Le vote par approbation : un scrutin plus démocratique ?

    En 1770, Nicolas de Condorcet érige un principe simple pour déterminer la légitimité démocratique d’une élection : « si un [candidat] est préféré à tout autre par une majorité, alors ce candidat doit être élu ». L’énoncé apparaît logique, pourtant notre mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours échoue le plus souvent à le respecter. Nous conservons pourtant ce scrutin alors que plusieurs générations de penseurs ont construit de nombreuses méthodes alternatives plus à même de refléter les préférences des électeurs. Si certaines d’entre elles ont connu un écho médiatique important, il s’agit ici d’attirer l’attention sur un scrutin peu connu du grand public, au contraire des chercheurs : le vote par approbation. En effet, en 2010 un collectif de 21 spécialistes en théorie du vote a élu le vote par approbation comme étant le meilleur mode de scrutin, et ce en usant… du vote par approbation1. Sur quels critères ce scrutin pourrait-il s’imposer comme l’alternative la plus crédible à notre mode de scrutin actuel ?

    Les défauts du scrutin uninominal majoritaire à deux tours

    Notre méthode de vote pour nos principales élections repose sur le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Uninominal car nous ne pouvons déposer qu’un nom dans l’urne. Majoritaire car c’est le candidat récoltant plus de 50% des suffrages exprimés qui est élu. Cela peut survenir dès le premier tour, mais le cas est rare, ce qui nécessite donc un deuxième tour au cours duquel les deux candidats ayant récolté le plus de voix au premier tour s’affrontent en duel pour obtenir la majorité de 50% des suffrages exprimés. Cette méthode de vote qui nous paraît désormais naturelle, comporte pourtant au moins deux effets pervers graves, qui compromettent la garantie d’une juste représentation de l’opinion des électeurs à travers leurs représentants élus.

    Il s’agit d’abord de ce que l’on nomme parfois le Spoiler effect, à savoir le fait que deux candidatures trop proches idéologiquement se gâchent mutuellement leur chance de passer le premier tour et donc à terme de remporter les élections. Un « gros candidat » peut ainsi voir ses probabilités de l’emporter considérablement amoindries voire anéanties par l’émergence d’une ou de plusieurs « petites candidatures » de son camp politique. Le cas d’école étant évidemment celui de la défaite de Jospin en 2002, donné gagnant par plusieurs sondages2 face à n’importe quel autre candidat au second tour mais manquant la marche du premier à cause de la dispersion des candidatures à gauche.

    Dès lors, l’un des enjeux décisifs d’une élection avec ce mode de scrutin consiste à éliminer les rivaux de son propre camp ou des camps voisins, en constituant une candidature unique. Le résultat des élections tient donc, pour beaucoup, non pas aux préférences des électeurs mais à la capacité des partis politiques d’un même camp à se rassembler. Cette dynamique est donc bien une conséquence perverse d’un mode de scrutin spécifique, et ne relève pas forcément du « bon sens » de rassembler un camp aux idées similaires. Dans ce contexte, l’union peut conduire à faire disparaître des candidats représentant réellement une sensibilité politique distincte, et donc à empêcher des électeurs d’exprimer finement leur opinion.

    Le deuxième effet néfaste est que, bien souvent, ce mode de scrutin oblige à un vote stratégique pour espérer faire passer au second tour la candidature que l’on déprécie le moins parmi celles qui ont à peu près une chance de l’emporter. Ce faisant, ce vote « utile » empêche d’exprimer toute forme de soutien, par le vote, à des candidatures qu’on lui préfère. Ce vote « utile » empêche donc le vote de conviction.

    Le principal problème qui en découle est d’ordre démocratique : les citoyens ne peuvent pas exprimer leurs préférences réelles, lors des rares occasions où leurs avis sont sollicités. Mais un autre problème est la conséquence que ce vote « utile » a sur la manière de mener campagne. Alors que l’on devrait s’attendre à voir s’affronter en priorité des candidats qui sont des adversaires idéologiques, on observe que, paradoxalement, la logique du vote utile incite des candidats-partenaires au sein d’un même camp politique à s’affronter tout aussi violemment, si ce n’est davantage, pour espérer enrayer chez eux cette dynamique du vote utile. Les affrontements entre le RN et Reconquête l’illustrent parfaitement.

    Enfin, ces deux phénomènes conjugués ne sont pas sans conséquences sur les résultats du scrutin. Pour déterminer s’ils sont légitimes démocratiquement, la plupart des chercheurs en théorie des votes s’accordent sur le fait que ceux-ci doivent respecter une norme : le principe de Condorcet, selon lequel « si une alternative [ici un candidat] est préférée par une majorité à toute autre alternative, alors celle-ci doit être élue ». Par extension, le candidat ainsi choisi est appelé le vainqueur de Condorcet. En clair, il s’agit d’appliquer le principe de préférence de la majorité.

    Le respect de ce principe nous paraît instinctif lorsqu’il s’agit de qualifier ce qu’est une élection légitime démocratiquement. Pourtant si l’on étudie le fonctionnement du mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours, celui-ci est bien souvent incapable de respecter ce principe démocratique. Ainsi, si l’on prend l’exemple de trois candidats A, B et C, pour lesquels on obtient les résultats suivants :
    · 4 électeurs : A > B > C (lire 4 électeurs, préfèrent A à B et B à C).
    · 3 électeurs : C > B > A
    · 2 électeurs : B > C > A

    Avec notre mode de scrutin actuel, B est éliminé dès le premier tour, et au second tour c’est C qui l’emporte, en bénéficiant du report de voix des électeurs de B au premier tour (3+2 = 5 pour C, contre 4 pour A). Or, si B devait affronter en duel A, les électeurs de C se reporteraient sur B, le faisant ainsi gagner avec 2+3 voix, donc 5 voix contre 4. De même, si B affronte C en duel, B bénéficie du report de voix de A, avec donc 2+4 voix soit 6 voix contre 3. On observe ainsi que B est bien le vainqueur de Condorcet : face à toutes les alternatives (A et C), B est préféré par une majorité d’électeurs. Le principe de Condorcet est respecté alors que le scrutin uninominal majoritaire à deux tours échoue à le garantir, en élisant C.

    Pour prendre un exemple réel, en 2007, la plupart des sondages donnaient François Bayrou vainqueur en duel face à n’importe quel candidat au 2ème tour3. Pourtant, incapable de passer le premier tour, il n’a pas été élu. Il ne s’agit pas de défendre, sur le fond des idées, la candidature de Bayrou, mais bien de nous en tenir au principe de Condorcet selon lequel, de tous les candidats, c’était bien François Bayrou qui était le candidat le plus légitime démocratiquement pour gagner ces élections.

    Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, sous les effets conjugués du spoiler effect et de la dynamique du vote utile est donc nuisible à la bonne représentation des préférences des électeurs en étant incapable de faire élire le vainqueur de Condorcet, tout en conduisant à des dynamiques politiques dommageables pour la tenue d’un débat démocratique constructif. Ces défauts sont suffisamment graves pour remettre en cause la légitimité de l’élection même. Pourtant, bien que ces effets soient connus, nous maintenons cette méthode de vote : quelles en sont les raisons ?

    Des modes de scrutin alternatifs jugés trop compliqués

    L’une des raisons principales relève d’une défiance structurelle à l’égard du changement, quand bien même l’état actuel des choses nous serait collectivement et individuellement défavorable. Ce « biais du statut quo » est un biais cognitif connu en psychologie sociale, qui explique probablement beaucoup des absurdités de notre système politique et économique. Il s’agit néanmoins de le prendre en compte si nous souhaitons réformer notre système de vote.

    Car en effet, la question de la réforme de notre mode de scrutin n’est pas nouvelle. Dès l’irruption des élections dans la vie politique française, des penseurs se sont penchés sur la question de la méthode de vote à choisir afin qu’elle rende compte au mieux des préférences des électeurs. Il existe donc pléthore de modes de scrutin plus vertueux que celui que nous utilisons : les duels électoraux de la méthode de Condorcet, le vote à point de la méthode Borda, le scrutin de Condorcet randomisé, etc.

    Mais plus récemment, c’est la méthode du jugement majoritaire qui a fait grand bruit. Probablement même un peu trop. Les élections présidentielles ont en effet été parcourues de plusieurs petits événements dont celui de la Primaire Populaire, d’initiative citoyenne, qui avait pour objectif de faire émerger une candidature unique à gauche, au moyen d’un mode de scrutin innovant, disposant, de l’avis de beaucoup de spécialistes, d’excellentes propriétés. Cette méthode électorale consiste à donner non pas une note mais une mention à chacune des candidatures : excellent, très bien, bien, assez bien, passable, insuffisant, à rejeter. Pour chaque candidature on obtient ensuite un pourcentage pour chacune des mentions. Il s’agit ensuite de déterminer la mention majoritaire à partir de la médiane.

    Cette méthode de vote, dans le cadre de cette Primaire Populaire, a été beaucoup critiquée et moquée. Outre le fait qu’avec cette méthode nos présidents et députés pourraient être élus sur la base d’une mention « Passable », ce qui comporte sa dose de ridicule4, ce système de vote a paru trop compliqué. Car dans notre contexte politique actuel, marqué par une abstention croissante, complexifier le mode de scrutin fait courir le risque de créer de nouvelles barrières entre les électeurs et les urnes.

    Le seul avantage de notre mode de scrutin est sa simplicité. Pour autant, ses défauts sont trop importants pour que cette seule raison soit suffisante pour le pérenniser. Il s’agit dès lors de trouver une méthode de vote à même de résoudre ces défauts, tout en étant suffisamment simple pour être facilement admise par les électeurs français. La tâche paraît ardue, et pourtant la solution pourrait bien se trouver dans le changement d’un seul des paramètres de notre mode de scrutin.

    Le vote par approbation : l’introduction de la plurinominalité

    Le biais cognitif de statut quo pousse à privilégier l’état actuel des choses, comme suggéré précédemment. Il s’agit donc de perturber le moins possible notre mode de scrutin actuel, tant dans son principe que dans sa mise en œuvre pratique. Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours est simple, il repose, comme son nom l’indique, sur trois principes : l’uninominalité (on doit déposer un seul nom dans l’urne), la majorité (le candidat qui remporte une majorité de suffrage l’emporte) et la réalisation en deux tours, afin de garantir une majorité absolue (plus de 50% des suffrages). Pratiquement, le jour du vote nous nous rendons dans un bureau de vote, déclinons notre identité, récupérons plusieurs bulletins pour garantir le secret de notre vote, nous rendons dans l’isoloir, déposons un nom dans l’enveloppe, et déposons cette dernière dans l’urne après signature et validation de l’identité. A voté.

    Dès lors, sur quel principe faut-il agir pour améliorer notre méthode de vote ? Le principe de majorité est indispensable. Selon le principe de Condorcet, pour qu’une élection soit légitime démocratiquement, il faut que la préférence de la majorité l’emporte. Il semble même qu’avec notre méthode actuelle, ce principe est insuffisamment respecté, étant donné que le vainqueur de Condorcet est presque systématiquement défait. La réalisation de l’élection en deux tours est un principe cosmétique, mais dans le cas de ce mode de scrutin, il s’agit bien plus d’une mesure visant à davantage respecter le principe de majorité en corrigeant les effets néfastes d’un scrutin uninominal, en jouant sur les reports de voix lors du second tour. En effet, les scrutins uninominaux majoritaires à un tour sont considérés comme les pires méthodes de votes par les chercheurs, à commencer par le panel de 21 chercheurs que nous citions en introduction. Ces scrutins reflètent très mal les préférences de la majorité en étant encore plus sensibles au Spoiler effect et au vote utile tel que nous les avons décrits.

    La validité du dernier principe semble plus discutable. Pourquoi ne déposer qu’un nom dans l’urne ? Notre méthode de vote nous pousse à considérer que notre soutien pour un candidat vaut forcément désapprobation de tous les autres, alors que les enquêtes d’opinion démontrent au contraire la forte hésitation des électeurs entre plusieurs candidats5. De manière générale, dans tout autre contexte que les élections politiques, apporter notre soutien à une cause ne se fait pas en exclusion d’une autre. C’est pourtant de cette manière que nous votons pour les élections qui décident de l’avenir de la nation tout entière, en ne prenant aucunement en compte les préférences multiples des électeurs, parfois intensément indécis. C’est donc bien sur le principe de l’uninominalité qu’il faut agir.

    En somme, il faudrait (presque) que rien ne change pour que tout change : d’un vote uninominal majoritaire à deux tours, il s’agit simplement de passer à un scrutin plurinominal majoritaire à deux tours. Le déroulé du vote serait quasiment le même : se rendre dans notre bureau de vote, décliner notre identité, récupérer, plusieurs bulletins, se rendre dans l’isoloir et déposer plusieurs noms dans l’enveloppe, déposer cette dernière dans l’urne après signature et validation de l’identité. A voté.

    Communément, ce mode de scrutin est appelé « vote par approbation ». Comme pour notre système de vote actuel, on pourrait prendre le nombre de votes et le diviser par le nombre total de suffrages exprimés pour rendre compte du résultat en pourcentage. Ces pourcentages d’approbation additionnés dépasseraient probablement les 100 points de %, mais le principe de majorité reste le même : les deux candidats obtenant les % d’approbation le plus élevés peuvent passer au deuxième tour. Celui ou celle qui remporte au deuxième tour une majorité de suffrage l’emporte. Notons par ailleurs qu’un candidat pourrait être élu avec moins de 50% des suffrages, car le fait de ne déposer aucun nom dans l’urne peut être considéré comme une forme particulière de vote (« je n’approuve personne ») qui peut faire diminuer le pourcentage d’approbation des deux candidats (et donc du vainqueur également). Précisons enfin que, dans un scrutin plurinominal majoritaire, la réalisation en deux tours n’est pas vraiment nécessaire, et consisterait plutôt à rassurer les électeurs en ne bousculant pas trop leurs habitudes. En effet, le report de voix n’a plus de sens dans un mode de scrutin pour lequel il est déjà possible d’exprimer ses préférences pour plusieurs candidats.

    Le vote par approbation modifie très peu nos habitudes de vote, et à bien des égards, nous le pratiquons déjà : questionnaire à choix multiples, choix de dates, et Doodle en tous genres. Simple, instinctif même, mais pas seulement. Ce petit changement dans la manière de voter permet de résoudre les deux principaux problèmes de notre mode de scrutin actuel, à savoir le Spoiler effect et le vote utile qui empêche le vote de conviction.

    Petit changement, grandes vertus

    Le problème du Spoiler effect est tout entier contenu dans le fait qu’une candidature supplémentaire peut influencer la quantité de votes que peut en espérer une autre, d’autant plus si ces candidatures sont idéologiquement proches. Avec l’introduction de la plurinominalité, apporter son soutien à une candidature ne revient plus à le retirer d’une autre. D’une certaine manière les candidatures deviennent indépendantes les unes des autres.

    Il n’y a donc plus d’intérêt aussi décisif au fait de constituer une candidature unique, les possibilités de victoire ne dépendent plus d’un élément exogène à la préférence des électeurs mais bien d’un élément endogène, propre aux électeurs et non plus aux partis politiques. Par ailleurs, inutile désormais d’essayer de discréditer les candidatures des autres pour inciter les électeurs à voter spécifiquement pour la sienne, l’enjeu est de convaincre les électeurs de voter aussi pour la sienne, ce qui est une dynamique autrement plus saine.

    De manière plus claire encore, le problème du vote utile qui empêche le vote de conviction ne se pose plus. Chacun peut exprimer librement ses convictions en signifiant son approbation à ses candidats préférés, même si ceux-ci n’ont que très peu de chance de l’emporter, sans que cela ne change le résultat du vote.

    Ainsi, en jouant sur une seule dimension de notre mode de scrutin actuel, à savoir son caractère uninominal, nous en résolvons ses principaux problèmes. Certes, les informations que le vote par approbation permet de récolter sont parcellaires, contrairement à d’autres méthodes comme le vote majoritaire. Pour autant, il a le mérite de s’inscrire dans la continuité de notre système actuel, d’être simple, instinctif et donc acceptable. Mais au-delà de ses propriétés intrinsèques, le vote par approbation changerait le visage de la vie politique française, en en changeant les pratiques électorales et en permettant d’en clarifier l’analyse.

    Le vote par approbation : quelle transformation de la vie politique en attendre ?

    Pour nous inspirer, nous pouvons nous baser sur les résultats de nombreuses études, qui, en France, étudient depuis 20 ans les différents systèmes de vote et leurs conséquences sur notre démocratie. C’est notamment le cas de l’équipe du CNRS Voter Autrement qui, à chaque élection présidentielle, propose aux électeurs de plusieurs bureaux de vote de voter une deuxième fois selon d’autres modes de scrutin. Le vote par approbation a été testé et les résultats sont éclairants.
    Les expériences confirment que le vote par approbation est facile à prendre en main pour les électeurs. Par ailleurs, il est très bien compris (faible nombre de bulletins blancs) et les électeurs se saisissent des possibilités de ce mode de scrutin en « approuvant » en moyenne près de 3 candidats6.

    Il s’agit également de lutter contre les effets néfastes du scrutin uninominal, et faire en sorte d’élire le candidat le plus légitime démocratiquement, à savoir le vainqueur de Condorcet. Là aussi les expériences menées démontrent que c’est bien le cas. D’après les expériences menées en 2007, c’est bien François Bayrou qui aurait été élu avec ce mode de scrutin, avec un taux d’approbation de 50% contre 45% pour Nicolas Sarkozy (voir le tableau ci-dessous).

    Comment expliquer cette différence ? Le vote par approbation nous permet de déterminer le niveau de concentration électorale c’est-à-dire la capacité pour un candidat à attirer le vote des électeurs sans que ces derniers ne votent pour d’autres candidats. En 2007, la candidature de Nicolas Sarkozy témoigne de cette capacité, ces soutiens l’approuvent de manière presque inconditionnelle, sans songer à soutenir d’autres candidats. Pour autant, il n’attire que peu d’autres soutiens au-delà de ce socle de fidèles. Il en va de même pour Jean-Marie Le Pen. Une hypothèse peut-être formulée : cette « fidélité électorale » traduit une tradition du vote de droite, l’élection d’un chef, qui ne doit pas souffrir de concurrence. Cette tradition avantage ainsi largement les candidatures de droite dans notre système de vote actuel, qui dans le cadre de la Vème République, héritière des traditions gaulliste et bonapartiste, a précisément pour objet de faire émerger cette figure du chef. À l’inverse, le vote par approbation promeut une autre culture politique, qui laisse davantage la place au débat d’idées et au compromis.

    Ainsi, les expériences du vote par approbation modifient significativement le classement des candidatures. On le voit dans le tableau ci-dessus, pour les élections de 2007, Bayrou est premier, suivi de Sarkozy, Royal, Besancenot, Voynet et en 6ème position seulement : Jean-Marie Le Pen. En 2012, c’est François Hollande qui est premier suivi par François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Sarkozy, Eva Joly et en 6ème position, toujours une Le Pen7. Pour les élections de 2022, contrairement aux années précédentes, le podium reste inchangé mais l’adhésion à Jadot et Poutou est beaucoup plus élevée. On observe donc systématiquement que « les petits candidats » y sont mieux représentés, ce qui témoigne de l’intérêt des électeurs pour leurs thématiques. De fait, les enquêtes d’opinion nous indiquent bien que parmi les grandes crises que traverse la France, c’est bien la crise sociale qui est la plus importante (46%) et la crise environnementale (30%), largement devant la crise identitaire (24%)8. Là encore, le vote par approbation permet de mieux rendre compte des préoccupations des Français, tandis que le scrutin uninominal érige Eric Zemmour en 4ème homme des élections de 2022.

    Au-delà des changements que le vote par approbation entraînerait sur les résultats des élections, cette méthode permettrait surtout de mieux en comprendre la signification. D’abord, car le vote par approbation permet, naturellement, de prendre en compte un type de vote qu’à l’inverse le vote uninominal éclipse mécaniquement : le vote blanc. En effet, avec cette méthode le fait de déposer une enveloppe vide dans l’urne est bien pris en compte en contribuant à diminuer le taux d’approbation de chacun des candidats. Ce faisant, cela nous permet d’évaluer plus justement le niveau de légitimité du président élu, qui ne peut plus bénéficier au second tour d’une majorité absolue automatique, ou bénéficier au premier tour d’un vote utile pour contrer un concurrent clivant. Le scrutin uninominal a ainsi permis à Emmanuel Macron de récolter 58% de suffrages artificiels, sans que le taux d’abstention ou le vote blanc ne puisse entamer officiellement cette légitimité de façade. Encore aujourd’hui, il nous est impossible de déterminer objectivement les suffrages relevant du vote de conviction de ceux consécutifs au rejet de l’extrême droite, forçant ainsi les commentateurs de tous bords à spéculer sur le sens de ce vote pourtant crucial.

    En second lieu, l’analyse des approbations des électeurs permet d’évaluer comment ces derniers associent implicitement les candidats entre eux. En d’autres termes, le vote par approbation nous autorise à déterminer l’axe politique le plus pertinent pour comprendre le vote des électeurs. Avec cette méthode, il serait possible de répondre à l’une des questions permanentes de la politique française : le clivage gauche-droite est-il mort ? En 2012, la réponse était négative. La dernière étude en date, fondée sur le vote par approbation, fait émerger un banal axe gauche-droite (voir figure ci-dessous). L’analyse est à actualiser, et il est bien possible que cet axe ne soit plus pertinent, pour autant elle a l’avantage d’offrir une réponse scientifique à une question à laquelle on répond davantage à partir de critères idéologiques afin de légitimer un agenda politique.

    Le scrutin uninominal conduit donc à des résultats pour une large part inexploitables pour l’analyse, qui nous condamne à les interpréter subjectivement ou à compenser ses insuffisances intrinsèques par l’usage de sondages à la méthodologie parfois douteuse. À l’inverse le vote par approbation nous permettrait d’obtenir des informations claires sur l’état des forces politiques à un instant donné, et ainsi nous permettre de substituer aux bavardages des commentateurs, la rigueur d’une analyse scientifique.

    Changer notre mode de scrutin constitue dès lors une condition nécessaire pour accorder une légitimité démocratique à nos élections. Nécessaire, certes, mais pas suffisante. Un juste scrutin ne constitue que le dernier jalon d’un ensemble de conditions préalables : indépendance des médias pour une information de qualité, financement public massif des partis et des campagnes politiques, garantie de la représentativité des élus… En somme, assurer ainsi la représentation des intérêts des citoyens, et contribuer à les réconcilier avec une forme particulière de démocratie.

    [1] Larousserie, D. (2012, 6 avril). Le vote par approbation. Le Monde.frhttps://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/04/06/le-vote-par-approbation_1681234_1650684.html

    [2] Le Monde. (2002, 27 février). Deux sondages donnent Lionel Jospin favori. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/02/27/deux-sondages-donnent-lionel-jospin-favori_264485_1819218.html

    [3] Liberation.fr (2007, 19 février). Sondage : au second tour, Bayrou gagnerait face à Sarkozy ou Royal. Libérationhttps://www.liberation.fr/france/2007/02/19/sondage-au-second-tour-bayrou-gagnerait-face-a-sarkozy-ou-royal_12708/

    [4] Et n’a pas manqué d’être moqué : 

    Birken, M. (2022, 31 janvier). Les résultats de la primaire populaire valent le détour(nement). Le HuffPosthttps://www.huffingtonpost.fr/entry/resultats-primaire-populaire-valent-le-detournement_fr_61f790c7e4b04f9a12bf3bc4

    [5] Sciences Po CEVIPOF, Fondation Jean Jaurès, Le Monde, Ipsos, & Sopra Steria. (2022, avril). Enquête électorale française (ENEF) 2022https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/EnEF%202022-Vague%209.pdf. p.33

    [6] Baujard, A., Gavrel, F., Igersheim, H., Laslier, J. F., & Lebon, I. (2013). Vote par approbation, vote par note. Revue économique, Vol. 64(2), 345‑356. https://doi.org/10.3917/reco.642.0006

    [7] Baujard, A., Gavrel, F., Igersheim, H., Laslier, J. F., & Lebon, I. (2013). Vote par approbation, vote par note. Revue économique, Vol. 64(2), 345‑356. https://doi.org/10.3917/reco.642.0006

    [8] Sciences Po CEVIPOF, Fondation Jean Jaurès, Le Monde, Ipsos, & Sopra Steria. (2022, avril). Enquête électorale française (ENEF) 2022https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/EnEF%202022-Vague%209.pdf. p.9

    Quelle place pour la CGT dans l’espace de la contestation sociale ?

    https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Manifestation_contre_la_loi_Travail_9_avril_2016_04.JPG
    Manifestation contre la loi Travail du 9 avril 2016 à Paris. © Wikimedia Commons. 

    La multiplication des défaites du mouvement ouvrier dans un contexte d’intensification des crises – écologique, sociale ou sanitaire – a contribué à voir émerger de nouveaux acteurs contestataires porteurs de discours critiques sur l’action des syndicats, et en particulier sur le plus important d’entre eux : la Confédération générale du travail (CGT). Ces critiques invitent à interroger le rôle et le positionnement de la CGT – et, dans une moindre mesure, des autres syndicats de transformation sociale, qui en suivent souvent l’agenda – dans l’espace de la contestation et de la lutte.

    Samedi 1er mai 2021, en marge de la manifestation organisée à l’occasion de la journée internationale des droits des travailleurs, le service d’ordre de la CGT a été pris pour cible par des manifestants, dont l’affiliation s’avère compliquée à déterminer. Si la CGT affirme que le mode opératoire des agresseurs s’apparentait à celui de l’extrême-droite, d’autres sources incriminent des Gilets jaunes, des antifascistes ou encore des participants au Black Bloc1. L’identité des individus ayant caillassé des camionnettes du syndicat et blessé vingt-et-un syndicalistes – dont quatre grièvement – s’avère au fond secondaire. On aurait tort, en revanche, de considérer cet épisode comme anecdotique. Il cristallise des questions portant sur le fonctionnement, le rôle et les défis que devront affronter les syndicats dans les temps à venir. Plus encore, il nous fournit l’occasion de revenir et d’essayer de comprendre les déceptions que le syndicat a pu susciter auprès de groupes soucieux de nouvelles formes de politisation – à commencer par les Gilets jaunes.

    LA LENTEUR NÉCESSAIRE DES PROCESSUS DÉMOCRATIQUES SYNDICAUX : LA CGT FACE AUX GILETS JAUNES

    En premier lieu, il convient de rappeler que la défiance anti-syndicale n’est pas nouvelle. Dans les années 1960-70, il n’était pas rare que des affrontements surgissent entre le puissant service d’ordre de la CGT et des militants de gauche ou d’extrême-droite2. Dans le contexte actuel, cependant, l’affaire prend un autre tour.

    Aussitôt après la fin de la manifestation, des témoignages ont émergé accusant la CGT de faire le jeu de la police et du pouvoir3 . Sont revenus sur le tapis les reproches formulés à l’encontre du syndicat, coupable de n’avoir pas soutenu – ou bien très tardivement – les Gilets jaunes. On se souviendra, en effet, des accusations de Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT qui, à la mi-novembre 2018, dénonçait le soutien patronal à un mouvement décrit comme porteur d’un agenda anti-taxe, citant en exemple l’appui de Michel-Édouard Leclerc, dirigeant de la firme qui porte son nom, aux contestataires. On se souviendra plus encore de cette phrase, prononcée sur France Inter le 16 novembre de la même année, à la veille d’une des premières mobilisation des Gilets Jaunes : « Il est impossible d’imaginer la CGT défiler à côté du Front national ; la CGT ne peut pas s’associer. »4 Si certaines Unions locales (UL) ont pu localement s’impliquer dans le mouvement, les organisations de gauche ont mis du temps à se défaire de leur méfiance originelle. La lenteur de la réaction du syndicat n’était toutefois pas uniquement due à des réticences idéologiques. Des raisons structurelles, qui tiennent à l’organisation interne de la CGT, sont également à prendre en considération pour comprendre ce rendez-vous manqué.

    La CGT a gardé des temps de sa fondation une double structure : le syndicat est né en 1895 de la fusion d’une part de la Fédération des bourses du travail, organisée suivant une logique territoriale et dont sont héritières les Unions locales et départementales, et d’autre part de fédérations organisées suivant une logique de branche professionnelle (enseignement, métallurgie etc.)5. Cette structure permet aux syndiqués de tisser des liens aussi bien dans leur espace de résidence, où dialoguent les travailleurs de différents secteurs (pour les Unions locales), que dans leur espace d’exercice professionnel.

    Par ailleurs, chaque Union locale ou chaque fédération dispose d’organes représentatifs regroupant les militants qu’elle organise. Ce fonctionnement, très efficace en tant que tel, a néanmoins le défaut de ses qualités : la CGT souffre d’un empilement d’instances enchevêtrées, difficilement lisible. Ces instances de base tiennent des congrès, au cours desquels sont élus des secrétaires généraux qui eux-mêmes siègeront dans le comité confédéral national (CCN), sorte de parlement du syndicat, réuni tous les trois à quatre mois, et où sont discutées les grandes orientations de la confédération6. À chaque échelon, la CGT fonctionne selon le principe du mandatement – c’est-à-dire que chaque délégué dispose d’un mandat, défini par les militants des instances qu’il représente, et auquel il doit se tenir. Ce fonctionnement, que d’aucuns jugeront bureaucratique, implique une certaine lenteur dans la prise de décision.

    Cette lenteur, qui n’est autre que la condition de mise en œuvre d’une démocratie réellement représentative, se retrouve mise en cause dans un système médiatique contaminé par l’accélération des temps de l’information7. Les chaînes d’information en continu sont symptomatiques de cet emballement du rythme médiatique, qui exige réactivité et empressement. Cette exigence de réactivité n’est pas étrangère à la personnalisation de la vie politique, de plus en plus centrée autour de figures charismatiques déconnectées des organisations qui les portent : le seul moyen de satisfaire aux attentes des nouveaux moyens de communication (chaînes d’information en continu mais aussi réseaux sociaux) consiste en effet à se défaire de toute préoccupation de représentativité, qui supposerait la mise en place d’une délibération collective nécessairement chronophage, pour ne parler qu’en leur nom propre.

    Ces évolutions du système médiatique expliquent, entre autres choses, l’autonomisation croissante des dirigeants politiques. En adressant une grande partie de leurs revendications au président de la République8, comme si ce dernier était seul dépositaire de l’autorité publique, les Gilets jaunes ont en quelque sorte contribué – malgré eux, il faut bien le reconnaître – à avaliser cette logique non-démocratique. Refusant eux-mêmes l’extrême concentration d’une parole publique monopolisée par quelques individus, les Gilets jaunes, pour s’adapter à l’accélération du rythme de l’information, ont laissé chacun des membres du mouvement s’exprimer librement, sans préoccupation de représentativité – ce qui a au passage contribué à brouiller leur message, devenu peu audible. Faute d’avoir accepté le principe de délégation du pouvoir, ils ont laissé émerger une multitude de « leaders », sanctionnant ainsi paradoxalement l’autonomisation des dirigeants politiques.

    Toujours est-il que la CGT, surprise par la rapidité de surgissement du mouvement des Gilets jaunes, n’a pas su réagir immédiatement – indépendamment de réticences idéologiques que nous avons évoquées plus haut. Cette désynchronisation du temps démocratique et du temps médiatique, dans la mesure où les médias sont devenus le lieu d’expression privilégiée de la délibération collective, constitue un sérieux défi pour toute organisation politique. Seul un ralentissement du rythme de l’information – ralentissement qui ne peut intervenir que si lesdites organisations se montrent capables d’influer substantiellement sur l’agenda politique – permettrait de résoudre cette contradiction apparente.

    En attendant, la naissance d’un mouvement revendiquant des formes renouvelées d’expression s’inspirant de pratiques de démocratie directe témoigne, répétons-le, d’une déception vis-à-vis de l’action menée par les syndicats. De cette déception naissent des critiques et des doutes légitimes quant au rôle joué par la CGT, interrogeant la place des syndicats dans l’espace contestataire.

    À QUOI SERVENT LES SYNDICATS ?

    La crise que subissent les syndicats dans ce contexte d’accélération médiatique ne remet pas en cause leur utilité fondamentale. En premier lieu, outre la défense des travailleurs victimes d’abus ou d’injustices provenant de leur hiérarchie (dans le secteur privé comme dans les trois fonctions publiques – d’État, territoriale et hospitalière), rappelons le caractère décisif des publications syndicales, qui informent les travailleurs sur leurs droits sociaux et sur les transformations affectant leur branche professionnelle. Cette dimension, souvent laissée de côté, revêt un caractère primordial. Les syndicats ont acquis une compétence juridique extrêmement pointue, qui leur permet de défendre au mieux les intérêts quotidiens des travailleurs.

    Une fois encore, toute médaille a son revers, et cette capacité à s’appuyer sur le droit se paie au prix d’un attachement aux cadres juridiques, rarement subvertis. De là l’accusation de légalisme, qui conduit les syndicats de contestation sociale (CGT, FSU, Solidaires ou FO) à se voir accusés de mollesse, particulièrement dans les périodes de forte régression des droits sociaux. Les incidents du 1er mai dernier, où les membres du service d’ordre de la CGT se sont vus accusés d’être des « collabos », que cette accusation provienne de groupes d’extrême-droite ou non, sont révélateurs d’une défiance croissante à l’égard du manque de combativité du syndicat, inaudible lors des protestations contre la loi « Sécurité globale », au cours desquelles il a peu mobilisé. Le syndicat ne s’est pas non plus fait entendre sur la loi « Séparatisme », pas plus que sur les multiples reconductions de l’état d’urgence (anti-terroriste puis sanitaire) ou sur le décret du 2 décembre 2020, qui permet de ficher des individus ou des « groupements » en fonction de leur « opinion politique », de leur « appartenance syndicale » ou bien encore de leurs « convictions philosophiques ou religieuses »9, ni même sur les menaces de dissolution de l’UNEF, bien que cette dernière constitue un interlocuteur privilégié de la CGT auprès des étudiants. L’organisation, malgré des communiqués sans équivoque et des recours juridiques plus ou moins efficaces, a donc été peu présente dans ces mobilisations de terrain.

    Le rôle politique du syndicat ne se limite pourtant pas aux revendications portant sur le monde du travail. La charte d’Amiens, établie en 1906 et qui demeure un texte de référence pour la CGT (et pour l’Union syndicale Solidaires), affirme ainsi la double mission du syndicat : « Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. ; Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale. »

    Pour atteindre une telle « émancipation intégrale des travailleurs », il semble incontournable de s’appuyer sur un syndicat comme la CGT, qui demeure la plus grosse organisation politique de travailleurs – en 2019, la CGT revendiquait environ 640 000 adhérents –, avec des militants actifs et impliqués. Les manifestations et grèves massives contre la « Loi Travail », en 2016 – en particulier, les grèves dans les transports, les raffineries ou dans le secteur de l’électricité –, ou contre la réforme des retraites, en 2019-2020, attestent de la puissance de mobilisation de la CGT, acteur central de toute tentative de résistance sociale radicale10.

    Toutes ces mobilisations, répétons-le, concernaient le monde du travail, témoignant là encore des difficultés des syndicats à s’aventurer sur des problématiques plus vastes ou à adopter une lecture systémique des mutations contemporaines du capitalisme néolibéral. En un sens, c’est bien un défaut d’analyse politique – insuffisamment englobante – que mettent en lumière les événements malheureux du 1er mai, qui précipitent la division des forces contestataires.

    On rétorquera, à la lumière de ses initiatives récentes, que la CGT a bien pris la mesure de cet enjeu, en multipliant les coopérations avec des organisations non-syndicales sur des sujets qui dépassent le monde du travail. En mai 2020, dans le contexte de la crise sanitaire, la CGT (ainsi que la FSU, l’Union syndicale Solidaires, l’UNEF, l’UNL) a par exemple participé à la création de la plate-forme « Plus jamais ça ! Un monde à reconstruire » aux côtés d’associations comme Attac, Greenpeace ou Oxfam. Cette plate-forme visait à proposer une série de mesures permettant de sortir de la crise économique et écologique, opportunité de « prise de conscience et de réflexions »11. Philippe Martinez a même donné un entretien croisé au Monde avec Aurélie Trouvé, co-présidente d’ATTAC, avec l’objectif d’expliquer sa démarche12. Un an plus tard, le 28 avril 2021, ces mêmes organisations se réunissaient devant le ministère des Finances, à Paris, pour une opération médiatique visant à attirer l’attention sur la fermeture de la papeterie de Chapelle Darblay, près de Rouen – seule usine de production de papier recyclé en France et responsable de 231 licenciements.

    Cette ouverture de la CGT à la question écologique, largement documentée par la presse de référence, semble plutôt constituer l’arbre qui cache la forêt. Ces initiatives permettent certes de donner une visibilité au syndicat, en particulier auprès des groupes sociaux les plus favorisés, et d’élargir son audience. Les tribunes, plates-formes et autres sommets débouchent toutefois sur des propositions destinées à rester lettre morte, faute de pouvoir être mises en œuvre – et d’autant plus que le grand nombre d’organisations signataires conduit souvent à chercher le plus petit commun multiple les unissant, c’est-à-dire à réduire la voilure sur l’ampleur de leurs revendications. L’opération médiatique du 28 avril dernier, pour reprendre cet exemple, témoigne bien que ces actions ne sont pas en mesure de mobiliser, ou même de politiser, des masses : le rassemblement au pied du ministère des Finances a réuni moins de mille personnes. Ces liens transversaux entre organisations, établis par le haut, accroissent le pouvoir d’alerte de la CGT, sans donner un débouché aux défis auxquels est confronté le syndicat – baisse de l’activité militante à la base, vieillissement des adhérents, difficulté à organiser le nouveau prolétariat précaire des travailleurs de plateformes et à faire valoir ses vues dans le cadre de la généralisation du télétravail. On remarquera, au surplus, que les partis politiques sont demeurés absents des collectifs unissant syndicats, associations et ONG – fait qui entrave encore un peu plus la capacité de ces collectifs à réaliser leurs objectifs.

    VERS UNE DIVISION DU TRAVAIL MILITANT

    Dans l’espoir de voir émerger une véritable alternative en mesure de produire une nouvelle vision du monde et de transformer la société, il conviendrait en somme, forts de ces réflexions sur la centralité politique des syndicats, de repenser l’articulation entre trois types d’acteurs de manière à aboutir à une véritable division du travail militant. C’est séparément, mais unis par un accord tacite, que doivent agir : en premier lieu, les partis politiques, acteurs privilégiés du jeu électoral, chargés d’établir un programme précis en vue d’une prise de pouvoir gouvernemental.

    En second lieu, les syndicats13 (et, dans une moindre mesure, les associations politiques et/ou militantes comme le Droit au Logement (DAL), Attac, la Ligue des Droits de l’Homme), moteurs des luttes sociales – qui à la fois rendent possible la prise de pouvoir susmentionnée par la construction d’une nouvelle hégémonie politique, et contraignent les partis de transformation sociale, si d’aventure ceux-ci parviennent au pouvoir, à tenir leurs engagements. Par la grève ou les manifestations, les syndicats ont en outre pour mission d’établir un rapport de forces entre les classes antagonistes (travailleurs/patronat ; travailleurs/gouvernements) – ce rapport de forces qui seul permet une application du droit favorable aux travailleurs, et qui précisément a manqué, rendant inopérantes les actions juridiques engagées par les syndicats depuis un an.

    Le troisième acteur de ce triptyque résiderait dans ces mouvements de base auto-organisés formant la nébuleuse mouvementiste, dont la radicalité de l’action aurait pour but de pousser les masses à prendre position, c’est-à-dire à prendre la parole – donc à se politiser. Ces mouvements ne pourraient entretenir avec les deux types d’organisation précédemment évoqués que des relations invisibles et silencieuses – tacites, nous l’avons dit –, sans quoi ils risqueraient d’hypothéquer la capacité des partis et syndicats à élargir leur assise politique. Chacun à leur façon, les Gilets jaunes, les organisations antifascistes ou le Black Bloc sont le signe d’un désir de radicalité qui s’exprime au sein de la société française face au renforcement du capitalisme néolibéral, et leur action alimente les tentatives visant à voir émerger des chemins politiques alternatifs.

    Cette répartition exige que ces trois acteurs, unis par une dialectique d’élargissement/approfondissement, demeurent disjoints mais solidaires – à rebours des divisions que connaît un mouvement d’opposition déjà minoritaire –, respectueux de leurs différences, et sans que l’un des trois pôles ne recherche la domination sur les deux autres.

    Précisons enfin : l’articulation unitaire de ces trois pôles n’exige pas qu’ils soient monolithiques en leur sein. Au contraire, on pourrait imaginer qu’entre eux, partis, syndicats et mouvements auto-organisés déclinent les mêmes relations d’accord tacites, en couvrant là aussi un large spectre politique (de Génération.s à Lutte ouvrière en passant par le Parti communiste français, la France Insoumise et le Nouveau Parti Anticapitaliste ; de la FSU à Solidaires ou la CNT etc.), articulant intégration à l’espace de la contestation anticapitaliste – ou à tout le moins antinéolibéral – et radicalisation au sein de cet espace.

    On l’aura compris : dans ce schéma, les syndicats dits contestataires – et, au premier chef, le plus puissant d’entre eux : la CGT – ont une place de choix. Plus qu’à d’infinis débats visant à identifier les responsables de l’atonie de la contestation sociale, c’est donc à une réflexion sur leur rôle, leurs modes d’action et la ligne politique qu’ils défendent qu’ils doivent désormais s’atteler.

    1 « Après les violences du 1er-Mai à Paris, la CGT met en cause la préfecture de police », Le Monde, 5 mai 2021.

    2 Entretien avec Sophie Béroud, « La CGT prise pour cible le 1er-Mai : ”Une attaque ciblée, qui dépasse la seule critique des syndicats” », Le Monde, 4 mai 2021.

    3 Voir l’article publié sur paris-luttes.info, dont l’auteure est issue plutôt de la mouvance autonome.

    4 « “Blocage du 17 novembre” : Philippe Martinez (CGT) pointe le patronat qui “aide à la mobilisation” en favorisant les arrêts de travail », FranceTvInfo, 16 novembre 2018.

    5 Michel Dreyfus, Histoire de la CGT. Cent ans de syndicalisme en France, Bruxelles, Complexe, 2005.

    6 Deux autres instances constituent la direction de la CGT : le bureau confédéral et la commission exécutive.

    7 Harmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, Paris, La Découverte, 2013. Lire en particulier le chapitre 4, « Accélération des techniques et révolution du régime spatio-temporel », pp. 125-136.

    8 Emmanuel Terray, « Gilets jaunes, irruption de l’inédit », intervention organisée le 23 janvier 2019 par l’Institut Tribune socialiste au Maltais rouge (Paris Xè).

    9 Décret n° 2020-1511 du 2 décembre 2020 modifiant les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel dénommé « Prévention des atteintes à la sécurité publique », paru au JORF n° 0293 du 4 décembre 2020. Cela ne signifie pas que la CGT ne s’est pas positionnée dessus, en l’occurrence par un communiqué du 16 décembre 2020.

    10 On notera du reste que les syndiqués des transports, des raffineries et de l’électricité ont tendance à assumer le poids des mobilisations, y compris d’un point de vue financier – les grèves reconductibles s’étant faites très rares dans les autres secteurs, qui ne se mobilisent plus guère que lors de journées d’actions sporadiques.

    11 Voir https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2020/05/Le-plan-de-sortie-de-crise.pdf.

    12 Entretien avec Philippe Martinez et Aurélie Trouvé, « Face à la crise, il faut sortir du système néolibéral et productiviste », Le Monde, 26 mai 2020.

    13 Il n’est ici question que des syndicats dits de contestation sociale (FSU, Solidaires, FO, CGT, CNT).

    Le Référendum d’Initiative Citoyenne : héritier de la Révolution française

    D’une contestation fiscale sur le prix du carburant, le mouvement des gilets jaunes a muté au fil des semaines et incarne désormais une volonté de refondation démocratique de nos institutions. La création d’un référendum d’initiative citoyenne, qui permettait au peuple de se saisir directement des décisions publiques est au cœur de ses revendications politiques. Le “RIC”, comme il convient maintenant de l’appeler, bouleverserait profondément notre ordre constitutionnel pour court-circuiter le principe de représentation qui prévaut en France depuis la fin de la Révolution.


    Révocation des élus, mandats impératifs, proposition directe et abrogation de la loi ou encore modification de la Constitution, sont autant de prérogatives que les gilets jaunes souhaitent voir directement entre les mains des citoyens. Cette revendication ravive la tension intrinsèque qui existe entre démocratie directe et représentative. À l’issue de la Révolution française, la démocratie représentative s’est imposée, ne laissant aucune place à des formes de démocratie directe.

    Nombre de commentateurs présentent le RIC comme la porte ouverte à l’expression des plus bas instincts déraisonnés du peuple. Faut-il ainsi craindre la perspective de la démocratie directe, ou au contraire la louer comme le renouveau tant attendu de notre système politique ?

    Démocratie directe contre démocratie représentative  

    Si l’idée d’un référendum d’initiative citoyenne laisse dubitatifs nombre d’observateurs de la vie politique, c’est que le concept de représentation est fondateur de la République Française. La constitution des députés du Tiers-Etat aux États généraux en Assemblée nationale constituante le 17 juin 1789 est l’acte révolutionnaire qui fait émerger la démocratie parlementaire moderne.

    Pourtant, dès la Révolution, il existe déjà une tension entre le principe de démocratie représentative et l’idéal rousseauiste de nombreux révolutionnaires. Pour Jean-Jacques Rousseau, le principe de représentation aboutit nécessairement à une confiscation du pouvoir. Dans Le contrat social (1762) il explique que la volonté générale ne peut s’exprimer que par la démocratie directe avec un peuple éduqué aux enjeux civiques :

    “La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point”

    Du Contrat social, Livre III, Chapitre XV

    Cet idéal de démocratie directe à l’état pur est évidement inapplicable à l’échelle de la France du XVIIIe siècle où le peuple est majoritairement illettré et la communication entre les départements difficile. Pourtant, nombreux sont les courants révolutionnaires, inspirés par les écrits de Rousseau, qui prônent la mise en place de mécanismes permettant au peuple, sinon de légiférer directement, du moins d’exercer un contrôle sur leurs élus. Ils sont définitivement défaits le 9 Thermidor, date de la chute de Robespierre. Pour les générations de républicains qui lui succèdent c’est le parlementarisme qui incarnera le degré réel le plus abouti de la démocratie ; conviction renforcée face aux nombreux périls (restauration monarchiste, césarisme, fascisme…) qu’ils devront affronter au cours des années. 

    Le principe de représentation n’a que rarement été contesté par les républicains et les démocrates en France. Ceux-ci d’ailleurs se méfient historiquement des référendums assimilés aux “plébiscites” du Second Empire, comme d’un outil au service du césarisme et du pouvoir personnel de l’Empereur puis du Président de la République. Mais avec le RIC, l’initiative référendaire serait inversée puisque les citoyens et non plus seulement les gouvernants pourraient en initier la procédure.

    À l’exception notable de la Commune de Paris de 1871, qui institue des dispositifs de démocratie directe comme le mandat impératif et la révocabilité permanente des élus, l’expérience de la démocratie directe est donc relativement inédite en France depuis la Révolution française. 

    Le principe de représentation est ainsi sanctuarisé par la Constitution de la Ve République qui proclame notamment en son article 27 “Tout mandat impératif est nul”. Cela signifie que les élus sont libres de leur choix politiques après leur élection et ne peuvent pas être contraints dans leurs décisions, même lorsque cela concerne des points du programme sur lequel ils ont été élus.

    Discrédit de la représentation politique 

    L’aspiration à une prise de décision directe par les citoyens procède logiquement de la dévalorisation et du discrédit jeté sur les institutions représentatives.

    Cette situation était annoncée par l’augmentation tendancielle du taux d’abstention, multiplié par deux en 50 ans aux élections législatives par exemple. Cette abstention, que les élites ont trop souvent voulu voir comme un désintérêt croissant des citoyens pour la chose publique, relève certainement pour une grande part d’entre eux d’un acte politique, revendiqué ou non, de rejet du système. 

    En ce sens l’écho que trouve le RIC est l’émanation d’une volonté populaire de réinvestir la politique, dont nombre de citoyens se sentent dépossédés.

    C’est précisément cette demande de réappropriation de la politique qui effraye tant les élites. Celles-ci se sont accaparé de plus en plus la décision et l’activité politiques, devenues au fil du temps des pratiques quasiment ségréguées, uniquement exercées par les classes supérieures : 4,6 % des députés seulement sont employés et aucun n’est ouvrier. 

    Cette peur des élites de voir le peuple surgir dans le débat politique, dont elle se sentent les propriétaires légitimes et dont elles édictent les règles, est aujourd’hui palpable dans les grands médias et chez les intellectuels institués.

    Pour continuer à filer la métaphore révolutionnaire, ce clivage imite le débat qui avait déjà lieu entre les tenants d’une République bourgeoise et censitaire contre les sans-culottes, partisans de la démocratie directe. De ce point de vue, le clivage sociologique et les arguments des deux camps semblent n’avoir que peu évolué. D’un coté on trouvait déjà ceux qui voulaient pousser plus loin la Révolution pour y investir le peuple. Parmi eux, on trouvait Robespierre qui affirmait :

    “Partout où le peuple n’exerce pas son autorité, et ne manifeste pas la volonté par lui-même, mais par des représentants, si le corps représentatif n’est pas pur et presque identifié avec le peuple, la liberté est anéantie”

    Robespierre, discours du 18 mai 1791

    En face, on trouvait déjà les tenants d’une révolution des bonne gens, toujours prompts à s’émouvoir des excès de la foule et de la démocratie :

    “Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants”

    Sieyès, discours du 7 septembre 1789

    Le RIC pourrait donc s’inscrire dans la lignée de l’esprit des révolutionnaires de l’an I, désireux de pousser plus loin les principes démocratiques de la Révolution. La constitution de 1793 prévoyait d’ailleurs un contrôle des lois par le peuple. Mais avec la chute de Robespierre et la réaction thermidorienne, celle-ci ne fut jamais appliquée au profit d’un retour au système représentatif stricte. 

    L’émergence de l’expression citoyenne sans intermédiaires 

    Le mouvement des gilets jaunes procède d’un autre phénomène politique majeur des dernières années : la désintermédiation de la politique.

    Le peuple s’adresse directement au chef — Emmanuel Macron — et ce sans passer par des partis, des organisations syndicales ou des institutions politiques. 

    Il conviendrait de s’interroger sur les facteurs qui ont permis ce phénomène nouveau. Bien sûr, il y a un facteur technologique, les réseaux sociaux. Il y a aussi l’atomisation des cercles de sociabilité consécutive aux évolutions de notre société qui ont affaibli les corps intermédiaires comme les syndicats. 

    Mais il convient de ne pas oublier un facteur sous-estimé : la dévalorisation du politique consenti par les élites elles-même. Ce transfert de souveraineté politique opéré par les tenants de la rationalisation néolibérale vers l’échelon bureaucratique européen ou vers les puissances économiques participe aussi à délégitimer une représentation parlementaire perçue comme impotente. Pas étonnant dans ces conditions que la colère s’adresse directement à la seule figure apparemment décisionnaire, le Président de la République. 

    Le mouvement actuel n’est pas, comme on le lit trop souvent, un moment anti-parlementariste comme ont pu l’être la crise du 6 février 1934 ou le moment poujadiste ; tout simplement parce que le Parlement n’est plus le réel détenteur du pouvoir. Les modalités d’expression de la colère montrent qu’elle se cristallise autour du Président de la République plutôt que sur la représentation nationale. Cette dernière est simplement accusée d’être inutile, et c’est en ce sens qu’il faut comprendre les demandes de suppression du Sénat ou de diminution des frais de fonctionnement de l’Assemblée. Au fond, c’est la logique d’ultra-présidentialisation de la Ve République, qui a été digérée par le mouvement des gilets jaunes.

    En affaiblissant la représentation parlementaire, la Ve République a pavé la voie à l’émergence de la demande de démocratie désintermédiée. 

    Le RIC peut réconcilier le peuple avec la politique 

    La mise en place d’un RIC s’imposant au législateur pourrait permettre de parachever la souveraineté politique du peuple français.  

    Mais la démocratie directe n’est pas prête de remplacer le principe de représentation au sens large sur lequel repose le parlementarisme et la politique en général. D’ailleurs le mouvement des gilets jaunes, malgré son rejet de toute délégation de la représentation à été confronté à cette contradiction, et de fait des représentants officieux du mouvement ont émergé pour en porter publiquement les revendications. 

    Les exemples de pays ayant recours à des dispositifs de démocratie semi-directe démontrent que des régimes politiques très divers peuvent l’utiliser. Peu de points communs en effet entre le modèle Suisse, Italien et Vénézuélien, si ce n’est que dans aucun de ces pays la question de la représentation n’a été totalement dépassée et la démocratie directe totalement instituée.

    Il sera impossible de ne pas prendre en compte ce phénomène de désintermédiation de la politique qui traverse les sociétés occidentales. Pour le moment, le mouvement de désintermédiation de la politique dans d’autres pays (Italie, Etats-unis, Brésil…) c’est principalement traduit par la construction d’un rapport vertical entre un leader et le peuple. 

    Il y a fort à parier que la réponse du gouvernement à cette demande des gilets jaunes consistera à concéder de nouveaux dispositifs de démocratie participative, ou à alléger les conditions de mises en œuvre de ceux existants sans toucher à l’esprit des institutions. Ce serait pourtant passer à coté de l’enjeu de fond. 

    La révision constitutionnelle de 2008 a mis en place le référendum d’initiative partagée. Il est pourtant dans les faits inapplicable : son objet est limité et surtout l’initiative en est réservée à un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Il n’a ainsi jamais été mis en œuvre à ce jour. 

    On soulignera aussi l’existence de l’initiative citoyenne européenne (ICE) qui permet de soumettre des propositions législatives à la Commission européenne en rassemblant un million de citoyens. Si les conditions de recevabilité sont exigeantes et l’objet là aussi limité, certaines ont déjà abouti, et le Parlement européen a demandé à ce que les conditions soient assouplies, sans succès. 

    Dans tous les cas, ni l’ICE ni le référendum d’initiative partagée en France n’ont de caractère contraignant. Hors, c’est précisément ce caractère contraignant qui constituerait une véritable révolution politique, en plaçant dans les faits la volonté directe des citoyens au-dessus de celle des représentants.

    En permettant aux citoyens d’intervenir directement, le référendum d’initiative citoyenne pourrait être une des solutions pour résoudre cette crise de la représentation et donc de la démocratie. 

    Crédit photo : ©Olivier Ortelpa