« Il ne suffit pas de sortir de l’euro pour redevenir souverain » – Entretien avec David Cayla

L’économiste David Cayla. © Manon Decremps

La crise de 2008, celle des dettes souveraines du Sud de la zone euro, la pandémie et maintenant la crise inflationniste ne cessent de montrer les limites d’un modèle économique où le marché est censé permettre la meilleure allocation des ressources. Contrairement aux néolibéraux, qui pensent que le marché doit être simplement mieux organisé grâce à l’action de l’Etat, l’économiste David Cayla considère que le marché est incapable de remplir la mission qui lui a été donnée. Pour ce membre des Économistes Atterrés, d’autres approches sont nécessaires. Celle de la théorie monétaire moderne (MMT) propose selon lui une réflexion intéressante, mais ne pourra suffire à elle seule à définir une nouvelle doctrine capable de remplacer le néolibéralisme mourant. Entretien.

Le Vent Se Lève : En 2020, dans votre livre Populisme et néolibéralisme, vous faisiez un lien entre les doctrines néolibérales et l’essor de mouvements populistes. Vous poursuiviez aujourd’hui votre étude du néolibéralisme – et son exégèse, avec Déclin et chute du néolibéralisme. Dans votre chronologie, ce courant de pensée naît dans les années 1920 et sa disparition a débuté en 2008. Ne vivons-nous pourtant pas toujours en régime néolibéral ?

David Cayla : En 2008, le monde connaît la plus grave crise financière depuis le krach de 1929. La soudaine faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers contraint le gouvernement américain, puis la banque centrale, à intervenir massivement pour sauver le système financier de la faillite. Ainsi, à partir de cette date, le rôle des banques centrales change et se politise. C’est la fin d’une époque fondée sur le principe de la neutralité de la monnaie et le désengagement continuel de l’État.

Le livre entend démontrer que le néolibéralisme est en déclin depuis cette date. Cela ne veut pas dire qu’il ait disparu, mais plutôt que nous ne sommes jamais vraiment revenus au monde d’avant. Ainsi, les banques centrales, du moins dans les pays développés, ont largement contribué à financer les besoins financiers des États lors de la pandémie de Covid. Pour autant, on ne va pas jusqu’à remettre en cause l’indépendance des banques centrales. Même si un certain nombre de pratiques néolibérales ont été abandonnées, le néolibéralisme continue de dominer les esprits et les représentations. Nous sommes donc dans une phase de transition et il est difficile de prévoir quelle nouvelle doctrine succédera au néolibéralisme.

LVSL : Dans votre ouvrage, vous rappelez en effet que la neutralité des banques centrales vis-à-vis du pouvoir politique est un élément central du néolibéralisme. Vous pointez notamment la grande proximité entre la création de la Bundesbank après-guerre, qui dispose d’un statut indépendant et du mandat centré sur la stabilité des prix, et la Banque Centrale Européenne. Pourquoi s’être aligné sur l’Allemagne ?

David Cayla : L’Union Européenne s’est construite sur un accord franco-allemand dans les années 1950. Lors de cette discussion, il y a eu une sorte de compromis fondé en partie sur l’ambiguïté des textes. Quand on lit le traité de 1957 qui instaure la CEE, il y a beaucoup de choses qui peuvent aller dans des directions opposées. Au fur et à mesure du développement de la CEE, puis de l’Union Européenne, l’interprétation allemande des textes s’est mise à prédominer. Ainsi, on peut dire que la vision allemande a gagné en influence à partir des années 1980-1990. La monnaie unique apparaît dans ce contexte de domination de l’interprétation allemande. De plus, pour que les Allemands acceptent de perdre leur monnaie fondée sur des principes ordolibéraux (la version allemande du néolibéralisme), ils ont exigé que l’euro fonctionne comme le Deutsche Mark, c’est-à-dire avec une banque centrale indépendante, centrée sur l’objectif de stabilité des prix.

Le Vent Se Lève : Pourquoi la France dirigée alors par un président socialiste, accepte-t-elle l’institutionnalisation du monétarisme via le traité de Maastricht ? De manière générale, comment expliquer la prédominance de politiques français issus du Parti Socialiste dans la constitution de la mondialisation financière, par exemple avec Pascal Lamy ou Jacques Delors ?

David Cayla : Il faut se replacer dans le contexte de l’époque et rappeler que la mondialisation financière s’est construite en trois temps. Lors de la première phase, celle issue du capitalisme encastré des accords de Bretton Woods : les taux de change des monnaies étaient administrés, les droits de douanes élevés et les flux financiers internationaux contrôlés. Il y avait des échanges financiers internationaux bien sûr, mais ces derniers étaient sous la coupe des institutions politiques. La plupart des banques centrales n’étaient alors pas indépendantes. Ce système s’effondra à partir de l’été 1971, lorsque Nixon annonça la fin de la convertibilité en or du dollar.

La deuxième phase, la phase d’internationalisation financière, apparaît lorsque des pays comme les États-Unis, décident unilatéralement de libéraliser les flux financiers et de laisser flotter leurs monnaies. Lors de cette phase, certains pays tentent d’attirer les capitaux internationaux. Cette deuxième phase fondée sur la concurrence permet à chacun de réguler son système financier comme il l’entend. Il n’y a pas d’harmonisation des règles.

La troisième phase, celle de la mondialisation financière proprement dite, apparaître dans les années 80. C’est une phase qui engendre l’harmonisation des règles en matière de régulation financière. Cette harmonisation nécessite un cadre commun qui sera négocié au sein d’institutions telles que le FMI, l’OCDE ou l’Union Européenne. C’est en 1986 que l’acte unique européen est signé. C’est cette troisième phase qui va être promue par des socialistes français et qu’a étudié l’historien britannique Rawi Abdelal. Elle va conduite à interdire le contrôle les mouvements de capitaux et à sacraliser partout dans le monde l’indépendance des banques centrales. Les normes de la gouvernance néolibérale vont alors s’imposer.

Dans la perspective des socialistes français qui les ont promues, il y avait l’idée qu’on pourrait ainsi mieux contrôler et canaliser la mondialisation financière. Sauf que les effets sont allé dans le sens inverse : en interdisant aux États de contrôler leurs flux financiers et en libéralisant les marchés financiers, on a nourri les paradis fiscaux et organisé la concurrence fiscale à l’échelle mondiale. La mondialisation financière est sans conteste la conséquence la plus importante des politiques néolibérales.

LVSL : Vous expliquez aussi clairement que le néolibéralisme a été, paradoxalement, planifié. Il a été sciemment mis en place alors qu’il prône la spontanéité du marché. Comment expliquer ce paradoxe ?

David Cayla : Précisions d’abord que, dans l’histoire du XXe siècle, il y a eu des phases de régulation économique, comme celle des 30 glorieuses, et des phases de libéralisation. Là où il y a un paradoxe, c’est que la phase de régulation qui s’ouvre aux États-Unis avec la crise des années 1930 prend les États et les économistes de court et n’a donc pas été théorisée au préalable. Lorsque survient la Seconde guerre mondiale, les États en viennent à contrôler l’essentiel des prix pour permettre de réorienter l’économie d’un système productif fondé sur les besoins civils à une économie devant répondre aux impératifs de la guerre. Cette phase de contrôle des prix sera allégée une fois la paix rétablie, mais ce n’est qu’à partir des années 1970 qu’elle sera véritablement abandonnée.

La phase de libéralisation de l’économie apparaît lorsque le système économique des 30 glorieuses commence à s’essouffler, à partir de la fin des années 1960. Et c’est à ce moment qu’interviennent les économistes néolibéraux. Ces derniers avaient une théorie toute prête qui disait que l’État ne peut pas contrôler les prix sans engendrer de l’inefficacité.

Il se trouve que la doctrine néolibérale fut conçue dans les années 1920 et 1930 pour contester le système soviétique. A l’époque, il y a un débat chez les économistes pour savoir si le système soviétique pouvait ou non être efficace. Certains économistes l’affirmaient, parce qu’il y a un côté rationnel dans la planification et parce qu’ils pensaient que le contrôle de l’économie par l’Etat pouvait éviter un certain nombre de coûts de marché. D’autres économistes, comme Ludwig von Mises ou Friedrich Hayek, tentèrent alors de démontrer que lorsque l’État contrôle les prix, il se prive du marché. Or, ce dernier constitue pour eux un outil indispensable pour agréger et diffuser l’information dispersée détenue par les agents économiques.

Pour les néolibéraux, la fonction première du marché est de déterminer un système de prix, lequel constitue un système d’incitations permettant de coordonner la société et de parvenir à l’efficacité. Cette réflexion, qui est la base du néolibéralisme, n’a pu être mise en œuvre alors en raison d’un renforcement inverse de régulation étatique pour faire face à la crise et à la guerre. De plus, l’Union Soviétique n’a pas périclité, contrairement à ce qu’ils pensaient. Au contraire, le système soviétique a tenu 70 ans et l’URSS est devenue une superpuissance dans les années 1950 et 1960.

En fin de compte, les néolibéraux ont dû attendre 50 ans et la chute du système de Bretton Woods pour que le néolibéralisme soit enfin mis en œuvre. On a alors progressivement libéralisé les marchés afin de faire éclore des prix n’émanant pas du pouvoirs politique.

LVSL : Vous mettez en avant une corrélation entre croissance et limitation de la liberté de marché. Plus le marché est libre et plus le taux de croissance serait faible. Pouvez-vous étayer ?

David Cayla : C’est un constat plutôt qu’une analyse. Je constate que les moments de forte croissance, sont des moments où les marchés ont été davantage contrôlés, comme lors de la période des 30 glorieuses. À l’inverse, les périodes néolibérales n’ont pas été très porteuses de croissance.

Pour autant, je ne dis pas que c’est directement à cause des politiques de libéralisation qu’on a connu un affaiblissement de la croissance. La fin de la forte croissance est plutôt liée à la désindustrialisation, qui est elle-même la conséquence des progrès de la productivité du travail et du changement des habitudes de consommation (les ménages consommant davantage de services en proportion de leurs revenus). Il y a néanmoins eu un effet négatif de la mondialisation : les pays riches se sont trouvés concurrencés par les pays en développement où les salaires sont beaucoup plus faibles et ils se sont affaiblis industriellement.

Il faut comprendre que la hausse de la productivité est liée à la mécanisation du travail et dépend donc, pour l’essentiel, du nombre des salariés travaillant dans des métiers mécanisables. Or, ce qui est mécanisable c’est surtout la production industrielle. En perdant son industrie, un pays comme la France a donc perdu son potentiel de croissance.

LVSL : Les néolibéraux s’appuient souvent sur des modèles mathématiques pour justifier leur politique. On peut citer par exemple celui d’Andrew K. Rose pour l’euro, ou de Rogoff sur les taux d’endettement public à ne pas dépasser pour ne pas affaiblir la croissance. Comment cette doctrine a-t-elle pu dominer si longtemps alors que ses modèles ont bien souvent été démentis par la réalité ?

David Cayla : Il faut d’abord distinguer la théorie économique de la doctrine. Les économistes font de la théorie : ils essaient de construire des modèles pour comprendre des phénomènes économiques, et ces modèles n’impliquent pas nécessairement des politiques particulières. La doctrine, c’est différent. C’est une forme d’acte de foi. On porte des jugements de valeur : « ça c’est bien » ou « ça c’est mal ».

Le néolibéralisme est une doctrine qui vise à diriger l’action politique : elle est normative, elle dit le bien. En tant que telle, les doctrines néolibérales s’occupent surtout des rapports entre l’État et le marché. Contrairement au libéralisme, le néolibéralisme n’est pas favorable au laissez-faire. Il dit au contraire que l’intervention de l’État est indispensable au bon fonctionnement des marchés parce que les marchés ne sont pas des espaces naturels, mais s’appuient sur des institutions sociales et politiques, sur le droit, etc. Autrement dit, le néolibéralisme entend mettre l’État au service des marchés afin qu’ils fonctionnent le mieux possible.

« Contrairement au libéralisme, le néolibéralisme n’est pas favorable au laissez-faire. Le néolibéralisme entend mettre l’État au service des marchés afin qu’ils fonctionnent le mieux possible. »

Dans les théories économiques, on a aussi aujourd’hui une mise en avant assez systématique du marché. Pourtant, à l’origine, chez Adam Smith ou David Ricardo par exemple, la pensée économique s’intéressait surtout à la production. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que la pensée économique met l’échange et l’allocation (donc le marché) au cœur de son analyse. De même, à la différence des économistes classiques qui pensaient en termes de classes sociales, la pensée économique contemporaine s’appuie sur des modèles fondés sur des agents individuels cherchant à maximiser leur utilité dans un cadre concurrentiel. Ainsi, l’approche dominante en économie, la théorie néoclassique, alimente clairement la doctrine néolibérale, même si elle s’en distingue et qu’on peut trouver des économistes adeptes de l’économie néoclassique qui ne sont pas néolibéraux et inversement.

De la même façon, ce qui caractérise les économistes hétérodoxes, c’est-à-dire ceux qui refusent le paradigme théorique dominant, n’est pas qu’ils soient contre le néolibéralisme mais que leurs théories relève d’un autre cadre intellectuel. Être hétérodoxe aujourd’hui, c’est souvent considérer que les marchés ne peuvent, par nature, être efficaces et que créer des institutions pour résoudre les défaillances de marchés est vain. Les approches hétérodoxes se distinguent donc clairement de la vision néolibérale.

Pour la plupart des économistes hétérodoxes, même en situation de concurrence parfaite, même avec des agents parfaitement rationnels et informés l’allocation d’un marché ne sera jamais optimale. C’est ce qu’on constate dans la finance. Pour les économistes mainstream, par exemple pour Jean Tirole dont j’étudie la pensée dans le livre, les crises financières telles la crise des subprimes relèvent toujours d’une défaillance de marché, des mauvais systèmes d’incitations, d’une insuffisance des régulateurs, etc. À l’inverse, les économistes hétérodoxes affirment qu’il ne suffit pas de rendre les marchés parfaits pour que mécaniquement le système économique fonctionne mieux et que c’est le principe même de la régulation par les marchés qui engendre des crises.

LVSL : Les monétaristes considèrent que la stagflation des années 1970 est due à l’excessive régulation des marchés. Quelle explication retenez-vous de cet événement ? Comment comprendre lhégémonie de l’explication monétariste dans le débat public jusqu’à maintenant ?

David Cayla : Dans les années 1950 et 1960, l’inflation était relativement faible. Elle apparaît soudainement dans les années 70, notamment lors des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 et dépasse alors les 10 %. Cette forte inflation, qui dure, pose question à tout le monde, d’autant qu’elle entraine des tensions sociales.

Pour expliquer l’inflation des années 1970, les monétaristes disposent d’une réponse simple, à l’image de Milton Friedman qui déclare que l’inflation a toujours une cause monétaire, autrement dit qu’elle résulte d’une politique monétaire trop expansive. Dans la vision monétariste, c’est parce que les banques centrales créent trop de monnaies que l’inflation émerge. Ainsi, la seule manière de réduire cette inflation serait de mener des politiques restrictives en augmentant le coût de l’argent, quitte à déclencher une récession, pour solder, en quelque sorte, les politiques « laxistes » qui auraient été menées auparavant. Cette politique d’austérité monétaire est engagée dès 1979 par le président de la Réserve fédérale Paul Volcker, qui augmente brutalement le taux de refinancement des banques à 20% pour combattre une inflation de 10%. Il s’agit d’un taux d’intérêt extrêmement élevé qui entraine immédiatement une récession et qui vaut au président démocrate Jimmy Carter de perdre l’élection présidentielle de novembre 1980 face à Reagan.

On dit aujourd’hui que Volcker a fait preuve de courage et que grâce à lui l’inflation a été enraillée (au prix de millions de chômeurs). Mon interprétation est différente. Je ne crois pas que l’inflation soit due à des politiques monétaires laxistes. Contrairement à Friedman je ne crois pas que l’inflation puisse se résumer à des phénomènes monétaires. Si c’était vrai, pourquoi aurait-elle commencé à la fin des années 1960 et non dans les années 1950 ? Après tout, cela faisait longtemps qu’on avait mis en place un système d’économie régulée. Et puis évoquer les causes monétaires de l’inflation c’est oublier tout un ensemble d’événements qui se sont passés dans les années 1970 et qui méritent de faire partie de l’explication. Par exemple, il est évident que les chocs pétroliers ont joué. Mais ces derniers, notamment celui de 1973, est lui-même le produit d’une volonté tout à fait compréhensive des pays producteurs des matières premières de reprendre le contrôle de leurs économies.

Avant même le choc pétrolier, il y eut la nationalisation du secteur pétrolier par les pays producteurs en 1970-71. Ce phénomène touche d’ailleurs d’autres pays producteurs de matières premières ou agricoles. Plus largement, à partir de la fin des années 1960, les pays en voie de développement cherchent à se décoloniser économiquement en reprenant le contrôle de leurs matières premières, de leurs produits agricoles et des puits de pétrole qui étaient sur leur sol. Les occidentaux avaient, pendant des années, exploité sans vergogne les pays producteurs parce qu’ils contrôlaient les entreprises qui exploitaient ces gisements ou parce qu’ils étaient les pays anciens colonisateurs.

L’inflation peut tout à fait s’expliquer ainsi, par le basculement d’une économie auparavant extrêmement dirigée par les pays consommateurs de matières premières dans les années 1950 et 1960 vers une économie où les rapports de force s’équilibrent. Je n’ose pas dire s’inversent. Tout cela se passe dans le cadre des mouvements tiers-mondistes et avec l’appui de l’URSS. On peut ajouter d’autres événements comme la tendance à la désindustrialisation qui s’amorce et engendre des tensions sociales. Cette époque des années 1970 est aussi une période au cours de laquelle les taux de profit des entreprises diminuent, ce qui les incitent à augmenter leurs prix. La désorganisation des systèmes productifs et industriels dans les pays capitalistes développés est aussi une cause de la stagflation qui mérite d’être prise en compte sans qu’il soit nécessaire d’évoquer le « laxisme » des banques centrales.  

Le narratif monétariste s’appuie sur une théorie très simple à comprendre : « Regardez, il y a trop de monnaie, donc il y a de l’inflation ». C’est une pensée un peu mécanique et globalement fausse.

L’autre raison pour laquelle les économistes keynésiens ne sont pas parvenus à proposer un narratif différent de celui des néolibéraux c’est qu’ils ne sont jamais vraiment intéressés à la question du contrôle des prix. Le keynésianisme n’a pas vraiment de théorie sur la régulation des prix, ce qui signifie qu’on interprété en général les 30 glorieuses uniquement à travers le prisme d’un État régulant, par ses dépenses, les grands équilibres macroéconomiques. Or, ce qu’il se passe dans les années 1970 c’est que les États ne parviennent plus à contrôler les mécanismes de régulation des prix qui avaient fonctionné depuis la guerre. Faute d’une réponse théorique adéquate de la part des Keynésiens, c’est donc le narratif monétariste qui l’a emporté à la faveur de la montée de l’inflation.

LVSL : Dans votre ouvrage, vous expliquez que les prix ne seraient pas forcément capables de refléter de manière efficace toute l’information disponible. Qu’est-ce qu’un tel constat implique dans un contexte économique de plus en plus marqué par des pénuries ?

David Cayla : Pour un néolibéral, le rôle du marché est d’agréger l’information pour construire des prix qui soient pertinents et reflètent la réalité économique. Les néolibéraux estiment que chaque personne a une certaine connaissance partielle de l’économie et elle utilise cette connaissance pour effectuer des opérations d’achat ou de vente sur les marchés. Et en faisant cela, les agents contribuent à apporter de l’information au marché. En somme, pour les néolibéraux, le marché serait une sorte de gigantesque algorithme permettant de produire des prix à partir des comportements, ces prix reflétant une grande partie de l’information disponible dans la société.

« Pour les néolibéraux, le marché serait une sorte de gigantesque algorithme permettant de produire des prix à partir des comportements. »

Le problème de cette théorie est qu’elle fonctionne rarement et que les comportements ne sont pas toujours ceux qui sont attendus. Dans les marchés financiers par exemple il peut y avoir des bulles spéculatives au cours desquels lorsque les prix montent, les gens achètent davantage en espérant revendre plus cher. Mais un tel comportement est contraire avec l’idée qu’une hausse des prix entraîne une diminution des achats.

L’autre problème avec la vision néolibérale des marchés c’est que les gens n’ont pas de l’information ou de la connaissance en tête, mais des croyances. On le mesure par exemple avec le Bitcoin. Les gens qui achètent des bitcoins sont convaincus, on pourrait même dire qu’ils ont la foi. Ainsi, des communautés, des croyants achètent du bitcoin parce qu’ils ont une vision techno-prophétique selon laquelle l’avenir est aux cryptomonnaies. Mais il ne s’agit pas là d’information, cela ne relève pas de la réalité, c’est un point de vue construit socialement. Autrement dit, ce qu’on met dans l’algorithme ce ne sont pas des faits mais des constructions sociales, des croyances partagées. Les prix ne reflètent donc pas une quelconque réalité mais la force des convictions. Le problème est que si les prix représentent par exemple des croyances sur l’avenir, et non l’avenir réel, cela pose la question de savoir si ces prix sont fiables et si on peut organiser un système économique résilient sur le long terme à partir d’une telle base.

Prenons le cas des ressources naturelles. Comme elles sont naturelles, elles sont limitées en quantité et non renouvelables. Une fois qu’on aura tout extrait, il n’y en aura plus. En économie, il faudrait distinguer ce qui est produit par le travail et qui peut être renouvelé de ce qui est produit par la nature et qui ne peut pas être renouvelé. Si on réfléchit comme un marché parfait, on pourrait penser que plus on consomme un stock non renouvelable, plus la quantité disponible de cette ressource diminue et plus le prix devrait augmenter. Or, ce n’est jamais ce qu’il se passe sur les marchés. C’est la raison pour laquelle les marchés ne peuvent pas déterminer la valeur des ressources naturelles.

Étudions le cas des pénuries. Lorsqu’un bien devient rare et qu’il n’est pas possible d’en augmenter l’offre les prix du marché peuvent exploser, surtout quand il s’agit d’un bien indispensable comme l’électricité. Cette explosion des prix ne peut pas être acceptée sans broncher par les populations car elle engendre des injustices. De plus, quand les prix augmentent cela ne pèse pas sur les riches. Prenons un cas concret. Le carburant peut être utilisé par un ouvrier pour aller à son boulot ou par une infirmière pour aller faire les visites à domicile. Ce même carburant peut aussi être utilisé par Elon Musk pour offrir aux milliardaires une expérience de tourisme spatial. Or, si on laisse le marché décider de ce qui doit être fait du carburant qui reste, il y a de fortes chances pour que l’ouvrier ou l’infirmière ne puissent se rendre à leur travail alors que les milliardaires pourront continuer à aller dans l’espace. Le problème est que si toutes nos ressources non renouvelables sont utilisées pour le tourisme spatial, mais que les ouvriers et les personnels soignants ne peuvent plus travailler, on en arrive à une situation où la société elle-même est mise en péril.

Autrement dit, il manque quelque chose au marché. Il lui manque une conscience politique, une conscience sociale. En fin de compte, il faut aussi raisonner en sortant du cadre de l’économie pour s’intéresser à notre survie en tant que société… et aussi à la survie de notre écosystème. Or, tout ça ne peut pas être intégré dans le fonctionnement des marchés tel qu’il est présenté par les néolibéraux.

LVSL : Pourquoi parlez-vous de « prix administrés » en ce qui concerne les marchés financiers ? Et en quoi seraient-ils amenés à s’étendre au-delà des marchés monétaires et financiers ?

David Cayla : Lors de la crise de 2007-2008 le monde s’est retrouvé dans une situation d’événement systémique. Autrement dit, le système bancaire et financier américain était sur le point de s’effondrer. Quand un tel événement survient, l’État ne peut pas rester sans rien faire et assister à l’effondrement. Il doit agir. C’est ce qu’il s’est passé en 2008. Le gouvernement américain a dû chercher à sécuriser le monde financier en rachetant aux banques les actifs immobiliers dont elles ne voulaient plus de manière à leur redonner un prix. En effet, comme plus personne ne voulait ne certains actifs immobiliers américains, il n’y avait plus d’achats, donc plus de prix : le marché, pour ces titres, avait disparu.

Dans le monde néolibéral, la disparition des prix pose de sérieux problèmes car on ne sait plus évaluer la valeur, et donc faire des choix. De plus, on ne peut plus établir les bilans des sociétés qui détiennent les actifs en question. Le fait qu’un actif n’ait plus de prix contraint à le considérer sans valeur. Cela entraîne des pertes comptables et peut conduire des sociétés à la faillite.

En 2008, la décision du gouvernement américain a été de racheter ces actifs en pensant, à juste titre, que même s’ils n’étaient plus demandés, ils avaient tout de même une certaine valeur. Il a donc fallu que l’État « invente » des prix à l’issue d’une évaluation négociée avec les parties prenantes, afin d’éviter au système financier de faire faillite. Des gens se sont plaints en estimant que le gouvernement fédéral dépensait des milliards pour sauver des banques qui avaient fait n’importe quoi. Le gouvernement a donc modifié sa politique en décidant de prendre des participations dans les entreprises au lieu de leur racheter leurs titres. C’est alors la Réserve fédérale qui a pris le relais et s’est mise à racheter ces titres sans valeur de marché. C’est ainsi que la banque centrale américaine s’est mise à pratiquer des politiques dites « non conventionnelles » en intervenant directement sur les marchés.

Au début de l’année 2009, la question du financement du plan de relance de Barack Obama s’est posée. À l’époque, il fallait sauver l’industrie automobile américaine. Obama a donc lancé un plan de près de 800 milliards de dollars. La banque centrale américaine va alors aider l’État à se refinancer en rachetant des obligations publiques sur les marchés afin d’augmenter leur valeur. Ce faisant, elle a contribué à diminuer les taux d’intérêt que paie l’État sur sa dette. C’est ce qu’on a appelé les politiques de « quantitative easing » (QE), ou « assouplissement quantitatif » en français. Ces politiques se sont ensuite généralisées, d’abord au Royaume-Uni puis, quelques années plus tard, dans la zone euro.

« Les politiques de quantitative easing ne sont pas des politiques de création monétaire. »

Les politiques de quantitative easing ne sont pas des politiques de création monétaire. Il n’y a pas de monnaie créée dans ces opérations de rachat. Ce sont des politiques qui visent surtout à faire baisser les taux d’intérêt pour les États, mais aussi pour les ménages et les entreprises, afin de les aider à se financer et à investir. Autrement dit, ces politiques de QE relèvent bien d’une forme d’administration des prix. Certes, il ne s’agit pas d’une administration directe. Ce n’est pas le ministre des Finances qui décide directement des taux. Mais, de manière indirecte, les banques centrales se sont mises à piloter la baisse des taux d’intérêt. La BCE l’a fait en particulier pour sortir de la crise des dettes souveraines et éviter la faillite des États d’Europe du Sud.

De plus il faut noter que même si aujourd’hui les banques centrales ont cessé de racheter des actifs en raison du retour de l’inflation, elles n’ont absolument pas renoncé au principe du contrôle des taux d’intérêts. C’est ce que j’appelle la finance administrée, c’est-à-dire le retour de l’intervention de l’État au sein des marchés financiers par l’intermédiaires des banques centrales.

LVSL : Un autre courant économique, la Modern Monetary Theory (théorie monétaire moderne) a gagné en intérêt ces dernières années. Les conditions d’effectivité de la MMT pourraient-elles être réunies prochainement ? Cette théorie pourrait-elle être succéder au néolibéralisme ?

David Cayla : Dans l’ouvrage, je me réfère surtout à l’approche de Stéphanie Kelton telle qu’elle est exprimée dans Le mythe du déficit (2021). La MMT n’est pas vraiment une théorie, c’est un éclairage spécifique sur la monnaie. Ce qu’elle essaie de démontrer, c’est qu’un État souverain monétairement est libre de dépenser comme il le souhaite puisqu’il dépense dans une monnaie qu’il contrôle. Autrement dit, d’après la MMT, il n’y a pas de limite financière à la dépense publique.

Cependant la MMT ne permet pas à l’État de faire tout ce qu’il veut. Car une autre contrainte apparaît : c’est la contrainte réelle. Ainsi, dans une économie avec un secteur public et un secteur privé, si l’État commence à dépenser sans limite, il va devoir embaucher beaucoup et il ne restera plus grand monde pour produire des services marchands. Stéphanie Kelton en déduit que l’État ne doit intervenir que lorsque le taux de chômage est élevé et que cela permettrait de mettre en place une garantie fédérale de l’emploi. Autrement dit, on pourrait supprimer le chômage en imaginant que l’État régule directement le marché du travail en créant autant d’emplois publics (payés au salaire minimum) qu’il le faut pour supprimer le chômage.

« Le problème avec la MMT est qu’elle suppose qu’un État soit pleinement souverain monétairement. »

Le problème avec la MMT est qu’elle suppose qu’un État soit pleinement souverain monétairement. Or, la souveraineté monétaire c’est un concept qui mérite discussion et débat. Il est clair que dans une économie fermée, un État est totalement souverain monétairement et peut faire ce qu’il veut. Mais nous ne vivons pas dans des économies fermées. Aujourd’hui, on ne peut quasiment rien produire sans importer du pétrole, des minerais, des terres rares, des produits industriels qu’on ne sait pas faire mais que d’autres savent fabriquer. Ça veut dire qu’il faut qu’en échange de nos importations on ait quelque chose à vendre. Il faut que les flux financiers s’équilibrent à peu près avec les autres pays. Cela signifie qu’on ne peut pas dépenser tout ce qu’on souhaite. L’État ne peut pas, par exemple, assécher le secteur privé, car alors on ne pourrait plus vendre des choses que nos partenaires commerciaux voudront acheter en contrepartie de ce que nous on a besoin pour produire.

Ce que je veux dire, c’est que la souveraineté monétaire implique des conditions économiques pour être garantie et pas uniquement des conditions institutionnelles et politiques. Il ne suffit pas de dire qu’on peut créer la monnaie qu’on veut parce qu’on contrôle la banque centrale pour être souverain monétairement. Il faut aussi qu’on puisse payer nos achats de pays étrangers avec une monnaie qui ait de la valeur et il faut que ces pays acceptent de commercer avec nous en échange de nos marchandises ou de garanties qu’on leur apporte. Ainsi, l’ouverture commerciale implique une limite à la souveraineté monétaire et économique d’un pays.

Et ce que je reproche à la MMT c’est de ne pas beaucoup discuter les limites de la souveraineté monétaire. Stéphanie Kelton explique dans son livre que les États-Unis et le Japon ont un gouvernement monétairement souverain. Elle range en revanche la Turquie ou la Russie dans une autre catégorie. Pourtant ils ont eux aussi une monnaie nationale et une banque centrale. Pourquoi alors seraient-ils moins souverains ? Et puis il y a des pays qui ne sont pas du tout souverains mais qui disposent pourtant de leur propre monnaie… En fin de compte, qu’est-ce que ça signifie être souverain monétairement ? La MMT ne répond pas vraiment à cette question.

Ce que j’en déduis, ce n’est pas que la MMT serait fausse ou qu’il faudrait la balayer d’un revers de main, mais plutôt qu’il faudrait s’intéresser sérieusement aux principes qui garantissent la souveraineté économique et monétaire d’un pays. Par exemple, il ne suffit pas de sortir de l’euro pour redevenir souverain. Le retour au franc ne constituerait pas un réel gain de souveraineté pour la France. Pour que ce soit le cas, il faudrait mener des politiques visant à limiter nos dépendances en matière énergétique et industrielle, et cela demande une politique économique protectionniste. Il faudrait également mettre en place des systèmes de coopérations hors marché avec les pays producteurs de matières premières. En faisant du troc, on peut davantage préserver notre politique monétaire et notre indépendance financière que si on achète avec de la monnaie.

Ainsi, à mon sens la MMT ne peut constituer une réponse pertinente que si elle sort de son cadre purement monétaire et financier pour s’intéresser plus largement au fonctionnement global de l’économie, à la politique commerciale et aux conditions de la souveraineté économique. Plus largement, je pense qu’on ne peut pas penser l’économie à partir du seul prisme de la monnaie. L’économie est un ensemble d’institutions politiques, sociales, de rapports de force, c’est une histoire, une sociologie. Ce n’est pas en utilisant un seul levier, la politique monétaire ou les dépenses publiques, que l’on peut résoudre tous les problèmes.

C’est pour cette raison que j’inscris ma pensée dans le cadre intellectuel de l’économie institutionnaliste. Je pense qu’il faut comprendre l’économie non pas en analysant des modèles abstraits mais en combinant la pensée économique avec les apports des autres sciences sociales. C’est ce qui manque à certaines approches hétérodoxes telles que la MMT.

« Les Français ont envie de se réconcilier » – Entretien avec Arnaud Zegierman et et Thierry Keller

À l’occasion de la sortie de leur nouvel ouvrage Entre déclin et grandeur, Regards des Français sur leur pays, le sociologue fondateur de l’institut ViaVoice, Arnaud Zegierman, et le fondateur du média Usbek & Rica, Thierry Keller, ont répondu à nos questions. Leur enquête s’intéresse à la fois à la vision que portent les Français sur les évolutions du pays et à leurs aspirations pour le futur. Les auteurs analysent ainsi les opinions collectives au prisme des notions de grandeur et de déclin, largement investies par nos politiques. Discutant les résultats de leurs investigations, Arnaud Zegierman et Thierry Keller mettent en avant les préoccupations réelles des femmes et hommes qui habitent et travaillent en France, bien loin des agitations identitaires abondamment relayées par les médias. Ils refusent de croire à une société plus individualiste, puisque selon eux, malgré toutes les difficultés rencontrées au quotidien, les Français ont envie de se réunir. Ce livre nous engage à construire notre avenir dans l’apaisement et l’entendement lucide des réalités ordinaires. Entretien réalisé par Nicolas Vrignaud.

LVSL  – Vous avez intitulé votre livre Entre déclin et grandeur, en tordant très vite le bras à la fois à celles et ceux qui se gargarisent d’être dans un grand pays et à celles et ceux qui le rapetissent. On a l’impression que vous déconstruisez les concepts de grandeur et de déclin, et que votre livre se destine à donner à voir un pays plus complexe. Était-ce une intention ou bien est-ce que cela a plutôt été la finalité logique de votre enquête ? 

Arnaud Zegierman Nous avons mis nos capteurs un petit peu partout sur l’opinion publique en essayant de retranscrire ce que cela voulait signifier, et non en s’en servant pour développer une idéologie.

Thierry Keller Il y avait l’idée de poursuivre notre réflexion sur l’identité nationale, entamée en 2017 avec notre premier livre, Ce qui nous rassemble. Ce second ouvrage part d’une critique patriotique de la grandeur, ou plus exactement de la posture derrière la grandeur, ce que l’on appelle dans notre bouquin « la pompe ». Et puis finalement, nous avons aussi travaillé sur le déclin en comprenant, par notre enquête, que les deux formaient ensemble une dialectique.

A.Z. Tout à fait, et d’ailleurs je n’en reviens toujours pas de ce diagnostic. Je me surprends tous les jours à rappeler le contenu de ce livre, ce que pensent les Français. Cela semble totalement déconnecté du débat public alors que c’est analysé sur des bases scientifiques, contrairement à de nombreux éditorialistes qui ne se fondent sur rien. On peut ne pas être d’accord avec l’opinion publique, ce n’est pas grave, mais il faut partir de la réalité. La France n’est pas du tout au bord de la guerre civile…

LVSL  – Sur le déclin, vous dites que l’anxiété des personnes prend souvent le dessus sur leur bien-être objectif et que c’est cela qui nourrit le sentiment de déclin. Pourquoi une telle anxiété aujourd’hui chez les Français et sur quelles thématiques se construit-elle ? Sur son devenir économique et social, son devenir démocratique, sur son devenir identitaire ?

A.Z. Il y a deux dimensions. Il y a d’abord ce que l’on a appelé le service-client. Nous avons tous été habitués par Orange, Amazon, et d’autres grandes entreprises privées, à avoir une réponse rapide et efficace dès lors que l’on a un problème. Votre wifi ne fonctionne plus ? Orange gère. Vous n’avez pas reçu un colis ? Amazon gère. Cela ne va pas donner des heures de hotline. Dans votre quotidien de citoyen, les heures de hotline, c’est avec l’Urssaf… Un problème de deal en bas de chez vous ne se règle pas du jour au lendemain. Si vous avez perdu votre emploi, Pôle emploi ne va pas vous en retrouver un dès le lendemain. Si votre enfant a des problèmes de harcèlement scolaire, vous allez ramer avant de trouver le bon interlocuteur qui pourra résoudre le problème. Tous ces aspects sont compliqués. Il y a un service-client défectueux pour les choses du quotidien qui donne un sentiment de déclin aux Français, un sentiment que l’État n’a pas la réponse pour cela. Cette première dimension, ce sont les choses à réparer. La deuxième dimension, c’est le long terme, la perspective. Qui parle du long terme aujourd’hui ? On en parle un peu avec l’écologie, car cela nous angoisse. Mais est-ce qu’il existe une volonté, un projet qui ne s’appelle pas France 2030, avec une dénomination plus emballante, et qui nous dit où l’on veut aller, quelque chose qui permet de fédérer ?

Donc nous avons à la fois des problèmes au quotidien et une absence de perspectives de long terme. Malgré ça, les Français font une analyse très positive du pays : 80% d’entre eux se sentent bien en France, pour 82%, la vie y est agréable, pour 88%, nous sommes chanceux de vivre en France, sept Français sur dix estiment que la France fait envie. Ce ne sont pas des diagnostics de déclin, mais au contraire d’un pays qui vit une forme de déclassement, une angoisse de l’avenir. Mais il ne faut pas se tromper d’analyse. Ce n’est pas un pays qui se pose des questions identitaires fondamentales, ça, c’est le discours ambiant.

T.K. J’ajoute qu’il y a peut-être un sujet autour de l’État, dont on peut dire, de façon surprenante, qu’il bénéficie d’une nouvelle hype (regardez les bouquins de Gilles Clavreul ou Juliette Méadel, ou même de François Hollande, qui traite beaucoup du sujet). Pourtant, l’État n’est clairement pas glamour, ce n’est pas ce qui fait un buzz. Or, il y a un présupposé dans ce pays depuis le colbertisme sur le fait que l’État doit veiller sur nous. Les essais sur l’angoisse et les malheurs de la France, publiés par dizaines, tournent autour du rôle de l’État sans jamais vraiment l’assumer. Les citoyens réclament plus d’État et s’estiment « mal servis au guichet ». C’est ce que nous appelons, avec pas mal de précaution, le service-client. À l’ère du service-client numérisé, il y a une différence de traitement nette entre Netflix et l’Urssaf. Et ce hiatus crée du ressentiment.

Entre déclin et grandeur. Regards des Français sur leur pays, aux Éditions de l’Aube.

LVSL  – Vous mettez aussi en relief (p.68) une forme de sentiment d’abandon de l’État. Pourtant, si l’on regarde le dans le baromètre de la confiance politique de février, les Français expriment encore globalement une confiance dans les institutions et l’État qui incarnent la protection et le soin. Alors sur quoi se fonde précisément ce sentiment d’abandon que vous soulevez pour votre part dans votre livre ?

A.Z. Sur le sentiment d’abandon, il y a plein d’enquêtes. Elles parlent de défiance. Mais aujourd’hui, la plupart des Français ont bien conscience que l’État a été là pendant la crise sanitaire, l’hôpital a répondu présent, les tests PCR étaient gratuits. Cependant il y a une défiance envers les politiques et certaines autres institutions autour de l’État. Lorsque l’on creuse, on s’aperçoit que c’est une défiance par méconnaissance. C’est souvent une posture. Dans le cadre d’entretiens approfondis, les Français sont d’abord critiques, puis, évoluent vers davantage de nuances.

Lors d’une étude que nous avions réalisée chez Viavoice, nous avons vu que les Français méconnaissent le coût réel d’un cancer : 70% des sondés sous-estiment de beaucoup ce coût. C’est parce que lorsque vous allez à l’hôpital, vous sortez votre carte vitale et non votre carte bleue. Nous n’avons pas immédiatement conscience de ce que l’État-providence fait pour nous. Il faut y réfléchir. Lorsqu’on fait des focus group, des entretiens collectifs de personnes pendant deux-trois heures, au départ ils sont très sceptiques, mais petit à petit, vous vous rendez compte qu’ils ont conscience que l’on est dans un pays protecteur. Spontanément, on peut se dire que cela ne va pas, mais, avec du recul, on se rend compte qu’on est soigné gratuitement. Le problème, c’est qu’on ne parle pas assez de cela. Du coup, la question qui nous semble importante est plutôt : qui sera à même de défendre un système aussi bienveillant s’il est attaqué un jour sur ses fondamentaux ?

T.K. L’une des explications, peut-être, de la défiance globale envers l’État et de son attractivité simultanée, ce sont toutes les théories du care. Il y a une hypothèse à développer autour de la nouvelle rhétorique de gauche qui a épousé le care, croyant bien faire, mais qui a « anglo-saxonnisé » sa vision de l’intérêt général. On est passé du traitement collectif au traitement individuel des problèmes. Résultat, chacun s’estime floué. Je pense que c’est une erreur politique de penser que l’État peut être dans le care.

Arnaud Zegierman : « Notre ligne consiste à dire que la recherche de grandeur est un fantasme qui nous paralyse et nous empêche de penser notre avenir. Notre glorieux passé devient un poids, il pèse sur nos ambitions. »

LVSL  – Pour vous, le sentiment de déclin est profondément lié à une grandeur passée fantasmée mais aujourd’hui déchue. Pourtant, intuitivement, on pourrait penser que cette grandeur, certes peut-être fantasmée à certains égards, « surenchéri » pour reprendre vos mots (p.166), permettrait au contraire d’atténuer le sentiment de déclin. Pourriez-vous revenir sur cette relation de causalité surprenante et que vous analysez longuement ?

A.Z. Le fantasme de notre grandeur exacerbe notre sentiment de déclin. Lorsque vous avez le sentiment qu’il y a encore peu de temps, la France était au centre du monde, vous avez du mal à admettre qu’elle ne parvienne pas à régler certains problèmes de votre quotidien ! Mais en fait, la grandeur de la France remonte à très loin… Notre ligne consiste à dire que la recherche de grandeur est un fantasme qui nous paralyse et nous empêche de penser notre avenir. Notre glorieux passé devient un poids, il pèse sur nos ambitions. On préfère se complaire dans notre passé plutôt que de réfléchir aux chemins d’avenir. On choisit de se remémorer continuellement les mêmes vieilles histoires plutôt que d’en inventer de nouvelles ! Il faut reconnaître qu’inventer est aussi plus compliqué. Sur ce point, nous ne sommes pas en phase avec ce que pensent la grande majorité des Français qui, dans l’étude réalisée pour ce livre, se montrent au contraire très attachés à la notion de grandeur. 

T.K. Pour tirer le fil, la France, c’est 1789, pas le Danemark ! Il n’est pas question de remettre en cause l’héritage, mais d’appeler au calme sur la fausse grandeur. Nous rappelons que cette grandeur a toujours été, historiquement, liée à la conquête de la terre et à la guerre. C’est très compliqué de parler de grandeur sans bataille, sans conquête, sans épopée. De ce point de vue là, notre livre peut sembler très peu romantique, et nous l’assumons. Notre leitmotiv, c’est de nous demander si la France peut devenir un pays non pas normal, banal, moyen, mais un pays qui en finit avec un romantisme qui l’empêche de réfléchir et d’avancer. 

A.Z. Thierry paraphrase souvent Paul Valéry avec une phrase lourde de sens et de justesse : « La France avance vers le futur à reculons ». Nous nous référons à un passé rempli de guerres. Aujourd’hui, les agents secrets font la guerre à notre place. Et il ne s’agit pas d’être naïf et de croire à un monde pacifié, nous ne sommes pas du tout anti-militaristes. Il existe aujourd’hui de très grands dangers, mais il y a de quoi être fier de cette époque plus pacifiée et libre, c’est ça notre grandeur ! C’est ça le résultat des grandes batailles historiques. Même si la paix, c’est moins lyrique qu’une épopée. 

T.K. Le de Gaulle de la période 1962-68 savait bien que, comme Churchill avant lui, il était plus compliqué de gouverner en temps de paix. La DATAR avait “moins de gueule” que de se réfugier à Alger pour construire la riposte depuis les colonies. Mais c’est notre lot que de regarder devant et pas toujours derrière. D’ailleurs, notre enquête montre bien que les anciens regrettent moins le passé que les jeunes car ils ont de la mémoire et savent que c’était moins « cool ». Notre livre a une volonté : celle de retourner au réel. 

LVSL – Vous analysez que le discours ambiant autour du déclinisme, qui constitue par ailleurs un business, a tendance à produire une forme de sortie du politique, car s’il fonctionne commercialement, il ne passionne pas politiquement, au contraire. Qu’en est-il à l’inverse du discours sur la grandeur, produit-il la même chose ou au contraire une forme d’élan politique ? 

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838), homme d’État et diplomate français ©WikimediaCommons

T.K. Je dirais qu’il produit de la désillusion. Le discours sur la grandeur est un fantasme. Les déclinistes, comme les militaires de la fameuse tribune, s’en servent pour réclamer au retour à l’ordre, sous leur autorité évidemment. Quant aux détenteurs du pouvoir, ils agitent la grandeur pour dire qu’avec eux tout va bien. C’est absurde dans les deux cas. Pourquoi ne pas préférer la modestie ? Nous nous sommes beaucoup inspirés d’un article écrit par Jean-Louis Bourlanges dans la revue Pouvoir il y a moins d’un an, à l’occasion d’un numéro sur de Gaulle. Bourlanges oppose l’école de la grandeur à l’école de la modestie. Dans la seconde, on retrouve tous les soi-disant losers de l’Histoire de France, comme Talleyrand, qui rêvait que le rayonnement de la France se fasse par sa culture et son génie et non par une volonté de débordement. Mais finalement, c’est toujours l’école de la grandeur qui l’emporte, et l’on parle de l’école de la modestie un peu comme un groupe de rock qui n’aurait pas percé. Toute proportion gardée, Valéry Giscard d’Estaing, qui n’est pas de notre culture politique, avait lui aussi tenté une rhétorique de la modestie en rappelant que la France était une puissance moyenne. Mais c’est un crime de lèse-majesté que de dire cela. Moyenne, c’est terrible pour les Français. 

A.Z. Et ce n’est pas la réalité d’ailleurs. Si nous étions une nation moyenne, nous serions la 100ème puissance mondiale. Nous sommes encore dans les dix premières puissances. Il ne s’agit pas d’accepter fatalement une forme de déclassement mais de dire que si nous voulons être conforme à la philosophie française initiale, il nous faut arrêter de regarder un passé fantasmé, en guerre, et qui n’est pas en adéquation avec le monde d’aujourd’hui. À la fois par rapport aux nouvelles formes de concurrence et par rapport à ce que veut réellement la population : être tranquille et en paix. Encore une fois, cela n’exclut surtout pas l’ambition et l’inventivité. Ce sont même des pré-requis.

Thierry Keller : « La France de la carte vitale, la France des barbecues. Il y a une forme d’affrontement, à bas bruit, entre nos identités numériques et notre identité charnelle. »

LVSL – Vous reprenez ensuite le concept « d’archipelisation » de la France de Jérôme Fourquet. Mais vous dîtes que finalement, les Français n’ont pas envie d’appuyer ce morcellement mais de se réconcilier, de « construire du commun » dites-vous. Si ceci est réellement ce que pensent les Français, qu’est-ce qui fait que certains commentateurs politiques attestent de l’inverse, c’est-à-dire que la fragmentation se renforce ? 

T.K. Je pense que l’on a mal mesuré, en France, l’effet déflagrateur de la civilisation numérique sur un vieux pays analogique comme le nôtre. Nous sommes la France de Johnny Halliday et de Victor Hugo. On se rassemble, on se mélange, lors de grands moments de catharsis collectives : la Libération, Mai 68, une victoire en Coupe du Monde. Ce sont des événements profondément analogiques, c’est-à-dire low-tech. Internet et les réseaux sociaux n’ont pas la même influence dans un pays qui n’est pas spontanément politique que lorsque cela se passe chez nous. En France, le corps social existe plus qu’ailleurs. Or, désormais, plus fort qu’un morcellement par communauté, il y a un morcellement de chacun devant son propre écran. Ce sont des conditions objectives qui entrent en conflit avec une sorte d’âme politique française, composée d’une part du modèle social, d’autre part de l’hédonisme. La France de la carte vitale, la France des barbecues. Il y a une forme d’affrontement, à bas bruit, entre nos identités numériques et notre identité charnelle.

A.Z. On a tendance à plutôt parler de « société de niches » que « d’archipélisation ». Certes, la société est très segmentée. Il y a des conséquences très négatives sur le lien social : avant, vous connaissiez votre voisin qui ne pensait pas comme vous, vous pouviez vous engueuler avec lui car vous étiez dans la même usine, dans le même syndicat, parce que vous vous croisiez à l’église. Aujourd’hui, on ne va plus beaucoup à l’église, les syndicats n’ont plus le même rôle et il y a moins d’usines. Bref, on rencontre moins la différence et on en a donc beaucoup plus peur. Et on se sent seul, atomisé. 

Mais là où nous établissons une différence avec Jérôme Fourquet et sa notion « d’archipelisation », c’est que, d’une part, nous ne le déplorons pas. Nous sommes heureux que la France d’aujourd’hui soit plus ouverte qu’à l’époque de Bourvil. Nous avons oublié à quel point il était difficile avant de se délester du poids de sa famille, de certaines traditions, de vivre conformément à ses aspirations, ou encore d’être une femme indépendante. Et je ne parle même pas du fait d’être homosexuel ou de faire partie d’une minorité visible ! D’autre part, cette archipélisation est subie et non voulue. Cela signifie que les Français souhaitent reconstruire ce lien social. Mais les modalités se font encore attendre… Les Français ont envie de se réunir, de se réconcilier en quelque sorte, de tordre le réel qui les atomise. C’est une grosse erreur de penser que ce lien social est terminé, que la société serait plus individualiste. La société est atomisée indéniablement, mais pas de plus en plus individualiste. Les gilets jaunes ne défendaient pas des choses semblables au départ mais prenaient très vite plaisir à se retrouver ensemble, pour le plaisir d’échanger, de chercher un horizon commun.

Qu’est-ce que l’on a comme lieu et moment aujourd’hui où les gens se retrouvent ensemble ? Hormis effectivement les grands rendez-vous sportifs, au quotidien, qu’avons-nous pour nous engueuler avec notre voisin d’en face qui ne pense pas comme nous ? Il n’y a plus grand chose. Mais on aime la France des barbecues et des terrasses, et il ne faut pas oublier que la France ne connaît pas de tentations sécessionnistes comme l’Espagne ou l’Italie. Alors, il faut séparer ce « on ne sait plus comment faire » du « j’ai envie de tuer mon voisin ». Nous sommes bien mais isolés, nous ne savons plus trop comment faire pour vivre ensemble. Le risque quand vous connaissez moins vos voisins, c’est de croire le commentateur qui vous raconte qu’il faut se méfier de celui que vous ne connaissez pas.

LVSL – Finalement, à qui pour vous incombe la responsabilité de ce que vous appelez « une succession de décalages entre les ressentis des habitants et la façon dont les les présente ». Aux médias ? À la représentation politique ? 

A.Z. Ici, je ne suis pas sûr que l’on soit d’accord avec Thierry (rires). Pour moi, ce ne sont ni les politiques, ni les journalistes, ni les sondeurs. C’est le conformisme dans chaque métier qui tue tout : le conformisme des sondeurs qui continuent à poser toujours les mêmes questions simplistes, le conformisme de certains médias qui continuent à croire que Zemmour fait vendre alors que le marché des lecteurs-téléspectateurs-auditeurs se restreint, le conformisme de certains politiques qui continuent à penser qu’il faut parler d’immigration. Ce conformisme fait qu’on se leurre par rapport à la réalité. La responsabilité est psychologique et n’incombe pas à des groupes. Vous avez des journalistes et des politiques qui essaient de défendre des choses, nous sommes un certain nombre dans les instituts de sondage à essayer de vouloir réaliser un portrait non déformé du pays. Mais le conformisme emporte tout et la petite musique du déclin s’ancre. Pourtant ce dernier ne fait pas vendre ! Le déclin vend mais dans un marché qui se restreint, l’audience des médias s’effondre et par ailleurs les gens votent de moins en moins. Cela ressemble à une impasse. 

T.K. Visuellement, les choses ont l’air atomisées, mais dans l’aspiration, clairement pas. Le repas de famille compte encore, le barbecue est structurel, d’ailleurs son marché explose et ce n’est pas un hasard. Dans le business, la politique, la vie culturelle, tout ce qui est feel good est beaucoup plus rentable.

Arnaud Zegierman : « Il faut résoudre le problème de l’abstention qui est l’indicateur de l’adhésion à un projet civique. »

A.Z. On a tendance à dire dans le débat public que les médias ont une responsabilité, mais, dans ce cas là, ils auraient une responsabilité sur tout. Historiquement, cela ne tient pas. Concernant l’audience, n’oublions pas que l’arrivée de la radio n’a pas fait disparaître la presse écrite, de même que la télé n’a pas fait disparaître la radio ni la presse écrite. Historiquement, aucun média ne s’était substitué aux autres. Quand Internet arrive, tout s’effondre et on nous dit que c’est à cause d’Internet. J’ai l’impression que c’est une hypothèse trop technophile et qu’en réalité, les médias n’ont pas réussi à continuer de parler aux gens. 

T.K. J’ajoute que la gauche était par essence fédératrice d’utopies. Plus aujourd’hui. C’est un problème que nous n’abordons pas, mais enfin, c’est mieux de l’avoir en tête.

LVSL – Pour terminer dans une approche un peu plus prescriptive, comme vous essayez de le faire dans la dernière partie de votre livre : comment sortir de cette posture typiquement française qui se raconterait des histoires sur elle-même ? Comment reconstruire un projet qui embarquerait la grande majorité et qui atténuerait concrètement l’anxiété française ? Est-ce qu’on peut se limiter à dire comme vous concluez que : « le seul choix du “cool”, du naturel et de l’apaisement sera payant » ? 

A.Z. Si l’on avait les réponses, nous nous présenterions ! Nous ne les avons pas. Nous nous sommes beaucoup dit qu’il ne nous fallait pas faire un livre de « petits cons ». D’où le fait que nous n’ayons pas fait de préconisations comme c’est la mode. Je pense en revanche qu’il faut que l’on s’apaise. Il faut résoudre le problème de l’abstention qui est l’indicateur de l’adhésion à un projet civique. Après, il faudra un peu de lyrisme. 

T.K. Oui, nous n’avons pas voulu faire de préconisations de politiques publiques, ce ne serait pas une réponse au niveau. Nous avons simplement essayé de changer le regard sur notre propre pays. Essayons de nous voir comme on est réellement et non comme on se fantasme ou comme on se dénigre. La phrase que vous citez peut paraître « gnan-gnan », ou manquer d’ambition. Mais souvenez-vous que lorsque 700 000 personnes regardent Zemmour sur CNews, il y en a cinq millions qui sont rivées sur Philippe Etchebest dans Top Chef. 

A.Z. Zemmour est un modèle, non pas de contenu discursif, mais il a réussi à mettre sur le devant de la scène ses obsessions. Nous, nous aimerions bien que notre obsession (faire un diagnostic réaliste et nuancé du pays pour mieux préparer l’avenir) infuse la société. Qu’on parle de questions qui intéressent les Français. Mais pour le « comment faire » et ce qu’il faut en tirer, nous avons plutôt confiance en la nouvelle génération qui arrive.