Le christianisme de gauche

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Le Pape François lors de son voyage en Corée. ©Jeon Han

Une certaine facilité intellectuelle nous pousse souvent à associer politiquement en France le christianisme et plus particulièrement le catholicisme au conservatisme et à la bourgeoisie de droite, la Manif Pour Tous semblant confirmer cette intuition. Pourtant les idées souvent progressistes du Pape François ont rappelé que l’Eglise a aussi pu être du côté du progrès social et en conflit avec les puissances d’argent.

Le Christianisme social

Jacques Ellul
Jacques Ellul ©Jan van Boeckel

Avant les ouvrages théologiques de Jacques Ellul  qui s’interroge sur des thèmes comme L’Idéologie marxiste chrétienne (1979) et Anarchie et Christianisme (1987), on trouve des moments sociaux au sein même de l’Eglise.

Le christianisme social est tiré d’une lecture sociale du Nouveau Testament que permet par exemple ce verset de Marc (10,25) : « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu », la parabole de la pauvre veuve, une certaine interprétation de la charité, et bien d’autres.

Dans son encyclique (les ouvrages rédigés par les papes présentant la position officielle de l’Eglise sur un thème) Rerum Novarum (« les choses nouvelles ») publiée en 1891, le pape Léon XIII, s’il condamne fermement le socialisme athée, explique que « la concentration de l’industrie et du commerce, devenus le partage d’un petit nombre de riches et d’opulents, impose ainsi un joug presque servile à l’infini multitude des prolétaires ».

A sa suite le pape Pie XI déclarera dans son encyclique Quadragesimo anno en 1931, en pleine Grande Dépression, qu’ « à la liberté du marché a succédé une dictature économique. L’appétit du gain a fait place à une ambition effrénée de dominer. Toute la vie économique est devenue horriblement dure, implacable, cruelle ».

Mais c’est vraiment le concile de Vatican II qui confirme le tournant progressiste de l’Eglise sur la question sociale.

Vatican II

En 1962, le pape Jean XXIII, convoque un concile œcuménique, c’est-à-dire une assemblée réunissant tous les évêques et autorités de l’Eglise, qui est resté sous le nom de Vatican II et qui marque la réelle prise de conscience par l’Eglise des questions d’inégalités sociales en lien avec le capitalisme. En 1963 dans « Paix sur la terre » Il propose de promouvoir le respect indépendamment de la nationalité, de l’idéologie ou de la religion, ainsi que de prendre la défense des classes laborieuses.

Mais c’est le pape suivant, Paul VI, qui fera la critique la plus radicale du capitalisme, demandant à l’Eglise d’être du côté des pauvres et des prolétaires. Il est le pape le plus discret sur la critique du marxisme allant jusqu’à déclarer dans Populorum Progressio (« le progrès des peuples »)  que « le bien commun exige parfois l’expropriation ».
Son influence sur les prêtres ouvriers et la théologie de la libération sera très forte.

La Théologie de la Libération

La Théologie de la Libération peut être résumée en une forme de réconciliation entre marxisme et christianisme par la priorité donnée aux pauvres et à la prise de conscience qu’elle n’est pas une fatalité mais le produit de rapports de domination. Elle donne naissance à des mouvements révolutionnaires de guérillas marxistes et chrétiennes à travers toute l’Amérique latine, dans lesquels on put même apercevoir des prêtres en armes. Elle est d’ailleurs, d’Evo Morales à Hugo Chavez en passant par Rafael Correa, une des principales sources d’inspirations pour le progressisme latino-américain.

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Helder Camara en 1981 ©Antonisse, Marcel / Anefo

Une de ses figures est l’évêque brésilien Helder Camara (dont le procès en béatification est par ailleurs en cours) qui déclarait « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.
La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.
La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.
Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue
 »

Les Prêtres Ouvriers

C’est Paul VI qui en 1965 ré-autorise les prêtres ouvriers qui existaient depuis les années 40. Ces prêtres souhaitaient partager la tâche et la vie des travailleurs. Ils prirent régulièrement part à leurs luttes.

En 1983, Georges Séguy, secrétaire général historique de la CGT de 1962 à 1982 décédé en août dernier, déclarait : « ces prêtres-ouvriers qui viennent à la CGT, ce sont des militants comme nous, ils ont le même état d’esprit que nous, ils veulent lutter comme nous, ils veulent prendre des responsabilités comme nous dans la bataille » (1)


Pape François : l’écologie et l’anticapitalisme chrétien

L’élection de Pape François, premier pape latino-américain, redonne une image progressiste à l’Eglise.
Bien que certaines contradictions semblent indépassables avec certains militants de gauche (propos sur la violence religieuse après les attentats de Charlie Hebdo, positions sur l’avortement et la «théorie du genre »…) Pape François a dans son encyclique « Laudato Si’ » pris parfaitement conscience de l’urgence écologique, de son lien avec le système capitaliste, et de la nécessité d’agir vite contre le désastre.

 « Dans la vie, j’ai connu tant de marxistes qui étaient de bonnes personnes » (Pape François)

Dans son exhortation apostolique « La Joie de l’amour » sur l’amour dans la famille, ce n’est pas l’homosexualité qu’il désigne comme principal danger pour la famille mais bien la paupérisation engendrée par la mondialisation et l’absence de fraternité à l’égard des réfugiés fuyant les guerres.

L’utilisation politique du christianisme

Ces rappels historiques permettent de mettre en avant le fait que l’utilisation politique du christianisme n’est pas par essence de droite : si les millions de manifestants de la Manif pour Tous qui se sont mobilisés contre le droit des couples homosexuels à adopter au nom « de l’intérêt de l’enfant » (l’adoption concerne environ 10 000 enfants), s’étaient mobilisés pour les 30 000 enfants SDF, le problème serait déjà réglé. On comprend alors qu’ils ne sont pas conservateurs parce que chrétiens mais se servent du christianisme pour justifier leur conservatisme, et que lorsque l’Eglise va à l’encontre de leurs convictions profondes, comme c’est le cas avec le Pape François, ils n’hésitent pas à la dénigrer. C’est ce qui fait que Marion Maréchal Le Pen se permet de critiquer le pape alors qu’elle veut rapprocher le FN de l’Eglise, quand Jean-Luc Mélenchon, pourtant laïc intransigeant, écrit « Vive Le Pape ».

« (…) Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Un rebelle est un rebelle (…) »
La rose et le réséda (1943) Louis Aragon

 

(1) Viet-Depaule Nathalie « les prêtres ouvriers, des militants de la CGT (1948-1962)» in Bressol (Elyane), Dreyfus (Michel), Hedde (Joel), Pigenet (Michel) La CGT dans les années 1950 (2015).

Crédits photos :

Jacques Ellul – ©Jan Van Boeckel, ReRun Productions

©Jeon Han