Sécurité Sociale de l’Alimentation : de l’utopie à la réalité

© Sébastien Lapostolle

Étendre le principe de la Sécurité sociale à l’alimentation en permettant à tous les Français d’acheter des produits conventionnés, choisis démocratiquement, grâce à une carte dédiée. Le principe de la Sécurité sociale alimentaire est simple, sa mise en oeuvre moins. Celle-ci implique en effet une bataille majeure contre les acteurs qui gèrent aujourd’hui ce secteur, notamment l’agro-business et la grande distribution, mais aussi l’obsession libre-échangiste de l’Union européenne. Petit à petit, l’idée essaime pourtant un peu partout en France, à travers des expérimentations locales. Alors qu’une proposition de loi pour une massification a été déposée, des questions majeures, portant notamment sur le financement, cherchent encore des réponses.

Il y a un peu plus d’un an, les Restos du Cœur lançaient une vaste campagne d’appel aux dons, annonçant être submergés face à une demande croissante d’une partie de la population n’arrivant plus à se nourrir face à l’inflation. Encore aujourd’hui, la crise reste d’actualité, les files d’attente pour l’aide alimentaire ne disparaissent pas du paysage français. A titre d’exemple, un rapport publié le 17 octobre par l’association Cop1, révèle que 36 % des étudiants sautent régulièrement un repas faute de moyens, tandis que 18 % d’entre eux dépendent de l’aide alimentaire. Par ailleurs, l’isolement social accompagne les difficultés alimentaires : « 41 % des étudiant.e.s se sentent toujours ou souvent seul.e.s », contre 19 % dans la population générale. La crise cependant n’épargne pas les autres tranches d’âge. Le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire ne baisse pas, atteignant aujourd’hui 2,4 millions, selon le dernier rapport d’activités des Banques Alimentaires.

Une réponse démocratique à la faim et à la misère agricole

À l’autre extrémité de la chaîne de production, l’agonie du monde paysan et agricole se prolonge. Alors que les élections des chambres d’agriculture se tiendront en janvier 2025 et que l’UE s’apprête à signer un désastreux traité de libre-échange avec le MERCOSUR, les tensions restent vives. Dans un contexte de forte couverture médiatique, les mouvements agricoles tentent de décrocher de nouveaux engagements : une rémunération juste du travail, le partage équitable de la valeur ou le rééquilibrage des rapports de force face à la grande distribution. À cela s’ajoutent des revendications pour des simplifications administratives, certaines pourtant, enfermées dans le modèle de l’agro-business, vont à l’encontre des objectifs écologiques.

Pour toutes ces raisons, l’idée d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) fait son chemin. Encore peu connue, cette proposition se construit à travers diverses expérimentations, et apparaît de plus en plus souhaitable à chaque nouvelle crise. À l’occasion de la journée mondiale de l’alimentation, le 16 octobre 2024, plusieurs publications se sont penchées sur le sujet. Le 14 octobre, l’Institut Rousseau argumente l’idée d’une « sécurité sociale de l’alimentation » en soulignant « l’urgence d’une rupture avec le système alimentaire actuel ». Quelques jours plus tôt, la Fondation Jean Jaurès publiait une note appelant à la création de nouveaux droits pour agir sur les déterminants de santé. Ces deux rapports mettent en lumière des enjeux majeurs et bien réels.

Seulement, mettre uniquement en avant certaines dimensions de la Sécurité Sociale de l’Alimentation risque d’en limiter l’ambition, ou du moins de ne pas en percevoir le sens profond. En se focalisant sur des enjeux concrets tels que les inégalités alimentaires ou la santé publique, on peut perdre de vue une finalité première de la SSA : celle de la transformation profonde des institutions et d’une réinvention de la citoyenneté par la démocratisation du processus de production, de distribution et de consommation de l’alimentation. Cet objectif exige une rupture et l’émergence d’institutions nouvelles. Il s’agit ici de questionner la chaîne alimentaire dans son ensemble. Ainsi, parler de crise paysanne et de crise alimentaire peut nous amener à en oublier la division accrue du travail, et donc des étapes intermédiaires. Matériellement, la démocratisation de l’assiette par la SSA remet au centre du jeu l’organisation de l’agro-industrie, de l’industrie de transformation alimentaire et celle de la grande distribution. Ce retour aux principes démocratiques de la SSA doit alors se faire au regard des stratégies de généralisation et des leçons tirées des expérimentations en cours. 

Matériellement, la démocratisation de l’assiette par la SSA remet au centre du jeu l’organisation de l’agro-industrie, de l’industrie de transformation alimentaire et celle de la grande distribution.

La SSA : entre idée neuve et reprise historique 

L’histoire de la Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) se situe à l’intersection de l’innovation théorique et de la réactivation de politiques historiques. Mais quels sont les fondements de cette idée qui a émergé au début des année 2010 au sein de la société civile et qui est aujourd’hui défendue par divers acteurs ?

La proposition d’une Sécurité sociale d’alimentation vise à étendre les principes du régime général de sécurité sociale dont nous profitons tous, établi en 1946 sous l’égide du ministre Ambroise Croizat, en les appliquant aux domaines de l’alimentation et de l’agriculture. L’objectif est de construire une organisation démocratique du système alimentaire. Cette initiative s’inspire de l’héritage de la Sécurité sociale, dont l’histoire est analysée entre autres par le collectif Réseau Salariat, ainsi que les contributions théoriques du sociologue Bernard Friot et les travaux de l’économiste Nicolas Da Silva

Depuis plusieurs années, un ensemble de collectifs, d’associations et de syndicats s’organisent sur le terrain. L’année 2019 marque la création d’un réseau national pour la promotion d’une Sécurité sociale de l’alimentation, conçu comme un espace commun permettant le partage des travaux. Ce réseau rassemble notamment des acteurs comme ISF Agrista, le Réseau CIVAM, Réseau Salariat, ou encore le syndicat agricole de la Confédération paysanne, ainsi que de nombreuses associations et collectifs locaux. La création de ce collectif représente un tournant historique, visant à structurer les échanges auparavant bilatéraux pour faire un premier état des lieux et amorcer un mouvement capable de porter ce projet dans le débat public.

Le mouvement prend appui sur plusieurs constatations. À la base des problèmes identifiés se trouve l’impossibilité de transformer l’agriculture sans l’adoption de politiques alimentaires de transformation en profondeur. De plus, il devient impératif de dépasser le modèle de l’aide alimentaire basé sur le don, pour garantir un accès universel et autonome à une alimentation choisie. C’est ainsi qu’on peut être amenés à réfléchir à partir du « déjà-là » et des réussites passées, notamment de l’établissement d’une organisation démocratique et universelle dans l’économie de la santé entre 1946 et 1959, rendue possible grâce à la branche maladie du régime général de sécurité sociale.

Il devient impératif de dépasser le modèle de l’aide alimentaire basé sur le don, pour garantir un accès universel et autonome à une alimentation choisie.

Concrètement, la mise en place de la Sécurité Sociale de l’Alimentation s’appuie sur trois piliers fondamentaux. Le premier est l’universalité : la SSA s’appliquerait à toutes et tous, sans distinction. Cette approche peut surprendre, car elle inclut également les plus aisés. Pourtant, c’est bien cette universalité qui garantit la force et la légitimité de la mesure. Elle vise à éliminer les mécanismes d’exclusion et de discrimination, cherchant à rompre avec le contrôle social et administratif associé au « statut de la pauvreté » et donc à la stigmatisation des bénéficiaires. En faisant de l’accès à l’alimentation un droit universel, la SSA défie également l’argument de « l’assistanat ». Notre histoire sociale et politique, depuis 1789, montre en effet que les politiques universelles sont à même de créer et de stabiliser les droits de manière durable. 

Le deuxième pilier de la Sécurité Sociale de l’Alimentation repose sur un système de financement autonome, structuré autour de mécanismes de cotisations plutôt que sur la redistribution étatique. L’objectif est ainsi de limiter les risques de remises en cause futures, de détricotage, pour mieux pérenniser le système face aux arbitrages opposés aux politiques de solidarité. 

Enfin, le troisième pilier de la Sécurité sociale de l’alimentation repose sur un conventionnement des produits alimentaires, pensé pour être véritablement démocratique. Ce processus de décision collective est au cœur du « droit à l’alimentation » et permet aux citoyens de reprendre la maîtrise de la chaîne alimentaire. Concrètement, les acteurs du système alimentaire seraient sélectionnés et évalués selon un cahier des charges ou une charte reflétant les attentes citoyennes. Ce troisième pilier ouvre largement la porte aux expérimentations, car un conventionnement démocratique ne se décrète pas et ne s’impose pas d’en haut : il se forge plutôt par la pratique du terrain.

Pour concrétiser le projet de SSA, plusieurs scénarios sont envisagés. L’un d’entre eux propose un versement mensuel de 100 à 150 euros minimum sur une « carte de sécurité sociale », ou comme une extension de la carte Vitale, afin de garantir un accès suffisant à une alimentation saine. Ce montant, attribué aux parents pour les mineurs (sauf dans des cas spécifiques), servirait exclusivement à l’achat d’aliments auprès de producteurs et structures conventionnées. Les études montrent que 150 euros par mois par personne représentent un seuil minimal pour commencer à assurer un droit à l’alimentation. Cependant, comme le précise Mathieu Dalmais, agronome et membre de l’association Ingénieurs sans frontière, il reste loin d’être suffisant pour une alimentation équilibrée et digne en France.

Le droit à l’alimentation : condition de l’épanouissement de la citoyenneté 

Il faut commencer par constater l’absence d’application effective d’un droit pourtant reconnu comme fondamental : le droit à l’alimentation. Ce droit, inscrit au niveau international dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 1966, demeure encore largement absent dans de nombreuses régions du monde. La France n’est pas en reste. En analysant les textes de droit international et les lois françaises, Dominique Paturel, chercheuse à l’Institut national de l’agriculture, de l’alimentation et de l’environnement (INRAE) et membre du collectif Démocratie Alimentaire, met en lumière les lacunes de la législation française en matière de sécurité alimentaire

A titre d’exemple, l’article 61 de la loi « EGalim » de 2018, introduit la lutte contre la précarité en visant à « favoriser l’accès à une alimentation favorable à la santé aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale ». Cependant, le texte privilégie l’aide alimentaire, refermant ainsi toute perspective de mise en place d’un véritable système de sécurité sociale. Il précise en effet que cette aide est fournie par « l’Union Européenne, l’État ou des acteurs associatifs », soulignant un rôle majeur des associations. Ce modèle, largement insuffisant, pose deux problèmes majeurs. D’une part, il limite l’élaboration d’un accompagnement durable, laissant aux associations la gestion d’un besoin prioritaire, tandis que l’État se désengage. D’autre part, il réduit l’accès à l’alimentation à un besoin individuel, sans reconnaître l’alimentation comme un droit fondamental qui caractérise le développement de la citoyenneté de l’individu au sein de la société. La loi « EGalim 2 » adoptée en octobre 2021 ne constitue aucunement un changement de philosophie. 

Sous prétexte de lutter contre le gaspillage, la France réduit le droit à l’alimentation à une simple aide alimentaire.

Les textes en vigueur légitiment ainsi une situation hautement problématique : sous prétexte de lutter contre le gaspillage, la France réduit le droit à l’alimentation à une simple aide alimentaire. Ce modèle peut contraindre plusieurs millions de personnes (entre 2 et 4 millions selon les chiffres en vigueur de l’INSEE rapportés par l’Observatoire des inégalités), à bénéficier du « surplus » de l’agrobusiness, issu d’un système productiviste et industriel. En favorisant un modèle de citoyenneté davantage consumériste et passif que véritablement actif, la puissance publique oriente vers une consommation faussement solidaire et démocratique.

Pourtant, l’idée d’un droit à l’alimentation peut être sans crainte comparé à des mobilisations historiques telles que la Révolution de février 1848, qui posa les fondations d’une République démocratique et sociale. Parmi les revendications, celle du « droit au travail » incarnait une réponse au paupérisme, portée depuis les années 1830 par des mouvements socialistes ainsi que la société civile engagée sur la question sociale. À l’époque, il s’agissait d’élargir une citoyenneté politique nouvellement acquise pour intégrer des droits sociaux autour de l’organisation du travail, et donc de l’existence quotidienne des classes populaires. Comme le souligne l’historienne et philosophe Michèle Riot-Sarcey, ce moment historique donna naissance à une volonté citoyenne de reprendre en main son destin : « Le moindre citoyen s’estime alors en droit de s’exprimer, en réunion, dans la rue, au sein des clubs. […] La révolution de février 1848 a su transformer cette coutume en expression de la volonté et donc de la souveraineté du peuple. ». 

Une organisation démocratique de l’économie

La SSA se dessine au sein d’un paradigme écologique nous imposant de repenser le rapport entre l’individu, son environnement et sa liberté de décision. L’enjeu est de favoriser une véritable démocratisation de l’économie, s’appuyant sur des mécanismes de planification participative, où les citoyens sont directement impliqués dans la prise de décision, non plus dans un processus consultatif mais où le dernier mot leur revient. Cette approche contraste nettement avec la démocratie libérale actuelle, qui se limite souvent à une participation à travers le vote, laissant ensuite les décisions quotidiennes aux mains des élus, sans mandat impératif.

Alors que la citoyenneté contemporaine est largement construite autour du statut de consommateur et que le pouvoir de consommation constitue l’inclusion sociale, la démocratie alimentaire vise un dépassement des fonctions discriminantes de l’alimentation en tant que déterminant social. Tanguy Martin, membre d’ISF Agrista, co-auteur avec Sarah Cohen de l’ouvrage La démocratie dans nos assiettes (2024), souligne que la Sécurité sociale de l’alimentation s’appuie sur une analyse structurelle des systèmes de domination, repensant en profondeur les rapports de pouvoir qui façonnent notre système alimentaire : « La démocratie dans son sens premier va fondamentalement à l’encontre de la logique de l’accumulation du capital qui régit aujourd’hui en grande partie les activités humaines et surtout organise l’espace social et matériel à partir de sa logique ».

La SSA n’impose pas, elle cherche à convaincre. Pourtant, ce principe est parfois encore difficile à comprendre dans les sphères militantes au fort capital culturel. Face à l’urgence de la bifurcation écologique, celles-ci sont souvent tentées par l’imposition de mesures strictes. Tanguy Martin abonde dans ce sens, rappelant qu’au départ, la proposition avait surpris certains milieux, où la mise en place de critères spécifiques était perçue comme évidente et urgente. Or, le conventionnement démocratique vise à légitimer socialement des décisions radicales qui pourraient, appliquées autrement, sembler punitives. Pour lui, il s’agit avant tout d’une question de principe que de « pragmatisme », puisqu’il permet d’ancrer ces choix dans une démarche collective et partagée : « tout ce qu’on met en place de manière autoritaire ne fonctionne pas », tout en insistant, « si nous voulons partager des idées fortes, comme celle d’une décroissance de la production et de la consommation d’énergie, nous devons le décider collectivement ».

Cet aspect central de l’organisation démocratique de la Sécurité sociale de l’alimentation est avant tout pédagogique. Elle rappelle l’expérience récente de la Convention Citoyenne pour le Climat qui – bien qu’ayant été en grande partie ignorée par le pouvoir politique – a démontré qu’un groupe de citoyens, non spécialistes, pouvait s’informer de manière rigoureuse, débattre avec des avis divergents, et aboutir à des propositions de politiques macro-économiques sérieuses et radicales. C’est là que réside la profondeur du conventionnement démocratique : il active le citoyen en mobilisant sa capacité à s’auto-éduquer socialement et renforce ainsi son engagement dans la prise de décision.

Le coût élevé de l’alimentation plus saine tend à en faire un réflexe de classe qu’il devient urgent de dépasser.

La démocratie alimentaire doit s’emparer pleinement de cette question de classe, du capital culturel, mais aussi du capital économique, d’autant plus nécessaire face aux limites de l’incitation à consommer bio et local. En effet, le coût élevé de l’alimentation plus saine tend à en faire un réflexe de classe qu’il devient urgent de dépasser. Alors que l’incitation à consommer bio devient contre-productive et suscite des caricatures, illustrant les limites atteintes dans l’espace social, la SSA représente une avancée vers un modèle supérieur. Elle redonne aux citoyens un pouvoir d’agir et la fierté d’accéder à des produits issus de l’agriculture biologique ou de haute qualité, sans que cela dépende d’un privilège économique ou d’une logique de distinction sociale.

Le conventionnement démocratique des acteurs devient ainsi un levier de participation pour une nouvelle planification démocratique de l’économie, orientée vers les impératifs écologiques. Aujourd’hui en France, le secteur de la grande distribution – principal point d’approvisionnement de la population et secteur fort de l’économie du pays – est dominé par quatre grandes enseignes, qui concentrent l’essentiel des ventes selon les données de 2023 : E.Leclerc (23,8 % de part de marché), Carrefour (19,7 %), Les Mousquetaires (16,7 %) et Système U (12 %). Cette concentration n’est pourtant que la partie visible de l’iceberg de l’« agro-industrie », révélant l’emprise croissante des grands groupes sur nos choix alimentaires.

Autre exemple, l’annonce récente du géant Lactalis de réduire de 9 % sa collecte de lait en France d’ici 2030 illustre l’irresponsabilité de ces groupes envers la pérennité des fermes françaises tout comme illustre une stratégie visant à mettre en concurrence les producteurs laitiers à l’échelle mondiale. Cette approche s’oppose frontalement à l’idée d’une prise de décision citoyenne et démocratique sur la localisation de la production. L’organisation démocratique de l’alimentation soulève également la question cruciale de la répartition des terres. Alors que l’agro-industrie accapare les terres, la perspective du conventionnement citoyen doit s’emparer de l’enjeu foncier. 

Reste à concevoir l’institutionnalisation de cette planification démocratique de l’alimentation, visant à stimuler une politisation active des citoyens. Le débat est ouvert : avons-nous déjà les outils nécessaires, qu’il suffirait de réinventer, ou devons-nous créer un nouveau langage, de nouvelles institutions et des espaces inédits pour concrétiser le conventionnement démocratique ? Cette réflexion sur les moyens de donner corps à cette gouvernance citoyenne est déjà engagée à travers plusieurs expérimentations. 

La SSA à Cadenet : une expérimentation en milieu rural

L’initiative est audacieuse, elle sollicite l’imagination politique. Elle revient à « utopier » : c’est-à-dire se situer dans ces interstices entre rêveries et réalité. Comme l’affirme le sociologue Erik Olin Wright, les utopies réelles ne sont faites ni pour l’idéaliste ni pour le réaliste ; elles sont des pratiques concrètes qui ouvrent les possibles d’un futur alternatif.

La carte du site du collectif national pour la Sécurité sociale de l’alimentation permet de visualiser la répartition des initiatives locales à travers le pays : on compte plus d’une vingtaine de projets aux appellations variées. Régulièrement, de nouveaux projets rejoignent le mouvement, comme la « caisse commune de l’alimentation » récemment créée à Brest (Finistère). Les expérimentations s’adaptent aux spécificités locales : même si l’universalité et le financement par cotisation sociale restent aujourd’hui impossibles à mettre en œuvre à cette échelle, ces projets ont le mérite de placer la pratique démocratique au centre de leurs démarches. Sur le terrain, l’implantation locale devient donc un exercice de démocratie en acte qui alimente la théorie. 

Lancée en 2021, l’expérimentation de Cadenet dans le Vaucluse, département parmi les plus défavorisés de la métropole, se distingue d’autres initiatives souvent basées en milieu urbain.

Lancée en 2021, l’expérimentation de Cadenet dans le Vaucluse, département parmi les plus défavorisés de la métropole, se distingue d’autres initiatives souvent basées en milieu urbain. Après une première année de travail et la création d’un « Comité de pilotage » composé de citoyens engagés, les années 2022 et 2023 ont concrétisé la naissance d’une première convention citoyenne locale. La démarche, exigeante, s’organise sur six mois de rencontres hebdomadaires, permettant aux participants de se former par l’échange et de construire une base d’informations commune. Le groupe accueille également des experts pour éclairer chaque étape de la chaîne de production alimentaire.

Éric Gauthier, membre de l’association Au Maquis, qui participe au projet, a été frappé par l’engouement suscité dès le départ : « Ce qui était frappant, c’est la construction des pensées ensemble, tout en cherchant une égalisation des savoirs », observe-t-il. « On s’est interrogés sur notre façon de s’organiser, sur nos objectifs et la manière de les atteindre tout en laissant place à la controverse et la porte ouverte aux retours sur les décisions ».

Carte de l’avenir alimentaire désirable du Collectif Local d’Alimentation de Cadenet. © CLAC

Rapidement, dans des espaces publics mis à disposition ou chez les militants lorsque les salles municipales sont indisponibles, les premières réunions permettent de lancer un travail initial : retracer l’histoire du territoire et élaborer une « carte de l’avenir alimentaire désirable ». Ces moments vont au-delà de l’organisation formelle, ils dépassent la simple expression des voix pour tisser des relations plus profondes. Des liens immatériels se forgent, des amitiés se nouent. Les ateliers se prolongent souvent jusqu’à tard le soir. Au fil des semaines et des mois, les participants ne sont plus de simples voisins. Ils partagent, apprennent à se connaître, à se comprendre, échangent rires et anecdotes. Tout cela va bien au-delà du projet initial. Une association a été créée : le Collectif Local d’Alimentation de Cadenet (CLAC).

La création d’une caisse commune représente une étape cruciale pour le projet, nécessitant plus de dix mois de préparation à Cadenet. Le groupe a dû réfléchir à un modèle de financement pour le lancement, puis à une solution permettant de pérenniser l’initiative. Dans toutes les expérimentations, le financement devient le nerf de la guerre. Les collectifs doivent l’affronter, penser malgré les blocages qu’ils rencontrent. Il faut savoir faire tout en sachant qu’on ne peut pas mettre en place l’idée d’un système de cotisation universelle. Ce sera pour plus tard, en attendant, on plante déjà quelques germes à l’échelon local. 

Dans le cas de Cadenet, un soutien financier de la Fondation de France a permis de constituer cette caisse, l’expérimentation ayant fait le choix collectif de se passer de fonds publics. D’autres initiatives, quant à elles, fonctionnent sur le principe de la mutualisation. La caisse commune de Cadenet a officiellement ouvert en avril 2024, après de longs mois de préparation et des étapes clés. La sélection des habitants bénéficiaires a été pensée de manière démocratique. Les membres du collectif ont informé les villageois, distribué des tracts et participé à des événements locaux comme le salon des associations, pour présenter ce nouvel organe démocratique à l’échelle locale. En investissant les places, les marchés, et en réactivant des méthodes de diffusion de proximité telles que le bouche-à-oreille, ils ont créé un véritable élan communautaire. Une réunion publique a réuni 70 volontaires, dont 33 ont été tirés au sort pour participer. 

Concrètement, les bénéficiaires de l’expérimentation peuvent, chaque mois, se faire rembourser près de 8.000 produits conventionnés, en présentant leurs justificatifs.

Faute de monnaie locale, et confronté aux contraintes de gestion, le collectif a opté pour un système temporaire de remboursement plutôt qu’une distribution directe d’euros avant achat. Concrètement, les habitants bénéficiaires de l’expérimentation peuvent, chaque mois, se faire rembourser près de 8.000 produits conventionnés dans des points de ventes, en se présentant à l’association gérant la caisse munis de leurs justificatifs. Pour permettre l’organisation du système de conventionnement un groupe de travail a été créé pour définir une grille de critères de conventionnement des producteurs et des lieux de ventes. Les critères sont basés sur des notations allant de 1 à 10, ils concernent entre autres le respect des normes environnementales, la taille de l’unité de production, dans la mesure du possible l’indépendance vis-à-vis de l’agro-industrie, mais aussi le bien être au travail des salariés sur les sites de production. 

Preuve de la capacité d’adaptation et de l’enthousiasme qui animent autour du projet, suite à la fermeture inattendue de l’épicerie, principal point de vente des produits conventionnés, un groupe s’est formé en parallèle de l’expérimentation pour racheter les locaux et investir dans un système alimentaire local autonome. Cette initiative illustre une fois de plus le dépassement de l’idée initiale : le lancement d’une démocratie alimentaire suscite un enthousiasme qui dépasse les cadres initiaux du militantisme et vient dessiner une action citoyenne sur des espaces publics et privés autrement investis.

Réunion publique à Cadenet autour de la Sécurité sociale alimentaire. © CLAC

Vers une généralisation trop rapide ?

Si des expérimentations de ce type permettent aux participants de se familiariser avec de nouvelles méthodes de gestion d’un système alimentaire, le saut d’échelle vers une généralisation apparaît plus difficile à réaliser. Le 15 octobre dernier, le député écologiste Charles Fournier a déposé une proposition de loi visant à expérimenter une « sécurité sociale de l’alimentation », soutenue et co-signée par trois parlementaires de chaque groupe du Nouveau Front Populaire. Concrètement, ce texte propose la création et le financement de caisses alimentaires pour une période expérimentale de cinq ans, avec un fonctionnement inspiré de celui des caisses locales de santé qui ont précédé la mise en place de la Sécu. La proposition se fonde sur des expérimentations citoyennes déjà en cours un peu partout en France (Montpellier, Saint-Etienne, Lyon ou le département de la Gironde), tout en soulignant la nécessité d’un soutien financier et humain pour en garantir la pérennité et l’élargissement. Il prend modèle sur l’initiative « Territoire zéro chômeur de longue durée », instaurée en 2016, qui cherche à mettre fin à la privation durable d’emploi à l’échelle d’un territoire, en se basant sur le principe historique du droit au travail et créant des emplois dans des domaines non-pourvus localement.

Les militants s’interrogent : est-il temps de lancer une campagne officielle à grande échelle ou bien faut-il attendre une fenêtre propice pour maximiser les chances de succès ? 

Dans la conjoncture actuelle, les conditions d’adoption d’un tel texte sont quasi inexistantes. Dans un contexte dominé par la pression du capital et des marchés financiers, et face à une Assemblée nationale peu favorable, exposer la SSA pourrait risquer de diluer son impact ou de « griller des cartouches ». Les militants s’interrogent : est-il temps de lancer une campagne officielle à grande échelle, incluant les médias, des actions sur l’espace public ou encore des démarches auprès des organisations politiques ? Ou bien faut-il encore attendre une fenêtre propice avec plus de retours des expériences locales et un poids politique suffisant pour maximiser les chances de succès dans la bataille de la généralisation ? 

L’introduction des débats sur la SSA au Parlement soulève également la question de la composition des organes décisionnaires chargés de superviser l’expérimentation. À ce sujet, l’article 2 propose la création d’un « conseil scientifique et citoyen » pour suivre le projet, dont la « composition [serait] fixée par décret » plutôt que par une participation directe des citoyens. Ce conseil aurait pour mission d’évaluer le dispositif et de remettre « un rapport d’ensemble au Parlement et aux ministres en charge de l’alimentation, de l’agriculture et de la solidarité » avec des recommandations pour l’avenir. Cela pose à nouveau l’incontournable question d’un réel pouvoir citoyen sur les décisions finales, et inversement des autres intérêts pouvant faire pression sur les élus.

On peut aussi se questionner sur la structure de l’association chargée de gérer le fonds national d’expérimentation de la SSA : selon l’article 3 du texte, le conseil d’administration serait également défini par décret en Conseil d’État, avec une liste de catégories de représentants, sans garantir pour autant une participation démocratique citoyenne équilibrée, voire majoritaire. Or, au regard de l’histoire de la Sécurité Sociale, où les luttes d’influence ont souvent opposé des intérêts divergents, il s’agit d’un enjeu majeur.

Ce débat sur la stratégie à adopter se reflète également au sein des organisations militantes œuvrant pour la mise en place de la Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA). Dans les espaces de travail communs, la diversité des cultures politiques engendre parfois des tensions, mais aussi de belles coopérations, avec un déploiement d’efforts sur divers fronts. Un consensus émerge cependant : préserver la SSA comme un projet collectif et non personnalisé, un bien commun que chacun peut défendre à sa manière, selon ses compétences et ses ressources.

Le chemin reste également long pour faire de la Sécurité Sociale de l’Alimentation une priorité des programmes des organisations politiques de gauche. À titre d’exemple, la mesure n’était pas directement présente dans les principaux programmes lors de l’élection présidentielle de 2022, bien que la France insoumise proposait une « expérimentation visant à une garantie universelle d’accès à des aliments choisis » et EELV promettait une « démocratie alimentaire » offrant « une alimentation choisie, de qualité, en quantité suffisante et accessible à toute la population quels que soient ses revenus ». Aucune mention de la SSA en revanche dans le volet « Instaurer la souveraineté alimentaire par l’agriculture écologique et paysanne » du programme de la NUPES ou dans le contrat de législature élaboré en urgence par le Nouveau Front Populaire.

Dans le monde syndical et agricole, le constat est similaire. L’idée de la Sécurité Sociale de l’Alimentation y reste largement méconnue, souligne Clément Coulet, qui a participé en animation tournante au collectif SSA pour le compte des CIVAM et par ailleurs rédacteur au Vent Se Lève. Il faut dire que les principales organisations syndicales – notamment l’alliance FNSEA-Jeunes Agriculteurs et la Coordination Rurale – défendent des politiques agro-industrielles, qu’elles soient orientées vers le libre-échange mondialiste ou vers le nationalisme économique. Le Réseau CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) et le troisième syndicat agricole, la Confédération Paysanne, font toutefois figure d’exception, participant depuis plusieurs années aux réflexions collectives autour de cette initiative.

Philippe Jaunet, paysan bio installé à Yzernay dans le Maine-et-Loire et militant pour « des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement », souligne l’importance d’une démocratisation du monde agricole : « L’objectif est aujourd’hui de redonner un sens à la terre et à la production par l’intervention citoyenne ». Il précise que cette intervention pourrait remettre en question la logique corporatiste du système alimentaire, et notamment celle de la production agricole, encore trop opaque. « Actuellement, les citoyens n’interviennent pas, ce qui permet à certaines organisations de monopoliser les instances de décision concernant les politiques mises en place ». Il prend notamment pour exemple le modèle de subventions de la Politique Agricole Commune (PAC), créée en 1962, aujourd’hui principal poste de dépense de l’Union européenne, dont la France bénéficie à hauteur de 9,5 milliards d’euros. Ce système financé par deux fonds européens – le Fonds européen agricole de garantie, FEAGA) et le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) – redistribue des aides aux agriculteurs sans consultation publique pour informer la population et lui permettre d’intervenir.

L’échelon européen pose problème pour la mise en place d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation : les États membres sont dépossédés par l’UE en matière de politique agricole, qui organise une concurrence interne au marché européen et externe, via les traités de libre-échange.

L’échelon européen pose enfin un autre problème pour la mise en place d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation : les États membres sont dépossédés par l’Union européenne en matière de politique agricole, qui organise une mise en concurrence interne au marché européen et externe, via les traités de libre-échange. Mettre en œuvre la SSA impliquera d’une manière ou d’une autre une remise en cause de ce modèle de concurrence tous azimuts, et donc un lien avec les mouvements européens et internationaux pour une agriculture plus juste.

La SSA ne se limite donc pas à une solution conjoncturelle face aux crises actuelles, elle s’inscrit dans un héritage social et démocratique, éveillant une citoyenneté active et collective autour de la terre et de l’assiette. En ce sens, elle incarne la résistance à un système en bout de course et l’image d’un souffle transformateur qui se lève. Que ce soit la poursuite d’un « déjà-là » communiste ou l’émergence d’une société éco-socialiste, la Sécurité sociale de l’Alimentation appartient au futur. Une alternative qu’il reste largement à bâtir. En somme, cela revient à choisir entre être collectivement libres jusqu’au fond de l’assiette ou ne pas l’être dans le dogme de la consommation passive. 

Conférence : Prenons le pouvoir sur nos retraites (Bernard Friot, Michaël Zemmour, Sylvie Durand)

Bernard Friot, professeur émérite à l’université Paris X Nanterre et à l’origine de l’association Réseau Salariat, publie un nouveau livre : Prenons le pouvoir sur nos retraites (la Dispute, paru le 10 février), qu’il nous présentait ici en avant-première. Il s’agit d’un plaidoyer pour les retraites, synonyme pour lui de la « libre activité ». L’auteur s’attaque à deux questions brûlantes qu’est-ce qui explique l’obstination des classes dominantes à mener depuis des décennies des contre-réformes sur les retraites malgré leur si forte impopularité ? Et pourquoi les mobilisations contre ces réformes ont-elles presque toujours échoué ? Il explique et met en débat une série de propositions politiques pour sortir de la défaite, prendre le pouvoir sur nos retraites et en faire un levier pour libérer le travail. Il a débattu avec la syndicaliste Sylvie Durand et l’économiste Michaël Zemmour. Cette conférence a été co-organisée par la maison d’édition La dispute, la librairie Libertalia et Le Vent Se Lève.

Faut-il défendre le revenu universel ?

https://fr.wikipedia.org/wiki/Revenu_de_base#/media/File:Basic_Income_Performance_in_Bern,_Oct_2013.jpg
Manifestation en faveur du revenu universel à Berne en 2013 dans le cadre d’une campagne de votation nationale en Suisse. © Stefan Bohrer / Wikimedia

Parmi les nombreux débats agitant les formations politiques, celui sur le revenu universel est devenu incontournable ces dernières années, alors même que son caractère utopiste n’a cessé d’être mis en avant comme motif de rejet. L’idée a cependant fait son nid au sein de programmes politiques de droite et de gauche un peu partout dans le monde, alors que se multiplient les études à petite échelle organisées par les gouvernements en lien avec des think-tanks, des économistes et des scientifiques de toutes sortes. Ce regain d’intérêt pour une idée vieille de plusieurs siècles ne se comprend qu’au regard des défis socio-économiques titanesques que connaissent les pays dits développés depuis la crise de 2008 : accroissement constant des inégalités, développement du temps partiel, de l’intérim, des stages et de l’auto-entrepreneuriat, inquiétudes liées à la robotisation…


 

Popularisé en France par la campagne présidentielle de Benoît Hamon, le revenu universel prétend répondre à ces grandes questions tout en simplifiant le fonctionnement bureaucratique de la protection sociale. Il s’agit par exemple de remplacer le minimum vieillesse (débutant aujourd’hui à 634,66€ par mois), le RSA socle (545,48€ par mois sans enfant ni aide au logement), les bourses étudiantes, ou encore les allocations familiales – au travers du versement du revenu universel des enfants à leur parents jusqu’à l’atteinte de la majorité – par un revenu unique versé à tous les citoyens. Par ailleurs, le revenu universel supprimerait la nécessité d’une surveillance permanente, intrusive et coûteuse des bénéficiaires du RSA afin de vérifier qu’ils ne vivent pas en concubinage ou qu’ils ne disposent pas de revenu non déclaré.

« La question du montant précis du revenu universel et des aides sociales supprimées en contrepartie est cruciale pour évaluer l’objectif réel les propositions politiques autour de cette question : s’agit-il de faire des économies dans le budget de la protection sociale et de forcer davantage d’individus à accepter des « bullshit jobs » ou de mieux répartir la richesse produite en offrant à chacun les moyens de mener une vie décente ? »

La transversalité du revenu universel l’a conduit à être récupéré par certains partisans du néolibéralisme, qui y voient une proposition populaire capable de simplifier la bureaucratie étatique et de protéger certaines libertés individuelles, tout en faisant des économies sur les aides sociales versées aux plus démunis, à rebours de la logique émancipatrice qui domine les propositions de revenu universel issues des mouvements critiques du capitalisme. En effet, la question du montant précis du revenu universel et des aides sociales supprimées en contrepartie est cruciale si l’on souhaite évaluer l’objectif réel des propositions politiques autour de cette question : s’agit-il avant tout de faire des économies dans le budget de la protection sociale et de forcer davantage d’individus à accepter des « bullshit jobs » ou de mieux répartir la richesse produite en offrant à chacun des moyens suffisants pour mener une vie décente ? Évidemment, toute question de revenu étant aussi une question fiscale, le revenu universel nous invite à nous interroger sur le fonctionnement et la justice du système d’imposition contemporain : au vu des inégalités actuelles et du fait que même les plus fortunés devraient recevoir un revenu universel, la combinaison de ce dernier avec un système fiscal progressif – ce qui passe par un nombre de tranches de revenu plus importantes – et une lutte acharnée contre l’évasion et l’optimisation fiscale apparaît comme une condition sine qua non du véritable succès du revenu universel.

Sur le papier, un revenu universel d’un montant conséquent constituerait donc bien une véritable révolution du système étatique de redistribution. Il s’agirait ni plus ni moins que du premier pas vers une société libérée de la nécessité de travailler pour survivre, qui garantirait à chacun les moyens de base de son existence via cette source de revenu constante, tout en permettant aux individus de la cumuler avec d’autres et de gérer leur vie de manière plus libre. Quiconque souhaiterait refuser un emploi à temps plein pour se consacrer à d’autres activités ou menant une vie instable entre inactivité, bénévolat, stage ou auto-entrepreneuriat bénéficierait alors d’un filet de sécurité sans nécessité de passer par de longues démarches administratives. Les avantages théoriques du revenu universel par rapport au système actuel de protection sociale semblent donc être légion, si tant est qu’il soit d’un montant décent et ne renforce pas la trajectoire toujours plus inégalitaire de la distribution des ressources. Cependant, de considérables questions restent sans réponses précises, en particulier celle du financement, et invitent à relativiser l’intérêt réel du revenu universel dans la conduite d’une politique anti-libérale.

 

Où trouver le financement ?

Alors que le revenu universel se répand dans les programmes politiques et les études académiques, la question de son financement est encore largement sans réponse : si pratiquement tout le monde s’entend pour que les montants économisés dans la gestion d’un ensemble complexe de prestations sociales et que ceux des aides de base remplacées par le revenu de base y soient dédiés, tout le reste demeure en débat. L’amateurisme de Benoît Hamon sur les détails concrets de la mesure-phare de sa campagne présidentielle démontre la difficulté à trouver un schéma de financement complet pour un revenu véritablement universel d’un montant conséquent. La lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscale, tout comme la suppression de certaines niches fiscales se retrouve dans beaucoup de discours, mais à des degrés très variables de détermination et de sérieux suivant les hommes politiques. Une taxe Tobin sur les transactions financières ou la très floue “taxe sur les robots” du candidat PS permettraient peut-être de récolter quelques milliards d’euros mais les comptes n’y sont toujours pas. A titre d’exemple, selon un article de La Tribune, le “revenu universel d’existence” de Benoît Hamon aurait coûté environ 550 milliards d’euros, dont 100 milliards étaient financés ; le reste, correspondant à environ 20 points de PIB, restait à trouver. Que l’on considère l’utopie comme une bonne chose ou non, cette différence hallucinante entre les dépenses et les recettes prévues témoigne en réalité d’une quasi-impossibilité de réunir tant de financements sans couper dans les dépenses sociales de manière draconienne.

En effet, l’utilité réelle du revenu de base dans la lutte contre la pauvreté n’apparaît qu’à partir de montants suffisamment conséquents pour permettre de refuser un mauvais emploi procurant un complément de revenu. En dessous de tels montants – que l’on très schématiquement établir, pour la France, entre le seuil de pauvreté et le SMIC, c’est-à-dire entre 846 euros (lorsque évalué à 50% du revenu médian par simple convention comptable) et 1173 euros net mensuels – la nécessité d’un salaire, même plus faible qu’auparavant, pour survivre, demeure. Dans ces conditions, le revenu universel pourrait éventuellement réduire légèrement la pauvreté mais l’existence d’une “armée de réserve” de bras forcés de vendre leur force de travail contre rémunération n’est pas remise en cause. Or, tant qu’il y aura davantage de demande d’emploi que d’offre, les employeurs seront en position de force par rapport au salarié, et pourraient même forcer ces derniers à accepter des diminutions de leur rémunération au nom de la compétitivité puisque qu’elles seraient désormais compensées par le revenu universel…

Les estimations du think-tank britannique Compass disqualifient catégoriquement les propositions de revenu universel basées sur des montants faibles ou moyens : dans le cas d’un revenu de base mensuel de 292 livres (environ 330 euros) financé uniquement par la suppression de services sociaux sur conditions de revenu, la pauvreté infantile augmenterait de 10%, celle des retraités de 4% et celle de la population active, de 3%. Voilà pour les versions les plus libérales de revenu universel, démembrant l’État-providence pour offrir une  petite part du gâteau à tous au nom de la “flexi-sécurité” ou de quelque autre mensonge néolibéral. La mise en place d’un revenu universel d’un montant similaire (284 livres par mois – environ 320 euros) sans suppression de prestations sociales est évaluée, quant à elle, à 170 milliards de livres (192 milliards d’euros, 6.5% du PIB britannique environ), alors même que le revenu universel des mineurs serait plus faible et que le revenu de base serait comptabilisé dans les impôts ! Le rapport de la Fondation Jean-Jaurès, think-tank adossé au PS, est encore plus angoissant : trois hypothèses sont étudiées (500, 750 et 1000 euros par mois par personne) et le financement d’un revenu universel n’est atteint qu’au prix du démantèlement total de l’État-providence (démantèlement de l’assurance maladie et assurance chômage dans le premier cas, auxquelles s’ajoute les retraites dans le second cas et des prélèvements supplémentaires dans le dernier cas) !

Au terme de cette brève analyse comptable, deux éléments apparaissent indiscutables:

  • à moins de n’être d’un montant élevé, un revenu de base ne parviendra ni à réduire significativement la pauvreté, ni à assurer une plus grande liberté aux travailleurs pauvres et un rapport de force plus équilibré entre offreurs et demandeurs d’emploi ;
  • un revenu universel élevé ne peut être financé que par la destruction complète de notre État-providence ou par des niveaux de prélèvements astronomiquement hauts, que même le gouvernement anti-capitaliste le plus déterminé aurait peu de chances à faire accepter au pouvoir économique.

« Le revenu universel, entendu dans son sens émancipateur et en complément des prestations existantes, est donc bien encore une utopie que les adversaires du néolibéralisme doivent crédibiliser en proposant des solutions de financements réalistes et concrètes si elle entend le défendre. Faute de quoi, les approximations comptables et les bricolages budgétaires seront autant d’atouts pour les partisans du système économique dominant, qui permettront de décrédibiliser leurs adversaires. »

Dans un document synthétique sur le revenu universel et sa faisabilité, Luke Martinelli, chercheur à l’université de Bath, parvient ainsi à la conclusion suivante : “an affordable UBI is inadequate, and an adequate UBI is unaffordable” (un Revenu Universel de Base abordable est insuffisant, un RUB suffisant est inabordable). Le revenu universel, entendu dans son sens émancipateur et en complément des prestations existantes, est donc bien encore une utopie que les adversaires du néolibéralisme doivent crédibiliser en proposant des solutions de financements réalistes et concrètes si elle entend le défendre. Faute de quoi, les approximations comptables et les bricolages budgétaires seront autant d’atouts pour les partisans du système économique dominant, qui permettront de décrédibiliser leurs adversaires. N’importe qui connaissant vaguement les rapports de force actuels, en France comme à l’échelle mondiale, entre patronat et salariat ou entre riches et pauvres, comprendra aisément que le revenu universel est sans doute une proposition trop irréaliste et trop risquée à porter, tant il est loin d’être certain qu’elle puisse devenir hégémonique sans être récupérée par les néolibéraux. Soutenir des combats très concrets comme la hausse du SMIC, la fin du travail détaché ou encore l’accession au statut de fonctionnaires des prestataires de l’État semble être à la fois plus simple et plus sûr ; non pas en raison du caractère utopiste du revenu universel, mais en raison du manque de lisibilité de cette proposition.

 

Combien d’espoirs déçus ?

Admettons tout de même qu’il soit possible de financer un revenu de base conséquent sans couper dans les dépenses sociales. Quelles conséquences concrètes sur le travail et sur la société en général est-on capable d’envisager dans le monde d’aujourd’hui?

Indéniablement, le revenu universel offrirait un certain niveau de protection aux chômeurs, aujourd’hui criminalisés par les médias dominants et forcés de se soumettre à un contrôle des plus autoritaires et dégradants pour la dignité humaine. Cependant, il ne leur procurerait pas nécessairement un emploi. Or, nombre de chômeurs veulent travailler, non pas uniquement pour avoir un salaire ou à cause de la pression psychologique de la culpabilisation permanente de “l’assistanat”, mais parce qu’un emploi permet aussi de développer de nouvelles compétences, de faire des rencontres et de participer au bon fonctionnement et à l’amélioration de la société. Dans un contexte de division très avancée du travail, affirmer que le travail permet à chacun de trouver une place qui lui correspond dans la communauté ne relève pas du discours libéral forçant chacun à accepter un emploi au risque d’être exclu, mais bien de l’idéal de coopération et de solidarité humaine qui est censé être le propre des mouvements critiques du libéralisme.

Sans même évoquer la virulence assurément décuplée des critiques d’un “assistanat” généralisé en cas de mise en place d’un revenu universel qui permettrait à beaucoup de se mettre en retrait de l’emploi, les conséquences sur la solidarité de classe risquent également d’être bien moins positives qu’espérées. En facilitant les démissions de ceux qui ne trouvant pas suffisamment de valeur – en terme monétaire, mais aussi de satisfaction psychologique – à leur travail, un revenu universel d’un niveau décent offrirait certes davantage de liberté individuelle, mais cette conquête risque de se faire au détriment de la solidarité entre collègues, employés de la même branche ou même du salariat au sens large. En effet, combien seront ceux prêts à se mobiliser pour exiger de meilleurs conditions de travail ou de meilleures rémunérations quand il est beaucoup plus simple de démissionner? Comment espérer l’émergence d’une conscience de classe à grande échelle lorsqu’il sera si simple de pointer du doigt ceux ayant renoncé à l’emploi afin de diviser une population ayant pourtant tant de demandes communes? Au vu de la redoutable efficacité de la stratégie du “diviser pour mieux régner” ces dernières décennies, il s’agit là d’une perspective des plus terrifiantes.

« Les soutiens du revenu universel considèrent qu’une division du travail parfaite, c’est-à-dire dans laquelle les “bullshit jobs” auraient disparus et où le travail serait enfin épanouissant pour tous, peut être atteinte à court terme grâce à l’agrégation des désirs des individus enfin libérés de la contrainte du travail. En bref, chacun pourrait utiliser son temps et son énergie à ce qui lui plaît, et rien d’autre. C’est pourtant là oublier une leçon essentielle de la pensée keynésienne : le marché du travail n’existe pas. »

En réalité, c’est bien la promesse centrale du revenu universel – résoudre la division de l’emploi, entre les jobs qui procurent de la satisfaction et du bonheur et la majorité qui n’en procurent aucune – qu’il nous faut questionner. Les soutiens du revenu universel considèrent qu’une division du travail parfaite, c’est-à-dire dans laquelle les “bullshit jobs auraient disparus et où le travail serait enfin épanouissant pour tous, peut être atteinte à court terme grâce à l’agrégation des désirs des individus enfin libérés de la contrainte du travail. En bref, chacun pourrait utiliser son temps et son énergie à ce qui lui plaît, et rien d’autre. C’est pourtant là oublier une leçon essentielle de la pensée keynésienne : le marché du travail n’existe pas. En raison des différences de qualification et d’expérience des individus, la flexibilité du facteur travail est très faible, puisqu’il est nécessaire de se reformer ou de reprendre des études avant d’accéder à un nouveau poste. Cela est d’autant plus vrai avec la segmentation du travail très poussée et les durées d’études de plus en plus longues qui caractérisent le monde contemporain. En outre, la reproduction sociale s’exerçant au sein du système éducatif “méritocratique”, qui conduit souvent les plus défavorisés à revoir leurs ambitions à la baisse, constitue un frein supplémentaire d’une puissance considérable.

Enfin, le revenu universel se veut une solution à la disparition annoncée du travail, menacé d’extinction par les progrès fulgurants de la robotisation et de l’intelligence artificielle. Outre le caractère très contestable des études faisant de telles prédictions, le nombre de besoins non assurés en termes de services sociaux, la nécessité du développement des pays du Sud ainsi que la transition écologique rendent le travail plus nécessaire que jamais pour améliorer collectivement la société. Ajoutons également que les raisons premières des pertes d’emplois des dernières décennies, les délocalisations et les compressions de masse salariale pour effectuer le même volume de travail, résultent directement à l’obligation de fournir une rente croissante aux actionnaires au travers des dividendes. Ainsi, plus que la fin du travail, il nous faut peut-être davantage craindre que des emplois mal considérés et mal rémunérés difficilement automatisables ou délocalisables soient abandonnés en raison du revenu universel. Que se passera-t-il demain si la moitié des éboueurs et des agents d’entretien décide de démissionner ? Ferons-nous effectuer ces tâches immensément nécessaires à des immigrés illégaux de manière non déclarée ? A des travailleurs détachés n’ayant pas la chance d’avoir un revenu universel en place dans leur pays d’origine ? Il semble ici que l’amélioration des conditions de travail, des rémunérations et de la reconnaissance de l’utilité sociale de bon nombre d’emplois laborieux soit la seule solution viable, en attendant de pouvoir les automatiser.

 

Mieux que le revenu universel ? La garantie universelle à l’emploi

Affiche de 1935 promouvant le Civilian Conservation Corps.

Deux conclusions s’imposent donc :

  • la seule forme de revenu universel qui puisse avoir les effets recherchés par les adversaires du néolibéralisme est si coûteuse que pratiquement impossible à financer ;
  • le revenu universel, à lui seul, ne suffira pas à répartir le travail plus équitablement, entre chômeurs et victimes du burn-out, et à permettre à chacun d’occuper l’activité de son choix.

Cela revient-il à dire qu’il n’existe pas de proposition révolutionnaire crédible permettant à la fois de procurer épanouissement et sécurité financière ? Pas sûr… Une proposition concurrente, quoique différente, au revenu universel cherche à concilier ces objectifs et se révèle plus simple à mettre en œuvre et à financer : la garantie universelle à l’emploi. De quoi s’agit-il ? L’idée, que l’on peut rapprocher de la proposition de salaire à vie de Bernard Friot est simple : l’État propose à tous ceux qui le souhaitent un emploi, rémunéré au salaire minimum, en fonction de leur qualification et des besoins sélectionnés par des objectifs nationaux et les nécessités locales.

L’idée est moins utopique qu’il n’y paraît : à certains égards, les contrats aidés et le service civique constituent déjà deux embryons de garantie universelle à l’emploi. Il s’agit cependant de versions low-cost de celle-ci, puisque bien moins rémunérés – entre 580,55 euros et 688,21 euros par mois pour le service civique – et soumises à condition et avec un plafond du nombre de bénéficiaires potentiels. Le seul exemple de grande échelle, couronné de réussite et arrêté en 1942 en raison de l’entrée en guerre des États-Unis, est celui du Civilian Conservation Corps, centré autour de la protection de l’environnement, mis en place par l’administration de Franklin Delano Roosevelt pour lutter contre le chômage de masse à la suite de la crise de 1929. Il employa 3 millions de personnes entre 1933 et 1942 et permit de planter 3,5 milliards d’arbres, de créer plus de 700 nouveaux parcs naturels ou encore de bâtir quelques 40000 ponts et 4500 cabanes et refuges simples pour les visiteurs à la recherche de la beauté de la nature. Au vu des besoins actuels de préservation de l’environnement, la renaissance d’un tel programme constituerait sans doute un projet politique profondément positif susceptible de plaire à des fractions très différentes de la population. Un des conseillers du président Roosevelt dira d’ailleurs que le programme était devenu “trop populaire pour pouvoir être critiqué”. Non seulement, de tels programmes sont bénéfiques, mais ils le sont sans aucun doute plus que le revenu universel, et ce pour plusieurs raisons majeures.

Tout d’abord, la garantie universelle à l’emploi serait bien moins coûteuse que le revenu universel, puisqu’elle ne concernerait que les chômeurs le désirant et remplacerait pour ceux-ci les allocations chômage. La différence restante serait bien plus simple à trouver que les montants faramineux nécessaires à un revenu universel, même de niveau moyen, et constituerait un bien meilleur investissement que les milliards du CICE, très loin d’avoir créé le million d’emplois promis par le MEDEF étant donné la fuite vers les revenus du capital de la majorité de l’argent investi. En France, employer tous les chômeurs au SMIC coûterait environ 80 milliards d’euros par an, un montant comparable à l’évasion fiscale et qui ne tient pas compte des économies réalisée par l’assurance chômage et les programmes d’économie de l’offre aux effets ridicules sur l’emploi. S’il l’on tient compte des effets d’entraînement de l’économie au travers du multiplicateur keynésien, on peut même espérer une hausse des recettes fiscales importante et rapide!

« L’avantage idéologique est triple : ce programme d’intérêt général, à la fois pour les chômeurs et la société dans son ensemble, ne pourrait être taxé “d’assistanat”, ne comporte aucune forme de discrimination à l’embauche puisque ouvert à tous, et permettrait de réduire significativement “l’armée de réserve” utilisée par les employeurs comme chantage à l’emploi pour restreindre les revendications des travailleurs. »

Ensuite, contrairement au revenu universel, elle permet à tous d’avoir un emploi, prenant ainsi en compte la volonté première de la plupart de ceux qui en sont privés, tout en leur offrant une opportunité de gagner en qualification et en expérience. Une garantie universelle à l’emploi répondrait également aux nombreux besoins de main-d’œuvre de la collectivité pour mener des projets d’intérêt général tels que la rénovation thermique, l’aide aux élèves, ou les travaux publics, comme évoqué précédemment. Enfin, l’avantage idéologique est triple : ce programme d’intérêt général, à la fois pour les chômeurs et la société dans son ensemble, ne pourrait être taxé “d’assistanat”, ne comporte aucune forme de discrimination à l’embauche puisque ouvert à tous, et permettrait de réduire significativement “l’armée de réserve” utilisée par les employeurs comme chantage à l’emploi pour restreindre les revendications des travailleurs. En permettant d’atteindre le plein-emploi et en éliminant la peur du chômage, la garantie universelle à l’emploi constitue un encouragement à la mobilisation sociale pour un futur meilleur comme le revenu universel ne pourra jamais en fournir.

Au niveau macroéconomique, l’unique critique majeure de la garantie universelle à l’emploi concerne ses conséquences inflationnistes. En effet, en relançant l’activité économique significativement – et si une partie de son financement provient de l’expansion monétaire – la garantie universelle à l’emploi risque de créer de l’inflation. On objectera tout d’abord qu’une hausse de cette dernière ne fera pas de mal, au contraire, alors qu’elle est particulièrement faible depuis plusieurs années, en particulier en Europe, et qu’elle permet artificiellement de réduire la valeur réelle des dettes contractées par le passé, un des problèmes les plus importants des économies contemporaines. Et si l’inflation générée était pourtant trop importante? C’est l’opinion des économistes mainstream se référant à la courbe de Phillips et à la règle de Taylor – qui stipulent toutes deux qu’il existe un relation inversée entre le niveau de chômage et celui de l’inflation (quand le chômage baisse, l’inflation augmente et vice-versa) – et qui voient en la garantie universelle à l’emploi une source d’inflation hors de contrôle, puisque le chômage, variable d’ajustement pour atteindre des objectifs d’inflation, aurait peu ou prou disparu. Comme l’explique Romaric Godin sur Mediapart, les économistes de la Modern Monetary Theory (MMT), principaux théoriciens de la garantie universelle à l’emploi, estiment au contraire que l’ajustement de l’inflation se ferait désormais au niveau des transferts de main-d’œuvre entre jobs garantis par l’État payés au salaire minimum et emplois dans le secteur privé, au salaires variables mais plus élevés en moyenne. Lorsque le secteur privé a besoin de davantage de main-d’œuvre, le nombre d’emplois garantis se réduit mécaniquement puisque beaucoup de travailleurs choisiront un emploi rémunéré davantage que le salaire minimum, ce qui crée de l’inflation, et vice-versa. Le mécanisme d’ajustement existerait toujours, il ne serait simplement plus basé sur le chômage mais sur le stock d’emplois garantis, qui fournissent au passage nombre de qualifications supplémentaires utiles au secteur privé par la suite, contrairement au chômage qui déprécie la valeur de l’expérience acquise au fur et à mesure que sa durée s’allonge.

La garantie universelle à l’emploi présente par ailleurs un dernier effet intéressant à l’échelle macroéconomique : elle joue un rôle de stabilisateur de l’économie bien plus efficace que les politiques keynésiennes traditionnelles – qui prennent un certain temps à être mises en place – sans même parler des ahurissantes politiques de l’offre pro-cycliques appliquées actuellement. En effet, la garantie universelle à l’emploi permet d’absorber la main-d’œuvre congédiée par le secteur privé dans un contexte économique moins favorable et freine la croissance de mauvaise qualité reposant sur des emplois précaires mal payés en procurant une alternative simple. Le revenu universel ne peut en dire autant.

Les raisons pour soutenir une garantie universelle à l’emploi plutôt que le revenu universel ne manquent donc pas. Les adversaires du néolibéralisme risquent de se casser les dents éternellement sur le problème du financement d’un revenu universel souhaitable, c’est-à-dire d’un niveau au-dessus du seuil de pauvreté et sans coupes dans l’État-providence, ce qui ne peut résulter qu’en perte de crédibilité. Le procès en utopie est sans doute ridicule, mais encore faut-il un minimum de sérieux dans nos propositions si l’on ne veut ajouter de l’eau au moulin. La garantie universelle à l’emploi est, elle, crédible et relativement simple à mettre en oeuvre une fois les besoins fixés, le mécanisme d’affectation établi et les financements récupérés. Ses conséquences sur le rapport de force social entre patrons et salariés, la satisfaction personnelle et l’utilité générale à la société sont infiniment plus positives que celles du revenu universel. On comprendra dès lors pourquoi le revenu universel est soutenu par des personnages comme Mark Zuckerberg ou Hillary Clinton et non la garantie universelle à l’emploi.

Coopératives : ils ont dit non merci patron

Non merci patron ! Ils sont salariés, indépendants ou agriculteurs et ils ont décidé de se regrouper en coopérative. Le plus souvent suite à un conflit ouvert avec leurs employeurs, acheteurs ou fournisseurs notamment de plateformes prétendument collaboratives à la Uber et cie : fermetures de sites et licenciements, politique de prix tyrannique, conditions de travail déplorables, etc. En devenant copropriétaires de l’outil de travail, ils deviennent pleinement souverains dans l’entreprise. Quoi produire ? Comment ? C’est désormais à eux qu’il revient d’en décider. Un vrai processus d’émancipation et beaucoup d’obstacles. Plongée dans le monde des coopérateurs. 

 

La coopérative comme alternative aux licenciements boursiers

 

Des ouvriers de Scop TI devant la figure du Che au-dessus duquel la phrase « on ne lâche rien » domine discrètement, immortalisés par Vincent LUCAS pour Là-bas si j’y suis en 2015

1336 n’est pas une marque de thé comme les autres. Et son nom en dit long : 1336, c’est le nombre de jours qu’a duré la mobilisation des salariés de Fralib contre la fermeture de leur usine à Géménos (Bouches-du-Rhône) décidée par la multinationale Unilever, alors propriétaire de Fralib. Presque 4 ans de bras de fer avec la direction, d’actions devant les tribunaux, d’occupations d’usine, d’interpellations des pouvoirs publics pour empêcher que la multinationale britannique ne ferme le site pourtant en bonne santé pour délocaliser la production de la marque Elephant en Pologne. Les ex-Fralib obtiennent finalement de pouvoir reprendre leur usine en SCOP : c’est la naissance de Scop-TI en 2014. En devenant les copropriétaires des moyens de production, les ouvriers ont gagné la souveraineté sur la production : c’est ainsi qu’ils ont pris la décision –  collectivement et démocratiquement soit dit en passant – de produire des thés et infusions natures ou avec des arômes 100% naturels. L’histoire des ouvriers de la glacerie « La Belle Aude » à Carcassonne, est à peu près similaire. La fermeture de la fabrique de glaces annoncée, les ouvriers entrent en lutte pour sauver leur outil de production et finiront par reprendre l’entreprise en SCOP. Les ouvriers, désormais copropriétaires de leur outil de travail, ont ainsi pu « réinventer leur métier » c’est-à-dire « faire des glaces autrement avec des produits simples, naturels, issus de productions locales, responsables. » « Vive la lutte des glaces ! » peut-on lire sur leur site.

 

Petits producteurs et « consommateurs » en lutte contre la grande distribution et l’agro-business

 

Le modèle coopératif convainc également de petits producteurs et certains « consommateurs » finaux. Au pays basque, dans la vallée des Aldudes, une centaine de producteurs de lait de brebis et de vache, excédés par les prix pratiqués par les grands groupes industriels du lait auxquels ils vendaient leur production, se sont regroupés en coopérative et ont par la suite décidé de créer leur propre fromagerie artisanale. A Colmar, ce sont aussi 35 agriculteurs qui se sont constitués en SCOP pour racheter un supermarché de l’enseigne Lidl. Le supermarché Cœur Paysan a ainsi vu le jour, permettant aux agriculteurs coopérateurs de vendre directement leurs produits aux consommateurs finaux. Plusieurs supermarchés coopératifs d’un genre nouveau ont également ouvert ces derniers temps comme La Cagette qui a été inaugurée le 6 septembre dernier à Montpellier. La Cagette, d’abord constituée en association, s’est par la suite transformée en entreprise coopérative afin de reprendre un Spar en liquidation judiciaire.  Pour pouvoir y faire ses emplettes, il faut être membre de la coopérative en achetant 10 parts sociales à 10 euros et participer à une réunion d’accueil. Toutes les décisions sont prises collectivement par les coopérateurs selon le principe « une personne, une voix » et ce, quel que soit le nombre de parts sociales. Au total, on compte une vingtaine de supermarchés coopératifs de ce genre comme La Louve à Paris ouvert en novembre 2016,  SuperQuinquin à Lille, Demain à Lyon, La Chouette à Toulouse ou Supercoop à Bordeaux. La différence avec des coopératives de consommateurs plus connues comme Système U ou Biocoop ? « La Louve » et ses émules ne sont pas des entreprises à but lucratif.

Façade du supermarché coopératif La Cagette, à Montpellier. ©Benjamin Polge pour LVSL

Et si le « produire et consommer autrement », formule creuse et typique de la langue de bois de notre époque, passait tout simplement par le dépassement de la propriété lucrative des moyens de production et d’échange ? Le socialisme en somme. Dépasser le capitalisme plutôt que de tenter vainement de le réformer, de le moraliser ou de le « verdir ». Le « développement durable », nouveau nom sympathique donné au capitalisme, n’est-il pas au fond une chimère ? Aussi, les combats contre le « court-termisme », la course à la rentabilité, la standardisation du goût, la tyrannie des prix, le chômage ou le tout-chimique sont embrassés par la lutte fondamentale contre le mode de production capitaliste qui engendre de tels phénomènes.  En y regardant de plus près, c’est bien le point de départ et d’arrivée de ces expériences de coopératives.

 

Face à l’ubérisation, les travailleurs indépendants s’organisent

 

L’exploitation capitaliste a plusieurs visages : ce n’est pas seulement la multinationale, donneuse d’ordres de sous-traitants qui exploitent toujours davantage les salariés en bout de chaîne. Ainsi, pour le sociologue et économiste Bernard Friot, le travailleur indépendant est le plus exploité des travailleurs. Parce que, sur le marché des biens et des services, il est toujours à la merci des groupes capitalistes, qu’il s’agisse de ses prêteurs, de ses fournisseurs (de plateformes prétendument collaboratives notamment) ou de ses acheteurs.  Pour le spécialiste du salariat, le contrat de travail doit être considéré comme une grande conquête des travailleurs organisés (CGT, SFIO puis PCF) des XIXème et XXème siècles puisqu’il reconnaît enfin les travailleurs comme producteurs alors qu’ils étaient jusqu’ici invisibilisés et considérés comme des « mineurs économiques », de simples êtres de besoin, et parce que les capitalistes donneurs d’ordre se sont vus imposer le statut d’employeur.

Un statut d’employeur que ces derniers ont toujours combattu, lui préférant le statut éminemment plus confortable de rentier. D’où la destruction du code du travail par « réformes » successives et l’ubérisation qui se propage dans tous les secteurs. Concrètement, « le statut d’employeur signifie que le capitaliste va devoir respecter un certain nombre droits construits par les travailleurs eux-mêmes. 3 types de droits : règles d’embauche, de licenciements et de conditions de travail, salaire à la qualification, cotisation au régime général construit par Croisat en 1946 ». Et le professeur émérite de Paris X – Nanterre d’ajouter : « ces trois éléments de l’emploi sont combattus en permanence par le capital qui tente de restaurer le travail indépendant et la sous-traitance de travailleurs redevenus invisibles [ndlr, le marchandage du 19ème siècle] : remplacement du code du travail par le « dialogue social » dans les PME […]. » L’ubérisation s’inscrit bien dans ce grand retour en arrière : Uber n’a rien de nouveau, « c’est le capitalisme tel qu’il existe au 19ème siècle : surtout pas employeur, rentier ».

Certes, l’emploi ne peut en aucun cas être considéré comme l’aboutissement de la lutte pour le travail émancipé : « le contrat de travail commence à alléger la subordination tout en la maintenant. »  C’est donc bien vers une sortie de l’emploi qu’il conviendrait de s’acheminer mais l’« ubérisation », l’une des formes de l’infra-emploi, est en quelque sorte une sortie de l’emploi « par le bas », réactionnaire, un retour aux relations sociales d’avant les luttes pour un statut du travailleur. Certains travailleurs « ubérisés » en lutte contre ces rentiers 2.0 qui les exploitent sont en train de construire la « sortie par le haut » de l’emploi en mettant en place des plateformes cette fois-ci réellement coopératives. Ce sont par exemple Coopcycle et les Coursiers Bordelais qui, dans le sillage de la lutte des livreurs contre Deliveroo, lancent des plateformes pour les livreurs sous la forme de coopératives.  En janvier, sera lancée l’application Rox, une plateforme pour chauffeurs VTC qui ne prélèvera aucune commission autre que les frais nécessaires au bon fonctionnement de l’application et un don reversé à des associations tels que les Restaurants du cœur. « Rox sera constituée en association à but lucratif mais plus tard, les travailleurs pourront s’organiser indépendamment pour monter une coopérative autour d’un outil de travail neutre. » nous a expliqué l’un des 5 concepteurs de Rox âgés de 26 à 32 ans. On peut également citer Coopaname comptant 850 membres et presque autant de sphères professionnelles allant de la bergère au comptable en passant par le boulanger ou la publicitaire ; une coopérative d’activité et d’emploi qui attire « beaucoup d’abimés du management contemporain » comme l’a expliqué Pascal Hayter, « coopanamien » depuis 2009 au journal L’Humanité. On encore Lapin blanc, la première plateforme de marché digitale française en coopérative par et pour les créateurs indépendants, lancée 3 ans après la fermeture d’A Little Market et d’A Little Mercerie par la multinationale états-unienne Etsy, le « premier plan social de l’ubérisation » selon les mots de ces nouveaux coopérateurs qui ont accepté de répondre à nos questions dans un entretien à paraître prochainement sur notre site.

 

Le parcours semé d’embuches des coopérateurs

 

A l’instar des initiateurs de Coopcycle, les coopérateurs se heurtent notamment à l’épineuse question de la « propriété intellectuelle » privée, véritable cheval de Troie des grands groupes capitalistes dans de nombreux domaines. La licence libre et l’open source ne constituent pas pour autant une alternative satisfaisante aux yeux des concepteurs de Coopcycle puisqu’ils ne permettent aucune mutualisation de la valeur afin de rémunérer le travail et les GAFA et autres groupes capitalistes peuvent tout à fait s’approprier ce travail et l’utiliser dans un but lucratif : « c’est institutionnaliser une exploitation sans limite de ce travail qui n’est pas reconnu comme travail » selon Alexandre Segura de Coopcycle.

Il n’est donc pas étonnant que l’on compte parmi les défenseurs de la licence libre, certains ultras du libéralisme économique tendance libertarienne qui n’ont bien entendu aucune velléité anticapitaliste. Il existe cependant d’autres partisans de la licence libre qui, bien conscients de ses limites, militent pour une « copy hard left », la « licence à réciprocité » qui pose comme principe que « le logiciel ne peut être utilisé commercialement que dans le cadre d’une entreprise collective appartenant à ses travailleurs, dans laquelle tous les gains financiers sont répartis équitablement ». C’est sans doute à ces derniers que pense Bill Gates lorsqu’il qualifie avec effroi les partisans du logiciel libre de « communistes au goût du jour ». C’est en tout cas avec ces communistes new look que Coopcycle travaille à l’élaboration de sa plateforme. La législation est avant tout conçue par et pour le capitalisme. Et la justice suit bien souvent le pas. Les ouvriers d’Ecopla se sont par exemple vu refuser leur dossier pourtant solide de reprise en SCOP de l’usine par le Tribunal de Commerce de Grenoble, qui a préféré céder l’entreprise à un repreneur qui licenciera tout le monde.  Le gouvernement peut à l’occasion s’en mêler et intervenir directement dans certains dossiers : on se souvient du non catégorique et purement idéologique du premier ministre Pierre Messmer à la reprise en coopérative par les ouvriers Lipp dans les années 70.

Une superstructure juridique, judiciaire et politique plutôt hostile donc. A vrai dire, le « marché » n’est pas non plus d’une grande tendresse pour les coopératives. Le papetier UPM n’a par exemple pas hésité à saboter les machines de son usine de Docelles (Vosges), la plus ancienne papeterie d’Europe, destinée à la fermeture afin d’empêcher le projet de reprise du site en coopérative par les ouvriers restés sur le carreau. Les grands industriels du lait avaient quant à eux tout tenté pour faire capoter l’ouverture de la fromagerie des coopérateurs de la vallée des Aldudes en les menaçant de ne plus leur acheter de lait du tout à moins qu’ils ne quittent la coopérative pour signer des contrats individuels avec eux. Tout cela à deux semaines de la campagne annuelle de collecte du lait. Faire pression et diviser pour mieux régner. Seuls treize producteurs ont finalement cédé face à Lactalis et consorts. Malgré les manœuvres de l’agro-business, la fromagerie a bien vu le jour et aujourd’hui, son défi principal est de se pérenniser. Même combat pour les coopérateurs de ScopTI.

Aussi, les coopérateurs se heurtent à une pensée dominante fortement ancrée qui « valorise les solutions individuelles » et qui « ne conçoit pas que l’on puisse consacrer une partie de son temps à un projet collectif » comme nous l’ont confié les coopérateurs de Lapin blanc. Un immense travail de conviction auprès de leurs confrères quant au bien-fondé de leur initiative attendait les futurs coopérateurs.

 

Faire front pour émanciper le travail

 

Les luttes des fonctionnaires, des contractuels du secteur public, des chauffeurs de VTC, des chauffeurs de taxis, des intermittents du spectacle, des travailleurs sans papier, des chômeurs, des retraités, des intérimaires, des salariés du privé, des indépendants, des associations de consommateurs, etc. ne s’opposent pas les unes aux autres. Le dénominateur commun de tous ces combats est la lutte ô combien inégale pour la souveraineté du travail dans la production contre la tyrannie du capital. C’est l’aspiration commune au travail non aliéné et non exploité pour tous quand bien même celle-ci n’est pas revendiquée telle quelle. Le patronat joue depuis toujours la division des travailleurs pour mieux régner. Ses porte-voix officiels et officieux n’ont de cesse de pointer du doigt les travailleurs en CDI et – pis encore – les fonctionnaires comme d’affreux privilégiés. Ils ne se privent pas non plus de rabrouer les chômeurs enclins, selon eux, à « l’assistanat », à la fainéantise et au caprice. C’est toute l’ineptie du discours sur les « outsiders » contre les « insiders ». Une dangereuse ineptie tant elle monte les travailleurs les uns contre les autres. Au passage, rappelons à toute fin utile que l’extrême-droite, vrai méchant utile du capitalisme, n’est pas en reste en la matière puisqu’elle plaide pour que ce soit aussi sur la base de la nationalité, des origines ethniques, etc. que la division du camp du travail au profit du capital s’opère. Aussi, le salaire à la qualification et l’ébauche d’un salaire à vie (fonctionnariat) sont aux yeux des libéraux d’abominables privilèges à abolir au nom du progrès alors que c’est précisément leur généralisation qui s’inscrirait dans le sens du progrès.

Le 20 septembre, dans la salle Ambroise Croizat de la Bourse du Travail de Paris, Coopcycle organisait la conférence « impasse de l’ubérisation : quelles solutions ? » avec la participation d’autres coopérateurs, de représentants syndicaux ( CGT, Solidaires) et politiques (FI, PCF), du Collectif des Livreurs Autonomes Parisiens (CLAP) et de Bernard Friot du Réseau Salariat. MARCO PHOTOGRAPHIE

Dans cette lutte continue pour le travail émancipé, la question de la propriété des moyens de production est centrale et les coopérateurs mènent là un combat d’avant-garde. Cependant, ces coopératives ne peuvent pas rester des ilots isolés de travail émancipé dans un océan de monopoles et d’oligopoles capitalistes. Certaines coopératives, notamment agricoles, ont parfois un siècle d’existence comme La Bretonne et pourtant, le mode de production capitaliste est plus que jamais hégémonique et la grande masse des travailleurs y reste enchaînée. Il convient alors de retrouver le chemin d’un front commun pour l’émancipation du travail et c’est notamment ce à quoi s’emploient certains acteurs des luttes coopératives. Coopcycle a par exemple lancé un cycle de conférences à Paris. Le 20 septembre, dans la salle Ambroise Croizat de la Bourse du Travail de Paris, la première de la série réunissait autour de la question « impasse de l’ubérisation : quelles solutions ? » d’autres acteurs coopérateurs (Coopaname, SMart (Belgique), le Collectif des Livreurs Autonomes de Paris (CLAP) mais aussi des représentants syndicaux (Confédération Générale du Travail (CGT) et Solidaires) des représentants politiques (Parti Communiste Français et France Insoumise) et l’association d’éducation populaire Réseau Salariat représentée par Bernard Friot.

 

Pour aller plus loin :

Article de l’Humanité consacré à Coopaname (février 2017) :

https://www.humanite.fr/uberisation-des-cooperateurs-entreprenants-plutot-que-des-autoentrepreneurs-631729

Article du collectif Les économistes atterrés sur le cas de la papeterie de Docelles, « la destruction du capital est l’œuvre du capital » (octobre 2017) :

https://blogs.mediapart.fr/les-economistes-atterres/blog/271017/la-destruction-du-capital-est-l-oeuvre-du-capital

Entretien de Bernard Friot dans la revue Ballast, « nous n’avons besoin ni d’employeurs ni d’actionnaires pour produire »  (septembre 2015) :

https://www.revue-ballast.fr/bernard-friot/

Podcast de la conférence organisée par Coopcycle « impasse de l’ubérisation : quelles solutions ? » captée par Radio parleur (septembre 2017) :

https://www.radioparleur.net/single-post/bernard-friot-uber

NB : les citations de Bernard Friot de Réseau Salariat et d’Alexandre Segura de Coopcycle présentes dans cet article sont extraites de cette conférence.