« Brésil : les démocraties meurent aussi démocratiquement » – par Boaventura de Sousa Santos

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Jair Bolsonaro ©Marcelo Camargo/Agência Brasil

Boaventura de Sousa Santos est professeur de sociologie et directeur du Centre d’études sociales de l’Université de Coimbra (Portugal), professeur émérite de l’Université de Wisconsin-Madison (États-Unis) et de divers établissements universitaires du monde. Il a participé à trois éditions du Forum Social Mondial à Porto Alegre. Article Publié en portugais sur Midianinja, et en espagnol sur Pàgina 12.

Nous nous sommes habitués à penser que les régimes politiques se partagent en deux types principaux : la démocratie et la dictature. Après la chute du mur de Berlin, en 1989, la démocratie (libérale) a fini par être considérée, de manière quasi consensuelle, comme l’unique régime politique légitime. Malgré leur diversité interne, ce sont deux types antagonistes qui ne peuvent pas coexister dans la même société et l’option pour l’un ou l’autre suppose toujours une lutte politique impliquant la rupture avec la légalité existante.

Au cours du siècle dernier, l’idée selon laquelle les démocraties ne s’effondraient que par l’interruption brusque et presque toujours violente de la légalité constitutionnelle, au moyen de coups d’État dirigés par des militaires ou des civils dans le but d’imposer une dictature, a été consolidée. Ce récit était en grande partie vrai. Il ne l’est plus. Des ruptures violentes et des coups d’État sont encore possibles, mais il est de plus en plus évident que les dangers que court aujourd’hui  la démocratie sont autres et  dérivent paradoxalement du fonctionnement normal des institutions démocratiques. Les forces politiques antidémocratiques, s’infiltrant peu à peu dans le régime démocratique, le capturent, le dénaturent, de manière plus ou moins déguisée et progressive, dans les limites de la légalité et sans modifications constitutionnelles, jusqu’à ce que, à un moment donné, le régime politique en vigueur, sans avoir formellement cessé d’être une démocratie, apparaisse totalement vide de contenu démocratique, qu’il s’agisse de la vie des personnes ou de celle des organisations politiques. L’une et l’autre en viennent à se comporter comme si elles étaient en dictature. Je mentionne ci-dessous les quatre composantes principales de ce processus.

L’élection des autocrates.

Des États-Unis aux Philippines, de la Turquie à la Russie, de la Hongrie à la Pologne, des politiques autoritaires ont été démocratiquement élus et, même s’ils sont le produit de l’establishment politique et économique, ils se présentent comme anti-système et anti-politique, insultent leurs adversaires qu’ils considèrent comme corrompus et les voient comme des ennemis à éliminer, rejettent les règles du jeu démocratique, lancent des appels intimidants à la résolution des problèmes sociaux par la violence, affichent du mépris pour la liberté de la presse et se proposent d’abroger les lois qui garantissent les droits sociaux des travailleurs et des populations discriminées pour des raisons ethniques, sexuelles ou religieuses. En bref, ils se présentent aux élections avec une idéologie anti-démocratique et, même ainsi, ils parviennent à obtenir la majorité des votes. Les politiques autocratiques ont toujours existé. Ce qui est nouveau, c’est la fréquence avec laquelle ils parviennent peu à peu au pouvoir.

Le virus ploutocratique.

La façon dont l’argent en est venu à dénaturer les processus électoraux et les délibérations démocratiques est alarmante. Au point de se demander si, dans de multiples situations, les élections sont libres et transparentes et si les dirigeants politiques agissent en fonction de leurs convictions ou de l’argent qu’ils reçoivent. La démocratie libérale repose sur l’idée selon laquelle les citoyens ont la possibilité d’accéder à une opinion publique informée et, sur cette base, élire librement les dirigeants et évaluer leurs actions. Pour que cela soit possible, il est nécessaire, a minima, que le marché des idées politiques (les valeurs qui n’ont pas de prix, car ce sont des convictions) soit totalement séparé du marché des biens économiques (les valeurs qui ont un prix et qui, sur cette base, s’achètent et se vendent). Ces derniers temps, ces deux marchés ont fusionné sous l’égide du marché économique, à tel point qu’aujourd’hui, en politique, tout s’achète et tout se vend. La corruption est devenue endémique.

Le financement des campagnes électorales des partis ou des candidats, les groupes de pression (ou lobbies) sur les parlements et les gouvernements ont, aujourd’hui, dans de nombreux pays, un pouvoir décisif dans la vie politique. En 2010, la Cour Suprême de Justice des États-Unis, dans l’arrêt Citoyens Unis vs la Commission Électorale Fédérale, a porté un coup fatal à la démocratie étasunienne en permettant un financement sans restrictions et privé des élections et des décisions politiques par de grandes entreprises et des super riches. S’est ainsi développé ce qu’on appelle le dark money qui n’est pas autre chose qu’une corruption légalisée. Ce même dark money explique, au Brésil, une composition du Congrès dominée par le groupe des bellicistes (“de la balle”), celui des ruraux (“du boeuf”) et celui des évangélistes (“de la Bible”), une caricature cruelle de la société brésilienne.

Les « fake news » et les algorithmes.

Pendant un certain temps, Internet et les réseaux sociaux qu’il a générés ont été considérés comme une possibilité sans précédent d’accroître la participation des citoyens à la démocratie. À l’heure actuelle, à la lumière de ce qui se passe aux États-Unis et au Brésil, nous pouvons dire que, s’ils ne sont pas règlementés, ils seront plutôt les sépultures de la démocratie. Je me réfère, en particulier, à deux instruments : les fausses informations et l’algorithme.

Les fausses informations ont toujours existé dans les sociétés traversées par de fortes divisions, particulièrement, dans les périodes de rivalité politique. Aujourd’hui, cependant, leur potentiel destructeur, par la désinformation et le mensonge qu’ils propagent, est alarmant. Ceci est particulièrement grave dans des pays comme l’Inde et le Brésil, dans lesquels les réseaux sociaux, notamment WhatsApp (dont le contenu est le moins contrôlable, car crypté), sont largement utilisés, au point d’être la source d’informations citoyenne la plus importante, et même unique (au Brésil, 120 millions de personnes utilisent WhatsApp). Des groupes de recherche brésiliens ont dénoncé dans le New York Times (17 octobre) le fait que, sur les 50 images (virales) les plus publiées des 347 groupes publics de WhatsApp en faveur de Bolsonaro, seules quatre étaient vraies. L’une de ces images était une photo de Dilma Rousseff, candidate au Sénat, avec Fidel Castro lors de la Révolution cubaine. Il s’agissait, en fait, d’un montage réalisé à partir de l’archive de John Duprey pour le NY Daily News en 1959. Cette année-là, Dilma Rousseff était une fillette de onze ans. Soutenue par de grandes entreprises internationales et par des services de contre-espionnage militaires nationaux et étrangers, la campagne de Bolsonaro a constitué un montage monstrueux de mensonges auxquels la démocratie brésilienne survivra difficilement.

Cet effet destructeur est renforcé par un autre instrument : l’algorithme. Ce terme, d’origine arabe, désigne le calcul mathématique permettant de définir des priorités et de prendre des décisions rapides à partir de grandes séries de données (big data) et de variables, en prenant en compte certains résultats (la réussite d’une entreprise ou d’une élection). Malgré son apparence neutre et objective, l’algorithme contient des opinions subjectives (qu’est-ce que réussir ? Comment définit-on le meilleur candidat ?) qui restent cachées dans les calculs. Lorsque les entreprises se voient obligées de révéler les critères, elles se défendent avec l’argument du secret commercial. Dans le champ politique, l’algorithme permet la rétroaction et l’amplification de la diffusion d’un sujet en vogue dans les réseaux et qui, par conséquent, étant populaire, est considéré comme pertinent par l’algorithme. Il arrive que ce qui est viral  dans les réseaux sociaux puisse être le produit d’une gigantesque manipulation informative, réalisée par des réseaux de robots et de profils automatisés qui répandent, parmi des millions de personnes, des fausses nouvelles et des commentaires « pour » ou « contre » un candidat, transformant le sujet en artificiellement populaire et gagnant, ainsi, encore plus d’impact grâce à l’algorithme. Il n’y a pas de conditions pour distinguer le vrai du faux et l’effet est d’autant plus destructeur que la population est vulnérable au mensonge. Ainsi, dans 17 pays, notamment aux États-Unis (en faveur de Trump) et, à présent, au Brésil (en faveur de Bolsonaro), les préférences électorales ont, récemment, été manipulées, dans une proportion qui peut être fatale pour la démocratie.

L’opinion publique survivra-t-elle à cet empoisonnement informatif ? Une information véritable aura-t-elle une quelconque possibilité de résister à une telle avalanche de tromperies ? J’ai défendu le fait que, dans les situations d’inondation, ce qui manque le plus, c’est de l’eau potable. Avec une préoccupation parallèle, eu égard à l’ampleur de la manipulation informatique de nos opinions, de nos goûts et de nos décisions, la chercheuse en informatique Cathy O’ Neil caractérise les Big Data et les algorithmes comme des armes de destruction mathématique (Weapons of Math Destruction, 2016).

La capture des institutions.

L’impact des pratiques autoritaires et anti-démocratiques sur les institutions se produit progressivement. Les présidents et les parlements élus par le biais des nouveaux types de fraude (fraude 2.0) auxquels je viens de faire allusion, ont la voie ouverte pour instrumentaliser les institutions démocratiques ; et ils peuvent le faire prétendument dans le cadre de la légalité, aussi évidents que soient les détournements et les interprétations biaisées de la loi ou de la Constitution. Le Brésil est devenu, ces derniers temps, un immense laboratoire de manipulation autoritaire de la légalité. Cette capture a rendu possible l’arrivée au second tour du néo-fasciste Bolsonaro et son éventuelle élection. Comme dans d’autres pays, la première institution saisie est le système judiciaire. Pour deux raisons : parce qu’il s’agit de l’institution ayant le pouvoir politique le plus distant de la politique électorale et parce que c’est constitutionnellement l’organe de la souveraineté conçu comme un “arbitre neutre”. J’analyserai, à une autre occasion, ce processus de capture. Qu’adviendra-t-il de la démocratie brésilienne si cette capture se concrétise, suivie des autres captures qu’elle rendra possible ? S’agira-t-’il toujours d’une démocratie?

  

Traduction de Martine Chantecaille et Nohora Gomez.

 

Ces dictatures brésiliennes qui servent de modèle à Bolsonaro

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Jair Bolsonaro ©Marcelo Camargo/Agência Brasil

Jair Bolsonaro a cultivé pendant sa campagne la nostalgie qu’éprouve encore une partie des Brésiliens pour les deux dictatures militaires qu’a connues leur pays. Le nouveau président a en effet multiplié les déclarations ouvertement favorables à ces périodes de l’histoire brésilienne. Au XXème siècle, le Brésil a vécu durant trente-quatre ans sous le joug de deux régimes dictatoriaux : le régime à parti unique de Getulio Vargas de 1930 à 1945 (l’Estado Novo) puis celui de la junte militaire initiée par le coup d’Etat de Castelo Branco, de 1964 à 1985. La dictature de Vargas, à caractère corporatiste, protectionniste et nationaliste, diffère assez largement de celle de la junte: libérale et pro-américaine, cette dernière s’est singularisée par sa politique économique et sociale, dictée par le FMI et favorable aux grandes multinationales. Sans surprises, le souvenir du second régime est davantage mobilisé par Bolsonaro. Préfigurerait-il la politique qu’il se prépare à mettre en place ?


L’Estado Novo, en toile de fond.

Notre plongée dans les méandres dictatoriaux du Brésil débute en 1930. Une révolution menée par Gétulio Vargas, alors gouverneur de l’Etat de Rio Grande do Sul, met fin à la Republica Velha (« La Vieille République ») et instaure un régime dictatorial. Les griefs contre cette première République étaient nombreux. Parmi eux, la pratique du « colonelisme » qui s’était mise en place au fil des années du fait de la forme fédérale de l’Etat, et qui consistait à déléguer aux oligarques locaux des pouvoirs considérables. Les collusions de ceux-ci avec les exploitants de café – principalement installés à São Paulo – ou de lait étaient flagrantes. Ces deux secteurs étaient alors tellement importants que l’on disait de la politique brésilienne que c’était une politique du café com leite (café au lait), puisque les gérants faisaient la pluie et le beau temps dans la vie politique du pays. La corruption n’est pas un phénomène neuf dans la vie politique brésilienne !

Getulio Vargas.

Lors de son arrivée au pouvoir, Vargas choisit de répondre à cette situation par la mise sous tutelle des États fédérés. Il place à leur tête des interventores (administrateurs) chargés de nommer les autorités au sein des Etats. Au début des années 1930, suite au krach de 1929, le pays se trouve dans une profonde crise économique. La production est en forte baisse : elle perd 4% en 1930 et 5% en 1931; le gouvernement manque de moyens car les réserves d’or ont fondu comme neige au soleil. Pour ne rien arranger à cet état de fait, l’agriculture connaît une situation catastrophique, le pays ne peut plus exporter. Enfin, la monnaie de l’époque, le cruzeiro, est dévalué de 40% et l’Etat brésilien suspend le remboursement de sa dette. Vargas entreprend de résoudre ces problèmes par des mesures travaillistes, protectionnistes et corporatistes. Il s’inspire de la doctrine sociale du Pape Léon XIII qui promeut une collaboration des classes sociales, basée sur un idéal de charité de la part des patrons et de modération de la part des travailleurs. C’est ainsi que sont mises en place sous la bannière de l’Estado Novo des mesures telles que la journée de travail de 8 heures, l’abolition du travail des enfants, la mise en place de congés payés, ou encore le droit de vote des femmes. Ces mesures ont valu à Vargas le surnom de « Père des pauvres ».

Il faut cependant faire remarquer toutes les limites de cette politique sociale. D’une part, elles n’ont concerné qu’une minorité de travailleurs : ceux des villes et qui occupaient des postes réglementés. Les travailleurs informels ne bénéficiaient eux d’aucune protection. D’autre part, les syndicats demeuraient fortement encadrés par l’État, et les mouvements sociaux ont été réprimés avec une grande violence par le gouvernement, Vargas ayant été jusqu’à ordonner la déportation de ses opposants communistes dans les camps de concentration de l’Allemagne nazie. L’éducation était quant à elle réservée à l’Église catholique. Enfin, la Constitution de l’Estado Novo, qui proclamait le droit de vote des femmes, n’a jamais été appliquée: le Parlement brésilien ne s’est pas réuni une seule fois sous le régime de Vargas.

Le régime ne manque pas de traits autoritaires. Son nom, l’Estado Novo, est une reprise du titre officiel de la dictature de Salazar au Portugal, et sa Constitution est dite “polonaise” tant elle rappelle celle du maréchal Pilsudski de 1926. On y retrouve les traits habituels des dictatures catholiques qui pullulent en Europe : parti unique, police politique, suspension des libertés individuelles, culte de la personnalité.

Le nationalisme constitue un autre trait structurant du régime de Vargas. Ce dernier a notamment instrumentalisé le carnaval de Rio et le football pour consolider la « brésilianité » de ses habitants, instauré une « préférence nationale » pour les Brésiliens et favorisé un climat de xénophobie envers les étrangers qu’il désignait comme des « kystes ethniques ». L’ère Vargas n’a pas été pour rien dans l’importance que revêt aujourd’hui le football dans la culture brésilienne, la dictature subventionnant massivement les clubs en échange de la loyauté politique des joueurs. L’écho considérable qu’a rencontré l’appel à voter Bolsonaro de la part de joueurs comme Ronaldinho ou Kaka est, au moins en partie, un héritage de la dictature de Vargas.

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Une affiche de propagande de l’Estado Novo de 1940

L’Estado Novo connaît son épilogue en 1945, lorsque Gétulio Vargas est déposé par l’armée avec l’aide des Etats-Unis. On le soupçonne alors d’être devenu pro-communiste à cause de son rapprochement avec Moscou à la fin de la guerre…

L’héritage de Vargas est perçu comme ambivalent et contradictoire. Le volet social de sa politique mène parfois à l’amnésie concernant les aspects répressifs de son régime. Pour nombre de Brésiliens, Vargas est d’abord connu pour sa fin tragique – un suicide – et pour le « testament » qu’il a rédigé à la veille de sa mort.« Le Père des pauvres » s’y dépeint en protecteur héroïque de la nation brésilienne, acculé par les puissances étrangères à mettre fin à ses jours : « Je me suis battu contre le pillage du Brésil. Je me suis battu contre le pillage du peuple. Je me suis battu avec la poitrine ouverte. La haine, l’infamie, les calomnies ne m’ont pas submergé. »

On comprend donc que les références faites à l’Estado Novo pendant la campagne de Jair Bolsonaro aient été discrètes – l’hommage à la dictature corporatiste et interventionniste jurait avec le caractère néolibéral du programme de Bolsonaro. De Vargas, Bolsonaro retenait surtout la nécessité d’un leadership fort et personnalisé garant de la stabilité sociale, d’une pratique éthique de la politique teintée de catholicisme, et d’un encadrement des mouvements sociaux et syndicaux. C’est à la junte militaire brésilienne (1964-1985) que va la préférence du nouveau président brésilien.

Le spectre de 1964.

La prise de parole la plus célèbre de Bolsonaro à ce sujet s’est produite lors du vote de l’impeachment de la présidente Dilma Rousseff en 2016. Au micro de la Chambre, il rend un hommage public au colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, premier militaire à être reconnu coupable de torture pendant la dictature.

Cette dictature militaire est inaugurée par un coup d’Etat des généraux brésiliens perpétré à l’encontre du président João Goulart, le 31 mars 1964. Bien que n’étant pas un radical, celui-ci était perçu comme un sympathisant communiste par l’administration américaine, les classes supérieures brésiliennes et la hiérarchie ecclésiastique, car il défendait la mise en place d’une réforme agraire et le renforcement de la protection des travailleurs brésiliens. Le coup d’État, soutenu par la CIA, survient à l’issue d’une campagne de presse hostile dépeignant João Goulart comme un nouveau Fidel Castro.

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João Goulart

Le maréchal Castello Branco, placé au pouvoir, prétend « remettre la maison en ordre ». Les similitudes avec la situation actuelle ne manquent pas. L’anticommunisme, la volonté de mettre fin à un régime « extrémiste de gauche » qui favorise l’agitation sociale, et de rétablir « l’ordre » au Brésil, ont été des éléments rhétoriques structurants de la campagne de Bolsonaro. Celui-ci n’avait de cesse de pointer du doigt les liens entre son adversaire Fernando Hadad, Cuba et le Venezuela. Il l’accusait d’avoir pour projet d’intégrer le Brésil à une « Union des Républiques Socialistes d’Amérique Latine ». Par ailleurs, on retrouve des acteurs sociaux similaires derrière le coup d’Etat de 1964 et la campagne de Bolsonaro sont les mêmes : les multinationales, les propriétaires terriens, une partie du secteur médiatique.

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“La Marine chasse Goulart”, 1965

La dictature instaurée en 1964 n’est pas sans évoquer celle de Pinochet au Chili ou de Videla en Argentine. Le Parlement brésilien est officiellement maintenu dans ses fonctions, mais son rôle n’est plus que décoratif ; l’exécutif s’autorisant à révoquer les députés qui s’opposent à ses projets, il se transforme en chambre d’enregistrement. L’administration fait l’objet de purges, la délation est encouragée et la torture institutionnalisée. On estime qu’au total, ce sont 20 000 Brésiliens qui ont été victimes des chambres de torture sous la junte militaire ; parmi eux, la future présidente Dilma Rousseff, âgée de vingt ans, qui a acquis une certaine aura grâce au stoïcisme dont elle a fait preuve alors. La peine de mort, supprimée en 1891, est rétablie : au cours de la junte militaire, 400 Brésiliens, victimes de la répression étatique, trouvent la mort. Faisant écho à cette période, Bolsonaro a déclaré lors de sa campagne qu’il souhaitait « une police qui tire pour tuer », qu’il rétablirait la peine de mort abolie depuis, qu’il condamnerait ses opposants les plus radicaux à l’exil, et que « l’erreur » des tortionnaires brésiliens avait été de ne « pas tuer » leurs victimes.

« Remettre la maison en ordre » passe aussi par l’économie. Le Brésil de la junte traverse une crise importante avec des taux d’inflation de quasiment 100%, que le régime réussit à diviser par trois avec son PAEG (Programa de Ação Econômica do Governo : Programme d’action économique du gouvernement). Celui-ci prévoit la limitation des salaires que le précédent gouvernement avait revus à la hausse. De 1969 à 1973, l’économie fait un gigantesque bond en avant. Surviennent ensuite les krachs pétroliers de 1973 (mandat d’Ernesto Garrastazu Médici) et 1979 (mandat de João Figuereido) qui minent l’économie. Il n’est pas anodin de noter que cette relance est soutenue par le FMI qui prête massivement à l’Etat brésilien : 125 millions pour contenir l’inflation en 1965, puis 13,2 milliards entre 1982 et 1985 pour attirer les investisseurs étrangers – corollaire de sa politique de gel des salaires et de répression des mouvements syndicaux et sociaux.

Si la hiérarchie ecclésiastique brésilienne soutient également la mise en place de la dictature, saluant le coup d’Etat militaire, elle s’en désolidarise bien vite au moment des « années de plomb » qui marquent le durcissement de la dictature. Les évangélistes qui soutiennent actuellement le président brésilien suivront-ils la même évolution si celui-ci se livre à des pratiques répressives similaires ?

Aujourd’hui, une situation comparable ?

Un travail mémoriel important a été effectué au Chili ou en Argentine à l’égard de la période dictatoriale ; cela n’a pas été le cas au Brésil. Cette différence s’explique notamment par le vote d’une loi d’amnistie, en 1979 (sous la dictature militaire), qui protège, aujourd’hui encore, les tortionnaires de poursuites pénales. Bien que la « Commission Nationale de la Vérité »  brésilienne ait demandé sa suppression à plusieurs reprises, le statu quo demeure. Pour l’historienne Armelle Enders, la création de cette Commission en 2011 signe le retour sur la scène publique des nostalgiques de la dictature initiée par Castelo Branco.

Si les deux dictatures brésiliennes (l’Estado Novo de Vargas et la junte militaire de 1964) partagent de nombreuses points communs – la volonté d’ordre, l’autoritarisme, la fibre ecclésiastique, le discours nationaliste et conservateur -, elles ont eu des implications sociales et tenu des positionnements géopolitiques différents. Défenseur de « l’ordre » et conservateur, partisan d’un Etat fort, protecteur de la police et de l’armée (même lorsqu’elles se comportent comme des milices politiques), militaire lui-même, Bolsonaro est sans conteste un avatar du militarisme de ces régimes. Ce n’est pas pour rien qu’il expose fièrement les portraits des dictateurs successifs dans son bureau. Néolibéral, pro-américain, soutenu par l’oligarchie brésilienne, il s’inscrit cependant bien davantage dans la continuité du second régime que du premier.

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Ces deux dictatures ont été mises en place lors de crises économiques importantes, or le Brésil traverse aujourd’hui ce que le FMI considère comme la plus grave crise économique de son histoire, avec une récession de 7.2% du PIB sur deux ans, soit bien plus que les 5.1% perdus suite au krach de 1929.
L’une des bases idéologiques sur lesquelles reposaient les dictatures brésiliennes était la désignation et le rejet de bouc-émissaires par le gouvernement. Aux communistes et aux étrangers, se sont aujourd’hui ajoutés les membres de la communauté LGBT: Bolsonaro a accompagné et légitimé les actions violentes perpétrées à leur égard, en s’appuyant sur les groupes évangélistes les plus radicaux, et fait ainsi l’apologie d’une société uniformisée sous l’égide d’un homme fort, lui aussi en uniforme.

Dans un contexte social de plus en plus tendu, doit-on craindre que Bolsonaro ne mène le Brésil vers un autoritarisme croissant, et ne tue une deuxième fois Camus, qui écrivait que « la démocratie n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité » ? La violence de ses propos à l’égard de l’opposition, des « communistes »  supposés du PT (Parti des travailleurs), des LGBT, des Afro-Brésiliens et des communautés indigènes, ainsi que les tensions multiples qui traversent le Brésil, ne présagent en tout cas rien de rassurant.

Pour aller plus loin :

FAURE Michel, Une histoire du Brésil, Place des éditeurs, 2016
ZIEGLER Jean, L’Empire de la honte, seuil, 2006

Ordre contre progrès : guerre ouverte dans le politique brésilien

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Jair_Bolsonaro_Medico_Militar_no_SUS_(2).jpg
Jair Bolsonaro / Wikimédia Commons / Antonio Cruz/Agência Brasil

Comment est-ce possible ? Quelles erreurs a-t-on pu commettre ? Les admirateurs du Brésil de Lula demeurent perplexes face à la riposte ultraconservatrice menée par Jair Bolsonaro. La victoire de celui-ci met fin à l’un des projets politiques les plus influents du XXIème siècle en Amérique latine. Retour sur les causes du phénomène Bolsonaro et les perspectives qui restent à ses opposants. 


Vers une crise intégrale

Le Brésil, plus grand pays tropical au monde, grenier de la planète et foyer de plus de 200 millions de personnes, a connu un basculement politique avec l’élection en 2003 de Luis Inácio Lula da Silva, chef de file du Parti des Travailleurs (PT). Pays leader de la gauche latino-américaine, il fit figure de modèle alternatif au néolibéralisme et à l’alignement sur les Etats-Unis qui avaient prévalu depuis les années 1990 – quoique de manière bien plus modérée que le Venezuela de Hugo Chavez et les pays membres de l’ALBA. Le boom pétrolier des années 2000 permit une relance de la consommation, la création d’une nouvelle classe moyenne et le développement des services publics. Cette dynamique fut accompagnée d’une politique redistributive, qui permit une réduction non négligeable de la pauvreté et des inégalités ; le coefficient de Gini, qui mesure l’écart de revenus entre les 10% les plus riches et les 10% plus pauvres d’une population, a perdu sept points sur cent en douze ans.

Le Parti des Travailleurs s’est retrouvé confronté à la même difficulté que les partis au pouvoir en Argentine, en Équateur, au Venezuela et en Bolivie : celle du changement de porte-drapeau. La passation de pouvoir entre Lula et Dilma Rousseff ne s’est pas faite sans heurts. Les manifestations de 2013 ont rendu compte d’un mécontentement croissant envers Dilma Rousseff, perçue comme une figure bureaucratique, fragilisée par son alliance avec Michel Temer. Sa réputation n’a fait que décliner jusqu’à sa mise en accusation judiciaire (impeachment) en 2015, du fait notamment des violences policières engagées lors de la Coupe du Monde de 2014, et de la forte récession provoquée par la chute des prix du pétrole. 

Paralysie du projet “progressiste”

Les scandales de corruption Petrobras, Odebrecht et l’opération Lava Jato ont déchiré l’opinion brésilienne. L’impeachment orchestré par un Vice-Président et des parlementaires corrompus finissent de briser la suprématie du PT, entraînant ainsi la décomposition de tout le système politique. Avec ce nouvel Etat acéphale, la corruption et l’insécurité deviennent des enjeux structurants pour l’opinion brésilienne. Ainsi, les nouvelles classes moyennes souhaitent sanctionner la corruption de la classe politique, tandis que leur émancipation économique a entraîné une désensibilisation face à la pauvreté, et une exigence croissante de sécurité. Un tel basculement s’explique également par l’accroissement exponentiel de la violence que l’on observe depuis le début de ce vide politique ; en 2017, le Brésil a battu son record d’homicides avec 63 880 morts, soit une moyenne de 175 décès par jour.

“La grande fragilité du PT dans ce moment populiste, c’est précisément qu’il joue sur son propre terrain. Même s’il prétend rallier l’opinion publique contre une élite mafieuse qui profite de l’appareil judiciaire, il continue à faire partie de l’establishment politique. De cette manière, Bolsonaro est, pour beaucoup de brésiliens, le seul outsider ayant un discours vertical convaincant et radical.”

La situation que vit le Brésil est celle d’une crise intégrale, qui porte les germes d’un profond moment populiste ; le Parti des Travailleurs l’a exploité en tentant de présenter Lula comme candidat à l’élection présidentielle, bien qu’il soit en prison. Son incarcération douteuse, sous le cri de Lula Livre” (Lula libre), en a fait une figure de martyr et il s’est érigé en solution définitive face à la cacophonie politique du pays. Cependant, l’interdiction de sa candidature à l’élection fut un vrai coup dur pour la stratégie de défense du parti. À quelques semaines de l’élection, Fernando Haddad est alors devenu candidat du PT, avec un slogan de campagne explicite : “Haddad, c’est Lula.” De fait, il est un des rares politiciens de l’histoire à incarner de manière aussi frappante la figure de son prédécesseur. Comme dans le cas de Dilma Rousseff, le changement de leader politique du Parti des Travailleurs ne s’est cependant pas fait sans heurts.

La grande fragilité du PT dans ce moment populiste, c’est précisément qu’il se trouve sur le terrain qu’il prend pour cible. Même s’il prétend rallier l’opinion publique contre une élite mafieuse qui profite de l’appareil judiciaire, il continue à faire partie de l’establishment politique. De cette manière, Bolsonaro apparaît, aux yeux d’une partie importante des Brésiliens, comme le seul outsider ayant un discours vertical convaincant et radical.

Ordre et retour du patriarcat

Ordre. C’est le premier mot de la devise qui figure sur le drapeau brésilien depuis l’indépendance du pays, Ordem e Progresso (“ordre et progrès”). Depuis, l’ordre a été le maître mot d’une longue et obscure partie de son histoire. Sa mise en place a pu passer par le fusil et par la violence étatique. Bolsonaro lui-même n’hésite pas à déclarer que pour changer les choses, il faudrait ”fusiller 30 000 personnes”. Traditionnellement, c’est de la part des élites que vient cette demande d’ordre. La spécificité de ce cas, c’est que c’est le peuple lui-même qui souhaite son retour.

“Le vote de Bolsonaro n’est pas un vote des classes populaires comme c’est le cas de l’extrême droite occidentale mais celui des hauts revenus et des hautes qualifications scolaires”

Le discours de Bolsonaro incarne avant tout le modèle de la famille patriarcale importée par la colonisation portugaise. Celle-ci s’articule autour d’un pater familias autoritaire auquel les autres membres subalternes doivent un respect absolu. Dans un tel système, la femme se situe sur un plan très inférieur à l’homme : c’est avant tout son caractère indulgent, et surtout sa capacité à procréer qui lui confèrent une place. Le pater familias attend d’elle une responsabilité absolue quant aux soins des enfants, en échange de la protection qu’il lui offre. C’est ainsi que Bolsonaro justifie l’inégalité salariale par le coût du congé maternité. La femme, objectivée dans son discours, est reléguée à la place de simple auxiliaire dans le milieu politique. 

Le deuxième échelon de discrimination impliqué par ce modèle de la Casa Grande (la grande propriété coloniale) concerne la communauté des afro-descendants. Au Brésil, comme aux Etats-Unis, les clivages économiques et ethniques sont souvent confondus. Les politiques d’élimination violente du crime dans les favelas dont Bolsonaro fait l’apologieallant parfois jusqu’à la stérilisation, se révèle structurellement brutale à l’égard des afro-descendants. Bolsonaro contribue à l’accentuation de ces tensions ethniques par ses fréquentes sorties racistes, déclarant, entre autres, que ”les Noirs ne servent même plus à procréer”.

Cette volonté de retour à l’ordre est surtout celle des classes moyennes et aisées. En effet, le vote de Bolsonaro n’est pas le vote des classes populaires – comme c’est le cas de l’extrême droite occidentale – mais celui des classes supérieures, des hauts revenus et des hautes qualifications scolaires.

La grande contradiction

Cette séquence politique pose une énigme : comment les catégories sociales prises pour cible par Bolsonaro peuvent-elles appuyer son projet ? La principale ligne de démarcation politique du candidat s’articule autour de l’ordre et l’honnêteté, ou pour le combiner en un seul projet, la “lutte contre le crime”. Le “criminel” est le jeune trafiquant de la favela aussi bien que le politicien corrompu. Tous les deux méritent un châtiment sévère pour avoir trahi le peuple brésilien. Le politicien du PT représente, pour Bolsonaro, la corruption et le communisme. Les réminiscences de la doctrine dictatoriale se mélangent ici avec des allusions constantes au Venezuela pour discréditer toute initiative progressiste. Par ailleurs, Bolsonaro se sert de l’escalade de violence dans les bidonvilles et utilise le désespoir de ses habitants, pour leur proposer des solutions miracles face au trafic de drogue, telles que la réhabilitation de la torture et la légalisation du port d’armes.

Jusqu’ici, chaque ligne discursive de Bolsonaro trouve une réponse ou une tentative de justification de la part du PT, qui argue que les problèmes d’insécurité peuvent se résoudre du fait de l’amélioration des conditions matérielles des plus défavorisés. La lutte contre la corruption demeure l’un des points faibles du PT, mais Haddad parvient à l’articuler à son discours en prenant pour cible le système judiciaire, accusé d’avoir emprisonné arbitrairement Lula. En revanche Bolsonaro a largement devancé le PT dans sa mobilisation récurrente de la religion dans ses discours. Avec son slogan ”Brésil au dessus de tout, Dieu au dessus de tous”, le discours de Bolsonaro porte dans un pays où 86% de la population s’identifie comme chrétienne. Tout en appartenant à la minorité évangéliste, il monopolise le religieux dans le discours politique, articulant son discours d’ordre à des références religieuses. Face à cette surenchère, Haddad fut contraint de faire de vagues allusions religieuses vers la fin de sa campagne.

La signification de l’élection de Bolsonaro à la tête du Brésil dépasse très largement la défaite du Parti des Travailleurs ; l’enjeu est désormais pour les Brésiliens la préservation de leurs libertés démocratiques. C’est la première fois qu’un candidat ouvertement favorable à la dictature militaire brésilienne (1964-1985) parvient au pouvoir. La campagne ne dure que depuis quelques mois, et un discours de haine s’installe déjà dans la société brésilienne ; elle a déjà fait des victimes – des homosexuels assassinés, des Noirs et des militants de gauche agressés… Elle a désormais un pied dans les institutions, et constitue désormais le vrai centre de gravitation de la bataille culturelle brésilienne.

Les mouvements féministes et LGBT ont lancé cet été la devise: #PasLui. Elle s’est convertie progressivement en slogan séparant les démocrates des autoritaires. Un nouveau mouvement politique est ainsi né, défini par son opposition à Jair Bolsonaro. Haddad n’est pas l’épée, mais le bouclier d’une cause qui s’étend bien au-delà du Parti des Travailleurs. Le PT aura ainsi l’opportunité de se repenser ; c’est pour lui le moment d’un renouvellement intégral. La dernière transition du pays s’est faite sous les mains d’un libéralisme qui ne représentait pas son peuple. A cette occasion, le côté progressiste doit assurer sa place en première ligne du combat idéologique. En un mot, il est impératif pour lui de montrer que la devise nationale brésilienne n’est pas une contradiction. L’ordre passe certainement par un système libre de corruption. Néanmoins, il se consolide avec un projet de futur, populaire et démocratique.

Les cinq faces du discours pro-Bolsonaro

Sessão Extraordinária Plenário Ulysses Guimarães Dep. Jair Bolsonaro Foto: Beto Oliveira 30.06.2011

A l’approche des résultats d’une élection présidentielle cruciale pour le Brésil, le collectif Lyon – Brésil pour la démocratie met en lumière les principaux ressorts du discours du grand favori, Jair Bolsonaro, candidat d’une extrême-droite décomplexée aux accents autoritaires, oligarchiques et ultra-conservateurs. 


Ouvertement raciste, misogyne, homophobe et autoritaire, le candidat d’extrême-droite, Jair Bolsonaro (Parti Social Libéral – PSL) est le grand favori du second tour des élections présidentielles face à Fernando Haddad (Parti des Travailleurs – PT). Après une écrasante victoire au premier tour (il a recueilli 46% des suffrages), ce nostalgique de la dictature militaire fait craindre le pire pour les minorités, promises à vivre sous le diktat de la majorité auto-proclamée.

Ses déclarations, toutes plus choquantes les unes que les autres, ne l’ont pas empêché d’acquérir une forte popularité auprès de la population brésilienne. Mais Bolsonaro n’est pas arrivé là par hasard, il a su regrouper et séduire grâce à des discours qui illustrent bien les conflits qui tourmentent le Brésil depuis le début de son histoire.

Cet article cherche à mettre en perspective ces discours qui ont réussi à trouver écho dans la société brésilienne, propulsant le député fédéral de Rio aux portes du poste suprême de la première puissance économique d’Amérique du Sud.

I – La revanche de l’homme blanc

Sans pouvoir le réduire à cela, le vote Bolsonaro est en partie un vote masculin, blanc et conservateur. Les études montrent une importante popularité du candidat auprès de la bourgeoisie agro-industrielle, de l’agropecuaria (propriétaires agraires) ou encore des classes laborieuses urbaines. Bolsonaro a su séduire cet électorat par un discours faisant appel à son intérêt de classe et de genre, mais surtout grâce à une instrumentalisation habile des affects et des émotions. Les émotions, cette élection en est particulièrement chargée. Elles sont exacerbée par des réseaux sociaux qui favorisent cette polarisation des opinions politiques. Bolsonaro s’appuie sur le fort ressenti de cette population qui n’a pas directement profité des programmes sociaux mis en place par le PT au cours de ses 14 années de pouvoir. Cette frange de la société s’est montrée particulièrement sensible au discours viriliste du bon mâle blanc, Jair Bolsonaro, prêt à prendre sa revanche…

Cette analyse fait directement écho à celle du sociologue américain Michael Kimmel. Dans son ouvrage Angry White Men: American Masculinity at the End of an Era (2013), l’universitaire américain décrit la réaction des mâles blancs face à l’évanescence de leurs avantages sociaux et sociétaux. Du droit de cuissage sur les esclaves noires de la senzala aux inégalités de revenus, les hommes blancs ont perpétué leurs avantages socio-économiques à travers l’histoire du Brésil. Ces derniers se sentent pourtant menacés entre autres par les revendications des minorités, l’intégration des femmes au marché de l’emploi et l’accès des classes les plus populaires à un certain pouvoir d’achat, par le biais des programmes sociaux.

La réhabilitation de l’homme blanc dans la société brésilienne se traduit alors par la sauvegarde des emplois dits “masculins”, industriels ou agricoles. On retrouve cela dans le discours nationaliste protecteur du candidat d’extrême droite, comme en témoigne son cri de ralliement “Brasil acima de tudo” (“Brésil avant tout”). Cette revalorisation passe également par la remise en cause de la régulation environnementale, notamment pour intensifier le travail dans les mines et relancer l’exploitation des énergies fossiles – un choix économique incertain au vu de la baisse du prix des matières premières, en partie à l’origine de la crise économique brésilienne. En dépit des accords internationaux sur le climat, cette dernière arrange évidemment l’agro-business, lobby ultra-puissant au Brésil.[1]

Ces électeurs coutumiers de la droite traditionnelle, déçus du PSDB décrédibilisé par sa participation au gouvernement Temer, se tournent désormais vers le candidat adoubé par les marchés internationaux. Le Wall Street Journal a en effet légitimé le “Trump tropical”, comme le surnomme la presse étrangère, auprès des acteurs financiers. Le journal américain poursuit ainsi sa tradition d’institution de légitimation économique des régimes autoritaires sud-américains après avoir vanté les mérites de Videla, Fujimori ou encore Pinochet. Grâce à son conseiller ultra-libéral Paulo Guedes, Bolsonaro s’est ainsi assuré du soutien de l’élite économique brésilienne, essentiel pour être en mesure d’accéder au pouvoir.

II – Un discours ultra-sécuritaire qui séduit les classes populaires

Dans un pays miné par les inégalités sociales, économiques et raciales, l’on aurait pu s’attendre à un rejet massif du candidat d’extrême-droite, qui a multiplié les déclarations violentes à l’égard des plus modestes et des minorités, affirmant entre autres que « les pauvres ne savent rien faire », qu’il serait « incapable d’aimer un fils homosexuel », qu’il ne laisserait « pas un centimètre de terre aux indigènes » ou encore qu’il ne violerait pas une députée « parce qu’elle ne le mérite pas ». Cependant, un sondage réalisé par l’Institut de recherches sociales, politiques et économiques (IPESP), publié le 11 octobre, a révélé que le soutien apporté à Bolsonaro a grandi chez les femmes, la population noire et les personnes moins scolarisées. Comment expliquer un tel phénomène ?

Bien que 53% de la population brésilienne se déclare noire, l’intégration à l’Etat de droit ne correspond pas à la composition raciale du pays[2]. Selon les données de l’Institut brésilien de géographie et statistiques (IBGE), les noirs représentent 76% de la population la plus pauvre, et seulement 17,6% des classes économiques les plus aisées. Autre chiffre alarmant : sur les 56 000 personnes assassinées en 2012, on en comptait 30 000 âgées entre 15 et 29 ans, dont 77% de noires. Au Brésil, l’exclusion sociale a bien une couleur.

À vrai dire, la démocratie brésilienne n’a jamais été en mesure de permettre à ces populations d’accéder aux avantages du monde moderne. Le fait que, de nos jours, plus de la moitié de la population brésilienne exerce des emplois semi-qualifiés en est une conséquence. En outre, les couches moins aisées ne subissent pas seulement la répression de l’État et des autorités, elles sont aussi les premières victimes de l’insécurité en général. Promettant de l’éradiquer, Bolsonaro propose des mesures radicales : libéralisation du port d’armes pour la population civile, rétablissement de la peine de mort, prison à perpétuité, réduction de la majorité pénale, castration chimique pour les violeurs, entre autres. Des solutions simplistes, pour des problèmes complexes.

« Les droits de l’homme sont pour les hommes « droits » (corrects) » est devenue l’une de ses maximes. Mais pour une grande partie de la population brésilienne, la loi en vigueur est déjà la loi du « chacun pour soi », et tant que l’État ne sera pas en mesure de protéger la population, l’adhésion aux discours de haine se renforcera, alimentant parallèlement la peur et l’insécurité.

III – Dieu et la politique au-dessus de tout

La religion est, tout au moins dans les termes employés, omniprésente dans le discours du candidat d’extrême droite. Son slogan, rabâché au cours des meetings, en est la parfaite illustration : « Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous ». Le terme « Dieu » est par ailleurs utilisé à 82 reprises dans le programme du PSL, qui contient même une citation tirée de la Bible. Voilà de quoi séduire les plus fervents chrétiens et plus particulièrement les Eglises évangéliques.

En l’espace de quarante ans, les Eglises évangéliques ont connu une expansion fulgurante au Brésil, la proportion de croyants au sein de la population est passée de 5% à 22%. Mais cette expansion au sein de la société brésilienne s’est également accompagnée d’une forte présence dans la sphère politique, où elle fait actuellement figure de véritable force politique (en atteste les 91 sièges glanés lors des élections législatives d’octobre).
Conscient de la popularité et de l’influence rampantes des évangélistes dans le pays, l’équipe de campagne de Bolsonaro aura bien compris l’importance d’adapter son discours, tant dans le langage que par les thématiques abordées, à ces communautés religieuses. La recette est simple et les ingrédients bien connus. Bolsonaro n’invente rien : il se base avant tout sur un discours de droite, très conservateur, qui fait de la défense des valeurs et de la morale de la famille traditionnelle chrétienne ses priorités.

Les ennemis, eux aussi, sont bien connus. Ce sont celles et ceux qui défendent les droits des LGBT, qui promeuvent les différents modèles de famille, le droit à l’avortement ou qui proposent un débat public sur la décriminalisation des drogues. Face à cet ennemi qui menace directement la famille traditionnelle et les valeurs chrétiennes, Bolsonaro s’érige en sauveur, en rempart contre la décadence. Et ses propos extrêmement violents à l’égard des féministes, des gays ou de celles et ceux qu’il désigne comme des « théoriciens » du genre, font mouche.

Mais il faut souligner que si ce discours ultra-conservateur utilise la religion, à travers le pouvoir d’influence des pasteurs, c’est surtout pour mieux défendre des intérêts politiques et économiques. L’exemple de l’évêque Edir Macedo est sans doute le plus criant. Edir Macedo, fondateur et évêque autoproclamé de l’Eglise universelle du royaume de Dieu, est aujourd’hui milliardaire et PDG d’un des plus grands médias brésiliens. Le religieux est aussi accusé de blanchiment d’argent, d’organisation criminelle, d’évasion de devises et de fraude (2009, 2011 et 2013).

IV – “Tout sauf le Parti des travailleurs” et le piège anti-gauche

Le discours anti-PT (anti-Parti des Travailleurs) est souvent décrit comme la principale raison de la vague extrémiste. Pourtant, ce discours, et l’hostilité à l’égard de ce parti, ne sont pas nouveaux sur la scène politique brésilienne. En réalité, le discours anti-PT, populaire au sein de l’élite économique brésilienne, existe depuis la fondation de ce dernier. Un parti qui, lui, trouve ses origines dans les mouvements ouvriers et syndicalistes du pays.

Aujourd’hui, le discours anti-PT a pris d’autres formes et d’autres proportions. Les affaires de corruption du PT et ses alliances avec le centre traditionnel, mais aussi le fait qu’il soit systématiquement associé à la corruption de la classe politique dans les médias, auront bel et bien contribué à renforcer le climat anti-PT. Celui-ci est aussi exacerbé par l’éloignement du parti de la base sociale qui l’avait soutenu (et qui lui avait permis d’accéder au pouvoir), et par l’égoïsme des classes plus aisées, qui n’ont pas supporté de voir le niveau de vie des classes populaires s’améliorer. Enfin, la crise politique, sociale et économique, qui a durement touché le pays sous le gouvernement Dilma Rousseff, n’arrangent rien à l’affaire. Pire encore, le PT est devenu le coupable idéal, premier responsable des malheurs qui ont frappé le pays.

La droite traditionnelle, représentée par le parti de l’ancien président Fernando Henrique Cardoso (PSDB), a toujours utilisé et encouragé ce discours. Mais c’est bien Bolsonaro qui en profite le plus cette année. Récemment, ce discours s’est fortement popularisé au sein de la classe moyenne et chez les modérés. Ils se sont de plus en plus éloignés du centre, pour se diriger vers les extrémités de la droite.

Le discours anti-PT de Bolsonaro, qui a récemment appelé à « rayer de la carte du Brésil ces bandits rouges », prend la forme d’un discours anti-gauche, extrêmement caricatural, aux tonalités fortement maccarthystes, et se propage massivement sur les réseaux sociaux au moyen de Fake News toutes plus aberrantes les unes que les autres. La menace d’une transformation du Brésil en Venezuela de Maduro, en cas de victoire de Haddad est ainsi répétée à longueur de prises de parole publiques. Cette rhétorique n’est pas sans rappeler la menace de l’instauration d’un régime communiste comparable à Cuba, brandie par les militaires lors du coup d’état de 1964.

V – La nostalgie de la dictature

Ancien capitaine de l’armée et nostalgique de la dictature, Jair Bolsonaro défend ouvertement le régime militaire et les pratiques de torture qui l’ont accompagné. En 2016, au Congrès, lors de son vote pour la destitution de l’ancienne présidente Dilma Rousseff, le candidat d’extrême droite était fier de dédier son vote “À Dieu, à la famille, aux forces armées, contre les communistes et à la mémoire du colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra.”  Prétendant vouloir défendre le Brésil d’une menace communiste, Bolsonaro est un grand admirateur de la dictature militaire (1964 – 1985) et du tortionnaire Ustra. À la tête de l’organisation civile et militaire de Sao Paulo, ce dernier est responsable de plus de soixante-dix morts et disparitions. Il a également conduit de nombreuses sessions de torture, y compris celle de Dilma Rousseff en 1970.

Le discours réactionnaire et décomplexé de Bolsonaro encourage la libération d’un discours pro-dictature porté par ses électeurs. Le « mito » (surnom auto-proclamé de Bolsonaro auprès de ses électeurs) ravive une idéalisation des années de dictature et décrit cette période comme « une époque de plein emploi, de sécurité et de respect ». Une vision partagée par ses supporters, qui voient en cette dictature l’âge d’or du Brésil.

Ce discours nostalgique rencontre un large succès auprès des plus jeunes : parmi les électeurs du PSL, 60% ont moins de 35 ans. N’ayant pas connu le régime militaire, leur vision est directement liée aux discours véhiculés par la société et au manque de reconnaissance de l’histoire du pays. Jusqu’à aujourd’hui, aucun responsable n’a été jugé pour les crimes commis pendant ces années obscures et cela participe directement à cette absence de reconnaissance.

Le « miracle économique », terme utilisé encore aujourd’hui par les nostalgiques de la dictature, s’est produit seulement au cours de quatre des vingt-et-une années de dictature (1969 – 1973). Ce dernier a été porté par de grands projets dans les capitales du Brésil au prix d’un endettement record et d’une exploitation de la classe ouvrière. En 1970, celle-ci travaillait 56 heures par semaine et le Brésil était alors le pays qui comptait le plus d’accidents du travail. La répression des syndicats et l’interdiction des grèves auront participé à la violation des droits humains et sociaux.

Selon la Comissao Nacional da Verdade (CNV), 432 personnes ont été tuées ou ont été victimes de disparitions forcées au cours de la dictature militaire. Jusqu’aux années 1960 (avant le début de la dictature), la taux d’homicide au Brésil était de 5,7 pour 100 000 habitants. À la fin de la dictature, en 1985, il avait grimpé à 31,2. Les militaires ont “réglé” le problème de la sécurité au Brésil en censurant les médias. Cela explique le fantasme sécuritaire entretenu par la bourgeoisie brésilienne. Encore aujourd’hui, le Brésil reste le pays le plus meurtrier du monde avec un taux d’homicide record de 25,5. Cette idéalisation de l’autoritarisme nourrit la volonté d’une partie de la population d’un retour à la dictature.

Dans une société frappée par une crise profonde, l’opportuniste Bolsonaro a su surfer sur la vague de dégagisme exprimée par les électeurs et les électrices, sur l’essoufflement de la démocratie représentative et le discrédit du personnel politique. Dans ces cinq discours légitimés par une grande partie du peuple brésilien, Bolsonaro est considéré comme la seule solution autoritaire, morale et éthique à tous les maux du Brésil.

Il est important de souligner qu’il a pu se présenter comme tel grâce à la diffusion de mensonges. Cette stratégie symptomatique de l’ère de post-vérité, a favorisé la libération des discours de haine et les incitations à la violence. Mais au-delà de l’urgence démocratique face à laquelle est aujourd’hui confrontée le Brésil, ces élections ont avant tout révélé de profondes fractures ancrées dans l’histoire du pays.

 


[1] L’actuel ministre de l’Agriculture n’est autre que Blairo Maggi, le PDG de Amaggi, le premier groupe mondial de production de soja, également accusé de corruption dans le scandale Odebrecht.

[2] La catégorie de race employée dans cet article ne s’appuie pas sur une définition prétendument biologique. Même si la catégorie n’a aucun soutien scientifique, le fait qu’elle soit encore employée comme catégorie native au Brésil fait d’elle un objet d’étude des sciences sociales. D’après le sociologue brésilien Antônio Sérgio Guimarães, les races sont, du point de vue scientifique, une construction sociale et doivent être étudiées par une branche de la sociologie ou des sciences sociales, qui traite des identités sociales. Nous sommes donc dans le domaine de la culture et de la culture symbolique. (GUIMARÃES, 2003 : 96).

Élections présidentielles brésiliennes : comment expliquer l’émergence de l’extrême-droite ?

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jair_Bolsonaro_-_EBC_02.jpg
© Fabio Rodrigues Pozzebom/Agência Brasil)

Le premier tour de l’élection présidentielle brésilienne a donné lieu à des résultats extrêmement polarisés. Jair Bolsonaro (PSL), celui que l’on surnomme le “Trump Brésilien”, est arrivé en tête avec 46,03% des votes exprimés. Il devra affronter au second tour l’ancien préfet de São Paulo, Fernando Haddad (PT) qui a totalisé 29,28% des suffrages.


Que proposent les deux candidats en tête ?

Jair Bolsorano, ancien militaire de 63 ans quasi-inconnu de la scène politique brésilienne il y a encore un an, s’est fait remarquer tout au long de la campagne présidentielle pour ses propos racistes, homophobes et misogynes. Il est parvenu à convaincre l’électorat grâce à un discours ultra-conservateur et populiste.

Le Brésil est le pays d’Amérique latine avec le plus fort taux de criminalité. En 2017, on déplorait sept personnes victimes de meurtre par heure. Pour lutter contre ce fléau, J. Bolsonaro séduit les pro-armes à feu en promettant de mettre en place une politique facilitant le port d’arme. Il propose de créer un statut juridique protecteur pour les policiers faisant usage de leurs armes de fonction pour tuer un suspect mais également d’abaisser la majorité pénale à 16 ans. De son côté, Fernando Haddad propose de renforcer la traçabilité des armes à feu et de refonder la politique antidrogues qu’il juge inefficace.

Sur le plan économique, bien que sorti d’une récession profonde, le Brésil peine à refaire surface. Le taux de chômage a presque doublé entre 2011 et 2017 passant de 6,7 % à 13%. Cette situation profite à Jair Bolsorano qui propose une politique ultra-libérale accompagnée d’un certain nombre de privatisations. Une mesure à laquelle s’oppose Fernando Haddad qui suggère plutôt la mise en place d’un plan contre l’évasion fiscale.

Par ailleurs, le candidat du PSL a obtenu le soutien des mouvements évangélistes en prônant un retour à des valeurs familiales conservatrices. Rappelons qu’au Brésil, l’IVG n’est autorisée qu’en cas de viol, de risque pour la mère ou de grave malformation du fœtus. Aucun des deux candidats ne mentionne le sujet dans son programme officiel : tous deux sont opposés à l’assouplissement des règles régissant l’avortement. Toutefois, Fernando Haddad s’est prononcé en faveur de la mise en place du planning familial.

En s’assurant le soutien du mouvement évangéliste, Bolsonaro a fait un choix stratégique crucial, puisque ce mouvement est particulièrement puissant au Brésil. Extrêmement hostiles au Parti des Travailleurs (PT) de Lula, les évangélistes ont appelé à voter massivement pour la destitution de Dilma Rousseff.

Comment expliquer un tel rejet du Parti des Travailleurs ?

Le candidat d’extrême droite a su capter le sentiment populaire de rejet du PT. Selon Mauricio Santoro, directeur du département des relations internationales de l’université de Rio de Janeiro UERJ « on ne peut pas comprendre l’ascension de Bolsonaro si on ne voit pas ce qui s’est passé dans le pays depuis 2014 avec le Lava Jato ».

L’affaire « Lava Jato » littéralement « lavage express » est un vaste scandale de corruption et de blanchiment d’argent qui a éclaté en mars 2014. Il implique le groupe pétrolier public Petrobras, le Parti des travailleurs (PT) et l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva. Ces deux derniers sont soupçonnés d’avoir utilisé cet argent pour financer leurs campagnes électorales. La présidente Dilma Rousseff qui a succédé à Lula en 2010 et a été réélue en 2014, n’est pas directement accusée de corruption par la justice mais ces affaires ont servi pour l’attaquer. Très affaiblie par ces scandales, elle sera écartée du pouvoir puis démise de ses fonctions le 31 août 2016 avant d’être remplacée par Michel Temer.

Comment expliquer le score de Jair Bolsonaro ?

Jair Bolsonaro a su cristalliser la colère brésilienne. Les votes en sa faveur expriment avant tout le rejet d’une politique gangrenée par la corruption et une volonté de sanctionner le Parti des Travailleurs, désormais associé à ces scandales. Fernando Haddad propulsé sur la scène politique par Lula est discrédité auprès d’une partie de l’électorat brésilien par son association avec l’ex-président. Enfin, des Fake News diffusées sur les réseaux sociaux sont venus entacher cette campagne présidentielle. Le jeudi 18 octobre, le quotidien Folha de Sao Paulo a révélé que des entreprises avaient financé des envois en masse de messages anti-PT sur WhatsApp, avant le premier tour. Selon le quotidien, une nouvelle offensive serait prévue avant le second tour du 28 octobre. Une enquête a été ouverte. Si les faits sont avérés, le PSL risque gros car une telle pratique est formellement interdite au Brésil.

Vers une crise démocratique ?

Le résultat de ce premier tour est inquiétant pour l’avenir de la démocratie brésilienne. Selon Christophe Ventura, chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Amérique latine « le scénario de la présidentielle traduit une crise démocratique très profonde ». Après avoir connu un régime dictatorial militaire entre 1964 et 1985, la démocratie brésilienne est encore jeune et son équilibre est fragile. Une victoire de Bolsonaro marquerait le retour à une politique ultra-conservatrice et autoritaire. La démocratie Brésilienne parviendra-t-elle à faire face à cette crise idéologique ?


Sources :

  • http://www.medelu.org/Au-coeur-de-la-nouvelle-situation
  • https://www.franceinter.fr/monde/la-dictature-bresilienne-dont-jair-bolsonaro-est-nostalgique
  • http://www.iris-france.org/120556-elections-presidentielles-bresiliennes-quels-sont-les-enjeux-principaux-a-la-veille-du-second-tour-des-elections/
  • https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/10/08/election-au-bresil-une-campagne-marquee-par-la-diffusion-de-fake-news_5366275_3222.html