Comment le pouvoir reprend la main sur le savoir

L’École d’Athènes, peinte par Raphaël, Rome

Depuis la récupération de la culture par la sphère marchande dans les années 1970 à l’Ouest, la chute du Mur de Berlin en 1989 à l’Est, le système socioéconomique dans lequel nous vivons permet de moins en moins un contre-savoir. Les contre-expertises sont de plus en plus rares, les chercheurs sont financièrement et socialement désincités à la critique, le journalisme est de plus en plus privatisé et dans la sphère publique est inoculé un savoir toujours plus technique qui sert un pouvoir technocratique. Bref, ce qu’on a appelé le « soupçon », à savoir la critique du savoir, est aujourd’hui fortement menacé et nous conduit vers un savoir unique détenu par le pouvoir.

UNE BRÈVE HISTOIRE DU SAVOIR

Les philosophes allemands Friedrich Nietzsche et Karl Marx ainsi que l’autrichien Sigmund Freud sont qualifiés de « philosophes du soupçon ». Le premier a détruit les illusions du christianisme et a tenté de libérer l’homme de ses fausses croyances. Marx, quant à lui, a dénoncé le système de domination bourgeois sur les autres classes de la société. Enfin, Freud a montré que le sujet n’est plus « maître en sa propre maison » en dévoilant l’inconscient. Ces soupçons furent respectivement religieux, social et métaphysique.

Ces penseurs rompent avec une dynamique millénaire du savoir qui remonte à Platon et à Aristote. En effet, on a longtemps conçu le savoir comme un système. C’est-à-dire que le savoir était réductible à quelques postulats desquels on déduisait tout le fonctionnement de la nature et de la société : des feuilles qui tombent, à l’amour, jusqu’aux relations hiérarchiques au sein de la Cité-État. Déjà dans La République, Platon montrait à voir un savoir d’État comme un pharmakôn, c’est-à-dire autant comme un poison qu’un remède. Et certains mensonges d’État (mekhanastai) pouvaient être bénéfiques (pharmaka) pour le peuple.

Michel Foucault remarque par son concept de « volonté de savoir » que la vérité fonctionne comme un système d’exclusion [1]. Avant les philosophes du soupçon, le savoir ne fut jamais réfléchi comme un rapport de domination ; et Foucault croit y déceler un déni de domination. L’illustration du discours des Sophistes qui est relayé à un pseudo-savoir montre bien cette domination et ce, dès le IVsiècle avant notre ère. Nietzsche brise cette dynamique en posant notamment l’« extériorité du savoir » qui signifie que derrière le savoir, il y a autre chose que le savoir.

Derrière ce savoir, il y a la possibilité pour le pouvoir d’introduire un dispositif de « gouvernement des corps ». Cela signifie que le pouvoir peut diriger de sorte que le peuple croit que cela vient de lui, qu’il est libre. C’est tout l’enjeu du XVIIsiècle jusqu’au XIXsiècle avec l’apparition et la consolidation de l’État-nation. Avec l’avènement de la démocratie et des foules, l’ennemi n’est plus extérieur mais intérieur : c’est le peuple. L’État doit trouver un moyen de discipliner cette forme qui se démocratise, qui accède à l’enseignement et au savoir, donc qui a un nouvel accès à un instrument de pouvoir.

C’est dans ce contexte, notamment, que la philosophie critique peut se développer. Au XXe siècle, elle trouve son apogée dans les pensées de l’École de Francfort et du structuralisme et dans des figures telles que Judith Butler, Herbert Marcuse ou encore Noam Chomsky.

LES MÉCANISMES D’EXCLUSION

Aujourd’hui, les propos de penseurs tels que Fréderic Lordon, Mona Chollet ou encore Serge Halimi ont une portée moindre que celles qu’avaient pu avoir Albert Camus ou Simone de Beauvoir. Que s’est-il passé ? Foucault montre [2] qu’il y a une procédure d’exclusion du savoir par l’interdit (notamment dans des domaines comme la politique ou la sexualité), la séparation entre raison et folie (on qualifie de « fou » ceux qui ont un discours alternatif) et l’opposition du vrai et du faux, c’est-à-dire qu’on impose violemment la vérité.

D’autre part, il y a aussi une procédure de limitation du discours. Est désigné qui doit tenir tel discours sur tel sujet : untel sur la sexualité, unetelle sur la géopolitique, etc. On voit donc comment toute une caste d’experts et qui sont d’ailleurs toujours les mêmes viennent nous parler sur BFM, sur Europe 1, etc. Il ne faut pas non plus le comprendre de façon naïve. Les Grands-de-ce-monde ne se réunissent pas tous les mercredis soir pour savoir qui ira parler de la Palestine sur tel plateau à telle heure. Il y a des mécanismes sociaux qui filtrent. Concernant les journalistes, ils sortent des mêmes écoles qui forment d’une façon déterminée. De plus, la précarisation de ce métier incite les journalistes à dire inconsciemment ce que le média attend [3]. La privatisation croissante des médias ne renverse pas non plus cette dynamique.

On comprend maintenant mieux comment l’exclusion du savoir fonctionne. Mais quid des chercheurs ? Leur discours est d’abord discriminant, leur langage est complexe, leur pensée s’articule lentement. De fait, ils sont moins performants pour s’adresser à l’audimat et pour l’émouvoir que les « experts » habitués des plateaux-télé. D’autre part, la sape de l’université par les dernières réformes de l’enseignement supérieur, et la dynamique élitiste des Grandes Écoles, ne permet pas l’émergence d’une critique intellectuelle stable qualitativement et quantitativement.

LA TECHNOCRATISATION DU SAVOIR

Non seulement le contre-savoir et la contre-expertise sont moins produites pour les raisons évoquées, mais de surcroît le savoir change de nature. Il se « technicise ». La sociologie, la psychologie, la philosophie, l’anthropologie et l’économie sont lentement remplacées par le marketing, la finance, la communication, la gestion et le management [4]. D’une part, la spécialisation du savoir « enferme » les universitaires dans leur domaine de recherche et les empêche d’avoir une vue d’ensemble qui permettrait la critique. D’autre part, le savoir étatique devient de plus en plus technique. Et l’existence de l’École nationale d’administration (ENA) n’est justifiée que pour permettre à l’élite de maîtriser ce savoir.

Cette mise à distance du peuple et de la pensée critique est une reprise en main du savoir par le pouvoir. Les images récurrentes d’un pouvoir qui serait pastoral, qui guiderait le peuple, annonce la future mise sous tutelle des penseurs critiques par le pouvoir. Ici, le pouvoir ne renvoie pas seulement à l’État, qui justement a de moins en moins de marges de manœuvre [4], mais aussi aux grandes entreprises et conglomérats, aux GAFA ainsi qu’aux ONG et aux think-tanks néolibéraux.

De fait, les penseurs critiques sont écartés. Non seulement ils subissent des assauts très violents du corpus néolibéral mais ils sont aussi délaissés par ceux qu’ils défendent. Paradoxalement, le peuple a tendance à écarter les penseurs du soupçon. Le dispositif de persuasion du système néolibéral est si puissant et simple d’utilisation que le peuple adopte ses arguments pour les rétorquer à la critique.

Nous sommes à un tournant épistémologique passionnant mais aussi effrayant. Alors que le dernier grand système philosophique hégélien était détruit par Marx, Nietzsche annonçait une nouvelle ère qui rendrait féconde la critique, notamment celle du pouvoir portée au plus haut point par l’École de Francfort, puis par le structuralisme qui donnerait naissance aux gender studies, aux postcolonial studies, etc. Mais un nouveau grand système philosophique, aidé par des puissances politique, médiatique et économique, est aujourd’hui en train de rétablir ce système de pensée, un système qui expliquerait tout et pire, qui gouvernerait tout : le système néolibéral. La critique est censurée par ceux qu’elle combat et ignorée par ceux qu’elle défend. Ce que dans un contexte littéraire, Nathalie Sarraute avait appelé « l’ère du soupçon », celle-ci tend à s’achever. Sa fin nous amène lentement vers un savoir unique, détenu par le pouvoir.


[1] M. Foucault, Leçons sur la volonté de savoir. Cours au Collège de France 1970-1971

[2] M. Foucault, L’Ordre du discours. Leçon inaugurale au Collège de France

[3] pour aller plus loin : P. Bourdieu, Sur la télévision

[4] D’excellents articles sur le management : Alain Deneault, « Quand le management martyrise les salariés », Le Monde diplomatique, novembre 2018, p. 3 et Laurent Bonnelli et Willy Pelletier, « De l’État-providence à l’État-manager », Le Monde diplomatique, décembre 2009, pp. 19-21

[5] L’État est de plus en plus affaibli par le privé et son affaiblissement est d’autant plus renforcé qu’il est accusé par le peuple de ne pas subvenir à ses besoins, lequel se tourne vers le privé, accentuant d’autant plus l’affaiblissement de l’État, cf. C. Crouch, Post-démocratie


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La conquête du pouvoir d’État – Íñigo Errejón

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Iñigo Errejon pendant sa conférence sur la conquête du pouvoir d’État.

Vous avez manqué notre Université d’été ? Retrouvez la conférence d’Íñigo Errejón, stratège de Podemos, sur la conquête du pouvoir d’État et la construction d’une nouvelle hégémonie.

 

 

Crédits photos : ©Ulysse Guttmann-Faure

Trump : Very Bad Team ?

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Donald Trump est un égocentrique richissime, qui s’est entouré de ses semblables pour gouverner. Nous allons donc droit dans le mur, c’est certain. Attention cependant ! Si le pire n’est pas à exclure, c’est plus compliqué que ça. La nouvelle administration US, malgré l’impression de galerie des monstres qu’elle inspire, est cohérente sur le plan idéologique et annonce des objectifs assez clairs. Son ambition est monumentale : changer de paradigme mondial. #Freaks

Pendant toute la période entre l’élection – pas si surprenante – et l’investiture de Donald Trump, deux sons de cloche ont prévalu dans la sphère médiatique et intellectuelle. On a d’abord parlé de la possibilité qu’il ne soit jamais intronisé. En recomptant les voix, avec des grands électeurs qui voteraient Clinton ou avec une procédure d’impeachment pour un scandale sexuel qui s’est évaporé aussi vite qu’il était arrivé.

Ensuite, on a compris qu’il allait bien falloir s’y faire. On a donc tout simplement émis l’idée qu’il ne tiendrait jamais ses engagements, excentriques et impossibles à mettre en place. Pourtant, au vu de l’équipe qu’il a mise en place, détonante, il semblerait bien que le milliardaire new-yorkais aille jusqu’au bout de la démarche. Les premiers jours de son mandat sont venus confirmer la tendance : Donald Trump va mettre en action ses promesses de campagne…

Que des n°10 dans sa team

Nommée très rapidement, la nouvelle team en charge devrait marquer une césure nette avec celle en place dans toutes les sphères majeures du pays : militaire, financière, énergétique. Tous ses membres sont de longue date des proches de Monsieur Trump, au moins idéologiquement. A la manœuvre en coulisses, un personnage absolument inique sur lequel nous nous arrêterons plus longuement : Steve Bannon. Survolons d’abord les profils des nouveaux “maîtres du monde”. Attention, ça pique un peu  :

  • Mike Pence (Vice-Président) : Évangéliste, créationniste. Ancien juriste et animateur de radio, ultra-conservateur, pro-life, anti-mariage gay. Pour lui, la place de toutes les femmes est au foyer, le mouvement LGBT est responsable de “l’effondrement de la société” et le préservatif n’est “qu’une faible protection contre les MST”. Entre autres…
  • Reince Priebus (Chef de Cabinet) : Président des Républicains, figure sobre de la nouvelle administration. Sa nomination vise à pacifier les relations avec le Congrès.
  • Rex Tillerson (Secrétaire d’Etat) : Ex-PDG du géant pétrolier Exxon. Familier de la Russie et de l’Arabie Saoudite via le business. Millionnaire.
  • Jeff Sessions (Justice) : Pro-life, anti-mariage gay, anti-immigration farouche, il est réputé comme le membre le plus conservateur du Congrès. Proche du Tea Party et premier soutien officiel de Trump venant des Républicains. Millionnaire.
  • James Mattis (Défense) : Ancien Général, le premier à ce poste depuis 1950. Cultivé, grande gueule, il a dirigé des troupes en Irak et en Afghanistan. Son surnom : Mad Dog, le Chien Fou. Millionnaire.
  • Scott Pruitt (Environnement) : Climato-sceptique assumé. Il vient de l’Oklahoma, qui tire 50% de ses revenus du pétrole. Bras armé du lobby de l’énergie à Washington depuis des lustres.
  • Mike Pompeo (CIA) : Pro-life, pro-armes, conservateur sur le plan fiscal, favorable au vaste programme de surveillance de la NSA. Il a notamment déclaré que le lanceur d’alerte Edward Snowden méritait la peine de mort.
  • Wilbur Ross (Commerce) : Figure de Wall Street ayant fait fortune dans les fonds d’investissements, après un long séjour chez Rotschild. Surnommé “le Roi de la Faillite”. Milliardaire. Il sera secondé par Todd Ricketts, propriétaire des Cubs de Chicago et fils de Joe Ricketts, le fondateur d’Ameritrade et adversaire de Trump pendant la primaire. Milliardaire également.
  • Steven Mnuchin (Secrétaire au Trésor) : Ancien de Goldman Sachs. Devenu richissime après avoir racheté la banque IndyMac au cœur de la crise, en 2008, avant de la revendre. Milliardaire.
  • Betsy DeVos (Education) : Philanthrope richissime, ultra-conservatrice, militante de l’école privée (sic). Milliardaire.
  • Linda McMahon (à la tête de la SBA – Small Business Administration -, l’organisme qui gère les 28 millions de PME américaines) : Ancienne directrice avec son époux de la WWE, la fédération de catch. Milliardaire.
  • Andy Puzder (Travail) : PDG de CKE, immense groupe de l’industrie de la restauration rapide. Plutôt porté à gauche, il milite pour la hausse du salaire minimum, l’amélioration des conditions de travail et la généralisation de la couverture santé. Millionnaire.
  • Gary Cohn (Budget) : Ancien n°2 de Goldman Sachs, qu’il a quitté après 26 ans de service avec… 175 millions d’actions. Milliardaire.
  • Jared Kushner (Conseiller à la Maison-Blanche) : A 36 ans, le gendre de Donald Trump s’est imposé comme le moteur de sa campagne au lance-flammes. L’interdiction de népotisme ne touchant que les agences fédérales, il a été intégré à la Maison-Blanche.
  • Tom Price (Santé) : Pro-life, farouche opposant de l’Obamacare. Au Congrès depuis 2004, il est chirurgien orthopédique de formation. Millionnaire.
  • Ben Carson (Logement/Urbanisme) : Afro-Américain, évangéliste ultra-conservateur, neurochirurgien dans le civil. Aucune expérience politique. Ses propos ont créé le tollé lors de la campagne sur des sujets aussi divers que l’esclavage, l’holocauste, les armes, l’homosexualité ou l’islam… Millionnaire.
  • Ryan Zinke (Intérieur) : Ancien membre de la Navy, Sénateur du Montana, ultra-libéral.
  • Robert Lighthizer (Négociateur en chef) : Routier du GOP, ambassadeur puis ministre sous Reagan, cet ancien avocat d’affaires a passé des décennies à défendre les grands groupes industriels américains dans leur disputes commerciales. Surnommé “l’homme le plus protectionniste de Washington”.
  • Michael Flynn (Conseiller Sécurité) : Ancien chef du renseignement militaire, mis à la retraite anticipée par Obama en 2014. Très ambigu sur la torture. Son sacerdoce : la lutte contre le djihadisme islamique.
  • John Kelly (Sécurité Intérieure) : Ancien Général. Respecté au sein de l’US Army, il supervisera les Services Secrets, les Douanes, les Gardes-Côtes et l’US Border (frontières). Millionnaire.
  • Elaine Chao (Transports) : Déjà dans l’équipe Bush pendant 8 ans, membre du conseil d’administration de plusieurs géants de l’industrie. Épouse de Mitch McConnell, leader des Républicains au Sénat. Millionnaire.

Un suprémaciste à la Maison-Blanche

Venons-en à Steve Bannon, qui dirigeait avant de rejoindre Donald Trump le site Breibart News, considéré comme l’étendard de l’extrême-droite alternative américaine, “l’Alt-Right”. Ce site de “réinformation”, ouvertement raciste, misogyne et antisémite, projette de s’implanter en France et en Allemagne en 2017, année électorale. Can’t wait. Les leaders néo-nazis, suprémacistes blancs et du KKK se sont officiellement réjouis de sa nomination. La cohabitation avec Reince Priebus s’annonce électrique.

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Capture Twitter

Ancien Marine de l’US Army, issu d’une famille catholique irlandaise de Virginie peu politisée, Bannon se radicalise intellectuellement pendant les deux mandats de W. Bush. En sortant de l’armée, il décroche un MBA à la Harvard Business School, puis travaille chez Goldman Sachs, dans le domaine des fusions-acquisitions. Il fonde une société d’investissement dans les médias et commence à bâtir sa fortune grâce au succès de la série culte Seinfeld.

Il se met à réaliser ses propres films, dont l’agencement permet de suivre sa dérive personnelle avec des sujets sur le 11 septembre, sa haine de Jimmy Carter, puis un documentaire sur Sarah Palin et enfin une critique du mouvement Occupy Wall Street. En 2012, il reprend Breitbart News à la mort du fondateur, Andrew Breitbart. Sans grande surprise, la figure politique française qu’il sollicite – avec succès – pour une rencontre est… Marion Maréchal-Le Pen.

Pour bien comprendre l’état d’esprit de Stephen K. Bannon, regardez la bande-annonce de son film Torchbearer (3mn). C’est très éclairant sur le personnage et son idéologie.

 Triptyque stratégique

On peut diviser l’équipe choisie par le 45e Président des USA en trois catégories : les militaires, les pétroliers, les financiers.

1/ Les Militaires

Les anciens de l’armée sont sur-représentés par rapport à d’habitude, avec six membres. Ce sont de hauts gradés dissidents durant les mandats Bush et Obama. Tous sont sur la ligne du Général Mattis, nouveau secrétaire d’Etat à la défense : anti-islam, pro-russe, pro-surveillance massive, et implicitement pro-dissuasion nucléaire. Joie dans les cœurs. Cependant, ils ne sont pas interventionnistes et l’on devrait voir les USA se retirer d’un certain nombre de théâtres d’opérations. La diplomatie de la dissuasion et de l’intimidation devrait prendre le relais.

2/ Les Pétroliers

La question énergétique revêt un intérêt considérable pour Trump, qui souhaite l’auto-suffisance des Etats-Unis. Ceci implique de pouvoir passer la production de barils de pétrole de 8,5 millions/jour actuellement à 12, et tout sera fait pour y parvenir : baisse des coûts, taxe sur les programmes anti-pollution, mise à mal (à mort ?) des accords climatiques, imposition du pipe-line Keystone entre l’Alberta et le sud du pays. Les subventions pour le pétrole issu des sables bitumineux et le gaz de schiste pourraient augmenter de façon démesurée, au détriment du renouvelable…

3/ Les Financiers

Là encore, proportion étonnante des anciens de Goldman Sachs, Rotschild et Ameritrade entrant  à la Maison Blanche. S’ils sont pour la plupart d’anciens hauts dirigeants, ils peuvent tout de même être qualifiés de dissidents. De longue date, le milieu bancaire qui influe sur la politique US, c’est JP Morgan, Bank of America ou Merill Lynch, bien plus que Goldman Sachs. Ce sont les grandes banques de dépôts avec énormément de petits comptes. Goldman Sachs n’est pas une banque qui a pignon sur rue, avec des guichets, mais une banque de financement et d’investissement, ce qui change tout. D’habitude représentés, les mondes de l’assurance et de l’épargne sont cette fois absents.

Libéral dedans – Protectionniste dehors

Deux missions pour le bloc financier du gouvernement. D’un côté, libéraliser massivement sur le plan intérieur, avec notamment un marché du travail totalement dérégulé, l’abandon de l’Obamacare et l’annulation du Dodd Franck Act, qui prévoyait la régulation du système financier. De l’autre, se montrer protectionniste face à l’extérieur, dans le but de récupérer des capitaux étrangers sans investir. C’est tout simplement la fin du capitalisme financier tel que mis en place sous Ronald Reagan qui est à l’oeuvre.

La dette publique américaine est de 20 000 milliards de dollars, soit l’équivalent de l’épargne mondiale. A priori, rien ne sera fait pour la diminuer et Trump devrait jouer sur l’inflation pour maintenir le marché intérieur en vie. Le rapatriement des 8 000 milliards de dette externe sera par conséquent un axe majeur de la nouvelle politique américaine et se fera sûrement par la contrainte. Notamment avec les pays qui ont un excédent commercial vis-à-vis des USA mais qui dépendent d’eux sur le plan militaire. Si la question de la Chine est à part et fera l’objet d’un autre article, on peut imal_ethique_protestante_et_l_esprit_du_capitalismeginer que l’Allemagne, le Japon, la Corée du Sud et l’ensemble des pays alliés du Golfe Persique n’auront d’autre choix que de céder, comme le Qatar l’a déjà fait à hauteur de 10 milliards. Les firmes transnationales américaines possèdent de leur côté un tiers desdits capitaux et devraient également subir les pressions du nouveau gouvernement.

Tous ces aspects, auxquels il faut ajouter un conservatisme pieux, s’articulent parfaitement. C’est tout simplement le retour à l’éthique protestante et au capitalisme originel, dont Max Weber avait fait l’étude. Pour réaliser cette transformation presque totale du logiciel américain, Donald Trump s’appuiera sur un groupe à son image : dissident du système actuel, extrêmement riche et foncièrement religieux.

Un démarrage tonitruant

Au moment d’écriture de ces lignes, cela fait moins de deux semaines que Donald Trump a pris ses fonctions de 45e Président des USA. S’il est déjà parti en vacances dans sa résidence de Mar-a-Lago (Floride), la liste est longue de ses serments de campagne déjà activés. Chacun sera juge de leur pertinence :trump menaces juge

  • Décret interdisant l’accès aux USA pour les réfugiés pendant 120 jours (période indéfinie pour les Syriens), ainsi qu’à tous les ressortissants des sept pays suivants pour 90 jours : Irak, Iran, Lybie, Soudan, Somalie, Yémen, Syrie. Ce #MuslimBan a créé une onde de choc majeure dans le pays. Sally Yates, l’ancienne n°2 du ministère de la justice d’Obama, faisant office de ministre par intérim, a ordonné lundi 30 janvier aux procureurs de ne pas défendre le décret anti-immigration. Elle a été limogée immédiatement et remplacée par un pion plus docile. Une plainte de l’Attorney Général de Washington a été acceptée par un juge fédéral et le projet est donc gelé pour l’instant, à la grande fureur de Trump, qui a même menacé directement le dénommé James Robbart sur Twitter
  • Décret pour alléger le poids de l’Obamacare
  • Deux décrets pour remettre en cause le Dodd-Franck Act
  • Décret pour lancer la construction du mur avec le Mexique (Sur ce point, il faut tout de même rappeler que 1 300 km de barrière/clôture/mur existent déjà, depuis la signature du Secure Fence Act en 2006). Le Président mexicain Enrique Peña Nieto a affirmé de son côté que le Mexique ne paierait pas
  • Retrait de toute mention du changement climatique sur le site de la Maison Blanche
  • Relance du projet d’oléoduc géant Keystone XL, entre le Canada et le Sud du pays
  • Gel de toutes les embauches de fonctionnaires, sauf dans l’armée
  • Annulation de la signature du Traité Trans-Pacifique
  • Début de la renégociation de l’ALENA (accord de libre-échange Mexique-USA-Canada)
  • Promesse d’assouplir les règles sur la torture devant les membres de la CIA
  • Projet de réouverture des prisons secrètes de la CIA à l’étranger
  • Retrait de la version espagnole du site internet de la Maison Blanche
  • Interdiction du financement des ONG pro-IVG
  • Promesse de réduire de 75%, “peut-être plus”, la réglementation fédérale. Un premier décret a été signé obligeant n’importe quelle administration à supprimer deux réglementations à chaque fois qu’une nouvelle est créée
  • Promesse de baisse massive des impôts des entreprises
  • Interdiction de toute communication directe avec les médias pour tous les organismes scientifiques…

Devraient suivre rapidement des mesures concernant deux des thèmes récurrents de la campagne du magnat de l’immobilier : la sortie de l’accord de Paris sur le climat et la renégociation des accords signés par Barack Obama avec l’Iran.

Deux ans pour convaincre le Congrès

L’administration Trump, bien qu’elle soit dérangeante au possible, n’en est donc pas pour autant incohérente. C’est même une équipe assez homogène sur les plans économique, politique et idéologique, même si certaines tensions ne devraient pas manquer d’apparaître entre les plus politiques comme Reince Priebus et les plus “alternatifs” comme Steve Bannon. On n’est quand même pas loin d’une kakistocratie.

Le premier enjeu majeur sur le plan national sera comme à chaque fois l’élection de mi-mandat. Donald Trump a opéré ni plus ni moins qu’un putsch sur le Parti Républicain. Même si ce dernier est majoritaire dans les deux Chambres, il peut lui rendre la tâche difficile, voire impossible. Soit Donald Trump parvient à rallier une partie suffisante des membres du Grand Old Party et il devient réellement le maître du monde dans deux ans, soit il échoue et reproduira l’expérience de Jimmy Carter, mis en minorité et “tué” à mi-mandat. Make America Great Again, qu’il disait…

Matthieu Le Crom

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