Pandémies : responsabilité anthropique, réponse écologique ?

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Déforestation en Afrique

Alors que la crise du Covid-19 frappe durement notre société, la responsabilité anthropique dans la multiplication des pandémies à travers le monde est maintenant avérée. La destruction de la biodiversité et des écosystèmes, la déforestation ou le trafic de la vie sauvage favorisent l’apparition de nouveaux virus. Pour lutter contre cela, une approche préventive fondée sur l’écologie et la préservation des écosystèmes est nécessaire.

Pandémies, un temps de retard

Déjà plus de deux millions de morts [1], l’économie de la planète à terre, les populations assignées à résidence, les libertés souvent bafouées : les dégâts enregistrés à cause du Covid-19 sont tels que la tentation est forte d’identifier très vite le coupable qui en est la cause. Très sérieusement, aux yeux des scientifiques chinois, le pangolin a failli tenir ce rôle de coupable universel. Moins sérieusement, les complotistes veulent faire croire à quelques manipulations de laboratoire, involontaires ou non, ayant fabriqué le coronavirus. La vérité, selon de nombreux scientifiques, serait moins fulgurante : la destruction de la biodiversité, orchestrée depuis des années par des coupables ordinaires, compte bien parmi les causes principales de la pandémie.

La stratégie actuelle est essentiellement sanitaire ou médicale. Elle consiste à détecter le plus tôt possible les nouvelles maladies, à les contenir, et ensuite à patienter jusqu’à ce que l’on réussisse à développer des vaccins ou un traitement permettant de les contrôler. Jusqu’à présent, cette stratégie avait porté certains fruits en permettant de limiter les zones infectées par une maladie. Ce fut le cas pour le virus Ebola responsable de fièvres hémorragiques souvent mortelles et qui put être cantonné à l’Afrique de l’Ouest. Hélas, avec le Covid-19, aucune barrière sanitaire ne s’est révélée efficace. Dès le printemps 2020, 60% de la population mondiale a vécu un confinement. Puis une deuxième vague est intervenue sur la majorité des continents, parfois, déjà, une troisième…. Face à un virus très transmissible, l’actuel triptyque stratégique identification-alerte-isolement montre toutes ses limites. Malgré les efforts considérables déployés par la communauté internationale et notamment l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), on comptait à la veille des fêtes de fin d’année, plus d’un million et demi de décès dans le monde. En France, le chiffre dépassait les 60 000 morts.

L’actuel triptyque stratégique identification-alerte-isolement montre toutes ses limites avec le Covid-19.

Indispensables, les mesures les plus sévères mises en œuvre a posteriori dans le cadre du troisième volet du triptyque, l’isolement, se sont révélées ruineuses. La première pandémie à haut taux de mortalité depuis le VIH dans les années 1980 [2] aurait coûté à l’économie entre 8 000 et 16 000 milliards de dollars au premier semestre 2020, tout en contribuant à une forte hausse des inégalités. Le véritable bilan économique ne pourra en réalité pas être dressé avant qu’un vaccin fiable soit développé, déployé et que la transmission du virus soit arrêtée. Près d’un an après l’apparition du virus dans la province chinoise du Sichuan, nous sommes encore loin de percevoir « le bout du tunnel ». Ce désastre économique est aussi un désastre social [3]. Les femmes, les familles monoparentales, les pauvres sont les plus touchés, même dans les pays les plus riches où le chômage explose. Géographiquement, en Amérique du Sud par exemple, ce sont les peuples autochtones qui sont le plus gravement touchés par la crise sanitaire, économique, sociale. Enfin, les actuelles politiques de contrôle de la pandémie reposant sur l’isolement ont de lourdes conséquences psychologiques. La santé mentale est mise à l’épreuve par des troubles de l’anxiété, troubles du sommeil et une hausse du nombre de dépressions du fait de la raréfaction des relations sociales, la perte d’un proche et la peur de la pandémie.

Rappelons-le : la pandémie est née en Chine dont on dit qu’elle est l’atelier de la planète. Plus que d’autres, ce pays vit de la mondialisation, plus qu’ailleurs l’urbanisation y est galopante. Ce qui a pu encore marcher en Afrique de l’Ouest avec Ebola dans des zones relativement à l’écart du grand marché mondial a échoué avec le Covid-19. Il faut trouver un relais au triptyque identification-alerte-isolement qui a prévalu dans la crise actuelle comme nous l’avons vu. Cela ne pourra se faire si l’on explore les racines plus profondes de la vague pandémique.

L’origine des dernières pandémies ne laisse aucun doute : 70% des nouvelles maladies et quasiment toutes les pandémies sont des « zoonoses ». Elles sont causées par des microbes d’origine animale [4]. C’est le cas, nous l’avons vu, du virus Ebola. C’est aussi le cas du virus Zika apparu en Ouganda et détecté pour la première fois chez un singe en 1947. Transmis par un moustique, il sévit aujourd’hui en Afrique, en Asie, en Amérique latine. Parfois quelques cas sont détectés en France. Aucun vaccin n’existe à ce jour. Que les pandémies soient des zoonoses n’a rien de rassurant. La nature est un repère à virus : 1,7 million d’entre eux n’auraient pas été découverts. Quand l’environnement dans lequel ils prospèrent est détruit, les virus sont contraints de chercher d’autres hôtes susceptibles de les accueillir pour survivre. Sur un même territoire, les frictions entre les activités humaines et les écosystèmes détruits augmentent donc le risque que les virus passent d’un animal à un humain. Le nombre de pandémies augmente donc du fait de l’activité humaine sur l’environnement.

La destruction de la biodiversité, grande responsable des pandémies

Ne serait-il pas plus judicieux de remplacer l’actuelle posture réactive face aux pandémies par une approche préventive basée sur une meilleure protection des écosystèmes dont sont originaires les virus ? C’est en tout cas la conclusion du dernier rapport de l’IPBES, Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) [5]. Cette étude, portée par 22 scientifiques du monde entier, épidémiologistes, biologistes ou encore écologues, présente les liens qui existent entre la destruction de la biodiversité et l’émergence de pandémies. Pour simplifier, l’IPBES est à la biodiversité ce que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est au climat. Leurs rapports sont une vaste synthèse de l’ensemble des travaux scientifiques mondiaux portant sur la biodiversité. Ceux-ci sont relus, interrogés et rectifiés un grand nombre de fois par l’ensemble des experts des 124 pays membres. Les résultats et conclusions apportés s’approchent donc le plus possible du consensus scientifique.

La pression exercée par l’homme sur les écosystèmes tend à augmenter fortement le risque pandémique. 

Les résultats sont donc sans appel. La pression exercée par l’homme sur les écosystèmes tend à augmenter fortement le risque pandémique. Les déforestations massives orchestrées pour créer de nouvelles terres agricoles destinées essentiellement à la monoculture de denrées exportées (café, cacao, thé, soja…), l’exploitation et l’exportation de bois exotiques à forte valeur commerciale, le commerce d’espèces animales sauvages pour la consommation humaine ou encore le massacre des animaux pour l’ivoire ou leur peau dérèglent les interactions naturelles entre espèces et microbes. L’intrusion de l’homme, ainsi que de son bétail, dans de nouveaux écosystèmes les met en contact avec de nouveaux agents pathogènes contre lesquels leurs organismes ne sont pas protégés. En effet, il existe encore dans la nature un très grand nombre de virus et de pathogènes avec lesquels l’Homme n’a jamais été en contact et qui peuvent être potentiellement dangereux [6].

Une activité anthropique en particulier, l’élevage intensif, contribue fortement à l’apparition et à la circulation de nouvelles pandémies. En 2014, le biologiste François Renaud, expliquait dans une interview parue dans la revue du CNRS, le rôle majeur qu’il joue dans la propagation des virus [7]. La promiscuité et les conditions sanitaires dégradées peuvent engendrer la transmission à l’être humain, dans les cas où une mutation génétique aléatoire le permet. On sait à quel point les grippes aviaires inquiètent les autorités sanitaires. L’ultra-aseptisation des élevages et l’uniformisation génétique tendent à affaiblir la résistance du bétail aux maladies, notamment virales comme le montre Lucile Leclair dans son livre Pandémies, une production industrielle [8].

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Elevage intensif de poulets

Nécessité d’une action préventive de long terme

Mieux connaître les causes anthropiques des pandémies rend possible l’espoir. Il est possible d’agir sur les activités humaines pour prévenir l’apparition de nouveaux virus en ayant une approche de long terme plus efficace, plus écologique, plus sociale et économiquement vertueuse. Selon le rapport de l’IPBES sur la biodiversité et les pandémies, le coût d’une telle politique est estimé entre 22 et 31 milliards de dollars par an, une somme ridicule face aux milliers de milliards que coûte le Covid-19. Cette stratégie préventive peut être divisée en deux volets, aux enjeux et aux échelles géographiques différents.

Nous pouvons agir sur les activités humaines pour prévenir l’apparition de nouveaux virus en ayant une approche de long terme plus efficace, plus écologique, plus sociale et économiquement vertueuse.

De manière très schématique, deux catégories de pays sont vulnérables aux pandémies. Les premiers sont, parmi les pays en développement, ceux qui disposent encore d’une faune sauvage très riche. Les communautés rurales de ces pays sont souvent en première ligne quand surgit une nouvelle maladie d’origine microbienne. L’absence d’un système de soins suffisamment efficace pour la détecter et la combattre aggrave les risques de forte mortalité au sein de tout le territoire. La seconde catégorie de pays est celle des pays développés fortement insérés dans la mondialisation. Leur dépendance aux flux internationaux, la densité de leurs réseaux d’échanges internes et leur urbanisation facilitent une propagation très rapide d’une éventuelle zoonose. La France en fait partie.

Création de zones protégées

L’enjeu est donc d’abord d’empêcher l’apparition de nouvelles épidémies dans les pays émergents disposant encore d’une forte biodiversité et d’une faune sauvage préservée (forêts tropicales, zones humides). Puisque les zoonoses apparaissent du fait de frictions géographiques entre l’habitat humain et son bétail avec le territoire de la faune sauvage porteuse de virus, il faut endiguer l’intrusion des activités anthropiques néfastes dans des zones à haute biodiversité. Cette logique conservative consiste à créer des zones protégées en y interdisant toute pratique menaçant la biodiversité et en limitant leur accès. Leur mise en place peut néanmoins reproduire la logique néocoloniale en cas d’absence de coordination avec les populations locales à l’instar de certains mécanismes de compensation carbone. Créer de nouvelles zones protégées peut en effet être synonyme d’expulsions et de déplacements de communautés dépendantes des terres [9]. Ces politiques écologiques doivent ainsi être élaborées avec les peuples autochtones, premières victimes du réchauffement climatique et de la perte de biodiversité. Sans quoi, elles pourraient trouver, à juste titre, une farouche opposition, ou bien recréer les déplacements de population fragilisant l’équilibre d’un écosystème et renforçant encore les risques de zoonoses.

Il faut endiguer l’intrusion des activités anthropiques néfastes dans des zones à haute biodiversité.

Cette approche conservative ne peut se suffire à elle-même. Il faut également lutter contre les causes de ces frictions. L’une d’elles, rappelons-le, est liée à une agriculture intensive destinée à alimenter les marchés mondiaux. Ce modèle agricole est très consommateur de terres : l’usage de pesticides, le labour et la monoculture stérilisent les sols et forcent ainsi les agriculteurs à chercher de nouvelles terres. C’est une des causes principales de la déforestation [10]. Ainsi, l’élevage, afin de disposer de nouvelles surfaces pour nourrir le bétail, est responsable de 70% de la déforestation [11], favorisant la rencontre avec de nouveaux virus. Il s’agirait donc de promouvoir des pratiques agricoles plus soutenables afin de nourrir la population mondiale en utilisant seulement les terres déjà disponibles.

Rééquilibrer les économies

Une autre piste consisterait à repenser notre système économique qui fragmente les économies et les rend dépendantes d’activités non soutenables. La spécialisation économique est un moyen efficace pour beaucoup de pays de maximiser leur productivité, mais nécessite souvent de détruire des écosystèmes aux équilibres fragiles. La Thaïlande s’est par exemple spécialisée dans l’élevage intensif de crevettes au détriment des forêts de mangroves qui entourent le littoral : de gigantesques surfaces ont été rasées. Ce pari économique se retourne aujourd’hui contre le pays puisque 700 kilomètres de côtes sont menacés par l’érosion, rendant ainsi des zones d’habitations vulnérables à la montée des eaux. Un autre exemple, plus local cette fois ci, est la prolifération d’algues vertes en Bretagne. Ce phénomène a notamment pour cause les pratiques agricoles intensives : l’utilisation massive d’engrais à base d’azote et de nitrate ainsi que les effluents de l’élevage industriel comme le lisier (rappelons que la Bretagne concentre 57% des élevages porcins de France), qui se retrouvent ensuite dans les cours d’eau, favorise la prolifération des algues vertes. Ces algues, une fois sèches, produisent un gaz qui peut se révéler mortel pour les animaux et l’homme [12]. Il semble donc important d’éviter la surspécialisation des territoires pour ne pas menacer l’équilibre des écosystèmes et entrainer de fortes pertes de biodiversité.

Endiguer le commerce de la vie sauvage

Supprimer tout risque d’émergence de nouvelles épidémies est impossible. Une approche préventive et écologique consisterait alors à veiller à ce que la circulation des virus à l’échelle mondiale soit entravée en limitant les échanges non essentiels. Sur le plan économique, cela consisterait de manière prioritaire à endiguer le commerce de la vie sauvage dont on a souligné le rôle dans la multiplication des pandémies. À l’image du tristement célèbre pangolin, 24% des espèces sauvages de vertébrés font l’objet d’un commerce mondial. Le flux légal des animaux sauvages a plus que quintuplé en valeur au cours des 14 dernières années. Ce marché est évalué selon l’IPBES à au moins 107 millions de dollars en 2019 tandis que le montant du commerce illégal serait lui compris entre 7 et 23 millions de dollars chaque année.

24% des espèces sauvages de vertébrés font l’objet d’un commerce mondial.

Les mouvements de populations humaines et animales sont un important facteur de circulation des zoonoses. Le réchauffement terrestre perturbe les écosystèmes, provoque des déplacements de la faune sauvage susceptible d’être porteuse de nouveaux virus. Dès lors, lutter contre le changement climatique est un moyen de lutter préventivement contre l’émergence de nouvelles pandémies. Cette considération nous incite à élargir notre perspective. Pour cela, rappelons-nous le dernier rapport mondial sur l’état de la biodiversité écrit par l’IPBES [13]. La synthèse des résultats-clés avait fait l’objet d’un article paru en 2019 dans nos colonnes [14]. Il en ressort que les écosystèmes naturels nous rendent 4 types de services complémentaires : la fourniture de biens matériels (énergie, alimentation), la régulation des cycles naturels (qualité de l’air, du climat, pollinisation), les apports immatériels (apprentissage et inspiration, soutien identitaire), les mécanismes d’auto-entretien en se régénérant d’eux-mêmes. Parmi les 18 catégories recensées de services écosystémiques rendus, ce rapport soulignait la baisse conséquente de 14 d’entre eux.

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cover_page_Assessment_Report_on_Pollinators,_Pollination_and_Food_Production.jpg
Rapport de l’IPBES sur le rôle de la pollinisation

En effet, notre rapport à l’environnement entraîne de façon quasi systématique une ultra-spécialisation du territoire orienté vers la production de biens matériels monétisables comme le maïs, le bois, le soja…. Hyperspécialisation des territoires dans la production de maïs, de bois ou encore de soja. Conséquence directe, tous les autres services potentiels rendus par un territoire se retrouvent réduits. Par exemple, la transformation d’une plaine en champs à pommes de terre augmente effectivement la production du bien matériel monétisable qu’est la patate mais diminue tous les autres services rendus auparavant par le territoire. Il stocke moins de carbone, abrite moins d’espèces pollinisatrices tout en nous privant du lien culturel qui pouvait exister avec la plaine. Plus de régulation de l’air, plus de sols s’auto-régénérant, plus de promenades agréables… Dans cette même logique, l’ultra-spécialisation des écosystèmes favorise donc la dispersion des virus. Ce fléau est alors du même ressort que tous ceux qui sont dénoncés par l’IPBES. Ses auteurs évaluent les conséquences du manque de pollinisation, notamment par les abeilles, à hauteur de 235 à 577 milliards par an. La dégradation des terres agricoles et des forêts, la destruction de leur capacité à jouer un rôle de puits naturel de carbone… À cette litanie, il faut donc ajouter l’explosion des pandémies. Les virus prospèrent grâce au rapport dévastateur que l’Homme entretient avec la nature, bien que les différentes populations du globe ne soient pas égales en termes de responsabilité dans la destruction de biodiversité ou face aux conséquences de cette exploitation.

Par exemple, la transformation d’une plaine en champs à pommes de terre augmente effectivement la production du bien matériel monétisable qu’est la pomme de terre mais diminue tous les autres services rendus auparavant par le territoire. Il stocke moins de carbone, abrite moins d’espèces pollinisatrices tout en nous privant du lien culturel qui pouvait exister avec la plaine. Plus de régulation de l’air, plus de sols s’auto-régénérant, plus de promenades agréables…

Notre vulnérabilité tient de notre incapacité à nous isoler en cas de crise sanitaire sans plonger dans une profonde crise économique. Nous devons bâtir une économie plus résiliente, s’appuyant davantage sur les espaces locaux et favorisant les circuits courts. Au triptyque défensif identification-alerte-isolement, il faut substituer le triptyque offensif prévention-écologie-résilience.

Bibliographie : 

[1] https://www.worldometers.info/coronavirus/

[2] [3] [4] [5] [10] IPBES, Workshop report, IPBES Workshop on Biodiversity and Pandemics, octobre 2020

[6] LVSL, La démondialisation écologique est notre meilleure antidote , mars 2020

[7] CAILLOCE, L., Quand l’homme favorise les pandémies, Journal du CNRS, septembre 2014

[8] LECLAIR, L., Pandémies, une production industrielle, seuil, 2020

[9] Préoccupations des ONG concernant l’objectif d’amener à 30% le taux d’aires protégées et l’absence de garanties pour les communautés locales et peuples autochtones – Survival International

[11] FAO, La situation des forêts dans le monde, 2020

[12] SACLEUX, A., Marée verte : le retour des algues vertes inquiète la Bretagne | National Geographic, novembre 2020

[13] IPBES, Global assessment 7ème conférence, mars 2019

[14] Le Vent se lève. Biodiversité : Synthèse et analyse exclusive du 7ème rapport mondial de l’IPBES, mai 2019

La « classe de loisir » de Veblen pour comprendre les crises écologiques modernes

Thorstein Veblen (1857–1929) était un économiste et sociologue américain. Dans son œuvre majeure, Théorie de la classe de loisir (1899), il analyse le capitalisme non pas par le prisme de la production, comme a pu le faire Marx, mais par celui de la consommation. Si son œuvre reste encore très peu lue aujourd’hui, les textes de Veblen permettent d’appréhender les dérives de notre système financier, notamment la destruction systématique de notre environnement.  


Thorstein Veblen est issu d’une famille d’origine norvégienne qui a migré aux États-Unis une dizaine d’années avant sa naissance. Il naît en 1857 dans le Wisconsin, juste avant la guerre de sécession. Il ne pourra s’échapper de ce grand foyer de 12 enfants que pour suivre ses études, qui le mèneront au doctorat. Veblen enseigne aux écoles de Chicago, Stanford et New-York, même si ses idées anticonformistes feront de lui un professeur marginal. Dans son premier ouvrage Théorie de la classe de loisir, Veblen propose une critique de ce qu’il appelle « l’économie néoclassique » car il pense, contrairement à cette pensée, que le marché n’est pas une entité isolée de la société et de ses citoyens. Son parcours universitaire l’amène à observer les sociétés bourgeoises du début du XXème siècle et à constater leur propension à se répandre dans des dépenses inutiles et ostentatoires. Il meurt en 1929 après avoir assisté au décollage de l’économie américaine et à la multiplication des spéculations inhérentes au capitalisme financier.

La classe dominante cherche à se démarquer des autres

Veblen analyse et détaille dès son premier livre les mœurs et habitudes de la classe dominante, qu’il nomme « classe de loisir ». Les membres de cette classe sont aisés et à l’abri des besoins matériels primaires. Ils sont pourtant mus par une constante recherche d’honneurs à travers des actes socialement valorisés afin de se distinguer des autres classes. Pour l’auteur, « ce concept de dignité, de valeur, d’honneur, appliqué aux personnes ou à la conduite est d’une grande conséquence pour l’évolution des classes et des distinctions de classes ». La classe de loisir cherche constamment à montrer qu’elle peut utiliser son temps pour réaliser un travail non-productif et non vital par le prisme des loisirs. Le terme loisir est ici à comprendre comme « l’ensemble des pratiques différenciées de mise en valeur des richesses accumulées qui s’incarnent dans des modèles culturels de dépenses » (Lafortune, 2004).

La classe de loisir va également chercher à exhiber sa capacité à dépenser son argent sans compter, par de la consommation ostentatoire. L’émergence de cette classe est selon Veblen à mettre en parallèle avec celle de la propriété individuelle, qui permet la distinction entre plusieurs groupes sociaux. Le théoricien évoque les mariages forcés et va même jusqu’à désigner les femmes comme le premier bien approprié par les hommes. Avec l’avènement de la société industrielle, la propriété privée devient un critère de distinction majeur qu’il convient d’accumuler indéfiniment. La recherche d’honneurs et de distinctions est la réelle motivation derrière cette épargne grotesque, et la classe de loisir cherche à tout prix à empêcher une quelconque entrave à cette rétention monétaire. Analyser le capitalisme moderne au prisme de la théorie de Veblen permet ainsi de pointer du doigt les nombreuses contradictions inhérentes à notre système économique.

Notre modèle polluant est promu par la classe de loisir

L’héritage de Veblen est premièrement utile pour comprendre et critiquer la responsabilité du capitalisme dans la destruction de notre environnement. Notre système pourrait sans grande difficulté subvenir aux besoins vitaux de la population, sous la mince réserve de faire précisément l’inverse des politiques menées depuis la révolution industrielle. Mais, comme le fait remarquer le théoricien, la classe de loisir ne cherche pas seulement à palier ses besoins primaires mais à se répandre dans des dépenses ostentatoires. Ces achats coûteux et bien souvent inutiles sont assimilés à un capital honorifique qui permet aux membres de cette classe de se démarquer des autres. Seulement, nous oublions trop souvent d’associer la production de ces marchandises et de ces services à la destruction de notre écosystème. La classe de loisir pousse à la production de biens honorifiques qui ne sont pas primordiaux pour sa survie. Difficile ici de ne pas prendre pour exemple le développement massif du tourisme. La classe dominante valorise ainsi fortement l’utilisation régulière de l’avion afin de voyager à l’autre bout du monde. Ces excursions servent de marqueurs sociaux et permettent aux classes les plus aisées de montrer qu’elles sont capables de dépenser, voire d’accumuler des voyages aux destinations socialement valorisées.

Il convient cependant de déconstruire le modèle touristique vendu par les classes dominantes. Ces voyages réguliers ont premièrement un fort impact sur notre environnement. Outre l’évidente consommation énergétique de l’aviation, le développement des infrastructures touristiques cause d’énormes problèmes environnementaux : pollution des sols et des océans, bétonisation massive… Le développement du tourisme profite par ailleurs très peu aux populations locales. Le secteur touristique est en effet contrôlé par un nombre restreint de multinationales. La conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement estime ainsi que 80% des recettes du tourisme générées dans les Caraïbes retournent vers les pays où sont localisés ces multinationales. Le chiffre monte à 85% pour « les pays les moins avancés » d’Afrique. Il faut en outre remarquer que, ce que beaucoup appellent la « démocratisation du tourisme », est un leurre. Les cadres supérieurs et autres professions libérales ont en effet une large capacité financière à voyager, tandis que les classes populaires sont souvent limitées dans leurs choix. Deux tiers des français, majoritairement issus des classes populaires, ont ainsi été contraints de renoncer à partir en vacances d’été pour des raisons financières durant les cinq dernières années. Le modèle touristique de la classe de loisir ne semble alors pas seulement être nocif pour l’environnement, mais apparaît également comme source de frustration pour la majorité de la population qui ne peut en profiter.

La classe de loisir, par l’imaginaire consumériste qu’elle véhicule, entraîne également un effet d’imitation en cascade avec les classes « inférieures ». « Toute classe, explique Veblen, est mue par l’envie de rivaliser avec la classe qui lui est immédiatement supérieure dans l’échelle sociale, alors qu’elle ne songe guère à se comparer à ses inférieures, ni à celles qui la surpassent de très loin ». Ainsi, le modèle d’accumulation et de consommation de la classe dominante a un effet majeur sur la perception et les habitudes des classes moyennes et inférieures. La classe de loisir fixe et décide de notre modèle de consommation, si bien que « les usages, les gestes et opinions de la classe riche et oisive prennent le caractère d’un code établi ». Il est ainsi facile de comprendre la difficulté de promouvoir des technologies low-tech en opposition au high-tech. Ces technologies, volontairement moins performantes mais répondant à des besoins concrets et utiles n’intègrent pas ou peu de capital honorifique. La possession d’un outil low-tech n’est ainsi pas publicisée car elle est contraire au modèle consumériste promu par la classe de loisir.

Dans son livre Comment les riches détruisent la planète, Hervé Kempf montre que ce modèle d’imitation veblenien s’applique aux États. Les pays que l’on qualifie « du Sud » tentent de rattraper les pays riches, souvent au prix de la destruction de réseaux de solidarité ou de la planète. Cependant, qui doit-on blâmer ? Devons-nous nous alarmer de la situation dans les pays « du Sud », qui bien souvent subissent la pollution liée à la délocalisation de la production des pays « du Nord » ? Ou devons-nous directement remettre en cause notre système de production propagé par les pays les plus riches ? La première option est non seulement injuste, les pays riches ayant eux-mêmes utilisé pendant des décennies des énergies fossiles pour se développer et continuant de le faire, mais également contreproductive.

En effet, tant que les pays du Nord, sorte de classe de loisir mondiale, continueront de promouvoir la productivité à outrance et le consumérisme de masse – les deux étant intimement liés -, toute tentative visant à réduire l’impact humain sur l’écosystème sera vaine. Il faut donc attaquer frontalement la manière de consommer des classes dominantes et le système économique des pays riches pour permettre une réelle démarche écologique. Cette tâche sera ardue car, comme l’a remarqué Veblen, la classe de loisir est réputée conservatrice : tout changement structurel reviendrait à réduire voire anéantir ses avantages. Ainsi, « grâce à sa position d’avatar du bon genre, la classe fortunée en arrive à retarder l’évolution sociale ; elle le doit à un ascendant tout à fait disproportionné à sa puissance numérique ». De par sa posture dominante dans nombre d’institutions – économiques, médiatiques, politiques… – la classe de loisir marginalise toute critique de son modèle. Il n’y a qu’à regarder les propos de Macron contre les anti-5G, accusés de vouloir revenir aux temps anciens ou à « la lampe à huile ». Puisque la classe dominante rejette tout changement, voue aux gémonies toute critique constructive de notre système, il semble primordial de mener une « guerre de position » pour renverser le modèle économique vendu par cette dernière. Ce terme gramsciste décrit la remise en cause du pouvoir d’attraction culturelle de la classe bourgeoise sur les classes dominées. Un bloc populaire et écologiste ne pourra prendre le pouvoir que lorsque le modèle de société qu’il promouvra deviendra hégémonique. Il convient de ne pas sous-estimer la toute puissance de l’hégémonie du bloc bourgeois, sans quoi la classe de loisir moderne ne pourra jamais véritablement être renversée.

De l’impossibilité d’avoir une société inégale heureuse

Les textes de Veblen permettent également d’analyser notre rapport au Travail. Premièrement, l’auteur montre que la classe de loisir instaure de fait une distinction entre des tâches valorisées par la société et d’autres qui ne le sont pas. Cette discrimination veut que soient « nobles les fonctions qui appartiennent de droit à la classe de loisir : le gouvernement, la guerre, la chasse, l’entretien des armes et accoutrements, et ce qui s’ensuit – bref, tout ce qui relève ostensiblement de la fonction prédatrice. En revanche, sont ignobles toutes les occupations qui appartiennent en propre à la classe industrieuse : le travail manuel et les autres labeurs productifs, les besognes serviles, et ce qui s’ensuit. » Cette affirmation est frappante dans le contexte actuel, où la crise du coronavirus nous a fait, plus que jamais, remarquer comme certaines professions précaires étaient méprisées alors qu’elles sont primordiales pour notre société.

Ensuite, le mécanisme veblenien d’imitation permet de montrer comment une société inégalitaire rend ses membres malheureux. En effet, plus la classe de loisir sera éloignée du reste de la société, plus l’imaginaire qu’elle véhicule sera hors de la portée de tout le monde, ce qui ne peut générer que des frustrations. Une étude de Bowles et Park montre ainsi que le temps de travail moyen dans une société augmente en fonction de son degré d’inégalité. La disparité dans la répartition des richesses pousse les membres d’une société à travailler plus pour atteindre l’idée de réussite transmise par la classe de loisir. Les mêmes chercheurs montrent alors qu’une politique de taxation massive des groupes dominants « serait doublement attractive : elle augmenterait le bien être des moins bien lotis en limitant l’effet d’imitation en cascade de Veblen et fournirait des fonds à des projets sociaux utiles ».

L’étude des textes de Veblen nous fait ainsi comprendre pourquoi les groupes sociaux dominés par un modèle qu’ils n’ont pas choisi ne se rebellent pas contre ce dernier. L’effet d’imitation est très puissant et il convient de ne pas en ignorer les effets. Un nouveau modèle hégémonique doit être capable de renverser la classe dominante en faisant bien attention à ce qu’une nouvelle classe de loisir ne répande pas un énième paradigme aliénant.

 

Les néonicotinoïdes, pesticides tueurs d’abeilles, font leur (r)entrée au parlement

© Niklas Pnt / Pixabay

Ce mardi 27 octobre, l’inquiétant projet de loi de réintroduction des substances néonicotinoïdes, aussi connues sous le nom de « pesticides tueurs d’abeilles », arrive en séance publique au Sénat. Adoptée le 6 octobre par l’Assemblée Nationale avec 313 députés en faveur, cette dérogation est censée venir en aide à la filière de la betterave, actuellement en crise. Cette proposition de réintroduction, qui bafoue la « Loi biodiversité » de 2016, ainsi que le principe de non-régression du droit environnemental, fait aujourd’hui l’objet d’une vive opposition au sein des milieux écologistes, qui nous alertent quant à la dangerosité de ces pesticides. Le Vent Se Lève a donc interrogé deux voix politiques à la proue de ce débat : Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres et ex-ministre de l’écologie, ainsi que Joël Labbé, sénateur écologiste du Morbihan, à l’origine de la Loi Labbé, qui interdit l’usage de pesticides dans les espaces verts, promenades et voiries. Retour sur un projet de loi aux multiples enjeux écologiques, sanitaires et démocratiques. Par Judith Lachnitt et Noémie Cadeau.


Les néonicotinoïdes : de véritables poisons pour la biodiversité

Que sont exactement les pesticides néonicotinoïdes ? Delphine Batho a commencé par nous éclairer sur ces substances, leur usage technique et leur histoire :

« Les néonicotinoïdes sont des pesticides insecticides qui ont été mis sur le marché dans les années 1990 et qui sont les plus puissants insecticides de synthèse jamais inventés par l’espèce humaine. Ils sont 7000 fois plus toxiques que le DDT interdit il y a 50 ans. Cela signifie qu’il faut 7000 fois plus de DDT que de néonicotinoïdes pour avoir les mêmes effets toxiques. C’est donc un poison extrêmement nocif qui a la particularité d’être systémique, c’est-à-dire que l’ensemble de la plante gorgée de ces substances devient elle-même une plante insecticide. Tous les insectes qui vont la butiner si elle a des fleurs, ou boire les petites gouttelettes d’eau qui sont les sueurs de la plante, vont mourir. La deuxième caractéristique de ces substances, c’est leur rémanence. C’est-à-dire qu’elles vont dans la terre comme dans l’eau, peuvent s’y accumuler et y rester plus de 20 ans. Les néonicotinoïdes sont utilisés systématiquement et préventivement par enrobage de semences. La graine de la plante va être enrobée du produit avant d’être semée. De cette façon, la plante est gorgée de néonicotinoïdes tout au long de sa vie, des racines jusqu’aux fleurs, et on va utiliser ce produit toxique insecticide, même sans savoir s’il y aura ou non un insecte ravageur ».

L’état des lieux qu’elle dresse est effarant : « Ces néonicotinoïdes ont donc été utilisés sur des millions d’hectares en France, pendant des années et des années dans une logique qui est complètement anti-agronomique. »

Les différentes études scientifiques s’accordent sur la dangerosité de ce produit toxique. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) recommandait dès 2012 d’engager une réévaluation au niveau européen des substances actives néonicotinoïdes, et de faire évoluer la réglementation européenne pour une prise en compte renforcée des impacts de ces substances sur le comportement des abeilles. La plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a fait état dans son dernier rapport, publié le  6 mai 2019, du risque d’effondrement de la biodiversité. Delphine Batho affirme ainsi :

« On est dans un contexte où 85% des populations d’insectes en France ont été détruits en 23 ans, depuis l’autorisation des néonicotinoïdes et où un tiers des oiseaux des champs ont disparu. Ce n’est pas un phénomène spontané, c’est une destruction vertigineuse. Que, dans ce contexte-là, on envisage d’autoriser les néonicotinoïdes sur 400 000 hectares et même de réautoriser de façon complète certains produits néonicotinoïdes en France, c’est suicidaire ».

“On est dans un contexte où 85% des populations d’insectes en France ont été détruits en 23 ans, depuis l’autorisation des néonicotinoïdes et où un tiers des oiseaux des champs ont disparu.”

Elle rappelle également : « Depuis le milieu des années 1990, les apiculteurs ont lancé l’alerte quant à la quantité spectaculaire de mortalité des colonies d’abeilles domestiques. Les néonicotinoïdes tuent les pollinisateurs qui sont déjà menacés par d’autres pesticides tels que le glyphosate, qui leur supprime leur nourriture ». Toujours selon Delphine Batho : « Dans les Deux-Sèvres, chaque année, entre une et deux espèces d’abeilles sauvages disparaissent ». Certains arguent, pourtant, que tant que les néonicotinoïdes sont appliqués sur une plante qui n’a pas de pollen, les abeilles ne courent pas de risques puisqu’elles ne viendront pas butiner la plante. Or, face à ces arguments, Joël Labbé rappelle l’importance du phénomène qu’on nomme la « guttation » : le matin, les feuilles de betteraves laissent perler de petites gouttelettes d’eau, où les abeilles adorent s’abreuver. « Evidemment, ces émanations sont chargées de molécules néonicotinoïdes : ce simple fait nous aide à comprendre que ce n’est pas sans danger pour les pollinisateurs », rappelle le sénateur écologiste.  

À ce danger pour la biodiversité s’ajoute leur impact sur la santé humaine. Joël Labbé tire la sonnette d’alarme sur ce point : “L’association Générations futures vient de démontrer que l’on retrouvait des pesticides néonicotinoïdes en résidus dans 10% de l’alimentation. Et il se trouve que ce sont des neurotoxiques qui touchent le système nerveux central pour les humains. L’effet cumulatif de ces pesticides peut avoir un impact durable sur la santé humaine. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs que la maladie de Parkinson soit désormais reconnue maladie professionnelle pour les agriculteurs. Autant d’arguments qui nous alarment et nous font dire qu’il ne faut absolument pas revenir sur cette interdiction.”

“L’association Générations futures vient de démontrer que l’on retrouvait des pesticides néonicotinoïdes en résidus dans 10% de l’alimentation.”

La baisse des rendements des betteraviers : conséquence du réchauffement climatique et de la politique européenne

Delphine Batho souligne que si la filière betterave-sucre fait cette année face à un problème de jaunisse dû à la prolifération de pucerons, elle est d’abord victime de la suppression des quotas européens. Elle affirme ainsi que la multiplication des pucerons qui mettent en danger les récoltes de betteraves cette année est d’abord due au changement climatique : “Comme les hivers sont doux et les printemps chauds, il y a une prolifération des pucerons plus précoce et plus importante”. Or selon la députée écologiste : “Cette question du changement climatique est aussi manipulée puisqu’on nous dit que la perte de rendement est estimée à 15%. En réalité 15% c’est si on compare aux rendements des cinq dernières années. Si l’on compare les chiffres de cette année à ceux de 2019, qui était aussi une année de sécheresse, on voit en fait que la perte de rendement est de 8,5 % et que le reste est lié à la sécheresse qui réduit la taille des betteraves.” 

Delphine Batho © Clément Tissot

Ainsi, elle ajoute que : “Les lobbies ont surfé sur le contexte lié à la COVID 19 en mettant en avant des arguments fallacieux selon lesquels la France risquait une pénurie de sucre, ce qui est totalement faux. Nous sommes largement exportateurs, cela représente la moitié de la production française en sucre. Le problème de la jaunisse représente 15% du rendement, c’est un aléa auquel on peut faire face et qui ne va pas provoquer une pénurie dans les supermarchés”. Le véritable incident qui a mis à mal la filière betterave-sucre n’est pas la crise de la jaunisse mais la suppression des quotas européens. Delphine Batho explique ainsi que :

“La suppression du prix garanti au producteur s’est traduite par une dérégulation du commerce du sucre à l’échelle internationale. Cette dérégulation a engendré une crise de surproduction internationale. En France, les surfaces cultivées de betterave à sucre ont augmenté de 20% afin d’entrer dans une logique de surproduction. Les prix se sont alors effondrés et quatre sucreries ont fermé dans la période récente. Ces dégâts-là, tant sur l’emploi que sur le prix payé au producteur, ne sont pas le résultat du puceron mais bien la conséquence de la suppression des quotas européens.”

Malgré ces constats, la seule réponse apportée par le gouvernement aux difficultés des agriculteurs est de réintroduire un pesticide, qui avait pourtant été interdit dans la loi de 2016 pour ses dangers sur la biodiversité et la santé humaine. Le réintroduire va à l’encontre des injonctions de l’IPBES qui plaide pour une agriculture raisonnée rompant avec le modèle intensif qui participe à l’artificialisation des sols et à la destruction de la biodiversité. 

Sortir l’agriculture de sa dépendance à l’agrochimie et promouvoir l’agroécologie

Selon l’IPBES, les petites exploitations (moins de 2 hectares) contribuent au maintien de la richesse de la biodiversité et assurent mieux la production végétale que les grandes exploitations. Mais les modèles agroécologiques peuvent-ils prévenir le problème de la jaunisse, qui touche cette année, de manière incontestable, les producteurs de betteraves sucre ? Delphine Batho souhaite renverser cette perspective : “Pendant des années on a simplifié les paysages agricoles, on a mis des néonicotinoïdes qui ont tué les insectes prédateurs des pucerons, on est entré dans un modèle simplifié où ce ravageur n’est pas régulé par un bon fonctionnement des écosystèmes qui permettrait que, quand le puceron se montre, les larves de coccinelles le mangent”.

Ainsi, entrer dans une agriculture raisonnée implique de changer les pratiques, de planter des haies et de faire revenir ce qu’on appelle les auxiliaires des cultures. Ce projet de loi va donc au-delà d’une lutte pour ou contre les producteurs de betterave, il ouvre un débat plus profond sur le modèle agricole à promouvoir. L’ancienne ministre de l’écologie souligne ainsi que :

“Dans le cadre du projet de loi, des agriculteurs ont été auditionnés. Certains font de la betterave à sucre en bio. Ils sont sur un modèle avec des rotations longues. Une énorme diversité des cultures y est pratiquée. Ce sont des modèles beaucoup plus dynamiques donc très créateurs d’emplois qui sont touchés par la jaunisse, mais beaucoup moins polluants car ce sont les prédateurs qui viennent manger les pucerons. Il faut donc des parcelles plus petites entourées de haies avec plus de rotations de cultures. Ce que nous proposons, c’est ce qui a été fait en Italie pour sortir des néonicotinoïdes, notamment sur les cultures de maïs. Ils ont mis en place un système d’assurance mutuelle collective où chaque exploitation agricole met à l’hectare quelques euros qui représentent beaucoup moins d’argent que le coût des néonicotinoïdes, de manière à assurer le revenu des agriculteurs qui auraient des dégâts liés à la jaunisse ou autre chose”.

Néanmoins, ces systèmes de rotations de cultures sont à l’opposé du modèle d’agriculture intensive qui domine aujourd’hui et qui incite les producteurs à spécialiser toujours davantage leurs systèmes de culture et d’élevage. L’injonction européenne à produire à toujours plus grande échelle afin de rester compétitifs sur les marchés internationaux a poussé les agriculteurs à agrandir leurs exploitations et à moderniser leurs techniques sur la base d’un modèle productiviste d’agriculture intensive (croissance de pratiques agricoles nuisant à la santé des sols, perte de contenu organique, surutilisation de pesticides). 

Un état des lieux de la législation sur les pesticides

Si la proposition de loi permettant de réautoriser les néonicotinoïdes est aussi inquiétante, c’est aussi car elle revient sur l’un des engagements phares de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, promulguée le 8 août 2016. Cette loi centrale avait notamment permis de reconnaître dans le droit de l’environnement français les concepts de préjudice écologique, de non-régression du droit de l’environnement, de compensation avec « absence de perte nette de biodiversité » et de solidarité écologique. Parmi les 72 articles de cette loi, l’un d’entre eux promettait la réduction de l’usage des pesticides en poursuivant la démarche “Terre Saine commune sans pesticides”, un label qui valorise les communes ayant cessé d’utiliser des pesticides dans tous les espaces publics qui relèvent de la responsabilité de la collectivité territoriale. 

Cette lutte contre l’emploi des pesticides dans les communes se place dans la continuité de la Loi Labbé, promulguée en 2017, qui interdit aux personnes publiques d’utiliser des produits phytosanitaires pour l’entretien des espaces verts, promenades et voiries accessibles ou ouverts au public. A partir du 1er janvier 2019, cette interdiction s’est étendue aux particuliers. Joël Labbé est donc revenu avec nous sur l’histoire de cette loi. Maire de Saint-Nolff dans le Morbihan, sa commune est en 2005 la première de Bretagne à s’engager dans une démarche d’Agenda 21, dont la première grande décision a été de proscrire tous les pesticides des espaces publics de la commune dès 2006. Joël Labbé a ensuite poursuivi ce combat lorsqu’il a été élu sénateur en 2011 :

“Lorsque s’est mise en place une mission d’information sur les pesticides, leur impact sur la santé humaine et l’environnement, nous avons travaillé durant six mois sur le sujet, d’une manière pluri-politique. Nous avons auditionné des agriculteurs qui utilisaient des pesticides, d’autres qui n’en employaient pas, des fabricants, des distributeurs, des cancérologues, des généticiens, des pédiatres spécialisés dans les malformations de nourrissons dues aux pesticides. Cette capacité d’approfondissement est un outil précieux à disposition des sénatrices et sénateurs. Un rapport a ensuite été publié suite à cette enquête, qui recommandait de sensibiliser la population aux dangers que représentaient les pesticides.”

Joël Labbé décide alors de faire une proposition de loi s’intéressant non pas aux pesticides agricoles, un domaine dans lequel il est très difficile d’obtenir une majorité, mais au non-agricole. “J’ai ainsi proposé une loi qui interdirait l’usage des pesticides dans les collectivités – riche de l’expérience menée dans ma commune – et aussi dans les jardins domestiques. À cette annonce, on m’a fait comprendre que mon projet était utopique, irréalisable en raison des lobbys, des réglementations européennes… Mais je suis quelqu’un de tenace, alors je me suis donné un an pour mener de nouvelles auditions et écrire une proposition de loi, constituée de deux articles. L’article 1 promulguait l’interdiction des pesticides dans tous les espaces publics des communes à compter du 1er janvier 2020, nous étions alors en 2013, et dans les jardins domestiques à compter du 1er janvier 2022. Finalement, cette loi supposément infaisable a trouvé une majorité en janvier 2014 ; puis en 2015, la loi de transition énergétique a réduit les délais d’application (2017 pour les collectivités, 2019 pour les particuliers)”. 

Joël Labbé
Le sénateur écologiste Joël Labbé © Flickr, SmartGov

Le sénateur écologiste conclut ainsi l’histoire de son combat : “J’ai pour habitude de dire que c’est une toute petite loi, mais c’est une loi « pied dans la porte ». Néanmoins, elle a un enjeu stratégique, car ce sont les mêmes molécules qui sont utilisées dans les pesticides agricoles, or elles ont dans ce cadre été interdites pour des raisons de santé publique et de protection de la biodiversité.”

À l’avenir, l’objectif est que cette loi devienne une norme européenne, pour que l’ensemble des pays de l’Union appliquent ces interdictions. Joël Labbé rappelle qu’à l’heure actuelle, la France est la plus avancée de l’ensemble de l’Europe sur ce sujet, mais il ne souhaite pas s’arrêter là : “J’ai aussi fait une proposition à l’Union Internationale pour la conservation de la nature (UICN). Cette motion a été retenue, j’irai donc la défendre pour que la sensibilisation à l’alternative aux pesticides soit généralisée à l’échelle mondiale. Cela peut paraître ambitieux, mais il est important de voir large au vu du péril planétaire qui menace le climat et la biodiversité. On sait que les pesticides ont un impact terrible sur la biodiversité.”

Une régression du droit de l’environnement

Face à ces combats durement remportés, il est d’autant plus insupportable que le droit de l’environnement puisse être ainsi bafoué. Dans la loi du 8 août 2018 sur la biodiversité est en effet inscrit le principe de non-régression, article L. 110-1 du Code de l’environnement selon lequel : « la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Or, le projet de loi proposé par le gouvernement pour réintroduire les néonicotinoïdes le remet en cause en ré-autorisant sur le marché un produit reconnu par l’ANSES comme toxique pour la biodiversité.

“La première chose à faire c’est d’inscrire le principe de non régression dans la Constitution”

Delphine Batho affirme ainsi que : “La première chose à faire c’est d’inscrire le principe de non-régression dans la Constitution”, afin que celui-ci ne puisse pas être remis en cause. Cela permettrait en effet d’éviter que les avancées environnementales acquises ne soient annulées au motif d’impératifs économiques.

Un enjeu démocratique dans le débat public

Ainsi, par-delà les enjeux écologiques et de santé publique, ce débat sur les néonicotinoïdes est aussi au coeur de notre démocratie, comme le rappelle justement Joël Labbé : “Un travail d’information est aussi nécessaire pour démocratiser ce débat : on compte beaucoup sur les médias, grands publics comme numériques, pour faire en sorte que ces informations se propagent. Les grands sujets de société ne doivent pas rester seulement des débats en hémicycles, mais au contraire devenir des débats nationaux, où les citoyens puissent donner leur avis et influencer les choix qui seront faits.”

XR BEE ALIVE néonicotinoïdes
Les activistes d’Extinction Rébellion devant l’Assemblée nationale ont tenté d’interpeller les députés sur la dangerosité des néonicotinoïdes lors d’un happening le 5 octobre dernier.

“Derrière tout ça, c’est la réhabilitation de la démocratie qui est en jeu, pour que les citoyens puissent décider de ce que l’on met dans leurs assiettes et de leur santé.”

“En tant que parlementaire minoritaire, il est précieux pour moi de travailler avec les acteurs de terrains, comme ici l’Union Nationale de l’Apiculture Française, avec les scientifiques, Jean-Marc Bonmatin du CNRS notamment, spécialiste de l’impact des pesticides sur les abeilles, avec les ONG comme Greenpeace, la fondation Nicolas Hulot, Pollinis, mais aussi Générations futures, qui a mené un extraordinaire travail d’investigation scientifique. Ces différents acteurs sont à même de mobiliser et de vulgariser les arguments de ces débats. Derrière tout ça, c’est la réhabilitation de la démocratie qui est en jeu, pour que les citoyens puissent décider de ce que l’on met dans leurs assiettes et de leur santé.”

Concernant le vote d’aujourd’hui au Sénat, il y a fort à parier que le texte ne sera pas voté dans les mêmes termes que ceux issus de la séance du 6 octobre dernier à l’Assemblée nationale. Une commission mixte paritaire pourrait se réunir et avoir la tâche de rédiger un texte de compromis afin de pallier le risque d’inconstitutionnalité du texte exposé à la censure du Conseil constitutionnel.

Vu les débats suscités par ce texte, la saisine du Conseil constitutionnel semble inévitable. Auquel cas, les sages disposeront d’un mois pour rendre leur décision (8 jours si le Gouvernement fait une demande de procédure accélérée), ce qui laisse le temps à la société civile d’envoyer au Conseil constitutionnel ses arguments dénonçant l’inconstitutionnalité du texte.

Les associations écologistes sont attendues sur cette « porte étroite » et pourraient soulever l’inconstitutionnalité manifeste de certains articles pointés par les élus de gauche et écologistes lors des débats. En plus de la rupture d’égalité devant la loi (puisque seuls les betteraviers pourraient être autorisés à utiliser les néonicotinoïdes), le principe de non régression pourrait être invoqué. Ce principe découle directement de la charte de l’environnement à valeur constitutionnelle et qui consacre en son article 2 le principe d’amélioration de l’environnement.

Au vu des politiques menées par ce gouvernement depuis des années, il semble inutile d’attendre le respect de cette charte qui malgré sa valeur constitutionnelle, n’a de cesse d’être bafouée. La lecture de ce texte sacré par la République prête aujourd’hui à rire.

Pour Jérôme Graefe, juriste en droit de l’environnement : “C’est un recul qui envoie un très mauvais signe dans un contexte d’intoxication globale de l’environnement et d’effondrement de la biodiversité. Sur les 100 espèces cultivées qui nous fournissent 90 % de la nourriture dans le monde, 71 dépendent des abeilles pour leur pollinisation, un service écosystémique estimé à près de 5 milliards d’euros en France. Ce projet de loi est un non-sens économique, écologique, sanitaire et historique.

Biodiversité : synthèse et analyse exclusive du 7e rapport mondial de l’IPBES

L’IPBES est l’équivalent du GIEC pour la biodiversité. Il publie ce 6 mai 2019 un rapport inédit sur l’état de la biodiversité dans le monde, fruit de 3 ans de travail. Si les chiffres du déclin de la biodiversité sont alarmants, la communauté scientifique mondiale maintient qu’il est possible d’enrayer cette perte si les États prennent des mesures de protection ambitieuses. Par Pierre Gilbert et Ambre Guillaume.


La France accueille à Paris du 29 avril au 4 mai la 7e séance plénière de l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (l’équivalent du GIEC, mais pour la biodiversité). Sous l’égide de l’ONU, 150 scientifiques de 50 pays, épaulés par plus de 300 experts, travaillent depuis trois ans à la réalisation d’un rapport sur l’état mondial de la biodiversité. Ils ont ainsi synthétisé quelques 15 000 références scientifiques et sources gouvernementales. Le rapport s’appuie aussi sur les savoirs autochtones et locaux, ce qui est inédit en termes de méthodologie à ce niveau.

C’est le premier travail de ce type à l’échelle mondiale en 15 ans. Ce rapport, rendu public le 6 mai, est extrêmement important, car il servira de document de référence pour l’élaboration du futur cadre mondial pour la biodiversité post-2020. Celui-ci sera défini par l’ensemble des États à l’occasion de la COP15 biodiversité qui aura lieu en Chine l’année prochaine. Cet évènement sera au moins aussi important pour la biodiversité que la COP21 pour le climat, car il donnera une orientation pour les 10 années à venir.

Le rapport montre globalement les relations entre les trajectoires de développement économique et leurs impacts sur la nature. Il propose aussi un éventail de scénarios possibles pour les décennies à venir, dont la radicalité politique est inédite à ce niveau, ce qui témoigne de l’urgence de la situation.

Dans cette synthèse, nous allons présenter les principaux résultats chiffrés que contient la version longue du rapport aux décideurs, puis un résumé des principales orientations proposées par le rapport ainsi qu’une première critique qui porte sur leur caractère parfois paradoxal.

Les principaux résultats chiffrés : la faune et la flore traversent une crise inédite, et les impacts sur l’humanité se font déjà fortement sentir

La disparition de la biodiversité est 1000 fois supérieure au taux naturel d’extinction des animaux. Nous traversons donc la sixième extinction de masse des espèces, la dernière en date étant celle des dinosaures, il y a 65 millions d’années. Mais la crise actuelle est 100 fois plus rapide que la dernière, et exclusivement liée aux activités humaines.

Globalement :

– Un quart des 100.000 espèces évaluées est déjà menacé d’extinction, sous pression de l’agriculture, de la pêche, de la chasse, ou encore du changement climatique. C’est une portion minime des 8 millions d’espèces estimées sur Terre (dont 5,5 millions d’insectes), mais nous pouvons néanmoins logiquement extrapoler ces chiffres à partir de ceux dont nous disposons déjà. Une accélération rapide imminente du taux d’extinction des espèces, animales et végétales, est attendue par les scientifiques : un million supplémentaire sera menacé, dont la plupart durant les prochaines décennies.

– 75 % du milieu terrestre est sévèrement altéré à ce jour par les activités humaines, et 40% du milieu marin.

– Depuis 1900, l’abondance moyenne des espèces locales dans la plupart des grands habitats terrestres a diminué d’au moins 20 %, avec évidemment de fortes disparités régionales.

– On estime que 10 % des espèces d’insectes sont menacées, mais leur biomasse totale chute beaucoup plus rapidement.

– Au moins 680 espèces de vertébrés ont disparu depuis le 16e siècle.

Le rapport souligne que si les tendances actuelles en termes de biodiversité se poursuivent, cela va également freiner les progrès en vue d’atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies pour 2030 dans 80% des cas où les cibles ont été évaluées. Nous parlons là des objectifs de réduction de la pauvreté, d’accès à la santé, à l’eau, l’urbanisation, le changement climatique, etc. La perte de biodiversité est donc non seulement un problème environnemental, mais aussi un enjeu lié au développement social, et à la lutte contre le changement climatique.

Le changement climatique, catalyseur de la perte de biodiversité

– Le changement climatique pourrait être à l’origine des menaces de disparition sur près de la moitié des mammifères terrestres et sur près d’un quart des oiseaux.

– Le nombre d’espèces exotiques envahissantes a augmenté d’environ 70 % depuis 1970 en moyenne, tant à cause de la multiplication des échanges commerciaux (multipliés par 10 sur la période) que du réchauffement climatique.

– Même avec un réchauffement de la planète de 1,5 à 2 degrés, la majorité des aires de répartition des espèces terrestres devraient se contracter de manière importante.

– Nous avons réchauffé la planète de 1,1°C depuis l’ère préindustrielle. Le niveau des océans s’est élevé de 21 cm depuis 1900 (3 mm par an désormais). Or, les milieux naturels que sont les océans, sols et forêts, absorbent environ 60 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique.

– Les émissions ont doublé depuis 1980, ce qui a fait augmenter la température moyenne de la planète d’au moins 0,7 degré.

– 8 % des émissions totales proviennent du tourisme (transport et alimentation), en très rapide augmentation.

L’agriculture, souvent synonyme de désastre environnemental

– Plus d’un tiers de la surface terrestre du monde et près de 75% des ressources en eau douce sont maintenant destinées à l’agriculture ou à l’élevage. 12% des terres émergées non couvertes par les glaces sont utilisées dans le monde pour la production agricole et 25% pour les pâturages.

– La valeur de la production agricole a augmenté d’environ 300 % depuis 1970, mais la dégradation des sols a réduit de 23 % la productivité de l’ensemble de la surface terrestre mondiale. De plus, 75% des plantes cultivées sont confrontées au risque de disparition des pollinisateurs.

– En agriculture, environ 10 % de toutes les races de mammifères domestiquées avaient disparu en 2016 en raison de la standardisation des élevages, de l’abandon de variétés moins productives. C’est une perte de diversité génétique qui rend l’élevage moins résilient aux maladies, et généralement moins adaptée aux conditions locales. Ce rythme connaît une accélération.

– 100 millions d’hectares de forêts tropicales ont été perdus entre 1980 et 2000, principalement en raison de l’augmentation de l’élevage du bétail en Amérique latine (environ 42 millions d’hectares) et des plantations en Asie du Sud-Est (environ 7,5 millions d’hectares, dont 80 % destinés à l’huile de palme). Environ 25% des émissions de gaz à effet de serre sont causées par ce défrichement.

– 68% des capitaux étrangers qui vont aux secteurs du soja et de la viande bovine amazonienne transitent par des paradis fiscaux.

– 29% des agriculteurs pratiquent une agriculture durable dans le monde, ce qui représente 9% de toutes les terres agricoles.

– Le soutien financier fourni par les pays de l’OCDE à un type d’agriculture potentiellement nocif pour l’environnement monte à 100 milliards de dollars par an (base 2015).

L’urbanisation et l’artificialisation des terres, cause de perte de biodiversité rapide

– Les zones urbaines ont plus que doublé depuis 1992. Elles augmentent plus vite que la population mondiale.

– Plus de 500 000 espèces terrestres ont désormais un habitat insuffisant pour leur survie à long terme, sauf si leur habitat est restauré.

– On compte plus de 2 500 conflits dans le monde pour les combustibles fossiles, l’eau, la nourriture et la terre.

L’extraction de ressources forestières et minières, un phénomène qui s’accélère.

– 60 milliards de tonnes de ressources renouvelables et non renouvelables sont maintenant extraites chaque année dans le monde. Une quantité qui a presque doublé depuis 1980.

– La consommation mondiale de ressources par habitant a augmenté de 15% depuis 1980, et la population a plus que doublé depuis 1970.

– La pollution par les plastiques a été multipliée par dix depuis 1980 et environ 300 à 400 millions de tonnes de métaux lourds, solvants, boues toxiques et autres déchets issus des sites industriels sont déversés chaque année dans les eaux du monde.

– La récolte de bois brut a augmenté de 45 % et 2 milliards de personnes l’utilisent comme combustible pour répondre à leurs besoins en énergie primaire.

– 50% de l’expansion agricole a eu lieu au détriment des forêts, dont la superficie n’est plus que de 68% de celle qu’elle était à l’époque préindustrielle.

– 110 millions d’hectares de forêts ont été plantés en plus de 1990 à 2015, soit presque deux fois la superficie de la France. Une cadence qui s’accélère notamment grâce aux efforts de l’Inde et de la Chine.

– Les subventions mondiales pour les combustibles fossiles représentent quelque 345 milliards de dollars par an et entraînent des coûts globaux de 5 000 milliards de dollars (santé, détérioration des habitats…).

Les cours d’eau et les océans, des milieux particulièrement vulnérables

– 55% des océans sont exploités par la pêche industrielle et on estime qu’un tiers des stocks de poissons marins sont surexploités, 60% le sont au maximum du niveau durable et seulement 7 % à un niveau très durable.

– Plus d’un tiers des prises de poissons dans le monde sont illicites ou non déclarées (2011) et 70% des bateaux impliqués dans cette fraude sont financés à travers des paradis fiscaux.

– La diminution des herbiers marins, essentiels pour les animaux marins et pour séquestrer du carbone, est de 10% par décennie depuis les années 1970. De leur côté, les récifs coralliens ont reculé de moitié depuis 1900 et les mangroves de 75%. Ces milieux sont pourtant de vraies pouponnières pour les poissons.

– Plus d’un tiers de tous les mammifères marins et plus de 40% des oiseaux marins sont menacés.

– À cause du changement climatique, la biomasse de poisson pourrait diminuer de 3 à 25% en fonction des scénarios, et ce indépendamment de la pêche.

– À cause des engrais, 400 zones mortes se sont développées dans les océans, ce qui représente environ 245.000 km2, soit une superficie totale supérieure à celle du Royaume-Uni, en expansion rapide.

– Plus de 40 % des espèces d’amphibiens sont menacées d’extinction, ils ont pourtant un rôle essentiel dans la régulation des insectes comme les moustiques. De fait, les zones humides disparaissent actuellement trois fois plus vite que les forêts et près de 90% d’entre elles ont été perdues depuis le 18ème siècle.

– 80% des eaux usées mondiales rejetées dans l’environnement ne sont pas traitées, surtout en Asie et en Afrique.

Des mesures de protection potentiellement efficaces : quelques exemples

– Grâce aux investissements pour la conservation réalisés de 1996 à 2008, on a réduit le risque d’extinction pour les mammifères et les oiseaux de d’environ 29 % dans 109 pays.

– Plus de 107 espèces d’oiseaux, de mammifères et de reptiles très menacées sont de nouveau en croissance grâce à l’éradication des espèces mammifères envahissantes comme les rats ou les opossums dans les îles.

– Grâce à des programmes spéciaux, au moins 6 espèces d’ongulés (mammifères à sabots) qui risquaient de disparaître ont survécu en captivité et peuvent désormais recoloniser leurs milieux.

Réalité de la crise contre vœux pieux : des préconisations ambivalentes

L’IPBES recommande de mettre en place une planification intégrative en faveur de la biodiversité, de diminuer nos sources de pollution et les conséquences environnementales de la pêche, de coordonner les législations locales, nationales et internationales, et par conséquent, de réduire notre consommation. Il nous faudrait également « employer des régulations et des politiques publiques » et « internaliser les impacts environnementaux », c’est-à-dire prendre acte de ceux-ci et agir en conséquence sur le plan économique.

Ce nouveau rapport souligne la nécessité de changer les de modes de production et de développer des chaînes alimentaires moins nocives pour la nature. Il suggère également qu’il nous faudrait adopter un autre modèle politique et économique, enjoignant à des « changements transformateurs dans les domaines de l’économie, de la société, de la politique et de la technologie » – en d’autres termes, à un changement systémique. Cependant, on remarquera que le vocabulaire même de l’IPBES demeure fondamentalement tributaire de la pensée capitaliste néolibérale, intrinsèquement écocide et biocide. Ce rapport ne se prive pas d’employer les termes de management de la nature, de conservation et de restauration. Nous ne pourrons cependant pas répondre aux impératifs de la sixième extinction de masse en promouvant la vision d’une nature-musée, dans la droite lignée d’une taxonimie taxidermique qui nie au vivant ses caractéristiques intrinsèques. Tout véritable changement doit s’appuyer sur un constat qui prend en considération les origines politiques, économiques et culturelles de la crise écologique. Parmi les recommandations figurent des « modèles économiques alternatifs » qu’il faudrait expliciter, en particulier dans leur faisabilité pratique.

On y lit également qu’il serait nécessaire de reconnaître « l’expression de différents systèmes de valeurs », et de « différents types de savoirs ». Ceux des communautés autochtones figurent au premier plan. L’IPBES consacre plusieurs paragraphes au rapport qui lie les communautés indigènes à la nature, enjoignant les États à les prendre davantage en considération dans « la gouvernance de l’environnement », sans toutefois mettre en lumière les raisons idéologiques et culturelles qui permettent à ces peuples d’échapper à l’attitude destructrice occidentale moderne. Lynn White, dans un article intitulé « The historical roots of our ecological crisis » publié dans Science en 1967, soulignait la responsabilité des religions abrahamiques dans la situation actuelle, du fait de leur vision désastreuse de la nature comme propriété humaine instrumentalisable, par opposition aux cultes païens pré-chrétiens antiques dont l’éthique et l’axiologie étaient similaires aux approches indigènes contemporaines. Les peuples autochtones partagent un point commun qui leur a valu le mépris des évolutionnistes ethnocentrés : ils contestent la notion même de propriété vis-à-vis de la nature, qu’ils considèrent comme un tout indivisible, un écosystème global dans lequel l’homme doit s’intégrer, et non l’inverse. Ce faisant, la domination technique de la nature jusque dans ses excès, critère d’avancement d’une civilisation en Occident, est à leurs yeux un symptôme de retard culturel. Reconnaître la capacité supérieure des peuples autochtones à entretenir un rapport harmonieux plutôt que conflictuel à la nature revient nécessairement à questionner le nôtre.

Pour Robert Watson, président de l’IPBES et ancien président du GIEC : « La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier. […] Qu’il s’agisse des jeunes à l’origine du mouvement #VoiceforthePlanet ou des grèves scolaires pour le climat, il y a une vague de prise de conscience qu’une action urgente est nécessaire si nous voulons assurer un avenir à peu près soutenable. » Un témoignage de soutien à des mouvements sociaux pour le climat qui se placent de plus en plus clairement en dissidence par rapport à leurs gouvernements respectifs en dit également long sur le degré d’urgence qui pousse le milieu scientifique vers le politique.

Conclusion

Aucun des 20 objectifs précédemment définis en 2010 par l’ONU lors de la convention d’Aichi, au Japon, qui visaient à réduire au moins de moitié le rythme d’appauvrissement biologique en 2020, ne sera atteint d’après les rédacteurs du rapport. Il nous faudra donc relever fortement l’ambition des objectifs de la prochaine décennie, qui seront décidés sur la base du rapport de l’IPBES l’année prochaine en Chine. Au-delà des grandes déclarations, le problème reste le même que pour les objectifs climatiques : le caractère contraignant, sur le plan juridique, politique et économique, des recommandations. Or, dans un contexte global de crise du multilatéralisme, le cynisme est plutôt de mise. Aucun ministre français ne s’est déplacé pour la cérémonie d’inauguration de cette importante plénière internationale, préférant, comme Monsieur Le Drian, faire lire son discours ou comme Monsieur De Rugy de différer le sien. Des discours politiques largement fondés sur la promotion de l’image de la France qui « soutient la démarche » de l’IPBES, sans piper mot sur la nécessaire régulation de l’activité économique pourtant prônée directement par les rédacteurs du rapport.

La perte de la biodiversité peut être appréhendée de manière morale, mais aussi de façon pragmatique : c’est cette biodiversité qui nous procure de la nourriture, de l’eau potable, de l’air, des médicaments et une grande part de notre énergie. Son déclin, en lien avec le changement climatique, a des conséquences directes sur chacun, qui se font déjà sentir et s’accentueront de manière drastique dans les prochaines années, où de nombreuses populations, notamment asiatiques, se verront déplacées à cause de la montée des mers.

Lorsque l’une d’elles disparaît, du point de vue humain, c’est aussi un potentiel modèle scientifique qui est perdu : le vivant a été perfectionné depuis 3,5 milliards d’années, ses formes et les substances qu’il produit dans un objectif précis sont parfaitement adaptées à un milieu donné. L’adaptation est aussi la faculté des êtres vivants à être le plus efficace possible avec le moins d’énergie possible, et c’est exactement ce dont l’humanité a besoin pour relever le défi climatique. Le biomimétisme est ainsi le futur de la technologie humaine, encore faut-il que l’humanité n’ait pas détruit ses modèles avant. Chaque espèce a un rôle à jouer dans l’équilibre global perturbé par l’activité humaine. Cet équilibre se fonde sur une loi d’interdépendance et de coopération à toutes les échelles. Les réactions en chaîne sont donc la règle au niveau écosystémique, le meilleur exemple en est la disparition des abeilles et des oiseaux, absolument fondamentaux dans la reproduction des plantes. Tant que nous ne comprendrons pas que notre survie dépend de celle de la nature qui nous nourrit, rien ne changera.

 

Ci-dessous une vidéo réalisée à l’occasion de la sortie du rapport, avec les images de Yann Arthus-Bertrand et la voix de Juliette Binoche, publiée par un ensemble de collectifs et d’ONG engagés pour la biodiversité et le climat.

Photo à la Une : Hawksbill Turtles floats underwater, Indian Ocean coral reef, Maldives, © Andrey Armyagov

Effondrement de la biodiversité : les abeilles et la Reine Rouge

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Focus sur l’effondrement de la biodiversité, ses conséquences et sur la nécessité d’instaurer un paradigme écologique qui replace l’Homme au cœur de son environnement.

Du 4 au 17 décembre a lieu la COP Biodiversité au Mexique. Pourtant, rares sont les médias et les politiques de grande envergure à tirer la sonnette d’alarme. Nous avons tous été témoins du grand battage médiatique autour de la COP21 sur le Climat. Étonnamment, la sensibilisation citoyenne sur la biodiversité est moindre comparé à l’ampleur de la catastrophe qui se profile. Tous les voyants sont au rouge [1], et si rien n’est fait, les deux tiers des vertébrés auront disparu d’ici 2020. Une étude, publiée le 7 décembre par cinq ONG de protection de l’environnement, estime que seuls 10% des engagements pris par 101 pays membres de la COP Biodiversité (objectifs d’Aichi, plan stratégique 2011-2020) sont à la hauteur des ambitions initialement fixées. Pour ce qui est de la France, force est de reconnaître tout de même des initiatives. On citera la création accrue d’aires marines protégées et l’interdiction, acquise de haute lutte, des insecticides néonicotinoïdes en agriculture, en partie responsables de l’extinction des abeilles. Pour autant, au regard de l’urgence vitale que constitue la préservation de celles-ci, est-il justifié de devoir attendre 2020 l’interdiction totale de leur usage ? A-t-on une alternative crédible à leur rôle de pollinisatrices ? A quel titre plus vital que celui de la survie de l’homme et de son environnement accorder des dérogations ? Tout le monde aura compris que sans les abeilles, officiellement en voie de disparition, nous pouvons faire une croix sur tout un système, naturel et gratuit, qui nous permet de nous nourrir. Que dire des quotas de tirs de loups, variable d’ajustement française pour soulager les conflits entre chasseurs, éleveurs et associations environnementalistes, alors que l’espèce est menacée et protégée au niveau européen ? De la multiplication des zones marines mortes du fait de l’élévation des températures océaniques, de la pollution et de la surpêche ? Que dire enfin, du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui compte sacrifier des zones humides uniques sur l’hôtel de la modernité et de l’économie ?  Si la secrétaire d’Etat à la biodiversité, Barbara Pompili, a signé au nom de la France la « Déclaration de Cancun » qui vise l’intégration de la protection de la biodiversité dans les secteurs de l’agriculture, de la foresterie, du tourisme et de la pêche, la réalité fait mentir les promesses. 

Preuve de la considération subsidiaire des politiques pour la question de la biodiversité, l’écologie est pour le moment la grande oubliée de la campagne présidentielle française. [2] Pour preuve, « sur 570 minutes de débat à la primaire de la droite, 7 ont été consacrées à l’Ecologie ! » Pourtant, à en croire le sondage YouGov réalisé en septembre dernier, 74% des français estiment que l’environnement devrait occuper une place « très ou plutôt importante » dans la campagne présidentielle. Les seuls rescapés des débats à droite auront été le principe de précaution, pour le fustiger, et le nucléaire, dont on aura de cesse de répéter qu’il est vendu dans un joli papier cadeau par François Fillon et sa clique ordolibérale [3]. Ainsi, si les libéraux prônent le « laisser-faire » quasi-mystique des marchés, les ordolibéraux considèrent que la libre concurrence n’est pas spontanée et que l’Etat doit agir pour l’aider à se développer, en édifiant son cadre juridique, technique et moral [4]. Au diable donc le principe de précaution, obstacle à l’innovation et à l’économie ! Fi des réglementations environnementales (interdictions de certains pesticides, restriction des OGM) qui entravent, soi-disant, le dynamisme de la filière agricole ! Pillons, rasons, polluons, tuons… puisque c’est bon pour la croissance ! Mais l’espoir perdure car la conscience écologique imprègne la jeunesse. Dans une enquête publiée en décembre 2016 et réalisée par Générations Cobayes, 98% des 55 000 jeunes sondés (18-35 ans) répondent qu’il est nécessaire, voire vital, d’agir personnellement, à notre échelle, pour réduire notre impact sur la planète et les êtres humains. Soit les intentions des candidats de droite ne sont pas à la hauteur des revendications des Français, soit les électeurs de la primaire de la droite et du centre (à savoir une majorité d’hommes, retraités et de CSP+) ne sont pas représentatifs des aspirations réelles de la société française et des générations futures.

Quels sont aujourd’hui, les sujets prioritaires pour le devenir de notre société ? S’alarmer et s’engager pour la biodiversité, c’est comprendre que, sans elle, c’est tout notre système de santé, notre système agricole et notre économie qui s’effondrent. Rien que ça ! Et la plus grande leçon que la nature puisse nous donner, c’est l’équité de son jugement. Que l’on soit au RSA, que l’on paye l’ISF, ou que l’on cherche à ne plus le payer, nous aurons tous une part du gâteau. A la différence, non négligeable, que l’on ne subit et ne subira pas les effets de la crise écologique de la même manière, selon la classe sociale, le genre ou la minorité ethnique à laquelle on appartient. [5] Pour faire simple, « en période de désastres naturels, les plus affectés sont ceux qui sont le moins bien équipés ! » [6]Préparez-vous à vivre dans un désert ou dans un aquarium, soit que l’on parie davantage sur l’élévation des températures, l’érosion des sols ou la fonte accélérée des glaces ; et le tout sans une once de vie animale et végétale ! Et si nous cessions de cantonner l’écologie aux rubriques « planète » ou « environnement » ? C’est ce que martèle à juste titre La Fabrique Ecologique. Il s’agit de réaliser que c’est une redéfinition globale de la place de l’être humain au cœur de son environnement qui est en jeu. Dans le second tome d’Alice au pays des merveilles, la Reine Rouge annonce : « Ici, voyez-vous, il faut courir le plus vite possible pour rester sur place. » Cette course fatidique est celle que nous vivons : lorsque l’environnement évolue plus vite qu’une espèce vivante ne peut s’y adapter, cette espèce est vouée à s’éteindre [7]. Et quand viendra notre tour, quand les conséquences de l’effondrement de la biodiversité, dont nous sommes responsables, dépasseront notre capacité d’imagination et d’adaptation, ni les abeilles, à jamais disparues, ni les OGM, ni le nucléaire ne nous permettront d’échapper à notre triste sort. Quand la Reine Rouge nous aura coupé la tête, il ne restera qu’un fauteuil vide sur une plage de sable fin.

Crédits photo : ©Sonel. Libre pour usage commercial

[1] Biodiversité : tous les indicateurs sont au rouge, Pierre Le Hir, Le Monde, 7 décembre 2016.

[2] Sur 570 minutes de débat à la primaire, 7 ont été consacrées à l’Ecologie ! We Demain, 1 décembre 2016.

[3] Vous avez dit urgence ? Ecologie, primaire et sparadrap, Manon Dervin, Le vent se lève, 6 décembre 2016.

[4] L’ordolibéralisme allemand, cage de fer pour le vieux continent, Pierre Rimber et alii., Le Monde diplomatique, août 2015.

[5] La nature est un champ de bataille, Razmig Keucheyan, Essai d’écologie politique, La Découverte, 2014.

[6] Michèle Bachelet, présidente du Chili en septembre 2014 à New-York.

[7] L’effet de la Reine Rouge, Leigh Van Valen, 1973.