JEFTA : l’incroyable silence médiatique autour de l’accord de libre-échange UE-Japon

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Jean-Claude Juncker © Zinneke

Le 6 Juillet au soir a été signé à Bruxelles un accord politique en vue d’un traité de libre-échange entre l’Union Européenne et le Japon. Les conséquences sociales, politiques et écologiques de cet accord sont considérables ; il concernera 37% des échanges commerciaux mondiaux. Il s’inscrit dans la lignée du TAFTA, dont les négociations ont été interrompues, et du CETA, signé en octobre dernier. La presse n’a mentionné son existence que quelques jours avant la signature, mettant le citoyen devant le fait accompli. Pourtant, cela fait plus de cinq ans que le Japon et l’Union Européenne négocient la mise en place d’un tel accord. Pourquoi les éditorialistes n’ont-ils pas jugé bon d’en informer l’opinion publique ?

Le 5 juillet dernier, le Monde publie un article intitulé “après le TAFTA et le CETA, vous allez adorer le JEFTA ! “. Il informe l’opinion qu’un accord de libre-échange est sur le point d’être signé entre le Japon et l’Union Européenne. Le “quotidien de référence” dénonce le secret qui existe autour de cet accord : “il est étonnant de constater à quel point cet accord commercial d’une portée considérable a jusqu’à présent si peu suscité l’intérêt des ONG, des médias et des politiques”. En effet. Oubliant de s’inclure dans les médias qu’il critique, Le Monde lui-même a fait silence sur cette affaire. Le premier article que l’on trouve à ce sujet dans le quotidien de Pierre Bergé et Xavier Niel date précisément du mercredi 5 juillet ; soit une journée avant la signature de l’accord. Le quotidien Libération évoque le sujet pour la première fois le 22 juin 2017 ; soit une semaine avant la signature d’un accord prévu depuis… 2012. Le Point, quant à lui, a consacré une petite dizaine d’articles au sujet depuis cinq ans, en des termes qui ne peuvent que faire sourire.

Comment expliquer ce silence autour de ce projet de Traité de libre-échange ?

Que contient cet accord ?

Les clauses de cet accord concernent d’abord les barrières douanières, qu’il s’agit d’abaisser. Le Japon s’engage par exemple à ouvrir son marché agro-alimentaire aux produits européens, et l’Union Européenne à accueillir dans son secteur automobile des capitaux japonais. Cet abaissement des droits de douane est censé, en dopant les exportations, favoriser les producteurs européens dans le domaine de l’agro-alimentaire et les industriels japonais dans le domaine de l’automobile ; au risque, comme dans tout accord de libre-échange, de favoriser les groupes multinationaux les plus puissants et de ruiner les producteurs locaux européens et japonais… Le premier ministre japonais Shinzo Abe avait souhaité introduire dans le JEFTA les mêmes mécanismes juridiques prévus dans le TAFTA, et qui auraient permis à des entreprises d’attaquer des Etats en justice ; cette mesure controversée a été partiellement rejetée par l’Union Européenne, qui préfère mettre en place des tribunaux “multilatéraux”, dont le fonctionnement institutionnel précis reste encore flou… Sur le plan écologique, plusieurs ONG dénoncent l’absence de garanties liées à l’environnement ; un rapport de Greenpeace pointe du doigt qu’aucune mention n’est faite du principe de précaution, de l’interdiction de la chasse à la baleine ou encore de la lutte contre la déforestation…

En résumé, il s’agit d’un accord qui laisse présager un Traité très similaire au CETA, adopté en octobre dernier par l’Union Européenne. Très controversé en raison des clauses libre-échangistes qu’il renferme, le CETA a rencontré l’opposition d’une partie importante de l’opinion publique européenne. On aurait donc pu attendre de la presse qu’elle se penche sur ces négociations autour du JEFTA et qu’elle cherche à en informer l’opinion publique…

Le secret autour des accords de libre-échange n’est pas une nouveauté…

Les dignitaires européens sont attachés à la culture du secret, et cela ne remonte pas au JEFTA. Le TAFTA avait d’abord été mis en place dans le plus grand secret ; interdiction avait été faite à la presse d’assister aux séances de négociation… Les informations ont ensuite été données au compte-goûte, et la grande presse a fini par s’emparer de ce sujet, grande source d’inquiétude pour les populations d’Europe. Le cas du JEFTA est légèrement différent. Si les institutions européennes ont également veillé à ce que les coulisses des négociations restent fermées aux journalistes, des informations ont également fuité. Les grandes lignes de ce traité, annoncées par les hauts dignitaires européens et japonais, étaient connues depuis plusieurs années. En mars 2017, le journal allemand Tagezeitung rendait publiques certaines informations à propos du JEFTA ; en mai 2017 les “JEFTA leaks”, révélées par Greenpeace, ont mis en lumière les clauses de cet accord de libre-échange.

“Pourquoi nous avons choisi de révéler les centaines de page d’un traité secret qui menace nos droits et notre planète”

Problème: aucun grand média français ne s’est emparé du sujet. Alors que la totalité du contenu des négociations de cet accord entre l’UE et le Japon était disponible, la direction d’aucun média n’a semblé trouver le sujet digne d’intérêt… Il faut attendre fin juin pour lire des articles et voir des reportages consacrés à la signature imminente du JEFTA. Une manière de mettre leurs lecteurs devant le fait accompli…

Comment expliquer un tel silence ?

Si aucune réponse définitive ne peut être apportée à cette question, des hypothèses peuvent cependant être émises. S’agit-il de protéger les intérêts économiques des grands groupes multinationaux ? Ceux-ci sont majoritaires dans les conseils d’administration de la plupart des grands médias ; c’est désormais un secret de Polichinelle : ils possèdent une influence souvent décisive sur la ligne éditoriale des journaux qu’ils subventionnent. On se souvient de l’attitude embarrassée des principaux médias à l’égard du TAFTA. À rebours de l’opinion publique, globalement très inquiète des conséquences politiques, sociales et écologiques qui découleraient de la mise en place de ce Traité, les principaux médias ont adopté une certaine neutralité, oscillant entre articles et reportages favorables au Traité et légèrement critiques à son égard.

Le TAFTA favorisait les intérêts des puissances économiques qui financent la grande presse, mais suscitait l’hostilité prononcée de son lectorat. Raison, sans doute, de l’attitude embarrassée des journalistes à l’égard du TAFTA et, peut-être, du silence médiatique autour du JEFTA ; déplaire aux bailleurs de fonds comme au lectorat eût été périlleux…

Il faut également remettre la signature du JEFTA dans le contexte de la présidence d’Emmanuel Macron. Reprenant le leitmotiv du Parti Socialiste depuis 1983, celui-ci avait défendu, durant sa campagne, l’idée d’un “protectionnisme européen”. Face à la concurrence sauvage, c’est la gouvernance européenne qui devait protéger les travailleurs, et non les gouvernements nationaux. La signature de l’accord de libre-échange UE-Japon, à laquelle le Président ne s’est d’ailleurs pas opposé, résonne comme un démenti absolu adressé à ses promesses de campagne. Elle montre que l’Union Européenne, loin d’être une instance de régulation de la mondialisation néolibérale, en est l’un des principaux agents; loin de limiter la toute-puissance des grands groupes multinationaux, elle leur donne un cadre à l’intérieur duquel elles peuvent exercer un pouvoir absolu. Il est probable que la direction des grands médias, dont LVSL a plusieurs fois étudié la complaisance surprenante à l’égard d’Emmanuel Macron, n’aient pas voulu hâter la disgrâce du Président. Le quinquennat qui vient ne sera pas sans encombres pour le nouveau président. Les lois sociales qu’il proposera en septembre susciteront la colère de la majorité de l’opinion et la révolte des travailleurs les plus politisés. Il s’agit donc de ne pas de hâter cette disgrâce qui attend le Président “jupitérien”, mais de prolonger son état de grâce sur les nuages de l’Olympe… En attendant, une étape importante a été franchie ce jeudi 6 juillet dans la mise en place du Traité de libre échange entre l’UE et le Japon ; et c’est grâce au silence de la grande presse qu’elle a pu l’être sans encombre…

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Sale temps pour la presse libre : le cas Polony

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Depuis quelques temps, nous étions nombreux à nous poser de plus en plus expressément la question : mais qui arrêtera Natacha Polony ? C’était sans compter la formidable et fulgurante répression menaçant sévèrement le pluralisme de moins en moins démocratique de la presse, qui n’a pas tardé à s’abattre sur l’ancienne chroniqueuse de On n’est pas couché et du Grand Journal. L’éviction de Natacha Polony d’Europe 1, où elle intervenait dans la Matinale aux côtés de Thomas Sotto, dans le « Médiapolis » de Duhamel et dans le Débat d’Europe Soir (complètement illégitime d’ailleurs, puisque le quart d’heure de la Matinale qu’elle animait réalisait les meilleures scores d’audience de la chaine), a été suivi de son licenciement de Paris Première la semaine dernière. Elle y avait, avec son émission « Polonium », auparavant carte blanche, tant dans le choix des thèmes que de ses invités.

On ne saurait voir dans cette série d’expulsion un cas isolé. Au contraire, elle s’inscrit directement  dans une logique de connivence de plus en plus affirmée entre un pouvoir politico-économique et les détenteurs et actionnaires majoritaires de la grande presse. C’est d’ailleurs cette même logique qui a présidé à la suppression début 2017 de la rubrique de macroéconomie  (gérée par Romaric Godin) du journal économique La Tribune, sur ordre du nouvel actionnaire Frank Julien (groupe industriel Atalian), ou encore le licenciement d’Aude Lancelin de l’Obs, organe officiel du néo-conservatisme de « gauche », en mai 2016. On ne peut d’ailleurs manquer de rapprocher les prises de position de cette dernière, auteure du Monde libre, pamphlet sulfureux dont le titre fait ironiquement référence au groupe détenu par Matthieu Pigasse, Xavier Niel et Pierre Bergé (Le Monde, l’Obs), dénonçant une « presse française aux mains des géants du CAC 40 »[1] pratiquant un « management par la terreur assumé »[2] , et les récentes prises de position de Natacha Polony.

De la dénonciation de la connivence généralisée des journalistes, chefs d’entreprises et politiciens au sein de réseaux d’influences (cercle Bilderlberg, etc.), aux questions posées dans l’ONPC du 2 février 2013 à Christine Ockrent sur ses relations aux réseaux de pouvoirs jusqu’à ses plus récentes prises de position au sein du comité Orwell, puis sur sa chaine Youtube Polony.tv (« Le média libre de la France souveraine »), où elle se livre à l’invective  intransigeante d’un journalisme en laisse, Polony faisait manifestement tâche au sein d’un appareil totalement acquis au nouveau pouvoir du président-banquier.  Ses interventions bienvenues jouaient largement le rôle du taon venant perturber un entre soi confortablement installé : « Très souvent sur ce plateau [lorsqu’elle était encore au Grand Journal sur Canal+, ndlr], je me suis retrouvée la seule à tenir un discours différent face à huit personnes autour d’une table qui étaient toutes d’accord. Je crois au pluralisme. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils m’ont fait venir. C’était pour apporter quelque chose d’autre”. (septembre 2015, dans “C à vous”, France 5). « Apporter quelque chose d’autre », tout cela est bien sympathique, mais dès lors que cet apport étranger à la pensée unique se mêle à la dénonciation claire et limpide des farces présidentielles et législatives auxquelles nous avons assisté, le « pluralisme » généreux ne tarde pas à montrer son véritable visage. Et si en plus cette dénonciation se trouve enrichie par un discours anti-libéral de plus en plus cohérent, qui en vient à tirer de plus en plus gravement la sonnette d’alarme contre la négation pure et simple de la démocratie, et où la défense de la souveraineté nationale contre la sacro-sainte U.E n’est plus écartée d’un revers de main comme un bête délire réactionnaire, mais bien présentée comme la condition même de la démocratie, alors la muselière se referme d’autant plus sévèrement.

Sans doute que son refus de courber l’échine devant celui qu’on nous présente comme le nouveau « leader du monde libre » (dans un article hallucinant du Point[1]) ou encore un « président-philosophe » (France Culture[2]), a-t-il joué le rôle de la goutte d’eau. Notamment depuis son intervention très remarqué sur France2, le 27 février 2017, où elle déclara, devant un Delahousse d’une sidérante mauvaise foi, que « [Macron] résiste parce que le système résiste. […] Idéologiquement il est une espèce de truc assez vide, capable de soutenir tout et son contraire. Simplement, ce qu’il a derrière lui, c’est tout simplement des forces financières, qui ont envie de suivre un programme économique très précis. On sait par qui il est soutenu : par Pierre Berger (directeur du Monde), Xavier Niel (principal actionnaire de Free, copropriétaire du journal Le Monde), Patrick Drahi (Altice, SFR Groupe, Virgin Mobile, propriétaire des médias Libération  et L’Express). Il y a derrière des gens qui ont des intérêts financiers à soutenir ».

Depuis, elle n’a fait qu’insister sur l’arnaque du prétendu renouveau, la fin de l’alternance factice droite-gauche n’étant que le meilleur moyen pour le pouvoir financier de prendre enfin les choses en main, sur le mensonge d’un prétendu enthousiasme français pour leur nouveau petit prince, mais dont l’infime participation au scrutin  (20 millions d’électeurs sur les 47 que comptent le pays) cache en réalité  une « France fracturée, divisée, qui n’a pas vu en Emmanuel Macron le sauveur qu’on veut nous faire croire ». Les pratiques des grands médias rejoignent d’ailleurs  ici dangereusement la volonté de l’exécutif et son rêve d’un journalisme policé et sans éclat (voir la dépose de plainte pour la révélation du projet de la nouvelle loi Travail). En effet, depuis son élection, le jeune monarque va jusqu’à verrouiller de plus en plus fermement les grilles dorées de l’Elysée, en se payant désormais le luxe de choisir lui-même, non pas les journaux, mais les journalistes qui auront le privilège sublime de le suivre dans ses interventions. Jamais un chef d’Etat n’avait, sous la Vème République, poussé le vice aussi loin. Jamais la pensée unique n’avait fait ressentir aussi fortement son poids écrasant. Et ce, sous les yeux ébahis et hagards des benêts convaincus qu’il suffisait de crier « No Pasaran » la main sur le cœur, en glissant un bulletin Macron dans l’urne pour sauver ce qu’il restait de la République. Le fait est que la Macronie prend de plus en plus des allures de dictature feutrée, dont les exécutants se révèlent être les putschistes des milieux financiers, formés dans les couloirs des grandes écoles de commerce. C’est la réalité de cette fameuse « société civile » aux manettes, quand elle n’est pas une masse informe de grands paumés et de gogos parfaitement dociles et lobotomisés (voir les prestations lamentables, entre autres, d’Anissa Khedler, Fabienne Colboc et Emilie Guerel, nouvellement élues députées).

Après 5 ans de travail à Europe1, l’auteure de Bienvenue dans le pire des mondes est donc brutalement sommée de prendre la porte. Elle sera remplacée par la toute inoffensive Daphné Burki, mi-animatrice de télévision, mi-égérie de campagnes publicitaires (Galeries Lafayettes, Nestlé, Dim, Femibion), mais dite « irrévérencieuse»  pour avoir montré la moitié d’un sein dans la « Nouvelle Edition » (« Les boobs guident le peuple », 05/09/16). Pour la subversion on repassera, pour la résistance politique, même pas la peine d’espérer. En somme, le petit côté « rebelle » libertaire dont la bourgeoisie Canal + raffole, et qui ne risque en aucun cas de déranger l’oligarchie. La pincée de sel nécessaire pour faire avaler toutes les couleuvres. Le grain de sable certifié conforme qui ne risque pas d’endommager les engrenages.

Tout ceci s’enchaine avec une prévisibilité monotone, presque ennuyante. Après les pouvoirs absolus donnés par un parlement croupion, le concerto de violons s’intensifie, et sans fausses notes. « Cachez cette opposition que je ne saurais voir, la mise en laisse vous sied si bien ». Désormais, en 2017, l’irrévérence en Macronie  se paye d’ostracisme. Qu’on se le dise.

Par Simon Verdun.

[1]«#MakeOurPlanetGreatAgain : le coup de maître d’Emmanuel Macron » (Le Point, 02/06/2017 )

[2]« L’imaginaire intellectuel d’Emmanuel Macron » (France Culture, 15/05/17)

 

[1]Le Point, 13/10/16

[2]Entretien donné à comptoir.org le 20/01/2017

Crédits photos : ©Georges Biard. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license.

La responsabilité de la presse dans la répression de la Commune de Paris

©BNF. Hippolyte de Villemessant. L’image est dans le domaine public.

La répression de la Commune est sans conteste le massacre le plus sanglant de l’histoire de Paris. La Semaine Sanglante, qui s’est déroulée du 21 au 28 mai 1871, s’est soldée par la mort de 30.000 Communards. Les massacres ont été suivis d’exécutions systématiques et de déportations massives. Les survivants ont été soumis à des persécutions et des humiliations sans nombre. Cet épisode est relativement méconnu par l’histoire officielle. Le rôle des élites intellectuelles et médiatiques françaises face à ce massacre demeure en particulier très peu connu.

La presse et les intellectuels jouissent en France d’un prestige peu commun. Le refrain est connu : si la démocratie est aussi profondément enracinée en France, c’est grâce au rôle de la presse, de ses intellectuels médiatiques et des personnalités “engagées” à qui elle donne de la visibilité. Cette analyse est acceptée et ressassée à l’envie dans le débat public. Elle prend du plomb dans l’aile si on analyse le rôle des journalistes et “intellectuels” (le terme est anachronique car il apparaît avec l’Affaire Dreyfus) lors de la répression de la Commune de Paris, l’une des crises sociales les plus violentes de l’histoire de France.

La grande presse et les intellectuels font bloc contre la Commune

Adolphe Thiers, qui a dirigé la répression de la Commune, passait, aux yeux d’une partie de la presse, pour un modéré. ©jcosmas, André-Adolphe Eugène Disdéri. L’image est dans le domaine public. 

Dès le commencement du soulèvement, les élites conservatrices appellent le gouvernement d’Adolphe Thiers à châtier durement les Communards. Louis Veuillot, dans le quotidien monarchiste l’Univers, s’en prend à la mollesse supposée d’Adolphe Thiers : “le gouvernement de Paris est pitoyable, il laisse la ville sans défense. Ô, Dieu de nos pères, suscitez-nous un homme !”. La Comtesse de Ségur écrit : “M. Thiers ne veut rien faire qui contrarie les rouges (…) Saint Thiers a pour ces abominables scélérats des tendresses paternelles”. Le camp monarchiste s’impatiente. Il n’est pas le seul. La presse républicaine “modérée” (par opposition aux républicains “jacobins”, favorables à la Commune) rejoint peu à peu le concert des appels à la répression. Dès le 19 mars, un article du quotidien “d’union républicaine” l’Electeur libre condamne le soulèvement de la Commune : “tout homme de coeur se lèvera pour mettre un terme à de semblables forfaits“. On peut lire dans le Drapeau tricolore, quotidien républicain modéré: “dût-on noyer cette insurrection dans le sang, dût-on l’ensevelir sous les ruines de la ville en feu, il n’y a pas de compromis possible“.

“Allons, honnêtes gens, un coup de main pour en finir avec la vermine démocratique et sociale, nous devons traquer comme des bêtes fauves ceux qui se cachent”

Le massacre commence, au grand soulagement de ceux qui l’avaient réclamé pendant des semaines. “Quel honneur ! Notre armée a vengé ses désastres par une victoire inestimable”, écrit un rédacteur du Journal des Débats, républicain modéré.Le règne des scélérats est fini”, peut-on lire dans l’Opinion publique, républicain modéré et anticlérical. “Aux armes ! Bruit sinistre qui me remplit de joie et sonne pour Paris l’agonie de l’odieuse tyrannie”, avoue Edmond de Goncourt. Certains y voient l’occasion d’en finir avec le péril rouge. “Il faut faire la chasse aux Communeux !”, proclame un journaliste du quotidien libéral Bien public. Un article du Figaro appelle sans détours à un massacre sanglant : “Il reste à M. Thiers une tâche importante : celle de purger Paris. Jamais occasion pareille ne se présentera (…) Allons, honnêtes gens, un coup de main pour en finir avec la vermine démocratique et sociale, nous devons traquer comme des bêtes fauves ceux qui se cachent. Le poète Leconte de Lisle souhaite “déporter toute la canaille parisienne, mâles, femelles et petits”. Renan, dans ses dialogues philosophiques, en appelle à une “élite de privilégiés, qui régneraient par la terreur absolue”. Emile Zola écrit : “Le bain de sang que le peuple de Paris vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres”. Le futur auteur de Germinal, dont la sensibilité à la souffrance ouvrière était indéniable, éprouve alors la crainte d’une insurrection populaire, dont il ne s’est jamais départi.

“Vous avez laissé violer Paris, avouez-le, par haine de la Révolution !”

George Sand. L’image est dans le domaine public.

Pourquoi une telle fureur contre la Commune ? Désabusés par la Révolution de 1848 à laquelle beaucoup avaient pris part, les intellectuels de 1871 étaient devenus plus conservateurs ; Jules Vallès, communard, et Victor Hugo, conservateur devenu républicain et socialiste, constituent les deux exceptions les plus notables. La plupart n’étaient pas prêts à accepter une révolution aussi radicale. La romancière George Sand, qui avait conservé des sympathies socialistes et républicaines, s’est montrée très hostile à la Commune par crainte de perdre ses biens matériels ; “mon mobilier est sauvé !”, écrit-elle lorsque la répression commence ; “les exécutions vont bon train, c’est justice et nécessité”. Quant à la grande presse subventionnée par les grands capitaux, elle a dans la grande majorité des cas emboîté le pas aux classes dominantes pour des raisons similaires.

Les mesures politiques et sociales mises en place par la Commune ont terrifié mais aussi stupéfié les grands possédants par leur caractère révolutionnaire ; on le constate à la lecture des journaux et des correspondances de l’époque. La réaction de Flaubert aux lois sociales votées par la Commune est symptomatique : “le gouvernement se mêle maintenant du droit naturel !”. Imposer des réglementations à l’ordre social et économique, cela équivalait pour lui (comme pour tant d’autres) à intervenir dans le droit naturel, à défier les lois immuables de l’économie et de la société. Plus prosaïquement, le Duc de Broglie voyait dans la Commune “le refus de la plèbe d’admettre l’ascendant des classes supérieures” ; en conséquence, la plèbe devait être châtiée. Jules Vallès n’avait pas tort, lorsqu’il écrivait dans son journal le Cri du Peuple : “vous avez laissé violer Paris, avouez-le, par haine de la Révolution”.

La scission entre le peuple et les élites

Jean Jaurès. L’image est dans le domaine public.

La répression de la Commune de Paris signe l’arrêt de mort du jacobinisme, mouvance républicaine issue de la Révolution Française à la fois sociale et populiste. Sociale, parce que l’égalité civique est indissociable de l’égalité sociale  dans la pensée jacobine ; populiste, parce que les jacobins souhaitaient mettre en place une démocratie semi-directe, qui impliquerait directement le peuple dans les affaires publiques et lui donnerait un pouvoir réel. Les républicains “jacobins” s’opposaient aux républicains “modérés”, très hostiles à des réformes sociales égalitaires et à toute idée de démocratie directe. Les républicains jacobins ont été exterminés durant la Commune aux côtés de leurs alliés socialistes, anarchistes et collectivistes. C’est le républicanisme “modéré” qui a triomphé et est arrivé à la tête de la France en 1877. Il a fallu tous les efforts colossaux d’un Jean Jaurès pour réconcilier le mouvement ouvrier et la République, le drapeau rouge et le drapeau tricolore.

Le massacre de la Commune a donc instauré une scission durable entre les élites républicaines (modérées), parlementaires, journalistes et intellectuels d’une part, et le mouvement ouvrier et populaire de l’autre. Le rôle de la presse et des intellectuels sous la Commune n’y est pas pour rien. La presse, qualifiée de “figariste”, était d’ailleurs l’une des cibles favorites des Communards ; les locaux du Figaro et du Gaulois ont été saccagés par des ouvriers parisiens durant la brève existence de la Commune. Cette scission entre les élites médiatiques et le peuple a-t-elle jamais été résorbée ? Toutes proportions gardées, ne peut-on pas expliquer la défiance actuelle de la population vis-à-vis de la grande presse par la révérence de celle-ci à l’égard du pouvoir, par la violence qu’elle déploie contre les mouvements de contestation ? Le phénomène populiste contemporain, c’est-à-dire le rejet populaire des élites politiques et médiatiques, n’est-il pas largement imputable au rôle de cette presse qui prend, depuis deux siècles, le parti des puissants contre leurs opposants ?

Pour aller plus loin :

  • Histoire de la Commune de 1871, Prosper-Olivier Lissagaray (témoignage d’un Communard)
  • Les écrivains contre la Commune, Paul Lidsky
  • Les origines de la Commune, Henri Guillemin

Crédits photo : ©BNF. Hippolyte de Villemessant. L’image est dans le domaine public.

Mélenchon et le vote Macron : l’heure du chantage

La fin de cette élection présidentielle atteint un niveau d’hystérie médiatico-politique et de propagande de haute voltige. Ce samedi 29 avril, le plateau de On n’est pas couché nous a livré un spectacle particulièrement grotesque : sous les applaudissements imbéciles, Moix a fustigé un Mélenchon soit disant « ni républicain ni démocrate », qualifié de « petit-dictateur en carton-pâte », tandis que la ridicule Burggraf nous confiait que Mélenchon l’avait « profondément déçue » (grand bien lui fasse !). Celle-ci allant même jusqu’à déclarer qu’elle voyait chez lui des relents de totalitarisme, sous prétexte qu’il avait refusé de reconnaître les résultats du premier tour, alors même que tous les bureaux de votes n’avaient pas terminé leur décompte. De la même manière, la cliquaille des intellectuels organiques du libéralisme, parmi lesquels BHL, Enthoven ou Barbier ont enfin pu trouver le moyen d’exister en déversant sur les ondes ou dans les chroniques papier du « monde libre », leur antifascisme événementiel de pleurniche et de pacotille…

C’est que les anti-démocrates ne sont pas ceux que l’on croit. La France prend en ce moment des allures inquiétantes de république bananière. Le service publique a désormais des airs de mafia libérale, tandis que la quasi-totalité du reste de l’appareil médiatique ne se cache même plus d’être aux ordres.

De toute évidence, cette élection fut belle et bien une élection volée : à coup d’orientation de l’opinion, de matraquages médiatiques et de discours calomniateurs, le statu quo libéral a vu se réaliser, dans ce second tour Macron – Le Pen, la meilleure configuration possible pour son protégé. Hypocrisie suprême : la sinistre Burggraf, qui avait déclaré sans sourciller que les grands médias étaient des « contre-pouvoirs», se paye désormais le luxe de donner des leçons de démocratie au seul candidat qui dénonçait la calamiteuse 39ème place de la France dans le classement international sur la liberté de la presse.

En ces temps d’imposture universelle, il convient donc de remettre la vérité « de la tête sur les pieds». Toutes ces belles personnes s’accordaient pour nous décrire un Mélenchon respectable en sa fin de campagne, repeint désormais en lâche, mauvais perdant et traître à la république pour ne pas appeler à voter pour le « rempart » tout-préparé qu’est l’escroquerie Macron.  C’est  vite oublier que dans les dernières semaines, tous les moyens ont été mis en œuvre pour empêcher le candidat de la France Insoumise d’accéder au second tour. L’enquête publiée par Marianne le 30 avril rapporte les conclusions du CSA sur le traitement médiatique des candidats à la veille du premier tour : il relève un temps de parole médiatique largement tronqué pour Mélenchon, près de 2 fois moins que Fillon, bien derrière Hamon, Le Pen et Macron (les deux dernier ayant bénéficié de 5 000 minutes de plus que le porte-parole de la FI). A temps de parole égal, le rapport indique que Marine Le Pen n’aurait peut être même pas accédé au second tour, au profit d’un duel Macron-Mélenchon. Avec une moyenne de 700 voix conquises par minute de temps de parole, il était de loin le plus convaincant, loin devant Le Pen (500). Et cela même alors qu’il subissait la campagne calomnieuse sur l’ALBA où le drapeau anti-russe fut agité à la vue de tous les benêts, offensive durant laquelle le maître de l’Elysée, à la vue de la vague insoumise, alla jusqu’à sortir de son silence pour dénoncer une « campagne qui sent mauvais ».

A la peur de voir s’éloigner la seule conjecture susceptible de porter le poulain de Rothschild, de la Commission européenne et de l’Institut Montaigne à la tête du pays, c’est tout le système qui s’est mis à trembler. Deuxième affront : pour avoir laissé entendre, qu’en agitant le « diable de service » Le Pen, le système utilisait là sa seule chance de se survivre et de faire élire le pantin de la finance, Mélenchon sera calomnié et traîné dans la boue. Comble de la manipulation la plus crasse, au lendemain du soir du premier tour, une tribune dans Libération lui somme d’enlever le triangle rouge de son veston.

En raison de sa défiance, le mauvais élève est sévèrement réprimandé, la servilité lui est exigée. Emmanuel Todd a-t-il pourtant tort lorsqu’il déclare que « voter Macron est un rituel de soumission » ? Soumission la plus totale à un va-t-en guerre instable, un fou à lier réclamant une armée personnelle directement placée sous son contrôle et reliée à son téléphone portable, à un homme de paille, lui qui joua le rôle d’intermédiaire direct entre le grand patronat et le gouvernement hollandien, manipulateur professionnel, docteur Frankenstein du pacte de responsabilité, du Crédit impôt compétitivité emploi, du travail du dimanche, et autre loi El Khomri. C’est que l’enfant chéri Macron ne se refuse rien : ses plus récentes déclarations en faveur d’un libéralisme de plus en plus décomplexé et ses caprices incessants de bébé braillard  qui veut désormais gouverner par ordonnance vont même jusqu’à rendre de plus en plus abrupt un sentier royal qui avait été, pourtant, tout entier aménagé pour lui.

Mais l’issue de sa victoire ne fait aucun doute : l’épouvantail du nationalisme est agité par la finance, car il est son bras armé le plus sûr, celui sur lequel elle pourra toujours s’appuyer et qui ne lui fera jamais défaut.

L’enjeu est donc ailleurs, et le temps est à l’humiliation publique, à la distribution des « baisers de la mort », baisers que François Ruffin n’a pas manqué de recevoir de la part de Joffrin et d’Apathie. Retour au calme et à la contestation « raisonnable ». Fin de partie.

Il est de ces situations qui ne servent à rien d’autre sinon qu’à faire tomber les masques,  à distinguer les vrais et des faux contestataires, à l’image de Michael Moore qui livrait, lors des élections américaines, un plaidoyer optimiste en faveur de Clinton. Or, nous entendons qu’en refusant d’appeler au vote Macron, Mélenchon aurait « déçu » ses électeurs, qui lui tourneraient soi-disant le dos. Un tel plat réchauffé servi au grand banquet des hypocrites ne satisfait visiblement que les grands gagnants de la mondialisation, puisque depuis la fin du premier tour, plus de 5 000 adhésions par jour viennent grossir les rangs de la France Insoumise. Situation qui annonce le divorce de plus en plus consommé entre un peuple à bout de souffle et une élite médiatico-politique qui ne dispose plus de la totalité de la classe moyenne éduquée, et qui s’enfonce de plus en plus dans son délire.

En tournant le dos au bal des puissants et en refusant de plier sa ligne, Mélenchon aura au moins montré qu’embrasser l’insoumission n’était pas qu’une vaine tournure purement rhétorique. Il aura prouvé qu’il aurait été le plus digne d’endosser le rôle de chef d’Etat, avec toute la force mentale qu’elle suppose, et sans laquelle on ne peut résister longtemps à la violence des calomnies.

Tout ici a une saveur de fin de règne, dans ce montage maladroit qui ne fait même plus illusion, et qui ne mettra pas longtemps à s’effondrer comme un château de cartes. Autrefois tout puissant, nous commençons à apercevoir la fin du pouvoir du discours de l’oligarchie.

 

Front National : le parti anti-système propulsé par les médias

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©Rémi Noyon

Un récent rapport du CSA indique que Marine le Pen a été la seconde personnalité la plus médiatisée après Emmanuel Macron du 20 au 26 février. Cette information n’a pas manqué de surprendre : les médias sont l’une des cibles favorites du Front National. Les journalistes, de leur côté, ne mâchent pas leurs mots sur le Front National et multiplient reportages et analyses extrêmement critiques à son égard. Les relations entre le Front National et les médias seraient-elles plus complexes que ce qu’il n’y paraît ?

Marine le Pen et Florian Philippot : tapis rouge dans dans les médias pour critiquer les médias

Durant les élections présidentielles de 2012, le Front National a été le plus médiatisé de tous les partis politiques après le Parti Socialiste et l’UMP. Selon le rapport annuel du CSA, le Front National a occupé en moyenne 15,6% du temps d’audience des émissions politiques de TF1, Canal+, M6, Direct8 et TMC. C’est moins que le temps d’antenne dont ont bénéficié le Parti Socialiste et l’UMP. Mais c’est beaucoup plus, par exemple, que le temps qui a été accordé à Jean-Luc Mélenchon, alors candidat du Front de Gauche, qui n’a totalisé que 7,4% du temps d’audience lors de ces mêmes émissions politiques.

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Capture d’écran

Dans quelle mesure cette forte médiatisation du Front National explique-t-elle son très haut score (17,8%) au premier tour des élections présidentielles de 2012 ?

Les élections européennes surviennent deux ans plus tard. Durant la campagne politique, c’est Florian Philippot qui détient le record d’invitation aux matinales des émissions de radio.  Là encore, le Front National réalise un très haut score. Encore une fois, il est permis de se demander dans quelle mesure la presse y a contribué.

Cette sur-médiatisation ne cesse pas après les élections européennes. Florian Philippot continue à décrocher le record de la personnalité la plus invitée dans les matinales durant l’année 2014 puis 2015.

En cette fin de mois de février 2017, Marine le Pen a été la seconde personnalité la plus médiatisée, en terme de temps d’antenne, après Emmanuel Macron.

temps de parole
Capture d’écran

L’oeuf ou la poule ? Le faux débat

Le Front National est-il médiatisé parce qu’il est un parti politique important, ou devient-il un parti politique important parce qu’il est médiatisé ?

En réalité, cette question n’a pas de sens car la réponse est à peu près invérifiable. En revanche, il est permis de faire une remarque : l’image d’un parti marginalisé, « boycotté » ou « censuré » par les médias que tente de se donner le Front National est complètement mensongère. La médiatisation du parti de Marine le Pen est au contraire très complaisante si on se penche sur le temps d’audience qui lui est dévolu. Curieux paradoxe ? Les éditorialistes, malgré leur opposition affichée au Front National, ont puissamment contribué à sa progression en invitant régulièrement ses représentants. Pourquoi une telle audience médiatique pour le Front National ?

Logique d’audimat ?

Le Front National se verrait-il accorder autant de temps d’antenne parce que la moindre de ses provocations fait le « buzz » ? Il est vrai que le parti de Marine le Pen est un sujet vendeur ; le moindre article qui lui est consacré est assuré de connaître un succès éditorial certain. Comme l’admet Caroline Laurent-Simon, journaliste à l’AFP, Marine le Pen se vend « comme un pur slogan publicitaire ». Néanmoins, la logique d’audimat n’explique probablement pas tout.

L’épouvantail Front National : la diabolisation des idées contestataires

Il faut dire que le Front National tombe à pic pour les éditorialistes. Le parti de Marine le Pen mêle des revendications populaires (résistance à la construction européenne, à la mondialisation, à la classe politique) à des provocations grossières (comparaison entre les prières de rue des musulmans et l’Occupation nazie). En cela, il diabolise un certain nombre d’idées contestataires. Ainsi, la sortie de l’euro est aujourd’hui considérée par la classe médiatique comme une idée d’extrême-droite car prônée par le Front National.

Extrême droite = sortie de l'euro
Capture d’écran

Proposer de résister à la « construction européenne” serait ainsi « faire le jeu du FN » ou « le lit des nationalistes ».

Jeu du FN 3.0

Jeu du Front National 2.0.
Capture d’écran

De la même manière, fournir une critique radicale de la classe politique et médiatique serait une démarche d’extrême-droite

Ces accusations ne manquent pas de sel si on garde à l’esprit que le Front National était le plus pro-européen et le plus libre-échangiste de tous les partis il y a quelques décennies.

Qu’importe ! L’épouvantail Front National permet à la caste politico-médiatique de défendre le néolibéralisme propagé par l’Union Européenne et la classe politique avec un discours humaniste. Car défendre l’Union Européenne, c’est « faire reculer les nationalismes » et « combattre les idées du Front National »…

Projet européen vs nationalismes
Capture d’écran

Marine le Pen et Daniel Cohn Bendit, meilleurs ennemis

Le populisme, voilà l’ennemi ! Qu’importent les millions de personnes jetées à la rue, le chômage record qui frappe la zone euro, les taux d’extrême-pauvreté monstrueux de la Grèce ou de l’Espagne : dans le petit monde fermé des journalistes parisiens, il faut à tout prix « défendre » le « projet européen » et la classe politique contre la « vague nationale-populiste ». Très bien. Il y aurait donc d’un côté les « progressistes », partisans de l’Union Européenne, de la classe politique, du progrès et du capitalisme sauvage ; et de l’autre les « nationaux-populistes », protectionnistes, démagogues, conservateurs et xénophobes.

Sainte Europe vs méchant national-populisme
Capture d’écran

Grosses ficelles. Et pourtant, c’est cette matrice idéologique qui permet à la gauche néolibérale de justifier son existence.

Sortir de l'euro
« Sortir de l’Union Européenne ? Renverser la classe politique ? Mais vous faites le jeu du Front National !” Montage

Que serait un Bernard-Henri Lévy, un Daniel Cohn-Bendit, un Jean-Christophe Cambadélis ou un Manuel Valls si le Front National n’existait pas ? Comment pourraient-ils défendre le « projet européen », la mondialisation néolibérale et la classe politique au pouvoir s’il n’y avait pas l’épouvantail Front National comme repoussoir ?

« Si le Front National n’existait pas, il faudrait l’inventer » : le point de vue du Parti Socialiste

Depuis 1983, il n’existe plus aucune différence tangible entre le Parti Socialiste et son adversaire « de droite » sur les questions socio-économique ; les deux partis, à genoux devant l’oligarchie financière, ont accepté la mondialisation néolibérale, la « construction européenne » et ses dérivés.

Qu’est-ce qui pouvait encore légitimer le Parti Socialiste qui avait trahi les aspirations des classes populaires ? La lutte contre le Front National tombait à pic… L’un des arguments clefs du Parti Socialiste est devenu « la lutte contre le montée de l’extrême-droite ».

lutte contre fN...
Capture

Cet impératif permet de court-circuiter tout débat sur les questions socio-économiques : il s’agit de « voter utile », c’est-à-dire voter pour le Parti Socialiste.

Vote utile...
Capture d’écran
Liberation Non
Libération, journal “de gauche”, a abandonné toute forme de critique du système capitaliste et de la mondialisation depuis les années 80. Sur les questions socio-économiques, il tient le même point de vue qu’un journal « de droite » comme le Figaro. Mais heureusement, il y le Front National, qui permet encore à Libération de se distinguer des quotidiens de droite et de ne pas faire faillite… ©Liberation

Tant pis si son programme socio-économique est le même que celui de la droite : c’est ça ou le Front National !

Il est comique de voir le Front National prendre une posture « anti-système ». Ultra-médiatisé, il remplit une fonction essentielle pour le maintien du pouvoir en place. En diabolisant l’idée de souveraineté nationale, il permet à l’élite médiatique d’assimiler toute critiquer de l’Union Européenne à une idée d’extrême-droite. Il sera désormais impossible d’employer le mot tabou de « souveraineté » sans s’entendre dire que l’on « chasse sur les terres du Front National ». Il sera impossible de fournir une critique conséquente de la caste politique et médiatique sans être amalgamé à une nébuleuse “nationale-populiste » dont fait partie le Front National. En multipliant les provocations, le Front National permet au système politique d’acquérir une nouvelle légitimité aux yeux du peuple en tant que barrage à l’extrême-droite ; et de perpétuer le pouvoir en place. Le Front National, anti-système ? La réalité est tout autre : le système a besoin du Front National et le Front National a besoin du système pour continuer à exister.

Crédits :

Comment les médias ont fabriqué le candidat Macron

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL Attal Macronisme Une Journaux
© Création/Édition LHB pour LVSL (2017)

Quelques mois après son entrée au Ministère de l’économie, Emmanuel Macron jouissait d’un niveau de popularité plutôt faible. En octobre 2014, seules 11 % des personnes interrogées souhaitaient le voir jouer un rôle plus important dans la vie politique. Un an et demi plus tard, il conservait une cote de popularité très basse chez certaines catégories sociales : en mars 2016, seuls 6 % seulement des ouvriers et 4 % des artisans appréciaient le très libéral ministre de l’économie. Aujourd’hui, les « sondages » le considèrent régulièrement comme la personnalité politique préférée des Français. Que s’est-il passé entre-temps ? Quel rôle a joué la presse dans le basculement de l’opinion ?

Dans les premiers temps où Emmanuel Macron exerce le poste de Ministre de l’économie, il ne fait pas encore la une de tous les grands quotidiens. Vaguement connu du grand public, il est relativement peu apprécié. Ex-banquier chez Rothschild, libéral, bling-bling, instigateur d’une loi sur la dérégulation du travail plutôt mal reçue par les travailleurs : voilà comment Macron est vu par l’homme du commun. Commence alors la surexposition médiatique d’Emmanuel Macron. Choyé par les élites intellectuelles et journalistiques, il ne tarde pas à devenir un sujet d’actualité privilégié pour la grande presse. Macron a été, et de très loin, la personnalité politique la plus médiatisée durant les deux dernières années. Les quotidiens Libération, l’Obs, le Monde et l’Express totalisent plus de 8000 articles évoquant Emmanuel Macron de janvier 2015 à janvier 2017 ; à titre de comparaison, la totalité des articles évoquant Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon dans les mêmes quotidiens et sur la même période de temps ne s’élève qu’à 7400.

Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, Arnaud Montebourg, Benoît Hamon - Média / Articles
Comparatif du nombre d’articles mentionnant Emmanuel Macron comparé au nombre de mentions cumulées de Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon – © LHB pour LVSL (2017)

Qu’avait donc de si extraordinaire le Ministre de l’économie pour se retrouver propulsé au premier plan de la scène médiatique ?

Macron incarne « le renouveau » et « la modernité »

Libéral « de gauche », comme la quasi-totalité des membres du gouvernement Hollande ; européen convaincu, comme l’extrême majorité de ses collègues. Les solutions économiques qu’il préconisait face à la crise, celles du Parti Socialiste depuis 1983, n’avaient décidément rien d’original. Diplômé de Sciences Po, énarque nommé au ministère après un passage par la banque : son parcours n’était pas non plus particulièrement atypique.

Ce n’est pas l’avis de nos éditorialistes : « l’iconoclaste » Macron incarne selon eux le « renouveau » et la « modernité ».

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Captures d’écran – Le Monde, BFMTV, L’Express et LCI

Les journalistes s’enthousiasment, les rédacteurs en chef jubilent. Emmanuel Macron inspire des élans lyriques à Laurent Joffrin et Nicolas Beytout, rédacteurs en chef de Libération et de l’Opinion.

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Captures d’écran – Libération et L’Opinion

Ce sont les mêmes raisons qui ont été avancées par les actionnaires de ces médias pour justifier leur sympathie vis-à-vis d’Emmanuel Macron. Ainsi, si Pierre Bergé (actionnaire au Monde et à l’Obs) et Vincent Bolloré (actionnaire à Canal+) lui apportent leur soutien, c’est parce qu’ils sont respectivement charmés par sa jeunesse et sa “modernité“.

Macron le romantique

Avis aux fayots et aux ambitieux parmi les lycéens : coucher avec sa prof de Français semble être un bon moyen pour faire la une des médias pendant plusieurs semaines. C’est en tout cas ce que l’on pourrait penser au regard du nombre de couvertures et d’articles dédiés à la vie sentimentale du ministre.

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Couvertures de Paris Match et VSD (2017)

La presse people n’est pas la seule à s’être penchée sur la vie sentimentale du ministre. Le cas Brigitte Macron est devenu une question âprement débattue au sein de la presse politique.

L’idylle du couple Macron, réminiscence d’une forme d’amour courtois à la française ? C’est ce qu’incitent à penser Le Monde ou Le Figaro, selon lesquels la relation entre Brigitte et Emmanuel Macron permet d’expliquer le succès du ministre de l’économie auprès de l’électorat féminin.

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Captures d’écran – Le Figaro Madame et Le Monde

Plus féministe, Libération y voit le signe d’une égalisation des conditions.

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Capture d’écran – Libération

L’analyse de l’Express est plus métaphorique. Selon ce quotidien, l’accueil négatif que recevrait ce couple serait symptomatique du refus qu’opposent les Français à la modernisation de leur système politique et social.

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Capture d’écran – L’Express

Brigitte Macron n’était pas la seule caution romantique du ministre de l’économie. Sa barbe de trois jours a par exemple défrayé la chronique journalistique.

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Selon Les Échos, le port de la barbe constituerait une transgression de le part d’Emmanuel Macron. Un élément qui permet de comprendre pourquoi la presse trouve un caractère “subversif”, “iconoclaste” et “anti-système” à Macron ? – Captures d’écran – L’Obs, Le Point, France Bleu, Le Parisien, L’Express et Les Échos

L’épopée connaît un rebondissement inattendu. Emmanuel Macron, souhaitant retrouver sa peau imberbe d’antan, décide de se faire raser au salon de coiffure ; cette séance lui a valu une égratignure. Les journalistes, le souffle coupé par la nouvelle barbe d’Emmanuel Macron, manquent à nouveau de perdre leur souffle.

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL 2017 Barbe
Captures d’écran – L’Express, Le Huffington Post, Gala et RTL

Prophétie auto-réalisatrice : quand les prédictions des médias deviennent réalité

Les semaines passent et se ressemblent : Macron fait la une des médias, il obtient le soutien de nombreux analystes, politologues et « experts » invités sur les plateaux télés. Prenant sans doute la surexposition médiatique d’Emmanuel Macron pour le symptôme d’un engouement populaire, un nombre croissant de journalistes plaide, implicitement ou directement, pour une candidature du Ministre de l’économie à l’élection présidentielle.

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL 2017 Candidature
Captures d’écran – L’Express, France Culture et Le Monde

Considérant sans doute que ces appels à candidature témoignent d’une attente populaire authentique, les médias présentent alors l’annonce de la candidature d’Emmanuel Macron comme un soulagement généralisé :

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL 2017 Candidature
Captures d’écran – Le Monde, France Inter et L’Obs

Engouement factice ou véridique ? S’il est permis de s’interroger sur l’authenticité de cet enthousiasme au sein des classes populaires, elle ne fait aucun doute pour les élites médiatiques. Le jour même de sa démission, Emmanuel Macron faisait les gros titres de la grande presse. Le JT de France 2 a consacré 22 minutes à cet événement, soit les deux tiers de l’émission. Même chose sur TF1, où Emmanuel Macron était personnellement invité pour une interview d’une durée de 17 minutes...

http://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/article/television/91515/david-pujadas-confirme-au-jt-de-20h-de-france-2.html
Le JT de France 2 est quotidiennement regardé par 4 à 5 millions de téléspectateurs. Ce que les présentateurs affirment sur un ton apparemment neutre possède un impact décisif sur les événements politiques. Capture France 2

Il est permis de se demander dans quelle mesure l’exposition permanente des moindres faits et gestes d’Emmanuel Macron a encouragé, voire en grande partie créé l’adhésion de l’opinion (à en croire les sondages) à la campagne d’En Marche. Selon David Pujadas, la démission d’Emmanuel Macron constitue « bien sûr […] un moment important dans la campagne présidentielle qui s’annonce ». Ces mots étant prononcés à une heure de grande écoute (plusieurs millions de téléspectateurs), l’annonce de la candidature d’Emmanuel Macron devient effectivement un moment important pour la campagne présidentielle.

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La Macron-mania médiatique : cause ou conséquence de son succès ? – Couvertures de L’Obs, L’Express et Libération

Macron l’anti-système

Macron avait beau faire, son parcours incarnait à lui seul les collusions entre le monde politique et les grands intérêts financiers ; un candidat aussi peu suspect de sympathies marxistes que François Bayrou a même pu s’en émouvoir. Rien de tel, lorsqu’on est porté par le système, que de se déclarer « anti-système » pour se refaire une virginité. Que le diplômé de Sciences po, l’énarque, le banquier, le ministre Macron puisse se déclarer « anti-système » est une chose. Que cette information loufoque soit relayée avec autant de sérieux par la grande presse en est une autre.

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Captures d’écran – L’Obs, Le Monde et Libération

Dernière en date : après avoir déclaré que Macron représentait un « danger » pour la « séparation entre la sphère politique et la sphère financière », François Bayrou finit par conclure que s’il s’allie avec Emmanuel Macron, ils feront « sauter la Banque ».

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL 2017 Candidature
Capture d’écran – L’Express

Le « phénomène » Macron

Jeune, romantique, anti-système : après avoir présenté l’ex-ministre sous ces traits élogieux pendant des mois, après avoir fait de sa démission le point de départ d’une nouvelle révolution, la presse n’a plus qu’à se féliciter du travail accompli en constatant le progrès d’Emmanuel Macron dans les sondages.

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL 2017 Sondage
Captures d’écran – Le Point, RTL, Yahoo Actualités et BFMTV

Conséquence de ce bourrage de crâne intense et systématique, Emmanuel Macron est désormais crédité de plus de 20 % et considéré comme la personnalité politique préférée des Français dans un sondage réalisé pour BFM-TV.

La palme revient, comme souvent, à Libération. Le quotidien « progressiste » « de gauche » financé par Patrick Drahi et Edouard de Rothschild qualifie le phénomène Macron d’ « incontestable » mais aussi « d’imprévisible ».

Macron Média Le Vent Se Lève LVSL 2017 Sondage
Capture d’écran – Libération

Imprévisible, vraiment ? Après plus de 17 000 articles mentionnant Emmanuel Macron dans la grande presse, des centaines de reportages élogieux à la télévision et le soutien constant et systématique des élites médiatiques françaises ?

– Édition et mise en page LHB pour LVSL (2017)

Les primaires du PS ou la médiacratie en action

Capture ITélé / BFMTV

Dans un précédent article, nous expliquions que les primaires, loin de représenter une avancée démocratique comme le prétendent leurs promoteurs, remplissent avant tout une fonction de légitimation des deux partis traditionnels comme principales incarnations du clivage gauche-droite. L’attitude des médias de masse, co-organisateurs de la campagne des primaires, s’y révèle discutable d’un point de vue démocratique. En organisant directement les débats et en relayant abondamment la campagne des primaires de LR, du PS et affiliés, le système médiatique a légitimé et alimenté la stratégie électorale de ces partis au détriment d’autres formations politiques. Dernier exemple en date : la couverture médiatique des primaires du PS et de ses satellites.

Une grand-messe politico-médiatique

Les débats des primaires ont été directement organisés par les médias de masse qui ont tous largement apporté leur pierre à l’édifice : service public et médias privés, chaines généralistes et chaines d’information en continu, presse écrite et radio.

Le dernier débat de premier tour des primaires de la Belle Alliance Populaire a par exemple été organisé conjointement par France Télévisions (service public) et Europe 1 (Lagardère) tandis que le précédent débat était assuré par iTélé (Bolloré) et BFMTV et RMC (Weill-Drahi) et le premier débat était orchestré par l’Obs (Niel-Bergé-Pigasse), RTL (Bertelsmann-Mohn) et TF1 (Bouygues).

Laurence Ferrari et Ruth Elkrief réunies sur un même plateau pour animer le second débat.
Laurence Ferrari et Ruth Elkrief réunies sur un même plateau pour animer le second débat (Capture BFMTV et iTélé)

La concurrence et la course à l’audimat ont été, le temps d’un débat, mises de côté dans une sorte de grande communion politico-médiatique. Ainsi avons-nous pu voir les deux journalistes-stars d’iTélé et de BFMTV, Laurence Ferrari et Ruth El Krief, plus complices que jamais, se réjouir de voir leurs deux équipes travailler de concert alors que, d’ordinaire, elles se concurrencent sur le créneau horaire 19-20h.

 

Une monopolisation de l’espace médiatique

Du reste, il était bien difficile pour les téléspectateurs et auditeurs de réchapper aux débats des primaires puisqu’ils étaient retransmis en direct simultanément sur plusieurs chaines de télévisions et stations radio. Ainsi, le 12 janvier, le premier débat du premier tour était retransmis par TF1, LCI, LCP et RTL ; le deuxième débat était diffusé sur iTélé et BFMTV et RMC et le dernier débat était retransmis au même moment sur France 2, LCP, LCI, Franceinfo et Europe 1. La saturation médiatique s’étend sur internet et les réseaux sociaux puisqu’on pouvait suivre les débats en streaming. S’en sont suivies des émissions de « debrief » tant sur les chaînes qui diffusaient les débats que sur d’autres chaînes et, pour les retardataires, des rediffusions des débats ont également été programmées.

En dehors des débats, les médias de masse ont suivi et relayé les meetings, les déplacements et les moindres faits et gestes des candidats Ils ont également invité les différents candidats pour des interviews individuelles par souci d’équité quand bien même les candidats issus du PS ont concentré l’attention de médias. Les 7 candidats à la primaire du PS sont avant tout 7 défenseurs et porte-paroles de la stratégie du PS bénéficiant d’un accès privilégié aux médias le temps de la campagne.

F. de Rugy sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin (BFMTV)
F. de Rugy sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin (Capture BFMTV)

Sur les plateaux de BFMTV, Ruth El Krief et Jean-Jacques Bourdin ont en effet reçu, l’ensemble des candidats à l’occasion de la campagne des primaires. C’est ce choix éditorialiste de la part de BFMTV qui explique que François de Rugy sera reçu par Bourdin alors que Bastien Faudot, pourtant candidat déclaré aux élections présidentielles de 2017 et investi par le MRC, ne connaîtra pas cet honneur. Le Parti écologiste, fondé en 2015 par François de Rugy, dispose pourtant d’un nombre d’élus à peu près équivalent voire moindre par rapport au MRC fondé en 2003. La différence majeure expliquant ce traitement médiatique inégal ? La participation à la primaire et donc leur lien avec le Parti Socialiste. La Belle Alliance Populaire avait accepté la participation du Parti écologiste à la primaire tandis qu’elle avait refusé celle du MRC ; le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis avait justifié à l’époque ce choix en arguant que la primaire du PS, « ce n’est pas open-bar ».

La rhétorique du PS abondamment relayée et légitimée

Les médias organisateurs des débats accompagnent la stratégie de légitimation du PS pour l’hégémonie à gauche, en relayant complaisamment et sans prendre le recul nécessaire, les éléments de langage du PS et de ses satellites sur la « primaire de la gauche et de l’écologie ». Dans sa bande-annonce du débat du 19 janvier, France 2, par la voix de son journaliste David Pujadas, fait ainsi la promotion du débat de « la primaire de la gauche ». Pourtant, il convient de rappeler que le PCF, EELV, la France Insoumise, par exemple, qui se revendiquent également de la gauche et de l’écologie n’ont pas souhaité y participer tandis que d’autres formations se revendiquant elles aussi de la gauche telles que le MRC ou Nouvelle Donne et souhaitant y prendre part, ont été recalées à l’entrée de la Belle Alliance Populaire. La neutralité et le pluralisme revendiqués par les médias de masse et, en particulier par le service public, ne devraient-ils pas appeler à plus de précaution dans les termes employés plutôt que de reprendre telle quelle la rhétorique des promoteurs de la Belle Alliance Populaire ?

 

La déferlante médiatique autour des primaires du PS, sous prétexte que ce sont des primaires ouvertes à tous les citoyens, est telle que l’on ne s’en émeut plus guère mais elle est tout à fait discutable d’un point de vue démocratique. On peut y voir en effet un parti-pris médiatique puisque cette couverture médiatique, abondante et déséquilibrée, légitime et accompagne la stratégie du PS qui souhaite, à travers ce mode de désignation de son candidat présidentiel, asseoir ou rasseoir son hégémonie à gauche, au détriment d’autres formations politiques qui lui disputent cette centralité dans le cadre des élections présidentielles de 2017.

Crédits photo :

Capture BFMTV / ITélé