100 milliards d’euros : ce que coûte chaque année la pollution à la France

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Tandis que les pics de pollution atmosphériques sont désormais récurrents dans de nombreuses villes françaises, les autorités, qui en connaissent le coût démesuré pour la santé publique et l’environnement, sont réticentes à mettre en place des mesures décisives pour les combattre.

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Les ours blancs débarquent à l’enseigne 

Un peu moins d’un an après le triomphe symbolique de nos gouvernants à la COP21, le spectre du changement climatique se fait plus menaçant que jamais. Pendant tout le mois de décembre, une horde d’ours polaires avaient quitté (ou fui?) leur banquise pour venir folâtrer dans les rayons du magasin de luxe parisien l’Enseigne. Très jolie à voir, la présentation commençait par un globe terrestre dont la banquise couvrait une très grande partie du pôle nord. Ironie ? Car derrière ce conte pour enfants se cache la réalité : 2016 pulvérise les records de fonte de la banquise, avec des anomalies de température montant jusqu’à 18°C aux pôles le 22 décembre.

Pics de pollution dans toutes les grandes villes françaises

Sans parler des conséquences catastrophiques sur la libération de méthane avec le dégel annoncé du permafrost, remontons à la cause majeure de ce grignotage : les émissions de gaz à effet de serre. Le mérite des pics de pollution, si l’on peut dire, est de nous rappeler que notre modèle énergétique fondé-sur-le-nucléaire-qui-n’émet-pas-de-gaz-à-effets-de-serre est un modèle très carboné.

Pic de pollution le 7 décembre (franceinter.fr)
Pic de pollution le 7 décembre

Culotté, le sorcier Sarkozy pour rejetait la faute sur la charbonnière Merkel : “Quand je vois que les allemands viennent de rouvrir toutes leurs centrales à charbon qui envoient leurs particules jusqu’à Paris qui nous inondent…” avait-il osé déclarer. Certes, le charbon fournit 40 % de l’électricité allemande, contre un tiers pour l’ensemble des sources renouvelables. Mais le lien de cause à effet avec la pollution aux particules fines est plus que douteux. En effet, l’un des principaux émetteurs de ces particules, c’est le moteur à diesel. Or, la France est championne du diesel en Europe : l’INSEE a d’ailleurs relevé une augmentation récente de la part des véhicules diesel dans le parc automobile français (de 59,2 % à 62,4 % entre 2012 et 2015). De toute façon, même un collégien peu dégourdi serait capable en regardant une carte comme celle-ci (situation au 7 décembre) d’en tirer un constat simple : les poches de particules fines ont une tendance assez nette à se concentrer sur les grandes agglomérations.

L’effet boule de neige

Une pincée de campagne, une pincée de ville, résultat explosif (asso.airparif.fr)
Une pincée de campagne, une pincée de ville, résultat explosif 

Parmi les grands méchants pollueurs, on ne présente plus le méthane, issu de la digestion des bovins notamment. : son effet de serre est 23 fois plus puissant que celui du CO2. Le dioxyde d’azote est lui impliqué dans de nombreux scandales industriels (dernier en date chez le constructeur automobile Fiat Chrysler). Mais saviez-vous que l’ammoniac, qu’on trouve dans les nettoyants industriels à l’odeur insupportable, est lui aussi un polluant atmosphérique de premier ordre ? Ce composé, qui permet aux végétaux d’incorporer l’azote contenu dans l’atmosphère, est essentiellement émis par les engrais industriels, et le stockage du lisier, émis lui-même par l’élevage (surtout l’élevage intensif, avec les problèmes d’algues vertes qu’on lui connaît). Comme quoi, Angela n’est pas la source de tous nos maux, même si l’Europe se passerait bien volontiers de l’industrie charbonnière allemande.

 

 

Une facture très salée : des dizaines de milliards d’euros qui partent… en fumée

Pour essayer d’éclaircir le préjudice sanitaire et donc économique de la saturation de l’air en saloperies diverses et variées, une commission d’enquête sénatoriale a rendu public un rapport intitulé “Pollution de l’air : le coût de l’inaction” (juillet 2015). Spoil alert : les conclusions sont accablantes.

Il s’agissait, selon Mme Leïla Aïchi, sénatrice de Paris, de prendre en compte non seulement les répercussions des épisodes spectaculaires de pollution, mais aussi et surtout la pollution dite “de fond” : celle que les professionnels de santé rattachent à diverses maladies respiratoires (bronchopneumopathie obstructive, cancers du poumon….), cardiaques (infarctus, entre autres ), mais aussi, par un effet de prévalence, à la maladie d’Alzheimer et à l’obésité. La même qui endommage la biodiversité, défigure les bâtiments et contamine l’eau.

Première conclusion : la “faiblesse de la mobilisation de l’Etat face à un enjeu qui est durablement inscrit au premier rang des préoccupations de nos concitoyens“. Ensuite : le résultat de l’ “effet cocktail” des différents polluants, peut être évalué, en ajoutant les coûts non sanitaires (baisse des rendements agricoles, dégradation des bâtiments, etc.) aux coûts sanitaires, à hauteur de 68 à 97 milliards d’euros. Pas dans le monde, pas en Europe, en France. Et le bénéfice net de la lutte contre la pollution de l’air tourne quant à lui autour de 11 milliards d’euros par an, ce qui est tout aussi astronomique.

Mode d’emploi pour le grand nettoyage

Bien sûr, il nous faut des fables d’ours polaires facétieux pour ne pas sombrer dans le défaitisme face au réchauffement du climat, à l’acidification des océans, à l’effondrement de la biodiversité, à la chute de la fertilité des sols… et au cynisme des grandes entreprises. Mais il faut transformer l’essai esthétique en pratiques responsables.

En jetant un œil aux recommandations du rapport, les amateurs de mesures concrètes et vraiment ambitieuses resteront sur leur faim. Mise en place d’une fiscalité écologique sans risquer le “fiasco” de l’écotaxe, mieux coordonner les plans nationaux, les schémas régionaux et les plans de protection de l’atmosphère, favoriser l’innovation, accompagner les acteurs (TPE, PME) dans leur transition vers des activités non polluantes grâce à BPI France, ou encore promouvoir le coworking et le télé-travail : c’est jouer petit bras, dans la mesure où il s’agit pour l’essentiel de revendications qui ne seront pas entendues par le pouvoir en place, ou qui seront traduites qu’en termes de “recommandations” sans réel pouvoir de contrainte, morale et juridique.

La responsabilité du diesel n’est plus à démontrer : dès maintenant, il faut contraindre les industriels automobiles à organiser très rapidement l’après-diesel. Par exemple en sanctionnant très sévèrement les tricheurs (ex. Vökswagengate), en durcissant le système bonus-malus tout en organisant la possibilité, afin de ne pas créer davantage d’injustices sociales, pour les propriétaires de véhicules diesel de pouvoir se tourner à peu de frais vers des véhicules hybrides ou électriques, en sautant la case essence, et donc en boostant l’actuelle prime à la conversion. En matière de pollution de l’air intérieur, il faut tout simplement bannir les solvants et métaux lourds soupçonnés de nuire, surtout en synergie, à la santé.

De même, la nécessité d’une transition du modèle agricole productiviste actuel vers un modèle écologique (agroécologie, permaculture, fermes polyvalentes), soulevée timidement par le rapport, passe nécessairement par l’arrêt des subventions massives accordées aux méga-exploitations et leur affectation à la création de dizaines de milliers d’exploitations intensives en main d’oeuvre, afin de les réorienter vers une agriculture socialement responsable L’accompagnement pédagogique des citoyens doit lui aussi être ambitieux, à l’école, dans les médias ou sur le lieu de travail, à propos de la nécessité de réduire la part des protéines carnées dans notre alimentation, et en matière d’éco-responsabilité en général.

Histoire, au moins, de pouvoir regarder les vrais ours polaires sans frémir de honte.

Crédits photos :

  • sortiraparis.com
  • franceinter.fr
  • asso.airparif.fr
  • Patrick Kovarik-AFP (bfmtv.com)