Autorisation du Roundup : à quoi jouent les autorités sanitaires ?

Le glyphosate est le principe actif du Roundup, le désherbant le plus vendu au monde, commercialisé par la marque Monsanto depuis 1974.

Alors que le plagiat des documents de Monsanto par l’Institut fédéral d’évaluation des risques allemand (BfR) défraie la chronique, en France aussi, l’expertise et l’impartialité des agences sanitaires sont mises en doute. Mardi 15 janvier, le tribunal administratif de Lyon a annulé l’autorisation de mise sur le marché du Round Up Pro 360 délivrée par l’ANSES. Retour sur une affaire particulière qui, au-delà de l’acte fort que représente l’annulation de l’autorisation de mise sur le marché d’un pesticide, questionne le système d’évaluation de la toxicité par les agences compétentes.


Pour résumer brièvement, l’affaire débute le 6 mars 2017 avec l’autorisation de mise sur le marché du Round up Pro 360 par l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) présente alors une requête au tribunal administratif de Melun contre cette décision. En mai 2017, la présidente du tribunal de Melun transmet le dossier au tribunal administratif de Lyon, qui, le 15 janvier 2019, annule la décision de l’ANSES pour méconnaissance du principe de précaution. Explications.

Le CRIIGEN, à l’origine du recours, est un groupe d’experts fondé en 1999 par Corinne Lepage[1]. Un de leurs buts historique autodéclaré était notamment de “semer le doute sur l’innocuité des OGM et de fournir des arguments avec le label «scientifique et indépendant» aux militants anti-OGM”. Il s’est notamment fait connaitre pour ses publications contre l’Autorité européenne de sécurité des aliments dans le dossier du maïs génétiquement modifié MON 863.

Le CRIIGEN considère les autorisations de mise sur le marché comme uniquement effectuées sur la base d’informations délivrées par les firmes. Son combat principal porte sur la transparence et la publicisation des études scientifiques sur la toxicité des produits. Aujourd’hui, on oppose à la publication de ces études les considérations légales de droits d’auteurs et de secret des affaires.

Dans le cas du Round Up Pro, le comité a adressé deux demandes au tribunal administratif de Melun. D’abord l’annulation de l’autorisation de mise sur le marché du Round Up Pro précedemment évoquée, mais également la saisie de la Cour de justice de l’Union européenne sur les modalités de conditions d’approbation de la substance active glyphosate.

La sécurité alimentaire, un droit

En effet, notre sécurité alimentaire est régie par le droit européen ; les conditions de mise sur le marché et d’utilisation des produits phyto pharmaceutiques sont définies par le règlement européen n°1107/2009. Une fois ces conditions remplies, les décisions finales d’autorisation, de modification ou de renouvellement reviennent à l’agence sanitaire nationale, en l’occurence l’ANSES, qui doit s’appuyer pour ce faire sur une évaluation du produit qu’elle a elle-même conduite[2] dans un de ses onze laboratoires.

Le principe de précaution est très important puisqu’il permet l’action, l’interdiction d’un produit par exemple, sur la base d’un risque non prouvé.

Le droit national n’est tout de même pas inexistant, et le droit de l’environnement a pris, en France, une importance croissante depuis 15 ans. La Charte de l’environnement, charte à valeur constitutionnelle, protège depuis 2004 le droit pour chacun « de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Cette charte a notamment consacré le « principe de précaution ».

Ce principe est très important puisqu’il permet l’action, l’interdiction d’un produit par exemple, sur la base d’un risque non prouvé. Selon l’article 5 « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent […] à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation de ce dommage. ». En d’autres termes, le doute suffit à justifier des mesures publiques de protection.

C’est sur la base de ce principe que le CRIIGEN a attaqué l’ANSES. En effet, pour le Comité, il existait des doutes certains sur la dangerosité du produit. Ces doutes auraient dû suffire à l’ANSES pour ne pas délivrer l’autorisation de mise sur le marché.

Parmi les exemples cités par le requêrant, on trouve une étude du Centre International de recherche sur le cancer (CIRC). Ce dernier avait mené une étude en amont de la mise sur le marché du Round Up Pro, et avait estimé que le glyphosate était « probablement cancérogène »[3]. Le CIRC est un organe reconnu, branche de l’OMS, à l’expertise scientifique avérée.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ne classe, elle, le glyphosate que comme une substance « suspectée d’être cancérogène ». l’EFSA s’est d’ailleurs exprimée sur cette différence après la publication de l’étude du CIRC. Pour l’agence européenne, la différence de résultat vient du fait que le CIRC s’intéresse aux préparations à base de glyphosate et non juste au glyphosate lui-même, comme le fait l’EFSA.

Or le glyphosate n’est jamais utilisé pur. Il est un principe actif que l’on trouve dans de nombreux désherbants de différentes marques, toujours mélangé à d’autres produits. De plus, les agriculteurs sont susceptibles d’utiliser plusieurs produits phytosanitaires.

« Effet cocktail »

L’un des principaux problèmes de l’évaluation officielle se trouve sur ce point précis, autrement appelé « effet cocktail ». En effet, la dangerosité du glyphosate n’est pas prouvée. Par contre sa dangerosité lorsqu’il est mélangé, ou au contact de d’autres produits, fait déjà beaucoup plus l’unanimité.

Autrement dit, si le glyphosate comme substance active n’est pas officiellement cancérogène, les mélanges en contenant peuvent l’être.

A fortiori, l’utilisation de d’autres adjuvants, et les différentes combinaisons possibles, sont une lacune avérée de la recherche en matière de toxicité. Ce paramètre est pris en compte dans le droit européen depuis 2009, mais les tests ne semblent pas être systématiques. C’est notamment le cas du Round Up Pro 360 justement.

Une autorisation douteuse

Dans le cas du Round up Pro, l’ANSES n’a pas testé la dangerosité du produit. Elle a autorisé sa mise sur le marché au motif que la composition était identique à celle du Typhon, autre produit phytosanitaire à base de glyphosate et autorisé à la vente en 2008.

Selon le CRIIGEN,  l’évaluation des risques et dangers du produit Typhon est caduque. L’autorisation du Typhon se basait sur les doses journalières admissibles de glyphosate et non sur une analyse de la préparation du Typhon. Autrement dit, la proportion de glyphosate qu’il contenant était jugé suffisament faible pour ne pas présenter une risque avéré dans des conditions normales d’utilisation.

Or, comme nous l’avons vu, ce mode d’évaluation ne permet pas de prendre en compte “l’effet cocktail”. Le règlement européen n°1107/2009 a permis de faire évoluer la législation en matière de test. Désormais, pour permettre une mise sur le marché, un contrôle doit être effectué sur l’interaction entre la substance active, les phytoprotecteurs, les synergistes et coformulants. Il semblerait que ce test n’ait pas eu lieu au moment de la reconduction de l’autorisation du Typhon. Or, cette reconduction a servi de base à la décision d’autoriser le Round Up Pro.

Donc, au regard de ses nouveaux éléments sur « l’effet cocktail », le doute est plus que permis sur la dangerosité et le caractère cancérogène des deux produits, Typhon et Round Up.

La compétence du juge administratif

Cette démonstration est directement tirée de l’arrêt du tribunal administratif de Lyon.

La juridiciton mobilise également d’autres études menées en parallèle à celle du CIRC pour justifier sa décision. Elle fait notamment état d’une étude de l’INSERM Pesticides/effets sur la santé publiée en 2013 sur le lien entre glyphosate et morts fœtales, pour conclure à la dangerosité suspectée du produit.

Mais le tribunal ne considère pas uniquement le risque pour la santé humaine, il ouvre également une porte pour juger de l’impact sur l’écosystème au regard des études menées. Et là aussi, le « laxisme » supposé par le CRIIGEN dans l’évaluation de l’ANSES est validé par le tribunal.

Le tribunal administratif de Lyon conclut de tous ces éléments que « l’utilisation du Round Up Pro 360 porte une atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé.»

En effet, un règlement européen de 2008 classe le glyphosate dans la catégorie « toxique pour les organismes aquatiques ». Mais le Round up Pro est également composé d’ammonium quaternaire à 9.5%. Cet autre composé a, au regard du même règlement « une toxicité chronique aquatique ».

Un avis de l’ANSES avait d’ailleurs été rendu au sujet du Typhon, qui, rappelons-le, a la même composition que le Round up 360, disant que le Typhon était 12 fois plus toxiques pour les organismes aquatiques que le seul glyphosate ». Le risque était donc connu.

Le tribunal administratif de Lyon conclut de tous ces éléments que « l’utilisation du Round Up Pro 360 porte une atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé. Par suite, l’ANSES a commis une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution défini par l’article 5 de la charte de l’environnement en autorisant le Round Up Pro 360. ».

Affaire à suivre

L’ANSES a réagi dans un très bref communiqué le 17 janvier. Elle conteste toute erreur d’appréciation dans l’application de la réglementation nationale et européenne.

Cette affaire doit être comprise comme l’extension de la compétence du juge administratif sur l’expertise scientifique d’une autorité indépendante comme l’Anses. A travers ce jugement, c’est bien l’impartialité et la compétence de l’autorité sanitaire qui sont mises en doute.

Le principe de précaution est également inscrit dans le droit européen. [4] Un raisonnement similaire n’est pas à exclure à cette échelle, ce qui ouvre de nombreuses portes aux associations et à la société civile.

Le droit semble être le nouveau terrain de protection de l’environnement. Cette décision intervient notamment après le lancement de la très médiatique « Affaire du siècle », et dans un contexte de recours croissant des associations contre les tribunaux. Reste à mesurer la concrétisation de ces décisions.

[1] Ministre de l’environnement sous Jacques Chirac et députée européenne jusqu’en 2014

[2] Principes uniformes d’évaluation et d’autorisation mentionnés au paragraphe 6 de l’article 29 du règlement CE n°1107/2009

[3] Classification 1B, Classification 2 correspondant aux substances « suspectées d’être cancérogènes »

[4] Paragraphe 2 article 191 du traité sur le fonctionnement de l’union européenne. Article 35 de la charte sur les droits fondamentaux de l’Union européenne.

Alimentation : vous reprendrez bien un peu de poison ?

« Mangez 5 fruits et légumes par jour ! » Et le poison qui va avec ! L’ Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a publié début 2017 son nouveau rapport. Décryptage et analyse de ces recommandations alimentaires.

Des recommandations nouvelles

            Le Programme National Nutrition Santé c’est le programme public à l’origine de ces fameuses publicités qui nous répètent qu’il faut manger 5 fruits et légumes par jour. Dans son nouveau rapport, l’ ANSES recommande ainsi de donner une plus grande place aux légumineuses, aux céréales complètes, aux légumes et aux fruits. Soulignons le côté positif de la démarche. L’ Agence insiste également sur la nécessité de limiter la consommation de viandes, hors volailles, et plus encore des charcuteries et des boissons sucrées.

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            Le débat sur le végétarisme n’est pas le sujet de cet article. Pour autant, il convient de rappeler certains points qui ont fait l’actualité. Maltraitance animale dans les abattoirs, fermes-usines, incidents sanitaires… les scandales se multiplient. Pire encore, en 2015, l’Organisation Mondiale de la Santé, décrète que la viande transformée (et notamment charcuterie, jambons, saucisses) est « cancérogène » tandis que la viande rouge l’est « probablement ». Cela signifierait que ces dernières sont plus dangereuses que le glyphosate, ce mortel composant du Round-Up que l’acharnement de Monsanto a su préserver de l’interdiction définitive, notamment en Europe. On continue donc à en arroser nos champs. Mais plutôt que de remettre en cause les conditions d’élevage et de production alimentaire, c’est à la quantité que ne devrait pas dépasser le consommateur que l’on s’attaque. Enfin, il est recommandé de limiter sa consommation de boissons sucrées industrielles à seulement un verre par jour. Un verre? Nous ne nous porterions pas plus mal sans boire un seul verre tous ces sodas. Mais des intérêts financiers doivent subsister pour qu’une telle agence, au vu de ses prérogatives, s’oppose si timidement à leur nocivité établie par la recherche scientifique. Le rapport apparaît alors comme un jeu d’ équilibriste entre de vraies préoccupations de santé publique et la préservation de l’activité des multinationales.

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Du poison dans notre assiette

           Le pire reste à venir. Ce rapport officiel établit en toute honnêteté et sans gêne aucune que nous ingérons du poison. Ainsi, le rapport met cyniquement en évidence la difficulté à « identifier des combinaisons d’aliments permettant de couvrir les besoins nutritionnels de la population tout en limitant l’exposition aux contaminants ». Pour certains “contaminants”, le rapport stipule que les niveaux d’exposition restent préoccupants : arsenic inorganique et plomb, entre autres.

          Face à ces dangers, on ne peut que recommander la lecture du livre de Julien Laurent, Du poison dans nos assiettes, paru en 2012. On y apprend que la chimie et l’industrie ont envahi notre cuisine, avec pour objectif  de faire toujours plus de profit. Et non de nous nourrir… Ainsi, il y a 26 fois moins de vitamine A dans les pêches d’aujourd’hui que dans celles des années 50. On y apprend également que certains colorants à base d’ammoniac se retrouvent dans les sodas, que le saumon de Norvège est traité avec un pesticide mortel,  sans oublier des études scientifiques étouffées par les lobbies agro-industriels pour continuer à nous faire bouffer… n’importe quoi. Pas sûr que les petites publicités officielles qui nous encouragent à « mangerbouger.fr » fassent le poids. Elles ne représentent en effet que 0,5% du budget publicitaire des entreprises agroalimentaires.

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             L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que, chaque année, un à trois millions de personnes sont victimes d’une intoxication aiguë par les pesticides, et que plus de 200 000 en meurent. Le système en vigueur repose sur ce qu’on appelle la DJA, c’est-à-dire la quantité d’additifs alimentaires qui peut être ingérée quotidiennement et pendant toute une vie sans aucun risque. Hors Marie-Monique Robin, dans son documentaire Notre poison quotidien, a révélé que la plupart des DJA ont été calculées, dans les années 50, sur la base d’études fournies par l’industrie chimique elle-même ! A qui faire confiance ? Des milliers de nouveaux produits chimiques sont apparus depuis un demi-siècle sans qu’on n’ait jamais évalué par ailleurs les conséquences de ces produits lorsqu’ils sont mélangés. C’est ce que l’on nomme “l’effet cocktail”. Où en est la France ? Selon la quantité de substances actives vendues, la France est au 2ème rang européen avec 66.659 tonnes, après l’Espagne (69.587 tonnes) et devant l’Italie (49.011 tonnes) en 2014. En termes d’utilisation, la France est au 9ème rang européen selon le nombre de kilogrammes de substances actives vendues rapporté à l’hectare, avec 2,3 kilogrammes par hectare. Quand on sait qu’1 gramme de pesticide suffit à polluer un ruisseau d’1 mètre de large et 1 mètre de profondeur sur 10 km… (Chiffres Planetoscope)

Dessin de Nawak

Et si on élaborait une démarche globale et soutenable ?

            Pourtant, le n’importe quoi a un prix. Et c’est d’ailleurs l’ouverture dudit rapport. L’ ANSES évoque la nécessité de s’intéresser dans ses prochaines études à d’autres enjeux de long-terme. Il s’agirait d’inscrire les questions nutritionnelles dans une démarche globale et soutenable.  « L’ Agence pourra prendre en compte les enjeux de nature environnementale (empreinte carbone, etc.) ou socio-économique (coût des produits, etc.) qui pourront fonder, à terme, l’élaboration de repères de consommation. »  Ces critères doivent fonder en réalité le socle de nos repères de consommation. La qualité de la nourriture que nous produisons et consommons résulte de la structure même du système agricole et économique. Pour mieux manger, relocalisons une agriculture de saison, raisonnée et saine !

            Le système mondialisé s’avère prédateur et illogique. A privilégier des calculs fondés sur la balance commerciale (import / export), on empoisonne sa population.  Et on pourrit la planète. Les productions européennes (blé, mais, lait, viande) inondent le marché africain. Il n’est plus possible de vivre dignement de sa terre en Afrique, les produits européens subventionnés étant moins chers que ceux produits sur place ! Pire encore, pour faire un kilo de bœuf, il faut 16 kg de céréales et 13 500 litres d’eau. La moitié des céréales françaises sont utilisées par l’industrie à destination de l’alimentation animale. A travers le monde, 30% terres agricoles sont consacrées à la production d’aliments pour le bétail. Et que dire du recours aux aliments concentrés importés d’autres régions du monde pour nourrir à bas coût économique, mais à fort coût environnemental (déforestation, émissions de GES dus au transport) et sanitaire (épidémies, maladies) nos bêtes. (Chiffres FAO)

            Dernier problème en date : l’explosion du prix des légumes. En raison des intempéries en Espagne, 25 % de la production est perdue. Le prix des courgettes et des aubergines a augmenté de 100% à 200%. La production espagnole industrielle, hors saison et à grands renforts de pesticides et de main d’œuvre clandestine connaît des difficultés. Et tout le monde s’en émeut. Mais qui pour s’émouvoir de la hausse du budget alimentaire des ménages, du mal-être des agriculteurs français, des conséquences environnementales et de la merde dans nos assiettes ?

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