Le maréchal Haftar, l’ancien joker américain bientôt maître d’une Libye en cendres

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Depuis l’éclosion de la seconde guerre civile libyenne en 2014, le maréchal Haftar s’est imposé comme l’homme incontournable du pays. Il ne s’agit pas d’un personnage neuf dans le monde politique libyen. Ancien protégé des États-Unis qui comptaient sur lui pour renverser le régime de Muhammar Kadhafi, il est aujourd’hui porté par des forces géopolitiques multiples et contradictoires. Retour sur un personnage au passé trouble dont le rôle aujourd’hui est bien loin du sauveur providentiel qui lui est assigné.

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Un passé trouble

Khalifa Haftar naît le 7 novembre 1943 à Syrte. Il s’agit d’un membre de la tribu des Ferjani, dont le fief se situe dans la région de sa ville natale, et qui est également la région des Gaddhafa, la tribu de Kadhafi. En Libye, l’appartenance tribale est un élément constitutif de l’identité de l’individu et joue très profondément sur les ressentis et les comportements des Libyens. Ainsi, le fait que Kadhafi et Haftar soient issus de deux tribus qui sont implantées dans le même territoire a un impact profond sur les relations entre les deux hommes.

En 1963, Haftar fait la connaissance de Kadhafi au sein de l’armée royale libyenne (le régime en place est alors une monarchie). Très vite, le jeune militaire rejoint le colonel Kadhafi dans son entreprise de renversement de la monarchie : le 1er Septembre 1969, le roi Idris Ier est renversé et Muhammar Kadhafi prend la tête de l’État. Très vite, Haftar gravit les échelons du régime kadhafiste. Il s’illustre durant la guerre du Kippour (opposant Israël à l’Egypte du 6 au 24 Octobre 1973) à la tête d’un contingent de chars libyens. Quelques années plus tard, il est envoyé en Union Soviétique parfaire sa formation militaire.

Finalement, à l’aube des années 80, Haftar devient l’homme de confiance de Kadhafi. Il est le grand ordonnateur des expéditions militaires de Kadhafi au Tchad, alors que son régime maintient une présence dans la bande d’Aozou. Il s’agit d’une portion de territoire de 100km de long à la frontière libyenne revendiquée par le régime kadhafiste. En 1976, Kadhafi envahit la bande et l’annexe. L’armée libyenne y maintient une présence constante.

Cependant, les ambitions kadhafistes d’une hégémonie libyenne sur son flanc sud se heurte aux français, désireux de maintenir leur domination dans leur ancien espace colonial. La force libyenne est rapidement dépassée par les Tchadiens appuyés par les Français et les Américains, et Haftar est fait prisonnier à N’Djamena en Avril 1987. Prisonnier des tchadiens, Haftar renie son ancienne allégeance à Kadhafi, et organise une « force Haftar », appuyée par ses nouveaux alliés tchadiens et occidentaux, dans le but de renverser Kadhafi. En 1990, Haftar sera chassé du Tchad par un Idriss Déby désireux de ne pas trop froisser son puissant voisin du nord.

Haftar devient, à ce moment, l’un des opposants les plus importants à Kadhafi, et devient lié aux intérêts américains dans la région.

Haftar devient, à ce moment, l’un des opposants les plus importants à Kadhafi, et devient lié aux intérêts américains dans la région. Il est vite extradé aux États-Unis où il réside près de Langley, en Virginie, lieu du siège de la CIA. Il tente bien un coup d’État en 1993 qui avorte rapidement. À partir de là, Haftar n’est plus actif politiquement tandis que les américains le voient comme un joker de réserve prêt à être déployé dès que le moment sera venu.

Le retour d’Haftar

L’éclatement de la guerre civile en 2011 voit le « joker Haftar » revenir dans le jeu libyen avec la bénédiction des Américains. Très vite, il devient l’une des figures emblématiques de la rébellion au niveau militaire. Après la mort de Kadhafi le 20 octobre 2011, Haftar est à deux doigts de devenir chef d’État-major de l’armée, mais il est bloqué par les islamistes qui y voient les intérêts américains propulsés au plus haut sommet de l’armée. Désavoué par le conseil national de transition (CNT), Haftar se retire de toutes ses fonctions militaires, puis, retourne dans sa maison en Virginie. De 2011 à 2013, il reprend donc son rôle de « joker » au service des américains.

En 2014, Haftar revient dans le jeu politique libyen. Devant l’incapacité de l’État à unifier les groupes armés qui sont issus de la première guerre civile, Haftar se donne pour mission de réaliser cette tâche. Le but est clair : il s’agit de détruire les coalitions islamistes qui contrôlent des pans entiers du territoire libyen. L’objectif est de stopper l’élan d’Al Qaida.

Haftar, malgré l’évidence, a toujours nié une tentative de coup d’État, et subordonne ses actions à la nécessité de la lutte contre le terrorisme qu’il utilisera toujours comme un épouvantail afin de justifier toutes ses actions.

Pour arriver à ses fins, Haftar ne lésine devant aucun moyen, quitte à remettre en question la légalité étatique. Le 14 Février 2014, il annonce le gel provisoire des fonctions du gouvernement et de la constitution. Le 18 Mai, ses forces attaquent le parlement de Tripoli tout en menaçant d’une offensive contre les islamistes de Benghazi. Haftar, malgré l’évidence, a toujours nié une tentative de coup d’État, et subordonne ses actions à la nécessité de la lutte contre le terrorisme qu’il utilisera toujours comme un épouvantail afin de justifier toutes ses actions.

À l’été 2014, la situation libyenne a tout d’un chaos inextricable : le gouvernement national d’accord (GNA à Tripoli), et le gouvernement de l’est à Tobrouk s’affrontent pour la direction de la Libye. C’est le début de la seconde guerre civile libyenne. Le sud voit s’affronter des milices Touaregs et Toubous dans une guerre inconnue mais très sanglante, tandis que le groupe Ansar al Sharia lié à Al Qaida annonce la formation d’un émirat islamique en Cyrénaïque. Cette année voit également l’organisation État islamique (OEI) établir une tête de pont à Derna en Cyrénaïque (est du pays).

Dans cette tourmente, Haftar s’impose comme l’une des figures militaires majeures du pays. Son « armée nationale libyenne » (ANL) supporte le gouvernement de l’est à Tobrouk, qui le lui rend bien : il est promu maréchal en septembre 2016. En théorie, il n’est que le chef militaire de la branche armée du Parlement de Tobrouk, l’ANL. En pratique, il se comporte comme un véritable chef d’État, et devient l’interlocuteur principal des acteurs locaux et des puissances étrangères au niveau diplomatique.

La contribution d’Haftar à la lutte contre le terrorisme est réelle bien que limitée. Il a en effet pacifié la Cyrénaïque en libérant Benghazi de l’emprise des islamistes et des djihadistes. De même, la ville de Derna, bastion d’Al Qaida et berceau du djihadisme libyen, passe sous le contrôle de l’ANL après un siège long et difficile. De la même façon, l’irruption de l’armée d’Haftar à l’hiver dernier dans le grand sud libyen lui a permis de décapiter le commandement d’Al Qaida dans la région dont les membres ne se cachaient pas et étaient connus publiquement. Pour autant, ses succès face à Daesh sont bien plus limités. Si Haftar a vaincu des éléments de Daesh coalisés avec d’autres groupes islamistes à Benghazi, il n’est pas à l’origine de la chute du bastion de terroristes à Syrte en décembre 2016. Ce succès revient aux brigades de Misrata, qui soutiennent le gouvernement d’union nationale de Fayez El Sarraj à Tripoli à l’ouest. Les troupes d’Haftar sont incapables d’évincer Daesh du centre du pays où le groupe a trouvé refuge auprès des tribus locales. Elles se montrent incapables de repousser les raids incessants de l’EI en direction des champs pétroliers depuis 2016, et ne trouvent pas de solutions, aujourd’hui, à une insurrection qui prend de l’ampleur dans le sud du pays. Désormais, les troupes de l’EI n’hésitent pas a attaquer les troupes de l’ANL dans le grand sud libyen au sein de leurs bases.

L’armée nationale libyenne, un colosse au pied d’argile

La grande armée d’Haftar, l’armée nationale libyenne (ANL), qui parait si redoutable sur le papier, ne résiste pas au choc de la réalité. Cette milice qui a bien réussi se base autour d’une composante forte, qui est la tribu d’origine d’Haftar, les Ferjani. Ce sont eux qui trustent la plupart des grands postes au sein de l’ANL, et qui tiennent l’armée au nom d’Haftar. D’emblée, nous nous trouvons devant un premier paradoxe : Haftar n’est pas né dans cette Cyrénaïque qui est le bastion de l’ANL, et apparaît comme un étranger aux yeux de la population. Les acteurs libyens de l’est du pays tolèrent donc la présence d’Haftar, tout en lui reconnaissant sa qualité de héros face à la menace djihadiste. Néanmoins, pour être véritablement ancrée dans l’est du pays, l’ANL doit trouver des figures lcales. Abelsallam al-Hassi, général considéré comme le « bras droit » d’Haftar, en est un bon exemple. Né dans l’est du pays, al Hassi s’est fait connaitre des Occidentaux dès 2011 ou il a officié en tant qu’agent de liaison entre l’armée rebelle et l’OTAN dans le cadre des frappes aériennes de l’alliance sur les positions kadhafistes. Il apparaît comme le successeur plébiscité par les occidentaux comme par la grande majorité de l’ANL.

Pour autant, une telle succession laisserait de côté la tribu d’Haftar, les Ferjani. S’ils occupent aujourd’hui des postes à responsabilité et constituent la tête de l’ANL, l’arrivée d’al Hassi au pouvoir va amener les membres de sa tribu, les Hassa, à revendiquer des postes. Il est peu probable que les Ferjani laissent le pouvoir leur échapper des mains. Ils sont emmenés par les fils du maréchal qui sont officiers dans l’armée, conseillers, ou lobbyistes vers l’étranger, tous, au service du clan familial et de sa tribu. Le grand favori des intérêts de la tribu Ferjani est Aoun Ferjani, conseiller proche du vieux maréchal.

Le maréchal Haftar a 75 ans et sa santé est déclinante. En Avril 2018, il a été hospitalisé à Paris après un accident cardiaque assez grave où il serait tombé dans le coma. La succession est donc clairement une affaire pressante au sein de l’armée nationale libyenne, mais peut déboucher sur des événements catastrophiques.

  • Si le clan d’Haftar, les Ferjani, sécurise la succession, les tribus de l’est emmenées par Al Hassi vont être écartées de la direction de l’armée, et donc se rebeller.
  • Si les Hassa passent, ce seront les Ferjani qui seront dans cette position.

Ainsi, la succession, au mieux, débouchera sur un affaiblissement interne de l’ANL qui perdra une partie de ses soutiens. Au pire, cela peut déboucher sur une guerre interne qui fera exploser l’ANL entre les tribus de l’est et du centre du pays.

Ainsi, la succession, au mieux, débouchera sur un affaiblissement interne de l’ANL qui perdra une partie de ses soutiens. Au pire, cela peut déboucher sur une guerre interne qui fera exploser l’ANL entre les tribus de l’est et du centre du pays. Néanmoins, la solution la plus probable serait un compromis momentané, car aucune des deux parties n’a intérêt à faire exploser cette armée. En effet, les tribus du centre du pays autour de la région de Syrte sont encore exposées aux raids de Daesh en provenance du désert libyen. De même, les forces de l’est du pays n’auraient aucun allié pour s’opposer aux makhdalistes, secte salafiste qui prend une importance de plus en plus forte dans la société libyenne.

Qu’Haftar annonce combattre l’islamisme et le djihadisme et s’acoquine avec une secte salafiste pour garantir la paix dans les zones sous son contrôle n’est qu’un des nombreux paradoxes auxquels le conflit libyen nous a habitués.

De même, le maréchal Haftar, s’il est indéniablement populaire en Cyrénaïque, doit composer avec des forces politiques bien définies pour éviter que son règne ne se délite. Les makhdalistes sont un bon exemple. Il s’agit de salafistes qui se sont ralliés à Haftar dans sa guerre contre le djihadisme. Leur ralliement a payé : il s’agit de la seule force salafiste à être véritablement puissante dans la Libye d’Haftar. Les frères musulmans ont été chassés de Cyrénaïque pour trouver refuge à l’ouest dans le gouvernement de Tripoli, tandis qu’Al Qaida et Daesh ont été chassés vers le désert libyen et le sud du pays. Haftar passe donc un accord avec ces salafistes : en échange de la paix sociale, les salafistes ont carte blanche pour développer leur prosélytisme et influer sur le travail législatif. Par exemple, en 2017, une loi a interdit les femmes de moins de 60 ans de prendre l’avion seules. Dans les mosquées, la présence des salafistes est tellement importante que les autres courants de l’islam sont obligés de passer dans la clandestinité. Le soufisme, un courant de l’islam centré sur la mystique, et historiquement très présent en Libye, est ardemment combattu. Qu’Haftar annonce combattre l’islamisme et le djihadisme et s’acoquine avec une secte salafiste pour garantir la paix dans les zones sous son contrôle n’est qu’un des nombreux paradoxes auxquels le conflit libyen nous a habitués.

Nous sommes encore devant une autre ironie de l’histoire : que celui qui ai trahit son mentor et participé à son renversement apparaisse aujourd’hui, pour nombre de kadhafistes, comme son héritier politique.

De même, le maréchal Haftar compte dans ses rangs de nombreux kadhafistes. Les kadhafistes sont encore très nombreux dans le pays. Ils soutiennent un pouvoir fort sur le modèle de la Jamahiriya arabe libyenne de Kadhafi, c’est-à-dire une dictature autoritaire et un État capable de maintenir la cohésion tribale du pays tout en excluant les étrangers du jeu politique interne. Les kadhafistes associés à Haftar voient, aujourd’hui, le vieux maréchal comme l’homme le plus à même de remplir ces critères. Il arrive à maintenir la cohésion tribale à l’intérieur de l’armée, domestique temporairement ses éléments salafistes, et joue des rivalités entre les grandes puissances afin de garder une autonomie relative. Pour autant, les kadhafistes n’oublient pas la trahison d’Haftar à l’égard de Kadhafi à la fin des années 1980, ni sa participation militaire au renversement du guide libyen en 2011. Nous sommes encore devant une autre ironie de l’histoire : que celui qui ai trahit son mentor et participé à son renversement apparaisse aujourd’hui, pour nombre de kadhafistes, comme son héritier politique. L’autre grande figure des kadhafistes, le fils de l’ancien dictateur, Saif al islam Kadhafi, est traité comme un paria par la société internationale et a peu de chances de revenir sans s’attirer les foudres des occidentaux.

Enfin le maréchal Haftar, en dehors de son bastion de l’est, tient les régions qu’il contrôle grâce à l’argent du pétrole. Ainsi, le pétrole de Cyrénaïque sert à acheter les différentes tribus libyennes du centre, qui laissent les forces d’Haftar passer au travers de leurs territoires. Les tentatives de pénétration d’Haftar dans cet espace ne sont pas nouvelles, mais les tribus se sont révélées être des adversaires trop forts pour le maréchal. Le pétrole permet donc ce que la force lui refuse. Néanmoins, cela n’empêche pas certaines de ces tribus d’abriter les éléments de Daesh qui officient depuis ces mêmes zones.
Le pétrole du centre du pays ainsi sécurisé par les troupes d’Haftar sert à alimenter le second niveau des conquêtes du maréchal, c’est-à-dire le sud du pays. Haftar déboule donc dans un espace libyen déjà fragmenté. Les tribus, milices, et organisations locales sont, pour la plupart, ralliées au maréchal. La résistance à l’armée nationale libyenne est donc faible. Néanmoins, les forces d’Haftar n’occupent que les grands axes routiers. Les Toubous (une ethnie à cheval entre le Tchad et le Niger), à l’est, et les Touaregs, à l’ouest, continuent à jouir d’un espace libre. La conquête, même imparfaite, du sud, permet à Haftar de sécuriser des gisements pétroliers. Ce pétrole, à nouveau, sert à paver les prochaines conquêtes. Les milices qui sont sur la route entre le sud du pays et la Tripolitaine sont à nouveau achetées. L’ANL peut donc déboucher directement au sud de Tripoli sans opposition forte.

Un pouvoir fragile

Néanmoins, la force de l’ANL au niveau économique est à mettre en exergue avec sa faiblesse militaire. Haftar n’a pas réussi à battre totalement les Touaregs et les Toubous. Il ne peut pas empêcher les attaques de Daesh sur ses arrières, dont l’insurrection a pris un coup d’accélérateur dans le grand sud libyen. Enfin, débouchant sur Tripoli, il s’est englué dans une guerre de tranchées qui s’éternise avec le gouvernement de Tripoli. On remarque donc que, dans tous les engagements militaires d’envergure, l’armée nationale libyenne n’est pas le rouleau compresseur que l’on croit.

La dimension internationale du conflit est donc un autre facteur de cette guerre civile, qui doit déjà composer avec ce mille-feuille ethnique, religieux, tribal et politique.

Pour le maréchal Haftar, la situation est donc beaucoup plus fragile qu’il n’apparaît. Les acteurs qui le soutiennent aujourd’hui sont soit achetés, soit partenaires dans le cadre d’un accord, soit soumis faute de mieux. Ses partenaires étrangers (France, Egypte, Russie Arabie saoudite, émirats arabes unis) l’appuient sans réserve, et fournissent au maréchal ce dont il a besoin pour maintenir son armée à flot et parachever la conquête du pays. Si le GNA n’était pas appuyé par l’ONU, la Turquie, le Qatar, l’Italie, l’Algérie et la Tunisie, Haftar serait déjà le grand gagnant de la guerre. Les Etats-Unis maintiennent des contacts avec les deux entités, mais penchent davantage du côté d’Haftar. La dimension internationale du conflit est donc un autre facteur de cette guerre civile, qui doit déjà composer avec ce mille-feuille ethnique, religieux, tribal et politique.

Son pouvoir provient donc de la force théorique de son armée, et de sa manne pétrolière, dont les installations en Cyrénaïque sont protégées par des mercenaires tchétchènes. Néanmoins, son armée est tellement faible que des mercenaires soudanais et tchadiens participent aux combats.

Dans ce cadre-là, une confrontation statique entre l’ANL et le GNA est un scénario auquel Haftar est clairement perdant en Libye.

Dans ce cadre-là, une confrontation statique entre l’ANL et le GNA est un scénario auquel Haftar est clairement perdant en Libye. Si l’ANL venait à essuyer une défaite, l’armée perdrait son prestige auprès d’acteurs qui n’auraient aucun intérêt à poursuivre une politique de connivence. Daesh a très vite compris les implications politiques de la guerre statique qui se poursuit au sud de Tripoli, en se posant comme le héraut de l’insurrection dans le grand sud libyen. Une poursuite du statu quo va donc probablement voir le grand sud libyen se détacher de l’ANL et retourner à son niveau antérieur : un espace partagé entre les Touaregs, les Toubous, les tribus, les milices, et – fait nouveau -Daesh.

Il y a donc de grandes chances qu’une poursuite des combats sans gagnants fasse perdre à Haftar la majorité des conquêtes qu’il a réalisées depuis l’hiver dernier, et le renvoie dans son bastion de l’est. Le gouvernement de Tripoli et lui-même le savent, ce qui résulte de combats particulièrement durs sur la ligne du front, avec utilisation de blindés, de l’aviation et de l’artillerie. Dans ce maelstrom, les civils et les migrants sont particulièrement touchés.

Même si Haftar prend Tripoli et devient le dirigeant d’un pays en cendres, la stabilité du pays est loin d’être acquise.

Même si Haftar prend Tripoli et devient le dirigeant d’un pays en cendres, la stabilité du pays est loin d’être acquise. Le maréchal est vieux, et les possibilités d’une guerre interne à l’ANL en cas de décès sont réelles. De même, la question du son rôle politique face aux institutions démocratiques se pose particulièrement. Enfin, l’accaparement des ressources du pays par les occidentaux est un secret de polichinelle, et il apparaît clairement que la Libye d’Haftar verra l’Occident mettre la main sur le pétrole libyen. Enfin, la force de la secte makhdaliste est difficile à contenir et peut devenir hors de contrôle. Bien sûr, dans le grand sud, Haftar n’a pas, et n’aura pas les moyens de faire de cette région autre chose qu’un pays d’occupation. Dans cette optique, Daesh continuera à se développer en l’absence d’État et de futurs pour les habitants de cette région.

Présenté comme un homme providentiel qui pourrait mettre fin à la guerre civile libyenne, Haftar n’en est finalement qu’un facteur d’aggravation.

Ibn Khaldûn et Daesh : la philosophie au prisme de la terreur

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Statue d’Ibn Khaldoun à Tunis / Wikimedia commons

Philosophe et historien du XIVème siècle (1332-1406), Ibn Khaldûn est bien connu des chercheurs et universitaires qui l’étudient depuis le XIXème siècle. Dans son “Administration de la sauvagerie” , publiée en 2008, Abu Bakr Naji appelle les djihadistes à utiliser le mécanisme qu’Ibn Khaldûn décrit dans le cadre de l’installation d’un État islamique. Pour sortir de la violence zarqaouiste où les attentats et les massacres se succèdent sans rationalité, pour en arriver à cet ordre que représente idéologiquement un État islamique, Ibn Khaldûn apparaît comme la clé.


Pour autant, le philosophe maghrébin apparaît comme un repoussoir aux djihadistes. Il est partisan de la mystique soufie, ce que l’EI abhorre. Le massacre de 300 soufis tués dans le Sinaï en novembre 2017 montre bien cet état de fait. Pire encore, Ibn Khaldûn se dit lui-même influencé par la pensée d’Aristote, même s’il ne le montre pas trop par crainte de ses contemporains résolument hostiles – pour la plupart en souvent en apparence – à la philosophie grecque. Malgré cela, ce paradoxe s’explique par une formule qu’Ibn Khaldûn utilise lui-même : l’État se fiche de ses références ou de la couleur idéologique ou religieuse de la puissance militaire qui le protège. Par exemple, les Ottomans ont longtemps utilisé des janissaires Serbes ou Géorgiens (XVème-XVIIIème siècle), les derniers Moghols en Inde étaient protégés par des Marathes hindous (XVIIIème siècle) et des chevaliers castillans ont longtemps protégés les Almohades au Maroc (XIIIème siècle).

Mieux, Le Caire est fondé par un ancien esclave d’origine sicilienne à la solde du calife Fatimide en 969. « La victorieuse » (Al Qahira), symbole d’une Égypte conquise par les Fatimides sur les Abbassides, est fondée, pour porter chance à la bataille, sous les auspices du dieu de la guerre Mars, avec célébrations, fêtes et rituels. On voit bien que dans les références, militaires, culturelles et intellectuelles, les États n’hésitent pas, dans la pratique, à piocher selon leurs intérêts du moment et où bon leur semble. Dans ce cadre-là, si l’EI utilise un penseur soufi et qu’il massacre à côté ses représentants actuels, cela ne lui est pas vraiment gênant.

Pour comprendre la construction de Daesh, il faut donc sortir du prisme européen et de la construction historique de l’État en Europe. En effet, pour l’EI, les traités de Westphalie (1648) ou encore le congrès de Vienne (1815), qui admettent respectivement l’idée d’États-nations et celui d’un « concert » garantissant l’équilibre international, ne s’applique pas au Califat universel voulu par les djihadistes. Point non plus de res publica qui considère l’État comme une propriété publique, indissociable des habitants qui le compose. Le Moyen Âge, pensé dans la représentation occidentale comme une époque barbare, dirigée par des seigneurs de guerre brutaux et qui n’est finalement que l’ombre de l’Empire romain, n’est pas vécu comme tel chez les partisans de la résurrection d’un État islamique. Le haut Moyen Âge a vu naître la prophétie, puis l’émergence d’un empire islamique qui n’est pas au cœur du monde, mais qui est comme le monde, avec comme seul manque Constantinople, assiégée par deux fois (673, 717).

Construction et destruction du pouvoir politique en Islam selon Ibn Khaldûn

Sortir de cette conception européenne de l’État-nation est donc un effort intellectuel difficile mais nécessaire, et Ibn Khaldûn nous aide ici à le réaliser. Sa théorie, pour résumer, se compose du schéma suivant :

Génération  Asabiyya[1]  [« Esprit de corps »] Da’wa[2]

[“Message religieux”]

Force militaire[3] Développement de l’État[4].
1. Conquête des territoires riches, de l’apparatus de l’État

 

Forte du fait de la survie dans un environnement difficile (désert montagne)

Forte,le prédicateur chassé   partant se réfugier dans les zones tribales Forte, galvanisé par l’esprit de corps malgré un équipement de mauvaise qualité Faible, dynastie en gestation, étranger à la notion d’impôt. Concentration sur le butin
2. Mise en place d’une administration Étatique Moyenne, le pouvoir désarmant son propre clan pour taire la contestation. Forte, la puissance de l’État étant utilisé pour diffuser le message religieux. Moyenne, le désarmement des conquérants causant un affaiblissement militaire. Fort, grâce au désarmement qui permet l’impôt et le commerce.
3. Expansion de l’État Faible, la force militaire passant à des étrangers. Moyenne, l’État ne souhaitant plus dépenser autant d’argent pour la prédication. Retour aux anciennes mœurs.

 

 

 

Forte en apparence, recrutement d’esclaves-soldats étrangers fidèles au souverain en place mais peu nombreux et enclin à la révolte. Trop fort, la montée des impôts et des taxes pour payer les étrangers entraînant un ralentissement économique.
4 Extinction Inexistante, les étrangers contrôlant l’État, et bientôt remplacée par une asabiyya issue du monde tribal. Inexistante, remplacée par les mœurs anciennes, et bientôt remplacée par une nouvelle issue du monde tribal. Inexistant avec la défaite des esclaves-soldats liés à l’ancienne dynastie, puis fort avec la nouvelle asabiyya. Faible voire inexistant, entre la décadence de l’ancienne dynastie et les pillages des conquérants.

 

On remarque qu’Ibn Khaldûn décompose la vie de l’État selon plusieurs générations, qui correspondent dans l’Islam médiéval aux durées de règne d’un ou de deux souverains. Il estime la durée de vie d’une dynastie à 120 ans : entre sa sortie du monde tribal à la conquête de l’État ; à sa mort, soit d’une guerre civile, soit conquise par une nouvelle tribu, amenant une nouvelle dynastie. On a donc un mouvement de balancier : la dynastie issue du monde tribal (désert aride, montagnes difficile d’accès, plaines désolées etc.) est d’abord très forte, et c’est son acculturation, le toucher du luxe qu’incombe un pouvoir impérial qui affaiblit la dynastie et qui précipite sa chute. Néanmoins, Ibn Khaldûn ne raisonne pas selon un regret du monde tribal, car c’est le passage à la sédentarité, l’affaiblissement de la dynastie qui permet l’épanouissement de la ville, des arts, et de la culture etc. En ce sens Ibn Khaldûn n’est pas anarchiste comme il est souvent affirmé : son prisme n’a pas d’autres horizons que l’État et les zones bédouines d’Ibn Khaldûn vivent et évoluent selon les besoins de l’État qui lui est voisin. Si l’État désigne une zone tribale comme réservoir de soldats, alors il développera avec le temps des interactions qui modifieront sa physionomie sociétale.

De la théorie à la pratique: l’exemple des Arabes

Si cette théorie est difficile à appréhender par un schéma ou autour d’un exposé magistral, elle est bien plus simple autour d’un exemple, qu’Ibn Khaldûn lui-même nous fournit : il s’agit de l’exemple de l’évolution des Arabes, de la conquête à la fin de leur hégémonie sous les coups des peuples nouveaux (Berbères, Francs, Turcs) :

  • À l’origine les Arabes se divisent en plusieurs tribus continuellement en guerre à l’exception de la Mecque, où les Omeyyades maintiennent une paix armée. Ces tribus appartiennent au monde bédouin, soit un monde pauvre, où la survie passe par des liens forts dans le clan, qui leur permettent de se protéger. Un grand message religieux,  l’Islam, est la force dépassant les clivages claniques. Mohammed a été chassé de la centralité de la Mecque – ce qui se rapproche le plus d’un État -, est allé à Médine, et conquiert La Mecque grâce à l’aide des troupes bédouines médinoises. Après sa mort, grâce à la force du message, les successeurs de Mohammed parviennent à maintenir les troupes bédouines en ordre ce qui permet la conquête de la Perse et une grande partie de l’Empire byzantin (obligation de conquête pour pérenniser le proto-État).
  • Néanmoins, au fur et à mesure du temps, les Arabes s’habituent aux cultures sédentaires et à la richesse locale. La ville, par son abondance, rend obsolète les pratiques de survie tribale. De ce fait, les conquérants, les Arabes, perdent leur tranchant militaire. L’Arabe et l’Islam, la langue et la religion des vainqueurs commencent à se diffuser et les Arabes perdent, du coup, leur étrangeté, par rapport aux vaincus. Mais pour maintenir l’État, et pour maintenir l’impôt qui lui permet de survivre, il faut une armée forte, et étrangère aux Arabes. Il faut, pour le pouvoir, recruter des forces étrangères issues des zones tribales (Berbères dans le Maghreb et Turcs d’Asie centrale) pour maintenir l’ordre dans son territoire. L’empire islamique doit également surveiller les révoltes issues de l’Arabie devenue étrangère à cet ensemble. Paradoxe : l’EI a donc des références envers un État déjà étranger à l’Arabie de Mohammed et tente sur chaque question liée à l’installation de son État d’aller au plus ancien.

Mais cette combinaison recèle un problème de taille. Les Turcs et les Berbères à qui on a confié les fonctions de violences supplantent, par leur contrôle militaire, graduellement, le pouvoir des Arabes. C’est donc aux clients, à la fin du cycle de vie de l’État, que revient le pouvoir. Ils font et défont les souverains, qui ne deviennent plus qu’une marionnette et, à partir de Xème siècle environ, les Arabes ne contrôlent plus les destinées de l’Empire islamique qui se morcelle. La vague bédouine turque seldjoukide déferle sur les restes de l’Empire et on recommence le cycle de vie de l’État, avec les Turcs à sa tête.

La structure d’Ibn Khaldûn au coeur de l’organisation étatique de Daesh.

Cette règle est inamovible dans le monde médiéval, et l’EI ne tente pas de la contester mais bien d’y retourner. Cependant, lorsque les conquérants s’acculturent aux populations soumises, le travail de légitimation commence et vise à pérenniser leur place au sommet de l’État. C’est dans cela que s’inscrit les évolutions du Califat médiéval et celui de l’EI. On remarque néanmoins que sa situation précaire le contraint à avancer beaucoup plus rapidement que la structure khaldunienne – à peine deux ans sur chaque étape contre vingt à quarante ans en général -. Il s’agit donc d’un facteur d’instabilité, notamment face aux tribus sunnites. C’est d’ailleurs, peut-être, la grande erreur des combattants djihadistes : forcer la marche de la théorie d’Ibn Khaldûn en massacrant les tribus sunnites dès l’été 2014, alors qu’elles sont encore en état de combattre, montre bien que la représentation prend le pas sur la réalité. En effet, pour les terroristes, les tribus sont l’antithèse de l’État, ce qu’observe d’ailleurs Ibn Khaldûn. Là Ibn Khaldûn parle d’un phénomène naturel les tribus sont absorbées par l’État en gestation, Daesh organise des massacres pour régler rapidement le problème.

Obsédés par l’idée d’un Califat impérial et déterminés à utiliser la théorie d’Ibn Khaldûn pour le ramener dans le monde temporel, les terroristes de Daesh ont sacrifié artificiellement leurs assises tribales pour arriver le plus vite possible à un État fonctionnel. Il en résulte une période dite “étatique” effective d’à peine deux ans, et un effondrement fulgurant durant l’année 2017. Au final, leur incompréhension est une conséquence de leur idéologie : la théorie d’Ibn Khaldûn décrit des comportements humains, avec des aspects politiques, sociologiques, économiques et est issue du fruit d’un travail au cœur du terrain et des acteurs, qu’ils soient tribaux ou citadins. Pour les djihadistes, Ibn Khaldûn est tout simplement un manuel de réinstallation du Califat médiéval, qui apparait, à leurs yeux, comme le régime politique le plus pur et le plus proche de la révélation coranique. Cette erreur, subtile mais lourde de conséquence, doit être prise en compte dans la lutte politique, culturelle et historique face à Daesh qui tente d’homogénéiser le monde musulman autour de son idéologie obscurantiste.

Fort de cette mise au point, avec un exposé rapide de la théorie d’Ibn Khaldûn, et avec le fait de savoir pourquoi le philosophe est utilisé par les djihadistes de l’EI, nous pouvons tenter une grille d’analyse de l’évolution étatique de Daesh grâce à la structure donnée précédemment.

Schéma des périodes étatiques de l’EI :

Bornes chronologiques Asabiyya Da’wa Force militaire Développement de l’État.
2012-2014 conquêtes Forte, grâce au concours des tribus arabes et des anciens officiers baasistes de l’armée irakienne. Forte, par l’héritage de Zarqaoui et la scission avec Al Qaida. Forte, les Arabes tribaux et les sunnites ralliés à l’EI étant bien commandés par les anciens officiers baasistes. Faible, les violences engendrées par les premières attaques de l’EI détruisant le pouvoir des administrations précédentes.
2014-2015

Instauration de l’État

Moyenne, les pertes subies par les Arabes et l’installation de l’État après leur conquête émoussant leur capacité militaire (siège de Kobané, etc.) Révolte des tribus refusant l’impôt. Forte, par la mise en place de la propagande. (Dabiq, Amaq, etc.). Moyenne, les pertes subies désorganisant la chaîne de commandement. Moyen : reprise en main des structures de l’État, lutte, lutte contre la corruption, mise en place des structures juridiques et de l’administration.
2015-2016

Expansion de l’État, début du déclin

Faible, les capacités militaires passant aux mains des combattants caucasiens, turcs et eurasiatiques sous le commandement d’Al Chichani. Moyenne, mise en place de contre-mesures face à la propagande de l’EI, qui récolte néanmoins les fruits de son travail (attentats du 13 Novembre, du 14 Juillet, etc.). Forte en apparence, Al Chichani arrivant à tenir globalement les positions de l’EI en restant sur la défensive, mais leur nombre est faible. Fort, pérennisation des structures de l’État, tentatives d’uniformiser la justice, l’impôt, création d’une monnaie.
2016

Effondrement

Inexistante, le départ des forces vives de l’EI après la mort d’Al Chichani scellant la défaite de l’EI. Faible, les organes de propagande souffrant du recul de l’EI. Inexistante, le départ des caucasiens et de leurs alliés turcs et eurasiatiques ne laissant pas véritablement de régénération de l’appareil militaire.

 

Faible, la perte de Mossoul et le siège de Raqqa entraînant l’effondrement de l’État.

 

On voit donc, au travers de tous ces schémas, que l’organisation étatique est pensée, rationnelle et qu’elle a globalement rempli son but : créer un État fonctionnel, qui se veut capable de puiser dans les références de l’âge d’or impérial islamique. Si la partie « État » de l’EI est tombée au moment du siège de Mossoul, le souvenir, les archives numériques et la jurisprudence restent. De ce fait, si l’EI arrive à se territorialiser à nouveau, le groupe terroriste n’aura plus à tâtonner autant dans l’installation de l’Etat. Il bénéficie, dorénavant, de la partie théorique d’Abu Bakr Naji et la partie pratique de la zone irako-syrienne.

[1]« Esprit de corps », « solidarité », renvoie à la cohésion de la tribu ou du pouvoir politique dans un cadre Étatique.

[2]« Message religieux », renvoie ici à la puissance du message religieux comme manière de créer ou de consolider une asabiyya.

[3]Indique la capacité de l’État à se protéger des forces extérieures et à assurer la sécurité de la capitale.

[4]Indique la capacité de l’État à lever l’impôt et sa faculté à désarmer les populations sous son administration.

 

Le retour de Daesh

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Char_Etat_islamique_Raqqa.jpg
Char de l’Etat islamique à Raqqa ©Qasioun News Agency [CC BY 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by/3.0)]

Proclamé vaincu après la chute de Raqqa en octobre 2017, le groupe État islamique (EI), loin d’être abattu, conserve une présence en zone irako-syrienne et se réorganise, en Afrique comme en Asie.


À bien des égards, la montée soudaine de l’EI en 2014 et sa défaite tout aussi spectaculaire en 2017 apparaît pour les experts et les médias comme une terreur nocturne dont le souvenir en est brisé au petit matin. À l’origine spécialiste reconnu d’Israël, l’historien Pierre Razoux, dans son entretien du 6 juillet 2018 pour Geostrategia, avance que l’État islamique est une organisation finie, que ses djihadistes attendent de ressortir sous un nouveau nom et qu’Al Qaïda, passée au second plan, retrouve ses forces et ne pourra, mécaniquement, que sortir vainqueur de ce schisme dans le monde djihadiste. En tout état de cause, il semblerait que Pierre Razoux et les autres experts sur la question qui soutiennent ces opinions oublient la phrase tirée du livre premier de De la Guerre de Clausewitz :

« Finalement, l’issue ultime d’une guerre tout entière ne peut jamais être conçue comme un absolu ; souvent l’État vaincu y voit plutôt un mal temporaire, auquel les circonstances politiques de l’avenir pourront remédier. »

On rétorquera qu’une organisation comme l’EI n’existait pas dans le monde du congrès de Vienne (1815) de Clausewitz ; qu’adapter une citation sise dans une époque à une autre est un acte peu scientifique ; ou encore que l’EI n’ait jamais créé véritablement d’État. C’est oublier que les djihadistes se sont inspirés des écrits de Clausewitz, notamment par des exemplaires annotés retrouvés dans un camp d’entraînement d’Al Qaïda à Tora Bora. C’est oublier également que la présence de l’EI en zone irako-syrienne s’est marquée par le développement d’une administration, par la levée de l’impôt, par la mise en place d’un service public, d’une économie et d’une armée, soit quasiment tous les attributs pouvant constituer un État. Seule ombre au tableau, l’échec du lancement de la monnaie, qui accaparait bien plus l’attention du calife autoproclamé de l’EI, Abou Bakr al-Bagdhadi, que le recul de son organisation au niveau militaire. Enfin, si la phrase de Clausewitz s’applique à l’origine pour des États déjà établis, elle peut aussi s’expliquer au travers de groupes sociaux, ethniques ou politiques bien particuliers. En somme, la phrase de Clausewitz est un avatar politique du vieil adage : « ce qui ne tue pas, rend plus fort ».

Si l’État islamique a été vaincu au niveau militaire, il reste présent sur les territoires qu’il contrôlait préalablement, son trésor de guerre a été mis à l’abri bien avant l’arrivée des Kurdes à Raqqa, son calife est toujours vivant, tandis que les éléments les plus redoutables de ses combattants, les Caucasiens et les Centrasiatiques, ont graduellement quittés la zone irako-syrienne fin 2016 et début 2017. De même, si l’administration de l’EI s’est effondrée, le fondement de sa montée en puissance reste toujours très forte en Irak. L’État irakien reste corrompu, le dialogue avec sa population sunnite est coupé par la campagne de violence que l’EI réinstaure depuis quelques mois au nord de Bagdad, dans la région de Diyala et de Salaheddin. Loin d’être abattu en Irak, l’EI réoriente sa stratégie sur une campagne de violence aveugle en s’en prenant aux symboles de l’État, selon le même processus qu’en 2014. La nouveauté, ici, est l’intérêt porté aux jeunes, qui sont particulièrement ciblés par une propagande encore très efficace. C’est donc bien sur le long terme que s’inscrit l’action de l’EI.

Malgré ces signes, que relaient les plus éminents spécialistes de la question, comme Pierre-Jean Luizard ou Myriam Benraad, la plupart des experts maintiennent donc cette idée qu’Al Qaïda va recouvrer sous peu ses « droits historiques » sur le djihadisme mondial. Cette volonté de diminuer l’action de l’EI jusqu’à la rendre anecdotique malgré la réalité du terrain revient à retourner à une configuration du début des années 2000 où Al Qaïda était quasiment seul dans la galaxie djihadiste. Les thuriféraires de la vision simplette du pouvoir macronien sur la question du terrorisme international entrent, finalement, dans la vieille expression irlandaise : « Better the devil you know, than the devil you don’t ». Mais se concentrer sur le premier diable (Al Qaïda) n’effacera en rien le second (l’EI), qui continuera à évoluer et à être sous-estimé.

Le chaos libyen, un terreau fertile pour Daesh

Depuis sa défaite à Syrte en décembre 2016, l’EI a pu gagner le désert libyen pour regagner des forces. Sa mobilité lui a permis de se placer au centre des grands trafics en provenance du Sahel, tels que la drogue, les cigarettes, les voitures ou encore les êtres humains. L’EI n’est ni le plus puissant, ni même le plus violent des groupes qui se partagent ces trafics. Comme les autres, il arrête les migrants pour les enrôler de force ou exploiter leur force de travail pendant deux ou trois semaines, avant de les relâcher, épuisés et mourants, à la discrétion du prochain groupe armé qui les trouvera. Le cycle infernal se reproduira pour les migrants jusqu’à ce qu’ils gagnent la côte. La position de l’EI dans ce trafic répond aussi à des nécessités purement matérielles, en recherchant constamment de nouvelles pièces détachées pour ses véhicules malmenés par les rigueurs du désert. Nous sommes ici dans quelque chose de fondamental pour l’existence des groupes armés dans la région : sans pièces détachées, pas de mobilité, et, sans mobilité, l’existence du groupe armé et compromis. Enfin, la volatilité de l’EI lui permet de sortir ponctuellement du désert libyen pour s’approprier d’autres trafics et établir des liens avec ses affidés hors du pays. Par exemple, l’EI pénètre régulièrement les frontières égyptiennes par l’Est de la Libye, où il massacre des Coptes. A cela, il faut ajouter la mainmise des terroristes sur le trafic d’antiquités égyptiennes. Ils y achètent le butin des pilleurs de tombes, armés depuis 2013-2014, le font passer en Libye via les réseaux du trafic d’armes, et l’écoule jusqu’en Espagne, où les biens volés côtoient les antiquités grecques auxquelles l’EI a aussi accès.

“Depuis l’annonce de son grand retour en septembre 2017, l’État Islamique, en particulier depuis l’hiver 2017-2018, maintient une pression importante sur les troupes de l’ANL (Armée Nationale Libyenne) dirigée par le maréchal Khalifa Haftar dans la région de l’oasis de Jufrah comme dans la zone du terminal pétrolier de Ras Lanouf”.

Cette autonomie financière associée à une importante liberté de mouvement de la part du groupe djihadiste lui offre un rayon d’action recouvrant les grandes régions du pays, la Tripolitaine et la Cyrénaïque. Depuis l’annonce de son grand retour en septembre 2017, l’EI, en particulier depuis l’hiver 2017-2018, maintient une pression importante sur les troupes de l’ANL (Armée Nationale Libyenne) dirigée par le maréchal Khalifa Haftar dans la région de l’oasis de Jufrah comme dans la zone du terminal pétrolier de Ras Lanouf. La pression que maintient l’EI et l’impossibilité pour Haftar de vaincre l’organisation terroriste à ses portes témoigne de la faiblesse relative de son armée. De même, la santé du vieux maréchal, déclinante, ouvre la question de sa succession, et de la mainmise de sa tribu, les Furjani, à la tête de l’ANL.

En Tripolitaine, le retour de Daesh s’est déroulé de manière plus tardive, du fait de la présence des milices de Misrata, qui avaient vaincu l’EI à Syrte. D’autres groupes armés islamistes sont également présents et constituent un obstacle à la progression de Daesh. Ceux-ci sont souvent des groupes clients du gouvernement de Tripoli, qui représente l’entité politique légitime de la Libye face au gouvernement de Tobrouk, protégé par l’armée du maréchal Haftar. Néanmoins, l’EI n’avance pas ici en terrain étranger. Il ne fait que réinvestir ses anciennes positions, en particulier dans la zone de Béni Walid, au Sud de Tripoli et à l’Ouest de Misrata. On a pris la mesure de cette nouvelle position en mai dernier avec la mort d’un émir de l’EI dans la zone, mais ce retour est probablement antérieur à cette date, on peut même considérer que le groupe djihadiste y a toujours maintenu une présence minimale en dépit de ses déconvenues militaires. De fait, le renouveau de Daesh en Tripolitaine implique de nouvelles attaques au cœur même de la capitale libyenne, avec un attentat contre la commission électorale de Tripoli le 2 mai 2018.

Autonome financièrement, mobile et capable de frapper dans tout le pays, l’EI a finalement retenu la leçon infligée par les milices de Misrata à Syrte : lors de sa première existence en Libye, Daesh était un corps étranger tentant d’appliquer les mêmes recettes ayant abouti à la mise en place de son « califat » en zone irako-syrienne. Dorénavant, l’EI agit comme un acteur intégré au monde libyen. S’il ne se territorialisera pas ou, du moins, imparfaitement, il gagne en résilience et en adaptabilité. Il s’agit d’un acteur redoutable quasiment impossible à déloger au vu de la situation actuelle.

L’EI en Égypte, un parasite capable de dévorer son hôte

L’Égypte est le second théâtre africain d’importance pour le groupe terroriste. Depuis novembre 2014, l’EI a reçu l’allégeance du groupe Ansar Bait al-Maqdis, symbolisé par un cérémonial organisé en zone irako-syrienne par le groupe terroriste, avec l’envoyé du groupe égyptien faisant allégeance à al-Baghdadi en personne. Si Daesh est l’organisation en présence, ce sont en réalité les autorités d’Ansar Bait al-Maqdis qui continuent le combat et décident du destin de la wilaya. L’apport de l’EI y est plus technique et humain. On peut parler d’ouverture d’une route à destination de la Libye gangrenée par l’EI, comme l’atteste la présence de Libyens dans le conseil de la Shura du groupe égyptien. À cette interconnexion s’ajoute la violence et l’horreur des actions dont Daesh est coutumier. En novembre 2017, un attentat dans une mosquée dans le nord du Sinaï fait 300 victimes. Cette attaque n’est que l’apogée d’une longue suite d’attaques depuis le début de l’insurrection du Sinaï en 2011. L’EI, qui n’a fait qu’imprimer sa marque dans un conflit déjà profondément enraciné, provoque l’intervention de l’armée égyptienne en février 2018.

“Plus l’État Islamique tient au Sinaï, continue à se développer dans le sud de l’Égypte, et monte des incursions depuis l’Est de la Libye, plus le régime d’Al Sissi se sclérosera”.

L’offensive de l’armée égyptienne met à mal l’EI dans la région. Les tribus bédouines favorables à l’armée se rallient à l’État central, l’armée sécurise la frontière avec la bande de Gaza, ce qui diminue la contrebande et ralentit modérément la pénétration de Daesh dans la zone. De même, le groupe terroriste ne peut plus compter sur l’appui de la centralité irako-syrienne, vaincue à Raqqa en octobre 2017. Néanmoins il peut s’appuyer sur l’arrivée de quelques combattants issus de l’ancienne Union Soviétique. Mais ces combattants ne forment qu’une force d’appoint et ne menacent donc pas le pouvoir des tribus bédouines au sein du groupe. De même, l’armée égyptienne pêche par sa méfiance généralisée envers les tribus bédouines de la région. Incapable de reconnaître les différentes allégeances des tribus, et incapable de comprendre à quelles tribus appartiennent les individus, les militaires égyptiens ont traité tous les tribaux comme des ennemis potentiels. En découle un affaiblissement significatif du support tribal à l’armée, synonyme d’une neutralité vis-à-vis de l’EI, voire d’un renforcement de ses effectifs.

Cette incapacité d’adaptation de l’armée égyptienne, la destruction des infrastructures synonyme d’une détérioration du niveau de vie des bédouins, le peu d’intérêt du gouvernement central pour le sort de ceux-ci et l’indifférence vis-à-vis du développement de la région implique que l’EI apparaît de plus en plus comme le porte-flambeau du monde tribal face au gouvernement citadin et brutal du Caire. Engoncée dans un territoire qui lui est étranger, l’armée égyptienne se trouve embourbée dans une guerre d’attrition où le défenseur est nécessairement le gagnant politique de la confrontation. Pire encore, le régime d’Al Sissi tire sa légitimité à l’égard de la population en lui assurant une sécurité face au terrorisme. De fait, le calcul est simple : plus l’EI tient au Sinaï, plus il continue à se développer dans le sud de l’Égypte et mène des incursions depuis l’Est de la Libye, plus le régime d’Al Sissi se sclérosera. Si le régime égyptien se laisse emprisonner dans le cercle géographique et politique que lui dessine Daesh, alors les possibilités de déstabilisation du pays seront très fortes. Si, à ce jour, ces critères ne sont pas réunis, c’est toute la région qui est concernée par un tel risque.

L’Afghanistan, zone principale du repli des djihadistes de la zone irako-syrienne

L’Afghanistan connait déjà l’insurrection des Talibans qui contrôlent une grande partie du pays et n’ont jamais paru aussi fort depuis l’invasion américaine de 2001. Dès 2014, al-Baghdadi déclare vouloir étendre son « califat » en Afghanistan et en Asie centrale. En janvier 2015, le porte-parole de l’organisation, Abu Muhammad al-Adnani, déclare officiellement la création de la province du Khorassan, du nom de l’ancienne région médiévale regroupant l’Est de l’Iran, le Sud des anciennes républiques soviétiques, ainsi que l’Ouest de l’Afghanistan.

Cette région du Khorassan témoigne bien de la volonté des autorités de l’EI de briser les frontières issues de l’ancien grand jeu entre les anciennes puissances coloniales de la région, c’est-à-dire la Russie en Asie centrale et l’Empire britannique dans le sous-continent indien. L’Afghanistan est considéré alors par ces grandes puissances comme un « État tampon » qui était, de toute manière, impossible à vraiment contrôler du fait de la topographie et de la combativité des tribus. La fin de la domination britannique dans les Indes en 1947 comme l’effondrement de l’URSS en 1991 ne remettent pas en question ces frontières. De la même manière qu’en Irak, en Syrie et dans l’Afrique du Nord, l’EI se joue des frontières héritées de la colonisation. S’il est plus visible en Afghanistan, son action se situe aussi dans les anciennes républiques soviétiques, au Pakistan et jusqu’au Kashmir indien.

La réorganisation de Daesh en Afghanistan est devenue palpable entre 2016 et 2018. Bénéficiant de l’arrivée des vétérans de la zone irako-syrienne, l’État islamique compterait près de 10 000 combattants, selon les estimations du ministère des affaires étrangères russe. Les autorités afghanes annoncent un nombre de djihadistes avoisinant les 3000. Il n’empêche, les quelques centaines de membres que comptaient l’EI en 2015 en Afghanistan ne sont plus qu’un souvenir, alors que le groupe terroriste compte au moins plusieurs milliers de combattants dans la zone. Avec cette nouvelle force, l’État islamique est en mesure d’imposer son agenda aux autres acteurs, quitte à contester l’hégémonie des Talibans dans l’insurrection face à l’État central afghan. Dans sa volonté de se territorialiser, l’EI applique les mêmes recettes qu’en Irak et en Syrie. Il s’agit d’un processus tiré du manuel De l’administration de la sauvagerie, dont s’inspirent les terroristes depuis les premières violences qui ont été à l’origine de l’instauration du proto-État en zone irako-syrienne :

  • Les djihadistes s’en prennent aux minorités religieuses qui sont la cible d’attentats, de raids ou de massacres. En Afghanistan, les djihadistes perpétuent des massacres dans les villages chiites hazaras ou parmi la minorité sikhe à Jalalabad. Par ces tueries, ils montrent que l’État central est incapable de protéger sa population. De même, ils éliminent toutes les autres organisations djihadistes dans la région. Il faut que l’EI soit seul et monopolise la violence face à l’État qu’il cible. Il instaure une polarisation à tous les niveaux de la société.
  • Cela est renforcé par le fait que les bâtiments publics (commissariats, prisons, perceptions, écoles, etc.) sont une cible récurrente des terroristes. En frappant des cibles, qui n’ont parfois aucune valeur militaire, les djihadistes montrent que l’État est incapable de protéger les bâtiments qui lui donnent une assise symbolique et spatiale sur la population qu’il contrôle.
  • Une fois ce processus engagé, l’État central se délite et laisse la place à un chaos généralisé ; la criminalité se développe, les salaires ne sont plus versés et la violence croît. C’est à ce moment, qualifié de « critique » par les auteurs de l’ouvrage, que les terroristes s’approprient le rôle de l’État. Ils éradiquent la criminalité, organisent des soupes populaires, luttent contre la corruption, mettent en scène des exécutions publiques et versent les salaires des fonctionnaires. Une fois ce moment passé, les djihadistes peuvent installer leur État obscurantiste sur les structures de l’ancien État.

“En quelques mois, l’État Islamique s’en est pris aux chiites hazaras, aux sikhs, aux talibans, à l’armée régulière, aux bâtiments publics à l’intérieur de la capitale, et jusqu’aux services de renseignements afghans”.

Les derniers mois ont vu une explosion de la violence de la part des djihadistes de l’EI en Afghanistan sans commune mesure avec ce que l’on pouvait observer les années précédentes. En quelques mois, les terroristes s’en sont pris aux chiites hazaras, aux Sikhs, aux Talibans, à l’armée régulière, aux bâtiments publics à l’intérieur de la capitale et jusqu’aux services de renseignements afghans. Seul rempart face au renforcement de l’EI, les Talibans lui mènent la vie dure dans la région de Jalalabad : plus d’une centaine de djihadistes ont déjà été tués depuis que Daesh a démarré sa campagne de violence en mai dernier. Néanmoins, si les Talibans sont devenus très forts, ils sont affaiblis par la présence de l’EI lui-même. Ses membres n’ont pas tous la même attitude face à Daesh. Là ou certains combattent l’EI comme une infestation étrangère, d’autres coopèrent avec lui dans ses massacres de villages chiites, qui sont autant de points stratégiques dans les montagnes. Là où la direction des Talibans entretient un dialogue ténu avec les États-Unis et – ponctuellement – avec le gouvernement afghan, les plus radicaux d’entre eux sont séduits par l’EI, qui ne dialogue avec personne et cherche l’élimination du gouvernement central afghan. De même, les plus jeunes des Afghans souhaitant s’engager pour le djihad sont davantage attirés par le discours universel de l’EI  et par les histoires des revenants de la zone irako-syrienne. En face, la mouvance nationaliste des Talibans, très influente dans les territoires mais éreintée par une guerre qui dure depuis 17 ans, a du mal à attirer autant de recrues que Daesh. Il n’empêche, devant l’impotence de l’armée afghane et l’incompétence du gouvernement, les Talibans apparaissent comme le seul rempart à une nouvelle territorialisation de Daesh. Pareille territorialisation, même imparfaite, serait catastrophique. Les djihadistes bénéficieraient alors d’un nouveau centre permettant d’alimenter l’instabilité dans la région.

Mais une territorialisation, que ce soit en Libye, en Égypte ou en Afghanistan, ne sera que temporaire aux yeux des djihadistes. De la même manière que le prophète Mahomet est expulsé de la Mecque, acquiert à Médine des forces considérables et retourne en vainqueur dans la ville dont il a été chassé, les djihadistes ayant fui le Moyen-Orient appliquent ce processus à leur histoire propre : leur Mecque n’est autre que la zone irako-syrienne. Leur Médine, les points de chute qu’ils ont trouvés, même si l’Afghanistan fait figure de principal lieu de repli. Leur envie est donc de retourner en zone irako-syrienne, de la même façon que Mahomet est retourné à La Mecque : victorieux. Cette vision du monde inspirée de l’épisode de l’Hégire est d’une importance capitale pour comprendre leurs motivations. Et, enfin, pouvoir construire l’amorce d’une stratégie mondiale sur le long terme face aux djihadistes.

Par Louis-Abel Constant

Pour aller plus loin :

Benraad Myriam, L’État islamique pris aux mots, Malakoff, Armand Colin, « engagements », 2017.

Guidère Mathieu, le retour du Califat, Paris, Gallimard, « Le débat », 2016.

Jambu Jerôme, Daech, la monnaie comme arme, AFHE, 2016, https://afhe.hypotheses.org/8669

Korinmann Michel, Chaosland : Du Moyen-Orient à l’Asie (du centre ?), Bègles, L’esprit du temps, « Outre-terre », 2017.

Luizard Pierre-Jean, Le piège Daech, l’EI ou le retour de l’Histoire, Paris, La découverte, 2017.

Mouline Nabil, Le Califat, histoire politique de l’Islam, Paris, Flammarion, « Champs, Histoire », 2016.

Nasr Wassim, L’État islamique, le fait accompli, Paris, Plon « tribune du monde », 2016.

Martinez-Gros Gabriel, Brève histoire des empires, comment ils surgissent, comment ils s’effondrent, Paris, Éditions du seuil, « la couleur des idées », 2014.