Grégory Doucet : « Je suis d’abord l’incarnation d’une aspiration à plus d’écologie »

Grégory Doucet, © Killian Martinetti pour LVSL

Inconnu en politique avant les élections municipales, Grégory Doucet est élu maire de Lyon en juillet 2020 mettant fin à près de vingt ans de règne de Gérard Collomb sur la ville. Loin des nombreuses polémiques dont il est régulièrement la cible, nous avons voulu rencontrer ce nouvel élu pour en savoir plus sur sa vision du pouvoir, de la métropolisation, de la décentralisation et des élections présidentielles.  Un entretien réalisé le 16 février 2021 par Blandine Lavignon et Clément Coulet. Photos de Killian Martinetti.

LVSL – Il s’agit de votre tout premier mandat politique. Piétonisation, fonds de soutien à la culture, baisse de vos indemnités d’élus… Vous avez pris plusieurs mesures dans un contexte de crise sanitaire. Quel regard portez-vous sur vos huit premiers mois de mandat ?

Grégory Doucet  Tout d’abord, je suis très content. Ça peut paraître étonnant de commencer ainsi, mais je suis très content d’avoir été élu et d’exercer la fonction. C’est une fonction dans laquelle je me sens heureux. C’est mon premier mandat, mais c’est aussi le premier mandat pour l’essentiel de mon exécutif, à deux exceptions près ; Sandrine Runel aux solidarités et Nathalie Perrin-Gilbert qui est à la culture, qui, elles, sont expérimentées et connaissaient la machine.

Nous avons été élus en période de crise sanitaire et on s’est tout de suite mis au travail sur le sujet. La première semaine, alors période un peu plus calme de la crise sanitaire, je confiais à mon adjointe à la santé et la prévention la responsabilité de mettre en place une cellule de veille pour voir comment l’épidémie se propageait. À la mi-août, aux premiers signaux de reprise de la pandémie, nous avons transformé cette cellule de veille en cellule de gestion de crise. Tout cela a été fait très rapidement. Je trouve que Lyon fait partie des villes en France qui a su le mieux s’armer, s’organiser pour répondre aux enjeux de la crise sanitaire. Il se trouve que je viens du monde de l’humanitaire. J’ai donc aussi fait appel à des réflexes, des habitudes de travail que j’avais antérieurement. 

Nous avons déployé tout de suite notre programme ! Le Fonds d’urgence pour la culture faisait partie des engagements que nous avions pris pendant la campagne, et c’était en même temps une réponse à la crise sanitaire. Nous avons décidé fin juillet, que nous consacrerions 4 millions d’euros. Le secteur culturel nous en est, je pense, largement reconnaissant. Un certain nombre de structures ont ainsi pu être sauvées. Le dernier point pour moi qui est aussi particulièrement remarquable est lié au travail de la première adjointe notamment. Nous avons pu, en six mois, élaborer ce qu’on appelle une Planification pluriannuelle des investissements (PPI). Nous savons aujourd’hui quels vont être nos investissements sur la mandature. Lors de la précédente mandature, il avait fallu 18 mois pour sortir la PPI. Nous jeunes élus, en période de crise sanitaire, en six mois, c’est bouclé. 

Quand j’investis dans le service public, j’investis dans le patrimoine de ceux qui n’en n’ont pas.

LVSL – Concernant cette PPI, vous avez fait le choix de l’endettement à 63%, ce qui a fait pas mal débat. Est-ce que l’endettement était le seul moyen de financer ces projets d’infrastructures dans le contexte actuel ? 

G. D. – Nous investissons, c’est d’abord ça le vrai sujet. Nous investissons pour répondre à deux grands enjeux. Le premier est que l’on hérite d’une dette patrimoniale dans cette ville. Il y a eu un déficit d’investissement dans l’entretien d’un nombre très significatif de bâtiments publics. De ce fait, il nous faut remettre ces bâtiments en état. À cette dette patrimoniale, s’ajoute le fait que la ville n’a pas investi en prévision du dérèglement climatique. Nous devons réaliser un investissement gigantesque. Et très clairement, nous ne pourrons pas réussir à tout faire sur cette mandature ! Nous allons investir massivement en priorité sur les écoles et les équipements pour la petite enfance. Sur une PPI de 1,2 milliards d’euros, il y a plus de 300 millions qui vont être dédiés à l’éducation. Cet endettement, c’est d’abord comme un investissement. 

Comment fait-on pour financer des investissements ? La ville a des finances globalement saines, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’emprunts toxiques. La ville génère légèrement plus de revenus que ce qu’elle dépense, ce qui permet une capacité d’investissements et c’est important. Bien évidemment cette capacité d’investissement n’est pas suffisante pour répondre à tous les enjeux mentionnés plus tôt. Et, il se trouve que les taux d’intérêts sont en ce moment extrêmement bas donc on va emprunter avec un taux très faible. C’est bien pour cette raison que nous sommes élus, la ville n’est pas une entreprise privée qui va reverser des dividendes. Notre rôle c’est de rendre du service public. Quand j’investis dans le service public, j’investis dans le patrimoine de ceux qui n’en n’ont pas. En plus, dans ce contexte d’urgence climatique, nous avons cette obligation d’investir, nous n’avons pas le choix. Ça n’a pas été fait précédemment à des niveaux suffisants. Cet endettement, je le vois d’abord comme un investissement. Aujourd’hui, augmenter la durée d’endettement, ne conduit pas du tout – à l’inverse de ce que certain ont pu prétendre- la ville à la faillite ou à la mise sous tutelle de la préfecture. Dans la réalité, heureusement qu’on investit, j’ai presque envie de dire, qu’on « gère en bon chef de famille » même si cette expression est patriarcale.

Grégory Doucet, © Killian Martinetti pour LVSL

« Je ne vais pas faire une métropole ou une ville de l’hyper-compétition, ce qui m’importe c’est de faire une ville de l’hyper-coopération »

LVSL – Le modèle métropolitain est parfois considéré comme étant l’incarnation territoriale du néolibéralisme. Il renforce l’attractivité, la compétitivité territoriale afin d’attirer certaines classes créatives, les capitaux … Est-ce que vous souhaitez poursuivre ce modèle de métropolisation ? Est-ce qu’un modèle de métropolisation écologiste est possible ? 

G. D.  Est-ce qu’on veut faire une métropole écologiste ? La réponse est oui ! Je ne vais pas faire une métropole ou une ville de l’hyper-compétition, ce qui m’importe c’est de faire une ville de l’hyper-coopération, je crois beaucoup plus à ça. J’y crois à la fois de manière empirique parce qu’il se trouve que par mon activité professionnelle, c’est ce que j’ai pu davantage pratiquer, mais au-delà de ça, on a une conception de notre économie, de nos sociétés qui est fondée sur le soi-disant intérêt qu’aurait la compétition. On fait souvent référence à la famille qui serait l’ordre naturel des choses et on doit, nous, construire finalement des sociétés sur ces modèles. Que l’on soit une société où il y a un peu d’émulation (je préfère ce terme à compétition), pourquoi pas ? Mais en faire le moteur de nos sociétés, moi je dis non ! Ce n’est pas comme ça qu’on doit se construire. Et je pense que c’est pour cela qu’on a des sociétés aujourd’hui, et j’implique la construction économique, qui sont si malades, d’abord d’être en train de détruire cette planète, et même malades en elles-mêmes. Depuis que je suis adolescent, je n’entends parler que de crise. On passe d’une crise à l’autre comme si on était dans un monde perpétuellement en crise, comme si notre monde allait mal et que c’était un état de fait. On n’a pas su créer des sociétés qui mettaient en avant le bien-être, qui se donnait comme objectif de créer du bien-être, et moi c’est à cela que j’aspire. C’est cela que je veux offrir aux Lyonnaises et aux Lyonnais : construire une ville du bien-être.

« L’écologie politique porte en elle les questions sociales »

LVSL – Par quelles mesures cela passe concrètement ? 

G. D. – Derrière le mot métropolisation, il y a beaucoup de choses, beaucoup de concepts. Il y a une démarche à laquelle je n’adhère pas, mais pour le coup, créer une ville du bien-être, oui, c’est ça le projet. Et une ville du bien-être, cela veut dire que c’est déjà une ville où on privilégie ce qui relève du public, du commun. Le commun, c’est d’abord un espace public qui est prioritairement dédié aux piétons parce que tout le monde ici peut être piéton. 

Une ville du bien-être c’est aussi une ville où en tant qu’individu, je sens que j’ai ma place. Avoir sa place, cela peut vouloir dire beaucoup de choses. Cela peut vouloir dire avoir une activité professionnelle, un travail, mais c’est aussi une ville où ma voix compte, où je peux la porter. C’est une ville de la démocratie locale et vivace, où j’ai l’occasion d’exprimer mon point de vue. Alors, évidemment, il y a les élections ça, ça existe déjà, mais c’est aussi d’exprimer mon point de vue sur la manière dont mon quartier, ma rue, mon arrondissement, s’organisent, s’animent, vivent. La transition écologique ne peut se faire qu’à la condition qu’on ait une démocratie locale impliquante et vivace. Et bien évidemment, elle ne peut se faire qu’au prix de la lutte pour la disparition des inégalités sociales aussi, mais pour moi cela en fait partie. L’écologie politique porte en elle les questions sociales. 

Grégory Doucet @Killian Martinetti pour LVSL

LVSL – En parlant de redonner du pouvoir aux territoires, le projet de loi 4D devrait être présenté en Conseil des ministres au printemps prochain. Votre camp politique affirme vouloir « redonner le pouvoir aux territoires » en plaidant pour accroître la décentralisation au risque de rompre avec les principes d’égalité et d’indivisibilité. La décentralisation peut accroître la concurrence entre les territoires et sert de justification à un retrait d’un État déjà affaibli. Souhaitez-vous approfondir la décentralisation ?

G. D. – C’est une question d’une très grande complexité parce qu’en fonction de la manière dont la loi où la décentralisation se fait, cela change tout. Je vais partir de l’exemple de la crise sanitaire. La crise sanitaire a donné à voir le rôle très important des villes dans la gestion quotidienne de la crise. C’est bien la ville de Lyon qui a mis en place ce grand centre de dépistage à Gerland, c’est bien la ville qui a pris l’initiative de le transformer en centre de vaccination. On voit bien que les villes ont un rôle clef à jouer parce que l’aboutissement de la politique sanitaire, qui est pourtant une politique nationale, à un moment elle vient à la rencontre de la proximité de la vraie vie des gens. Cela nous a conduit à nous interroger sur la façon dont les réponses à la crise sanitaire s’articulent, sur ce que doit être la place de la ville dans la politique de santé publique. Je suis persuadé aujourd’hui que les communes doivent avoir un plus grand rôle dans les politiques de santé publique. Cela veut-il dire pour autant que je veux devenir un petit ministre de la Santé ? Surtout pas, parce qu’il y a des politiques de santé qui se décident par souci d’équité au niveau national et c’est bien. Mais il y a sur certains sujets des déclinaisons locales, et donc cela a à voir avec la décentralisation, il y a des déclinaisons qui doivent se faire en tenant compte de ce que les communes peuvent faire, je dirai même plus, doivent assurer. 

Mon rôle, c’est de considérer la question de la santé environnementale. Les politiques de prévention au niveau national peuvent avoir un impact, mais c’est souvent un peu limité. Quand elles sont incarnées localement, elles peuvent avoir un poids plus important. J’insiste sur la question de la prévention car c’est l’une des priorités que nous nous sommes donné avec Céline De Laurens, mon adjointe à la santé et à la prévention.

Grégory Doucet, © Killian Martinetti pour LVSL

LVSL – Les élections présidentielles approchent. Dans votre camp, entre un Eric Piolle et un Yannick Jadot, les stratégies et lignes politiques diffèrent. Existe-il une ligne Doucet ? 

Grégory Doucet – Et Sandrine Rousseau ! Je ne serai pas candidat aux élections présidentielles, donc il n’y aura pas de ligne Doucet. Il n’y a pas de ligne Doucet. Je défends l’idée que l’on a d’abord besoin de constituer une équipe qui travaille sur un programme et c’est ça qui est le plus important. Je ne suis pas pro-Jadot, pro-Piolle ou pro-Rousseau, ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est, pour le faire de manière caricaturale, qu’il faut d’abord construire l’équipe de France de l’écologie et aujourd’hui, ça ne se voit pas assez encore. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas du travail qui est fait, bien évidemment du travail a été engagé pour la construction d’un programme et c’est déjà une première étape. Mais moi, je souhaite avant tout qu’on construise cette équipe, et là, à ce stade, elle doit être ouverte, on doit pouvoir donner la possibilité à d’autres à venir jouer avec nous, pour rester dans la métaphore de l’équipe ! 

« Je n’ai pas la prétention d’être le génie qui sauvera Lyon »

LVSL – Que pensez-vous de l’hypothèse d’une candidature Hidalgo ? Est-elle une maire écologiste ?

Grégory Doucet – En étant cohérent avec ce que je viens de vous dire, il n’y a pas d’hypothèse Hidalgo. Pour que cela devienne un sujet, il faudrait d’abord que le travail en amont soit fait. Aujourd’hui en France, on est tellement obnubilé par cette image, cette figure du président qui nous sauverait tous… Macron ne nous a pas plus sauvé que les autres… Pour la parenthèse, Jacques Chirac déclarait en 2002 « la maison brûle et on regarde ailleurs », et qu’est-ce qu’on a fait depuis 2002 ? On a continué de regarder ailleurs, donc est-ce que le président c’est celui qui va nous sauver ? Non ! C’est en constituant une équipe que l’on va réussir à s’en sortir. Vous savez, je n’ai pas la prétention d’être le génie qui sauvera Lyon. Je suis d’abord l’incarnation d’une aspiration à plus d’écologie, et ce n’est que parce que j’ai une formidable équipe. D’abord mon exécutif et puis il y a aussi, il faut le dire, une très bonne administration à Lyon. Nous disposons d’agents qui sont extrêmement engagés et qui sont extrêmement compétents, et ça, c’est une chance. 

LVSL – Dernièrement, deux laboratoires d’idées, l’Institut Rousseau et Hémisphère gauche ont lancé une campagne visant la création d’un million d’emplois dans les secteurs de la reconstruction écologique et du lien social à destination des chômeurs de longue durée. Inspiré notamment par le dispositif Territoires Zéro Chômeurs de Longue Durée, il s’agit de mettre en place une garantie à l’emploi vert. Que pensez-vous de cette proposition ? La soutenez-vous ?

G. D. – Je ne l’ai pas étudié en détails, mais sur le principe oui bien sûr ! D’ailleurs, avec la métropole, nous avons travaillé sur le développement d’une expérimentation « territoire zéro chômeurs » aussi. Selon loi, nous devons créer ou permettre le développement d’activités économiques qui génèrent la création d’emplois, en sortant de cet espèce de dogme que l’on pourrait dire libéral, où il faudrait que chacun soit le plus productif possible. Dans certaines opérations humanitaires, pour aider au relèvement de certains territoires affectés par une épidémie, une guerre, on va mettre en place des activités que l’on appelle à « haute intensité de main d’œuvre » parce que le plus important c’est que les gens retrouvent une activité, un emploi, même si c’est saisonnier. C’est comme cela que l’on recrée du lien social, un dynamisme économique. Je ne dis pas que c’est ce que nous allons faire à Lyon demain, mais je pense que, oui, toutes ces initiatives qui visent à créer de l’activité économique pour tout le monde vont dans le bon sens. Ce qui m’importe ce n’est pas d’enrichir des actionnaires qui iraient placer leurs argents sur les îles Caïman, mais que l’activité économique serve aux territoires.

100 milliards d’euros : ce que coûte chaque année la pollution à la France

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Tandis que les pics de pollution atmosphériques sont désormais récurrents dans de nombreuses villes françaises, les autorités, qui en connaissent le coût démesuré pour la santé publique et l’environnement, sont réticentes à mettre en place des mesures décisives pour les combattre.

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Les ours blancs débarquent à l’enseigne 

Un peu moins d’un an après le triomphe symbolique de nos gouvernants à la COP21, le spectre du changement climatique se fait plus menaçant que jamais. Pendant tout le mois de décembre, une horde d’ours polaires avaient quitté (ou fui?) leur banquise pour venir folâtrer dans les rayons du magasin de luxe parisien l’Enseigne. Très jolie à voir, la présentation commençait par un globe terrestre dont la banquise couvrait une très grande partie du pôle nord. Ironie ? Car derrière ce conte pour enfants se cache la réalité : 2016 pulvérise les records de fonte de la banquise, avec des anomalies de température montant jusqu’à 18°C aux pôles le 22 décembre.

Pics de pollution dans toutes les grandes villes françaises

Sans parler des conséquences catastrophiques sur la libération de méthane avec le dégel annoncé du permafrost, remontons à la cause majeure de ce grignotage : les émissions de gaz à effet de serre. Le mérite des pics de pollution, si l’on peut dire, est de nous rappeler que notre modèle énergétique fondé-sur-le-nucléaire-qui-n’émet-pas-de-gaz-à-effets-de-serre est un modèle très carboné.

Pic de pollution le 7 décembre (franceinter.fr)
Pic de pollution le 7 décembre

Culotté, le sorcier Sarkozy pour rejetait la faute sur la charbonnière Merkel : “Quand je vois que les allemands viennent de rouvrir toutes leurs centrales à charbon qui envoient leurs particules jusqu’à Paris qui nous inondent…” avait-il osé déclarer. Certes, le charbon fournit 40 % de l’électricité allemande, contre un tiers pour l’ensemble des sources renouvelables. Mais le lien de cause à effet avec la pollution aux particules fines est plus que douteux. En effet, l’un des principaux émetteurs de ces particules, c’est le moteur à diesel. Or, la France est championne du diesel en Europe : l’INSEE a d’ailleurs relevé une augmentation récente de la part des véhicules diesel dans le parc automobile français (de 59,2 % à 62,4 % entre 2012 et 2015). De toute façon, même un collégien peu dégourdi serait capable en regardant une carte comme celle-ci (situation au 7 décembre) d’en tirer un constat simple : les poches de particules fines ont une tendance assez nette à se concentrer sur les grandes agglomérations.

L’effet boule de neige

Une pincée de campagne, une pincée de ville, résultat explosif (asso.airparif.fr)
Une pincée de campagne, une pincée de ville, résultat explosif 

Parmi les grands méchants pollueurs, on ne présente plus le méthane, issu de la digestion des bovins notamment. : son effet de serre est 23 fois plus puissant que celui du CO2. Le dioxyde d’azote est lui impliqué dans de nombreux scandales industriels (dernier en date chez le constructeur automobile Fiat Chrysler). Mais saviez-vous que l’ammoniac, qu’on trouve dans les nettoyants industriels à l’odeur insupportable, est lui aussi un polluant atmosphérique de premier ordre ? Ce composé, qui permet aux végétaux d’incorporer l’azote contenu dans l’atmosphère, est essentiellement émis par les engrais industriels, et le stockage du lisier, émis lui-même par l’élevage (surtout l’élevage intensif, avec les problèmes d’algues vertes qu’on lui connaît). Comme quoi, Angela n’est pas la source de tous nos maux, même si l’Europe se passerait bien volontiers de l’industrie charbonnière allemande.

 

 

Une facture très salée : des dizaines de milliards d’euros qui partent… en fumée

Pour essayer d’éclaircir le préjudice sanitaire et donc économique de la saturation de l’air en saloperies diverses et variées, une commission d’enquête sénatoriale a rendu public un rapport intitulé “Pollution de l’air : le coût de l’inaction” (juillet 2015). Spoil alert : les conclusions sont accablantes.

Il s’agissait, selon Mme Leïla Aïchi, sénatrice de Paris, de prendre en compte non seulement les répercussions des épisodes spectaculaires de pollution, mais aussi et surtout la pollution dite “de fond” : celle que les professionnels de santé rattachent à diverses maladies respiratoires (bronchopneumopathie obstructive, cancers du poumon….), cardiaques (infarctus, entre autres ), mais aussi, par un effet de prévalence, à la maladie d’Alzheimer et à l’obésité. La même qui endommage la biodiversité, défigure les bâtiments et contamine l’eau.

Première conclusion : la “faiblesse de la mobilisation de l’Etat face à un enjeu qui est durablement inscrit au premier rang des préoccupations de nos concitoyens“. Ensuite : le résultat de l’ “effet cocktail” des différents polluants, peut être évalué, en ajoutant les coûts non sanitaires (baisse des rendements agricoles, dégradation des bâtiments, etc.) aux coûts sanitaires, à hauteur de 68 à 97 milliards d’euros. Pas dans le monde, pas en Europe, en France. Et le bénéfice net de la lutte contre la pollution de l’air tourne quant à lui autour de 11 milliards d’euros par an, ce qui est tout aussi astronomique.

Mode d’emploi pour le grand nettoyage

Bien sûr, il nous faut des fables d’ours polaires facétieux pour ne pas sombrer dans le défaitisme face au réchauffement du climat, à l’acidification des océans, à l’effondrement de la biodiversité, à la chute de la fertilité des sols… et au cynisme des grandes entreprises. Mais il faut transformer l’essai esthétique en pratiques responsables.

En jetant un œil aux recommandations du rapport, les amateurs de mesures concrètes et vraiment ambitieuses resteront sur leur faim. Mise en place d’une fiscalité écologique sans risquer le “fiasco” de l’écotaxe, mieux coordonner les plans nationaux, les schémas régionaux et les plans de protection de l’atmosphère, favoriser l’innovation, accompagner les acteurs (TPE, PME) dans leur transition vers des activités non polluantes grâce à BPI France, ou encore promouvoir le coworking et le télé-travail : c’est jouer petit bras, dans la mesure où il s’agit pour l’essentiel de revendications qui ne seront pas entendues par le pouvoir en place, ou qui seront traduites qu’en termes de “recommandations” sans réel pouvoir de contrainte, morale et juridique.

La responsabilité du diesel n’est plus à démontrer : dès maintenant, il faut contraindre les industriels automobiles à organiser très rapidement l’après-diesel. Par exemple en sanctionnant très sévèrement les tricheurs (ex. Vökswagengate), en durcissant le système bonus-malus tout en organisant la possibilité, afin de ne pas créer davantage d’injustices sociales, pour les propriétaires de véhicules diesel de pouvoir se tourner à peu de frais vers des véhicules hybrides ou électriques, en sautant la case essence, et donc en boostant l’actuelle prime à la conversion. En matière de pollution de l’air intérieur, il faut tout simplement bannir les solvants et métaux lourds soupçonnés de nuire, surtout en synergie, à la santé.

De même, la nécessité d’une transition du modèle agricole productiviste actuel vers un modèle écologique (agroécologie, permaculture, fermes polyvalentes), soulevée timidement par le rapport, passe nécessairement par l’arrêt des subventions massives accordées aux méga-exploitations et leur affectation à la création de dizaines de milliers d’exploitations intensives en main d’oeuvre, afin de les réorienter vers une agriculture socialement responsable L’accompagnement pédagogique des citoyens doit lui aussi être ambitieux, à l’école, dans les médias ou sur le lieu de travail, à propos de la nécessité de réduire la part des protéines carnées dans notre alimentation, et en matière d’éco-responsabilité en général.

Histoire, au moins, de pouvoir regarder les vrais ours polaires sans frémir de honte.

Crédits photos :

  • sortiraparis.com
  • franceinter.fr
  • asso.airparif.fr
  • Patrick Kovarik-AFP (bfmtv.com)