« Les luttes antiracistes sont réduites à des enjeux symboliques » – Entretien avec Florian Gulli

Antiracisme gauche - Le Vent Se Lève
© Niyi Adeogun. Image tirée d’un article de la Harvard Business Review intitulé « How to Build an Anti-Racist Company » (2022)

White privilege, « racisés », racisme structurel… Depuis quelques années, le débat fait rage. Sous couvert de radicalité, une partie de la gauche défend l’utilisation de catégories politiques centrées autour du champ sémantique de la « race ». Sur les plateaux télévisuels, on consacre des milliers d’heures à s’indigner de cette réhabilitation d’un vocabulaire longtemps banni ; et on estime que l’égalité des droits étant conquise, l’antiracisme est réductible à un problème individuel, qu’il n’y a pas lieu de politiser. Dans L’antiracisme trahi (PUF, 2022), Florian Gulli critique ces deux approches de l’antiracisme, auxquelles il reproche d’occulter les causes matérielles du racisme. Il défend une troisième voie, fondée sur une approche « matérialiste » et une tradition marxiste. Après la publication d’un article critique de la notion d’intersectionnalité », nous ouvrons de nouveau nos colonnes à Florian Gulli pour un entretien.

En août dernier, la rédaction du Vent Se Lève s’était rendue aux Universités d’été des principaux partis de gauche. À celle du Parti communiste français, nous nous étions entretenus avec Florian Gulli au sujet de son ouvrage NDLR.

LVSL – On a souvent tendance à dire qu’un antiracisme à la sauce américaine s’est imposé en Europe. Votre livre met en avant une réalité peu connue : aux États-Unis, l’antiracisme dominant ne fait pas consensus. Des traditions antiracistes minoritaire – notamment matérialistes – ont été opportunément mises de côté. Quelles sont-elles ?

Florian Gulli – L’objectif de mon livre était de retracer une généalogie de l’antiracisme et de montrer que certains débats avaient été occultés. J’aborde en particulier les années 1960 aux États-Unis. À cette époque, il existe un antiracisme que l’on peut considérer comme un ancêtre des approches décoloniales, mais qui est immédiatement concurrencé par un autre courant, d’inspiration matérialiste et marxiste. Les Black Panthers, par exemple, n’étaient pas des nationalistes noirs : ils avaient une approche marxiste de la lutte antiraciste.

Ce que j’ai découvert en approfondissant mes recherches, c’est que ce débat ne date pas des années 1960. Il remonte aux années 1920. À cette époque, on observe une opposition entre les marxistes et ceux qui adoptent une lecture uniquement « raciale » des inégalités. Ce qui est paradoxal, c’est que les marxistes, en particulier les intellectuels afro-américains, intégraient pleinement la dimension « raciale » dans leur analyse. Ils ne niaient pas son importance, mais ils refusaient de réduire toute analyse à ce seul facteur. En revanche, d’autres courants se focalisaient exclusivement sur la couleur de peau.

« Il existe un filtrage dans ce qui est diffusé depuis les États-Unis. Des travaux très intéressants, autour de Bernie Sanders ou du site Jacobin, ne sont presque jamais traduits. »

Un exemple marquant des années 1920 est l’intellectuel Abram Harris, qui a écrit The Black Worker et forgé le terme « racialisme » – il entend par là cette frange de l’antiracisme qui pratique un réductionnisme fondé sur la couleur de peau. Pour Harris, les « racialistes » ne sont pas des ennemis, car ils luttent eux aussi contre le racisme blanc, mais ils focalisent toute leur analyse sur la « race », au détriment d’autres facteurs comme la classe sociale. Cette tension entre les approches « racialistes » et matérialistes traverse toute l’histoire de la lutte contre le racisme.

LVSL – Vous évoquez dans votre livre W.E.B. (William Edward Burghardt) Du Bois, souvent considéré comme une figure majeure de l’antiracisme « socialiste » aux États-Unis. Vous soulignez cependant une dimension quasi-aristocratique dans sa pensée, notamment son mépris relatif envers les travailleurs…

FG – Oui, W.E.B. Du Bois est une figure complexe. Il a évolué au fil de sa vie. Dans les années 1920, il avait une approche très élitiste : il pensait qu’une petite élite noire pouvait émanciper l’ensemble des Afro-Américains. Il a eu des propos assez durs envers les travailleurs, noirs et blancs. Dans les années 1930, Du Bois s’est cependant rapproché du marxisme et a même fini par rejoindre le Parti communiste. Dans ses écrits ultérieurs, il analyse des phénomènes comme la fuite des travailleurs noirs des plantations pendant la guerre de Sécession en termes de « grève générale », ce qui reflète une approche marxiste.

Un autre aspect souvent discuté est sa notion de « salaire psychologique ». Il fait référence à l’idée que les travailleurs blancs tirent un certain bénéfice symbolique du système raciste, un sentiment de supériorité. Abram Harris, que j’ai mentionné, critique cette idée. Il estime qu’en se focalisant sur cet aspect, on néglige le rôle central des élites économiques et politiques qui ont mis en place des lois ségrégationnistes comme celles du « système Jim Crow » [référence au régime juridique qui a institué une ségrégation raciale particulièrement brutale dans le sud des États-Unis durant plusieurs décennies au XIXè et au XXè siècles NDLR]. Ce ne sont pas les travailleurs blancs qui ont créé ces lois, mais bien les élites du Sud, qui ont joué un rôle structurant dans l’institutionnalisation du racisme.

LVSL – Le « système Jim Crow », que vous mentionnez, a porté la violence et l’essentialisme raciste à une intensité rarement vues dans l’histoire. Le sociologue Loïc Wacquant parle à son sujet de « terrorisme de caste ». Pensez-vous que cette période spécifique a été abusivement généralisée, et que cela empêche de penser les différentes formes de racisme – aux États-Unis et ailleurs – dans leur spécificité ?

FG – Comme le montre l’historien Loïc Wacqant dans son livre Jim Crow. Le terrorisme de caste en Amérique, cette généralisation peut conduire à des comparaisons abusives qui banalisent complètement l’ampleur de ce régime ségrégationniste. Jim Crow est un régime spécifique, ancré dans un contexte historique précis. Dire qu’il se reproduit sous d’autres formes aujourd’hui, c’est méconnaître les spécificités historiques.

Les analyses marxistes du racisme, comme celles d’Oliver Cox, insistaient sur le rôle central de la classe dominante dans la mise en place de systèmes racistes comme Jim Crow. Mais il ne faut pas en faire un modèle général applicable à toutes les époques et à tous les contextes. Une partie de l’antiracisme contemporain tend à essentialiser ces analyses, à figer le racisme colonial ou Jim Crow comme des schémas universels, alors que chaque période historique demande une analyse spécifique.

« Si on considère une partie des classes populaires comme irrémédiablement racistes, il faut être cohérent : on cesse de se revendiquer socialiste ou communiste, et on devient un libéral assumé. »

Cela n’a aucun sens de dire qu’aujourd’hui, par exemple, la classe dominante américaine contrôle absolument tout dans le racisme contemporain. Les analyses marxistes des systèmes comme Jim Crow, par exemple, ont fait un excellent travail, mais il ne fallait pas leur donner une portée générale qu’elles n’avaient pas.

Le marxisme, à son meilleur, analyse des moments historiques précis. Il n’y a pas de modèle général du racisme, ni un « modèle Jim Crow » applicable partout ou à toutes les époques. Chaque contexte doit être réévalué. Pourtant, ce que l’antiracisme actuel fait trop rarement, c’est précisément cette réévaluation. Souvent, il fige les choses dans une vision intemporelle et universelle.

Par exemple, avec le racisme colonial, on prend le pire moment historique — l’apogée de la ségrégation ou de l’esclavage — et on agit comme si ce système se reproduisait à l’infini, sous des formes identiques. C’est là qu’intervient une escalade conceptuelle qui vient surtout des États-Unis.

LVSL – Comment expliquez-vous que sur le Vieux continent, les traditions minoritaires ou dissidentes de l’antiracisme américain (matérialiste notamment) aient eu si peu d’échos ?

FG – Il existe un filtrage dans ce qui est diffusé depuis les États-Unis. Les analyses focalisées sur la race sont celles qui arrivent jusqu’à nous, tandis que des travaux très intéressants, comme ceux autour de Bernie Sanders ou du site Jacobin, ne sont presque jamais traduits. Cela donne une fausse impression que toutes les analyses américaines sont « racialistes » au sens d’Abram Harris, ce qui est loin d’être le cas.

Côté militant, en France, cette hégémonie vient d’un vide à combler. Il n’y avait rien, ou presque, pour structurer une pensée antiraciste solide. Donc, dès qu’une analyse issue des États-Unis est arrivée, elle a été adoptée, parfois sans recul critique.

LVSL – Vous critiquez également un antiracisme « libéral ». Vous insistez sur le fait qu’on ne doit pas basculer dans un antiracisme consensuel et naïf simplement parce que l’on refuse l’antiracisme « racialiste ». Pouvez-vous rappeler quelques mots votre critique de l’antiracisme « libéral » ?

Florian Gulli – L’antiracisme libéral, c’est essentiellement un projet de diversification des élites. On veut davantage de diversité dans les conseils d’administration, sur les plateaux télé, ou encore dans les institutions politiques. Cela s’accompagne souvent d’une éducation antiraciste qui, en soi, n’est pas mauvaise. Mais cette approche est parfaitement compatible avec le maintien de quartiers populaires enfoncés dans la misère.

« L’antiracisme libéral, c’est essentiellement un projet de diversification des élites. »

Souvent, cet antiracisme se contente de puiser les éléments les plus « prometteurs » dans ces quartiers — les meilleurs talents — tout en laissant le reste s’effondrer. C’est un antiracisme symbolique, centré sur des gestes de façade : Amazon qui brandit des slogans inclusifs tout en pratiquant un management destructeur, par exemple.

En France, depuis les années 1980, cette approche s’accompagne d’un mépris total pour les classes populaires blanches, perçues comme racistes, homophobes, ou arriérées. Il y a une forme de « racisme de l’intelligence » qui consiste à discréditer ces populations comme irrémédiablement fâchées avec la modernité. Ce mépris alimente en retour la montée de l’extrême droite.

Cet antiracisme libéral est également paternaliste envers les minorités. On les considère rarement comme des égaux. Lorsque Jean-Luc Mélenchon s’adresse « aux musulmans », ne court-il pas le risque, même avec les meilleures intentions, à les réduire à leur identité religieuse ?

LVSL – Jean-Luc Mélenchon se fonde sur le concept de « créolisation », qu’il emprunte à Édouard Glissant. D’un concept poétique pensé pour décrire la France ultra-marine, il en infère un concept politique, pensé pour le territoire français dans son ensemble. Qu’en pensez-vous ?

Florian Gulli – Chez Jean-Luc Mélenchon, ce terme semblait parfois suggérer que le problème principal en France était l’incapacité des gens à accepter cette « créolisation ». Cela revenait à dire que si tout le monde acceptait la diversité comme une évidence, alors l’extrême droite disparaîtrait.

Je trouve cela problématique, car cette vision minimise des réalités concrètes : les tensions urbaines, les attentats, ou encore les peurs – légitimes ou exagérées – qui nourrissent des représentations racistes. Réduire cela à un simple blocage psychologique — « les gens doivent changer leur mentalité » —, c’est ignorer la base matérielle qui produit ces tensions. Une analyse matérialiste ne devrait-elle pas partir des causes matérielles du racisme ?

LVSL – Quel peut être l’apport du marxisme à la lutte antiraciste ?

Florian Gulli – Le marxisme offre des outils pour penser les conditions économiques et sociales qui nourrissent les représentations racistes. J’ai publié une anthologie aux Éditions de l’humanité (Antiracisme. 150 ans de combats, 2022), qui rassemble 40 textes montrant la richesse de cette tradition.

Il n’existe pas de modèle général pour penser le racisme. Chaque contexte doit être analysé dans ses particularités : l’apartheid en Afrique du Sud, les tensions urbaines en France, ou les nouvelles formes de discrimination contemporaines. Le marxisme permet de chercher le terreau sur lequel ces représentations se développent.

Aujourd’hui, cependant, tout semble réduit au symbolique ou à l’inconscient collectif. Cela conduit à des solutions abstraites, comme l’idée d’une « thérapie générale » de la société, plutôt qu’à des actions concrètes pour résoudre des problèmes matériels.

LVSL – Pensez-vous que cette réduction au symbolique mène à exclure une partie des classes populaires ?

FG – Oui, et c’est justement ce que je critique. En ignorant les causes matérielles du racisme, on abandonne de facto les classes populaires. Si on les considère comme irrémédiablement racistes, on leur tourne le dos. Mais dans ce cas, il faut être cohérent : on cesse de se revendiquer socialiste ou communiste, et on devient un libéral assumé.

Il faut revenir aux causes matérielles. Cela permet de proposer des solutions concrètes à des problèmes réels. Le rôle de chaînes comme CNews doit être appréhendé. C’est un facteur important, mais entre 2015 et 2019, la France a aussi connu des attentats et de nombreuses tentatives déjouées. Cela a un impact évident sur les représentations collectives. Pourquoi la gauche évite-t-elle ces sujets ?

Contre l’extrême droite : quel horizon stratégique ?

L’Institut la Boétie fait paraître son premier livre Extrême-droite : la résistible ascension (Ugo Palheta (dir.), Éditions Amsterdam, 2024). Il s’inscrit dans un débat houleux depuis des années : la gauche doit-elle parler aux électeurs RN pour « reconquérir (toutes) les classes populaires » ou considérer que sa majorité se trouve ailleurs ? Front de classe d’un côté. Coalition progressiste (« quartiers populaires », jeunesse étudiante, diplômés précarisés) de l’autre. La première stratégie comporterait le risque de s’avancer sur des questions jugées d’extrême-droite. La seconde, d’enfermer la gauche dans ses « bastions » et de la maintenir dans une posture éternellement minoritaire. Pour trancher cette alternative, l’ouvrage de l’Institut La Boétie convoque de nombreuses contributions universitaires et défend la construction d’une majorité renouvelée. Recension.

L’électorat ouvrier, au cœur des débats

L’approche stratégique d’une coalition progressiste a été embrassée de manière franche par Jean-Luc Mélenchon ces derniers mois. Entre autres sorties médiatiques, il avait notamment déclaré au quotidien italien La Repubblica en juin, à propos des électeurs RN : « Nous avons proposé un salaire minimum à 1 600 euros, la restauration des maternités, la réouverture des écoles dans les zones périphériques… ça ne marche pas, et vous savez pourquoi ? Leur priorité, c’est le racisme. » Pour d’autres, à l’instar de François Ruffin, une telle affirmation revient à réactualiser les conclusions de la fameuse « note Terra Nova ». En 2011, ce think-tank proche du Parti socialiste avait acté l’abandon d’une lecture de classe au profit d’une stratégie axée sur les « valeurs » de l’électorat et accompagné le tournant plus général du PS vers le néolibéralisme… Le député de la Somme, qui reproche à la France insoumise un abandon « théorisé et délibéré » des classes populaires, en a d’ailleurs fait un marqueur médiatique.
 
Hasard de calendrier, la parution de l’ouvrage de l’Institut la Boétie coïncide avec celui de Vincent Tiberj sur un thème similaire, l’une des quelques personnalités remerciées et citées par la note de Terra Nova en 2011. L’auteur de La droitisation française. Mythes et réalités (PUF, 2024) a participé à une conférence avec Jean-Luc Mélenchon le 24 octobre, au cours de laquelle les deux intervenants ont développé des analyses similaires sur certains sujets. La « note Terra Nova » de 2011 s’appuyait notamment sur une étude statistique de Vincent Tiberj pour établir que « désormais, les ouvriers se positionnent en priorité en fonction de leurs valeurs culturelles – et ces valeurs sont profondément ancrées à droite ». Plus loin, elle le cite pour défendre que « la “majorité qui vient” est structurellement à gauche », en raison de la progression démographique des diplômés, des athées et des Français d’origine étrangère.
 
Du côté de la France insoumise, on se défend de toute proximité avec les conclusions de la « note Terra Nova ». On rappelle que la radicalité du programme économique démarque LFI des « sociaux-démocrates », continue de heurter les plus libéraux au sein même du Nouveau front populaire (NFP) et lui vaut encore des accusations en bolchévisme. Surtout, on défend qu’il n’est pas possible de séparer questions « sociales » et « sociétales » : « les grèves salariales, mais aussi les mouvements antiracistes, anti-impérialistes, féministes, pour le droit au logement, ou le mouvement climat, sont des luttes de classe », écrit Antoine Salles-Papou, cadre de l’Institut La Boétie, dans une note de blog. Autrement dit, pour parler aux classes populaires dans toute leur diversité, il faut défendre une stratégie antifasciste. La lutte contre l’extrême droite ne se superpose pas à la lutte pour défendre les milieux populaires : elle en fait partie.

Comprendre la progression de l’extrême droite

L’un des principaux mérites de l’ouvrage réside dans la description minutieuse qu’il propose, à travers les contributions de chercheuses et chercheurs en sciences sociales, de la progression des idées d’extrême droite dans la société française. Cette « extrême-droitisation » est perceptible dans les espaces public et médiatique, ainsi qu’au sein d’une partie de l’appareil d’État, en particulier au sein de la police [1], d’après les auteurs de l’ouvrage. En décrivant de façon thématique la normalisation des contenus idéologiques d’extrême droite dans l’ensemble des secteurs sociaux, loin d’une simple analyse de la seule progression électorale du RN, les contributions évitent le piège de la tautologie qui consisterait à penser que l’extrême droite grandit car le RN progresse, et que le RN progresse car l’extrême droite grandit. Cette description donne à voir l’ampleur de la tâche qui doit préoccuper les forces de gauche : reconquérir l’hégémonie.

Le premier facteur de l’extrême-droitisation de la société française se manifeste dans la constitution progressive d’une offensive idéologique de grande ampleur, capable de décliner culturellement ses principes pour les adapter aux grandes questions qui traversent la société. Investir des enjeux politiques traditionnellement marqués à gauche et en même temps devenus incontournables dans le débat public, comme le féminisme ou l’écologie, lui permet de diffuser son imaginaire au sein de franges de la population jusqu’ici peu perméables aux discours réactionnaires. À ce titre, l’essor de l’électorat féminin en faveur du RN n’est probablement pas sans lien avec cette inflexion. Depuis 2012 et la première candidature de Marine Le Pen à l’élection présidentielle, le différentiel de vote en fonction du genre s’est tendanciellement équilibré. Ainsi, au premier tour des élections législatives, le 30 juin 2024, 32 % des femmes ont voté pour une formation classée à l’extrême droite, contre 36 % des hommes. 
 
L’ouvrage compte ainsi deux chapitres consacrés à la question. Cherchant à analyser le discours de l’extrême droite sur le genre, Cassandre Begous et Fanny Gallot montrent par exemple que la défense des femmes tient désormais une place centrale dans la rhétorique anti-trans, considérant que l’inclusion des femmes transgenres dans la catégorie des femmes risque de dissoudre l’identité féminine. Les questions de genre et de sexualité ont ainsi été l’instrument du « redéploiement d’un discours essentialiste et transphobe ». Par ailleurs, en refusant l’affranchissement de la destinée biologique, et en enchaînant la condition féminine à cette dernière, l’extrême droite circonscrit « les femmes à la maternité, les considère comme vulnérables et faibles, mais aussi comme naturellement habitées par un instinct qui les pousse à nourrir et à protéger les enfants » et transforme « les aspirations féministes à l’émancipation en demandes de protection et, ainsi, de maintenir les femmes dépendantes de la domination masculine ».

De son côté, la contribution de Charlène Calderaro souligne que le féminisme fait l’objet d’une véritable « appropriation » de la part de l’extrême droite, dans la mesure où « la défense des droits des femmes occupe une place centrale » dans l’incorporation de valeurs libérales à sa matrice raciste et autoritaire. Les militantes « fémonationalistes » adhèrent à l’égalité femmes-hommes, et réussissent d’autant mieux à adapter cette norme « à un agenda politique, à un objectif ainsi qu’à un cadre idéologique différents de ceux qui avaient été fixés par les acteur·rices initiaux de la cause ». La mobilisation contre le harcèlement de rue est au cœur de cette opération idéologique puisqu’elle permet de racialiser le sexisme « en prétendant que les violences sexistes et sexuelles émanent exclusivement, ou quasi exclusivement, des hommes racisés ».
 
L’extrême droite semble toutefois plus en mal de s’approprier la thématique écologique. Si l’on trouve dans l’espace groupusculaire radical une véritable élaboration doctrinale mêlant défense de la nature, rejet de la modernité et du « mondialisme », notamment au sein de la Nouvelle Droite, Zoé Carle estime qu’« une écologie d’extrême droite peine à exister réellement ». L’extrême droite mainstream se contente de dénoncer l’« écologie punitive » à laquelle sont assimilés l’interdiction des pesticides, la limitation des mobilités individuelles polluantes et l’usage des énergies fossiles. L’« écologie de bon sens » qu’elle promeut se résume au principe de « localisme », c’est-à-dire au fait de produire, consommer et recycler au plus près. L’approfondissement de la thématique écologique par des partis comme le RN ou Reconquête ne devrait toutefois pas tarder, puisque l’« écologie de bon sens » partage avec l’« écologie intégrale » de la sphère radicale une vision dichotomique entre « alternatives enracinées » et propositions « hors sol » des partis et militants écologistes traditionnels.

Devant ce constat d’une normalisation des idées d’extrême droite, l’ouvrage propose une analyse matérialiste des conditions qui l’ont permise. Félicien Faury, auteur d’un ouvrage récent et très remarqué, Des électeurs ordinaires : enquête sur la normalisation de l’extrême droite (Seuil, 2024), propose une étude stimulante des caractéristiques sociales, des lieux de vie et des perceptions des électeurs du RN issus des classes moyennes. L’ouvrage s’intéresse également à la structuration de l’offre politique d’extrême droite par une fraction des classes dominantes. Marlène Benquet, analysant les soutiens financiers de l’extrême droite, montre par exemple que l’émergence depuis le début des années 2000 d’un nouveau mode d’accumulation financier, porteur d’intérêts politiques propres, a fragilisé le bloc néolibéral au profit d’une orientation « libertarienne-autoritaire ».

Par ailleurs, l’ouvrage accorde aux médias de masse un rôle central dans l’extrême-droitisation des esprits. La constitution d’empires médiatiques ouvertement réactionnaires joue en effet un rôle important dans le processus d’extrême-droitisation –  en témoignent le funeste groupe Bolloré ou, depuis la rédaction de l’ouvrage, le projet Périclès porté par Marc-Edouard Stérin ou encore l’influence du réseau Atlas récemment mise en lumière. Samuel Bouron souligne toutefois combien la normalisation et la diffusion des visions du monde de l’extrême droite se fait bien plus par les médias a priori sans agenda réactionnaire, mais dont « l’appétit en faits divers et en polémiques [dans une logique d’audimat et de rentabilité commerciale] constitue une énorme opportunité pour l’extrême droite, qui sait désormais parfaitement l’exploiter ».    

Cela est d’autant plus important que, comme le décrit Ugo Palheta, la banalisation et la légitimation des discours xénophobes et racistes par des acteurs centraux des champs médiatiques et politiques, au moment où les politiques néolibérales provoquent une peur du déclassement au sein de la population, désigne « une cible logique et commode à celles et ceux qui cherchaient, sinon une explication de leurs craintes et de leur malaise, du « moins un bouc-émissaire facile ».      

Ces différentes contributions renvoient, en négatif, à l’effacement progressif de la gauche dans la production des imaginaires collectifs depuis une vingtaine d’années, au profit d’une extrême droite qui a su investir ce champ culturel. Si l’ouvrage ne fait que toucher du doigt ces enjeux, l’abandon par la gauche d’une ambition culturelle hégémonique semble avoir accompagné les évolutions de la société elle-même : le déclin du mouvement ouvrier, aussi bien dans sa composante communiste que social-démocrate, l’éclatement du monde du travail, l’atomisation et la baisse du niveau de syndicalisation qui en découle, ne facilitent pas cette tâche. Les travaux sur les cultures politiques ouvrières de Benoît Coquard, de Xavier Vigna, de Julian Mischi ou encore de Marion Fontaine ont pourtant bien montré le rôle structurant des partis de gauche dans la politisation des classes populaires à l’échelle locale au cours du XXe siècle, y compris dans des territoires aujourd’hui touchés par un vote majoritairement en faveur du RN. De même, ces partis ne négligeaient pas le travail culturel de fond, à travers l’éducation populaire, la formation intellectuelle de militants issus des classes populaires, la production et la diffusion de contenus culturels participant à la diffusion de leurs idées.    

Le cinéma et la littérature communistes héroïsaient cette classe ouvrière luttant pour son émancipation individuelle et collective, participant ainsi à diffuser une relative conscience de classe et à approfondir les solidarités dans l’usine comme dans la cité ou au village. Tout cet effort a soudé pendant des décennies des groupes sociaux sur le plan politique, autour d’un ensemble des représentations, d’une vision partagée du monde, d’une lecture commune du passé et d’une projection collective dans l’avenir. Autant de pistes qui ne sont pas traitées dans l’ouvrage. Les temps ont certes changé, mais la gauche ne gagnerait-elle pas à poser, à nouveaux frais, la question de la structuration partisane, dans une optique de reconquête de l’hégémonie ?

Quel barrage face au Rassemblement national ?

Dans l’introduction du livre de l’Institut La Boétie, on peut lire que « l’extrême droite a constitué un bloc électoral, c’est-à-dire une coalition sociale qui lui est propre. Son assise dans une partie des classes populaires ou moyennes ne doit être ni niée, ni surestimée » [2]. Un constat équilibré, que l’on ne peut que rejoindre, mais que ne reflètent pas toujours les contributions. Félicien Faury consacre ainsi un chapitre à mettre en évidence la dimension bourgeoise et conservatrice du vote RN. Il se fonde sur une étude en région PACA, dont l’intérêt est évident. Mais, comme lui-même ne le conteste pas, son ethnographie ne saurait être représentative du vote RN dans son ensemble. Et certainement pas du vote « ouvrier » des régions du Nord de la France. Sur celui-ci, c’est en vain que l’on cherchera une contribution spécifique.    

De même, Yann le Lann précise que « les classes populaires qui votent RN sont, en matière d’emploi et de travail, sur des positionnements généralement antagonistes aux valeurs de gauche » [3]. Affirmation qui aurait à tout le moins mérité quelques approfondissements. On ne citera qu’un sondage IFOP effectué en septembre 2023 [4], selon lequel 77% des électeurs du RN s’affirmaient en faveur d’une retraite à 60 ans, soit six points de plus que la population générale. Du reste, si certains travaux montrent effectivement un positionnement relativement individualiste des électeurs RN à l’égard du travail, compte tenu de la structuration sociale de cet électorat, ne devrait-il pas plutôt s’agir d’un signal d’alarme pour la gauche ? Puisque celle-ci défend une émancipation collective et lutte pour l’amélioration générale des conditions de travail, qu’elle perde prise sur une partie non négligeable des travailleurs n’impose-t-il pas d’aller les chercher au forceps, plutôt que les abandonner ?

On soulignera en ce sens le constat dressé par Stefano Palombarini : « il serait erroné d’avancer que le racisme est la cause fondamentale du soutien au Rassemblement national » (qui précise que l’existence d’un « racisme diffus et systémique » permet néanmoins une division des classes populaires sur laquelle prospère le vote RN) [5]. À l’instar de ce constat, comprendre l’ensemble des ressorts du vote RN implique non seulement de tenir compte de la position sociale qu’occupent désormais ses électeurs, mais aussi de leur perception des discours politiques qui n’ont jamais permis de mettre un frein à l’ouverture à la concurrence et au déclassement qui en découle. Comme le souligne le sociologue Luc Rouban en conclusion de son dernier ouvrage [6] : « Le vote RN est devenu une réaction non pas de « colère », comme le disent les sociologues de plateau, mais de refus de l’indifférenciation et de ce qu’elle signifie : la déchéance sociale d’acteurs devenus de simples consommables interchangeables et précaires ».

À la fin de l’ouvrage, Clémence Guetté, députée de la France Insoumise et vice-présidente de l’Institut La Boétie, explicite les conséquences stratégiques que le mouvement tire des différentes contributions théoriques précédentes. À la lueur de celles-ci, un premier élément peut susciter l’interrogation du lecteur. Si la progression électorale du Rassemblement national est indéniable, l’incapacité de la gauche à lui opposer une alternative d’ampleur – et à même de l’emporter en nombre de voix – aux précédents scrutins est en quelque sorte déniée. Les sondages, qui tendent à montrer que les formations de gauche sont confrontées à un plafond de verre, sont systématiquement rejetés comme des outils au service du formatage de l’opinion, en ce qu’ils ne fourniraient qu’une photographie cadrée et orientée de l’électorat.

Même dans le cas où nous accordons une place prépondérante aux sondages dans la formation de l’opinion, comment tirer de ce postulat la conclusion selon laquelle il ne serait pas nécessaire d’effectuer un bilan objectif de la stratégie politique de la gauche ces dernières décennies ? Le front unique, incarné successivement par la NUPES, puis par le Front Populaire, au prix d’attelages parfois contestables, n’a pas permis d’obtenir une large majorité populaire en faveur d’un programme de gauche. Pour autant, il est indéniable que cette stratégie a permis d’imposer, au moins thématiquement, une série de positions jusqu’alors inaudibles en raison de la prévalence du social-libéralisme au sein du Parti socialiste. Mais est-ce bien suffisant pour affronter et vaincre le RN ?
 
À moyen terme, le risque d’une nouvelle dissolution semble loin d’être négligeable, et la logique de front républicain ouvertement trahie par le gouvernement, comme cela avait déjà été le cas en 2022, ne suffira cette fois sans doute pas. Dans ce contexte, la France Insoumise, par la postface de Clémence Guetté, suggère de maintenir le cap et de dresser un cordon sanitaire et moral avec l’électorat gagné par les thèses du RN : « Concéder une victoire qu’on pense même partielle sur des thèmes, sur les questions posées dans le débat public, en pensant ainsi réduire l’espace de l’extrême droite, c’est en réalité participer à l’extrême-droitisation et donc à son ascension » [7]. À l’appui de ce postulat, la politique menée par les gouvernements Sarkozy et Hollande en matière d’immigration et de sécurité, qui n’ont pas permis d’endiguer la progression du RN.

De manière symétrique, il serait possible de défendre que la ligne tenue par la gauche depuis une décennie n’a pas davantage permis de faire reculer l’extrême-droite sur le plan électoral. En outre, ce travail ne semble pas non plus avoir porté ses fruits au sein de l’électorat de gauche puisque 51% des sympathisants de la France insoumise déclaraient en 2023 estimer qu’il y a « trop d’immigrés aujourd’hui en France » [8]

Ce point mérite notre attention, car il est formulé à l’aune d’une étude [9] de deux politistes, Antonia May et Christian Czymara, selon laquelle le recours à des discours invoquant l’identité nationale par des partis traditionnels afin de contrer la progression de l’extrême-droite favoriserait en dernière instante la progression de celle-ci. Loin de contester une telle conclusion, il semblerait intéressant de la prendre au pied de la lettre : la construction d’une frontière politique autour de l’origine ethnique et non sociale des individus engendre un renforcement des tenants d’un discours nationaliste identitaire. Dès lors, invoquer, comme l’a récemment fait Jean-Luc Mélenchon dans plusieurs discours une « Nouvelle France », davantage issue de l’immigration qu’auparavant et fruit de la « créolisation », ne revient-il pas, en miroir, à entériner que le thème central du débat politique français se situerait désormais autour la question de l’identité des individus – et, en l’occurrence, de leur origine immigrée ?
 
Malgré les nombreuses critiques qui ont pu être affirmées par les tenants d’une gauche populiste à l’encontre de cette stratégie depuis plusieurs années [10], le choix de continuer à défendre avec conviction cette dernière semble être fait par la France insoumise. Depuis les premières victoires électorales du KPÖ en Autriche, d’autres voies ont pourtant été récemment ouvertes par la gauche européenne. Que l’on songe au Parti du Travail de Belgique ou encore à l’émergence récente du parti de Sahra Wagenknecht, BSW, dont les premiers résultats semblent démontrer la capacité à contenir l’ascension de l’AfD [11]. Ces différents exemples, s’ils ne permettent pas d’affirmer avec certitude la capacité concrète de telles offres politiques à obtenir des victoires électorales face à l’extrême-droite, ont le mérite de fournir d’autres voies stratégiques à la gauche radicale.

Soulevée de manière opportune par Clémence Guetté, la question de l’implantation territoriale du RN semble être, en dernière instance, le point d’achoppement le plus important sur lequel la gauche devrait entamer une réflexion critique dans la perspective des prochains scrutins. Comme le soulignent les contributions de l’ouvrage, les idées d’extrême-droite ont, dans la période récente, pu capitaliser sur l’anomie induite par le néolibéralisme et la reconfiguration des lieux de production à l’aune de la mondialisation afin d’imposer un nouvel ordre culturel et moral qui devient progressivement dominant. Faire ce constat c’est, en négatif, assumer celui de l’incapacité de la gauche, syndicale et partisane des trente dernières années, à développer un parti de masse en mesure de fournir aux individus des lieux de socialisation et d’émancipation collective donnant vie de manière effective à l’alternative qu’elle prétend incarner. Il serait à cet égard utile de s’inspirer du socialisme municipal théorisé et mis en action au début du XXe siècle, offrant des victoires juridiques et idéologiques conséquentes sur la place des services publics et le fonctionnement de l’économie dont l’héritage est encore perceptible aujourd’hui.

En toute logique et face à l’imminence des prochains scrutins, deux stratégies s’offrent désormais à la gauche. La première consiste à perpétuer la ligne actuelle, s’assurant ainsi certains bastions, en pariant implicitement sur la perspective d’un front républicain en cas de second tour. La seconde ferait au contraire le choix, notamment en vue des prochaines municipales, d’élargir le socle électoral auprès de l’ensemble des classes populaires en sortant du carcan établi jusqu’à maintenant et en manifestant ce choix par une implantation forte dans des territoires a priori défavorables afin de faire reculer la progression de l’extrême-droite. Ce chemin est sans aucun doute ardu et nécessite un certain nombre de réalignements stratégiques, mais l’imminence possible d’une victoire du RN et le risque de son installation pérenne en position dominante dans le paysage politique mérite, en tout état de cause, de l’envisager.

Notes :

[1] Voir « 1. Une police extrême-droitisée ? – Entretien avec Didier Fassin » dans Ugo Palheta (dir.), Extrême droite : La résistible ascension, Paris, Éditions Amsterdam, 2024.
[2] Ibid, p. 27.
[3] Ibid., p. 52.
[4] https://www.lejdd.fr/Politique/sondage-presidentielle-71-des-francais-sont-favorables-au-retour-de-la-retraite-a-60-ans-4092885
[5] Extrême droite : La résistible ascension, op cit., p. 37.
[6] Luc Rouban, Les ressorts cachés du vote RN, Paris, Presses de Science Po, septembre 2024, p. 180.
[7] Ibid, p. 251-252.
[8] Fondation Jean Jaurès, L’immigration, ce grand tabou (de la gauche), 11 avril 2023.
[9] https://theloop.ecpr.eu/mainstream-parties-adopting-far-right-rhetoric-simply-increases-votes-for-far-right-parties/
[10] Chantal Mouffe, « La « fin du politique » et le défi du populisme de droite », Revue du MAUSS, vol. 2, no. 20, Paris, La Découverte, 2002, pp. 187-194.
[11] https://www.tagesschau.de/wahl/archiv/2024-06-09-EP-DE/analyse-wanderung.shtml

Créolisation : d’Édouard Glissant à Jean-Luc Mélenchon

« Créolisation » : le mot est entré dans le débat public. Emprunté par Jean-Luc Mélenchon au poète martiniquais Édouard Glissant et mobilisé notamment lors de son face à face avec Éric Zemmour, il paraît néanmoins difficilement audible. La faute, certes à la progression médiatique des grilles de lecture de l’extrême droite, mais aussi à la nature de l’héritage glissantien. La créolisation n’a en effet pas vocation à être une politique, elle désigne à l’inverse une utopie réalisable et un processus inarrêtable. « Et que la Caraïbe créole parle au monde qui se créolise » suggère Édouard Glissant, avant d’ajouter que « cela n’est pas un Appel, ni un manifeste ni un programme politique ». Tout au plus, s’agit-il pour l’écrivain de révolutionner les imaginaires et de se protéger contre les réflexes identitaires. Une tâche nécessaire mais qui ne peut constituer la seule contre-offensive dans le climat actuel de guerre civilisationnelle – au risque sinon de transformer la poésie en idéologie et la politique en morale.

Le « miracle créole » de l’archipel antillais

La « créolisation » pour Édouard Glissant, écrivain français né en Martinique en 1928 et mort en 2011, débute en terres antillaises. C’est l’expérience de la Caraïbe créole, vaste archipel au large de l’Amérique centrale, qui donne au poète la preuve vivante de la mise en contact des cultures et des imprévisibles qui peuvent surgir depuis cette dernière. Ce processus n’a cependant rien d’irénique : l’histoire de la Caraïbe est d’abord celle d’un traumatisme. La pratique esclavagiste est en effet à l’origine du rapprochement géographique des cultures africaines, amérindiennes et européennes, dont la rencontre est fonction de la réalité brutale de l’exploitation. Esclaves et colonisés sont ainsi arrachés à leurs terres, à leurs histoires et à leurs langues et expérimentent la violence des identités trouées, menacées et dérobées. À la faveur pourtant des siècles, les Caraïbes permettent l’émergence d’une « communauté créole », qui a trouvé la force de se construire sans « identité-racine » à revendiquer.

Le miracle créole désigne alors le processus par lequel s’est réinventée une modalité du vivre-ensemble ancrée dans ce qu’Édouard Glissant appelle, à la suite des philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari, une « identité rhizome », en référence aux racines multiples des plantes. Une identité, dont l’élaboration dépend des cultures en présence, et dont le contenu ne peut être fixé à l’avance ; une identité qui rassemble, plus qu’elle n’oppose. Si la formule peut paraître naïvement creuse, elle est à la lumière de l’expérience antillaise significative, tant l’archipel semblait prédestiné à une guerre des ressentiments plutôt qu’à une renaissance culturelle. « Ce que nous avons toujours cru être l’impossible, de nos pays » relève Édouard Glissant s’est ainsi transformé en expérimentation inédite, ayant permis l’avènement d’un humanisme nouveau – les lieux d’Haïti, de Cuba, de Guyane, de Martinique ou encore de Guadeloupe portant en eux la trace d’une promesse, selon laquelle le pire n’est jamais certain.

Profondément marqué par cette puissance créatrice, Édouard Glissant n’aura cesse de l’amplifier à travers son œuvre : « Ce que la Relation nous donne à imaginer, la créolisation nous l’a donné à vivre » précise-t-il dans son Traité du Tout-Monde (1997). Auteur d’une Poétique de la Relation devenue, à l’aube de ses derniers jours, Philosophie de la Relation (2009), le poète entend fabriquer depuis la singularité de son archipel natal une nouvelle manière d’habiter et de penser le monde, échappant aux logiques unitaires et oppressives. La grammaire qu’il déploie (archipélisation, créolisation, Tout-Monde, tremblement, trace…) est caractérisée par sa capacité à envisager la rencontre des altérités et cherche à révéler les chances qui s’y logent, dès lors qu’est abandonné l’absolutisme des certitudes. « La trace va dans la terre, qui plus jamais ne sera territoire. La trace, c’est manière opaque d’apprendre la branche et le vent : être soi, dérivé à l’autre »1 ajoute Édouard Glissant, comme pour annoncer le vœu qu’il formule pour notre contemporanéité, promouvant une conception plurielle et ouverte des flux qui conduisent les hommes par-delà les rives de leur pays.

Les récents travaux de sciences sociales nuancent la thèse de l’exceptionnalité créole et ne manquent pas de souligner les conflits qui continuent d’abîmer l’archipel antillais.

L’optimisme de l’écrivain ne doit néanmoins pas être adopté sans prudence. Le « miracle créole » apparaît pour certains comme une fiction des origines, transmuant le négatif en positif afin de mieux panser les blessures du passé, plutôt que comme une expérience historique indélébile. Les récents travaux de sciences sociales, consacrés à la question, nuancent la thèse de l’exceptionnalité créole et ne manquent pas de souligner les conflits qui continuent d’abîmer l’archipel antillais2. On en trouve d’ailleurs déjà des indices auprès des détracteurs d’Édouard Glissant, à l’instar de Toni Morrison, qui refuse les stratégies d’embellissement3 et pointe le risque d’une réappropriation par le discours colonial des « chances » de la créolisation – c’est entendre déjà à bas bruit le refrain de l’heureuse mondialisation. Avant « d’ouvrir au monde le champ de [son] identité »4, encore faut-il en effet reconstruire les biographies sinistrées et reconquérir son humanité. La négritude césairienne, le noirisime haïtien, ou l’universalisme de Frantz Fanon, sont autant de critiques adressées au « Tout-Monde » glissantien dont les conditions de possibilité ne semblent pas encore réunies.

Créolisation(s) : pays réel, pays rêvé

La créolisation pose également le problème de sa pertinence en dehors de l’archipel caribéen. Dans L’intraitable beauté du monde (2009), Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau soutiennent qu’un processus de créolisation est à l’œuvre dans nos sociétés globalisées : il met en relation des aires géographiques et culturelles, des peuples et des populations, des identités figées et des identités en quête d’elles-mêmes. La créolisation est dès lors présentée comme un fait anthropologique, dont le devenir est incertain. L’Archipel-Monde, s’il devait advenir, pourrait se matérialiser sous forme fragmentaire ou unitaire, comme le laisse penser l’ambivalence de la métaphore archipélique. Mais la créolisation comme fait cède progressivement sa place à la créolisation comme projet. Dans le même texte, les deux écrivains relèvent un événement : l’élection de Barack Obama, un « blanc-noir » hissé à la plus haute fonction d’État, auquel est adressé L’intraitable beauté du monde. La victoire de ce dernier, impensable quelques décennies auparavant, témoignerait d’une ouverture croissante à l’altérité et d’une « défense et illustration de la pensée de la diversité »5.

Si l’espérance d’Édouard Glissant et de Patrick Chamoiseau est compréhensible à la lumière contrastée de l’histoire raciale et ségrégationniste américaine, la « preuve » Obama n’en demeure pas moins insatisfaisante. Le président cool des États-Unis incarne bien davantage les trois « mondes » qui entrent en contradiction dans la philosophie glissantienne : le créolisme, le mondialisme et l’identitarisme. Le premier est synonyme de reconnaissance et d’accueil de la différence ; le deuxième d’homogénéisation des civilisations et d’extinction des singularités ; le troisième d’exacerbation des particularités et de fermetures communautaires. L’accès d’Obama à la Maison Blanche est à ce titre imputable à des électorats aussi incompatibles que prêts à tout pour « s’identifier » à un candidat. Classes supérieures abreuvées à l’idéologie de la diversité, classes moyennes biberonnées à l’American Way Of Life et convaincues des vertus du libéralisme généralisé, classes populaires issues des minorités récemment politisées et adversaires déclarées de l’Amérique « blanche », tous concourent à l’obamania des années 2010. Le président « blanc-noir » serait par conséquent moins le produit de la créolisation que de la réunion contingente des blancs et des noirs autour d’une audacieuse campagne politique.

La créolisation, en voulant désigner à la fois un processus et une utopie, prend le risque de s’ériger comme prophétie auto-réalisatrice – le monde se créolise, alors créolisons-nous.

Le nuance mérite d’être rappelée, non pour discréditer l’hypothèse créole, mais pour mettre en évidence le paradoxe au sein duquel elle est prise. La créolisation, en voulant désigner à la fois un processus et une utopie, prend le risque de s’ériger comme prophétie auto-réalisatrice – le monde se créolise, alors créolisons-nous. Polarisée entre Pays rêvé, pays réel, à l’instar du titre d’un recueil du poète paru en 1985, elle est une « offrande »6 aussi féconde que funeste pour ceux qui voudraient s’en saisir. En tant que croyance en un monde meilleur, elle peut constituer un horizon partageable ; en tant que réalité empirique indiscutable, elle est un piège redoutable et – surtout – un pain béni pour l’opposition. « Le monde se créolise ? Alors, refusons d’être créolisés ! » C’est en substance ce qui s’est joué au cours du débat entre Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour, plaçant le premier dans une position justifiée par l’évidence, et le second dans une position fondée sur le volontarisme. Zemmour en sort gagnant : lui-seul, dans ce cas précis, donne l’impression de défendre l’insoumission de la France à des processus globaux et de pouvoir inverser le cours des choses. C’est qu’en effet, la créolisation n’est pas une politique mais une vision du monde. « Je crois qu’Obama est un visionnaire, mais qu’il ne veut pas le laisser voir » concède finalement Édouard Glissant7, confirmant implicitement que la politique créole – s’il y en a – ne peut être qu’affaire de voyants.

Poétique ou politique créole ?

Les hésitations inscrites au cœur de la créolisation invitent à comprendre la nature de l’héritage glissantien, qui relève d’une poétique et non d’une politique. La figure du « voyant » est elle-même empruntée à la tradition littéraire, qui érige les poètes en artisans d’avenir, capables de chanter l’harmonie secrète du monde et d’en élargir les rêves. « Qu’est-ce ainsi, une philosophie de la Relation ? Un impossible, en tant qu’elle ne serait pas une poétique » reconnaît Édouard Glissant8. La question de « la traduction » politique de la créolisation est par conséquent inopérante ; c’est bien davantage celle de la fonction politique de la poésie que nous invite à reposer l’écrivain martiniquais. Il en assume pour sa part le puissant pouvoir : « Les poétiques ne cessent de combattre. Les poétiques particulières survenues au monde sont des politiques réalisables partout. » Poétiser la politique, ainsi du projet glissantien qui cherche à faire résonner l’extraordinaire du poème dans l’ordinaire du quotidien, en révélant les liens qui unissent les présences peuplant l’étendue terrestre – de l’humus des forêts vierges aux humbles qui partout s’éveillent.

Lorsqu’Éric Zemmour qualifie la créolisation de « chimère pseudo-poétique », on ne saurait alors que trop le prendre en mot – l’ignorance et le mépris en moins. Car, contrairement à ce que le polémiste suggère, la dimension utopique de l’œuvre d’Édouard Glissant n’est un problème que si, précisément, elle est dévoyée en idéologie. Une stratégie conservatrice classique pour décrédibiliser les propositions alternatives et écraser l’avenir sous le poids des représentations présentes. L’utopie créole n’a pourtant ni vocation à être un modèle normatif auquel se conformer, ni un programme applicable ici et maintenant. Elle est avant tout « un cri, tout simplement un cri »10, comme l’écrit le poète, avertissant face aux dangers des conceptions étroites du monde. En choisissant d’invoquer « la créolisation », Jean-Luc Mélenchon oppose en ce sens un autre imaginaire aux discours de ses adversaires, fabriqués à partir d’une grammaire – l’identité, le territoire, les racines, l’origine – à laquelle Édouard Glissant s’est toujours opposé. « La grande question qui se pose pour nous est celle de la révolution de nos imaginaires » affirmait ce dernier en 2005. Si changer les imaginaires ne suffit guère pour changer la vie, force est néanmoins de reconnaître qu’ils participent de la lutte politique : ils nourrissent des propositions contre-hégémoniques et reconfigurent nos interprétations du réel.

La créolisation est une arme dans la bataille des imaginaires, elle ne peut rien contre la guerre civilisationnelle que s’attelle à préparer l’extrême-droite.

Comment mesurer toutefois l’efficacité stratégique de cette réappropriation ? Si la créolisation s’est imposée comme une variable nouvelle dans l’équation politique actuelle – en témoigne la succession d’articles de presse à son sujet et les débats qu’elle a suscités –, elle paraît aussi avoir produit davantage de perplexité que d’adhésion. Les raisons qui expliquent cette confusion, outre la complexité de la notion glissantienne et les caricatures véhiculées par ses opposants, sont plus profondes : si la créolisation est une arme dans la bataille des imaginaires, elle ne peut rien contre la guerre civilisationnelle que s’attelle à préparer, depuis des années, l’extrême-droite. L’erreur qui consiste à croire qu’il s’agit de répondre à cette dernière sur le terrain culturel est, d’une certaine manière, le produit du gramscisme appauvri qui sature l’arène politique. Dès lors que la politique est réduite à « une bataille d’idées », il suffit de formuler le vœu pieu qu’une idée en chassera en une autre – que la créolisation finira par l’emporter sur le grand remplacement. La réception mitigée de cette « proposition créole » apporte néanmoins un démenti à cette politique idéaliste, qui fait abstraction des forces en présence. Elle manifeste, de ce point de vue, moins un chauvinisme enraciné, que la conscience vive de l’inadéquation des ressources mises à disposition pour contrer l’offensive adverse.

L’impératif est donc de prendre acte d’une disjonction : la puissance poétique de la créolisation est fonction de son impuissance politique. Edelyn Dorismond a d’ailleurs largement interrogé l’impensé politique de la créolisation, en démontrant que si l’on pouvait créoliser la politique, l’inverse n’était pas vrai11. Édouard Glissant, lui-même, dans l’un de ses derniers ouvrages, semble parvenir à une conclusion similaire. Il écrit longuement : « La puissance des imaginaires est d’utopie en chaque jour, elle est réaliste quand elle préfigure ce qui permettra pendant longtemps d’accompagner les actions qui ne tremblent pas. Les actions qui ne tremblent pas resteraient stériles si la pensée de la totalité monde, qui est tremblement, ne les supportait. C’est là où la philosophie exerce, et aussi la pensée du poème. »12 L’œuvre de Glissant, s’il faut aujourd’hui s’en inspirer, exige d’assumer une politique qui ne tremble pas, au nom d’une pensée du tremblement – et non le contraire. Un équilibre précaire, mais qui peut concrètement s’éprouver dès lors que la politique organise des solidarités et des conflictualités nouvelles, sans faire le choix de l’essentialisation de la différence. Autrement dit : la victoire ne sera pas celle de ceux qui accueillent la créolisation contre ceux qui la refusent – du camp du bien contre le camp du mal –, mais de ceux qui reconstruisent une maison commune et donnent des gages de sa solidité ainsi que de son hospitalité.

République et créolisation : l’avenir de l’universel

La créolisation lègue in fine l’épineuse question de sa capacité à revitaliser le faire-commun. Car, même à se saisir précautionneusement de la poétique glissantienne, cette dernière n’en comporte pas moins une méfiance fondamentale à l’égard de la pensée républicaine qu’elle invite à dépasser. Édouard Glissant, interrogé en 2009 par Philosophie Magazine, n’a pas hésité à soutenir : « L’universalisme attaché à la République et à l’esprit français est une valeur usée, une négation des humanités au pluriel. Il ne permet pas d’appréhender le « tout-monde ». L’idéal républicain de la fraternité, l’idée de patrie universelle, de nation élue sont des aspirations qui datent d’une époque où le monde n’était pas encore monde. » C’est dire combien l’écrivain remet en question plus de deux siècles d’histoire et de clivages politiques, qui ont été structurants pour la France, en faisant de la famille républicaine un monolithique et en oubliant la pluralité de ceux qui s’en réclament. La position de Jean-Luc Mélenchon n’en est que plus délicate, lui qui tente de réconcilier – peut-être – l’irréconciliable et répondait dans les lignes de L’Insoumission que « l’universalisme de la Révolution française permet à la France d’être un pays créolisé »13. Une affirmation qu’Édouard Glissant aurait très probablement récusée, au regard du dialogue qu’il a mené avec Régis Debray à propos des mêmes sujets. À la République universelle, l’écrivain martiniquais oppose la République diverselle14, qui appelle nécessairement une tout autre conception de la communauté politique.

La « République créole » participe à reconduire un moralisme implicite, comme s’il fallait « créoliser » la république pour la rendre à nouveau acceptable.

La « République créole » n’a donc rien d’évident et constitue une hybridation audacieuse, dont la capacité à fédérer reste à démontrer. À l’heure actuelle, elle court le risque de la confusion généralisée, en brouillant les héritages auxquels il s’agit de se rattacher. Pis encore, elle participe à reconduire un moralisme implicite, comme s’il fallait « créoliser » la république pour la rendre à nouveau acceptable. Or, et c’est là l’honneur de Jean-Luc Mélenchon, d’avoir traditionnellement défendu la République contre tous les républicains proclamés et d’avoir rappelé, qu’en dépit de son nom usé, ses promesses de liberté, d’égalité et de fraternité se donnaient encore aujourd’hui comme une tâche à accomplir. La négation des humanités dont Édouard Glissant rend responsable l’universalisme est d’autant plus injuste, qu’il n’a jamais été question d’homogénéiser les cultures, mais de les faire accéder à la même dignité. Les Jacobins noirs, dont C. L. R. James fait le récit15, en sont un symbole éloquent : c’est au nom des idéaux révolutionnaires que Toussaint Louverture mène la libération d’Haïti en 1791 et rompt plusieurs siècles de déshumanisation. Le paradoxe de la créolisation glissantienne n’en est que plus manifeste : l’égalité radicale demeure la condition d’une poétique de la différence.

La passion française de l’égalité, comme le titrait encore un hors-série de L’Humanité paru en 2019, est pourtant aujourd’hui celle qui nous fait le plus défaut. Les mondes qui se font face – l’identitarisme, le créolisme et le mondialisme – ont tous en commun la subordination du principe d’égalité à d’autres exigences : égaux dans l’exclusif de la communauté, égaux dans la différence, égaux dans la concurrence. C’est dire combien le vieil universalisme paraît démodé, lui qui défendait l’égalité du genre humain. La pétition de principes a néanmoins des conséquences politiques : la communauté démocratique se dévitalise à mesure que ses fondements s’abîment. Il n’est guère étonnant que les sociétés « s’archipélisent », en un sens contraire à celui qu’Édouard Glissant n’a cessé de promouvoir. Se pourrait-il alors que le détour par les îles nous ramène au continent ? Gageons, qu’en poète, l’écrivain martiniquais puisse renouer avec les rêves d’avenir qui n’exigent en rien de renoncer au passé : « J’ajouterai qu’il nous faut avoir une vision prophétique du passé. (…) Il ne faut pas avoir du passé une vision qui détermine le présent, mais une vision qui ouvre à tous les présents possibles. »16

[1] Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997, p.20.

[2] Voir par exemple : « Un miracle créole ? », L’Homme, 2013/3-4 (n° 207-208).

[3] Voir François Simasotchi-Bronès, « La créolisation, une poétique qui est un miracle », dans François Noudelmann et al., Archipels Glissant, Vincennes, PUV, 2020.

[4] Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, op.cit., p.68.

[5] Édouard Glissant, Patrick Chamoiseau, L’intraitable beauté du monde. Adresse à Barack Obama, Paris, Éditions Galaade & Institut du Tout-Monde, 2009.

[6] Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, op.cit., p.26.

[7] « Glissant – Chamoiseau : un regard aigu sur Barack Obama », L’Humanité, 21 janvier 2009.

[8] Édouard Glissant, Philosophie de la Relation, Paris, Gallimard, 2009, p.82.

[9] Ibid., p.85.

[10] Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, op.cit., p.233. La citation prolonge celle du chapô.

[11] Edelyn Dorismond, « Créolisation de la politique, politique de la créolisation. Penser un « im-pensé » dans l’œuvre d’Edouard Glissant », dans Cahiers Sens public, n°10-11, 2009.

[12] Édouard Glissant, Philosophie de la Relation, op.cit., p.54.

[13] « Qu’est-ce que la créolisation ? Entretien avec Jean-Luc Mélenchon », L’insoumission, 4 septembre 2021.

[14] Voir Edelyn Dorismond « Créolisation et communauté. République diverselle et politique de la rencontre » dans François Noudelmann et al., Archipels Glissant, op.cit.

[15] C. L. R. James, Les jacobins noirs. Toussaint Louverture et la Révolution de Saint-Domingue, Paris, Éditions Amsterdam, 2017.

[16] « Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau : de la nécessité du poétique en temps de crise », L’Orient littéraire, n°7, 2009.