Méthanisation : la nouvelle dérive de l’agriculture industrielle

Méthaniseur industriel en Allemagne. © Julia Koblitz

Une multiplication par 112 en à peine dix ans. Alors que la France ne comptait que 6 méthaniseurs injectant du gaz dans le réseau national en 2014, GRDF en dénombre aujourd’hui pas moins de 674. Une croissance exponentielle qui touche toutes les campagnes et est promue par les pouvoirs publics comme un complément de revenu pour les agriculteurs et un moyen de développer une énergie certes polluante, mais renouvelable. Si la filière du biogaz peut en effet être un atout écologique et économique, son développement prolifique pose question : ne sommes-nous pas en train de reproduire l’erreur des biocarburants et de favoriser la production d’énergie au détriment de la production alimentaire ?

La méthanisation est un processus biologique consistant à dégrader des matières organiques par fermentation pour les transformer en biogaz énergétique ou en digestat. Ce processus est apparu dans les années 1940 mais ne s’appliquait alors qu’aux déchets agricoles (principalement les parties non consommables des végétaux) et effluents d’élevage (fumier et lisier des animaux). En laissant fermenter ces matières premières dans certaines conditions de température et de pression, dans un milieu sans oxygène, on obtient alors plusieurs gaz, notamment du dioxyde de carbone et du méthane. Ce dernier, dès lors qualifié de « biogaz » peut servir à produire de l’électricité et de la chaleur ou, après épuration (biométhane), être utilisé comme carburant dans les réseaux de gaz naturel, les bouteilles à usage domestique et tous les véhicules adaptés. Le digestat, c’est-à-dire le résidu de ce « compost » peut quant à lui être épandu dans les champs comme fertilisant.

Peu à peu, les exploitations agricoles ont adopté ce processus pour valoriser leurs déchets agricoles. L’Allemagne a une longueur d’avance sur ce terrain : nombre de ses agriculteurs se sont transformés en véritables producteurs de méthane, grâce à un généreux système de subvention de l’électricité produite mis en place par une loi sur les énergies renouvelables en 2000. En France, le développement de cette technologie est bien plus récent et prend une échelle industrielle seulement depuis quelques années. Perçue initialement comme une idée intéressante pour répondre aux enjeux de transition écologique, la méthanisation fait aujourd’hui débat dans l’opinion publique et politique en se situant à la croisée de questionnements techniques et sociétaux : écologie, économie, industrie et agriculture.

La méthanisation, une solution écologique ?

Si la méthanisation connaît un intérêt croissant, c’est notamment car elle est régulièrement présentée comme une solution écologique durable et un moyen de garantir la souveraineté énergétique française, permettant ainsi une plus grande liberté en matière géopolitique. La production de biogaz (fermentation de matières organiques végétales ou animales) a connu en France une très forte croissance entre 2007 et 2019. Pour ce qui est du biométhane, c’est-à-dire du biogaz purifié injecté dans le réseau de distribution de gaz de GRDF, le dynamisme est plus récent et plus rapide. Fin 2020, 1075 installations de production de biogaz sont en fonction, d’après un rapport d’information du Sénat, principalement dans la moitié nord du pays (Bretagne, Grand Est, Hauts de France). Ces installations sont de nature agricole, à hauteur de 86 % pour l’injection et de 79 % pour celles produisant de l’électricité.

Renouvelable, non intermittente et stockable, la production de biogaz présente des atouts importants pour la transition énergétique et la décarbonation.

Renouvelable, non intermittente et stockable, la production de biogaz présente des atouts importants pour la transition énergétique et la décarbonation. Le bilan carbone du biométhane injecté est en effet 5 à 10 fois moindre que celui du gaz naturel selon GRDF. La France a donc fixé un objectif ambitieux pour 2030 : que ce biogaz représente 10 % de la consommation de gaz d’ici seulement six ans. Au début de la décennie 2020, nous en étions encore loin : seuls 0,5% de la consommation de gaz naturel était issu d’une production renouvelable.

La production nationale de gaz naturel a diminué entre les années 1980 et 2010 puisque le gisement de gaz naturel de Lacq (Pyrénées Atlantiques) a cessé d’être exploité et celui de gaz de mines des Hauts-de-France étant marginal. La France est donc tributaire de ses importations depuis la Norvège (36 %), la Russie (20 %, en forte baisse depuis 2022), les Pays-Bas (8 %), le Nigéria (8 %), l’Algérie (7 %) et le Qatar (4 %). Dans ce contexte, le biogaz est apparu comme une source d’énergie particulièrement intéressante pour, d’une part, décarboner la consommation de gaz et, d’autre part, relocaliser sa production en France.

Toutefois, ce « gaz bio » pose de nombreuses questions. Si son bilan carbone global est effectivement bien plus faible que le gaz naturel directement extrait de forages, le processus de méthanisation induit tout de même des émissions de gaz à effet de serre, notamment des émissions de protoxyde d’azote et de méthane au moment du stockage des intrants ainsi qu’au moment du stockage et de l’épandage du digestat. A ces émissions directes, il faut ajouter des émissions de CO2 indirectes notamment à l’occasion du transport des intrants et du digestat. Présenté comme solution verte et durable, la méthanisation est donc loin d’un bilan carbone neutre.

En réalité, étant donné que le méthaniseur est multifonctionnel, les scientifiques rencontrent certaines difficultés d’analyse découlant de la pluralité des paramètres. Le bilan carbone peut en effet varier selon le type d’unité et de modèle de méthanisation développés. Des critiques sont donc formulées à l’égard des études existantes à ce sujet, notamment par France Nature Environnement (FNE). En effet, FNE conteste l’approche méthodologique des études qui considèrent l’essentiel des intrants de la méthanisation comme des déchets. Or, le développement rapide de la méthanisation et la nécessité de rentabiliser des installations de plus en plus grosses conduit parfois à alimenter les installations avec des cultures plantées spécifiquement pour produire de l’énergie. Ce changement d’affectation des sols a à la fois des effets directs en matière de bilan carbone (émissions agricoles) et des effets indirects puisque le remplacement d’une culture alimentaire par une culture énergétique est de nature à entraîner par rebond une modification d’affectation du sol dans une autre zone géographique, où une prairie ou une forêt seraient par exemple remplacées par une culture alimentaire. 

Une solution pour les revenus des agriculteurs ?

Initialement, la méthanisation est une idée intéressante pour soutenir l’activité agricole. En effet, plusieurs travaux de recherche ont tenté de quantifier et de caractériser comme le projet « Métha’revenu » ou encore le programme CASDAR « MéthaLAE » mené entre 2015 et 2018. Selon ces études, les revenus courants calculés avant impôt perçus par les porteurs de projet de méthanisation sont très majoritairement positifs, malgré l’hétérogénéité des formes de méthanisation. En effet, dans les cas où l’unité est portée par des agriculteurs uniquement, individuellement ou collectivement, et pour lesquelles la production de kilowatt électrique est comprise entre 100KWe et 3MWe, le revenu brut tiré d’une unité en injection peut varier de l’ordre de 50 000 euros à 1,5 million d’euros par an. Ces études démontrent donc que la méthanisation permet une certaine stabilité des revenus dans le temps. Naturellement, étant donné la faiblesse des revenus des agriculteurs18 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté – et leur volatilité en raison des fluctuations du marché et des aléas climatiques, la stabilité apportée par la méthanisation constitue une grande motivation pour les agriculteurs.

Étant donné la faiblesse des revenus agricoles et leur volatilité en raison des fluctuations du marché et des aléas climatiques, la stabilité apportée par la méthanisation constitue une grande motivation pour les agriculteurs.

La méthanisation apparaît alors également comme un moyen de moderniser son activité et de créer une activité d’« énergiculteur ». Dès lors, les études mettent en exergue la méthanisation comme un facteur favorisant la transmission des exploitations agricoles, en offrant des perspectives aux jeunes générations qui ne souhaitaient pas nécessairement reprendre l’exploitation familiale. Enfin, il ressort également de ces études que ce processus permet la création et la consolidation d’emplois salariés puisqu’il faut plus de main-d’oeuvre pour le fonctionnement du méthaniseur ou pour le développement d’activités induites par la méthanisation, comme le maraîchage sous serres chauffées par du biogaz. 

Mais ce modèle a été radicalement transformé depuis 2015, laissant de nombreux agriculteurs sur le carreau. En 2010, la France ne comptait que 44 installations utilisant des ressources agricoles, avec 38 unités à la ferme et 6 centralisées. Encore méconnu, le procédé restait à l’initiative des agriculteurs. Mais à partir de 2015, la filière change de visage. Le gouvernement favorise les unités qui produisent directement du biométhane à injecter dans le réseau, ce qui nécessite des installations plus grosses et plus chères que les agriculteurs ne peuvent pas forcément s’offrir : il faut compter environ 5 millions d’euros pour une installation de ce type. À la fin 2021, plus de mille unités de méthanisation agricole fonctionnaient. Aussi, entre 2015 et 2021, la capacité installée en injection a été multipliée par 22 ! En outre, les 940 projets en cours multiplieraient encore cette capacité par quatre. Cette ambition aiguise alors les appétits chez les industriels qui s’accaparent les bénéfices de la production du gaz, reléguant les agriculteurs à la place de simples fournisseurs de déchets.

TotalEnergies a par exemple racheté début 2021 la principale entreprise du secteur, Fonroche Biogaz, et ses sept méthaniseurs, acquérant ainsi une capacité de production de 500 GWh par an, presque 8 % de la capacité nationale. Les petits méthaniseurs à la ferme sont donc beaucoup moins intéressants puisqu’avec ces unités, les industriels comme TotalEnergies produisent pour deux fois moins cher. Cela engendre des inégalités socio-économiques importantes. En effet, au-delà des coûts liés à la matière première, s’ajoutent ceux liés à la maintenance du méthaniseur, à l’embauche d’un technicien spécialisé et dédié à cette tâche. Aussi, la facture pour faire fonctionner un méthaniseur au quotidien, entre l’approvisionnement en déchets et la maintenance, s’allonge lourdement. 

Le gouvernement favorise les unités qui produisent directement du biométhane à injecter dans le réseau, ce qui nécessite des installations plus grosses et plus chères que les agriculteurs ne peuvent pas forcément s’offrir.

Pour être rentable, chaque installation en injection doit consommer au minimum 10.000 à 15.000 tonnes de matières par an, soit plus de 30 tonnes de déchets par jour. La méthanisation par cogénération, qui consiste à convertir le gaz en chaleur et en électricité sans se raccorder au réseau de gaz, représente elle un investissement moyen de 2 millions d’euros et permet de se contenter de plus petits volumes, autour de 5.000 tonnes de matières premières par an. L’injection, plus chère mais plus productrice, a pris le dessus. Elle exclut alors les agriculteurs, notamment les éleveurs, qui ne peuvent pas investir 5 millions d’euros et assumer des charges d’approvisionnement et de maintenance.

Même si l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France souhaite que la méthanisation reste aux mains des agriculteurs pour leur permettre de diversifier leurs sources de revenus, ce sont des exploitations de plus en plus grandes qui structurent le paysage et l’économie française : Total, Engie et les autres opérateurs lorgnent sur la campagne qui s’ouvre à eux. Les agriculteurs ont du mal à résister à la concurrence des énergéticiens et risque de devenir un outil au service de la production gazière. 

Un système dangereux pour l’environnement et les populations 

Face aux volumes de plus en plus considérables requis par les méthaniseurs créés par les multinationales, de nombreuses questions se posent aussi sur les quantités de digestat produites comme résidus de la méthanisation. Là encore, le tableau est contrasté. D’une part, le digestat peut réduire le besoin en engrais azotés de synthèse, eux aussi très largement importés, tout en favorisant l’augmentation des rendements agricoles en agriculture biologique. La méthanisation favorise également le développement des cultures intermédiaires dont les externalités positives sont nombreuses (protection des sols, captation de l’azote, préservation de la biodiversité…). Toutefois, les études sur les bienfaits du digestat comme engrais sont assez controversées.

Une enquête du média breton indépendant Splann ! montre ainsi que le risque d’avoir des agents pathogènes dans les champs est très élevé puisque les méthaniseurs engloutissent des déchets de natures et de provenances diverses, parfois dangereuses. Les déchets utilisés au sein des méthaniseurs peuvent en effet contenir des résidus de médicaments, de métaux lourds et de pesticides (notamment dans les restes animaux des abattoirs). Ce risque de pollution des sols s’accroît d’autant plus que la provenance des déchets dépasse largement le périmètre de l’exploitation initiale : plus les déchets alimentant les méthaniseurs viennent de loin, plus il est difficile d’en tracer l’origine et de contrôler les risques sanitaires qu’ils occasionnent.

Réduire le risque de contamination des sols implique de mettre en place un processus d’hygiénisation des matières avant de les mettre dans le méthaniseur. Ce traitement consiste à chauffer les déchets à 70°C pendant une heure, afin de réduire les agents pathogènes à des niveaux indétectables, bien que certains produits peuvent certes résister à cette opération. Surtout, l’hygiénisation n’est obligatoire que pour les méthaniseurs consommant plus de 30.000 tonnes par an de matières, animales et végétales ou si plus d’une dizaine de fermes fournissent des déchets. Pour des raisons financières, afin d’éviter ces coûts de chauffage des matières, la plupart des méthaniseurs ne pratiquent pas l’hygiénisation, selon l’enquête de Splann ! en Bretagne.

En septembre 2021, le service de suivi des risques industriels du ministère de la Transition écologique a publié une synthèse des accidents dans la filière de la méthanisation recensait 130 accidents en France entre 1996 et 2020, en forte augmentation ces dernières années. Dans 74 % des cas, il s’agit de rejets de matières dangereuses ou polluantes, le reste correspondant à des incendies ou des explosions. Mais ces chiffres ne représentent pas la totalité des accidents survenus à cause des méthaniseurs. Par exemple, sur les cinq pollutions du méthaniseur d’Arzal dans le Morbihan (déversement du contenu de ses cuves dans le cours d’eau de Kerollet), seulement deux ont été recensées par le rapport ministériel. Selon le Conseil Scientifique National sur la méthanisation (CSNM), le nombre d’incidents en France s’élève à 350, soit trois fois plus que le chiffre donné par les services de l’État.

Les conséquences de ces accidents peuvent être sérieuses. Par exemple, en 2020 le méthaniseur industriel de Châteaulin avait déversé 400 m3 de digestat dans l’Aulne, affectant l’eau distribuée au robinet, privant les populations d’eau potable durant une semaine. Un incident similaire s’est aussi produit dans le Sud-Ouest de la France, dans les Landes, six mois plus tard. Cette fois, 850 m3 se sont déversés dans les cours d’eau. En juin 2019, un méthaniseur qui n’est pas encore en fonctionnement explose à Plouvorn, dans le Finistère, mobilisant une quarantaine de pompiers.

En 2021, la Cour des comptes démontrait que les services d’inspection ne sont même pas informés de la création d’un nouveau méthaniseur et que le contrôle ponctuel des installations n’est pratiquement jamais fait.

Alors que les méthaniseurs se multiplient dans nos campagnes, les services de l’Etat apparaissent dépassés. En outre, la réglementation qui encadre les projets de méthanisation ne cesse de s’assouplir depuis dix ans. L’Etat joue sur la simplification des installations en misant notamment sur la confiance et l’auto-contrôle des porteurs de projets qui ne sont pas forcément formés à ce genre de système. Ce manque de contrôle et d’investissement des services de l’Etat participe à l’augmentation des risques d’accidents. Dans un rapport publié en 2021, la Cour des comptes témoigne de cette absence puisqu’elle démontre que les services d’inspection ne sont même pas informés de la création d’un nouveau méthaniseur, et que le contrôle ponctuel des installations n’est pratiquement jamais fait. Par exemple, les directions départementales de la protection des populations ont mené en 2021 une série de contrôles dans 14 établissements sur les plus de 150 installations existantes en Bretagne à l’époque et ont démontré que dans 85% des cas, les aménagements prévus dès le début du projet n’ont pas été réalisés (cuves de rétention évitant des déversements accidentels dans le milieu naturel, systèmes d’évacuation d’eaux pluviales, alerte incendie…). 

Tension entre production alimentaire et production énergétique

Outre les pollutions directes que peut causer la méthanisation, celle-ci engendre un risque environnemental plus large, à savoir que les agriculteurs ne se transforment en producteur d’énergie. Les cas d’abandon de l’activité principale d’élevage au profit de la méthanisation sont avérées, en particulier en Bretagne. Cela fait sens dans la mesure où produire de l’énergie rapporte bien plus qu’élever des vaches, de produire du lait ou des céréales pour le marché alimentaire. Dès lors, les agriculteurs tendent à vendre leur culture au plus offrant, c’est-à-dire aux unités de méthanisation. 

Produire de l’énergie rapporte bien plus qu’élever des vaches, de produire du lait ou des céréales pour le marché alimentaire.

Les cultures sont en effet bien plus intéressantes que les déchets agricoles pour produire du gaz. Les effluents ont un potentiel énergétique faible, a contrario des cultures qui sont bien plus méthanogènes, c’est à dire qu’elles produisent plus de méthane. La fermentation du fumier est par exemple moins efficace que celle du maïs. Présentée comme un moyen de compenser les faibles revenus agricoles et permettant d’avoir un prix fixe pendant quinze ans pour les agriculteurs, la méthanisation fait aujourd’hui des agriculteurs des producteurs d’énergie. Les dérives de ce modèle entraînent alors de grandes tensions entre production alimentaire et production énergétique qui tendent à se confondre en allant vers une agriculture industrielle.

Au lieu d’être utilisées pour nourrir humains et animaux, des denrées et cultures sont englouties en masse dans les méthaniseurs, mettant en péril la sécurité et la souveraineté alimentaire. Le risque est donc une utilisation abusive des cultures alimentaires au profit de la production énergétique et de dériver vers un modèle à l’allemande, où d’immenses surfaces de maïs sont plantées uniquement pour produire du biogaz.

Pour l’heure, l’ampleur du phénomène reste limitée en France. Selon les estimations de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), les cultures ne représenteraient que 5% des intrants en 2020. Toutefois, lorsque les prix des cultures principales baisse sur le marché, il existe un risque important de valorisation énergétique de ces dernières, un risque amené à croître du fait de la concurrence étrangère encouragée par la multiplication des accords de libre-échange signés par l’Union européenne. De plus, depuis la loi sur la transition énergétique de 2015, un nouveau type de culture apparaît : les cultures intermédiaires à vocation énergétique. Représentant 29 % des intrants, ces cultures sont plantées et récoltées entre deux cultures principales et jouent un rôle de couvert végétal pour protéger les sols puis sont utilisées comme intrant dans les unités de méthanisation. Cela peut néanmoins varier facilement selon l’Association française du gaz, puisque l’utilisation de ces cultures peut permettre de répondre à des situations transitoires, notamment lors de mauvaises récoltes. Cependant, aucune limite n’est fixée dans l’introduction de ces cultures intermédiaires dans les méthaniseurs, contrairement aux cultures principales qui ne peuvent dépasser 15 % des intrants par an.

Toutefois, contourner la loi pour laisser place au « maïs énergétique » est de plus en plus fréquent, puisque le pourcentage des ressources agricoles réellement utilisées est inconnu malgré les études identifiant le volume du gisement disponible de chaque culture. Avec les objectifs de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) à l’horizon 2028 qui fixe une cible de production de biogaz à 103 TWh, la production d’énergie va privilégier les cultures nobles plutôt que les déchets de culture pour répondre à ces objectifs. L’entreprise Margaron SAS, à Roybon (Isère) fournit par exemple des pommes de terres aux méthaniseurs. Le tubercule ici ne s’apprécie plus seulement pour son intérêt nutritionnel, mais aussi selon ses capacités à produire du méthane. Et il en va de même pour le maïs, dont l’arrivée en Bretagne correspond à l’avènement de l’élevage intensif.

Si ces risques sont connus par les services de l’Etat, la nécessité de faire tourner les méthaniseurs en continu nécessite un approvisionnement 24 heures sur 24. La tentation d’utiliser des cultures en principe destinées à l’alimentation humaine ou animale est donc forte. Pour contourner la loi, il suffit d’ailleurs de déclarer une céréale, habituellement culture principale, comme « culture dérobée » ou CIVE, tandis que les contrôles sont presque inexistants. Si la méthanisation présente donc de vrais atouts pour la transition énergétique et le revenu des agriculteurs, un scénario à l’allemande est loin d’être impossible. Un tel système ne bénéficierait guère aux agriculteurs, mais plutôt aux grands groupes comme Engie et TotalEnergies, ravis de pouvoir continuer à vendre du gaz repeint en vert.

Sécurité Sociale de l’Alimentation : de l’utopie à la réalité

© Sébastien Lapostolle

Étendre le principe de la Sécurité sociale à l’alimentation en permettant à tous les Français d’acheter des produits conventionnés, choisis démocratiquement, grâce à une carte dédiée. Le principe de la Sécurité sociale alimentaire est simple, sa mise en oeuvre moins. Celle-ci implique en effet une bataille majeure contre les acteurs qui gèrent aujourd’hui ce secteur, notamment l’agro-business et la grande distribution, mais aussi l’obsession libre-échangiste de l’Union européenne. Petit à petit, l’idée essaime pourtant un peu partout en France, à travers des expérimentations locales. Alors qu’une proposition de loi pour une massification a été déposée, des questions majeures, portant notamment sur le financement, cherchent encore des réponses.

Il y a un peu plus d’un an, les Restos du Cœur lançaient une vaste campagne d’appel aux dons, annonçant être submergés face à une demande croissante d’une partie de la population n’arrivant plus à se nourrir face à l’inflation. Encore aujourd’hui, la crise reste d’actualité, les files d’attente pour l’aide alimentaire ne disparaissent pas du paysage français. A titre d’exemple, un rapport publié le 17 octobre par l’association Cop1, révèle que 36 % des étudiants sautent régulièrement un repas faute de moyens, tandis que 18 % d’entre eux dépendent de l’aide alimentaire. Par ailleurs, l’isolement social accompagne les difficultés alimentaires : « 41 % des étudiant.e.s se sentent toujours ou souvent seul.e.s », contre 19 % dans la population générale. La crise cependant n’épargne pas les autres tranches d’âge. Le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire ne baisse pas, atteignant aujourd’hui 2,4 millions, selon le dernier rapport d’activités des Banques Alimentaires.

Une réponse démocratique à la faim et à la misère agricole

À l’autre extrémité de la chaîne de production, l’agonie du monde paysan et agricole se prolonge. Alors que les élections des chambres d’agriculture se tiendront en janvier 2025 et que l’UE s’apprête à signer un désastreux traité de libre-échange avec le MERCOSUR, les tensions restent vives. Dans un contexte de forte couverture médiatique, les mouvements agricoles tentent de décrocher de nouveaux engagements : une rémunération juste du travail, le partage équitable de la valeur ou le rééquilibrage des rapports de force face à la grande distribution. À cela s’ajoutent des revendications pour des simplifications administratives, certaines pourtant, enfermées dans le modèle de l’agro-business, vont à l’encontre des objectifs écologiques.

Pour toutes ces raisons, l’idée d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) fait son chemin. Encore peu connue, cette proposition se construit à travers diverses expérimentations, et apparaît de plus en plus souhaitable à chaque nouvelle crise. À l’occasion de la journée mondiale de l’alimentation, le 16 octobre 2024, plusieurs publications se sont penchées sur le sujet. Le 14 octobre, l’Institut Rousseau argumente l’idée d’une « sécurité sociale de l’alimentation » en soulignant « l’urgence d’une rupture avec le système alimentaire actuel ». Quelques jours plus tôt, la Fondation Jean Jaurès publiait une note appelant à la création de nouveaux droits pour agir sur les déterminants de santé. Ces deux rapports mettent en lumière des enjeux majeurs et bien réels.

Seulement, mettre uniquement en avant certaines dimensions de la Sécurité Sociale de l’Alimentation risque d’en limiter l’ambition, ou du moins de ne pas en percevoir le sens profond. En se focalisant sur des enjeux concrets tels que les inégalités alimentaires ou la santé publique, on peut perdre de vue une finalité première de la SSA : celle de la transformation profonde des institutions et d’une réinvention de la citoyenneté par la démocratisation du processus de production, de distribution et de consommation de l’alimentation. Cet objectif exige une rupture et l’émergence d’institutions nouvelles. Il s’agit ici de questionner la chaîne alimentaire dans son ensemble. Ainsi, parler de crise paysanne et de crise alimentaire peut nous amener à en oublier la division accrue du travail, et donc des étapes intermédiaires. Matériellement, la démocratisation de l’assiette par la SSA remet au centre du jeu l’organisation de l’agro-industrie, de l’industrie de transformation alimentaire et celle de la grande distribution. Ce retour aux principes démocratiques de la SSA doit alors se faire au regard des stratégies de généralisation et des leçons tirées des expérimentations en cours. 

Matériellement, la démocratisation de l’assiette par la SSA remet au centre du jeu l’organisation de l’agro-industrie, de l’industrie de transformation alimentaire et celle de la grande distribution.

La SSA : entre idée neuve et reprise historique 

L’histoire de la Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) se situe à l’intersection de l’innovation théorique et de la réactivation de politiques historiques. Mais quels sont les fondements de cette idée qui a émergé au début des année 2010 au sein de la société civile et qui est aujourd’hui défendue par divers acteurs ?

La proposition d’une Sécurité sociale d’alimentation vise à étendre les principes du régime général de sécurité sociale dont nous profitons tous, établi en 1946 sous l’égide du ministre Ambroise Croizat, en les appliquant aux domaines de l’alimentation et de l’agriculture. L’objectif est de construire une organisation démocratique du système alimentaire. Cette initiative s’inspire de l’héritage de la Sécurité sociale, dont l’histoire est analysée entre autres par le collectif Réseau Salariat, ainsi que les contributions théoriques du sociologue Bernard Friot et les travaux de l’économiste Nicolas Da Silva

Depuis plusieurs années, un ensemble de collectifs, d’associations et de syndicats s’organisent sur le terrain. L’année 2019 marque la création d’un réseau national pour la promotion d’une Sécurité sociale de l’alimentation, conçu comme un espace commun permettant le partage des travaux. Ce réseau rassemble notamment des acteurs comme ISF Agrista, le Réseau CIVAM, Réseau Salariat, ou encore le syndicat agricole de la Confédération paysanne, ainsi que de nombreuses associations et collectifs locaux. La création de ce collectif représente un tournant historique, visant à structurer les échanges auparavant bilatéraux pour faire un premier état des lieux et amorcer un mouvement capable de porter ce projet dans le débat public.

Le mouvement prend appui sur plusieurs constatations. À la base des problèmes identifiés se trouve l’impossibilité de transformer l’agriculture sans l’adoption de politiques alimentaires de transformation en profondeur. De plus, il devient impératif de dépasser le modèle de l’aide alimentaire basé sur le don, pour garantir un accès universel et autonome à une alimentation choisie. C’est ainsi qu’on peut être amenés à réfléchir à partir du « déjà-là » et des réussites passées, notamment de l’établissement d’une organisation démocratique et universelle dans l’économie de la santé entre 1946 et 1959, rendue possible grâce à la branche maladie du régime général de sécurité sociale.

Il devient impératif de dépasser le modèle de l’aide alimentaire basé sur le don, pour garantir un accès universel et autonome à une alimentation choisie.

Concrètement, la mise en place de la Sécurité Sociale de l’Alimentation s’appuie sur trois piliers fondamentaux. Le premier est l’universalité : la SSA s’appliquerait à toutes et tous, sans distinction. Cette approche peut surprendre, car elle inclut également les plus aisés. Pourtant, c’est bien cette universalité qui garantit la force et la légitimité de la mesure. Elle vise à éliminer les mécanismes d’exclusion et de discrimination, cherchant à rompre avec le contrôle social et administratif associé au « statut de la pauvreté » et donc à la stigmatisation des bénéficiaires. En faisant de l’accès à l’alimentation un droit universel, la SSA défie également l’argument de « l’assistanat ». Notre histoire sociale et politique, depuis 1789, montre en effet que les politiques universelles sont à même de créer et de stabiliser les droits de manière durable. 

Le deuxième pilier de la Sécurité Sociale de l’Alimentation repose sur un système de financement autonome, structuré autour de mécanismes de cotisations plutôt que sur la redistribution étatique. L’objectif est ainsi de limiter les risques de remises en cause futures, de détricotage, pour mieux pérenniser le système face aux arbitrages opposés aux politiques de solidarité. 

Enfin, le troisième pilier de la Sécurité sociale de l’alimentation repose sur un conventionnement des produits alimentaires, pensé pour être véritablement démocratique. Ce processus de décision collective est au cœur du « droit à l’alimentation » et permet aux citoyens de reprendre la maîtrise de la chaîne alimentaire. Concrètement, les acteurs du système alimentaire seraient sélectionnés et évalués selon un cahier des charges ou une charte reflétant les attentes citoyennes. Ce troisième pilier ouvre largement la porte aux expérimentations, car un conventionnement démocratique ne se décrète pas et ne s’impose pas d’en haut : il se forge plutôt par la pratique du terrain.

Pour concrétiser le projet de SSA, plusieurs scénarios sont envisagés. L’un d’entre eux propose un versement mensuel de 100 à 150 euros minimum sur une « carte de sécurité sociale », ou comme une extension de la carte Vitale, afin de garantir un accès suffisant à une alimentation saine. Ce montant, attribué aux parents pour les mineurs (sauf dans des cas spécifiques), servirait exclusivement à l’achat d’aliments auprès de producteurs et structures conventionnées. Les études montrent que 150 euros par mois par personne représentent un seuil minimal pour commencer à assurer un droit à l’alimentation. Cependant, comme le précise Mathieu Dalmais, agronome et membre de l’association Ingénieurs sans frontière, il reste loin d’être suffisant pour une alimentation équilibrée et digne en France.

Le droit à l’alimentation : condition de l’épanouissement de la citoyenneté 

Il faut commencer par constater l’absence d’application effective d’un droit pourtant reconnu comme fondamental : le droit à l’alimentation. Ce droit, inscrit au niveau international dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 1966, demeure encore largement absent dans de nombreuses régions du monde. La France n’est pas en reste. En analysant les textes de droit international et les lois françaises, Dominique Paturel, chercheuse à l’Institut national de l’agriculture, de l’alimentation et de l’environnement (INRAE) et membre du collectif Démocratie Alimentaire, met en lumière les lacunes de la législation française en matière de sécurité alimentaire

A titre d’exemple, l’article 61 de la loi « EGalim » de 2018, introduit la lutte contre la précarité en visant à « favoriser l’accès à une alimentation favorable à la santé aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale ». Cependant, le texte privilégie l’aide alimentaire, refermant ainsi toute perspective de mise en place d’un véritable système de sécurité sociale. Il précise en effet que cette aide est fournie par « l’Union Européenne, l’État ou des acteurs associatifs », soulignant un rôle majeur des associations. Ce modèle, largement insuffisant, pose deux problèmes majeurs. D’une part, il limite l’élaboration d’un accompagnement durable, laissant aux associations la gestion d’un besoin prioritaire, tandis que l’État se désengage. D’autre part, il réduit l’accès à l’alimentation à un besoin individuel, sans reconnaître l’alimentation comme un droit fondamental qui caractérise le développement de la citoyenneté de l’individu au sein de la société. La loi « EGalim 2 » adoptée en octobre 2021 ne constitue aucunement un changement de philosophie. 

Sous prétexte de lutter contre le gaspillage, la France réduit le droit à l’alimentation à une simple aide alimentaire.

Les textes en vigueur légitiment ainsi une situation hautement problématique : sous prétexte de lutter contre le gaspillage, la France réduit le droit à l’alimentation à une simple aide alimentaire. Ce modèle peut contraindre plusieurs millions de personnes (entre 2 et 4 millions selon les chiffres en vigueur de l’INSEE rapportés par l’Observatoire des inégalités), à bénéficier du « surplus » de l’agrobusiness, issu d’un système productiviste et industriel. En favorisant un modèle de citoyenneté davantage consumériste et passif que véritablement actif, la puissance publique oriente vers une consommation faussement solidaire et démocratique.

Pourtant, l’idée d’un droit à l’alimentation peut être sans crainte comparé à des mobilisations historiques telles que la Révolution de février 1848, qui posa les fondations d’une République démocratique et sociale. Parmi les revendications, celle du « droit au travail » incarnait une réponse au paupérisme, portée depuis les années 1830 par des mouvements socialistes ainsi que la société civile engagée sur la question sociale. À l’époque, il s’agissait d’élargir une citoyenneté politique nouvellement acquise pour intégrer des droits sociaux autour de l’organisation du travail, et donc de l’existence quotidienne des classes populaires. Comme le souligne l’historienne et philosophe Michèle Riot-Sarcey, ce moment historique donna naissance à une volonté citoyenne de reprendre en main son destin : « Le moindre citoyen s’estime alors en droit de s’exprimer, en réunion, dans la rue, au sein des clubs. […] La révolution de février 1848 a su transformer cette coutume en expression de la volonté et donc de la souveraineté du peuple. ». 

Une organisation démocratique de l’économie

La SSA se dessine au sein d’un paradigme écologique nous imposant de repenser le rapport entre l’individu, son environnement et sa liberté de décision. L’enjeu est de favoriser une véritable démocratisation de l’économie, s’appuyant sur des mécanismes de planification participative, où les citoyens sont directement impliqués dans la prise de décision, non plus dans un processus consultatif mais où le dernier mot leur revient. Cette approche contraste nettement avec la démocratie libérale actuelle, qui se limite souvent à une participation à travers le vote, laissant ensuite les décisions quotidiennes aux mains des élus, sans mandat impératif.

Alors que la citoyenneté contemporaine est largement construite autour du statut de consommateur et que le pouvoir de consommation constitue l’inclusion sociale, la démocratie alimentaire vise un dépassement des fonctions discriminantes de l’alimentation en tant que déterminant social. Tanguy Martin, membre d’ISF Agrista, co-auteur avec Sarah Cohen de l’ouvrage La démocratie dans nos assiettes (2024), souligne que la Sécurité sociale de l’alimentation s’appuie sur une analyse structurelle des systèmes de domination, repensant en profondeur les rapports de pouvoir qui façonnent notre système alimentaire : « La démocratie dans son sens premier va fondamentalement à l’encontre de la logique de l’accumulation du capital qui régit aujourd’hui en grande partie les activités humaines et surtout organise l’espace social et matériel à partir de sa logique ».

La SSA n’impose pas, elle cherche à convaincre. Pourtant, ce principe est parfois encore difficile à comprendre dans les sphères militantes au fort capital culturel. Face à l’urgence de la bifurcation écologique, celles-ci sont souvent tentées par l’imposition de mesures strictes. Tanguy Martin abonde dans ce sens, rappelant qu’au départ, la proposition avait surpris certains milieux, où la mise en place de critères spécifiques était perçue comme évidente et urgente. Or, le conventionnement démocratique vise à légitimer socialement des décisions radicales qui pourraient, appliquées autrement, sembler punitives. Pour lui, il s’agit avant tout d’une question de principe que de « pragmatisme », puisqu’il permet d’ancrer ces choix dans une démarche collective et partagée : « tout ce qu’on met en place de manière autoritaire ne fonctionne pas », tout en insistant, « si nous voulons partager des idées fortes, comme celle d’une décroissance de la production et de la consommation d’énergie, nous devons le décider collectivement ».

Cet aspect central de l’organisation démocratique de la Sécurité sociale de l’alimentation est avant tout pédagogique. Elle rappelle l’expérience récente de la Convention Citoyenne pour le Climat qui – bien qu’ayant été en grande partie ignorée par le pouvoir politique – a démontré qu’un groupe de citoyens, non spécialistes, pouvait s’informer de manière rigoureuse, débattre avec des avis divergents, et aboutir à des propositions de politiques macro-économiques sérieuses et radicales. C’est là que réside la profondeur du conventionnement démocratique : il active le citoyen en mobilisant sa capacité à s’auto-éduquer socialement et renforce ainsi son engagement dans la prise de décision.

Le coût élevé de l’alimentation plus saine tend à en faire un réflexe de classe qu’il devient urgent de dépasser.

La démocratie alimentaire doit s’emparer pleinement de cette question de classe, du capital culturel, mais aussi du capital économique, d’autant plus nécessaire face aux limites de l’incitation à consommer bio et local. En effet, le coût élevé de l’alimentation plus saine tend à en faire un réflexe de classe qu’il devient urgent de dépasser. Alors que l’incitation à consommer bio devient contre-productive et suscite des caricatures, illustrant les limites atteintes dans l’espace social, la SSA représente une avancée vers un modèle supérieur. Elle redonne aux citoyens un pouvoir d’agir et la fierté d’accéder à des produits issus de l’agriculture biologique ou de haute qualité, sans que cela dépende d’un privilège économique ou d’une logique de distinction sociale.

Le conventionnement démocratique des acteurs devient ainsi un levier de participation pour une nouvelle planification démocratique de l’économie, orientée vers les impératifs écologiques. Aujourd’hui en France, le secteur de la grande distribution – principal point d’approvisionnement de la population et secteur fort de l’économie du pays – est dominé par quatre grandes enseignes, qui concentrent l’essentiel des ventes selon les données de 2023 : E.Leclerc (23,8 % de part de marché), Carrefour (19,7 %), Les Mousquetaires (16,7 %) et Système U (12 %). Cette concentration n’est pourtant que la partie visible de l’iceberg de l’« agro-industrie », révélant l’emprise croissante des grands groupes sur nos choix alimentaires.

Autre exemple, l’annonce récente du géant Lactalis de réduire de 9 % sa collecte de lait en France d’ici 2030 illustre l’irresponsabilité de ces groupes envers la pérennité des fermes françaises tout comme illustre une stratégie visant à mettre en concurrence les producteurs laitiers à l’échelle mondiale. Cette approche s’oppose frontalement à l’idée d’une prise de décision citoyenne et démocratique sur la localisation de la production. L’organisation démocratique de l’alimentation soulève également la question cruciale de la répartition des terres. Alors que l’agro-industrie accapare les terres, la perspective du conventionnement citoyen doit s’emparer de l’enjeu foncier. 

Reste à concevoir l’institutionnalisation de cette planification démocratique de l’alimentation, visant à stimuler une politisation active des citoyens. Le débat est ouvert : avons-nous déjà les outils nécessaires, qu’il suffirait de réinventer, ou devons-nous créer un nouveau langage, de nouvelles institutions et des espaces inédits pour concrétiser le conventionnement démocratique ? Cette réflexion sur les moyens de donner corps à cette gouvernance citoyenne est déjà engagée à travers plusieurs expérimentations. 

La SSA à Cadenet : une expérimentation en milieu rural

L’initiative est audacieuse, elle sollicite l’imagination politique. Elle revient à « utopier » : c’est-à-dire se situer dans ces interstices entre rêveries et réalité. Comme l’affirme le sociologue Erik Olin Wright, les utopies réelles ne sont faites ni pour l’idéaliste ni pour le réaliste ; elles sont des pratiques concrètes qui ouvrent les possibles d’un futur alternatif.

La carte du site du collectif national pour la Sécurité sociale de l’alimentation permet de visualiser la répartition des initiatives locales à travers le pays : on compte plus d’une vingtaine de projets aux appellations variées. Régulièrement, de nouveaux projets rejoignent le mouvement, comme la « caisse commune de l’alimentation » récemment créée à Brest (Finistère). Les expérimentations s’adaptent aux spécificités locales : même si l’universalité et le financement par cotisation sociale restent aujourd’hui impossibles à mettre en œuvre à cette échelle, ces projets ont le mérite de placer la pratique démocratique au centre de leurs démarches. Sur le terrain, l’implantation locale devient donc un exercice de démocratie en acte qui alimente la théorie. 

Lancée en 2021, l’expérimentation de Cadenet dans le Vaucluse, département parmi les plus défavorisés de la métropole, se distingue d’autres initiatives souvent basées en milieu urbain.

Lancée en 2021, l’expérimentation de Cadenet dans le Vaucluse, département parmi les plus défavorisés de la métropole, se distingue d’autres initiatives souvent basées en milieu urbain. Après une première année de travail et la création d’un « Comité de pilotage » composé de citoyens engagés, les années 2022 et 2023 ont concrétisé la naissance d’une première convention citoyenne locale. La démarche, exigeante, s’organise sur six mois de rencontres hebdomadaires, permettant aux participants de se former par l’échange et de construire une base d’informations commune. Le groupe accueille également des experts pour éclairer chaque étape de la chaîne de production alimentaire.

Éric Gauthier, membre de l’association Au Maquis, qui participe au projet, a été frappé par l’engouement suscité dès le départ : « Ce qui était frappant, c’est la construction des pensées ensemble, tout en cherchant une égalisation des savoirs », observe-t-il. « On s’est interrogés sur notre façon de s’organiser, sur nos objectifs et la manière de les atteindre tout en laissant place à la controverse et la porte ouverte aux retours sur les décisions ».

Carte de l’avenir alimentaire désirable du Collectif Local d’Alimentation de Cadenet. © CLAC

Rapidement, dans des espaces publics mis à disposition ou chez les militants lorsque les salles municipales sont indisponibles, les premières réunions permettent de lancer un travail initial : retracer l’histoire du territoire et élaborer une « carte de l’avenir alimentaire désirable ». Ces moments vont au-delà de l’organisation formelle, ils dépassent la simple expression des voix pour tisser des relations plus profondes. Des liens immatériels se forgent, des amitiés se nouent. Les ateliers se prolongent souvent jusqu’à tard le soir. Au fil des semaines et des mois, les participants ne sont plus de simples voisins. Ils partagent, apprennent à se connaître, à se comprendre, échangent rires et anecdotes. Tout cela va bien au-delà du projet initial. Une association a été créée : le Collectif Local d’Alimentation de Cadenet (CLAC).

La création d’une caisse commune représente une étape cruciale pour le projet, nécessitant plus de dix mois de préparation à Cadenet. Le groupe a dû réfléchir à un modèle de financement pour le lancement, puis à une solution permettant de pérenniser l’initiative. Dans toutes les expérimentations, le financement devient le nerf de la guerre. Les collectifs doivent l’affronter, penser malgré les blocages qu’ils rencontrent. Il faut savoir faire tout en sachant qu’on ne peut pas mettre en place l’idée d’un système de cotisation universelle. Ce sera pour plus tard, en attendant, on plante déjà quelques germes à l’échelon local. 

Dans le cas de Cadenet, un soutien financier de la Fondation de France a permis de constituer cette caisse, l’expérimentation ayant fait le choix collectif de se passer de fonds publics. D’autres initiatives, quant à elles, fonctionnent sur le principe de la mutualisation. La caisse commune de Cadenet a officiellement ouvert en avril 2024, après de longs mois de préparation et des étapes clés. La sélection des habitants bénéficiaires a été pensée de manière démocratique. Les membres du collectif ont informé les villageois, distribué des tracts et participé à des événements locaux comme le salon des associations, pour présenter ce nouvel organe démocratique à l’échelle locale. En investissant les places, les marchés, et en réactivant des méthodes de diffusion de proximité telles que le bouche-à-oreille, ils ont créé un véritable élan communautaire. Une réunion publique a réuni 70 volontaires, dont 33 ont été tirés au sort pour participer. 

Concrètement, les bénéficiaires de l’expérimentation peuvent, chaque mois, se faire rembourser près de 8.000 produits conventionnés, en présentant leurs justificatifs.

Faute de monnaie locale, et confronté aux contraintes de gestion, le collectif a opté pour un système temporaire de remboursement plutôt qu’une distribution directe d’euros avant achat. Concrètement, les habitants bénéficiaires de l’expérimentation peuvent, chaque mois, se faire rembourser près de 8.000 produits conventionnés dans des points de ventes, en se présentant à l’association gérant la caisse munis de leurs justificatifs. Pour permettre l’organisation du système de conventionnement un groupe de travail a été créé pour définir une grille de critères de conventionnement des producteurs et des lieux de ventes. Les critères sont basés sur des notations allant de 1 à 10, ils concernent entre autres le respect des normes environnementales, la taille de l’unité de production, dans la mesure du possible l’indépendance vis-à-vis de l’agro-industrie, mais aussi le bien être au travail des salariés sur les sites de production. 

Preuve de la capacité d’adaptation et de l’enthousiasme qui animent autour du projet, suite à la fermeture inattendue de l’épicerie, principal point de vente des produits conventionnés, un groupe s’est formé en parallèle de l’expérimentation pour racheter les locaux et investir dans un système alimentaire local autonome. Cette initiative illustre une fois de plus le dépassement de l’idée initiale : le lancement d’une démocratie alimentaire suscite un enthousiasme qui dépasse les cadres initiaux du militantisme et vient dessiner une action citoyenne sur des espaces publics et privés autrement investis.

Réunion publique à Cadenet autour de la Sécurité sociale alimentaire. © CLAC

Vers une généralisation trop rapide ?

Si des expérimentations de ce type permettent aux participants de se familiariser avec de nouvelles méthodes de gestion d’un système alimentaire, le saut d’échelle vers une généralisation apparaît plus difficile à réaliser. Le 15 octobre dernier, le député écologiste Charles Fournier a déposé une proposition de loi visant à expérimenter une « sécurité sociale de l’alimentation », soutenue et co-signée par trois parlementaires de chaque groupe du Nouveau Front Populaire. Concrètement, ce texte propose la création et le financement de caisses alimentaires pour une période expérimentale de cinq ans, avec un fonctionnement inspiré de celui des caisses locales de santé qui ont précédé la mise en place de la Sécu. La proposition se fonde sur des expérimentations citoyennes déjà en cours un peu partout en France (Montpellier, Saint-Etienne, Lyon ou le département de la Gironde), tout en soulignant la nécessité d’un soutien financier et humain pour en garantir la pérennité et l’élargissement. Il prend modèle sur l’initiative « Territoire zéro chômeur de longue durée », instaurée en 2016, qui cherche à mettre fin à la privation durable d’emploi à l’échelle d’un territoire, en se basant sur le principe historique du droit au travail et créant des emplois dans des domaines non-pourvus localement.

Les militants s’interrogent : est-il temps de lancer une campagne officielle à grande échelle ou bien faut-il attendre une fenêtre propice pour maximiser les chances de succès ? 

Dans la conjoncture actuelle, les conditions d’adoption d’un tel texte sont quasi inexistantes. Dans un contexte dominé par la pression du capital et des marchés financiers, et face à une Assemblée nationale peu favorable, exposer la SSA pourrait risquer de diluer son impact ou de « griller des cartouches ». Les militants s’interrogent : est-il temps de lancer une campagne officielle à grande échelle, incluant les médias, des actions sur l’espace public ou encore des démarches auprès des organisations politiques ? Ou bien faut-il encore attendre une fenêtre propice avec plus de retours des expériences locales et un poids politique suffisant pour maximiser les chances de succès dans la bataille de la généralisation ? 

L’introduction des débats sur la SSA au Parlement soulève également la question de la composition des organes décisionnaires chargés de superviser l’expérimentation. À ce sujet, l’article 2 propose la création d’un « conseil scientifique et citoyen » pour suivre le projet, dont la « composition [serait] fixée par décret » plutôt que par une participation directe des citoyens. Ce conseil aurait pour mission d’évaluer le dispositif et de remettre « un rapport d’ensemble au Parlement et aux ministres en charge de l’alimentation, de l’agriculture et de la solidarité » avec des recommandations pour l’avenir. Cela pose à nouveau l’incontournable question d’un réel pouvoir citoyen sur les décisions finales, et inversement des autres intérêts pouvant faire pression sur les élus.

On peut aussi se questionner sur la structure de l’association chargée de gérer le fonds national d’expérimentation de la SSA : selon l’article 3 du texte, le conseil d’administration serait également défini par décret en Conseil d’État, avec une liste de catégories de représentants, sans garantir pour autant une participation démocratique citoyenne équilibrée, voire majoritaire. Or, au regard de l’histoire de la Sécurité Sociale, où les luttes d’influence ont souvent opposé des intérêts divergents, il s’agit d’un enjeu majeur.

Ce débat sur la stratégie à adopter se reflète également au sein des organisations militantes œuvrant pour la mise en place de la Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA). Dans les espaces de travail communs, la diversité des cultures politiques engendre parfois des tensions, mais aussi de belles coopérations, avec un déploiement d’efforts sur divers fronts. Un consensus émerge cependant : préserver la SSA comme un projet collectif et non personnalisé, un bien commun que chacun peut défendre à sa manière, selon ses compétences et ses ressources.

Le chemin reste également long pour faire de la Sécurité Sociale de l’Alimentation une priorité des programmes des organisations politiques de gauche. À titre d’exemple, la mesure n’était pas directement présente dans les principaux programmes lors de l’élection présidentielle de 2022, bien que la France insoumise proposait une « expérimentation visant à une garantie universelle d’accès à des aliments choisis » et EELV promettait une « démocratie alimentaire » offrant « une alimentation choisie, de qualité, en quantité suffisante et accessible à toute la population quels que soient ses revenus ». Aucune mention de la SSA en revanche dans le volet « Instaurer la souveraineté alimentaire par l’agriculture écologique et paysanne » du programme de la NUPES ou dans le contrat de législature élaboré en urgence par le Nouveau Front Populaire.

Dans le monde syndical et agricole, le constat est similaire. L’idée de la Sécurité Sociale de l’Alimentation y reste largement méconnue, souligne Clément Coulet, qui a participé en animation tournante au collectif SSA pour le compte des CIVAM et par ailleurs rédacteur au Vent Se Lève. Il faut dire que les principales organisations syndicales – notamment l’alliance FNSEA-Jeunes Agriculteurs et la Coordination Rurale – défendent des politiques agro-industrielles, qu’elles soient orientées vers le libre-échange mondialiste ou vers le nationalisme économique. Le Réseau CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) et le troisième syndicat agricole, la Confédération Paysanne, font toutefois figure d’exception, participant depuis plusieurs années aux réflexions collectives autour de cette initiative.

Philippe Jaunet, paysan bio installé à Yzernay dans le Maine-et-Loire et militant pour « des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement », souligne l’importance d’une démocratisation du monde agricole : « L’objectif est aujourd’hui de redonner un sens à la terre et à la production par l’intervention citoyenne ». Il précise que cette intervention pourrait remettre en question la logique corporatiste du système alimentaire, et notamment celle de la production agricole, encore trop opaque. « Actuellement, les citoyens n’interviennent pas, ce qui permet à certaines organisations de monopoliser les instances de décision concernant les politiques mises en place ». Il prend notamment pour exemple le modèle de subventions de la Politique Agricole Commune (PAC), créée en 1962, aujourd’hui principal poste de dépense de l’Union européenne, dont la France bénéficie à hauteur de 9,5 milliards d’euros. Ce système financé par deux fonds européens – le Fonds européen agricole de garantie, FEAGA) et le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) – redistribue des aides aux agriculteurs sans consultation publique pour informer la population et lui permettre d’intervenir.

L’échelon européen pose problème pour la mise en place d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation : les États membres sont dépossédés par l’UE en matière de politique agricole, qui organise une concurrence interne au marché européen et externe, via les traités de libre-échange.

L’échelon européen pose enfin un autre problème pour la mise en place d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation : les États membres sont dépossédés par l’Union européenne en matière de politique agricole, qui organise une mise en concurrence interne au marché européen et externe, via les traités de libre-échange. Mettre en œuvre la SSA impliquera d’une manière ou d’une autre une remise en cause de ce modèle de concurrence tous azimuts, et donc un lien avec les mouvements européens et internationaux pour une agriculture plus juste.

La SSA ne se limite donc pas à une solution conjoncturelle face aux crises actuelles, elle s’inscrit dans un héritage social et démocratique, éveillant une citoyenneté active et collective autour de la terre et de l’assiette. En ce sens, elle incarne la résistance à un système en bout de course et l’image d’un souffle transformateur qui se lève. Que ce soit la poursuite d’un « déjà-là » communiste ou l’émergence d’une société éco-socialiste, la Sécurité sociale de l’Alimentation appartient au futur. Une alternative qu’il reste largement à bâtir. En somme, cela revient à choisir entre être collectivement libres jusqu’au fond de l’assiette ou ne pas l’être dans le dogme de la consommation passive. 

Fillon, candidat de l’agro-business

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Fin du principe de précaution, développement des OGM et des pesticides meurtriers : Fillon cède aux lobbys de l’agro-business et leur livre notre santé et notre écosystème. 

-Bruno Retailleau : “Ce qui est terrible, c’est que le conservatisme est devenu péjoratif. On a des choses à conserver. L’écologie va à une forme de patrimoine qu’il faut conserver, pour pouvoir le transmettre.”

– Natacha Polony : “Pourquoi on en a jamais entendu parler pendant la campagne ?”

-Bruno Retailleau : “D’abord parce qu’il y a 7 candidats. Les temps de débat sont très courts.”

-Natacha Polony : “Vous êtes en train de me dire qu’on va le découvrir candidat écologiste ?”

-Bruno Retailleau : “Je pense que c’est sa sensibilité mais de façon non-ostentatoire. Il n’est jamais dans l’exhibition”.

NDDL : L’aveuglement de M. Fillon

A la lecture du programme du Sarthois, qui a visiblement perdu son bon sens, on comprend l’air mi-sidéré, mi-amusé de Natacha Polony lorsque Retailleau lui annonce que Fillon a une “sensibilité écologiste”. De la part d’un Président de Conseil Régional des Pays de la Loire qui endosse régulièrement son costume de croisé pour demander au gouvernement de chasser les zadistes de Notre-Dame-Des-Landes, c’est assez cocasse. Fillon ne dit pas autre chose. Il veut « évacuer de façon musclée […] les hors-la-loi qui occupent un territoire de la République ». On comprend la position de Fillon. C’est lorsqu’il était Premier Ministre que le préfet Bernard Hagelsteen fut nommé. Cette nomination allait à l’encontre d’une pétition lancée par ses collègues : une première en France. Quel rapport me direz-vous ? C’est la suite de l’histoire qui est intéressante : en tant que préfet de Loire-Atlantique et de la région Pays-de-la-Loire (2007-2009), il pilotait localement le projet d’aéroport, en collaboration avec la Direction générale de l’aviation civile (DGAC). Or, dans le cadre de la délégation de service public, l’appel d’offres a été lancé en 2009 pour choisir le concessionnaire de l’aéroport, pour une durée de 55 ans. En 2010, le ministre de l’Écologie et du Développement durable tranche en faveur de Vinci. Cela n’empêche pas l’ancien préfet de se faire embaucher un an plus tard par ASF (Autoroutes du Sud de la France), filiale de Vinci. En 2012, il devient conseiller de Pierre Coppey, président de Vinci-Autoroutes. La position ferme de Fillon n’est peut-être pas étrangère à ce renvoi d’ascenceur entre membres de la caste.

Suppression du principe de précaution : les pesticides menacent l’écosystème et notre santé

La probabilité du conflit d’intérêt ne doit pas, ici, nous faire oublier la foi aveugle du frère Fillon dans un productivisme d’un autre temps, destructeur pour le seul écosystème compatible avec la vie humaine. Ainsi, le candidat de la droite se déclare favorable à la suppression du principe de précaution. La raison ? Il l’exprime dans une tribune publiée sur le site professionnel Wikiagri : « Osons relancer les recherches qui ont été interrompues au nom du principe de précaution, notamment en génétique ». En clair, si Fillon veut supprimer le principe de précaution, c’est pour ouvrir la boîte de Pandore des OGM. Fillon refuse également l’interdiction des néonicotinoïdes (conquise de haute lutte par les militants écologistes et les apiculteurs à l’occasion de la récente loi biodiversité) et des glyphosates. Rappelons tout de même que le Centre International de recherche sur le Cancer (CIRC), agence de l’OMS, considère le glyphosate (contenu dans l’un des herbicides le plus utilisé au monde : le Round Up ) comme probablement cancérigène pour l’être humain (mars 2015). Le cas des néonicotinoïdes est encore plus grave. En effet, le Conseil de l’académie des sciences européenne (Easac) a remis un rapport accablant à la Commission européenne en mai 2015. Se basant sur près d’une centaine d’études, les auteurs du rapport soulignent le fait que « l’utilisation généralisée des néonicotinoïdes a des effets graves sur une série d’organismes » qui sont responsables de la pollinisation et de la lutte naturelle contre les parasites ainsi que sur la biodiversité. Ces éléments contenus dans de nombreux pesticides ont de terribles effets sur les insectes pollinisateurs (les abeilles bien sûr mais aussi les bourdons, les bombyles ou les papillons). Les effets concernent principalement le système nerveux de ces insectes : désorientation, perte de fonctions cognitives, longévité des reines en baisse, synergie avec des pathogènes existants. Par ailleurs, véritables sirènes homériques, les néonicotinoïdes attirent les insectes pour leur donner un baiser de la mort. Dernier élément : ces pesticides sont présents dans la plante durant toute sa durée de vie, et restent ensuite dans les sols pendant de nombreuses années. C’est autant d’occasions de tuer les insectes qui ingèrent ces substances. “On s’en moque après tout. Ce ne sont que des abeilles” nous répondrons quelques benêts qui passent leur temps à regarder le bout de leurs chaussures. Sauf qu’au-delà de la destruction de l’activité apicole et de la production de miel, la destruction des abeilles a tout une série de conséquences criminelles sur des activités essentielles que remplissent les pollinisateurs pour l’écosystème, pour la pollinisation de la flore ou pour la production de fruits et légumes.

Les OGM : une boîte de pandore dévastatrice à coup sûr

Fillon va encore plus loin dans sa folie pro-pesticides. Pour lui, l’agriculture est « au bord de l’overdose normative ». Vu toutes les victoires que remportent régulièrement le lobby productiviste, on se pince en entendant cela. Fillon propose donc « d’abroger par ordonnances toutes les normes ajoutées aux textes européens ». Vu le zèle avec lequel la Commission européenne sert les lobbys qui suent sang et eau pour garder les perturbateurs endocriniens, les néonicotinoïdes et le glyphosate, on peut craindre pour notre santé et la survie de l’écosystème, si on s’en remet aux seules normes européennes pour les protéger. Concrètement, quelles conséquences implique la proposition de Fillon ?  La France a fait jouer la clause de sauvegarde pour permettre l’interdiction des OGM. Si Fillon abolit toutes les normes qui s’ajoutent aux normes européennes, c’est open-bar sur les OGM pour l’agro-business qui pourrit tout : la terre, l’air, l’eau, notre santé et la vie des paysans.

Il est temps que le lobby productiviste desserre l’étau dans lequel il tient les paysans. Il est temps d’en finir avec cette agriculture productiviste bourrée de pesticides qui pourrit notre santé, détruit la fertilité des sols (et des êtres humains), dégrade la valeur nutritive des aliments et conduit un paysan à se suicider tous les deux jours. Il est peut-être temps d’en finir avec ces médecins de Molière et d’engager la mutation vers une agriculture relocalisée, débarrassée des pesticides, s’attachant à respecter les critères de l’agriculture biologique afin que les paysans cessent de survivre pour enfin vivre.

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