De la nécessité d’un réel congé paternité

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© Rotaru Florin

L’égalité entre les femmes et les hommes passe par de nombreux combats dont l’un des points cardinaux dans notre pays est le congé paternité. Concentrant à lui seul plusieurs enjeux sociétaux privés et publics comme l’égalité professionnelle, l’implication des pères dans l’éducation de leurs enfants, et même un rééquilibrage des tâches domestiques, il est primordial que les congés parentaux soient mieux répartis. La France était (et reste) en retard par rapport à ses voisins européens quant à la durée du congé paternité. Ce congé a donc été récemment allongé par Emmanuel Macron, annonçant plus que son doublement : de onze jours, il passera à vingt-huit jours dont sept obligatoires. La mesure entrera en vigueur en juillet 2021. 

Mis en place en 2002 à l’initiative de Ségolène Royal, alors ministre déléguée à la Famille sous le gouvernement Jospin, le « congé de paternité et d’accueil de l’enfant » permet à tous les pères, peu importe leur activité professionnelle, de bénéficier de jours de congés à l’arrivée de leur enfant. L’arrivée d’un nouveau-né bouleverse l’équilibre professionnel : c’est un événement privé qui affecte donc la vie « publique » des parents et dans le cas d’un couple hétérosexuel,  davantage celle de la mère. En effet, en France, le congé paternité était jusqu’à peu d’une durée de 11 jours consécutifs, week-end inclus [1]. Il était également facultatif. En comparaison, le congé maternité peut aller jusqu’à 16 semaines, dont 8 sont obligatoires, le tout étant rémunéré par l’Assurance maladie au prorata du salaire. Avec cette nouvelle mesure, le congé paternité se voit rallongé et oblige ainsi les nouveaux pères à prendre au minimum sept jours de congés. Si l’on peut saluer cette avancée, on peut également remarquer que ce n’est pas encore assez pour arriver à une véritable égalité, faisant reposer toujours plus la charge parentale sur les mères à l’arrivée de l’enfant.

La maternité comme « risque »

Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2018 explique qu’un scénario volontariste « traduit une priorité plus marquée en faveur de l’atteinte de résultats substantiels en matière d’égalité professionnelle. Pour réduire le « risque maternité » qui pèse sur les femmes avec ses conséquences négatives sur leurs conditions d’emploi (embauche, rémunération, carrière…), il est indispensable que ce risque de « parentalité » soit partagé plus équitablement entre le père et la mère[2]. » Ainsi, allonger et rendre obligatoire le congé paternité à une durée équivalente au congé maternité traduirait une volonté forte de la part du gouvernement d’inclure pleinement les femmes dans le monde du travail. Il démontrerait aussi que l’arrivée d’un enfant n’est plus uniquement une « affaire de femmes », les repoussant à la marge de l’emploi. 

Pour réduire le « risque maternité » qui pèse sur les femmes avec ses conséquences négatives sur leurs conditions d’emploi, il est indispensable que ce risque de « parentalité » soit partagé plus équitablement entre le père et la mère.

Un congé paternité ambitieux permettrait également de rattraper un retard auprès des autres pays européens, ce que l’IGAS souligne comme « des évolutions constatées au cours des deux dernières décennies dans les pays européens, avec un allongement progressif des congés pris par les pères à la suite de la naissance de leur enfant. » 

En effet, certains pays ont récemment rallongé la durée accordée aux pères. En Espagne, elle est passée de 5 à 8 semaines, et sera même alignée sur celle des mères en 2021, atteignant 16 semaines. Les pays du Nord de l’Europe sont les plus généreux. La Norvège offre 14 semaines de congé pour les pères, rémunérées à hauteur de la totalité de leur salaire. 60 jours sont réservés aux pères suédois, avec une indemnité correspondant à 80% du salaire antérieur, et 3 mois rémunérés jusqu’à 80% en Islande [1]. Si ces pays peuvent le faire, alors la France, troisième pays européen le plus riche, et le septième à l’échelle mondiale, le peut également [3]. Car le coût est un des points cristallisant le débat. Régulièrement accusé d’être trop dispendieux, la charge financière de l’allongement du congé paternité est estimée entre 300 et 500 millions d’euros. Par ailleurs, une amende de 7500 euros est à l’étude afin de contraindre les entreprises à respecter ce nouveau droit. 

Des pères plus enclins au congé paternité… selon la catégorie socio-professionnelle

En France, selon une enquête lancée en début d’année 2019 par le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle (CSEP) sur la parentalité et la vie au travail, 78 % des pères ont pris leur congé paternité dans son intégralité [4]. Si on note ainsi une volonté de la part des pères de profiter des premiers instants de vie de leur enfant, cela ne vient pas sans disparités : selon l’IGAS, le taux de recours est plus important chez les pères ayant un emploi stable. Il est de 80% pour ceux en CDI et 88 % chez les fonctionnaires, contre 48 % chez les pères avec un emploi instable (CDD) et seulement 13 % chez les demandeurs d’emploi. De plus, seuls 47 % des cadres dirigeants se sont arrêtés pour prendre leur congé paternité. En ce sens, il est primordial que la durée du congé soit allongée et qu’il devienne obligatoire, afin que femmes et hommes, peu importe leur catégorie socio-professionnelle, soient tous deux responsabilisés et dans une situation d’apprentissage face à l’arrivée de l’enfant. Il s’agit également de réduire les inégalités dans la répartition des tâches ménagères et parentales, qui incombent encore majoritairement aux femmes. Selon une étude de l’INSEE, l’arrivée des enfants ne fait que creuser l’écart en termes de travail domestique. Les mères y consacrent en moyenne 34 heures par semaine contre 18 heures pour les pères [5].

84 % des femmes estiment que la maternité a eu un impact négatif sur leur carrière, notamment dû au fait d’un sexisme ambiant.

Par ailleurs, mettre en place un congé paternité long et obligatoire permettrait de réduire les discriminations à l’embauche puis en emploi envers les femmes, puisqu’un « risque de paternité » identique s’appliquerait sur le marché du travail. Ainsi, 84 % des femmes estiment que la maternité a eu un impact négatif sur leur carrière, notamment dû au fait d’un sexisme ambiant. Cela peut aller de remarques désobligeantes et de mises à l’écart à une stagnation dans le travail avec à la clé moins de responsabilités et une absence de promotion salariale. En effet, les femmes font régulièrement face à ce que Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté auprès du ministère de l’Intérieur, a défini comme un « plafond de mère » [7]. Cela fait référence par analogie au « plafond de verre » et correspond à « l’ensemble des mécanismes économiques, managériaux, psychosociaux, qui conduisent à entraver la vie professionnelle des femmes et à brider la carrière des mères. » Ainsi, il n’est pas rare que certains employeurs demandent à une candidate ses ambitions de maternité – bien que cela soit interdit par la loi. Une telle mesure permettrait donc de protéger les femmes et les hommes d’éventuelles pressions de l’employeur et réduirait les répercussions sur les carrières. Il y aurait également un impact concernant les inégalités salariales, car en s’investissant dans leur parentalité, les pères seraient aussi sujets à des contraintes et pourraient être moins à même de sacrifier du temps familial pour du temps de travail, en acceptant des réunions tardives ou des déplacements réguliers par exemple.

Des normes sociales qui évoluent lentement

Un congé paternité obligatoire plus long et mieux rémunéré est donc la clé. C’est un des outils de l’égalité entre les femmes et les hommes car il répondrait aux injonctions professionnelles, aux stéréotypes de genre invoquant la mère comme seule gardienne du foyer, modifierait la perception du rôle de chacun et pourrait contribuer à la réduction des inégalités salariales. Il serait donc intéressant de réfléchir à un congé paternité sur la base du modèle espagnol, d’une durée d’au moins 8 semaines obligatoires pour le père (ou second parent) dont les deux premières devant être prises sans interruption après l’accouchement, de façon non transférable, et indemnisées à 100% du salaire antérieur. Cette proposition est ouverte au débat, mais s’ils sont trop longs et mal rémunérés, les congés parentaux incitent à ce que ce soit les femmes qui les prennent. Or, un retrait du monde du travail sur une période conséquente entraîne des difficultés pour la réinsertion des salariées peu qualifiées, faisant reposer toute la dynamique économique du ménage sur le salaire de l’homme, n’incitant donc pas non plus ces derniers à prendre un congé paternité. 

De façon plus globale, il est souhaitable d’avoir une discussion sur la politique familiale de la France et d’engager une réflexion ambitieuse sur le congé parental mais aussi sur le système d’accueil des enfants par la création d’un nombre plus important de crèches publiques notamment. Il s’agit de faire preuve de volonté, pour une société moins inégalitaire, et de transformer les rapports sociaux de genre ; il est nécessaire de rééquilibrer les rôles et d’inclure la parentalité dans le monde du travail. Cela va au-delà d’une question financière, c’est une question de justice et d’égalité sociale. 

Références :

1. Guedj Léa, « Congé parental : ça coince toujours pour les pères français », FranceInter.fr, 4 avril 2019. 

2. Gosselin Hervé, Lepine Carole, « Évaluation du congé de paternité », Inspection générale des affaires sociales, n°1098,  22 novembre 2012. 

3. Journal du net, « Classement PIB : la liste des pays les plus riches du monde en 2019 », Journal du net, 16 avril 2019.

4. Conseil Supérieur de l’Égalité Professionnelle, « Prise en compte de la parentalité dans la vie au travail », Conseil Supérieur de l’Égalité Professionnelle, 21 février 2019. 

5. Roy Delphine, « Le travail domestique : 60 milliards d’heures en 2010 », Insee, n°1423, 25 janvier 2018. 

6. Cordier Solène, « La durée du congé paternité en France va doubler, passant à vingt-huit jours », Le Monde, 22 septembre 2020.

7. Huffington Post, « Le « Plafond de mère », qu’est-ce que c’est ? », Huffington Post,  5 octobre 2016.

Inégalités femmes-hommes : de la stagnation économique à l’inertie politique

© Tima Miroshnichenko

“En 2022, les femmes seront aussi bien payées que les hommes dans les entreprises”. Voilà la promesse que Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail, a formulé le mardi 23 octobre 2018 sur France Info. Cette promesse a été réitérée par la nouvelle ministre Elisabeth Borne le 5 octobre 2020 sur France Inter. Au service de la “grande cause du quinquennat” qu’est l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, la fin de l’inégalité salariale, qui s’élève encore à 25,7%, est pourtant très loin d’être atteinte.


Les obstacles à l’égalisation sont persistants

La stagnation professionnelle générale des femmes est due à plusieurs phénomènes visibles et invisibles, inhérents au marché du travail actuel. D’abord, les freins visibles : les femmes sont encore en trop grand nombre victimes de carrières hachées liées aux inégalités de conditions initiales (moins formées, moins confiantes) et de vie (enfants à charge). Ainsi, 30% des femmes travaillent encore à temps partiel et représentent 80% des salariés dans ces conditions (INSEE). Elles occupent encore trop souvent des emplois précaires, petits boulots ou métiers de sous-traitance aux conditions particulièrement défavorables à l’instar de la lutte des femmes de chambre de l’hôtel Ibis, toujours en grève, qui nous fournit un exemple suffisamment éloquent.

À ce rythme, ce n’est qu’en 2168 que l’égalité salariale sera atteinte.

Ensuite, les freins invisibles : les femmes sont encore trop souvent victimes d’une différence de traitement dans les promotions professionnelles fonctionnelles, notamment en début de carrière. Elles se voient plus souvent exclues des niveaux hiérarchiques les plus élevés, valorisant, qualifiés et rémunérés des entreprises (le fameux « plafond de verre »). Lorsqu’elles y accèdent, ce sont souvent dans des secteurs non stratégiques ou de support (administration et communication principalement – “paroi de verre”). En bref, les inégalités poursuivent toutes les femmes sur le marché du travail : qu’elles soient éloignées de l’emploi, précaires dans l’emploi, cadres, etc.

Rappelons aussi qu’une mère sur deux interrompt ou cesse son activité professionnelle, contre seulement un père sur neuf (INSEE). Les femmes intègrent très tôt que l’arrivée d’un enfant dans leur vie signe aussi la fin de leur évolution professionnelle : une mère gagnera ainsi un salaire inférieur de 25% à celui qu’elle aurait eu sans enfant, cinq ans après une naissance (INSEE). Et quand elles accèdent à la retraite, du fait des inégalités dans l’emploi tout au long de leur vie d’actives, elles touchent une pension de droit direct réduite de 42% par rapport aux hommes. À ce rythme, ce n’est qu’en 2168 que l’égalité salariale sera atteinte. 

Premières sollicitées, premières abandonnées

La crise de la Covid-19 a pourtant dévoilé un paradoxe violent : les femmes sont moins payées alors qu’elles ont été (et sont encore) les plus exposées à la maladie du fait qu’elles occupent majoritairement les métiers du soin et du service. Elles représentent environ 73% des effectifs dans l’éducation, la santé et l’action sociale, 90% des personnels aux caisses des magasins qui assurent le ravitaillement, 67% du personnel d’entretien qui désinfecte quotidiennement les lieux publics et privés (DREES, Les Echos).

Les femmes sont les plus exposées aux conséquences que la crise actuelle porte sur le marché du travail.

Celles qui ne sont pas en première ligne ne sont pas pour autant épargnées : les femmes ont été les plus exposées aux problématiques professionnelles et psychologiques liées au confinement. Pendant cette période en France, 83% des femmes vivant avec enfants leur ont consacré plus de 4h par jour, contre 57% des hommes. Parmi les personnes en emploi, les mères ont deux fois plus souvent que les pères renoncé à travailler pour garder leurs enfants (21% contre 12%), au risque de perdre leur emploi. Plus grave encore : parmi les personnes en emploi n’ayant pas bénéficié de l’autorisation spéciale d’absence pour garde d’enfant, 80% des femmes passaient plus de 4h quotidiennes avec les enfants (contre 52% des hommes) et 45% assuraient une double journée (contre 29% des hommes) selon l’INSEE.

Le pire reste que cette situation nouvelle risque d’accroître des inégalités économiques à venir. Les femmes sont en effet les plus exposées aux conséquences que la crise actuelle porte sur le marché du travail. Du fait même du renforcement de la part du travail domestique non rémunéré dans l’organisation de leur journée pendant le confinement, le retour des femmes au travail est d’autant plus incertain. Par ailleurs, le risque de perdre leur emploi est 1,8 fois plus important pour les femmes que pour les hommes du fait de la surreprésentation des femmes dans certains secteurs dont l’activité devrait le plus reculer (hôtellerie, restauration, commerce). En ce sens, 54% des postes menacés dans le monde concernent les femmes (McKinsey). Une tendance déjà constatée aux États-Unis où le taux de chômage des femmes a été supérieur de 2% à celui des hommes au printemps 2020 (FMI). Enfin, les biais sexistes inhérents au marché du travail sont tels que les hommes sont globalement considérés comme prioritaires dans l’accès à l’emploi en cas de pénurie de travail (enquête World Values Survey).

La tendance à long terme est particulièrement défavorable aux femmes dans l’emploi

Cette tendance vient s’ajouter à celle, plus structurelle, de la répartition sexuée des métiers d’avenir, qui perpétue les écarts de salaire horaire sur le long terme : dans l’emploi, les femmes ne représentent qu’un tiers des salariés des secteurs de l’ingénierie, de l’informatique et du numérique, et ce principalement dans les fonctions support (ressources humaines, administration, marketing, communication, etc, et non pas dans les branches dites “qualifiées”). Du côté employeurs, seulement 7% des start-up françaises sont dirigées par des femmes.

L’éloignement des jeunes femmes est encore plus marqué concernant la formation aux métiers du numérique (la proportion de femmes diplômées dans ce secteur a baissé de 2% en France entre 2013 et 2017, marquant un peu plus cet éloignement selon l’étude Gender Scan 2019) et ce alors que l’on estime à plus de 50% la part des métiers du numérique en 2030. Couplée à l’automatisation des métiers principalement occupés par des femmes (caissières et secrétaires), et à la généralisation du télétravail qui cantonnera davantage les femmes dans la sphère domestique dans laquelle elles subissent les risques économiques sus-mentionnés, cette tendance du marché du travail de demain est particulièrement inquiétante.

Compter sur la bonne volonté des entreprises ou des femmes ne suffit pas

Or, la seule mesure “forte” du gouvernement pour tenir sa promesse initiale, c’est “l’index égalité salariale”. Un index dont les modalités de calcul sont tout à fait favorables aux entreprises, donc défavorables à l’évolution professionnelle réelle des femmes qui y travaillent. Les entreprises disposent par ailleurs de trois années pour agir et leur inaction est assortie d’une mesure coercitive pas vraiment radicale : une sanction financière équivalente à 1% de leur chiffre d’affaires, uniquement si leur notation (pourtant biaisée de base[1]) demeure en dessous de 75 points sur 100. Pas vraiment révolutionnaire.

Les femmes de leur côté disposent de nouvelles capacités d’agir, notamment à travers l’action de groupe – ou “class action” – qui offre un cadre collectif facilitant la révélation de discriminations systémiques que ne permettent pas assez souvent les actions isolées et ouvre la possibilité de négociations collectives à partir d’un diagnostic précis des inégalités. Cependant, ces actions collectives même par accumulation ne permettront jamais de réguler l’ensemble d’un territoire et faire loi, précisément parce que ce n’est pas leur rôle, tout comme ce n’est pas le rôle d’une entreprise de s’auto-réguler sur la base du volontariat.

L’indispensable mise en place de politiques publiques volontaristes 

Si l’on agrège l’ensemble de ces analyses, l’objectif de 0% d’inégalité à la fin du quinquennat tel que promis par le gouvernement est donc tout bonnement inatteignable. Cela n’est pas l’objectif mais la logique des mesures pour l’atteindre qui pèche : l’État ne peut pas se contenter de mener des politiques de régulation du marché qui reposent sur une logique d’incitation des entreprises et un système de bonus/malus.

C’est au contraire seulement en déployant des politiques volontaristes et actives pour favoriser l’emploi des femmes, son maintien et sa valorisation, que l’on peut espérer voir les choses bouger. Parmi elles, l’allongement du congé paternité à 28 jours est une première. Il s’agira de mesurer et contrôler son application réelle par les employeurs, mais aussi de le revaloriser progressivement à la hausse (la Suède et la Norvège offrent environ 420 jours, à titre comparatif).

L’État ne peut pas se contenter de mener des politiques de régulation du marché qui reposent sur une logique d’incitation des entreprises et un système de bonus/malus.

L’augmentation des moyens du service public de la petite enfance, la réévaluation des aides financières à la garde des enfants, l’ouverture de places en crèche sont autant de moyens de sortir de l’organisation encore largement patriarcale de la société. Ces réformes permettraient de sortir progressivement la charge des enfants du “domaine réservé” des femmes et rendraient plus linéaires leurs carrières professionnelles, encore systématiquement conditionnées à l’arrivée d’un enfant signant leur éloignement – partiel, temporaire ou définitif – du marché du travail.

La réduction des inégalités sur le marché du travail doit nécessairement passer par une revalorisation des métiers majoritairement occupés par des femmes pour résorber l’écart monstrueux entre les bénéfices sociaux qu’ils génèrent (métiers du “care” à forte valeur sociale et externalités positives [2], métiers de service, éducation, travail invisible) et leur niveau de rémunération. L’obligation de représentation des femmes dans les conseils d’administration (CA) des entreprises doit aussi être appliquée et réévaluée : pour rappel, la France bloque comme le reste des États européens la directive européenne en faveur d’une plus grande place des femmes dans les CA, depuis 8 ans[3].

L’État ne saurait espérer en finir avec les violences faites aux femmes sans conduire des politiques bien plus radicales, holistiques et ambitieuses pour sortir de la domination économique et sociale qu’elles subissent structurellement, en premier lieu sur le marché du travail. La logique néolibérale qui sous-tend la timidité des manœuvres et la méthode d’incitation aux acteurs privés ne conduira pas seulement à la perpétuation de cette domination, mais conduira à l’aggraver.


[1] Voir L’action de groupe, nouveau moyen de combattre les inégalités entre femmes et hommes au travail, Médiapart, 5 octobre 2020 : “Cet index repose sur cinq indicateurs notés sur 100 points : l’écart de rémunération par âge et catégorie professionnelle ; l’écart entre la part des femmes et des hommes augmentés ; l’écart entre la part des femmes et des hommes promus ; la part des femmes ayant bénéficié d’une augmentation au retour de congé maternité ; et la présence d’au moins 4 femmes dans les 10 plus hautes rémunérations. En-dessous de 75 points, l’entreprise a trois ans pour s’améliorer sous peine de sanctions.

Du fait d’un barème et d’un système de pondération et de seuils, il est possible d’obtenir une bonne note même avec des écarts femmes-hommes élevés sur les trois premiers indicateurs. Par exemple, le niveau de promotion ou d’augmentation n’est pas pris en compte : il suffit d’augmenter toutes les femmes de 10 € et tous les hommes de 100 € pour obtenir la note maximale. La priorité du ministère du Travail semble être d’améliorer la place des femmes au plus haut niveau de l’entreprise… Comme s’il suffisait qu’une poignée de femmes cadres supérieures arrive au sommet pour que l’égalité professionnelle soit garantie ! L’index est donc loin de refléter la réalité des inégalités femmes-hommes dans l’entreprise”.

[2] Exemple : on sait que les services d’aide à la personne réduisent drastiquement les prises en charge à l’hôpital public dont le séjour coûte environ 2000€ par jour, autant d’économies pour la puissance publique.

[3] https://fr.euronews.com/2020/10/10/le-long-et-lent-combat-de-l-egalite-salariale-entre-femmes-et-hommes-dans-l-ue

Congé paternité : pourquoi tout le monde y gagnerait

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Fin octobre, le magazine Causette publiait une pétition intitulée « Pour un congé paternité digne de ce nom ». Directement adressée au chef de l’État, à la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes Marlène Schiappa et à la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn, la pétition demande, en substance, la fin du caractère optionnel du congé paternité et son allongement à six semaines, contre onze jours actuellement.

Son écho s’est trouvé décuplé par la souscription d’une quarantaine de personnalités, dont l’économiste Thomas Piketty, le rappeur Oxmo Puccino, l’acteur Jean-Pierre Darroussin ou encore l’animateur radio Guillaume Meurice. De plus, cette pétition s’inscrit dans un mouvement plus vaste qui déborde la seule question du congé paternité : on se souvient notamment de la bande dessinée d’Emma, Fallait demander !, sur la répartition des tâches ménagères, ou encore de l’annonce des deux mois de travail qu’accomplissent bénévolement les femmes, par le collectif Les Glorieuses.

C’est donc dans ce contexte de visibilisation croissante du travail gratuit des femmes – qu’il soit domestique ou professionnel – qu’intervient cette pétition, qui souligne l’inégale répartition du travail familial au sein du couple, et sa naturalisation par les politiques publiques. Car, en n’accordant aux pères que onze jours bien dérisoires, comment créer un lien affectif avec l’enfant, participer pleinement à son accueil et son éveil, et assumer toutes les charges, mentales comme physiques, que son arrivée implique ?

 

Les Français, si « bien lotis » ?

Selon Le Figaro, « les pères français sont plutôt bien lotis » comparés au reste du monde. Mais comment faire moins bien que l’Allemagne ou que les États-Unis, qui ne prévoient strictement aucun jour de congé paternité, ou que l’Arabie Saoudite et l’Italie qui n’en proposent qu’un ? On relativisera tout de même la chance des pères français et leurs 11 jours de congés en comparaison d’autres voisins européens à qui sont donnés bien plus de moyens d’exercer leur paternité : les Islandais (90 jours), les Finlandais et les Slovènes (54 jours) semblent en effet bien mieux lotis que les pères français.

Il faut dire qu’une telle bigarure de particularismes législatifs est permise par l’absence de la moindre disposition légale européenne en la matière, quand, inversement, la question du congé maternité est clairement investie par l’Union Européenne, qui prévoit 14 semaines d’arrêt de travail, dont deux obligatoires. En France, le congé maternité est même de 16 semaines, dont 8 obligatoires.

Un congé parental peu incitatif pour les pères

Certes, on pourrait objecter que d’autres possibilités sont offertes aux pères français : un congé parental existe en effet, et semble a priori les encourager à participer davantage au travail familial. Dans la dernière version du congé parental (la Prestation Partagée d’éducation de l’enfant, aussi appelée PreParE, mise en place en 2014), les parents peuvent bénéficier d’une aide financière pendant un an –3 ans à compter du deuxième enfant – afin d’accueillir l’enfant. Cette aide est tout de même soumise à condition : chaque parent ne peut prendre que 6 mois de congé parental au maximum.

Ainsi, si le couple souhaite disposer d’un an de congé parental, il faut que la mère comme le père prennent chacun 6 mois de congés : la mère ne peut pas prendre la totalité des 12 mois. Il s’agit donc d’une mesure incitative en droit, mais qui est de fait économiquement prohibitive au vu des montants de l’aide versée aux parents. En 2017, l’aide pour une cessation totale d’activité s’élève à 392 euros par mois par parent, et 253 euros si le parent choisit de conserver son emploi à mi-temps. Comme trois femmes sur quatre ont un salaire inférieur à celui de leur conjoint, il apparaît rapidement que cette mesure est vouée à demeurer en grande partie formelle, la majorité des couples n’ayant aucun intérêt économique à ce que ce soit l’homme qui prenne le congé.

C’est d’ailleurs le reproche principal qui a été fait au congé parental : sous couvert d’œuvrer pour une meilleure répartition du travail familial, il s’agit surtout de réduire le montant des aides versées – la précédente version du congé parental accordait un demi-SMIC au parent qui en bénéficiait, contre un tiers de SMIC en 2017. Et lorsqu’on s’avise que dans la précédente version du congé parental, plus avantageuse sur le plan économique, seulement 1 à 3% des hommes choisissaient d’en bénéficier, on peut douter de l’efficacité présumée de la nouvelle version. Début 2016, l’OCDE montrait qu’un an après la mise en application de PreParE, seulement 4,5 % des congés parentaux étaient pris par des hommes.

« Faire accepter les congés paternité »

Puisque le congé parental mis en place en France reste somme toute bien frileux, et économiquement peu avantageux, on comprend que la pétition s’oriente vers un congé paternité bien mieux rémunéré (80% du salaire) et de fait bien plus pratiqué (68% des hommes y ont recours).

L’OFCE a d’ailleurs déjà estimé les coûts qu’entraîneraient les propositions de la pétition : l’étude de Hélène Périvier montre qu’un congé paternité de onze jours obligatoires impliquerait un coût supplémentaire pour l’État de 129 millions d’euros, et de 1.26 milliards d’euros pour l’alignement de sa durée sur celle du congé maternité (soit six semaines obligatoires après la naissance). Malgré les différentes estimations chiffrées, qui balisent possiblement un dialogue politique, et alors que certains candidats à la présidentielle s’étaient emparés de la question, le gouvernement actuel semble assez indifférent à cette problématique.

L’interview SMS de Marlène Schiappa par le magazine Neon (juillet 2017) est à ce titre symptomatique d’un tel désintérêt :

Extrait de l’interview de Marlène Schiappa par Neonmag

Que dire d’un programme qui refuse de s’emparer de cette question au prétexte que les quelques pères rencontrés au hasard d’une rue ne sont pas tous en faveur d’un allongement du congé paternité ? Outre cette stratégie, confondante de simplisme, l’interview révèle en creux l’asymétrie du dialogue social, que l’on a beau jeu de nous faire passer pour l’ignorance des salariés : ici, les pères « n’osent pas » demander un congé paternité, ou ne connaissent pas leurs droits.

Aucune mention n’est faite des pressions exercées sur les salariés pour les dissuader de prendre leur congé. Depuis la mise en ligne de la pétition, plusieurs témoignages de pères ont été relayés, qui font état du chantage subi lors de leur demande de congé. D’ailleurs, si 68% des pères français prennent un congé paternité, ce taux s’élève à près de 90% pour le secteur public, qui est mieux rémunéré et où les pressions sont faibles.

Et puis, il faut parler de cette remarque avisée : les hommes n’accouchent pas, quel serait donc l’intérêt d’allonger leur congé paternité ?

« En effet les hommes n’accouchent pas je crois »

Malgré la puissance d’analyse de Marlène Schiappa dans cette interview, on pourra objecter d’une part que certes, les hommes n’accouchent pas, mais que cette donnée biologique ne les confine pas fatalement en dehors du processus d’éveil infantile. Après tout, les hommes aussi ont le droit de développer leur « instinct paternel ». D’autre part, il est en soi absurde que la mère, souvent épuisée par son accouchement, assume seule l’ensemble des tâches familiales et écope, seule toujours, des retombées négatives sur sa vie professionnelle.

Ces retombées sont réelles. Une enquête de Cadreo de mars 2016 montre que pour 47% des femmes cadres interrogées, le fait d’avoir un enfant est cité en premier parmi les événements qui ont bouleversé leur carrière, contre 25% pour les hommes. Cette même étude est d’ailleurs révélatrice quant aux pressions subies par ces femmes cadres : 30% de leurs employeurs ont selon elles mal accueilli la nouvelle de leur grossesse. Ainsi, si le congé paternité se hissait à six semaines, comme le demande la pétition, il n’y aurait plus a priori de discrimination justifiée par la maternité, puisque hommes et femmes seraient susceptibles de la même durée d’interruption de travail.

Un autre argument est souvent mis en avant contre le congé paternité obligatoire : celui-ci constituerait une immiscion sacrilège dans la sphère privée, une ingérence au sein des familles qui auraient trouvé un « équilibre dans une répartition qu’elles estiment plus complémentaire qu’inégale », comme l’écrit Le Figaro, qui concède tout de même qu’il « existe de nombreux cas pour lesquels ces inégalités [professionnelles] sont inacceptables et injustes ».

Mais pourquoi la sphère privée ne saurait être investie par des questions politiques, en l’occurrence féministes ? Comme l’explique Hélène Périvier dans son rapport, les choix des couples au sein de la sphère privée ont également une dimension sociale : « les représentations des rôles des femmes et des hommes dans la société et l’état des inégalités économiques entre les sexes poussent les femmes vers la famille et les hommes vers le marché du travail ». On aurait donc tort de cloisonner le privé et le public, et de postuler leur foncière extériorité. Quant à dire que ce congé obligatoire deviendrait une contrainte pour les hommes, c’est présupposer qu’il n’y avait nulle contrainte auparavant : or cela ne revient-il pas à naturaliser le rôle maternel des femmes, qui sont les seules à se voir imposer un congé obligatoire ?

Ce dernier, certes, est nécessaire au bon rétablissement des mères, mais n’étant obligatoire que pour les femmes, il les confine absurdement, et elles seules, au travail familial, entraînant de fait la fatigue qu’il était censé pallier : triste tautologie aux effets contre-productifs, qu’un congé paternité obligatoire et surtout allongé dans sa durée pourrait un tant soit peu équilibrer.

par Marine de Rochefort et Quentin Morvan

 

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Interview de Marlène Schiappa par Neonmag, capture d’écran : https://www.neonmag.fr/video-linterview-texto-de-marlene-schiappa-489989.html.

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