En Allemagne, la recomposition politique avance à grands pas

Merkel en fin de course?

Au cœur d’une Europe en plein bouleversement, où chaque élection confirme une recomposition politique rapide et radicale avant tout motivée par le dégagisme d’élites honnies, l’Allemagne semblait longtemps faire figure d’exception. Pourtant, seulement trois mois après la difficile formation d’un quatrième gouvernement dirigé par Angela Merkel celui-ci semble déjà se fracturer sur la question migratoire. En parallèle, l’extrême-droite continue de progresser et inspire toujours davantage les partis de droite classique à la recherche d’un nouveau souffle. En face, le SPD continue de perdre son statut de grand parti de la gauche allemande, les écologistes semblent maintenir leur puissance électorale, et Sarah Wagenknecht cherche à briser le plafond de verre atteint par Die Linke. Une recomposition majeure de la scène politique allemande prend donc forme, à la fois similaire à d’autres en Europe et unique en son genre.


 

La fin d’une époque

Si la reconduction d’Angela Merkel pour quatre nouvelles années à la chancellerie allemande lors des élections législatives de septembre dernier n’a surpris personne, en déduire une inertie politique totale outre-Rhin serait une grave erreur. Certes, la Chancelière dispose toujours d’un certain talent politique et d’une image plutôt bonne, et peut toujours égaliser le record de longévité au pouvoir – seize ans, de 1982 à 1998 – de son mentor politique Helmut Kohl. Pourtant, si l’Union chrétienne-démocrate qu’elle dirige a réuni un tiers des voix l’an dernier, dominant largement le reste du spectre politique, la continuité et la stabilité proposées semblent séduire de moins en moins. L’électorat de la CDU-CSU est vieillissant et avant tout composé de retraités aisés ou d’indépendants souhaitant prolonger un contexte économique qui leur est favorable. Pour le reste de la population, ce projet politique séduit peu, après plus de douze ans d’exercice du pouvoir par Angela Merkel. D’autant qu’il y a de nombreux problèmes qu’ils n’estiment pas traités correctement par le pouvoir actuel, en particulier la question migratoire et les inégalités grandissantes.

“L’électorat de la CDU-CSU est vieillissant et avant tout composé de retraités aisés ou d’indépendants souhaitant prolonger un contexte économique qui leur est favorable.”

La difficile formation d’un nouveau gouvernement en témoigne : six mois, alimentés de nombreuses péripéties, ont été nécessaires pour y parvenir. En effet, les chrétiens-démocrates ont d’abord tenté de mettre en place une “coalition Jamaïque” avec les libéraux du FDP et les écologistes de Die Grünen, en réponse à la volonté du SPD de retourner dans l’opposition pour mieux se relancer par la suite. Après moultes discussions, le dirigeant du FDP Christian Lindner a fini par annoncer son refus de participer à un tel attelage politique, jugeant l’accord préliminaire de gouvernement trop imparfait à son goût. Afin d’éviter de nouvelles élections qui auraient sans doute vu leur base électorale se réduire davantage et usant de la peur d’une nouvelle progression de l’extrême-droite, le leader du SPD Martin Schulz se montra alors prêt à renouveler la “Groẞe Koalition” avec la CDU-CSU en échange de concessions minimes. Au terme d’un succinct mouvement de contestation intitulé “NoGroKo” mené notamment par la faction jeune du parti et d’un scrutin interne, le SPD a approuvé cette option, débouchant sur la création du gouvernement actuel, en mars 2018. Depuis, l’Allemagne se contente de mener la même politique ordolibérale que précédemment, quoi qu’en dise le SPD, qui promettait un tournant en obtenant le ministère des finances jusqu’alors tenu par Wolfgang Schaüble.

D’ores-et-déjà, le gouvernement Merkel IV se fissure, à mesure que certains appétits politiques progressent, en particulier celui de Horst Seehofer, ministre de l’intérieur et leader de la CSU bavaroise (parti frère de la CDU au sein de “Die Union”, présent uniquement en Bavière et historiquement plus conservateur que cette dernière). Jouant sur la vague d’opposition à l’arrivée de migrants en Allemagne et en vue des élections bavaroises d’octobre, ce dernier a encore réclamé de nouvelles mesures pour expulser davantage à l’occasion d’une rencontre avec le très droitier chancelier autrichien Sebastian Kurz. Si cette insistance sur la question migratoire dure depuis 2015, elle a cette fois-ci franchi une nouvelle étape, avec la menace d’une rupture de l’alliance entre la CSU et la CDU, ce qui priverait Angela Merkel de majorité au Bundestag. Une nouvelle coalition sans la CSU et avec les Verts – qui soutiennent la politique d’accueil des migrants – et le SPD semble être en discussion pour permettre d’évacuer l’encombrant ministre de l’Intérieur, mais la séparation CSU-CDU n’en représenterait pas moins un coup de tonnerre politique. Au-delà des manoeuvres de Seehofer, il faut également s’attendre à de plus en plus de soubresauts internes chez les chrétiens-démocrates de la part d’une génération de “jeunes loups” impatients d’exercer le pouvoir maintenant qu’Angela Merkel est sur une pente déclinante.

Une fin de règne se prépare donc, nonobstant les ridicules présentations téléologiques qui qualifiaient encore récemment Angela Merkel de “femme la plus puissante du monde” ou de “leader du monde libre”. Surtout, ce sont plus largement les fondements de la politique allemande d’après-guerre qui s’effondrent les uns après les autres : le compromis économique social-démocrate a été démantelé par les réformes libérales du chancelier Gerhard Schröder (SPD) ; le bipartisme traditionnel, avec le FDP en force d’appoint, disparaît à mesure que la CDU-CSU et le SPD cèdent du terrain face aux autres partis; l’extrême-droite est entrée en force au Bundestag l’an dernier, et voilà maintenant que l’alliance CDU-CSU, aussi vieille que la République fédérale, est remise en cause. Loin de ne constituer qu’un épisode politique mineur, la déclaration de Seehofer est donc l’expression d’une crise politique beaucoup plus large, et de changements majeurs à venir.

A droite toute !

Rencontre entre Horst Seehofer (CSU) et Sebastian Kurz (ÖVP).

C’est avant tout à droite que la recomposition politique allemande a débuté, avec pour déclencheurs la crise de l’euro du début des années 2010 puis la crise migratoire qui dure depuis 2015. En effet, ces évènements majeurs, desquels la politique voulue par Berlin est directement responsable, ont conduit à une mutation profonde, et à un essor, des partis de droite, comme cela est visible ailleurs en Europe. Suite à la multiplication des difficultés financières des pays du sud de l’Europe, toujours plus dépendants industriellement de l’Allemagne, l’AfD (Alternative für Deutschland, extrême-droite) voit le jour en 2013 comme parti anti-euro, accusant les pays du sud de vivre à crédit sur le dos des contribuables allemands, premiers contributeurs aux plans “d’aide” austéritaires. Par la suite, alors que l’Allemagne accueillait plus d’un million de réfugiés en 2015 afin d’endiguer son déclin démographique, le parti s’est concentré sur l’opposition à l’immigration, les questions sécuritaires et a critiqué de plus en plus violemment l’islam, donnant naissance à la première formation politique d’extrême-droite allemande depuis la Seconde Guerre Mondiale. Désormais au coude-à-coude avec le SPD pour la seconde place dans les sondages, l’AfD est donc le produit direct de l’Europe ordolibérale d’Angela Merkel qui a désindustrialisé les pays d’Europe du Sud et rendu toute gestion humaine de l’immigration impossible pour ces pays paupérisés, conduisant à une catastrophe humanitaire.

Le succès fulgurant de l’AfD a rapidement inspiré le FDP, absent du Bundestag entre 2013 et 2017, qui a vu son électorat siphonné par les chrétiens-démocrates après avoir gouverné avec eux lors du second mandat Merkel (2009-2013). Afin de séduire des électeurs partis pour la CDU-CSU, Christian Lindner a décidé d’adopter la rhétorique d’intransigeance budgétaire et de refus d’aide financière aux pays d’Europe du Sud abandonnée peu à peu par l’AfD. Cette stratégie, couplée à une opposition grandissante à l’immigration et à une campagne de communication focalisée sur la personnalité de Lindner, a permis au parti de réaliser un score relativement élevé l’an dernier, 10,7%. Le refus de participer à une nouvelle coalition avec les chrétiens-démocrates et les écologistes s’explique donc par la volonté de s’opposer depuis la droite à la CDU-CSU, en continuant à siphonner le réservoir électoral traditionnel d’Angela Merkel.

Désormais, ces deux crises atteignent le coeur de la droite allemande traditionnelle, à savoir la CDU-CSU. Malgré le soutien du SPD au projet de réforme de la zone euro d’Emmanuel Macron – qui visait la création d’un ministère des finances de la zone euro et des nouveaux instruments de contrôle des budgets nationaux pour mieux resserrer le contrôle de l’UE sur les états-membres de l’union monétaire – Merkel s’y est opposée vigoureusement, afin de ne pas céder davantage de terrain politique au FDP. La courte phase d’accueil massif de réfugiés en 2015 a quant à elle vite été remplacée par une politique de lutte contre l’immigration, notamment sur volonté de la CSU. Il faut dire que le climat politico-médiatique est devenu brûlant sur cette question à mesure que la surenchère sécuritaire se déployait et que des évènements particuliers venaient renforcer l’assimilation des réfugiés à un vaste groupe de terroristes et de criminels. Dernier exemple en date: l’assassinat et le viol d’une adolescente par un demandeur d’asile irakien, débouté en 2015 et demeuré dans le pays illégalement depuis.

“Il est fort probable que cette logique bénéficie avant tout au plus radical, à savoir l’AfD, les électeurs préférant l’original à la copie.”

La concurrence politique à droite sur les sujets sécuritaires, identitaires et sur l’euro est donc devenue de plus en plus forte ces dernières années, chaque parti adoptant des positions et des déclarations toujours plus radicales pour se différencier des autres ou dans l’espoir de ne pas céder de terrain. Il est fort probable que cette logique bénéficie avant tout au plus radical, à savoir l’AfD, les électeurs préférant l’original à la copie. A noter également que la candidate de l’AfD pour la chancellerie en 2017, Frauke Petry, a quitté le parti peu après les élections pour créer son propre parti de droite conservatrice avec l’aide de quelques anciens cadres de l’AfD : le parti bleu (Die Blaue Partei). Cette scission se fonde sans doute sur une ambition personnelle, comparable à celle de Florian Philippot en France, bien que des divergences programmatiques entre les “bleus” et les “patriotes” existent. L’émiettement des voix de droite en Allemagne pourrait toutefois se résoudre par une alliance entre droite “traditionnelle” et “extrême”, comme cela a été le cas durant la campagne des élections italiennes – entre la Lega de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi – ou en Autriche, où Sebastian Kurz – ÖVP, droite “traditionnelle” – gouverne avec le FPÖ. Ce type d’alliance a beau être de plus en plus répandu, une longue période de “normalisation” de l’extrême-droite la précède souvent – comme en Autriche où l’ÖVP et le FPÖ ont déjà gouverné ensemble entre 1999 et 2005-, alors que la droite radicale demeure un phénomène récent en Allemagne. Dans l’avenir proche, il est en tout cas certain que la politique d’immigration et européenne de l’Allemagne continuera de se durcir.

 

La “gauche” également en pleine restructuration

Sarah Wagenknecht et Dietmar Bartsch, les “spitzkandidaten” de Die Linke en 2017.

Les forces politiques communément qualifiés “de gauche” connaissent elles aussi de nombreux bouleversements. En premier lieu, le SPD, parti social-démocrate historique qui œuvra pendant des décennies pour plus de justice sociale et pour une cogestion des grandes entreprises entre syndicats et patronat, semble désormais sur la même pente déclinante que les autres partis socio-démocrates européens, sanctionnés pour leur politique néolibérale. A cet égard, l’éphémère leadership de Martin Schulz, précédemment président du Parlement Européen, mérite l’attention : élu par plébiscite – 100% des voix – lors d’un congrès du parti en mars 2017 et profitant d’un engouement médiatique pour sa candidature, il s’élève dans les sondages, avant de retomber tout aussi rapidement et d’encaisser plusieurs défaites dans des Länder où le SPD est historiquement fort. Martin Schulz mène le parti à son plus faible score fédéral depuis 1945, 20,5%, et finit par être contraint de quitter la présidence du parti après avoir accepté de former une nouvelle grande coalition avec Angela Merkel, contrairement à sa promesse durant les élections. L’usure aussi rapide d’une figure politique majeure du SPD démontre que l’insatisfaction des militants vis-à-vis des orientations suivies par le parti est grandissante, alimentant à plein le dégagisme. L’ambiance actuelle au SPD est moribonde, l’énergie militante absente, et la nouvelle présidente du parti, Andrea Nahles, ministre du travail de 2013 à 2017 et soutien de la “GroKo”, semble ne disposer ni du charisme ni de la volonté de rupture avec le centrisme merkelien que réclament les électeurs.

A en juger par les sondages, les premiers bénéficiaires du vote sanction contre le SPD semblent être les Verts, qui ont récemment progressé de plusieurs points, alors que Die Linke est stable. Pourtant, ces variations statistiques légères ne signifient rien en l’absence d’élection et les Verts pourraient tout à fait connaître le même sort que le SPD s’ils venaient à rejoindre la CDU et le SPD au gouvernement. D’après le doctorant en sciences politiques Alan Confesson, l’électorat de Die Grünen est “volatile, peu politisé, majoritairement ancré à gauche et plutôt jeune”, autant d’éléments qui pourraient être défavorables au parti dans un contexte de repolitisation et de radicalisation. Les seuls orientations politiques claires de Die Grünen et de ses militants sont l’écologie et l’accueil de réfugiés, les contorsions idéologiques étant très nombreuses sur les autres thèmes, en particulier la répartition des richesses. Avec l’effondrement du SPD et la perspective de remplacer la CSU au sein du gouvernement Merkel, nul doute que les électeurs allemands auront bientôt un avis bien plus arrêté sur la politique proposée par les Verts.

Enfin, Die Linke, issue de la fusion du successeur de l’ancien parti unique de RDA (PDS) et de dissidents du SPD sous Gerhard Schröder (WASG), va également au devant de changements majeurs. Alors que les dernières élections du Bundestag ont montré la stagnation du parti autour de 10% des voix, la sociologie et la distribution géographique du vote Die Linke se transforme. Le parti de gauche radicale réalise toujours ses meilleurs scores dans l’ex-RDA mais son électorat populaire est de plus en plus disputé par l’AfD, désormais deuxième force politique à l’Est. Au contraire, Die Linke a sensiblement progressé dans plusieurs grandes métropoles de l’ouest en septembre dernier en séduisant d’anciens électeurs du SPD ou de Die Grünen. Le parti peut donc espérer progresser davantage auprès des électeurs de sensibilité de gauche et obtenir un pouvoir plus important dans un certain nombre de municipalités à l’avenir. Même si le caractère proportionnel de la politique allemande force à l’organisation de coalitions, Die Linke pourrait donc être en mesure d’imposer un certains de ses choix au SPD et aux Verts si ces derniers s’affaiblissent.

“Depuis les élections de septembre, Wagenknecht n’a eu de cesse de critiquer le manque d’attractivité des partis politiques traditionnels, la stagnation électorale de Die Linke et de mettre en avant la nécessité d’adopter un discours ouvertement populiste pour construire un nouveau clivage à même d’attirer des électeurs ne s’associant pas nécessairement à “la gauche”.”

En attendant, la progression du vote AfD dans l’électorat populaire menace de transformer l’image de Die Linke en parti des classes moyennes éduquées, urbaines et jeunes, un bloc électoral important mais évidemment insuffisant. Inspiré par les expériences populistes de la France Insoumise et de Podemos, Sarah Wagenknecht, idéologiquement et personnellement proche de Jean-Luc Mélenchon – tout comme son compagnon et ancien dirigeant de Die Linke Oskar Lafontaine -, prévoit de lancer un mouvement politique similaire au mois de septembre. L’ancienne co-candidate à la chancellerie – partageant la fonction avec le peu charismatique Dietmar Bartsch (ex-WASG) afin d’assurer un équilibre en les différentes tendances du parti – prévoit ce geste depuis un certain temps déjà. Depuis les élections de septembre, Wagenknecht n’a eu de cesse de critiquer le manque d’attractivité des partis politiques traditionnels, la stagnation électorale de Die Linke et de mettre en avant la nécessité d’adopter un discours ouvertement populiste pour construire une nouveau clivage à même d’attirer des électeurs ne s’associant pas nécessairement à “la gauche”. Après la publication d’un rapport détaillé sur la stratégie de la FI par la Fondation Rosa Luxembourg, le think-tank du parti, et le récent congrès de Die Linke à Leipzig marqué par des luttes de pouvoir internes, la rupture semble consommée entre quelques grandes figures du parti et Sarah Wagenknecht. L’ancienne économiste est en particulier critiquée pour son opposition à l’ouverture totale des frontières soutenue par le parti, mais c’est surtout sa volonté de dynamiter les murs du parti et de d’adopter un discours plus populiste qui semble déranger. La question européenne est également une ligne de fracture importante, Die Linke comptant à la fois des soutiens de la stratégie plan A/plan B et des européistes critiques proches de Diem25 mais rejetant catégoriquement toute idée de sortie de l’UE. Si les contours exacts du mouvement populiste de gauche de Sarah Wagenknecht ne seront pas connus avant la fin de l’été, on peut s’attendre à l’émergence d’une nouvelle force politique similaire à la France Insoumise et ayant au moins le mérite de s’attaquer aux défis stratégiques majeurs du parti.

Avec la fragilisation de la coalition gouvernementale, l’épuisement politique du SPD et d’Angela Merkel, la radicalisation des partis de droite sur les questions migratoires et européennes et l’émergence à venir d’un mouvement de gauche populiste, la politique allemande est à son tour atteinte par les recompositions visibles ailleurs en Europe. Un tournant politique majeur, comparable à l’arrivée d’un nouveau président à l’Elysée, est cependant peu probable dans une démocratie parlementaire proportionnelle où les coalitions sont indispensables. Par ailleurs, la structure démographique de l’Allemagne, plus âgée que les pays voisins, et les bons indicateurs macroéconomiques – avec toutes les limitations que chacun connaît – laissent à penser que la transition vers un nouvel équilibre politique devrait prendre un certain temps. Néanmoins, l’après-Merkel se prépare dès aujourd’hui et la demande d’alternative aux grandes coalitions successives devrait continuer à progresser. Comme dans bon nombre d’Etats européens, l’extrême-droite capte pour l’instant l’essentiel de cette demande de rupture, rendant un travail de repolitisation considérable plus que jamais nécessaire pour la gauche radicale.

 

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En Allemagne, les adieux à la gauche

La récente ratification par les représentants du SPD de l’accord conclu avec la CDU et la CSU visant à former un gouvernement provoque des remous importants au sein du parti social-démocrate. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle d’autres partis classés au centre-gauche en Europe.

Après une période post-électorale riche en rebondissements succédant à des élections fédérales tout aussi marquantes de par leurs résultats, l’Allemagne semble avoir enfin retrouvé la stabilité politique à laquelle elle avait été jusque-là habituée. Après l’échec des négociations en vue d’une coalition jamaïcaine, qui aurait donc rassemblé la CDU d’Angela Merkel, les Verts et les Libéraux du FDP (soit les trois couleurs du drapeau jamaïcain : noir, vert et jaune), les conservateurs et le SPD ont finalement convenu d’un programme commun le 12 janvier pour gouverner de nouveau ensemble pendant les quatre années à venir. Ce programme ayant été approuvé par la convention nationale du parti social-démocrate, on devrait voir se constituer un gouvernement opérationnel en Allemagne dans les semaines à venir. L’aversion à l’incertitude qu’on attribue souvent au Allemands aurait par conséquent primé sur le refus catégorique du SPD de reconduire la « grande coalition » (« GroKo » en Allemand), exprimé plusieurs fois par son leader Martin Schulz après les élections de septembre.

En effet, c’est désormais une chose entendue en Allemagne : la débâcle du SPD, qui perd 40 sièges au Bundestag, est la conséquence logique de sa participation au gouvernement de Merkel et de son incapacité à incarner une alternative crédible pendant la campagne. Il faut saluer l’inspiration des commentateurs français qui parviennent à résumer en une formule le débat télévisé censé opposer Angela Merkel et Martin Schulz le 3 Septembre  : ce n’est pas un duel, c’est un duo. Si le résultat du parti social-démocrate ne diffère que de cinq points avec celui qu’il avait obtenu lors des précédentes élections fédérales (20,5 % en 2017 contre 25,7% en 2013), il a tout de même de quoi susciter une certaine nostalgie – chez les sociaux-démocrates allemands – de l’époque pas si lointaine où le parti emmené par Gerhard Schröder rassemblait plus de 30 % des suffrages. Ce résultat décevant vient en outre se rajouter aux trois défaites subies récemment par le SPD lors des élections régionales dans trois Länder, dont la Rhénanie et la Westphalie du Nord qui comptaient pourtant parmi ses bastions électoraux les plus solides.

Le curieux choix stratégique du SPD

La coalition Jamaïque aurait pu se former. Martin Schulz aurait pu faire le choix rationnel de refuser une nouvelle coalition avec la CDU afin de redonner au SPD son « capital opposition » qu’il avait perdu. C’était sans compter le choix du FDP – par le biais de son jeune chef Christian Lindner – de quitter la table des négociations le 19 Novembre. Plusieurs options se présentent alors : parmi les moins engageantes, on trouve l’organisation de nouvelles élections en Mars ou encore la nomination d’un gouvernement minoritaire. En somme, rien qui ne garantisse la reprise des affaires politiques dans leur configuration habituelle.

Cette carte montre les points perdus par le SPD entre les élections fédérales de 2013 et celles de 2017. © Agricola Planitius

Poussés par la nécessité, le SPD, la CDU et la CSU acceptent finalement d’engager une discussion en vue d’une nouvelle grande coalition. Il faut également souligner le rôle du président fédéral Frank-Walter Steinmeier qui enjoint les trois partis à trouver rapidement une sortie de crise. L’accord résultant de ces négociations a finalement été ratifié par une faible majorité de 56,4 % au SPD. Plusieurs sections du parti se sont prononcées en défaveur d’une nouvelle grande coalition pour des raisons évidentes. C’est le cas de la section berlinoise ou encore celle de la Sachsen-Anhalt. Parmi les opposants les plus farouches à la GroKo, on compte également le chef de l’organisation de jeunesse du parti, Kevin Kühnert.

Les partisans de la grande coalition ont, quant à eux, mis en avant la nécessité historique de construire des coalitions pour peser sur la politique gouvernementale, un discours qui omet évidemment les concessions déjà réalisées par le parti, sur des thèmes comme la lutte contre le changement climatique et l’accueil des réfugiés. Une question se pose finalement au sein du SPD : qu’est-ce qui porterait le plus préjudice au parti auprès de ses électeurs ? Refaire une cure d’opposition tout en endossant la responsabilité d’avoir prolongé la période d’instabilité politique, ou bien se plier de nouveau à quatre années de compromis avec la CDU-CSU ? Au cours de cette séquence politique, les dirigeants du parti se sont systématiquement prononcés en faveur de la deuxième option, avec les risques que cela représente.

L’avenir incertain de la gauche allemande

Il n’est pas dit qu’on assistera, dans les prochaines années, à la disparition du plus vieux parti d’Allemagne. Ce qui semble en revanche s’annoncer, c’est une phase décisive pour l’avenir du SPD. Et s’il est difficile de prévoir quelles en seront les conséquences sur la structuration du champ politique allemand, les trajectoires diverses des autres partis sociaux-démocrates en Europe constituent un terreau fertile en hypothèses. Nombreux sont ceux qui se voient progressivement supplantés par de nouvelles formations politiques plus radicales, le PASOK grec ayant défriché le chemin pour le PS français. Cependant, rien dans les dernières années n’indique l’émergence d’un mouvement capable de remplacer le SPD, le parti Die Linke se maintenant toujours en dessous de la barre des 10% lors des élections fédérales.

Le parti social-démocrate se trouve désormais enchaîné à la CDU-CSU. Difficile dans ces conditions d’envisager la possibilité d’un tournant à gauche à la manière du Labour britannique pour les quatre années à venir, à moins d’une rupture nette entre la base du parti et ses dirigeants. Une partie de ses membres pourrait éventuellement faire scission, comme l’avait fait Oskar Lafontaine pour protester contre les politiques néolibérales de Gerhard Schröder avant de cofonder Die Linke.

La coalition formée avec succès en 2015 par le Parti socialiste portugais avec des formations plus radicales nous laissent enfin penser qu’un tel schéma pourrait se reproduire en Allemagne. Des coalitions « rouge-rouge-verte » rassemblant le SPD, Die Linke et les écologistes existent en effet au niveau régional, à Berlin par exemple. Ces trois partis font malheureusement face à des défis qu’on pourrait facilement croire insurmontables : devenir hégémonique dans une Allemagne dérivant actuellement vers les sirènes de l’AfD et avant cela, surmonter leurs différends idéologiques. Si ces différentes hypothèses, supposant toutes peu ou prou un ressaisissement de la gauche, se révèlent fausses dans le cas de l’Allemagne, un dernier scénario est alors à envisager : celui du déclin de la gauche allemande dans son ensemble.

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Papa Schulz à la chancellerie ?

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Martin Schulz, ©fsHH. Licence : CC0 Creative Commons

Si depuis quelques semaines vous vous languissez de la frénésie électorale qui a amené Emmanuel Macron à la tête de notre pays le 7 Mai, ne désespérez pas. Il vous suffit de traverser le Rhin pour retrouver pendant quelques mois l’ « air de la campagne ». Le 24 septembre 2017, nos voisins allemands devront également se rendre aux urnes pour choisir la nouvelle composition de leur Parlement. Les députés fraîchement élus auront alors la charge d’élire la personne qui occupera le poste de chancelier pour les quatre prochaines années.

Comme en France, les sondeurs, politistes et autres experts plus ou moins fiables ont sorti leur boule de cristal depuis longtemps pour tenter de déterminer qui occupera la fonction suprême. On pense en premier lieu à Angela Merkel qui brigue un quatrième mandat. Si sa candidature a été approuvée par 89,5 % des représentants de la CDU en décembre 2016, elle se retrouve cependant en mauvaise posture face à un électorat précarisé se tournant de plus en plus vers le parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland. Les déboires de la CDU lors de certaines élections régionales, dans le Mecklenburg-Vorpommern en Septembre 2016 notamment, illustrent parfaitement cette nouvelle tendance qui pourrait bien mettre fin au règne de Merkel. Elle doit également faire face à un nouveau challenger dont le visage n’est pas inconnu en Allemagne : Martin Schulz.

Que penser alors de ce nouveau venu ? Martin Schulz se distingue tout d’abord par un parcours assez atypique. Alors que les politiciens allemands sont habitués à collectionner les diplômes de l’enseignement supérieur (un cinquième des députés du Bundestag possède un doctorat), il arrête le lycée avant d’obtenir l’Abitur (“équivalent” du baccalauréat, ndlr) et suit une formation de libraire. Membre du parti social-démocrate (SPD), il est élu député européen en 1994 et devient Président du Parlement européen en 2012. C’est donc en quittant ce poste en janvier 2017 qu’il décide de s’engager à l’échelon national en vue des élections fédérales de septembre. Il est depuis pressenti comme potentiel remplaçant d’Angela Merkel, annonçant une possible rupture avec ses politiques de restriction budgétaire et d’ouverture commerciale appliquées en Allemagne et fortement encouragées dans les autres pays européens.

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Martin Schulz et son grand ami Jean-Claude Juncker © ErlebnisEuropaBerlin. Adam Berry/EU/AFP-Service. Licence : l’image est dans le domaine public.

C’est du moins ce que s’imaginent les observateurs. Il serait hâtif de voir en Martin Schulz le héraut de l'”Europe sociale”, de par son engagement dans les institutions européennes tout d’abord. Son accession au poste de Président du Parlement Européen fut le résultat d’un accord passé avec les Partis Populaires Européens mettant de facto le Parlement au service de la Commission grâce à la construction d’une « grande coalition » à l’allemande entre les sociaux-démocrates et les conservateurs. On note ainsi le soutien indéfectible de Schulz aux politiques promues par José Manuel Barroso puis Jean-Claude Juncker, en particulier la signature des accords de libre-échange avec les États-Unis et le Canada. Il est donc difficile d’imaginer que l’élection de Schulz puisse porter un coup au consensus néolibéral régnant en Europe.

Si l’on cherchait à comprendre Martin Schulz d’après le spectre politique français, on pourrait le comparer à Emmanuel Macron, voire à François Fillon. 

Avec Emmanuel Macron, il partage une vision fédéraliste de l’Europe (qui va souvent de pair avec une adhésion aux idées néolibérales, assumée ou non), qui lui a valu de devenir en peu de temps le petit chouchou des médias allemands. Il faut dire que dans un pays où la modération est de rigueur dans les discours politiques, Schulz fait office d’exception et joue sur son image d’homme sympathique et énergique pour séduire une partie des électeurs. Mais il devra également se démarquer de la CDU d’Angela Merkel, une mission compliquée quand on sait que les deux partis gouvernent en coalition depuis 2013 et que c’est Gerhard Schröder, membre du SPD, qui a mis en place les réformes les plus dures en termes d’emploi et de budget au début des années 2000 (un peu comme le PS en France).

Enfin, on a découvert récemment des points communs entre Martin Schulz et François Fillon, soit une même tendance à siphonner l’argent public et à placer ses proches à des postes clés. Selon Der Spiegel, il aurait entre autres fait usage d’un jet privé aux frais du contribuable et rémunéré plusieurs de ses alliés en les plaçant au sein de l’administration du Parlement Européen. Ces pratiques ont notamment attiré l’attention de sa compatriote Ingeborg Grässle, chargée du contrôle budgétaire au Parlement. Il est cependant trop tôt pour déterminer l’impact de ces accusations sur la campagne de Schulz qui pour l’instant se place encore devant Merkel dans certains sondages.

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Martin Schulz ravira-t-il à Angela Merkel le poste de chancelière? © ErlebnisEuropaBerlin. Licence : l’image est dans le domaine public. 

Pour finir, il faut prendre en compte les trois défaites subies par le parti de Schulz dans trois Länder, dont la Rhénanie du Nord-Westphalie qui constituait un bastion majeur de la SPD. Ces résultats à l’échelon régional contrastent beaucoup avec l’image d’un Martin Schulz parti pour gagner les élections fédérales en Septembre. Mais quelque soit son résultat, la question des coalitions se pose. Sans nécessairement arriver premier, le SPD pourrait tenter de constituer une alliance dite “rouge-rouge-verte”, avec les écologistes et Die Linke, et ainsi créer une nouvelle majorité au Bundestag. Mais on imagine très bien Schulz reconduire pour quatre ans la grande coalition avec la CDU, faisant ainsi perdurer l’austérité budgétaire si chère à la chancelière actuelle.

Sources :

https://www.mediapart.fr/journal/international/241116/le-depart-de-martin-schulz-rouvre-le-jeu-au-parlement-europeen

http://www.spiegel.de/politik/deutschland/martin-schulz-markus-engels-profitierte-von-fragwuerdigen-zahlungen-a-1134030.html

http://www.spiegel.de/politik/deutschland/martin-schulz-union-knoepft-sich-spd-kanzlerkandidaten-vor-a-1134142.html

http://www.euractiv.fr/section/elections-2014/news/martin-schulz-remis-en-cause-au-parlement-europeen/

http://www.zeit.de/politik/deutschland/2017-02/martin-schulz-spd-cdu-umfragen

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