L’Europe mère des discordes

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De gauche à droite Julien Bayou, Coralie Delaume, Maximilien Dardel, Raoul Hedebouw et Manuel Bompard.

Vous avez manqué notre Université d’été ? Retrouvez notre débat sur l’Europe, mère des discordes. Pour parler du positionnement des forces progressistes sur la question européenne, nous recevions Julien Bayou (EELV), Coralie Delaume (essayiste), Raoul Hedebouw (PTB) et Manuel Bompard (France insoumise).

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« L’Union européenne est privatisée par l’oligarchie allemande » – Entretien avec Matthias Tavel

Matthias Tavel, auteur d’Insoumis, en Europe aussi. ©Rémy Blang

La question européenne fracture d’ores et déjà les mouvements opposés au néolibéralisme. Pour les uns, il est nécessaire de progresser vers une intégration européenne plus poussée. Pour les autres, il importe au contraire de défendre la souveraineté démocratique des nations, contre l’Europe de Bruxelles. Nous avons rencontré Matthias Tavel, orateur national de la France insoumise et auteur de Insoumis, en Europe aussi (Eric Jamet éditeur, 2018).


LVSL – Vous avez récemment publié un ouvrage intitulé Insoumis, en Europe aussi, dans lequel vous apportez votre contribution à la ligne stratégique de la France Insoumise pour les élections européennes qui se dérouleront dans un an. Quelle est cette ligne stratégique ? Qu’allez-vous mettre à l’agenda à l’occasion de ces prochaines élections européennes ?

Matthias Tavel – Il ne faut d’abord pas perdre de vue que les élections européennes se déroulent dans un contexte bien particulier en France. C’est la première fois que tout le peuple français va se prononcer depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Il faudra un vote-sanction. Ensuite, au niveau européen, nous sommes face à une situation très instable en Italie, très instable en Espagne ainsi qu’en Allemagne ; et le Brexit vient s’ajouter à tout cela. Une dislocation européenne est entamée, à laquelle s’ajoute la pression des extrême-droites. Notre objectif est de porter en France et en Europe un message qui soit le suivant : le refus très clair de cette Union européenne, le refus très clair des oligarchies nationales qui sont liées à cette Union européenne – le gouvernement Macron par exemple –, et en même temps porter la proposition d’une Europe d’après.

Notre ligne stratégique part de l’analyse de ce début de quinquennat. Emmanuel Macron gouverne depuis un an en faveur des riches, en application docile des directives européennes, que ce soit sur la SNCF, le glyphosate, le code du travail ou les coupes dans les budgets publics. Il nous incombe donc d’expliquer que pour résister à Macron, pour sanctionner cette politique, pour ouvrir un autre chemin en France, il faut également exprimer un refus très clair des « réformes » voulues par l’Union Européenne. Macron représente la Troïka à domicile. On n’en voulait pas en Grèce, on ne la veut pas en France non plus. Nous souhaitons ensuite construire une alliance au niveau européen. Il est faux de dire que l’alternative se trouve entre l’Europe austéritaire et ultralibérale d’une part, et le repli nationaliste de l’autre. Non, il existe un autre chemin qui est celui de la souveraineté populaire dans un sens progressiste et humaniste, c’est-à-dire dans le sens qu’elle a toujours revêtu en France depuis la Révolution française. Il faut que le dégagisme qui va s’exprimer lors des élections européennes ait un contenu citoyen et humaniste. Voilà l’enjeu principal : pointer du doigt le désastre qu’est devenu l’Union Européenne, et garder à l’esprit qu’on doit prendre en charge l’intérêt général de tout le continent.

LVSL – Vous évoquiez l’évolution des rapports de force au niveau européen. On va sans doute assister à une augmentation très forte des députés issus de l’extrême-droite. Dans le même temps, vous avez lancé l’appel de Lisbonne pour une Europe insoumise qui visait à étendre votre stratégie dégagiste à cette même échelle. Est-ce que vous pourriez donner quelques précisions sur cette démarche, et sur les partenaires éventuels que vous envisagez ?

Matthias Tavel L’appel qui a été lancé à Lisbonne en avril, qui s’appelle “maintenant le peuple, pour une révolution citoyenne en Europe”, et qui est signé à la fois par Podemos en Espagne, le Bloco de Esquerda au Portugal et la France Insoumise en France, est un premier jalon qui est posé. Notre objectif est bien de porter un mouvement dans toute l’Europe, et de parvenir à avoir des listes qui se revendiquent de ce mouvement dans le maximum de pays. Il y a ces trois mouvements au départ. Le 29 mai, au Parlement européen à Strasbourg, nous avons organisé un événement où des membres de quatre autres mouvements étaient représentés : Potere al Popolo d’Italie, le Parti de Gauche de Suède, Déi Lénk du Luxembourg et Unité Populaire de Grèce, auxquels s’est ajouté un député européen issu du Parti des animaux allemand. Le travail va continuer à s’élargir aux pays scandinaves (l’Alliance rouge-verte du Danemark par exemple). Nous souhaitons mettre en avant le fait que nous portons l’alternative dans tous les pays. On a commencé avec ce que la droite allemande nomme de manière insultante le “Club Med”, c’est-à-dire les pays latins, parce que c’est là que les forces de notre bord sont les plus importantes – entre 10 et 20%. Avec cette alliance nous souhaitons mettre en place une nouvelle ligne politique fondée sur le peuple, sa souveraineté, la révolution citoyenne, et l’écologie. Nous souhaitons porter cette ambition majoritaire dans chacun des pays d’Europe. Donc nous le faisons en partant de forces à vocation gouvernementale dans leur pays.

LVSL – Il existe déjà un groupe qui rassemble les forces de gauche radicale de toute l’Europe, la GUE [Gauche Unie Européenne, où l’on trouve le Parti Communiste Français, la plupart des partis communistes européens ainsi que le parti grec SYRIZA]. Votre stratégie est un appel à un nouveau groupe. Quelles sont les raisons au nom desquelles vous estimez qu’il est nécessaire de rompre avec la GUE et de fonder un nouveau groupe ?

Matthias Tavel – Ce n’est pas en ces termes que nous posons la question. Nous commençons par nous demander ce que nous voulons porter lors des élections européennes. Nous voulons rompre avec les traités européens – ce que nous avons réaffirmé au moment de l’appel de Lisbonne. Ce n’est pas un message qui, aujourd’hui, est porté par la GUE. Nous ne voulons pas être assimilés à la capitulation qui a été celle du gouvernement de Tsipras en Grèce. Pour nous, la souveraineté populaire et la démocratie ne se négocient pas. Dans la GUE se trouvent également un certain nombre de partis encore très productivistes, éloignés des préoccupations écologistes que porte la France Insoumise. L’écologie n’est pas pour nous une question anecdotique ou marginale : elle fait partie du coeur de l’idée de la révolution citoyenne.

LVSL – En ce moment a lieu une crise politique en Italie. La coalition entre le M5S et la Lega [le Mouvement Cinq Etoiles est le principal mouvement populiste d’Italie difficile à situer sur le clivage gauche-droite, la Ligue est un parti d’extrême-droite] a peiné à former un gouvernement, auquel le président italien Sergio Mattarella avait mis son veto il y a quelques jours. Nous avons assisté à des pressions de la part de l’Union Européenne et des marchés financiers. Comment vous positionnez-vous vis-à-vis de cette coalition, sachant qu’elle incarne un projet politique très différent du vôtre, mais qui a en commun avec vous son refus de la cage de fer européenne, notamment sur le plan de l’austérité ?

Matthias Tavel – Nous avons sur la situation italienne un regard inquiet et attristé : attristé de voir que les mouvements progressistes italiens ont été incapables de saisir l’urgence et la nécessité d’adopter une stratégie que l’on qualifie de “populiste”, à l’image de ce qu’a pu développer Podemos en Espagne et la France Insoumise en France. Ils ont préféré à cette stratégie les querelles de chapelles, la multiplicité des porte-paroles, parfois même l’alliance avec le Parti Démocrate et l’acceptation des reniements de Tsipras. Tout cela les a conduits à la marginalité la plus totale, en dépit des efforts de certains groupes comme Potere al Popolo, qui a notre soutien.

Maintenant, le refus du président Matarella de nommer un ministre issu d’une coalition eurocritique, est absolument inadmissible. Il a agit en caniche de l’Allemagne et de la Commission européenne. Je note d’ailleurs que l’UE et le président italien s’accommodent très bien de ministres racistes ou anti-immigrés, mais pas de ministres anti-austérité ! Nous ne sommes pas d’accord avec le programme convenu entre le M5S et la Lega. Ce n’est pas notre programme, ce n’est pas notre identité, ce ne sont pas nos alliés. Mais on ne peut pas accepter que des forces qui sont majoritaires dans leur parlement ne soient pas autorisées à gouverner leur pays simplement parce qu’elles déplaisent à l’Allemagne ! L’éditorial du Spiegel [l’un des principaux quotidiens allemands, proche du parti Social-démocrate allemand] qui compare l’Italie à un pays de clochards en ajoutant qu’au moins les clochards remercient ceux qui leur font la charité, alors que les Italiens n’éprouveraient aucune gratitude envers les Allemands, est absolument inadmissible. Cette Europe allemande n’est pas acceptable, ni en Italie ni en France. Ceux qui commencent par accepter le verrou européen en Italie au motif que le gouvernement Lega – M5S ne nous plaît pas, se préparent à l’accepter demain pour la France. Je ne l’accepte pas pour la France, je ne l’accepte donc pas pour l’Italie aujourd’hui. Pour finir, M5S et Lega ont accepté de renoncer à nommer M. Savona ministre de l’Economie. Cela ressemble beaucoup à un premier renoncement de leur part. L’extrême-droite est un opposant de pacotille dans cette situation.

LVSL – Comment est-il possible de rompre avec cette Europe allemande ? Jusqu’où faut-il aller dans le rapport de force ? Dans votre livre, on peut lire un chapitre intitulé “soumettre l’euro ou le quitter”. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Matthias Tavel – L’Union Européenne fonctionne comme une entreprise qui aurait été entièrement privatisée pour l’Allemagne, pour ses exportations et pour ses rentiers. Toutes les règles qui sont appliquées en matière de libre-échange, de monnaie, d’agriculture – l’autorisation du glyphosate est d’abord un formidable cadeau fait au géant Bayer-Monsanto de l’industrie chimique – sont édictées au profit de l’Allemagne. Pas n’importe quelle Allemagne. Pas celle des travailleurs pauvres, des syndicalistes qui se battent pour des augmentations de salaire… On parle de l’Allemagne de Madame Merkel, des fonds de pension, de l’oligarchie et du capital allemands. Tout cela n’est pas acceptable. Le chantage qui est fait, la pression qui est exercée sur les gouvernements nationaux, les coups d’État financiers qui sont parfois organisés comme on l’a vu en Grèce, ne sont pas un mode acceptable de fonctionnement de l’Union européenne. La sortie des traités qui entretiennent ce système doit donc être mise sur la table. Sortir, ça veut dire d’abord désobéir sur un certain nombre de mesures concrètes : nous ne sommes pas d’accord pour que le travail détaché continue et proposons de désobéir à cette directive en France. On en vient ensuite à la stratégie du Plan A – Plan B. Le Plan A consiste à renégocier des règles et à mettre tout le monde autour de la table en posant nos revendications et nos propositions. Celles-ci sont simples : fin de l’indépendance de la Banque Centrale, fin du libre-échange, du dumping social et de la mise en concurrence des services publics. Si personne ne veut discuter, ou si certains empêchent que cela ait lieu, on passe alors au Plan B. Ce dernier consiste à ce que la France sorte des traités de l’Union européenne dans l’idée de construire des coopérations avec ceux qui le voudront. C’est peut-être l’Allemagne qui finira toute seule, parce que les autres pays préféreront le modèle de coopération et de fraternité que nous proposons à celui de l’égoïsme que Madame Merkel incarne.

LVSL – Cette rupture avec les traités européens irait-elle jusqu’à une possible sortie de l’euro ?

Matthias Tavel – Nous avons toujours été très clairs à ce sujet. Jean-Luc Mélenchon a déclaré à plusieurs reprises que s’il devait choisir entre l’euro et la souveraineté populaire, il choisirait la souveraineté populaire. Le Plan B inclut la construction d’un « système monétaire alternatif » donc l’abandon d’une monnaie qui ne serait en fait que celle de l’Allemagne, un euro-mark. Nous pensons cependant que la discussion n’est pas finie, et qu’il ne faut pas la clore avant qu’elle n’ait commencé. Nous proposons la fin de l’indépendance de la BCE, le changement de ses statuts et missions pour permettre le rachat direct de dette publique, et le financement de l’emploi et de la transition écologique. C’est du bon sens économique et démocratique. L’Allemagne aurait beaucoup à perdre à une implosion de l’euro et de l’Union européenne pour ses entreprises et ses retraites. Nous pensons donc qu’il y a la place pour un rapport de force et une négociation raisonnée. Mais nous ne sommes pas SYRIZA : nous ne céderons pas, nous ne capitulerons pas. Avec nous, la France préférera toujours la liberté à la soumission.

LVSL – Certaines forces à gauche vous accusent justement de développer un discours de repli national et de tenir une ligne nationaliste. Que répondez-vous à ces critiques ? Quelle est selon vous la place que doivent occuper la nation et la souveraineté nationale dans un projet émancipateur ?

Matthias Tavel – Ceux qui voient dans les positions de la France Insoumise une forme de nationalisme font preuve d’arrogance et de mauvaise foi. Ils ne connaissent rien à l’histoire et à la philosophie politique. Nous sommes des républicains et des patriotes au sens où l’étaient Robespierre, Jean Jaurès, et les Résistants. Nous ne séparons jamais l’idéal de Liberté, d’Egalité et de Fraternité qui est celui de la patrie républicaine française, de la bataille pour la justice sociale qui nous anime. Ceux-là feraient donc mieux de balayer devant leur porte. Nous ne les qualifions pas de suppôts de l’Union européenne, quoi qu’ils prétendent agir à traités constants. nous ne les qualifions pas de renégats, bien qu’ils aient contribué au gouvernement de François Hollande. Et nous ne les qualifions pas de trumpistes, bien qu’ils aient soutenu les frappes de Donald Trump et d’Emmanuel Macron en Syrie. Ils feraient mieux de baisser d’un ton et de regarder ce que nous proposons.

Nous voulons sortir des traités européens afin de rendre possible l’application de notre programme, l’Avenir en commun. Celui-ci a pour but de rendre le peuple souverain par la 6e République, de passer à 100% d’énergie renouvelable par la planification écologique et l’investissement public, de reconstruire le service public de transport ou de santé, d’éradiquer le dumping et la précarité, etc. Nous ne faisons de la sortie de l’euro et de l’Union européenne ni un totem, ni un tabou. Nous explorons toutes les possibilités qui peuvent permettre à la France d’être indépendante et insoumise. Nous sommes ouverts à toutes ces éventualités, mais nous n’abandonnons jamais l’idéal de coopération. Il serait temps de comprendre que les coopérations européennes ne se résument pas à l’Union européenne. C’est tout le contraire : l’UE n’a pas le monopole de la coopération, mais de la concurrence ! Et l’UE n’a pas le monopole de l’Europe ! L’agence spatiale européenne, par exemple, qui est un beau projet, porté notamment par la France avec la fusée Ariane, n’a rien à voir avec l’Union européenne. Dans le programme d’échange scolaire Erasmus, on trouve des pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne. Il faut donc arrêter de faire croire que nous serions des nationalistes au motif que nous refusons de privatiser la SNCF, de démanteler le code du travail, ou de bourrer de glyphosate la nourriture nous mangeons. Nous sommes des républicains et des internationalistes.

LVSL – Quelle va être votre attitude à l’égard de ces forces lors des prochaines élections européennes ? Envisagez-vous des listes communes avec elles, ou l’idée est-elle d’emblée écartée ?

Matthias Tavel – Nous refusons la tambouille qui consisterait à s’allier avec des gens avec qui nous aurions des désaccords sur le programme. Nous n’allons pas nous présenter aux élections européennes en expliquant aux Français que nous ne pensons pas la même chose de l’Union européenne, mais que nous pensons tout de même important de faire alliance pour décrocher un maximum de sièges. Il faut respecter les électeurs et les citoyens en assumant nos désaccords. De plus, l’addition dans la confusion ne marche pas d’un point de vue électoral. Maintenant, si la stratégie Plan A – Plan B convient à d’autres forces que les membres de la France Insoumise, ils sont évidemment les bienvenus. Vous avez dans la France Insoumise des membres du Parti Communiste, du Parti de Gauche, des personnes qui viennent du PS ou d’EELV, ainsi que des citoyens qui ne sont membres d’aucun parti. La porte est grande ouverte pour qui se reconnaît dans notre stratégie et notre programme, mais avec nous il n’y  aura ni carabistouille, ni tambouille.

 

Crédits photo : ©Rémy Blang

L’Œil de Bruxelles : Les stratégies des gauches européennes (Quatennens, Balas, Mola)

L’Oeil de Bruxelles épisode 1 avec Guillaume Balas, Adrien Quatennens et Maïté Mola.

Nous recevions Guillaume Balas (Génération.s), Adrien Quatennens (LFI), et Maïté Mola (VP PGE) mercredi 28 février pour un débat de fond sur les stratégies des gauches européennes. Retrouvez le replay sur notre chaîne Youtube, et n’oubliez pas de vous abonner.

 

Tribune : Réponse d’une europragmatique à un eurobéat – par Sophie Rauszer

Sophie RAUSZER (LFI), ancienne candidate de la circonscription du Bénélux. ©Stéphane Burlot

Le député de la circonscription du Benelux, Pieyre-Alexandre ANGLADE (LREM), affirmait récemment « Entre postures souverainistes et discours pro-européen, il n’existe pas de juste milieu ». Sophie RAUSZER (LFI), ancienne candidate au second tour face à lui, lui répond.

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« Entre postures souverainistes et discours pro-européen, il n’existe pas de juste milieu ». Je vous accorde largement ce point.  La question européenne dépasse le clivage droite/gauche mais recouvre bien davantage la tension entre peuple d’un côté – dont on a ignoré le coup de semonce en 2005- et oligarchie de l’autre, avec des représentants qui se complaisent dans un Européisme béat refusant d’établir tout rapport de force. La seule solution européenne, c’est le respect des souverainetés populaires. Cela suppose d’arrêter de se cacher derrière une illusoire souveraineté européenne pour mieux faire passer en force des décisions contraires aux intérêts des peuples européens. Plutôt que d’attendre la constitution d’un mirifique peuple européen, construisons des solidarités de fait.

Vous prolongez le cauchemar européen. L’Europe de votre majorité, c’est la continuation de l’Europe du pire : renoncement sur les perturbateurs endocriniens, supercherie sur les travailleurs détachés, bâillon du peuple français sur le CETA… Les réformes du marché du travail et de l’(in)justice fiscale en étaient les premiers signaux d’alerte. Vous avez suivi à la lettre les « recommandations » de la Commission européenne dans son Semestre européen : baisse des dotations aux collectivités locales, poursuite du Pacte de responsabilité de Hollande, hausse de la TVA dans le logement social, etc. En mai 2016, elle regrettait le « peu de flexibilité pour les employeurs de dévier des accords collectifs par branche ». Vous avez ajouté la touche finale à la réforme El Khomri.

Avec la question du drapeau européen, nous avons posé la première pierre. Outre le symbole religieux excluant de fait une large partie des citoyens européens, Macron poursuit ici la politique de ses prédécesseurs et son jupitérisme caractéristique. Il piétine la ratification du traité de Lisbonne par le Parlement français qui excluait la déclaration annexée sur les emblèmes.

Plus personne n’est dupe. Le mot « pro-européen » ne cache plus la réalité. Une Europe néolibérale sauvage et brutale contre les moins favorisés. Relancer un projet à bout de souffle autour de l’armée et de l’argent : qui peut y croire ?  Près de 4 millions de jeunes européens au chômage (un jeune sur deux en Grèce), 13 millions de travailleurs pauvres en Allemagne et une Union passoire du dumping social et fiscal. Ce sont là les batailles à mener.

Bref, il y a ceux qui continuent l’Europe du pire et il y a l’Europe Insoumise. Le Plan A, c’est les réformes profondes dont l’Europe a besoin : harmonisation par le haut des salaires minimaux, politique monétaire au service de la relance durable, taxe écologique et sociale aux frontières de l’Union européenne, moratoire sur les extractions fossiles. Madame Merkel n’en veut pas ? La France lance la dynamique, l’opère sur son territoire et offre son soutien aux États qui voudraient s’engager sur la même voie. C’est le Plan B. Je note qu’après moult tergiversations, c’est finalement la position que vous adoptez pour le glyphosate en l’interdisant prochainement sur le territoire national. National. Encore un petit effort et vous serez souverainiste !

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Quelle stratégie européenne pour la gauche ?

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Alors que le CETA est entré en application et que le président Macron a dévoilé ses perspectives de réforme de l’UE, la contestation de l’Europe néolibérale semble faire du surplace. Si la renonciation d’Alexis Tsipras, encore dans toutes les têtes, est unanimement rejetée, deux visions différentes semblent fracturer les forces de gauche entre tenants de la renégociation des traités européens et ceux prêts à en sortir. Quelle crédibilité accorder aux propos de Yanis Varoufakis ou au plan B soutenu par Jean-Luc Mélenchon ? Surtout, comment articuler les efforts de toute la gauche du continent pour mettre en place un modèle alternatif ? A l’heure où le gouvernement français veut restreindre la souveraineté nationale et ses attributs et où le FDP et la CSU allemands refusent toute forme de solidarité, l’avenir de l’Europe est plus que jamais crucial.

L’impact de l’Union Européenne sur la vie du demi-milliard de citoyens qui y vivent est désormais largement connu : libre-échange sauvage au sein du marché commun et via les accords bilatéraux avec des pays étrangers (CETA, TAFTA, JETA…), politique agricole commune encourageant la surproduction industrielle pour gonfler les exportations et réduire les coûts d’approvisionnement des distributeurs, droits sociaux rognés dans tous les sens, austérité de gré ou de force, privatisations et ouverture à la concurrence obéissant à une logique dogmatique qui n’apporte rien de positif sinon des profits pour quelques uns. Face à un tel bilan, la réponse de la gauche ne peut être que le rejet de cette entité technocratique qui se veut la pointe avancée du néolibéralisme.

A ce titre, il est jouissif de constater l’effondrement des forces “social-démocrates” (Pasok grec, PS, SPD allemand , SDAP néerlandais, restes blairistes du Labour britannique…) sur tout le continent après qu’elles ont soutenu de telles politiques depuis plusieurs décennies. Mais la transformation rapide et heureuse des paysages politiques nationaux en faveur de structures renouant avec les fondamentaux de la gauche, qu’ils s’en réclament ou non, demeure inutile tant qu’un certain nombre d’institutions – Commission Européenne, BCE, ECOFIN, Parlement gangrené par les lobbys et les arrangements de partis – continuent de dicter les conditions dans lesquelles les politiques nationales peuvent être menées. Le Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker, lui-même “élu” par arrangement des puissants, n’a jamais caché cette réalité, la résumant avec un étonnant cynisme par la formule : “il ne peut y avoir de choix démocratiques contre les traités européens”.

“En jouant sur leur détestations réciproques, la droite radicale et les néolibéraux se sont mutuellement renforcés en asséchant progressivement une gauche intellectuellement exsangue.”

Bien sûr, il est aisé de critiquer un organe politique aussi pourri que l’Union Européenne, le confronter sur tous les terrains et proposer une alternative viable est autrement plus difficile et beaucoup s’y sont cassé les dents, Alexis Tsipras en particulier. Jusqu’ici, une certaine paresse intellectuelle a conduit la gauche à refuser de creuser ces questions et préférer se rattacher à des mots d’ordre aussi creux que “démocratisons l’Europe” ou “l’Europe sociale” sans intention de remettre en cause les fondements mêmes de l’UE. Durant les 2 ou 3 dernières décennies, les partis de gauche classiques ont usé de ce discours à l’outrance sans progresser sur un quelconque point, si ce n’est celui de l’inventivité novlinguistique.

Autant de temps perdu et de déceptions accumulées qui ont nourri les forces de droite radicale aujourd’hui aux portes du pouvoir, fortes d’un discours nationaliste simpliste qui fait l’économie des nuances et des subtilités des questions socio-économiques et environnementales. En jouant sur leur détestations réciproques, la droite radicale et les néolibéraux se sont mutuellement renforcés en asséchant progressivement une gauche intellectuellement exsangue.

Le rapport de force actuel en Europe est favorable à nos adversaires puisqu’ils construisent leur monde en opposition les uns par rapport aux autres : la Fidesz de Viktor Orban et le PiS polonais se nourrissent de la détestation légitime de l’UE tandis que Macron et le Parti Démocrate italien ne tiennent que par des “fronts républicains” brinquebalants dénonçant le populisme pour mieux légitimer la technocratie antidémocratique. Le cas du Brexit constitue d’ailleurs un excellent contre-exemple, dans la mesure où la droite radicale, voyant son premier adversaire disparaître du jour au lendemain, s’est retrouvée en manque de haine et confrontée à une réalité inattendue.

Pour l’heure, la position de la gauche sur la question européenne n’est pas claire et divise ses propres rangs. Quelle est la bonne stratégie pour forcer la main à l’adversaire et fédérer un engouement suffisamment large pour rompre le fatalisme et la résignation ? Dans la montagne de propositions pondues par les thinks tanks et les hommes politiques, peu méritent que l’on retienne leur attention. Ici, il s’agit revenir sur les propos classiques de démocratisation de l’Europe, les projets de Yanis Varoufakis et la question centrale du “Lexit” (ndlr: “left-exit”, une sortie de l’Union Européenne sur un projet de gauche).

Les solutions classiques discréditées

Durant les dernières décennies, le discours de la “gauche de gouvernement” s’est concentré sur la revendication de démocratisation des instances européennes, en particulier le Parlement Européen, organe d’avalisation des décisions de la Commission et du Conseil européen depuis sa création en 1979. Les avancées réalisées sur cette question se sont révélées extrêmement minces, comme en atteste le registre des lobbyistes à Bruxelles et à Strasbourg qui n’est que facultatif. L’organisation de la procédure législative européenne demeure extrêmement dominée par la Commission Européenne sur laquelle l’organe strasbourgeois ne dispose que d’un droit de censure qui n’a jamais été utilisé.

“La très grande majorité des propositions de lois émanent en réalité des fonctionnaires de la Commission dans des conditions d’opacité totale, et sous une influence profonde des lobbys industriels.”

Au mieux le Parlement peut-il proposer à la Commission de légiférer sur un sujet, ce qui ne comporte aucun caractère contraignant et de telles situations sont rares. Dès lors, le Parlement européen ne peut que se contenter de retoucher les textes proposés par le travail commun de la Commission et du Conseil de l’Union Européenne (réunion des ministres nationaux relevant des mêmes thématiques) ou éventuellement de les bloquer. Lorsque l’on sait que l’intervention d’un député européen est plafonnée à 1 minute et que l’absentéisme est élevé, on mesure à quel point le Parlement européen est loin d’être l’espace de débat démocratique qu’il est censé être. Ainsi, ce sont les ministres et les commissaires non élus qui sont à l’origine de la quasi-totalité de la production législative de l’Union.

Etant donné les disparités des calendriers électoraux nationaux et la complexité des sujets, la très grande majorité des propositions de lois émanent en réalité des fonctionnaires de la Commission dans des conditions d’opacité totale, et sous une influence profonde des lobbys industriels. Le cas des accords de libre-échange est encore plus scandaleux puisqu’ils sont négociés dans le secret absolu par des négociateurs choisis par la Commission et que le Parlement Européen est mis devant le fait accompli un fois l’accord rédigé, ne pouvant plus l’amender.

Même en supposant qu’il existe un Parlement européen élu avec une forte participation dans tous les pays membres, dans le cadre de véritables campagnes démocratiques, ce qui est on ne peut plus éloigné de la réalité, les équilibres internes du Parlement sont conçus pour favoriser le consensus néolibéral : les partis politiques nationaux se rassemblent au sein de groupes parlementaires européens qui ne représentent une cohérence idéologique que très limitée. Ainsi, les partis à la droite de l’échiquier politique se regroupent dans le Parti Populaire Européen (PPE) et votent en bloc sur tous les sujets tant que les accords tacites entre leaders nationaux sont tenus. La Fidesz de Viktor Orban, qui ne doit sa qualification de parti de droite qu’à l’existence du parti néo-nazi Jobbikéchange sa participation au PPE, nécessaire pour faire tenir la majorité en place, contre l’indulgence de l’UE sur la politique intérieure du gouvernement hongrois qui est pourtant en effraction notoire avec les principes démocratiques contenus dans les traités européens.

La création de listes transnationales, souhaitée par Emmanuel Macron, ne consisterait alors qu’à présenter devant les électeurs européens ces alliances partisanes hétéroclites derrière des étiquettes vides de sens dans les différents cadres politiques nationaux. De même, face à la forte présence des mouvements nationalistes dans l’hémicycle strasbourgeois depuis 2014, le schéma de la Grande Coalition, incarnation même d’une supercherie démocratique, a été mis en place pour garantir une majorité systématique jusqu’aux prochaines élections européennes. Ajoutons à cela un mode d’élection qui donne aux petits Etats, notamment les paradis fiscaux de Malte, Luxembourg ou Chypre, une représentativité considérable et l’on comprend pourquoi les textes sur la lutte contre l’évasion fiscale sont systématiquement bloqués.

“Comme le déclarait Yanis Varoufakis, la proposition de Thomas Piketty ne ferait que légitimer les politiques d’austérité en leur conférant un vernis démocratique, ce qui était peu ou prou le plan de l’ancien ministre des finances allemand, Wolfgang Schaüble.”

Au vu de l’impuissance notoire du Parlement Européen, on n’ose imaginer à quoi ressemblerait le Parlement de la zone euro de Thomas Piketty. Compte tenu de la tendance de la “gauche de gouvernement” à former des grandes coalitions avec la droite pour modifier quelques virgules de textes, l’austérité ne serait certainement pas mise en défaut de sitôt, si l’on se base sur ses estimations et les espoirs de Benoît Hamon d’une victoire de Martin Schulz aux élections allemandes en septembre dernier. En revanche, la mise en place d’un tel organe ne pourrait être acceptée par l’Allemagne qu’à une condition : celle du transfert de toutes les compétences budgétaires des Etats membres de la zone euro vers ce Parlement, afin de mettre fin aux marges de manoeuvre nationales pour reporter les programmes d’austérité tant souhaités par la CDU-CSU et le FDP allemands. Comme le déclarait l’économiste et ancien ministre grec des finances Yanis Varoufakis au terme d’un débat en France, la proposition de Thomas Piketty ne ferait que légitimer les politiques d’austérité en leur conférant un vernis démocratique, ce qui était peu ou prou le plan de l’ancien ministre des finances de Mme Merkel, Wolfgang Schaüble.

Ainsi, les propositions de démocratisation des instances européennes qui se contente de conférer plus de pouvoir au Parlement Européen sont quasi-inutiles tant que la BCE demeure indépendante, que la Commission Européenne demeure aussi opaque et que le droit d’initiative citoyenne est tant limité. Surtout, de telles propositions nécessiteraient de franchir un nouveau palier d’intégration européenne en faveur d’une hypothétique démocratisation d’organes justement conçus pour ne pas l’être. Pour le futur proche, le cadre national demeure donc sans nul doute le cadre d’expression populaire le moins imparfait.

Les contradictions de Yanis Varoufakis et de Diem25

Économiste reconnu et ancien ministre des finances grec durant les 6 premiers mois du gouvernement Tsipras, Yanis Varoufakis s’est imposé comme l’un des critiques les plus reconnus de l’UE depuis sa démission après le non-respect du référendum “OXI” (ndlr: OXI signifie non en grec, choix exprimé par 61% des électeurs vis-à-vis du mémorandum d’austérité de la Troïka) de Juillet 2015. Désormais à nouveau enseignant à la London School of Economics, il publie Adults in the Room (Conversation entre adultes en français) pour dévoiler les coulisses des négociations européennes de 2015. Yanis Varoufakis a créé un mouvement dénommé Diem25 pour “démocratiser l’Europe”. Partant du constat de l’échec des revendications traditionnelles et rejetant l’option du “Lexit”, il propose une stratégie hybride de désobéissance concertée aux traités européens et d’indifférence aux menaces d’exclusion des institutions européennes. Cette proposition en apparence alléchante pour répondre à la division des gauches européennes sur cette question souffre pourtant d’importantes faiblesses. 

L’éventualité de la sortie n’est jamais évoquée de manière cohérente : Varoufakis et son mouvement se prononcent effectivement contre, considérant que des référendums de sortie ne peuvent qu’être monopolisés par les droites dures qui en profiteraient pour appliquer leur programme nationaliste. Ce faisant, il convainc les instances européennes de sa préférence pour l’UE plutôt que pour la sortie de celle-ci, ce qui ne manquera pas d’affaiblir considérablement sa position dans les négociations.

L’Eurogroupe, la BCE et les instances politiques de l’UE n’auraient pas intérêt à céder aux demandes de leurs adversaires si ceux-ci ne sont pas prêts à remettre en cause leur appartenance aux institutions européennes. Malgré la primauté juridique des institutions européennes sur de larges pans de l’économie et de la politique des Etats-membres, les dissidents acquis au programme de Diem25 n’auraient qu’à répondre par la continuité de leur désobéissance. C’est alors que le réel rapport de force débuterait : si les “rebelles” disposent d’un poids important dans la zone euro ou dans l’UE en général – suivant le type de politiques combattues – il est possible de faire céder les organisations européennes sur bon nombre de points et d’obtenir une avancée, même partielle.

Mais si la désobéissance se cantonne à quelques villes, quelques régions ou à un ou deux Etats faibles de l’UE, l’asymétrie de puissance demeurera considérable et les mesures prises par les organes européens forceront le retour à la table des négociations. C’est la situation qu’a connu la Grèce : après avoir refusé pendant 6 mois de se soumettre aux diktats de la Troïka, elle s’est retrouvée à cours d’argent et un contrôle des capitaux a été imposé par la BCE. La Grèce a été forcée de choisir entre sortie de la zone euro et obéissance aux politiques néolibérales. La position de Varoufakis est alors plus ambigüe que jamais : dans son dernier livre, il considère la sortie préférable à la soumission mais se refuse en à parler – tout comme Syriza avant les élections de 2015 – afin de faire porter la responsabilité de l’exclusion sur l’UE. Si la sortie est une option envisageable, pourquoi ne pas la brandir comme menace dans les négociations ? Pourquoi ne pas être parfaitement clair avec le peuple et le préparer à cette éventualité ?

Evidemment, Diem25, comme n’importe quel David opposé à un Goliath, est optimiste. L’objectif du mouvement est de créer un front d’opposition à l’Europe néolibérale transcendant les appartenances partisanes, une organisation qui soit suffisamment mobilisatrice pour “créer un demos européen” au lieu de se résigner à utiliser seulement les structures nationales dans la lutte. On ne peut que souhaiter la réussite de Diem25 dans sa volonté de concrétiser le vieux rêve d’un internationalisme européen, au moins temporaire, permettant de transformer l’UE et la zone euro. Si le mouvement y parvenait, il s’agirait du plus grand bouleversement politique sur le vieux continent depuis la chute des régimes communistes autoritaires en 1989.

“Il est impossible de bâtir une stratégie de transformation radicale de l’Europe en espérant vainement un alignement des astres dans une majorité de pays européens, qu’il s’agisse de l’arrivée simultanée de gouvernements de gauche radicale au pouvoir ou du soulèvement d’un peuple européen espéré par Diem25.”

Toutefois, les mouvements anti-TAFTA, anti-CETA ou autres sont demeurés faibles malgré la popularité de leurs positions dans les populations. Le dernier mouvement étant parvenu à une puissance notable à l’échelle européenne était le Forum Social Européen et cela commence à dater. Dans une union plus divisée que jamais et avec très peu sinon aucun relais au sein des mouvements sociaux et des partis dans les cadres nationaux – Diem25 ne souhaite pas s’associer à des formations politiques pour rester ouvert à tous – on est en droit d’être sceptique sur les chances de succès du mouvement. Surtout, il est étrange d’entendre un tel discours de la part de Yanis Varoufakis, personnage flamboyant qui ne se réfère presque jamais au peuple grec dans son livre, donnant à penser que les tractations bruxelloises n’étaient qu’une partie d’échecs entre puissants alors que l’austérité, les privatisations, la destruction du droit du travail et la récession ont eu des conséquences bien réelles sur des millions d’individus.

De même, Syriza, n’a pas non plus appelé à une mobilisation de soutien en Europe alors même que le continent entier a vécu au rythme de la confrontation gréco-européenne pendant 6 mois. Les ambitions personnelles de Tsipras et de Varoufakis et leur distance manifeste avec le peuple grec sont justement l’exemple même de ce qu’il ne faut plus faire.

Ainsi, la stratégie de Diem25, basée sur un internationalisme utopiste hérité du 19ème siècle, fait largement fi de la – triste – réalité des rapports de force. Etant donné la difficulté pour la gauche radicale de remporter les élections dans un seul pays européen – la Grèce et le Portugal étant les seuls exemples et leurs résultats plus que mitigés – il est impossible de bâtir une stratégie de transformation radicale de l’Europe en espérant vainement un alignement des astres dans une majorité de pays européens, qu’il s’agisse de l’arrivée simultanée de gouvernements de gauche radicale au pouvoir ou du soulèvement d’un peuple européen espéré par Diem25. L’éventualité d’une sortie de l’Union Européenne ou de la zone euro doit donc être considérée sérieusement.

Le “Lexit”, point de discorde

Malgré les effets désastreux de la construction européenne sur la démocratie, les droits des travailleurs, les systèmes de protection sociale, les services publics ou l’agriculture, l’option de la sortie des traités européens fait figure de tabou à gauche alors que les populations y sont de plus en plus enclines et que la réalité oblige à l’envisager en cas d’échec des volontés de renégociation. Toute ambiguïté ou toute déclaration légèrement “eurosceptique” est systématiquement clouée au pilori par les médias dominants et les donneurs de leçons désavoués depuis des lustres. Alors pourquoi la gauche s’interdit-elle encore de penser le “Lexit”, non comme fin en soi, mais comme une éventualité préférable à la prison austéritaire et ultralibérale qu’est l’UE ?

Les arguments sont connus : l’UE aurait apporté la paix sur un continent ravagé par deux guerres mondiales et des millénaires de combat, y renoncer signifierait aider les nationalistes dangereux qui sont déjà aux portes du pouvoir. Yanis Varoufakis, comme beaucoup d’autres, explique d’ailleurs son refus de cautionner un “Lexit” par le fait qu’une campagne de sortie de l’UE dans le cadre d’un référendum national serait automatiquement dominée par les forces réactionnaires et nationalistes. Une telle affirmation est un aveu d’impuissance et de lâcheté absolu : si l’extrême-droite parvient obligatoirement à bâtir son hégémonie idéologique sur ce sujet, la gauche n’a plus qu’à vendre des réformes de l’UE auxquelles plus personne ne croit et à soutenir les néolibéraux par “front républicain”.

Si la sénilité intellectuelle de la gauche l’empêche de concevoir ce risque pour parvenir à respecter ses engagements de démocratie et d’harmonie sociale et environnementale, l’ordolibéralisme s’appliquera sans fin jusqu’à ce que la cage de fer soit brisée par la haine nationaliste et  la rengaine xénophobe. Se refuser à lutter contre l’extrême-droite dans les référendums en lui préférant toujours l’oligarchie néolibérale “ouverte” revient à reconnaître la victoire irréversible de ces deux courants sur la scène politique.

Il est possible d’avoir une critique radicale de l’Europe, jusqu’à la sortie, et ne pas laisser de terrain à la droite radicale. Le référendum français de 2005 a prouvé que cela était possible, cette victoire n’a pas été uniquement celle des haines racistes. Le Brexit est en train de faire éclater au grand jour l’incompétence et l’irresponsabilité du UKIP et de l’aile droite du parti conservateur. Ces derniers fuient les responsabilités, cherchent d’autres boucs émissaires et prônent un monde toujours plus inégalitaire et antidémocratique. En face, une alternative s’est imposée en un temps record et les Britanniques la plébiscitent toujours davantage : celle du Labour de Jeremy Corbyn. Au Royaume-Uni, c’est bien le Brexit qui a achevé la droite radicale et fait renaître l’espoir.

“L’extrême-droite se nourrit des renoncements, des peurs et du désir égoïste de préserver – avec un certain chauvinisme – ce qui peut l’être. Face à cela, un “Lexit” propose une sortie par le haut de la prison ordolibérale qui a des chances de conquérir le vote des sceptiques.”

D’aucuns mettront en avant les conséquences économiques néfastes : celles-ci s’expliquent entièrement par la politique désastreuse du parti conservateur et du New Labour. Si le gouvernement britannique s’était préoccupé de la sauvegarde de l’industrie et de sa modernisation par des investissements conséquents dans les usines menacées et la recherche et développement, la productivité moyenne du Royaume-Uni ne serait pas la plus faible parmi les pays développés. Au lieu de cela, les gouvernements Thatcher, Major, Blair, Brown, Cameron et May n’ont fait qu’encourager la destruction du secteur secondaire, le jugeant archaïque et trop peu rentable, pour développer une économie de bulle immobilière, de petits boulots précaires dans les services et une industrie financière toujours plus prédatrice.

Une structure économique aussi fragile est un château de cartes, il est en train de s’effondrer. Bien sûr, un choc économique important est à envisager à court-terme chez les autres Etats mettant en oeuvre une sortie. Il y a même de grandes chances que celui-ci soit inévitable. Mais nous sommes à la croisée des chemins : ou de nouvelles bulles financières éclatent, nos entreprises industrielles disparaissent les unes après les autres et la misère et la colère rance explosent, ou bien nous décidons d’engager une reconstruction de notre Etat, de nos services publics et de notre économie sur des bases saines, en offrant à la population une raison de se fédérer en peuple pour bâtir un avenir meilleur.

Au vu de la demande pour un changement politique radical et de l’inévitabilité de la détérioration socio-économique, environnementale et démocratique dans un scénario de prolongement du statu-quo, il est suicidaire de ne pas avoir le courage d’assumer le risque d’une éventuelle sortie devant les électeurs. L’extrême-droite se nourrit des renoncements, des peurs et du désir égoïste de “préserver” – avec un certain chauvinisme – ce qui peut l’être. Face à cela, un “Lexit” propose une sortie par le haut de la prison ordolibérale qui a des chances de conquérir les votes des sceptiques si la campagne est menée avec honnêteté et sérieux.

“L’appui de millions d’européens, peu importe leurs affiliations politiques, sera un atout décisif dans le rapport de force avec les forces néolibérales et réactionnaires, qui pourra servir de tremplin à la construction d’une Europe alternative dans le cas d’un échec des négociations et d’un “Lexit”.”

Bien sûr, le “Lexit” ne doit pas être une fin en soi, seulement un joker absolu dans le face-à-face avec l’oligarchie bruxelloise. Si les négociations ne donnent pas des résultats suffisants sur la lutte contre le pouvoir des lobbys, la convergence fiscale, sociale et environnementale ou la fin de l’austérité, le “Lexit” sera la carte à abattre. La désobéissance civile prônée par Diem25 est évidemment à mettre en oeuvre, mais elle ne peut servir de solution de long-terme. Quant à un mouvement populaire de contestation pan-européen, il s’agit d’une priorité pour construire l’Europe alternative que nous revendiquons depuis si longtemps. L’initiative de Diem25 doit être appuyée malgré la personnalité ambigüe de Yanis Varoufakis. Tout mouvement de gauche radicale arrivant au pouvoir doit appeler à serrer les rangs derrière toutes les organisations à même d’aider à la réussite d’un projet de réforme radicale de l’UE.

L’appui de millions d’européens, peu importe leurs affiliations politiques et le gouvernement en place dans leurs pays, sera un atout décisif dans le rapport de force avec les forces néolibérales et réactionnaires, qui pourra servir de tremplin à la construction d’une Europe alternative dans le cas d’un échec des négociations et d’un “Lexit”. C’est justement le travail du “Plan B”, dont le cinquième sommet s’est tenu ce week-end au Portugal en pied de nez au traité de Lisbonne adopté dix ans plus tôt. Il est heureux que celui-ci fédère des membres de Die Linke, du Bloc de Gauche portugais, du Parti de Gauche suédois, de l’alliance rouge-verte danoise, de Podemos, du Parti de Gauche – quasiment fondu avec la France Insoumise – et de formations plus marginales en Grèce et en Italie derrière une stratégie commune dite “plan A – plan B” similaire à celle défendue par Jean-Luc Mélenchon durant la campagne présidentielle.

Bien que cette initiative soit assez peu médiatisée et dominée par les représentants politiques, l’avancement progressif des négociations et l’optimisme qui s’en dégage témoignent de la popularité grandissante de cette stratégie au sein des élites politiques européennes. Plus ce “plan B” grandira en popularité et en précision, plus la gauche européenne disposera d’un cadre d’action cohérent alliant une feuille de route stratégique – “plan A – plan B” – et le soutien mutuel des forces alliées pour le mener à bien.

“Epaulée par une mobilisation pan-européenne de masse et la menace d’un référendum de sortie, la demande de renégociation des traités européens peut aboutir, surtout si elle émane de poids lourds de l’UE et de la zone euro.”

L’attaque simultanée des forces néolibérales contre les derniers restes de l’Etat-providence et de l’extrême-droite contre la solidarité internationale et interclassiste ne peut conduire la gauche à attendre l’éclatement des contradictions et des colères, comme certains marxistes l’espéraient dans les années 1930. Les appels niais à des transformations cosmétiques de l’UE ne font plus recette. Voilà trente ans que les mots d’ordre sont les mêmes. Or la situation a évolué et nous sommes attendus de pied ferme pour combattre nos adversaires jusqu’au bout à travers une tactique cohérente. Les derniers naïfs qui croient à une renégociation aisée face à des ennemis surpuissants et qui sont prêts à jeter à la benne leur programme pour rester dans l’UE sont en train de disparaître : à l’élection présidentielle française, cette position incarnée par Benoît Hamon –  quasi-unique point de discorde avec Jean-Luc Mélenchon – a récolté à peine 6% des suffrages.

Le défaitisme de ceux qui affirment que la renégociation est impossible car elle requiert l’unanimité, position portée par l’UPR de François Asselineau par exemple, nie la réalité du rapport de force: nombreux sont les Etats en infraction avec les principes juridiques européens sans que rien ne leur en coûte (les limites arbitraires de déficit et de dette publique imposées par le Traité de Maastricht ne sont guère respectées et les Etats d’Europe Centrale flirtent avec les frontières des critères démocratiques). Epaulée par une mobilisation pan-européenne de masse et la menace d’un référendum de sortie, la demande de renégociation des traités européens peut aboutir, surtout si elle émane de poids lourds de l’UE et de la zone euro. Sinon, il sera temps d’abandonner une Europe, qui au lieu de nous protéger, nous amène chaque jour plus proches d’un conflit généralisé.

 

 

Crédits photos: ©Sam Hocevar. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license.

 

La VIème République est-elle possible ? Entretien avec Charlotte Girard

Charlotte Girard à l’émission Esprit de campagne. Crédits photo : Stéphane Burlot.

Charlotte Girard est Maîtresse de Conférences de droit public à l’Université de Paris Ouest Nanterre – La Défense et coordinatrice du programme de La France Insoumise. Dans cet entretien, elle revient sur les raisons du passage à une Sixième République et sur les modalités concrètes du processus constituant.

L’une des mesures phares du programme de La France Insoumise porté par Jean-Luc Mélenchon est la proposition de passage à une VIème République. On sait que la Vème République a été largement révisée, notamment par l’alignement du mandat présidentiel et du mandat législatif, de sorte que nous sommes déjà passés à une autre forme institutionnelle. Pourquoi passer à une VIème République, plutôt que retourner à une Vème République référendaire qui semble convenir à la posture gaullienne de Jean-Luc Mélenchon ?

Votre postulat n’est pas bon. La Vème République a en effet été révisée 24 fois avec notamment la révision de 2000 qui a consisté à synchroniser les échéances présidentielles et législatives. Cependant, cela ne change pas le régime, mais en accentue la pente. C’est toujours la fonction présidentielle qui recueille prioritairement la légitimité. L’Assemblée Nationale en récupère ensuite une part pour le service du pouvoir exécutif. La majorité parlementaire est au service du projet présidentiel. Il n’y a pas eu de rupture, ni de volte-face depuis 1958.

Pourquoi est-ce qu’il en est ainsi ? C’est beaucoup dû au fait que le texte constitutionnel a été produit et fabriqué de façon très contrôlée par l’exécutif. En conséquence, ce texte a donné l’avantage au pouvoir exécutif. Cela a été renforcé en plusieurs occasions historiques : en 1962, lors de la mise en place de l’élection du Président au suffrage universel direct ; en 2000, avec la réforme du quinquennat. Ceci sans parler de la cohabitation qui n’a fait qu’accroître le principe d’irresponsabilité du Président qui reste en place malgré le désaveu populaire. Nous sommes face à une situation de déséquilibre des pouvoirs qui se traduit par une absence de responsabilité en contrepartie de grands pouvoirs acquis au Président. Cette pente est acquise, elle n’est pas réversible.

“Toute la première phase de la révolution citoyenne à laquelle nous appelons se fera en Vème République, c’est-à-dire avec un exécutif fort […] nous nous en servirons pour renverser l’ordre qui nous est imposé depuis toutes ces années”

A partir de ce constat, nous n’avions pas d’autre choix que d’envisager une réécriture totale de la constitution. La procédure de révision simple n’est pas suffisante, il faut investir le peuple comme véritable souverain dans le processus constituant. Ça n’a pas été le cas en 1958, mais cela doit être cette fois-ci. Le moule dans lequel est fabriqué la constitution détermine le résultat du processus constituant.

Mais la verticalité de la Vème République n’était-elle pas utile pour la mise en place de mesures d’urgence ?

Nous n’échapperons pas à la verticalité imposée par la Vème République elle-même. C’est déjà vrai dans cette campagne en dépit de tous nos efforts pour l’ouvrir à la participation de la population. Toute la première phase de la révolution citoyenne à laquelle nous appelons se fera en Vème République, c’est-à-dire avec un exécutif fort. Bien que nous fassions le constat que ce régime est peu démocratique, nous nous en servirons pour renverser l’ordre qui nous est imposé depuis toutes ces années tant sur le plan social, économique qu’écologique. Cet ordre par ailleurs ne permettait plus la participation du grand nombre à l’activité politique. Nous ferons donc des faiblesses de la Vème des points fort pour l’avenir en commun.

Après, lorsque nous serons passés à une VIème République, nous espérons que le nouveau compromis aura repensé l’exercice du pouvoir dans un sens plus horizontal ; que les rapports entre le législatif et l’exécutif seront vraiment rééquilibrés. En ce qui me concerne et bien que rien ne soit arrêté à ce sujet, je suis pour la disparition de l’institution présidentielle au profit d’un exécutif collégial.

On soulève souvent le risque de faire face à une nouvelle IVème République instable. Néanmoins, il est assez simple de ne pas se retrouver avec les mêmes travers institutionnels, en mettant par exemple en place une motion de censure constructive, qui implique une majorité de remplacement. On peut penser à d’autres garde-fous. C’est une affaire de réglages et de volonté politique.

Pour passer à une VIème République, vous proposez d’en passer par un processus constituant. Dans quelle temporalité celui-ci aurait-il lieu ?

Voilà ce que nous disons : le peuple au départ, à l’arrivée et pendant le processus. C’est pourquoi nous poserons la question suivante en septembre : Est-ce que nous faisons oui ou non une assemblée constituante ? – dont les caractéristiques seront inscrites en annexe de la question. Cette question sera posée dans le cadre de l’article 11 de la constitution qui permet au Président de demander au peuple l’approbation d’un projet de loi. Le résultat du référendum de septembre – s’il est positif – ouvrira donc la possibilité de convoquer l’assemblée constituante, car la « loi portant convocation d’une assemblée constituante » aura été ainsi adoptée.

A partir de ce moment, le processus de désignation des membres de cette assemblée est ouvert. La désignation aura lieu à l’issue d’une campagne qui se terminera en décembre. Une part des membres sera élue, l’autre sera tirée au sort. La part tirée au sort sera déterminée en fonction du nombre d’électeurs qui feront le choix du tirage au sort. Par exemple, si 30% des électeurs utilisent le bulletin « tirage au sort », alors 30% de la composition de l’assemblée sera déterminée par tirage au sort. Cela permet de ne pas fixer arbitrairement la quotité de tirés au sort, et d’éviter que le résultat du travail de la constituante soit considéré comme illégitime. Les électeurs seront donc constamment face à leurs responsabilités, y compris au moment de composer l’assemblée constituante.

L’entrée en fonction de l’assemblée constituante aura lieu en janvier 2018 et sera validée uniquement pour 2 ans. C’est une assurance que ce mandat soit effectif. C’est aussi une manière de ne pas dissuader les tirés au sort d’y participer car un mandat sans fin serait impossible à accepter. Enfin, un projet est présenté au référendum de clôture du processus constituant. Intervenant à chaque étape du processus, le peuple redevient souverain.

N’y a-t-il pas un risque de conflit de légitimité entre les deux assemblées ?

Non, ce risque n’existe pas car leurs compétences sont strictement délimitées et différenciées. L’Assemblée Nationale produit et vote la loi, alors que la Constituante fera uniquement un travail de rédaction de la nouvelle constitution. Bien évidemment, nous supposons que la majorité à l’Assemblée Nationale sera plutôt une majorité insoumise, ce qui permettrait que l’Assemblée Nationale soit « complice » du processus constituant et favorise l’implication populaire dont le processus constituant a besoin. L’implication populaire est conditionnée au fait de revenir sur l’ensemble des lois antisociales afin de permettre aux citoyens d’avoir du temps pour s’investir dans le processus. Il faudra abroger la loi El Khomri et revenir sur le travail du dimanche entre autres.

“Voilà ce que nous disons : le peuple au départ, à l’arrivée et pendant le processus. […] Intervenant à chaque étape du processus, le peuple redevient souverain.”

Il en va de même pour les lois sécuritaires. Nous avons vu fleurir une vingtaine de lois sécuritaires depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, et celles-ci ont tricoté un carcan orienté vers la répression du mouvement social sous couvert d’antiterrorisme. L’Assemblée nationale permettra de s’en défaire.

Comment est-ce que ce processus constituant s’articulerait avec la sortie des traités européens ? D’une certaine façon, le résultat des négociations européennes, et la façon dont le rapport de force s’établirait avec l’Allemagne, auront un impact sur ce processus constituant. Dès lors, n’est-ce pas risqué de mener en même temps ces deux processus, sachant que le programme de La France Insoumise risque d’être en rupture avec l’ordre légal européen ?

L’objectif de la stratégie du plan A/plan B est de faire en sorte que le programme l’Avenir en commun choisi par le peuple français puisse être mis en oeuvre à l’intérieur du cadre européen. Il est néanmoins évident aujourd’hui que celui-ci ne sera pas compatible avec l’UE dans un premier temps, et que nous devrons désobéir aux traités d’entrée de jeu, ce qui est de toute façon déjà le cas chez nous comme chez beaucoup de nos voisins – y compris l’Allemagne. Toutes les négociations iront dans le sens qui vise à faire que notre programme puisse se dérouler dans le respect des traités, sans changer le programme mais les traités.

Le processus constituant est un élément du programme qui nécessite comme ces négociations européennes une dynamique importante héritée de l’élection. Il ne pourra pas attendre. Le droit communautaire ne doit pas empêcher ce type de choix politiques fondamentaux. Et à ce titre, l’investissement populaire sera la clé de la réussite de ces deux processus.

Ceci dit, si les négociations du plan A échouent, il n’y a pas de raison de penser que cela aura un quelconque impact sur le processus constituant. Ce dernier est l’acte souverain par excellence, il ne peut donc absolument pas se laisser perturber par l’ordre juridique communautaire.

En réalité, en cas d’accession aux responsabilités d’un pouvoir insoumis, ce sont les référendums sur le processus constituant qui seront les plus risqués, et non ceux qui se tiendront sur l’Union Européenne.

Vous voulez rendre le processus constituant le plus ouvert possible, afin de redonner une légitimité démocratique à notre constitution. Comment est-ce qu’on pourrait y participer ? N’y-a-t-il pas un risque que ce processus soit capturé par des minorités actives de toute sorte qui seront surreprésentées dans l’élaboration de la constitution ? C’est un reproche qui est souvent adressé à la démocratie directe et à la démocratie participative.

Nous n’avons pas peur de ce risque, car si le processus se déroule selon le principe de la plus grande implication du peuple, alors ce que vous appelez les « minorités actives » seront contrebalancées par toutes sortes d’opinions divergentes. Nous misons beaucoup sur le 2.0 et la capacité à suivre en direct l’évolution des débats. Cela doit engendrer une dynamique d’implication très importante. Tout le monde est en mesure d’avoir un avis sur la question, ce qui fait que les risques de manipulation diminuent.

Ainsi, nous ferons en sorte qu’il n’y ait pas de déséquilibres. Un moyen peut alors être de communiquer fidèlement les « doléances » et d’obliger l’assemblée constituante à auditionner les groupes de citoyens qui les présentent. Nous sommes attentifs à ce qui s’est récemment produit dans l’organisation des débats publics, et notamment dans l’enseignement, où nous avons vu fleurir des modalités très horizontales. Il faudra aussi organiser de nombreuses conférences, des forums citoyens divers et variés, et promouvoir l’investissement le plus large possible.

Dans cette proposition de VIème République, vous envisagez de donner beaucoup plus de place aux citoyens dans le contrôle de leurs représentants et dans leurs formes de participation à la vie politique. Le modèle Suisse est-il une référence en la matière ? Comment est-ce que vous comptez produire ces nouveaux citoyens conscientisés et politisés ?

Non, le modèle Suisse n’en est pas vraiment un pour nous. Je parlerais plutôt de modèle français, qui s’inscrit dans la tradition révolutionnaire française. Ce qui s’est passé en Amérique Latine, notamment en Equateur, en Bolivie et au Venezuela, ou encore en Tunisie plus récemment, constitue aussi une source d’inspiration. Des processus constituants très importants ont eu lieu, avec un fort investissement populaire.

Pour cela, il faudra impliquer l’Éducation Nationale dans la mise en place de processus d’instruction civique profonde – qui ne pourront pas se limiter à une heure par-ci par-là. De même, il faudra opérer cette révolution dans les médias en interdisant les concentrations et en incitant à la réorientation de leurs missions pour qu’ils deviennent de véritables sources d’information.

Pour stimuler la participation, nous pensons utile de rendre le vote obligatoire à partir de 16 ans, tout en reconnaissant le vote blanc et en le comptabilisant, c’est-à-dire en lui faisant produire des effets. Il faudrait avoir atteint un seuil de votes favorable pour être élu. Ceci n’est possible que si vous comptabilisez les votes blancs et nuls parmi les suffrages exprimés. Enfin, si on se met à réfléchir aux moyens de rendre les élus responsables de leurs actes politiques alors nous sommes sûrs que nos concitoyens seront enfin intéressés par la chose politique. Notre projet de VIème République est un projet de révolution citoyenne.

Entretien réalisé par Lenny Benbara pour LVSL.