Commerces fermés, emplois menacés

Restaurant fermé à Paris suite aux mesures contre le COVID-19. © Mikani

Alors que semblait se profiler un troisième confinement, les bars et restaurants restent désespérément clos. Comme tant d’autres, ces professionnels se retrouvent donc sans perspective stable après presque un an de fermeture. Cette mesure, catastrophique pour les petits commerces, ne repose pourtant sur aucun fondement scientifique, notamment dans les zones peu denses. Dès lors, elle est apparue comme une distorsion de concurrence au profit de la grande distribution et de la vente en ligne. La portée des conséquences pour les 600.000 entreprises et les 1,3 millions d’actifs potentiellement menacés est loin d’être pleinement mesurée par le pouvoir politique.

Le 30 octobre, le président annonçait une deuxième vague de confinement en France. Dès le lendemain, les commerces « non essentiels » devaient baisser leur rideau. Depuis, la fronde autour de cette définition floue a traversé tout le pays. L’opinion a en particulier perçu la situation de concurrence déloyale induite par la possibilité pour d’autres canaux de distribution de continuer à vendre. Cette mesure est subie d’autant plus durement que les efforts et investissements consentis par ces « commerces non essentiels » pour se conformer aux nouvelles contraintes ont été importants. En tout état de cause, la définition du protocole après la fermeture administrative plutôt qu’avant laisse songeur.

La brutalité de cette mesure, annoncée la veille pour le lendemain, sans concertation et sans alternative, est symptomatique de la gestion de crise. La grande distribution avait pourtant bénéficié de quelques jours pour faire fermer ses rayons non essentiels, suscitant la ruée sur les jouets de Noël. In fine, cette dernière mesure s’est révélé parfaitement inique : elle n’a bénéficié qu’aux géants de la vente en ligne, comme l’ont déjà fait remarquer associations et élus.

La brutalité de cette mesure, annoncée la veille pour le lendemain, sans concertation et sans alternative, est symptomatique de la gestion de crise.

Les déclarations – uniquement symboliques – du gouvernement à propos d’Amazon révèlent un rapport de force largement défavorable. Visiblement, l’intérêt général ne permet pas d’envisager des mesures limitatives à l’égard de la vente en ligne, alors qu’il s’agit de la justification qui a présidé à la fermeture des commerces. Et ce malgré la distorsion de concurrence induite par le virus et les risques existants sur les plateformes logistiques. En parallèle, les propos de la start-up nation invitant les commerces traditionnels à se numériser et les aides proposées font l’impasse sur la relation humaine au cœur de leur activité.

En outre, le passage à la vente en ligne relève d’une véritable stratégie, et ne constitue en rien une solution de crise. Les villes qui ont permis d’effectuer ce passage l’avaient préparé dès le premier confinement. Aussi, l’État aurait eu davantage intérêt à nationaliser l’une des start-ups qui interviennent dans le domaine. En créant un véritable service public pour ces entreprises, il aurait offert une aide concrète et immédiate. En l’absence de stratégie coordonnée pour engager ce virage, les initiatives ont essaimé dans tous les sens. Bien que proche du terrain, cette effusion a beaucoup coûté en énergie et en temps, et elle désoriente le consommateur.

Un tissu économique vital très fragilisé

Depuis le premier confinement, les commerces physiques se trouvent fragilisés. En effet, malgré les aides existantes, les commerces ont dû investir pour rouvrir en mai mais sont encore confrontés à des évolutions du protocole sanitaire. En parallèle, suite aux restrictions, ces établissements se voient contraints de fonctionner en sous régime par rapport à leurs capacités. En conséquence, ils se retrouvent face au dilemme suivant : ou bien rester fermés et ne plus avoir de revenus pour assumer leurs charges, ou bien rester ouverts en fonctionnant à perte.

La première variable d’ajustement sera logiquement l’emploi, malgré les mécanismes mis en place pour le soutenir. Les aides apportées, notamment sous forme de prêts ou de reports de charges, se sont vite avérées insuffisantes. Si elles répondent à un besoin temporaire de trésorerie, elles ne compensent pas les pertes liées au manque d’activité. Et ce d’autant que l’endettement des entreprises avait déjà augmenté ces dernières années. Les montants consentis dans le cadre du plan de relance en septembre, entre 10 et 20 milliard d’euros, apparaissent déjà bien en deçà des besoins.

Aujourd’hui encore c’est l’incertitude qui menace les perspectives de ces employeurs.

Aujourd’hui encore c’est l’incertitude qui menace les perspectives de ces employeurs. Les tergiversations permanentes du gouvernement depuis les fêtes ont conduit de nombreux français à renoncer ou à reporter leurs dépenses, d’où une gestion particulièrement complexe des stocks, notamment dans le secteur de la restauration. Les restaurateurs, s’appuyant par ailleurs sur une date de réouverture aussi lointaine que provisoire, souffrent, à l’égal des dirigeants d’entreprise, d’un manque de visibilité sur la perspective d’une vraie reprise d’activité qui les empêche de prendre les mesures nécessaires pour « tenir ». Nous avons recensé ci-dessous le niveau de menace sur l’emploi dans les principaux secteurs concernés :


Tableau de synthèse du niveau de risque pour les principales activités touchées par le confinement.

Des chiffres encore parcellaires

Pourtant, l’ensemble des mesures consenties pour soutenir les entreprises a amorti les effets de la crise. De nombreux facteurs s’alignent pour repousser les faillites d’entreprises. En premier lieu, le moratoire sur les dettes bancaires a permis de gagner plusieurs mois. En outre, de nombreux professionnels ont cherché à limiter leurs pertes au moment du déconfinement. Le temps du bilan est attendu avec la clôture comptable, au 31 décembre ou au 31 mars, pour l’essentiel des entreprises. Enfin, les procédures de liquidation ont également pris du retard, même si, pour l’heure, l’activité des tribunaux de commerce reste limitée.

Le nombre d’entreprises en difficulté pourrait en revanche faire gonfler le volume des fermetures très prochainement.

A ce titre, les données de leur activité 2019 et les statistiques de 2020 (à fin novembre), sont éloquentes. Si le bilan est globalement positif, l’impact sur les créations d’entreprise est déjà visible – en baisse de 4 %. Toutefois, une forte concentration est observée sur le début d’année (20 % des créations sur janvier-février). Le nombre d’entreprises en difficulté (procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, ou liquidation judiciaire) pourrait en revanche faire gonfler le volume des fermetures très prochainement. Les annonces successives de plans sociaux ajoutées à celles de ces fermetures laissent présager une année noire pour l’économie et l’emploi.

Dynamiques de création d’entreprises en 2019 et 2020 (source : Observatoire statistique des greffiers des tribunaux de commerce).

En outre, de nombreuses entreprises se trouvent fragilisées en termes de trésorerie. Elles y ont largement puisé pour assumer leurs charges au cours du premier confinement, mais le deuxième et le troisième pourraient s’avérer fatal. Ainsi, selon l’observatoire BPI France des PME, 50 % d’entre elles déclaraient déjà rencontrer des difficultés de trésorerie à la veille du reconfinement. Or, c’est une double crise qui menace ces établissements. Tout d’abord, une crise d’insolvabilité, compte-tenu de l’activité non réalisée et non récupérable. À ce titre, les seules mesures de prêts ou de reports se révèlent insuffisantes, comme évoqué précédemment. En second lieu, c’est une crise de rentabilité qui s’annonce. En effet, même avec des comptes positifs, de nombreux dirigeants d’entreprise estimeront que les revenus tirés de leur activité récompensent péniblement leurs efforts et le risque associé.

De lourdes conséquences à venir

Ce contexte risque d’avoir des conséquences durables, en particulier dans les villes moyennes et certaines zones rurales, où le petit commerce représente l’essentiel de l’activité et de l’emploi. Ainsi, le commerce en ville moyenne représente 12 % du nombre total de commerces en France. Pourtant, avant d’être jugés « non essentiels » ceux-ci avaient fait l’objet d’une attention particulière des pouvoirs publics. Le programme Cœur de ville prévoyait 5 milliards d’euros d’aides sur un programme pluriannuel. Et 5 millions d’euros avaient déjà été mobilisés en soutien aux boutiques impactées par les manifestations des Gilets jaunes.

Le soutien aux commerces et artisans a pu être jugé excessif au regard d’autres dispositifs d’aides. Il faut toutefois prendre en compte le fait qu’il agit pour contrer un risque impondérable et global ; comme pour l’emploi au travers du chômage partiel, il est légitime que la collectivité prenne sa part de l’effort. Mais malgré cela, la protection face à la perte d’activité des indépendants reste limitée. Il faut également considérer qu’il s’agit d’un moment économique inédit, celui d’un arrêt complet de l’activité. On ne peut le comparer à la « destruction créatrice » chère aux économistes libéraux. Ici, le coût de la destruction économique a d’autres répercussions : l’effondrement simultané de plusieurs secteurs sans possibilité de transfert, le découragement des entrepreneurs, des coûts liés à la liquidation des entreprises.

Il convient par ailleurs de relativiser la pertinence de ce soutien. En effet, de nombreuses entreprises n’ont pas encore accédé à ces dispositifs, du fait de la complexité des dossiers et de l’engorgement des services chargés de les traiter. Pour étayer ce point, il suffit de relever que l’administration compte 1.923 types d’aides différents pour les entreprises, cela ne contribue guère à leur lisibilité. En outre, les 402.000 entreprises créées cette année sont exclues d’office des aides directes.

La conséquence la plus spectaculaire devrait être un renforcement de la concentration du capital.

La conséquence la plus spectaculaire devrait être un renforcement de la concentration du capital. Or, l’économie française est déjà particulièrement hiérarchisée. Selon les données de l’INSEE sur les entreprises, 50 grandes entreprises emploient 27 % des salariés, réalisent 33 % de la valeur ajoutée totale et portent 46 % du total de bilan des sociétés. L’accroissement du patrimoine des grandes fortunes en est un symptôme. En parallèle, tandis que l’économie n’a cessé de croître, le nombre des indépendants (artisans, commerçants et chefs d’entreprise) a baissé de façon spectaculaire sur des décennies.

Ceci implique qu’un nombre croissant d’entreprises se retrouve entre les mains d’un nombre de plus en plus restreint d’individus, expliquant pour partie la croissance des inégalités. La concurrence exacerbée tendra inexorablement à amplifier cette concentration ; on l’observe sur de nombreux marchés, les grandes entreprises finissent par avoir les moyens de racheter ou de faire disparaître les plus petites. Les données de l’INSEE montrent ainsi que le poids des artisans, commerçants et chefs d’entreprise dans la population totale a diminué de deux tiers depuis 1954 et encore de moitié depuis 1982.

Part des indépendants dans la population active (source : INSEE).

Cette baisse n’est pas continue, elle s’est stabilisée dans les années 2000 peu avant une remontée liée au statut d’auto-entrepreneur, remontée qui ne traduit toutefois pas véritablement un regain de « l’esprit d’entreprise » si l’on s’en tient au profil et aux activités des créateurs concernés. En effet, pour une part significative d’entre eux, l’autoentreprise représente principalement une alternative au chômage. Ainsi 25 % des 400.000 nouveaux auto-entrepreneurs de 2019 étaient chômeurs au lancement de leur activité. En complément, il ne faut pas négliger le phénomène « d’uberisation » – d’externalisation du salariat –, plus avancé qu’il n’y paraît. Ainsi, les chauffeurs représentent une part non négligeable de la croissance des microentreprises, dont près de 10 % sont actives dans les transports. Le secteur du BTP est également bien représenté, où il s’agit aussi en grande partie d’un salariat déguisé.

Par conséquent, ce coup d’arrêt forcé pourrait plus que jamais mettre à mal le modèle concurrentiel fondé sur l’entreprise individuelle, modèle déjà progressivement rongé par les privilèges exorbitants que peuvent se faire attribuer les grandes entreprises. Il faut également garder à l’esprit que l’entreprise, et plus précisément le commerce, a permis à des générations entières d’accéder à une promotion sociale en dehors du cursus scolaire classique. Il reste dès lors à prendre la mesure des conséquences morales et politiques de cette période. En effet, un tiers des artisans est âgé de plus de 50 ans, et nombre d’entre eux pourraient se montrer complètement découragés, menaçant l’extinction d’une grande partie de notre savoir-faire en matière d’artisanat, de gastronomie, d’hospitalité et de tant d’autres domaines.

Usine Luxfer à Gerzat : l’impérative réouverture face à la crise du COVID-19

L’entrée du site de l’usine de Luxfer à Gerzat dans le Puy-de-Dôme © Axel Peronczyk

La reprise de l’activité sur le site de l’entreprise multinationale Luxfer Gas Cylinders à Gerzat (63), dans l’agglomération de Clermont-Ferrand, pourrait bien s’avérer vitale dans le contexte de la crise sanitaire que nous traversons. Les salariés de cette usine fabriquaient en effet des bouteilles d’oxygène médical pour les hôpitaux, ainsi que des bonbonnes de gaz pour les pompiers. Mais ce savoir-faire indispensable a été abandonné au profit de la rentabilité par la multinationale anglaise. Retour sur l’histoire récente d’une aberration qui nous coûte aujourd’hui des vies face à l’épidémie de coronavirus. 


L’urgence d’agir pour sauver des vies

À l’heure où nos hôpitaux manquent cruellement de moyens humains et matériels pour assurer la continuité de ce service public vital, les bonbonnes d’oxygène fabriquées par Luxfer sur le site de Gerzat seraient tout sauf accessoires. L’usine de Gerzat, c’est d’abord 136 vies de salariés chamboulées par autant de licenciements après une lutte acharnée de plus de 15 mois pour la préservation des emplois locaux et la défense de l’intérêt général. Mais, devant la vitesse de propagation du virus Covid-19, le nombre de vies en danger pourrait encore augmenter si cette usine ne reprenait pas son activité.

Les bouteilles d’oxygène fabriquées sur le site de Luxfer à Gerzat sont indispensables pour les patients hospitalisés. Si des malades du Covid-19 sont à l’hôpital et bénéficient de l’assistance d’un respirateur sur place, cet appareil électronique est branché à un réseau d’air oxygéné qui se trouve aussi sur place. Dans ce cas, pas besoin de bouteilles d’oxygène médical. En revanche, au moindre déplacement d’un patient, d’un service à un autre, ou bien d’un hôpital à un autre (comme c’est le cas dans les hôpitaux où il y a saturation), il faut obligatoirement que celui-ci soit équipé d’une bouteille, car il n’est plus raccordé au réseau d’air oxygéné lors du déplacement. Sans cette bouteille, le patient ne peut plus respirer correctement, voire même ne plus respirer du tout. À noter : les bouteilles de Luxfer sont aussi utilisables pour l’oxygénothérapie, une pratique à laquelle il y a de fortes chances que beaucoup de patients recourent, du fait des séquelles qui nécessiteront un traitement, à vie ou provisoire selon les cas, après avoir été touchés par le Covid-19. Il s’agit de petites bouteilles portatives que l’usine Luxfer était seule à fabriquer en Europe.

Les bouteilles d’oxygène médical peuvent se remplir et se vider. Toutefois, s’il y a trop peu de bouteilles par service hospitalier, les bouteilles disponibles doivent être remplies plus fréquemment, ce qui constitue une perte de temps précieux. Cela peut créer des difficultés supplémentaires. Dans le cas où il faudrait, par exemple, déplacer 50 patients d’un coup vers un hôpital militaire, et où l’on ne disposerait que de 20 bouteilles, il faudrait faire des choix : soit effectuer plusieurs trajets (deux et demi dans cette hypothèse), ou bien choisir quel patient fera le trajet avec une bouteille.

Le Ministère de l’économie et des finances, lors d’une rencontre avec les ex-salariés de Luxfer à Gerzat, a été incapable de décrire l’état du stock de bouteilles d’oxygène médical, ni même d’indiquer si ce stock pouvait permettre de faire face à l’épidémie. En revanche, Axel Peronczyk, délégué du personnel CGT du site de Gerzat, est certain d’une chose : la direction de Luxfer a créé volontairement une pénurie de bouteilles d’oxygène médical pour pouvoir vendre des produits de plus basse qualité et augmenter ses prix de 12 %, à tel point que l’entreprise a pris 18 mois de retard dans la vente de bouteilles aux hôpitaux. Air Liquide, l’entreprise intermédiaire qui remplit les bouteilles que Luxfer produit, a dit dans un communiqué qu’elle « [travaille] en étroite collaboration avec les autorités pour accroître la production d’appareils d’assistance respiratoire », qui sera multipliée par deux en mars, et pourra être quadruplée d’ici juin si nécessaire. Cependant, il est impossible de savoir si Air Liquide pourra produire suffisamment, vu que la production des bouteilles ne dépend pas d’elle. Désormais, depuis que l’usine de Gerzat a fermé ses portes et que ses salariés ont été licenciés, elle dépend d’autres fournisseurs. Seulement trois entreprises fournissent l’Europe, sans compter Luxfer : la compagnie turque MES Cylinders, la société américaine Catalina Cylinders, et AMS Composite Cylinders, une firme taïwanaise. Il est cependant impossible de savoir si ces entreprises seront en mesure de continuer à assurer la production durant cette période de crise sanitaire.

Bouteilles d’oxygène médical de tailles diverses à destination des hôpitaux © Axel Peronczyk

L’ARRÊT DE L’ACTIVITÉ ET LES LICENCIEMENTS : UNE ABERRATION ÉCONOMIQUE AUX CONSÉQUENCES DÉSASTREUSES

L’usine de Gerzat est à l’arrêt depuis mai 2019. Le motif économique des licenciements apparaissait alors injustifié car l’entreprise était très rentable : ses bénéfices étaient même en augmentation de 55 %. À cette injustice s’ajoute celle des conséquences sur l’emploi : la multinationale n’ayant pas respecté ses obligations d’accompagnement des personnes licenciées, ce sont à peine 15 % des 126 salariés licenciés dans un premier temps (sur 136 au total) qui ont retrouvé un emploi, la moitié de ceux-ci étant précaires et, pour la plupart, situés à plus de 30 kilomètres du domicile des ex-salariés. Les dix salariés qui restaient alors, représentants syndicaux dont les licenciements avaient été auparavant interdits par l’Inspection du Travail, ont finalement reçu un courrier daté du 6 février 2020 de la part du Ministère du Travail qui a décidé d’annuler la décision et d’autoriser leur licenciement.

LA MENACE DE DESTRUCTION DE L’USINE PAR LA DIRECTION

Face à la résistance des salariés, l’entreprise Luxfer a voulu détruire l’outil de production, pourtant encore opérationnel, et ce malgré un carnet de commandes plein. En réaction, les salariés ont décidé d’occuper nuit et jour leur usine pour faire valoir leurs droits et sauver leur outil de travail. La destruction n’a pas eu lieu grâce aux salariés qui l’ont dénoncée, car en plus de condamner les vies des salariés, cette destruction aurait pu menacer celles des habitants à proximité. Comme le rappelait Axel Peronczyk, délégué du personnel CGT, lors d’une manifestation le 31 janvier dernier, la destruction aurait pu provoquer une crise sanitaire comparable à l’incendie de Lubrizol. En effet, l’usine est pleine de produits inflammables, d’huile, d’amiante, sans oublier qu’elle se situe à proximité d’un cours d’eau. Les conséquences environnementales et sanitaires auraient pu être désastreuses.

Axel Peronczyk, délégué du personnel CGT, à Gerzat lors d’une manifestation le 31 janvier, qui alerte sur l’éventuelle destruction de l’usine par la direction de Luxfer et le risque de crise sanitaire © Romain Lacroze

Finalement, une inspection de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) a confirmé le risque sanitaire que les salariés avaient dénoncé. Par ailleurs, une procédure a été initiée contre la multinationale devant la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des Fraudes (DGCCRF) pour abus de position dominante.

LA REPRISE DE L’ACTIVITÉ, SEULE ISSUE RAISONNABLE

Malgré des bénéfices records et l’argent du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) que l’entreprise touchera même après les licenciements, les dirigeants anglais de Luxfer ont justifié les licenciements économiques sous prétexte de compétitivité, une disposition prévue par la « Loi travail » de 2016.

De leur côté, afin de garder des emplois sur place, les salariés ont dû se mettre à la recherche d’un moyen pour reprendre l’activité : ils ont proposé un projet de reprise en SCOP (société coopérative et participative) à leur direction, lequel aurait permis de commencer avec dix emplois, et de monter progressivement à 55, de conserver l’activité originelle tout en se diversifiant, mais la direction l’a balayé d’un revers de la main sans s’y intéresser.

Les ex-salariés de Luxfer à Gerzat lors d’une manifestation le 31 janvier portant une banderole où il est écrit « Luxfer, l’État complice » © Romain Lacroze

L’État, de son côté, n’a encore rien fait de concret dans le sens de la reprise d’activité, sauf un début de recherche de repreneur via la structure Business France, mais cela n’a encore donné aucun résultat.

En tout cas, une chose est sûre : aujourd’hui l’usine est toujours à l’arrêt, l’outil de travail et les salariés sont prêts, le savoir-faire intact et indispensable dans cette crise sanitaire pour sauver des vies. Les ex-salariés demandent la « nationalisation définitive de l’usine pour un redémarrage immédiat », dans une pétition du 20 mars sur le site Change.org adressée au président de la République, Emmanuel Macron, et au ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire.