à peine un quart de la population au lieu de deux tiers auparavant.

Je trouve singulière la prolifération d’écrits contre la démocratie : on lui reproche de porter au pouvoir des gens qui manquent de compétence. Dès que le peuple ne vote pas pour l’establishment, il devient “la masse”. Or sans le peuple rien ne se fait : entre le monarque de droit divin et le peuple, il faut choisir. Le peuple est une pluralité qu’il faut ramener à l’unité d’une façon ou d’une autre. S’en prendre à l’électorat, en répétant que les électeurs “ne nous ont pas compris” est la chose la plus stupide qui soit : non, c’est vous qui vous êtes mal exprimés. Ou alors ils ont très bien compris que vous avez fait le Jobs Act [Ndlr, une loi votée sous un gouvernement dirigé par le Parti Démocrate, qui flexibilise considérablement les conditions de travail des Italiens], et que vous avez soutenu le gouvernement Monti. Que les choses soient claires : Renzi n’est pas un novateur. Il est le chant du cygne noir. Il incarne la soumission au néolibéralisme. C’est un Tony Blair rance, et de petite qualité.

Entretien réalisé par Lenny Benbara pour LVSL. Retranscrit par Francesco Scandaglini et traduit par Florine Catella.