Les leçons de la mobilisation étudiante contre la loi ORE et Parcoursup

Mobilisations étudiantes, mai 2018 © Julian Calfuquir

Le printemps dernier a été marqué par une mobilisation inédite des étudiants contre les projets de loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) et Parcoursup. Avec une intensité qui n’avait pas été vue depuis plusieurs années, ce mouvement social a permis de cristalliser l’engagement des jeunes contre les politiques de plus en plus ouvertement néo-libérales du gouvernement. Cette mobilisation étudiante a pris corps dans un climat social sous tension, marqué par la grève des cheminots, les mobilisations contre la loi Asile et immigration et la grève des personnels des services hospitaliers. Aujourd’hui, le projet de loi d’augmentation des frais d’université pour les étudiants étrangers ravive les débats du printemps dernier et interroge plus largement les menaces qui pèsent sur le système public de l’enseignement supérieur et de la recherche. Alors, quelles leçons tirer de la mobilisation du printemps dernier ? Par Julian Calfuquir-Henriquez et Manon Coléou.


 

Aux origines de la mobilisation

Les contours de la loi qui a donné naissance au dispositif Parcoursup ont été annoncés en octobre 2017 par la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal. Son annonce a d’emblée entraîné le mécontentement des étudiants et du corps enseignant. En effet, un parallèle s’est rapidement dessiné avec la mobilisation Devaquet de 1986 : tout comme le gouvernement de l’époque, celui d’Edouard Philippe souhaitait mettre en place une sélection sociale à l’entrée de l’université. La logique aurait a priori voulu que les premiers concernés, les lycéens qui formulent leurs vœux d’orientation post-bac, soient en état d’alerte et mobilisés à l’annonce du vote d’une telle réforme. L’attente d’une mobilisation lycéenne était d’autant plus forte qu’un mouvement étudiant d’importance semblait peu probable. En effet, la déception de la mobilisation contre la loi travail de 2016 qui n’avait pas empêché l’amendement de la loi El-Khomri. Le temps de respiration avant une nouvelle mobilisation semblait insuffisant. Cependant, la mobilisation a touché principalement le milieu étudiant, alors qu’elle n’a au contraire que très peu atteint les lycéens. Bien que les premières actions annoncées officiellement par des organisations de jeunesse sont issues des organisations lycéennes, la mobilisation a pris racine dans les universités dès le mois de janvier. Il a néanmoins fallu attendre la rentrée universitaire de février pour voir apparaître des assemblées générales d’ampleur notable.

Les premières assemblées générales se sont ainsi organisées dans des universités culturellement habituées aux mobilisations. On recense parmi elles Paris 1 – Tolbiac, Rennes 2 ou Toulouse – Le Mirail, qui comptent beaucoup d’étudiants venus des classes moyennes ; mais aussi, à l’inverse, des universités comme Nanterre ou Paris 8, plus diverses sociologiquement. Plus ponctuellement, certains climats de tension sociale ont donné lieu à une contestation plus ample, comme à l’université du Mirail à Toulouse qui était déjà en plein débat interne sur le projet de fusion et d’IDEX, ou encore Paris 8 qui se mobilisait à l’époque pour l’accueil des personnes migrantes.

Néanmoins, certaines actions de répression du mouvement ont aussi encouragé sa diffusion, comme par exemple à Montpellier, où un commando cagoulé a tabassé des étudiants lors d’une occupation. De même, l’intervention des CRS dans les universités de Bordeaux et de Nanterre lors d’assemblées générales, ou la mise sous tutelle du Mirail ont pu participer à la consolidation de la mobilisation.

De nouvelles modalités d’organisation pour une mobilisation inédite

Les syndicats étudiants ont traditionnellement toujours joué un rôle central dans l’organisation des mobilisations sociales. Or, la spécificité de la contestation étudiante du printemps 2018 vient de l’absence notable des syndicats étudiants. Elle est visible aussi bien dans les lieux de déclenchement des mobilisations que dans les formes de représentation à l’échelle nationale dont se dotent les étudiants mobilisés. L’une des conséquences a été une plus grande difficulté pour faire pression sur le gouvernement, mais aussi l’émergence de nouvelles formes de contestation. En effet, le mouvement n’a pas manqué de militants organisés et formés pour faire naître ou maintenir les mobilisations. Ainsi, cette mobilisation à la forme inédite a permis la naissance d’organisations autonomes, désireuses d’indépendance, alors que les organismes traditionnels peinaient à convaincre. Le militantisme étudiant s’est donc structuré autour de réseaux indépendants, et non d’une organisation centrale. La mobilisation de 2016 avait justement permis ce changement de mode de coordination et favorisé l’émergence de ces réseaux dans les manifestations, les débats universitaires, et le mouvement Nuit Debout. Si ces mobilisations étudiantes successives ont formé des « agitateurs professionnels » selon les termes employés par le gouvernement, celles-ci ont également renforcé la rigidité des moyens de répression de celui-ci. Les administrations d’universités ont su combiner des épisodes de répression puis de communication post-répression, ce qui témoigne de l’acquisition nouvelle d’un savoir-faire pour gérer et rationaliser les mobilisations.

La CNE, véritable structuration du mouvement étudiant ?

Les organisations traditionnelles ont certes été dépassées, mais remplacées par un cadre nouveau : la Coordination nationale étudiante, déjà en place lors des précédentes mobilisations. Avec un fonctionnement de mandatement, les étudiants envoyaient des délégations en fonction de la taille de leurs assemblées générales afin de décider d’une stratégie nationale pour le mouvement, appelant principalement à des dates de mobilisation déjà définies par l’agenda syndical des cheminots ou bien en soutien à diverses luttes comme « Justice pour Adama Traoré », ou la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Bien que les délégations soient majoritairement composées de membres d’organisations politiques, la CNE n’est pas parvenue à imposer son rôle politique. Tout d’abord, elle ne représente pas l’ensemble des étudiants. Elle est ainsi devenue le bureau d’enregistrement des revendications de la gauche radicale et le terrain de lutte entre groupes politiques pour remporter une place fantôme de leader du mouvement. La CNE a néanmoins voté de nombreuses initiatives, comme les marches du 5 et du 26 mai, mais elle se rendait parfois inaudible en se concentrant uniquement sur les groupes politiques lui accordant de l’intérêt, et non pas sur les étudiants en lutte ou tout simplement intéressés par la contestation de Parcoursup. C’est donc finalement autour d’événements ponctuels, ou au niveau local que la mobilisation a pris forme, et non à travers un bras de fer national contre le gouvernement.

C’est un mouvement davantage désordonné et réduit qui a fait face à l’administration de Frédérique Vidal. Néanmoins, le mouvement a permis l’émergence de débats intéressants avec le gouvernement. Le cas de Tolbiac vient l’illustrer parfaitement. En effet, l’occupation de ce campus a probablement été l’événement le plus médiatisé de ce mouvement étudiant pour une raison particulière. Elle s’est déroulée sur le site des premières et deuxièmes années de l’Université Paris I. Or, on sait aujourd’hui que la politique néo-libérale se doit de distinguer deux choses : les bonnes et les mauvaises facultés. Dans cette répartition, Paris I se veut, en tant qu’université reconnue de la Sorbonne, un laboratoire idéal pour ce clivage social. D’ailleurs, dans la répartition des « bons élèves » Parcoursup, Paris I ambitionnait de sélectionner les meilleurs élèves au détriment des autres universités qui n’avaient pas aussi bonne réputation.

Il s’agit donc d’un symbole de l’excellence tant désirée qui veut attirer les meilleurs bacheliers, les enfants de classe moyenne ou supérieure pour renforcer les clivages sociaux. Elle a l’ambition d’être une fac d’élite en compétition directe avec les grandes écoles ou les classes préparatoires dans la logique de concurrence entre les établissements du supérieur. Cette occupation a donc eu un important retentissement médiatique car elle venait directement se heurter aux projets du gouvernement dans les lieux de reproduction de l’élite étudiante. On peut par ailleurs remarquer que l’occupation de Paris 8 a duré plus longtemps que toutes les autres, avec très peu d’échos médiatiques. Au contraire, quand les occupations concernent la Sorbonne, la préfecture n’a pas hésité à envoyer deux groupes distincts de CRS, l’un à Tolbiac pour faire diversion, l’autre à la Sorbonne pour déloger les étudiants qui voulaient commencer une occupation. Il s’agit bien d’un effort conséquent de la préfecture pour qu’aucune occupation ne démarre sur le site historique et réputé de la Sorbonne. Le même phénomène s’est produit lors des tentatives d’occupation de Sciences Po Paris, où l’occupation a elle aussi été interrompue instantanément.

Les raisons et les conséquences de la mobilisation

Lorsque les mots d’ordre ne sont pas clairs, le risque d’un mouvement extrêmement divisé et qui ne répond plus à la demande initiale des étudiants devient très grand. Entre les agendas des occupations, ceux des examens, les contextes locaux de fusion, l’absence d’une organisation au sens premier, remplacé par une structuration locale, chaque comité de mobilisation s’est ainsi trouvé seul face à lui-même et maître de son propre agenda. Les rapports de force ont donc pris une tournure plus locale que nationale. Il y a plusieurs raisons à cela, à commencer par une plus grande facilité de mobilisation sur place, et la préoccupation directe pour l’avenir de son université. L’éveil des consciences a été au rendez-vous, néanmoins l’organisation des militants est un autre défi. D’autres sujets de mécontentement n’ont été ainsi abordés que trop tard, comme par exemple la question des algorithmes locaux de Parcoursup ou encore la composition des commissions qui auraient pu être un objectif concret de la mobilisation. De plus, l’essentiel des assemblées générales d’étudiants faisaient déjà le constat de leur impuissance en déléguant la question des manifestations aux cheminots ou à une hypothétique convergence des luttes.

Néanmoins, ce mouvement a aussi rappelé les souvenirs de l’échec de la mobilisation de 2010 contre la loi LRU. Malgré l’intensité de la mobilisation, les réformes contestées ont tout de même été entérinées à la fin de l’année scolaire. Face à ce constat, on ne peut que redouter les futures réformes du gouvernement Macron en termes d’éducation, comme la hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers.

Une communication limitée et un traitement médiatique ambigu

Si les trois quarts des universités se sont mobilisées contre la loi ORE et Parcoursup, la plupart des citoyens français n’en ont pourtant pas eu conscience. Seuls quelques « coups de buzz », souvent limités au milieu étudiant ou politisé ont permis une diffusion virale des informations, mais principalement sur les réseaux sociaux. Les actions menées contre la mobilisation, comme le commando cagoulé, ou l’expulsion de Tolbiac ont ponctuellement été médiatisées. Le relai de l’information a donc pêché, et cela s’explique par plusieurs facteurs.

Tout d’abord, la présence de mouvances autonomes a influencé la direction de la mobilisation. Le principe même de ne pas prendre de photographies lors des assemblées générales ou des manifestations a largement limité la communication autour des actions mises en place. Tandis que les médias étaient sur le qui-vive à la rentrée de septembre 2017, ils semblent s’être ensuite progressivement désintéressés de cette question quelques mois plus tard lorsque celle-ci a commencé à prendre de l’ampleur. En effet, alors que des assemblées générales rassemblaient plus de 3000 personnes, et que des universités étaient occupées, les grands médias nationaux passaient ces rassemblements sous silence. Ces informations réapparaissent sporadiquement lorsque les opposants au mouvement s’agitaient. Il a fallu un laps de temps pour que l’action du commando cagoulé soit mise en lumière, mais la poursuite de la mobilisation montpelliéraine n’a pas été suivie ni retransmise.

Juste avant l’accueil de la CNE dans ce qui est devenu “la Commune Libre” de Tolbiac, les médias ont ainsi mis en avant la “violence” des occupants. Georges Haddad, le président de l’université Paris 1 a ainsi déclaré sur le plateau d’Elkabbach qu’au sein de l’antenne de l’université occupée on trouve « de la violence, de la drogue, du sexe », voire même de la « prostitution ». Quelques jours plus tard, Tolbiac était évacuée très tôt dans la matinée alors que les étudiants mobilisés sur place dormaient encore. L’évacuation a donné lieu à de nombreux heurts avec la police, mais la préfecture a pourtant déclaré que l’évacuation s’était déroulée sans violence. Malgré les images saisissantes, l’idée que tout pourrait se passer dans le calme sans les étudiants qui bloquent “pour le plaisir de faire des barbecues” et “dégrader les lieux” est la plus médiatisée. Par ailleurs, l’incompréhension ou le manque de volonté de comprendre les enjeux de la sélection et de Parcoursup ont joué en faveur du traitement médiatique du gouvernement. La dimension politique de la mobilisation était totalement occultée des analyses des journalistes de plateaux télé. La décrédibilisation et le manque de relai ont donc participé à la difficile mise en place d’un espace de dialogue.

Si la médiatisation du mouvement a pêché, celui-ci s’est grandement organisé sur les réseaux sociaux. La réflexion autour d’une nouvelle communication et d’une structuration par les réseaux sociaux est désormais devenue un outil fondamental de visibilisation les luttes sociales.

L’apport du mouvement et ses perspectives futures

Ce mouvement a tiré sa force d’événements de grande ampleur et médiatisés, comme les blocages d’universités ou d’examens, les assemblées générales massives, ou les occupations. Cependant, son manque d’élargissement au-delà de la sphère de ce qui compose habituellement la gauche radicale est regrettable. En effet, cette mobilisation est plus ou moins parvenue à toucher les étudiants selon leur faculté d’origine. Par exemple, la filière STAPS, très touchée par le phénomène de sélection et le manque de moyens, n’a vu que très peu d’étudiants de ses filières se mobiliser au niveau national. Il en va de même pour les filières de droit. L’échec technique de Parcoursup dès la rentrée 2018 a ainsi confirmé que les revendications entendues pendant ces mois de mobilisation avaient déjà cerné les défauts de ce principe de sélection à l’université.

Aujourd’hui, les réseaux de militants convaincus de la nécessité d’une alternative pour les universités reprennent leurs mantras. On voit déjà apparaître des campagnes sur la question des frais d’inscription pour les étudiants étrangers, tandis que la mobilisation contre la sélection à l’université et la réforme du bac reviennent au cœur du débat. Cependant, ici encore, la structuration autour d’organisations qui n’ont rien de traditionnel doit aussi interroger ses débouchés possibles afin de répondre aux attentes des étudiants.

Y a-t-il trop de monde à l’université ?

Comme de nombreuses aux facs le Campus Lettres et Sciences Humaines de Nancy est bloqué, depuis le 22 Mars.

À Montpellier, Nancy, Bordeaux, Nantes, Lille, Toulouse, Rouen, Nice ou encore Paris de nombreuses facs françaises sont aujourd’hui bloquées et occupées par les étudiants. En cause : la mise en place, dès la rentrée prochaine, du « Plan étudiant » que la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, a fait adopter au Parlement en février. Cette loi (ORE pour “Orientation et réussite des étudiants” ) est présentée par le gouvernement comme un moyen de mieux accompagner les lycéens à l’entrée à l’Université. Pour les étudiants et les étudiantes qui se mobilisent contre elle, celle-ci restreindra au contraire l’accès à l’enseignement supérieur en effectuant une sélection drastique sans augmentation du nombre de places. Alors même qu’il faudrait accorder aux universités françaises davantage de moyens pour répondre à la hausse du nombre d’étudiants à venir, liée à la génération particulièrement nombreuse née aux alentours de l’an 2000. La question se pose donc : y a-t-il trop de monde à l’Université ?


La communication du gouvernement face à la réalité

Le gouvernement ne présente évidemment pas les choses sous cet angle. Ni dans la loi qui a reçu le feu vert des parlementaires, ni dans sa communication, il n’est question de restreindre l’accès à l’Université. Au contraire, il s’agirait d’une « transformation inévitable » pour mettre fin à « l’inégalité des chances » et à « l’échec » des étudiants, qui passerait par de nombreux efforts quant à l’accompagnement des élèves de Terminale. Une communication bien rodée qui fait suite au fiasco du dernier tour d’Admission Post-Bac de Juillet 2017, à la suite duquel 87 000 bacheliers étaient restés sans affectation post-bac. Le message des communicants de la Ministre est clair : si on ne veut plus connaître à nouveau une telle situation, il n’y a aucune raison d’être contre la réforme de l’accès à l’Université.

Et pourtant, la plate-forme Parcoursup, qui remplace l’ancienne (Admission Post-Bac) dès cette année, est déjà décriée, que ce soit par les enseignants-chercheurs de l’Université de Lille qui dénoncent son fonctionnement, ou même par le Sénat qui s’inquiète du manque de transparence du processus de sélection. A croire que Parcoursup et le Plan étudiant ne sont pas la solution miracle vendue par Frédérique Vidal.

A l’Université de Lille, des professeurs des départements de langues, de sociologie, d’anthropologie et culture, de science politique et d’information et communication, refusent notamment de réunir les commissions chargées de classer les dossiers des lycéens candidats à leurs formations. Thomas Alam, Maître de conférence en science politique, compare la plate-forme Parcoursup à une grande gare de triage : « Au niveau des départements, prenons l’exemple de la science politique, à l’Université de Lille. C’est plus de 2 500 voyageurs potentiels, pour 580 places. Pour l’ensemble des voyageurs, c’est l’incertitude, pourront-ils partir, quand ? et pour quelle destination et potentiellement vers une destination qu’ils n’auront même pas choisi. ». Ce tri des étudiants sera donc confié à un algorithme : « une des raisons pour lesquels les lycéens et les familles peuvent être inquiets, c’est que ce sont des logiciels, des algorithmes qui vont faire ces classements » explique Fabien Desage, lui aussi maître de conférence en science politique à l’Université de Lille.

Cet algorithme de sélection, appelé sobrement “outil d’aide à la décision” par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ouvre de plus la voie à l’arbitraire. Il est en effet prévu, au niveau de chaque département de formation des universités, que les commissions chargées du classement des candidats puissent choisir elles-mêmes les critères à privilégier. De cette façon, il leur sera possible de donner plus de poids aux notes de certaines matières, de telle année de lycée, ou, pourquoi pas, de favoriser les élèves issus d’un lycée ou d’un autre. Cette réforme de l’accès à l’Université est présentée comme plus égalitaire et plus à même d’orienter les lycéens vers l’Enseignement supérieur, mais risque en fait de rendre les choses bien plus compliquées pour eux. Au point de creuser encore un peu plus les inégalités entre lycéens dans leur orientation.

Tout cela ne nous dit donc pas comment l’Enseignement supérieur va bien pouvoir absorber plusieurs dizaines de milliers d’étudiants supplémentaires dans les années qui viennent, voire jusqu’à 350 000 d’ici 2025. En effet, les universités françaises sont confrontées à un manque chronique de moyens qu’une coupe budgétaire de 331 millions d’euros décidée par le gouvernement Macron en 2017 n’a pas amélioré, même si le budget de l’Enseignement supérieur est reparti à la hausse en 2018 avec 707 millions d’euros supplémentaires, pour atteindre 24,5 milliards d’euros. Un budget pourtant encore inférieur à celui de 2008 (24.9 milliards d’euros) alors que dans le même temps le nombre d’étudiants dans l’Enseignement supérieur est passé de 2 232 000 en 2008 à 2 609 000 en 2016, soit une augmentation de presque 17 %. On comprend donc aisément pourquoi cette hausse du budget est loin d’être suffisante pour résoudre la situation critique des universités.

Le Plan étudiant annonce quant à lui « 500 millions d’euros sur l’ensemble du quinquennat afin d’ouvrir des places, de créer des postes dans les filières en tension » sans qu’on ne sache pour l’instant ni quand, ni comment. D’autant plus que la mise en place de Parcoursup et de la sélection met toutes les filières en tension à l’heure où, dans les composantes de nombreuses universités, le gel de postes est une pratique courante depuis de nombreuses années pour des raisons budgétaires. Cette promesse reste donc pour l’instant une promesse, comme celle d’Emmanuel Macron qui avait annoncé pendant la campagne la « sanctuarisation » du budget de l’Enseignement supérieur et de la Recherche avant de le raboter dès son arrivée à l’Élysée.

Les étudiants et les étudiantes mobilisés contre le Plan étudiant ne sont pas dupes et demandent au gouvernement non seulement d’abandonner sa réforme, mais aussi d’investir massivement dans les universités pour améliorer les conditions d’études. L’enjeu consiste à permettre l’accueil convenable dans les années à venir des lycéens qui viendront sinon surcharger des amphis déjà saturés dans certaines filières. La sélection mise en place par le Plan étudiant, à nombre de places constant et tandis que le nombre de bacheliers augmente, n’est-elle pas finalement un moyen d’écarter de l’Université plusieurs dizaines de milliers d’étudiants potentiels, au nom des dogmes néolibéraux : la maîtrise et la réduction des dépenses publiques ? Une source d’inégalités supplémentaire alors que les classes populaires sont déjà sous-représentées dans l’Enseignement supérieur : si en 2012 78 % des enfants de cadres ou de professions intermédiaires entre 20 et 24 ans étudiaient ou avaient étudié dans l’Enseignement supérieur, ce n’était le cas que de 42 % des enfants d’ouvriers ou d’employés du même âge. Or, rendre l’accès à l’université plus difficile et y interdire le droit à l’erreur ne fera qu’accentuer la reproduction sociale.

Mais pourquoi aller à l’Université ?

Le Plan étudiant n’a donc pas la bienveillance que lui prête la ministre. Mais dans ce cas, pourquoi insister ? N’y a -t-il pas déjà trop de monde à l’Université ?

La mobilisation étudiante, dont la médiatisation s’accroit, sans que les raisons n’en soient pour autant toujours évoquées, a suscité de nombreuses réactions, souvent alimentées par des idées reçues. La première d’entre elles, et la plus répandue, est que les diplômes de l’Enseignement supérieur ont peu de valeur et n’offrent pas plus d’emplois que d’autres formations, voire moins.

Cette croyance est pourtant erronée. Toutes les études statistiques insistent sur ce point : plus on est diplômé, plus la probabilité d’être au chômage est faible. Même si le chômage a tendance à augmenter toutes catégories confondues, le diplôme demeure une protection.  Aujourd’hui, entre un diplômé du supérieur et un non diplômé, le taux de chômage  passe quasiment du simple au triple. En 2015, le taux de chômage des personnes diplômées à un niveau bac +2 était de 6.3 % contre 16.8 % pour un non-diplômé ou un titulaire d’un diplôme inférieur au bac.

Taux de chômage (en %) par niveau de diplôme. Données de l’INSEE.

Au-delà du taux de chômage, on peut aller encore plus loin : la France manque aujourd’hui de diplômés. Il n’y a sans doute pas de quoi résorber le chômage de masse, mais certains secteurs de l’économie française connaissent depuis plusieurs années une pénurie. En effet, un rapport estime que dans le domaine des technologies et du numérique 60 000 emplois étaient vacants en 2017 en France et qu’ils pourraient être 80 000 en 2020 par manque de travailleurs qualifiés. De la même façon, les écoles d’ingénieurs souhaiteraient davantage de moyens pour pouvoir former plus d’étudiants dans un domaine où les départs à la retraite vont être nombreux dans les années à venir, mais aussi où l’innovation mène à la création de nouveaux emplois qui   requièrent des qualifications spécifiques.

L’Université, et l’Enseignement supérieur de façon générale, ne sont pas surpeuplés en France : il n’y a pas « trop de monde à l’Université ». Au contraire, un réel besoin de diplômés existe dans notre société tertiarisée et explique le taux de chômage plus faible de ceux-ci par rapport aux non ou aux peu diplômés. Restreindre l’accès aux formations du supérieur et refuser d’accorder les moyens nécessaires à leur bon fonctionnement dans ce contexte est non seulement contre-productif, mais il s’agit aussi d’une atteinte à l’égalité des chances et au droit de tous et toutes à la formation et à un emploi.

 

 

Crédits photos : Alainele – https://www.flickr.com/photos/alainalele/5743036243