Chili : le maire et leader communiste Daniel Jadue toujours incarcéré

Daniel Jadue lors d’un rassemblement en 2022. © Réseaux sociaux de Daniel Jadue

Accusé dans une affaire de corruption, l’ancien pré-candidat à l’élection présidentielle et maire communiste Daniel Jadue, célèbre dans tout le Chili pour un modèle de « pharmacies populaires » qu’il a inauguré, a été placé en détention préventive le 3 juin. Ses soutiens dénoncent un harcèlement judiciaire. Cette affaire s’inscrit en effet dans une liste d’attaques juridiques contre l’élu communiste qui prend des allures de lawfare [« guerre judiciaire », contraction de law et de warfare NDLR]. Le traitement singulièrement sévère dont il fait l’objet contraste avec la relative tranquilité dont jouissent les politiciens conservateurs. Son incarcération est-elle un moyen de neutraliser le porte-parole d’une gauche de rupture, et l’un des critiques les plus audibles des renoncements du président Gabriel Boric ?

Figure politique emblématique du Parti communiste chilien, Daniel Jadue a forgé sa réputation depuis 2012 lors de son élection à la tête de Recoleta, commune populaire du nord de la capitale Santiago du Chili. En 2021, il était le candidat communiste lors de la primaire de la coalition de gauche, face au député Gabriel Boric, candidat du Frente amplio et finalement élu Président.

Figure de la transformation sociale

Symbole de sa gestion communale, la mise en place en 2015 de la première pharmacie populaire du pays : un établissement géré par la municipalité qui permet de fournir des médicaments jusqu’à 70 % moins chers que dans les pharmacies traditionnelles. Une démarche audacieuse de « communisme municipal » visant à la réappropriation d’un marché des médicaments contrôlé par quelques grandes chaînes de l’industrie pharmaceutique, dont plusieurs ont été condamnées pour des ententes sur les prix. Signe de son succès et d’un réel besoin, le modèle des pharmacies populaires s’est étendu à travers le Chili dans 170 municipalités (le pays compte 346 communes), rassemblées au sein de l’Association chilienne des municipalités avec des pharmacies populaires (Achifarp), dont l’adhésion permet d’obtenir les produits médicaux aux tarifs planchers. Les pharmacies populaires ont ainsi joué un rôle clef pendant la pandémie liée au Covid-19, notamment pour assurer la continuité des soins auprès des habitants victimes de maladies chroniques.

“Centre optique populaire” et “Pharmacie populaire”, dispositifs mis en place par la ville de Recoleta © Réseaux sociaux de la municipalité

Suite à l’élection du Président Gabriel Boric en 2021 et la composition d’une coalition gouvernementale à laquelle participe le Parti communiste, Daniel Jadue a peu à peu porté un discours plus critique et radical à la gauche de l’exécutif. Davantage ancré dans le sillage des revendications sociales, largement soutenu dans sa commune et bénéficiant jusqu’alors d’une certaine sympathie à gauche, Jadue a cristallisé sur lui les attaques répétées de la droite et de l’appareil médiatique, voyant en lui la menace d’une gauche de rupture à neutraliser.

L’association des pharmacies populaires au cœur de l’enquête

En 2021, le Ministère public chilien ouvre une enquête préliminaire après une plainte pour escroquerie déposée par l’entreprise pharmaceutique Best Quality contre l’Achifarp, à la tête de laquelle se trouve Daniel Jadue, pour des faits remontant à 2020. Nous sommes alors moins d’un an avant l’élection présidentielle et Daniel Jadue est pressenti pour être le candidat communiste à la primaire de la gauche. Best Quality déclare être au bord de la faillite après le refus de l’association de régler une dette de près d’un million d’euros contractée pendant la crise sanitaire liée au coronavirus. Une autre plainte est également déposée par un salarié de l’entreprise pour avoir été contraint de verser un bénéfice en nature au siège du Parti communiste de Recoleta afin que l’entreprise reste le fournisseur des pharmacies populaires. Le Tribunal retient donc les accusations de corruption, fraude fiscale, concurrence déloyale et escroquerie contre Daniel Jadue, représentant légal de l’Achifarp.

“Ils veulent le liquider, le peuple défend le camarade Jadue” lors d’un rassemblement de soutien en juillet 2024 © Réseaux sociaux de Daniel Jadue

Un traitement judiciaire de l’affaire singulier

Contrairement aux autres affaires pour lesquels Daniel Jadue a été attaqué et dont il est ressorti la tête haute, le traitement particulier dont il fait cette fois-ci l’objet s’est esquissé en mai dernier. Alors qu’il devait se rendre dans un pays voisin, Jadue a été interdit de sortie du territoire par le Procureur, alors que le procès n’avait pas encore débuté. Une décision vivement dénoncée par la Commission chilienne des droits humains, mettant en doute la validité juridique d’une telle mesure ainsi que l’absence de neutralité du Ministère public et du pouvoir judiciaire. Pour autant, le maire communiste s’est mis à disposition de la justice et à donné accès à l’ensemble des sources demandées pour la bonne tenue de l’enquête.

La validité des chefs d’accusation est également questionnée par les avocats de Daniel Jadue, qui rappellent qu’en matière d’escroquerie, il n’est pas illégal pour une association d’avoir des difficultés de paiements, d’autant plus que les différentes propositions de régularisation ont été refusées par Best Quality. Pour ce qui est de la corruption, les avocats soulignent que le chef d’accusation est retenu à partir du témoignage isolé d’un salarié, lui-même contredit par des responsables de l’entreprise, et que l’enquête montre qu’aucun un produit n’a été reçu par la commune de Recoleta ou une organisation liée au Parti communiste.

La bataille juridique porte également sur l’entité de l’Achifarp. Les avocats de Jadue défendent en effet que la liquidation judiciaire prononcée contre l’association comme s’il s’agissait d’une entité privée n’a pas lieu d’être puisqu’il s’agit d’un organisme public. Un enjeu de taille alors que l’ensemble des pharmacies populaires du réseau sont mises en péril, et que Daniel Jadue fait l’objet de mesures préventives l’empêchant de réaliser toute démarche administrative ou contrat liés à ses biens propres pendant l’enquête. Une procédure qui pourrait le conduire à être condamné à régler les dettes de l’association et de la ville de Recoleta.

“Avec Jadue ! Libre !”, collage dans les rues de Santiago du Chili en juillet 2024 © Réseaux sociaux de Daniel Jadue

Une procédure plus politique que juridique ?

Le 3 juin, après trois jours de procès, le Tribunal a prononcé la détention provisoire de Daniel Jadue pour une durée de 120 jours, cédant à la demande du Parquet : « Ce tribunal ne s’attarde pas sur les idéologies ni sur les positions politiques pour prendre sa décision. […] Cette audience et la mise en place de mesures préventives n’est pas en jugement en soi ou une condamnation.1 »

Pourtant, le procès prend un tournant éminemment politique puisqu’au terme de 45 jours de vacance et dans l’impossibilité de reprendre ses fonctions, le maire est démis son mandat. Le 8 juillet, la défense en appel a permis aux avocats de Jadue de démontrer la disproportion de la détention provisoire en soulevant plusieurs points. D’une part que la liberté de l’élu ne représente pas un danger pour la société chilienne et que, s’il s’agit d’éviter une fuite vers l’étranger, la retenue d’une caution financière est une mesure adéquate. D’autre part, ses avocats ont également souligné que si la perte de son mandat à la tête de Recoleta se confirmait, alors elle rendrait caduque tout risque de répétition et d’obstruction du déroulé de l’enquête, principal argument du Parquet. Pourtant, le Juge a maintenu la décision initialement prononcée.

Le maintien de la détention provisoire répondrait donc à d’autres enjeux qui ne sont pas motivés par le droit, mais par le politique. C’est ce qu’à dénoncé l’avocat et ancien député Hugo Gutiérrez lors du rassemblement de soutien à Daniel Jadue le jour de l’audience, pointant du doigt l’incohérence de la résolution du Tribunal et de la Cour d’Appel qui, en prononçant une mesure de détention provisoire, infligent de fait une sanction au leader communiste puisqu’ils le déchoient de son mandant, bien qu’il soit considéré comme innocent. Ses avocats ont également relevé que l’ancien secrétaire exécutif de l’association, Matías Muñoz, sous le coup de six chefs d’accusation, devait être initialement soumis à une arrestation à résidence. Or, l’intervention d’un procureur pour rectifier et demander une détention préventive a été uniquement motivée pour que Daniel Jadue, accusé quant à lui de quatre chefs d’accusation, ne puisse pas bénéficier d’une assignation à résidence et soit incarcéré.

Un comité de soutien entend rétablir la vérité et obtenir sa libération

Depuis l’accélération de l’affaire au printemps, le Parti communiste chilien rappelle régulièrement que depuis la fin de la dictature et le retour de la démocratie chilienne en 1990, il fait l’objet d’une campagne de dénigrement politique permanente. Son retour pour la première fois depuis 50 ans au sein d’un gouvernement, et la popularité grandissante dont il bénéficie à gauche en maintenant une forme de radicalité face au glissement social-démocrate de Gabriel Boric, n’a que renforcé l’hostilité dont le parti et ses élus sont la cible.

À la veille de l’audience de Daniel Jadue, une trentaine d’organisations sud-américaines, notamment de juristes, ont signé une première lettre pour soutenir l’édile communiste et dénoncer une « guerre judiciaire […] pour étouffer des projets émancipateur » et criminaliser un opposant politique au système néolibéral. Une première étape qui a débouché sur la constitution d’un comité de soutien, initié par des acteurs politiques forts de leur réseau tant au Chili qu’à l’international, afin d’agréger et rendre visible le cas du leader communiste, comme en France où seul le journal L’Humanité s’en est fait l’écho. Afin de peser face aux discours accablants diffusé en boucle par l’appareil médiatique, deux tribunes signées par plus de 1 000 personnalités ont été publiées en mai et en juillet. Les textes reviennent sur la chronologie des faits et s’attachent à montrer « le manque de preuves concrètes et le respect des normes légales en vigueur par Daniel Jadue. Ainsi, les accusations ne sont pas seulement infondées, mais représentent également un usage abusif des recours légaux contre une figure politique ».

Outre la dimension internationale du comité de soutien dans lequel se trouve des figures comme Enrique Santiago, secrétaire général du Parti communiste d’Espagne et député de Sumar, ou le fondateur de Podemos Pablo Iglesias. Daniel Jadue peut également compter sur des soutiens de poids en Amérique latine : au Brésil, le Président Lula lui a ainsi fait part de sa solidarité ainsi que le Président colombien Gustavo Petro qui a opté pour une déclaration plus frontale en appelant à sa libération et à la fin de l’acharnement judiciaire. Déclaration à laquelle le palais présidentiel chilien de la Moneda a sèchement répondu.

En effet, l’affaire des pharmacies populaires et la détention de Daniel Jadue éclabousse l’exécutif, non seulement en offrant un angle d’attaque à l’opposition de droite et d’extrême-droite pour s’en prendre au Président Boric, mais aussi en avivant les tensions au sein de la coalition gouvernementale. À quelques mois des élections municipales d’octobre, l’enjeu est de taille pour le Parti communiste qui, s’il est fragilisé dans le rapport de force avec les autres partis gauche, semble néanmoins parvenir à renforcer ses bases et ses soutiens dans la société chilienne. Bien que marginal, le mouvement de soutien à Jadue s’est malgré tout disséminé dans les grandes villes du pays avec l’organisation de rassemblements et de manifestations, un élément notoire dans un contexte de mobilisations sociales totalement atone.

Recoleta reste sous le giron communiste : Fares Jadue élu Maire par interim

Le 26 juillet, à l’occasion d’un conseil municipal extraordinaire, le conseiller Fares Jadue (qui n’a pas de lien de parenté avec Daniel Jadue), candidat communiste en lice pour prendre la suite aux élections municipales d’octobre, a été élu pour assurer l’interim. Lors de sa première déclaration, le nouvel édile a dénoncé les conséquences du maintien de la détention préventive qui court-circuite la présomption d’innocence et le choix démocratique des habitants, avant de rappeler que son élection s’inscrit dans la continuité du mandat de Jadue, puisque des six conseillers municipaux élus en 2020 il est celui qui avait largement obtenu le plus de suffrages. Un mandat qui sera de courte durée puisque Fares Jadue devra renoncer le 27 septembre pour pouvoir se présenter aux élections municipales.

Sur les abords du complexe pénitencier Capitán Yaber, à Santiago, les soutiens de Daniel Jadue se sont réunis à l’occasion des 60 jours de sa détention. Depuis sa cellule, Daniel Jadue maintient le lien avec l’extérieur en publiant régulièrement des lettres. Hasard du calendrier, Recoleta a inauguré le premier salon funéraire populaire du Chili afin d’assurer l’accès à ces services coûteux aux habitants les plus précaires. Dans sa lettre, Daniel Jadue y affirme que la politique communale est sur le bon chemin… quel qu’en soit le prix à payer.

La première vie de Fidel Castro : portrait de Cuba avant la Révolution

Fidel Castro en 1953

De Cuba avant la Révolution, on connaît l’image d’Épinal du « bordel des États-Unis ». On connaît moins la domination de son économie par quelques compagnies nord-américaines, qui se maintenaient en place par une collusion constante avec les autorités politiques du pays. Les oligopoles du secteur de l’agro-alimentaire, des télécommunications et des mines sont alors une cible privilégiée des mouvements démocratiques et socialistes de l’Amérique centrale et des Caraïbes. Sans surprises, ils sont également des acteurs clefs des coups d’État pro-américains – comme celui qui a instauré une junte sanguinaire au Guatemala en 1954. À Cuba, c’est en luttant contre ces entreprises tentaculaires que le jeune avocat Fidel Castro se fait une réputation. Il se confronte, entre autres, au géant américain International Telephone and Telegraph (ITT), destiné à jouer un rôle déterminant dans le renversement ultérieur du socialiste chilien Salvador Allende. Les premières années de la vie politique de Fidel Castro, mal connues, sont déterminantes pour comprendre la Révolution cubaine et sa radicalité. Par Abel Aguilera, historien, traduit de l’espagnol et édité par Léo Rosell.

Fidel Castro et la défense du corps étudiant cubain

Entré à l’Université de La Havane en septembre 1945, Fidel Castro soutient cinq ans plus tard son mémoire de fin d’études intitulé : « La lettre de change en droit privé et la législation comparée » avec mention. Il est ainsi titulaire d’un doctorat en droit et en sciences sociales, tout en étant licencié en droit diplomatique et en droit administratif. Quelques jours plus tard, lors d’une réunion sur les marches de l’Université de La Havane, il convainc deux camarades, Jorge Azpiazo Núñez de Villavicencio et Rafael Resende Vigoa de s’associer à lui. Ainsi, le 10 novembre 1950, une fois inscrit au Barreau de La Havane, Fidel Castro et ses deux amis enregistrent le cabinet d’avocats Azpiazo-Castro-Resende, dans le quartier dynamique de la Vieille Havane.

Carte de visite de Fidel Castro.

C’est ainsi que commence l’activité professionnelle du jeune Fidel Castro. Spécialisé en affaires civiles et sociales, il se retrouve davantage au contact des secteurs les plus marginalisés de la société et est témoin des inégalités abyssales qui fracturent le pays.

Le contexte national est alors caractérisé par la corruption généralisée qui touche le gouvernement, la répression politique, les assassinats fréquents de leaders de l’opposition, la censure de la presse et l’aggravation des tensions sociales. Des groupes de gangsters contrôlent le commerce de la drogue, la prostitution et les jeux interdits. La soumission des gouvernements vis-à-vis des États-Unis favorise également le pillage des richesses cubaines au profit des entreprises nord-américaines, qui exploitent les travailleurs cubains. Cuba a beau posséder l’une des constitutions les plus progressistes de l’époque, celle-ci est largement ignorée par les gouvernements chargés de son application.

Le processus judiciaire contre le géant américain International Telephone and Telegraph (ITT) aboutit à une victoire des plaignants. L’entreprise est contrainte à baisser ses tarifs. La sentence n’a jamais été appliquée, l’entreprise ayant réussi à marchander avec le chef d’État Fulgencio Batista, numéro un de la dictature militaire cubaine…

Pour l’année scolaire 1951-1952, le ministre de l’Éducation Aureliano Sánchez Arango publie une résolution qui invalide les avancées obtenues précédemment par les étudiants, qui se mobilisent immédiatement et organisent des manifestations de rejet. Pour sa part, le ministre de l’Intérieur Lomberto Díaz Rodríguez a déclaré illégales ces manifestations, ce qui conduit à une confrontation avec la police, l’armée et des groupes de gangsters, qui avaient pour ordre de les réprimer.

Les manifestations ont duré des semaines et la Fédération étudiante universitaire (FEU) a créé un comité de lutte pour renverser la résolution impopulaire. À Cienfuegos, les protestations sont très vives, générant une violente réaction des forces de l’ordre. Le 12 novembre 1950, les élèves organisent une manifestation devant l’Institut d’enseignement secondaire et invitent une représentation du comité. Celui-ci est dirigé par Fidel Castro, accompagné par Enrique Benavides Santos, Mauro Hernández, Francisco Valdés et Agustín Valdés. Le soir, Fidel Castro et Enrique Benavides Santos sont arrêtés par une patrouille près de la mairie et conduits à l’unité de police. De la fenêtre, ils regardent la confrontation entre la police et les étudiants qui dure environ quatre heures.

Une fois la répression terminée, ils sont poursuivis pour « agitation » et « atteinte à l’ordre public ». Au début de l’instruction, les deux détenus refusent de coopérer : ils donnent de faux noms – Castro se fait appeler Ramiro Hernández Pérez – refusent de signer les documents. À l’aube, sans en informer les détenus, les autorités procèdent à leur transfert à Santa Clara, la capitale provinciale. Les mauvais traitements qu’ils subissent de la part de la police ne prennent fin qu’avec l’arrivée inattendue du président du conseil municipal, qui craignait pour la sécurité des deux jeunes militants.

Le lendemain, après avoir reçu la nouvelle de leur envoi à Santa Clara, les étudiants mobilisés se rendent à proximité du pénitencier provincial, ce qui, avec les efforts du chef du Parti du peuple cubain (orthodoxe) Eduardo Chibás Rivas, force les autorités à relâcher les deux détenus à midi. Pour autant, le 23 novembre, le procès judiciaire est ouvert contre les citoyens Enrique Benavides Santos et Fidel Castro. Le 5 décembre, ils sont cités à comparaître à l’audience.

Assurer sa propre défense, faire de la barre une tribune politique

À la date et à l’heure indiquées, l’audience de l’affaire n° 543/50 se tient dans la salle d’audience de Las Villas. On trouve dans le public la majorité des étudiants de Cienfuegos et de nombreux jeunes révolutionnaires. Enrique Benavides est défendu par Benito Besada Ramos, camarade de classe révolutionnaire, qui faisait également ses débuts comme avocat. De son côté, Castro a choisi de se défendre lui-même. Lors de l’audience, il utilise ainsi l’estrade comme une tribune politique d’où il dénonce les maux qui affligent la société cubaine – en plus de pointer du doigt le chef de la police de Cienfuegos pour son manque d’éthique et son soutien à la corruption dans le pays.

D’après les témoignages, l’atmosphère de la séance était tendue, en raison de la présence du chef de la police de Cienfuegos, détesté par les étudiants pour ses méthodes répressives. De plus, les attaques formulées à son encontre par Castro enflamme encore davantage les étudiants et provoque la colère de son accusateur. C’est finalement le procureur lui-même qui propose l’acquittement des accusés, sans doute dans une volonté d’apaisement. Ce premier procès permet à l’avocat mis en cause d’élaborer une méthode amenée à être réutilisée dans d’autres procédures judiciaires comportant une dimension politique, à travers son auto-défense, tout en démontrant à cette occasion sa capacité à mobiliser les masses.

C’est ainsi que Fidel Castro dénonce de façon croissante les maux qui touchent la République cubaine. Son diplôme de droit lui confère une arme puissante, à savoir la capacité d’agir et de s’exprimer au nom de la loi. Les obstacles qui se dressent alors contre lui ne peuvent l’amener qu’à une seule conclusion : le système juridique et constitutionnel cubain ne fonctionne plus.

En lutte contre le monopole de la compagnie téléphonique cubaine

Au premier trimestre de l’année 1951, le cabinet d’avocats Azpiazo-Castro-Rasende intente une action en justice contre le monopole américain sur les communications qui s’exprime à travers la Cuban Telephone Company, par l’intermédiaire de laquelle il exige une baisse des tarifs facturés aux utilisateurs. La Compagnie cubaine de téléphone a été créée à Cuba en 1909, à la suite de l’obtention par décret présidentiel d’une autorisation perpétuelle d’établir et d’ouvrir des lignes et des systèmes téléphoniques au public. Dans les années 1930, la compagnie devient la branche la plus prospère de celles installées par le géant américain International Telephone and Telegraph Corporation (ITT). Au milieu de la crise économique mondiale, l’entreprise a progressivement baissé les salaires, déclenchant une grève des travailleurs du téléphone le 9 novembre 1933 qui a duré environ un an.

Après la Seconde Guerre mondiale, on observe une détérioration progressive du service. La restauration de sa qualité justifie, selon l’entreprise, une augmentation des tarifs, qui se révèle particulièrement impopulaire et n’aboutit à aucune amélioration. Au début de l’année 1951, la société tentait d’influencer l’opinion de ses utilisateurs, et des publicités sur la difficulté à installer de nouveaux équipements à Cuba sont apparues dans certains médias. Malgré cela, le petit cabinet d’avocats créé par Fidel Castro et ses associés s’attaque à cette situation de monopole, et remporte un succès inattendu. La compagnie de téléphone utilise alors une stratégie dilatoire, sans succès. Une fois la sentence connue, elle fait appel devant la Chambre des lois spéciales et du contentieux administratif de la Cour suprême de la République, réussissant à retarder l’application de la sentence.

Le processus judiciaire dure ainsi jusqu’en 1954 et aboutit à une victoire des plaignants. L’entreprise est contrainte par la loi à baisser ses tarifs. Pourtant, à l’instar d’autres lois qui, à Cuba, restaient à cette époque lettre morte, la sentence n’a jamais été appliquée et l’entreprise a réussi à marchander avec le chef d’État Fulgencio Batista, numéro un de la dictature militaire cubaine. Cela fut possible grâce à une stratégie consistant à faire traîner le processus en longueur, et au bouleversement de l’ordre juridique du pays qu’avait induit le coup d’État de Fulgencio Batista en 1952. Pendant toute la durée du procès, l’entreprise n’est pas restée les bras croisés et a continué à faire pression sur le gouvernement. Ne parvenant pas à un accord, la compagnie annula ses nouveaux investissements dans le pays et décida, en guise de moyen de pression, de ne plus installer de téléphones. Ainsi, elle parvient à faire annuler la décision du tribunal par le chef d’État, et à signer un accord en sa faveur le 13 mars 1957. En contrepartie, la société nord-américaine offrit à Batista un téléphone en or massif…

Fidel Castro, à l’initiative de cette procédure, n’a pas pu poursuivre le procès depuis la mi-1953 en raison de sa participation à l’assaut de la caserne Moncada puis de son emprisonnement sur l’île des Pins. Il fut remplacé par l’avocat et militant du Parti du peuple cubain Pelayo Cuervo Navarro, qui a mené le processus à son terme. Ce dernier est assassiné le 13 mars 1957, quelques heures après l’accord entre la Compagnie et la dictature, dans le cadre de la vague répressive qui surprend La Havane après un assaut révolutionnaire manqué.

Quelles conséquences la signature de ce décret a-t-elle entraînées ? En substance, le contraire de ce que Fidel Castro et ses collègues du cabinet essayaient de réaliser : la compagnie téléphonique cubaine obtient des bénéfices nets de plus de 8%, alors qu’aux États-Unis, d’où est originaire l’entreprise, le maximum accepté était de 6,5 %. L’entreprise s’est également vue accorder le pouvoir de facturer aux clients toute augmentation établie par l’État, de même qu’une exonération du paiement des cotisations ou impôts pour les provinces et communes de l’archipel. L’impôt au profit de l’État cubain d’au moins 4% du revenu brut a enfin été supprimé.

Avec la mort d’Eduardo Chibás Ribas, candidat à l’élection présidentielle pour le Parti du peuple cubain (Orthodoxes) et potentiel vainqueur, le 16 août 1951, la situation politique du pays s’envenime.

Après le triomphe de la Révolution, l’une des premières mesures gouvernementales fut l’approbation de la loi n°122 en mars 1959, qui ordonna à la Compagnie cubaine des téléphones une réduction des tarifs téléphoniques. Surtout, le 6 juillet 1960, la loi n ° 851 prévoit la nationalisation par expropriation forcée de la compagnie, mettant fin à l’extorsion de ce monopole contre le peuple cubain.

Moins de deux décennies plus tard, ITT allait une nouvelle fois marquer l’histoire latino-américaine, pour son rôle dans le coup d’État contre Salvador Allende, qui devait conduire Augusto Pinochet au pouvoir…

Le litige contre la Warner Sugar Corporation et les abus des propriétaires terriens nord-américains

Un autre des conflits juridiques que Fidel Castro a menés à l’été 1951 avait pour cible la société nord-américaine Warner Sugar Corporation, propriétaire de la sucrerie Miranda, située à 27 kilomètres de Birán, sa ville natale. Lors des fréquents voyages de Fidel Castro pour mener à bien les démarches juridiques de son père, il fut frappé par le fait que les plantations de canne à sucre appartenant au moulin Miranda et les terres de la famille Hevia avaient des limites irrégulières. Ses questions aux travailleurs ne trouvant pas de réponse, il consulte les cartes de son père – qui depuis 1924 avait établi un contrat de 20 ans avec la Warner Sugar Corporation – et se rend compte que la société nord-américaine a planté sur les terres de la famille Hevia pendant plusieurs années.

Après avoir collecté toutes les données et vérifié les limites entre les deux propriétés, Fidel Castro calcule la superficie de canne à sucre plantée sur les terres d’Hevia au cours des 15 dernières années. En plus de la violation évidente de la propriété privée de cette famille, il y avait un conflit encore plus délicat, à savoir la reconnaissance légale de la terre sur laquelle aucune des parties n’était claire. En l’absence de preuves suffisantes, les propriétaires nord-américains du moulin Miranda pourraient se voir attribuer une partie de ces terres.

Une fois à La Havane, Fidel Castro présente les preuves aux propriétaires terriens, qui ont accepté d’engager le procès. Sur la base de la quantité et de la durée d’utilisation des terres et du coût moyen du sucre au cours de ces années, il a été calculé que le prix à payer par la société sucrière s’élevait à un minimum de 17 000 pesos. L’entité reconnut finalement l’activité qu’elle menait depuis plusieurs années et préféra payer la totalité de cette somme pour qu’aucune action en justice ne soit déposée devant les tribunaux.

À cette période, le jeune avocat maintient donc parallèlement son activité d’avocat et son militantisme politique. Même si la plupart des procès qu’il intente n’avaient aucun lien politique direct, à l’exception de celui contre la Compagnie cubaine des téléphones, il démontre déjà un intérêt à utiliser sa profession d’avocat comme instrument de lutte contre les maux qui remettent en cause la souveraineté de Cuba.

Un climat politique délétère pour l’opposition 

Avec la mort d’Eduardo Chibás Ribas, candidat à l’élection présidentielle pour le Parti du peuple cubain (Orthodoxes) et potentiel vainqueur, le 16 août 1951, la situation politique du pays s’envenime. Fidel Castro se présente quant à lui comme candidat à la Chambre des représentants pour le quartier de Cayo Hueso, à La Havane, il distribue fréquemment des tracts, prend la parole lors de rassemblements, frappe aux portes de ses électeurs et s’exprime à la radio.

Des décennies plus tard, il commentera : « à cette époque, j’ai commencé à réfléchir à une stratégie de prise de pouvoir révolutionnaire. (…) J’ai commencé à élaborer une stratégie dans le cadre de l’ensemble du processus politique et, compte tenu de la période ultérieure, j’ai envisagé de m’insérer dans l’appareil de ce parti, de me présenter comme député pour l’organisation et d’entrer au parlement. (…) Ensuite, depuis le parlement, je présenterais un programme révolutionnaire avec les orthodoxes. J’ai esquissé la stratégie en brisant la discipline du parti. En vertu de la Constitution et des lois, j’envisageais de présenter un programme semblable à celui de Moncada. Toutes les questions vitales que j’ai exposées dans L’histoire m’absoudra apparaîtraient sous forme de lois dans le plan que j’allais présenter au Parlement, avec l’assurance que ce projet au sein du parti deviendrait un programme pour les masses révolutionnaires. C’est-à-dire qu’il n’allait pas être approuvé, mais qu’il allait devenir la plate-forme de mobilisation de toutes les forces sociales et politiques, des forces d’action armées pour renverser ce gouvernement. » Si l’on tient compte des procédures judiciaires dans lesquelles il a été impliqué par la suite, la plupart d’entre elles sont liées à sa carrière politique.

Alors que les prix des billets de bus de la Cooperativa de Ómnibus Aliados (COA) avait augmenté de manière injustifiée le prix du billet, la Fédération étudiante universitaire (FEU) convoque pour le 5 septembre 1951 une concentration devant les marches de l’université de La Havane. La police reçoit l’ordre de réprimer la manifestation. Sur place, le jeune ouvrier Carlos Rodríguez Rodríguez est sauvagement battu et meurt le lendemain des suites de ses blessures. Sur la proposition de Fidel, le corps est présenté dans la salle des martyrs de l’université de La Havane, où une foule indignée s’est rassemblée. Après la veillée funèbre, il propose également d’emmener le cercueil au palais présidentiel, dans le but de manifester contre la politique répressive du président Carlos Prío Socarrás. La proposition n’a pas été acceptée par les membres et le corps a été transporté au cimetière Colón.

Indigné par ce crime, l’avocat suggère à Justa Rodríguez, la mère de la victime, de parler à la presse, ainsi qu’une action en justice. Le 6 septembre 1951, ils déposent plainte pour homicide. Le 11 septembre 1951, une lettre de Fidel intitulée « Más vale morir de pie » (« Il vaut mieux mourir debout ») est publiée dans le journal Alerta, dans laquelle il réitère sa condamnation des auteurs du crime et des abus policiers. Les accusés mènent plusieurs actions dans les jours suivants et sollicitent l’appui des plus hautes sphères du pouvoir militaire. De toute évidence, ils craignaient d’être emprisonnés et essayaient donc de se soustraire à la justice, car ils n’avaient aucune chance d’être acquittés par des moyens légaux. Dans le même temps, Fidel Castro savait sa vie en danger.

Les policiers mis en cause versent une caution et attendent leur procès en liberté. Immédiatement, les péripéties juridiques ont commencé. Le ministre de la Défense demande le transfert de l’affaire aux tribunaux militaires, en prenant pour prétexte le fait que Cuba était officiellement en état de guerre avec le Japon, l’Italie et l’Allemagne. La stratégie était claire : juger les accusés devant un tribunal militaire, où ils seraient acquittés ou purgeraient des peines minimales. Le tribunal déclare la demande irrecevable, en se référant aux ordonnances rendues de manière continue par la chambre pénale de la Cour suprême depuis le 28 octobre 1949, et a fait valoir que la stabilité du pays empêchait l’application de cet outil juridique. L’avocat de la défense va jusqu’à inventer que le chef de la police n’était pas sur place aux moments des faits, ce qui est démenti par les témoins des actions de Salas Cañizares.

Le 30 janvier 1952, le tribunal déclare qu’il n’a pas encore reçu le rapport du chef du bureau d’enquête de la police nationale contenant les conclusions de ce qui s’était passé le jour des événements. Il n’est pas surprenant que, pour retarder le processus ─ près de cinq mois après les faits ─, le siège de cet organe répressif n’ait pas conclu ses investigations.

Bien que cela ne soit pas évident dans la documentation conservée, il semble que la défense ou les conclusions présentées par le Bureau des enquêtes alléguaient qu’il n’y avait pas de preuves convaincantes impliquant directement la police dans la mort de Carlos Rodríguez Rodríguez. Ce qui est certain, c’est que le 6 février, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de clôture, dans laquelle il certifie qu’ « un instrument en caoutchouc présenté par le Dr Fidel Castro » a été utilisé comme preuves de la condamnation.

Le 4 mars, le procureur général, Evelio Tabío Roig, rend une ordonnance dans laquelle il considère que l’enquête est terminée et demande que l’affaire soit jugée. Dans ses conclusions, il demande « vingt ans de prison pour chacun des accusés » et, en matière de responsabilité civile, « d’indemniser les héritiers du défunt pour la somme de cinq mille pesos ». Il indique également que parmi les preuves à utiliser dans la procédure orale figurent les « aveux des accusés » et les « témoignages et expertises », correspondant à 14 témoins oculaires et deux médecins légistes. Jusqu’aux premiers jours de mars 1952, le procès se déroule normalement.

Vers le coup d’État et la dictature de Batista

Parallèlement à ces événements, Salas Cañizares conspire depuis plusieurs mois, avec d’autres officiers militaires sous les ordres de l’ancien président Fulgencio Batista y Zaldívar, dans le but de réaliser un coup d’État qui contrecarrerait la victoire des orthodoxes. Le 10 mars, l’action est menée à bien, inaugurant une dictature qui invalide la Constitution de la République et dissout le Congrès. Parmi les nominations effectuées ce jour-là par le dictateur figure la promotion de l’assassin avoué Rafael Angel Salas Cañizares au rang de « colonel de première catégorie » et à la tête de la police nationale.

Le coup d’État du 10 mars 1952 a non seulement aggravé la situation politique du pays, mais a également modifié le cours de la procédure pénale 1788/51. Dans ces circonstances, Fidel Castro est contraint à la clandestinité, car sa vie est à nouveau menacée et face à la dictature militaire les tribunaux perdaient de leur autonomie à vue d’oeil. Afin d’exonérer les accusés de leurs charges, le nouveau régime publie un décret qui indique le transfert du dossier à la juridiction militaire, laissant les assassins impunis. Il ne fait aucun doute non plus que les conclusions de ce procès ont influencé la formation politique du jeune Fidel Castro et la radicalisation de sa pensée. Le 1er mai 1952, lors d’un hommage à Carlos Rodríguez Rodríguez au cimetière de Colón, le jeune révolutionnaire Jesús Montané Oropesa présente deux leaders qui allaient marquer l’histoire de la nation cubaine, Fidel Castro et Abel Santamaría Cuadrado. L’année suivante, tous deux joueront un rôle de premier plan dans les événements du 26 juillet 1953.

Si son étape en tant qu’étudiant a été décisive dans sa formation politique, sa carrière d’avocat a donc également contribué à la consolidation de ses convictions. De son contact avec les secteurs les plus délaissés, de son affrontement avec le système politique et juridique corrompu du pays, ses convictions socialistes ont émergé. La mise en place de la dictature de Batista et la suspension de l’ordre constitutionnel empêchant toute continuation de la lutte sur le plan juridique comme politique, l’opposition menée par Fidel Castro, condamnée à la clandestinité, s’oriente vers la lutte armée pour combattre le nouveau régime. L’assaut de la caserne de Moncada, le 26 juillet 1953, sonne ainsi le début de la Révolution cubaine, à l’issue de laquelle, déclare Fidel Castro : « L’Histoire m’absoudra ».

Il faut attendre le 1er janvier 1959 pour que les révolutionnaires triomphent de Batista, et que le désormais commandant en chef des troupes révolutionnaires restaure la Constitution et entame une profonde transformation du pays…

Eliane Assassi : « Le recours aux cabinets privés est devenu un réflexe »

La crise sanitaire a pleinement illustré la dépendance de l’Etat aux cabinets de conseil. Très présents dans les entreprises, ces sociétés ont peu à peu gagné en influence au sein des institutions publiques : en quatre ans, près de 2,4 milliards d’euros ont été engloutis par ces cabinets. La sénatrice Eliane Assassi, ainsi que ses collègues du groupe communiste républicain, citoyen et écologiste (CRCE), a utilisé son droit de tirage annuel pour enquêter sur cette situation préoccupante. Nous l’avons interrogé afin de revenir sur les principaux points soulevés par la « Commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques ». Entretien réalisé par Jules Brion, retranscrit par Dany Meyniel.

LVSL : Vous affirmez que, si la crise a mis en lumière l’intervention des consultants dans la conduite des politique publiques, ce n’est en réalité que « la face émergée de l’iceberg ». Votre enquête vous conduit à considérer la République prisonnière d’un « phénomène tentaculaire ».

Éliane Assassi : Beaucoup de journaux avaient déjà fait des travaux d’enquête sur l’évasion fiscale, sur l’utilisation du CIR (Crédit Impôt Recherche, ndlr), du CICE (Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi, ndlr). J’avais eu l’idée, il y a déjà un certain temps, de faire un travail d’investigation sur les cabinets privés. J’étais pourtant loin d’imaginer que ce puisse être une commission d’enquête. Puis la crise sanitaire est survenue. C’est lors de cet épisode que l’on a aperçu un consultant d’un cabinet prendre la parole dans une réunion en présence d’Olivier Véran. Nous pensions alors que c’était une personne de l’administration du ministère de la Santé. Que nenni, c’était un consultant ! Interrogé par les parlementaires, le ministre était déjà sur la défensive en expliquant que ce recours n’avait rien d’anormal. 

« Ces cabinets ont influé sur des décisions prises au Conseil de Défense, la boîte noire parmi les boîtes noires. »

Il est vrai que le recours aux cabinets privés existe depuis le XIXème siècle mais le réel marqueur de leur présence a été la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) mise en place par Nicolas Sarkozy. Cette politique prônait la réduction des dépenses publiques et donc du nombre de fonctionnaires. On s’est donc aperçu, pendant le mandat Sarkozy, que l’Etat avait effectivement fait beaucoup appel à des cabinets privé et que ça s’était ensuite un peu tassé sous François Hollande. Dès l’arrivée d’Emmanuel Macron, c’est reparti de plus belle… Pour être honnête avec vous, j’ai moi-même été vraiment surprise par le côté vertigineux de ce recours à des cabinets privés sur des missions qui, me semble-t-il, auraient pu être assumées par l’administration. Le but de la commission d’enquête du Sénat n’était donc pas de faire un procès d’intention. Tout est factuel, nous avons les chiffres qui démontrent nos dires. C’est justement parce qu’il est sérieux et rigoureux qu’il a été voté à l’unanimité.

LVSL : En lisant votre rapport, on a l’impression que la classe politique française confie l’intérêt général de la Nation à des cabinets qui conseillent également des intérêts particuliers.

É.A. : Ce qui est étonnant, c’est que beaucoup dans la classe politique prônent la réduction du nombre de fonctionnaires, y compris noir sur blanc dans les programmes des élections présidentielles. Je pense qu’un certain nombre de ceux qui nous gouvernent aujourd’hui ont la volonté d’installer un autre système, d’en finir avec nos services publics et notre administration de façon générale. Il ne peut en être autrement quand des sujets aussi structurants pour la vie des gens et du pays sont confiés à des cabinets privés. On s’est aperçu que le recours à ces cabinets privés est devenu un réflexe. De fait, sitôt qu’il y a un problème, une question ou une urgence comme la crise sanitaire, l’Etat appuie sur le bouton pour faire appel à un cabinet privé afin d’intervenir en lieu et place de notre administration. C’est une logique ultra-libérale qui s’installe insidieusement. C’est cela même qui est choquant pour une femme de gauche comme moi. Quiconque a le sens de l’intérêt général et de la République est en droit de s’interroger sur ce phénomène. Je ne dis pas que ce rapport va régler le problème – mais au moins le sujet investit dorénavant l’espace publique. On ne pourra plus dire : « on ne savait pas ». On a fait la démonstration d’un système.

LVSL : L’Etat semble lui-même faciliter, voire automatiser, le recours à ces cabinets. Pouvez-vous revenir sur l’importance qu’ont pris l’accord cadre de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et la règle du « tourniquet » ?

É.A. : Le gouvernement, différents ministres et même le Président de la République sont sur la défensive sur ce sujet et nous disent : « toutes les procédures sont respectées ». C’est vrai : les marchés publics et les appels d’offres sont réalisés dans le respect des règles. Sauf qu’il y a le problème du tourniquet qui tombe souvent en panne… Ce « tourniquet » interdit théoriquement à ce qu’un cabinet puisse effectuer deux fois de suite une mission afin d’éviter les monopoles. Pourtant, on s’aperçoit souvent que des cabinets, au titre du droit de suite (le cabinet qui a assuré une commande peut-être reconduit pour assurer la continuité d’une mission, ndlr), bénéficient de plusieurs contrats de suite. 

Normalement il y a des évaluations des cabinets mais on se demande parfois s’ils sont vraiment choisis pour la mission qu’ils devraient mener. On sait par exemple que des missions payées à ces cabinets n’ont pas été menées à leur terme. Des rapports ont été rendus par des cabinets conseil qui sont parfois de simples copiés-collés de missions qu’ils ont pu faire dans d’autres pays. Même si les cabinets sont, paraît-il, très intelligents, nous le sommes encore plus et nous nous sommes aperçus qu’un document rendu était exactement le même que celui qu’ils avaient produit en Australie…

« Les documents transmis par le ministère des solidarités et de la santé peuvent présenter une certaine ressemblance avec un PowerPoint conçu par McKinsey pour le gouvernement australien. »

Citation issue du rapport sénatorial.

Il y a également des rapports qui ont été réalisés, payés et qui se résument à cinquante pages d’un Powerpoint. C’est le cas d’une mission confiée à McKinsey sur la réforme des retraites, qui n’a pas eu lieu pour les raisons que l’on connaît. Il nous reviendra de renforcer la loi et d’aller beaucoup plus loin que les constats qui sont faits dans ce rapport, lorsque nous déposerons la proposition de loi transpartisane. Après ce rapport, il y aura donc un débat de nature politique et démocratique sur des propositions de réforme.

LVSL : Les interventions « behind the scene » sont devenues la norme : les consultants sont incités à rester discrets et à travailler en « équipes intégrées » chez leurs clients. Vous notez que les agents « sont alors quasiment assimilés à des agents publics, qu’ils considèrent comme des collègues de travail ». N’existe-t-il pas un risque que ces entreprises remplacent petit à petit les agents de l’administration publique ?

É.A. : Les cabinets de conseil ont une politique d’entrisme : ils intègrent des services de l’Etat. Parfois, sur les en-têtes de rapport, les logos des cabinets et des ministères se confondent. On ne sait pas qu’ils sont consultants, on pense que ce sont des agents de l’administration publique. C’est une stratégie assez bien rodée de la part des entreprises privées mais, comme nous sommes extrêmement sérieux et rigoureux, nous avons trouvé des notes produites par des consultants avec l’en-tête des ministères. On a le fameux cas d’une évaluation de la crise sanitaire réalisée pour le ministre Olivier Véran où n’apparaît pas le logo de McKinsey alors qu’on a connaissance d’autres missions qui ont été remises avec le logo du cabinet. C’est pour cela que nous disons qu’il y a un problème de transparence, d’opacité. On a des cabinets qui affichent leur logo alors que d’autres ne le font pas. 

NDLR : Pour en savoir plus sur le remplacement des fonctionnaires par les cabinets de conseil, lire sur LVSL l’article du même auteur : « McKinseygate : vers la fin de la fonction publique ? »

LVSL : Justement, s’il est de notoriété publique que l’entrisme est l’une stratégie des consultants, est-ce que l’État la facilite ?

É.A. : Vous savez, je m’interroge beaucoup, je me pose une question : qui dirige notre pays aujourd’hui ? De fait, je me rends compte que des ministres ne semblent pas être au courant de ces pratiques, ce qui est quand même assez grave… Quand on a des cabinets ministériels et des consultants qui produisent des notes avec leurs signatures sur l’en-tête du ministère, qui a validé cela ? Est-ce le ministre ou quelqu’un du cabinet ministériel ou quelqu’un du secrétariat général du gouvernement, du secrétariat général de l’Elysée ? Ça pose question. 

« Les livrables de McKinsey comportent dans un premier temps le logo du cabinet. À compter d’avril 2020, ils sont toutefois présentés sous le sceau de l’administration, ce qui ne permet pas de distinguer l’apport de McKinsey et celui des agents publics. »

Citation issue du rapport sénatorial.

LVSL : L’action publique devient donc de plus en plus opaque…

É.A. : Oui, exactement. Certains documents que l’on s’est procurés qui ont été produits par des cabinets de conseil étaient utilisés en Conseil de Défense où ils servaient de base de discussion. Ce qui veut dire que ces cabinets ont influé sur des décisions prises au Conseil de Défense, la boîte noire parmi les boîtes noires. Quand on parle d’opacité, en voilà un bel exemple… Moi-même qui suis présidente d’un groupe parlementaire, je ne sais pas qui fait partie de cette institution. 

LVSL : En théorie, ces entreprises ne sont pas censées avoir d’influence sur les décisions qui vont être prises par l’Etat. Pourtant, vous montrez que les cabinets de conseil priorisent souvent certains des scénarios qu’ils proposent.

É.A. : C’est une commande politique, donc les cabinets y répondent. Mais il arrive souvent que les cabinets produisent plusieurs hypothèses et que parmi celles-ci, certaines soient appuyées plus que d’autres.

Des cabinets de conseil – et je le répète, je ne suis pas contre les cabinets de conseil – étaient de connivence avec celui qui est devenu président de la République avant même qu’il soit candidat à l’élection présidentielle de 2017. Des cabinets ont travaillé à la rédaction du rapport Attali. Et qui était secrétaire général adjoint de l’Elysée à ce moment-là ? C’était Monsieur Macron. Et on retrouve ces mêmes cabinets après qui ont travaillé gratuitement dans la stratégie de campagne d’Emmanuel Macron. On ne me fera jamais croire qu’il n’y a pas le partage d’une certaine idéologie ou en tout cas de choix de société, c’est évident quand on trouve des mails échangés entre McKinsey et la République en Marche… 

LVSL : Vous notez le coût particulièrement élevé de certaines missions, l’Etat déboursant parfois jusqu’à 2400 euros par jour et par personne pour rémunérer ces cabinets. Certains défendent l’utilisation massive des cabinets de conseil en louant l’efficacité et les compétences du secteur privé. Le recours à ces entreprises apporte-t-il systématiquement une plus-value pour l’action publique ? 

É.A. : Les coûts sont évalués à 1500-2000 euros par jour et, quand vous enlevez les charges, on peut évaluer la journée des consultants comprise entre 800 et 1200 euros. Je rappelle quand même qu’un agent de la fonction publique territoriale de catégorie C touche à peine le SMIC… sur un mois. Donc ce sont quand même des sommes astronomiques qui sont versées. Je m’élève contre la fausse rumeur, qui est trop souvent dite et complètement fausse, à savoir que ce serait la crise sanitaire qui aurait provoqué le plus de dépenses. De fait, sur le milliard global, la crise sanitaire c’est 46 millions d’euros… 

LVSL : Vous notez d’ailleurs une dépendance totale dans le secteur de l’informatique.

É.A. : Oui. C’est l’argument que tous utilisent pour justifier la présence des cabinets de conseil. ll est vrai que la France a pris du retard dans ce domaine. Pour ma part, ce n’est pas le sujet qui me trouble le plus.

« On a parlé du milliard. Je vous invite à regarder le détail. Les trois quarts (…) sont des recours à des prestataires informatiques et des entreprises pour financer le cyber et l’évolution aux nouveaux risques. »

Emmanuel Macron, le 28 mars à Dijon

Ce qui m’interroge bien plus c’est la protection des données. Des cabinets interviennent pour organiser un réseau de logiciels, un réseau de cyber-sécurité. Premièrement ça ne fonctionne pas toujours comme prévu. Le projet « Scribe », porté par la police nationale et par le cabinet Capgemini, a échoué. Mais quand les projets fonctionnent, les cabinets repartent avec les clefs. De fait, ils peuvent avoir des données personnelles sur vous, sur moi, sur n’importe qui. Quand on a recours à des sociétés internationales, que font-ils de ces données ? Sans entrer dans du complotisme, c’est une question concrète de souveraineté. 

LVSL : De multiples évènements démocratiques du quinquennat – Grand Débat, Convention Citoyenne pour le Climat, etc. – ont été coorganisés par des cabinets de conseil. La République a-t-elle externalisé sa compétence la plus vitale ? 

É.A. : Effectivement, cet aspect est très choquant. D’autant plus lorsque l’on connaît le sort réservé à ces missions. La convention citoyenne sur le climat n’a abouti à rien, du fait du manque de volonté politique de la part d’Emmanuel Macron et non de celle des 150 citoyens qui y ont siégé. C’est une mission – et mon propos ne se veut pas péjoratif – somme toute basique. J’ai moi-même, lorsque j’étais directrice de cabinet auprès d’un maire, organisé des débats publics. On n’a pas besoin d’externaliser ce rapport de proximité avec nos concitoyens dans un espace géographique comme les collectivités. Comme je vous le disais en amont, dès qu’un élu a l’idée de faire une convention citoyenne, il appuie sur le bouton. C’est un pur réflexe. En réalité, ils n’en ont que faire de la démocratie ou des relations avec les citoyens. Ils ont une idée, veulent aller le plus rapidement possible et ne cherchent même pas à savoir si les compétences sont présentes en interne. On appuie sur le bouton et on a un cabinet privé qui répond aux exigences de celui qui fait la commande. Ça ne peut pas fonctionner comme ça ! J’en veux pour preuve que ça n’a pas fonctionné : ces consultations citoyennes, à part du vent, n’ont rien produit de concret pour changer la vie des gens alors que c’en était initialement l’objectif. Et c’est la même chose pour le grand débat national, la convention citoyenne, les débats sur la justice…. Toutes ces initiatives n’ont abouti à rien qui permette de mieux vivre aux Françaises et aux Français, en tout cas à tous ceux qui vivent et travaillent dans notre pays.

LVSL : Justemment, vous considérez qu’il est impératif de ré-internaliser nos compétences. Même si ce processus se ferait sur le long terme, tant notre dépendance à ces cabinets s’est accrue dans les dernières années, quelles mesures seraient à même d’endiguer leur influence ? 

É.A. : La première des choses serait de renforcer notre administration. On a perdu beaucoup de fonctionnaires ces dernières années dans certains secteurs. Tout ça a causé des pertes de compétences au sein de l’administration – même s’il en existe toujours, je tiens à le dire. Et puis, les exemples de ré-internalisation ne manquent pas. Je parlais précédemment du logiciel « Scribe » qui a échoué et qui devait permettre de dématérialiser un certain nombre de procédures policières. Pendant ce temps là, les gendarmes ont produit leur propre logiciel et il marche très bien

Il nous a été dit lors des auditions qu’au sein de la police il y avait la volonté de ré-internaliser un certain nombre de missions, et ce pas que sur l’informatique mais dans différents services. Il en est de même dans le champ de la cyber-sécurité, dans les armées avec la ministre Florence Parly qui nous a évoqué ses projets de ré-internalisation avec une formation des agents du ministère sur un certain nombre de sujets sensibles. 

Cela nécessite effectivement de renforcer quantitativement et qualitativement les effectifs, avec une formation un peu plus soutenue que celle qui existe actuellement dans la fonction publique. Il y a tout un système à revoir. Mais ce système aura la vertu évidente d’embarquer tous les agents de la fonction publique, quelque soit leur grande, dans le même bateau. L’objectif sera de répondre à l’intérêt général et non à celui d’intérêts mercantiles. Néanmoins, si le Président ou son successeur restent dans cette optique politique libérale de supprimer des fonctionnaires, il va arriver un moment où ça va poser des problèmes évidents… 

LVSL : Vous parlez d’une « influence croissante » des cabinets de conseil dans la conduite des politiques publiques. Vous dites même que la Nation s’est transformée en « République du post-it ». Quelle vision de la conduite de l’Etat se diffuse par le prisme des cabinets de conseil ?

É.A. : Le mépris ! De fait, cette affaire est assez troublante. Il y a une infantilisation évidente des agents fonctionnaires. J’ai auditionné des salariés, des hauts fonctionnaires de l’OFRPA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides, ndlr) qui nous ont écrit ou que nous avons entendus. Beaucoup montrent que les consultants débarquent dans une administration sans même parfois que les chefs de service soient informés de l’arrivée de ceux-ci. Cela prouve encore une fois que l’on ne cherche même pas à savoir si les compétences pour lesquelles on fait appel à un cabinet privé existent en interne. Les fonctionnaires voient ensuite débarquer dans leurs bureaux des gens qui s’imposent avec des paperboard, des post-it, des logos, des gommettes avec une posture et une attitude qui tend à mépriser les agents, à la fois physique et dans le verbe. 

« Le vocabulaire de la start-up nation me semble peu approprié à notre mission de service public. »

Un agent de l’OFPRA cité dans le rapport

Le cas de l’OFPRA est assez révélateur là dessus. Deux consultants arrivent dans un service avec pour mission officielle de réduire les « stocks » ! On parle de personnes qui demandent refuge en France, ce sont des êtres humains et donc il faut prendre le temps de discuter avec eux. Pourtant, les consultants parlent de stocks et les appellent les « irritants » parce que, parmi les réfugiés, il y a beaucoup de gens qui, selon eux, mentent. Il faudrait donc les traquer et les pister… Mais les agents fonctionnaires sont capables de discernement. Après tout, c’est leur métier d’écouter les demandes et de savoir si elles sont justifiées ou pas. À ce sujet, je ne sais pas quoi répondre. Il y a à la fois les compétences en interne, les personnels qui sont formés avec une formation continue à l’OFRPA puisque forcément la souffrance des gens est diverse. Les agents ont une certaine empathie d’écoute et ils voient débarquer des consultants qui leur disent « nous, on ne fonctionne pas comme ça, tout ce qu’on veut c’est réduire les stocks ». On a là tout le côté méprisant de la chose pour les agents eux-mêmes, leur travail et pour les gens qui souffrent. C’est absolument insupportable. 

Pendant cette mission, de nombreuses choses m’ont choquées mais comme je suis assez sensible à toutes les missions qui relèvent de l’immigration, des réfugiés et des demandeurs d’asile, j’avoue que cette inhumanité m’a bouleversée… Cette déshumanisation est considérable. Je n’en veux pas aux consultants eux-mêmes. Après tout, ils sont simplement missionnés par leur cabinet, ils sont formatés pour agir ainsi. Il y a d’ailleurs des collectifs d’anciens consultants qui expliquent avoir quitté les cabinets du fait de la dimension inhumaine de leur travail. 

LVSL : Comme vous l’avez dit, le rapport ne s’intéresse que marginalement aux collectivités territoriales. Pourtant, beaucoup ont recours à ces cabinets. Pourquoi ne vous êtes-vous pas intéressé à ce phénomène ? 

É.A. : On a 35.000 communes, 101 départements et treize régions. On pourrait faire une commission d’enquête mais il nous faudrait au moins deux ans… Après, le phénomène est bien différent dans les collectivités territoriales. Je vais vous expliquer mon propos à partir de mes expériences passées : j’ai été directrice de cabinet d’une ville de cinquante mille habitants (Drancy, en Seine-Saint-Denis, ndlr) et j’ai fait appel à une entreprise extérieure pour nous accompagner dans la définition d’une nouvelle stratégie de visibilité dans l’espace public. L’entreprise devait définir un nouveau logo et des signalétiques. Dans une collectivité, même de cinquante mille habitants, on n’a pas les compétences pour faire ça. Il y a bien un service communication qui s’occupe du journal, des relations publiques pour organiser des événements dans la ville. Pourtant, à la différence de la situation nationale, il existe de nombreux filtres au sein des collectivités territoriales. Les élus du conseil municipal qui délibèrent, le contrôle de la Chambre régionale des comptes… Ces filtres n’existent apparemment pas avec l’administration d’État. Je pense qu’il y a des ministres qui n’étaient même pas au courant de l’ampleur de ces recours à des cabinets privés. Dans une collectivité c’est différent, vous avez une réelle opposition. J’ai été élue dans une majorité puis ensuite dans l’opposition qui s’empare des arrêtés du maire et des délibérations du conseil municipal… D’emblée, dans la commission nous avons décidé de ne pas mettre dans notre périmètre de mission les collectivités, nous avons tous été élus locaux, nous savons comment elles fonctionnent et, de fait, nous savons la puissance de l’opposition dans une collectivité.