L’espace et la mer, nouveaux horizons de la guerre des métaux rares ? Entretien avec Guillaume Pitron

Guillaume Pitron © Thinkerview

Lithium, cobalt, terres rares… l’importance prise par les métaux rares dans les processus de production n’est plus à démontrer. En janvier 2018 est paru l’ouvrage de Guillaume Pitron La guerre des métaux rares, consacré à l’analyse des conséquences environnementales et géopolitiques de l’extraction et du raffinage de cette ressource. Sont notamment pointés du doigt son coût écologique – à rebours de l’enthousiasme des prophètes d’une transition écologique fondée sur les métaux rares – et son caractère belligène. À lire l’ouvrage de Guillaume Pitron, l’empire des métaux semble analogue à celui du pétrole en bien des aspects. Alors que le second décline, le premier est en pleine expansion : il génère aujourd’hui des conflits sur les cinq continents pour le contrôle des sous-sols, mais aussi des mers et, désormais, de l’espace. Entretien réalisé par Pierre Gilbert, Nathan Dérédec et Vincent Ortiz, retranscrit par Jeanne du Roure.


LVSL – La pandémie de Covid-19 a été l’occasion de l’ouverture d’un débat médiatique – timoré – sur les limites de la mondialisation. Votre livre La guerre des métaux rares met en évidence la destruction de filières d’extraction et de raffinage des métaux rares des pays occidentaux (au profit de la Chine) à l’issue de décennies d’ouverture des frontières économiques, d’une gestion court-termiste et d’un éclatement à l’infini des chaînes de production. Est-on face à une succession d’erreurs conjoncturelles commises par les gouvernements occidentaux ou est-ce tout un paradigme économique qui est en cause ?

Guillaume Pitron – Il ne s’agit pas d’erreurs conjoncturelles mais systémiques. La mondialisation se caractérise par un éclatement des chaînes de production visant à développer des milliers de sous-traitants. Elle consiste dans un transfert, vers les pays qui produisent à moindre coût, de la production de biens de consommation et de haute technologie. C’est la logique de spécialisation des économies, chère à Ricardo : des pays se spécialisent dans certains composants industriels, et leur spécialisation s’ajoute à celle du voisin. Si on additionne des dizaines ou des centaines de spécialisations, il en résulte des produits semi-finis, qui ensuite sont assemblés dans un produit fini.

Ce paradigme a donc conduit les pays occidentaux à délocaliser la production des technologies vertes – mais aussi numériques – notamment vers la Chine. Il ne s’agit pas seulement de la fabrication des éoliennes, des panneaux solaires et des téléphones portables, mais aussi de la production des ressources minières nécessaires à l’avènement de la transition énergétique et numérique. Nous nous retrouvons face à une délocalisation accélérée de la production minière occidentale vers différents pays qui peuvent produire du lithium – je pense en particulier à certains pays d’Amérique latine comme la Bolivie ou le Chili – mais également du cobalt, comme la République démocratique du Congo, ou du chrome, comme le Kazakhstan. La Chine, quant à elle, peut produire toutes sortes de métaux rares nécessaires aux technologies vertes. Elle extrait le minerai mais le transforme également en métal : elle prend en charge l’extraction mais aussi le raffinage, de sorte qu’elle est ensuite en capacité de produire l’ensemble des métaux nécessaires aux technologies vertes.

Le droit de la mer et de l’espace évoluent à la faveur d’une plus grande appropriation par les États. Les Zones économiques exclusives revendiquées par les États autour de leurs territoires immergés s’étendent de manière à ce qu’ils puissent contrôler toujours davantage de mers en vue d’y extraire un jour des métaux rares.

Cette destruction de filières occidentales d’extraction et de raffinage des métaux rares est bien le produit d’une gestion court-termiste, dans la mesure où le seul impératif qui préside aux choix des gouvernements – mais aussi des consommateurs -, c’est de se procurer des produits à moindre coût. La question de la souveraineté de nos approvisionnements, de notre indépendance minérale, du transfert de pollution vers des pays comme la Chine, qui extraient et raffinent les métaux selon des règles environnementales et sociales moins exigeantes qu’en Occident, n’ont pas été posées. Cette vision court-termiste s’oppose à la gestion de long terme de la Chine. Celle-ci, qui accepte le coût environnemental des technologies numériques, se prépare depuis longtemps à une remontée progressive de la chaîne de valeur.

[Lire sur LVSL l’article de Nathan Dérédec : « Comment son quasi-monopole sur les métaux rares permet à la Chine de redessiner la géopolitique internationale »]

LVSL – Votre ouvrage détaille justement la stratégie mise en place par la Chine pour s’assurer une hégémonie globale sur les principales filières de métaux rares. Elle repose sur la capacité du gouvernement à inonder un marché concurrent de productions à bas coût, afin de le pousser à la faillite et de le racheter. L’utilisation accrue de métaux rares par la Chine pour sa propre consommation, dont on peut prévoir qu’elle s’accroîtra considérablement dans les décennies à venir du fait de l’élévation du niveau de vie de la population, ne risque-t-elle pas de restreindre ses capacités d’exportation, et, à terme, de faire vaciller l’hégémonie chinoise en la matière ? 

GP – La Chine va inévitablement voir son niveau de vie s’élever et sa consommation d’électricité et de produits numériques s’accroître. Elle va donc produire dans le même temps une quantité croissante de métaux rares pour répondre à cette demande. La Chine a conscience qu’une partie de plus en plus importante de sa production est destinée à son marché intérieur plutôt qu’aux marchés extérieurs. C’est à partir de cela que l’on peut comprendre sa politique de restriction des exportations de métaux rares vers le reste du monde : la Chine cherche à favoriser les acteurs de son propre marché.

Cela risque-t-il de restreindre les capacités d’exportation de la Chine ? Oui, mais c’est une dynamique qui est déjà à l’œuvre depuis vingt ans. Cela fera-t-il vaciller l’hégémonie chinoise en la matière ? Pas nécessairement. La Chine va continuer à produire ces métaux rares pour elle-même, mais va également vendre une partie de ces technologies finies ; elle ne vend plus seulement le métal, elle vend également la technologie qui est conçue avec ce métal. Elle se voit en grande exploratrice non plus de métaux rares, mais de technologies vertes. Elle va nourrir de ce fait une grande industrie exportatrice de technologies vertes, ce qui va augmenter la puissance de son commerce international et aggraver le déséquilibre de la balance commerciale avec d’autres pays. L’hégémonie chinoise en matière de métaux rares, plutôt que de vaciller, risque donc de se doubler d’une nouvelle hégémonie fondée sur l’exportation de technologies.

Naturellement, la Chine ira chercher à l’étranger d’autres matières premières qu’elle ne peut pas produire sur son propre sol, comme elle le fait aujourd’hui avec le cobalt congolais. L’important pour elle est de ré-importer ces matières premières à un état relativement brut depuis le Congo, pour ensuite transformer ce cobalt en produit semi-fini ou fini et le vendre au reste du monde. Ainsi, l’hégémonie chinoise pourrait même s’étendre vers des pays producteurs des matières premières dont elle détient tout ou partie de la production.

LVSL – L’empire chinois des métaux rares commence à être bien connu, les ambitions du gouvernement américain en la matière le sont peut-être moins. N’assiste-t-on pas à une réaction agressive de l’administration Trump depuis 2016 sur plusieurs théâtres d’opérations ? En République démocratique du Congo, le nouveau gouvernement de Félix Tshisekedi subit des pressions de la part de son homologue américain pour mettre un terme aux concessions faites aux entreprises chinoises dans le domaine des métaux rares ; le Dodd-Frank Act, qui punissait depuis 2010 les entreprises américaines utilisant des minerais de sang congolais dans leur processus de production, a en outre été révoqué. En Bolivie, un coup d’État soutenu par les États-Unis a renversé l’année dernière le président Evo Morales, qui exploitait ses mines de lithium conjointement avec l’État chinois. Les actions de l’entreprise américaine Tesla – spécialisée, entre autres, dans la production de batteries lithium – ont explosé le jour du coup d’État. Ne peut-on pas voir dans ces décisions prises par le gouvernement américain les signaux faibles d’un agenda visant à disloquer l’empire chinois des métaux rares ?

[Lire sur LVSL notre dossier consacré au coup d’État bolivien de novembre 2019]

GP – Il y a bien une velléité américaine de remettre en cause l’hégémonie chinoise sur ces ressources. On le constate à la lecture des rapports qui ont été commandés depuis 2017 par la Maison Blanche sur la situation des minerais critiques américains, qui visent à comprendre les ressorts de la dépendance américaine aux productions et exportations de métaux rares chinois. Tout un courant politique, mené notamment par les sénateurs américains Marco Rubio et Ted Cruz, vise à renforcer l’indépendance minérale des États-Unis. Cela passe par la réouverture de mines américaines, de métaux rares notamment, mais également la relance d’usines de raffinage de métaux rares, et à terme la relance du secteur des aimants de terres rares américains.

On peut comprendre que Donald Trump souhaite remettre en cause l’hégémonie chinoise, puisque les métaux rares sont l’un des talons d’Achille des Américains dans la guerre commerciale qui les oppose à la Chine. Ce talon d’Achille ne peut pas durer indéfiniment : les Chinois menacent régulièrement de cesser les exportations de métaux rares vers les États-Unis. Tout récemment, le Financial Times a annoncé que la Chine cessait ses exploitations de certains métaux rares à destination de l’entreprise de défense américaine Lockheed Martin.

Plutôt que de critiquer Trump à tout va – ce qui est légitime mais relève parfois du politiquement correct – il faut reconnaître les orientations positives qu’il prend. Nous serions bien inspirés, en Europe, de développer une stratégie de souveraineté minérale depuis la mine jusqu’à la production de technologies finies.

LVSL – Votre livre se conclut par un passage en revue des nouveaux communs (en particulier la mer et l’espace), qui risquent de faire l’objet d’une convoitise accrue de la part des États, du fait des métaux rares dont ils recèlent. Dans la droite ligne de Barack Obama, Donald Trump a signé plusieurs décrets visant à imposer le droit à l’appropriation et à la marchandisation de la richesse de l’espace – alors que le droit international considère, en l’état, l’espace comme un bien commun inappropriable. Comment faut-il considérer cet encouragement donné aux orpailleurs spatiaux de la Silicon Valley ? Faut-il y voir un effet d’annonce spectaculaire, ou les prémisses d’une démarche à même de faire vaciller l’empire chinois des métaux rares ?

GP – Qui dit métaux rares dit espace et océans. Vous noterez le paradoxe de la transition énergétique, qui a pour but de limiter l’impact de l’homme sur les écosystèmes alors qu’en réalité elle contribue à l’accroître. Aujourd’hui, on n’extrait quasiment pas de métaux au fond des océans ; une entreprise canadienne, Nautilus, qui en extrait au large de la Papouasie-Nouvelle Guinée, fait exception. Il n’y a pas davantage d’extraction dans l’espace. Mais on observe que le droit en la matière est en train de changer.

Il évolue à la faveur d’une plus grande appropriation par les États. Les Zones économiques exclusives revendiquées par les États autour de leurs territoires immergés s’étendent de manière à ce qu’ils puissent contrôler toujours davantage de mers en vue d’y extraire un jour des métaux rares. La France est bien positionnée puisqu’à ce jour c’est le second territoire maritime au monde derrière les États-Unis.

C’est la même chose pour l’espace. En 2015, Barack Obama a signé un Space Act qui constitue une remise en question de l’espace comme bien commun, en vertu du traité international de 1967. Ce Space Act considère que l’espace appartient à tout le monde mais qu’un orpailleur spatial qui voudrait aller chercher des métaux sur une astéroïde serait propriétaire du produit de son extraction. Cela ne remet pas en cause le fait que l’astéroïde en question n’est pas américain ; cependant, le produit de la mine spatial le sera. C’est une brèche dans le droit international, qui risque de s’accentuer : nous nous dirigeons sans doute vers un système où l’on va remettre en cause le droit de 1967 et ajouter des patch de propriété privée là où l’on trouve des ressources spatiales à extraire.

On ne va cependant pas extraire un seul gramme de métal rare dans un astéroïde avant des dizaines, voire des centaines d’années ; cela ne se produira d’ailleurs peut-être jamais. Il faut donc rester mesuré. Si l’on parvient un jour à en extraire, ce sera quelques centaines de kilos, voire quelques tonnes, mais pas une quantité suffisante pour remettre en cause l’hégémonie chinoise.

On observe dans tous les cas que l’espace devient enjeux de confrontation, entre autres parce que s’y joue une compétition pour l’accaparement des ressources comme les métaux rares, qui peut inciter les acteurs publics et privés à aller revendiquer le produit de leur exploitation. Cela n’ira pas sans tensions.

LVSL – L’expression de « transition numérique » s’est généralisée dans les médias, les discours politiques ou encore les rapports de la Commission européenne. Elle a acquis une connotation similaire à celle de « transition écologique », à laquelle elle est fréquemment accolée. Le dernier accord européen conditionne explicitement le déblocage de fonds de relance par la mise en place de mesures destinées à accélérer la « transition écologique et numérique » (green and digital transitions). Votre livre met pourtant en lumière le coût environnemental considérable des technologies numériques, hautement dépendantes des métaux rares. Comment expliquer que l’on considère pourtant transition écologique et numérique comme les deux faces d’une même pièce ?

GP – L’une ne va pas sans l’autre. La transition écologique, dans son versant énergétique, consiste dans le passage à l’après-pétrole, en substituant aux technologies thermiques les technologies vertes – grâce aux panneaux solaires, aux éoliennes ou aux voitures électriques.

Il ne faut pas prendre la décroissance comme un tout ; il faut chercher à faire décroître les secteurs qui sont les plus polluants et consommateurs de ressources, au profit de secteurs qui en sont plus économes.

Ce n’est pas tout d’avoir des technologies vertes : encore faut-il qu’elles puissent fonctionner de façon optimale. Or, elles fonctionnent de façon alternative : un panneau solaire ne peut fonctionner que s’il y a du soleil, une éolienne que s’il y a du vent. À l’entrée du réseau électrique, il y a une quantité croissante de sources d’électricité qui sont intermittentes et à la sortie, un nombre accru de prises d’électricité pour satisfaire un plus grand nombre de besoins. On utilise aujourd’hui de nombreux écrans dans la vie quotidienne, on aura besoin de recharger notre trottinette électrique, notre vélo électrique, notre voiture électrique, etc. Il y a une diversification des sources d’approvisionnement en électricité de la même façon qu’il y a une diversification des modes de consommation. Cela complexifie donc la gestion du réseau électrique, puisqu’il faut que la bonne dose soit produite à l’entrée du réseau afin qu’elle puisse être consommée à sa sortie au bon moment, en espérant que le moins possible ne soit gaspillé au passage. À cette fin, il faut des outils numériques qui permettent de calculer précisément quelle offre se trouve en face de quelle demande.

Green et digital sont deux énergies qui se complètent. Je vous renvoie aux travaux de Jeremy Rifkin, l’auteur de La Troisième Révolution industrielle. Il y explique que le réseau électrique de demain sera de plus en plus décentralisé ; tout un chacun pourra produire de l’électricité avec la possibilité de se l’échanger. Celle-ci ne sera pas issue d’une centrale nucléaire qui produirait de l’électricité pour des millions de personnes, mais d’une personne lambda qui produira pour elle-même ou pour son voisin. Ces nouveaux réseaux vont nécessiter davantage d’interactions entre consommateurs : il sera nécessaire de passer par des outils digitaux pour pouvoir s’échanger l’électricité. On voit donc que le numérique est absolument indispensable dans leur mise en œuvre.

LVSL – La dépendance de la « transition écologique » aux métaux rares – à laquelle vous consacrez une partie de votre ouvrage – est un objet de controverses. Il semblerait que les panneaux solaires puissent s’en passer, de même que la plupart des éoliennes ; seules les éoliennes offshore à aimants permanents en consomment, et de nouveaux prototypes cherchent à s’en passer. Il semblerait donc que le problème réside davantage dans un manque de volonté politique que dans les énergies alternatives elles-mêmes. Le véritable problème des métaux rares ne concernerait-il pas les industries militaires et numériques, plutôt que la transition écologique ? N’est-ce pas davantage comme matières premières (des industries militaires et numériques) que comme sources d’énergie que nous dépendons des métaux rares ?

GP – Il n’y a pas de transition écologique sans métaux rares. Aujourd’hui, nous avons besoin de toute sorte de matières premières rares pour fabriquer des technologies vertes. Venons-en aux éoliennes. Aujourd’hui, 25 % d’entre elles dans le monde ont besoin de métaux rares et plus précisément de néodyme pour les aimants permanents. Attention à l’étude de l’ADEME parue en 2019 sur les terres rares liées aux éoliennes : elle est en partie trompeuse. Elle ne parle que des terres rares, et que de la France. En France, il n’y a peut-être que 3 % d’éoliennes qui contiennent des terres rares, mais ce chiffre de 3 % ne tient pas en compte du parc éolien mondial. Par ailleurs, c’est très bien de dire qu’il n’y a pas de terres rares dans une batterie, mais cela ne règle pas la question du cobalt, du graphite, du lithium, du nickel… des ressources pourtant contenues dans les accumulateurs.

En ce qui concerne les panneaux solaires, une faible partie a besoin d’indium et de gallium pour fonctionner. J’explique dans mon livre que par métaux rares on entend deux choses : une rareté géologique – les métaux rares sont plus rares que les métaux abondants – et une rareté industrielle – ce sont des métaux qui ne sont pas forcément rares mais dont la production industrielle est excessivement complexe et génère un risque de pénurie. Le silicium métal, qui sert à faire des panneaux solaires, est considéré comme critique par la Commission européenne. Il faut voir la liste de 2017 et qui sera mise à jour cette année : produire du silicium métal pur à 99,99 % est tellement complexe que l’industrie n’est pas forcément assez productive pour répondre à la demande croissante. Cela crée des risques de pénurie de l’approvisionnement. J’englobe les métaux rares et critiques dans la même définition. Pour produire du silicium, il faut notamment le transformer, et pour cela il faut de l’électricité. Cela se passe en Chine qui produit la majorité du silicium dans le monde et 60 à 70 % de l’électricité chinoise vient du charbon. Il est donc très polluant de produire du silicium et des panneaux solaires.

LVSL – Vous proposez de rouvrir des mines en France pour exploiter des métaux rares d’une manière davantage respectueuse de l’environnement que dans les pays du Sud, et diminuer notre dépendance envers ceux-ci. Quid de l’option du recyclage, visant à récupérer les métaux rares jetés par les consommateurs, pour les réintégrer dans des objets de consommation, dans un schéma circulaire ?

GP – Il faut recycler au maximum les métaux rares. Je rappelle qu’une grande partie ne l’est pas : les terres rares ne le sont qu’à 1 %, et le lithium que l’on peut considérer comme rare est recyclé à moins de 1 % également.

Néanmoins, on ne parviendra jamais à recycler 100 % de ces métaux rares-là. Il y aura forcément des pertes. À supposer que l’on y parvienne, cela n’empêcherait pas de retourner à la mine car notre consommation de ces matières premières explose. Pour certaines d’entre elles, c’est un accroissement de leur consommation à deux chiffres par an. Entre le moment où vous extrayez un métal du sol et celui où ce métal va être recyclé, s’écouleront cinq, dix ou vingt ans ; entre-temps, le rythme de croissance annuel de notre consommation de métaux rares aura été de l’ordre de 5, 10 ou 20 %. Vous pouvez être sûrs que dans ce laps de temps, la consommation mondiale aura doublé.

La réouverture de nouvelles mines pour compenser le différentiel sera toujours nécessaire. On ne se passera pas de la mine car la transition énergétique exigera toujours davantage de ressources. C’est à l’aune de cet état de fait qu’il faut comprendre la nécessité de produire du minerai de façon moins polluante. Méfions-nous des discours de certains écologistes sympathiques qui sont hors-sol. 

LVSL – Plus largement, l’horizon que vous proposez est celui d’une adaptation de l’économie française à notre dépendance aux métaux rares (visant à les extraire et les raffiner nous-même, avec des clauses écologiques et sociales dignes de ce nom). Pourquoi ne pas envisager une réduction de notre dépendance, par une politique volontariste de lutte contre la croissance sans fin des industries de consommation ?

GP – La question est légitime. Mais comment peut-on défendre une telle politique en espérant être élu en 2022 ? Personne aujourd’hui n’en a envie. Une sobriété des usages est bien sûr nécessaire : on peut questionner notre usage de l’électricité, du numérique et diminuer cette consommation-là.

Faut-il la décroissance ? Je ne sais pas. Il faut dans tous les cas de la décroissance, ce qui est différent. Il faut que notre consommation, nos achats de téléphones portables neufs baissent dans le monde, que les loueurs de téléphones portables voient leur business se développer dans le même temps que les vendeurs de téléphones portables voient le leur baisser. Si vous louez votre téléphone portable à Orange, l’entreprise aura intérêt à ce que vous le gardiez le plus longtemps possible puisqu’il en tirera un profit mensuel. Il aura moins intérêt à vous vendre un bien technologique. Il faudrait également que l’économie servicielle se développe – ce qui est une forme de croissance, mais qui vise à la décroissance de secteurs plus énergivores.

Il ne faut pas prendre la décroissance comme un tout ; il faut chercher à faire décroître les secteurs qui sont les plus polluants et consommateurs de ressources, au profit de secteurs qui en sont plus économes. Peut-être parviendra-t-on alors à quelque chose de plus responsable et respectueux de l’environnement. Mais encore une fois, ne nous leurrons pas. Personne n’en a envie, surtout pas dans les pays occidentaux, et je ne crois que modérément à la plausibilité d’un tel scénario.