Géothermie : intérêt général et capitalistes s’affrontent pour contrôler le nouvel or bleu

Forage géothermique à Orly. © Alain Bachellier

Depuis une décennie, la hausse continue du prix du gaz et du pétrole fait connaître à la filière de la géothermie profonde un regain de dynamisme certain. En Île-de-France, ce sont en effet des dizaines de projets de forages qui voient le jour, dans une région particulièrement propice au développement de la géothermie profonde. Ce nouvel essor n’a rien d’un hasard, et aiguise l’appétit des grands groupes énergétiques privés et publics. Une bataille sans merci entre intérêt général et entreprises capitalistes pour s’accaparer cette ressource d’un nouveau genre est en train de s’ouvrir. Et ce conflit a lieu sous vos pieds. 

C’est un manège qui commence à devenir familier aux yeux de nombreux Franciliens. Du jour au lendemain, un terrain vague, d’un peu moins d’un hectare, devient en quelques jours le lieu d’une activité fourmillante. Le terrain est délimité, des barrières sont installées, une base-vie est établie. Des relevés topographiques sont réalisés, de nombreux camions s’installent et une large dalle en béton est coulée. Toute cette phase préparatoire permet alors d’accueillir un véritable mastodonte technologique : une machine de forage profond. C’est ce bijou technologique qui doit permettre d’accéder au nouvel or bleu de nos sous-sols, plus prisé que le pétrole : une eau à près de 80°C et située à plus de 1000 mètres sous nos pieds. 

Cette eau à haute température a vocation à alimenter en chaleur renouvelable des réseaux de chaleur, pour in fine chauffer des milliers de logements. L’exploitation de la ressource en eau chaude captée dans le sol n’est pas nouvelle. Dès l’Antiquité, de premiers usages de sources d’eau chaude pour chauffer des logements sont attestés, en Chine comme au sein de l’Empire romain. De même, en France, à Chaudes-Aigues, un réseau géothermique, partagé parmi les habitants, a été mis en place dès 1332, desservant une quarantaine de logements. Un système de canalisations partageait la chaleur suivant la taille de la maison. Ce chauffage était gratuit pour les habitants mais ils devaient cependant se charger de l’entretien (détartrage) des conduites. De premiers usages industriels sont attestés aux Etats-Unis au tournant du XIXème et du XXème siècle, notamment pour alimenter le premier hôtel chauffé en géothermie.

Dans les années 1970, le krach pétrolier conduit à une première vague de développement industriel des réseaux de chaleur, avec 60 réseaux de chaleur sur l’ensemble du territoire français. Plusieurs fermeront en raison notamment de la baisse du prix du gaz et du pétrole suite au contre-choc pétrolier. Depuis une décennie, la hausse continue du prix du gaz et du pétrole fait connaître à la filière un regain de dynamisme certain. En Île-de-France, ce sont en effet des dizaines de projets de forages qui voient le jour, dans une région particulièrement propice au développement de la géothermie profonde. Un potentiel qui aiguise l’appétit des grands groupes énergétiques privés et publics. 

La géothermie, un outil-clé de décarbonation de notre chauffage

Revenons rapidement sur le fonctionnement d’un réseau de chaleur. De nombreuses villes en France sont équipées d’un tel réseau qui amène de l’eau chaude pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire par l’intermédiaire de vastes circuits de tuyaux jusqu’au pied des immeubles raccordés. Cette eau peut être chauffée par de nombreux moyens : par la combustion d’énergies fossiles (fioul, gaz, charbon) ou de résidus de biomasse (chaufferies-bois ou biomasse), en brûlant nos déchets ménagers, ce qui fournit par exemple 50% de l’énergie du réseau de chaleur parisien, ou en récupérant de la chaleur fatale (chaleur issue de processus industriels comme des blanchisseries, des data centers, qui serait perdue si non utilisée). 

Mais c’est encore mieux quand l’eau est déjà chaude ou qu’il suffit de la réchauffer légèrement ; c’est le principe de la géothermie profonde. Un réseau de chaleur à base de géothermie profonde exploite la chaleur naturelle du sous-sol à plusieurs kilomètres de profondeur. Des forages permettent de capter de l’eau chaude ou de la vapeur à haute température qui après avoir cédé sa chaleur est réinjectée dans le sous-sol. Ainsi, en Île-de-France, il est possible d’exploiter un aquifère particulier, le Dogger, situé entre 1200 et 1600 m de profondeur, où l’eau est disponible entre 60° et 80°. Si d’autres couches géologiques sont aussi à l’étude, comme le Trias à près de 2 km de profondeur ou le Lusitanien, aux alentours de 800m, c’est bien la couche du Dogger qui fait l’objet d’une exploitation accrue sur un périmètre allant de Cergy à Grigny, de Chelles à Versailles, voire au-delà. Ainsi, la chaleur géothermale permet de fournir une énergie décarbonée, renouvelable et disponible tout le temps, été comme hiver. En outre, son caractère local permet de décorréler son prix de l’évolution mondiale des prix de l’énergie et surtout du gaz.

La hausse continue du prix du gaz et de l’électricité rend les réseaux de chaleur compétitifs et économiquement intéressants pour des opérateurs industriels sur le long terme.

Cet attrait nouveau pour la géothermie s’explique principalement pour deux raisons. D’une part, la hausse continue du prix du gaz et de l’électricité rend les réseaux de chaleur compétitifs et économiquement intéressants pour des opérateurs industriels sur le long terme. Si l’énergie des profondeurs de la terre est en effet gratuite, la récupérer suppose des investissements considérables, rentables seulement au bout de plusieurs décennies. Un « doublet géothermique » connecté au Dogger, c’est-à-dire un puits d’injection et un second pour récupérer l’eau chaude, peut ainsi coûter une quinzaine de millions d’euros.

D’autre part, le recours à la géothermie est fortement encouragé par les pouvoirs publics. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) prévoit, d’ici à 2030, la multiplication par cinq de la quantité de chaleur et de froid renouvelable et de récupération livrée par les réseaux. Ainsi, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoyait de passer de 1,18 TWh de chaleur géothermale en 2017 à 5,2 TWh en 2028 (x4,5). C’est une des énergies vertes qui doit permettre à la France d’atteindre ses objectifs en matière de renouvelables – objectifs pour lesquels elle accuse un retard certain – et de remplacer les chaudières au gaz ou au fioul, principalement en milieu urbain. 

De nombreuses aides financières sont accordées aux porteurs de projets par l’intermédiaire du « Fonds Chaleur » de l’ADEME (820M€ de fonds chaque année, notamment pour le développement de la géothermie) et l’Etat contribue très fortement au « derisking » des projets de géothermie, visant à réduire l’incertitude et le risque portant sur ces investissements, pour inciter les acteurs privés à développer des réseaux… et à réaliser des profits.

Tensions autour du partage de la ressource

Son caractère local, renouvelable et bas-carbone fait en conséquence de la géothermie une énergie de demain, à laquelle on peut prédire un avenir radieux. Toutefois, ses modalités de développement incontrôlées soulèvent de nombreuses interrogations, et l’exemple des projets franciliens est riche d’enseignements. Tout d’abord, la création de réseaux de chaleur est une compétence confiée historiquement par la loi aux communes, qui peuvent ensuite transférer cette compétence à leur intercommunalité ou bien à un groupement de collectivités comme un syndicat d’énergie. Pourtant, les communes et les intercommunalités ne disposent que très rarement des capacités financières, techniques ou encore juridiques pour assurer seules le portage de ce type de projets. A titre indicatif, le développement d’un réseau de chaleur géothermique pour alimenter 5 à 10.000 logements nécessite un investissement initial de l’ordre de 40 à 80 millions d’euros.

Ainsi, dans la très grande majorité des cas, les collectivités sont démarchées par des industriels énergétiques aux capacités financières solides. En Île-de-France, quatre acteurs majeurs se partagent le marché : Engie, Dalkia (filiale d’EDF), Coriance (propriété de la Caisse des dépôts à 49%) et Idex. Ces groupes proposent aux collectivités de s’associer dans le cadre de structures partagées comme des sociétés d’économies mixtes (SEM) ou des sociétés par actions simplifiées dédiées aux EnR (SAS EnR). Quand ils le peuvent, les acteurs privés vont jusqu’à tenter de négocier de fructueuses délégations de service public (DSP). Lorsqu’elles s’associent avec les collectivités, les entreprises privées peuvent être amenées à mener pour le compte des communes de nombreuses études, ainsi qu’à réaliser les lourdes démarches juridiques nécessaires aux forages et à l’exploitation du réseau. 

43 installations de géothermie profonde sont actives en Île-de-France et des dizaines de projets sont à l’étude, entraînant le dépôt de nouvelles demandes de permis exclusif de recherche, susceptibles de multiplier les frictions.

Notons que le sous-sol est la propriété de l’Etat et que de telles opérations dépendent du code minier. Toute opération de recherche dans le sous-sol doit en conséquence faire l’objet d’une autorisation préfectorale ou ministérielle selon l’ampleur du projet. L’Etat, après analyse des dossiers, généralement déposés par des grands groupes pour le compte de collectivités, peut octroyer alors dans un premier temps une autorisation de recherche ou un permis exclusif de recherche pour une durée de 3 à 5 ans renouvelable, qui accorde au demandeur l’exclusivité pour réaliser des forages sur des zones recouvrant plusieurs dizaines de km2. Si la ressource est confirmée, il est alors possible d’adresser une demande d’autorisation d’ouverture de travaux miniers (DAOTM) puis une demande de permis d’exploitation du réseau de chaleur (PEX), ces phases étant généralement soumises à enquête environnementale et enquête publique. 

Jusqu’ici, le nombre restreint de projets engendrait des frictions limitées et chaque collectivité réussissait à consolider un accès propre à une ressource perçue comme abondante. En outre, chaque projet pouvait prétendre à une zone du sous-sol suffisamment large pour pouvoir déployer plusieurs doublets et pomper assez de calories dans les aquifères. Mais le boom du développement de la géothermie change radicalement la donne. L’évolution actuelle du marché du gaz a poussé de nombreuses collectivités à étudier l’opportunité de la géothermie et les grands groupes, flairant les bonnes affaires, entament un lobbying de tous les instants auprès des élus et des cadres territoriaux. Ainsi, à l’heure actuelle, 43 installations de géothermie profonde sont actives en Île-de-France et des dizaines de projets sont à l’étude, entraînant le dépôt de nouvelles demandes de permis exclusif de recherche, susceptibles de multiplier les frictions.

Certains grands groupes sont particulièrement actifs pour déposer ces demandes de recherche qui leur permettent de « sécuriser et de préempter » des zones entières du sous-sol de l’Etat. Ces permis sont demandés sur des zones étendues, recouvrant souvent le sous-sol d’autres collectivités que celles des collectivités dont elles sont mandataires. La phase supplémentaire de consultation des communes touchées ne dure qu’un mois, un délai peu pertinent. Elle est donc trop rarement utilisée par la collectivité territoriale concernée du fait d’un manque de compétences en son sein. Ce qui est observé s’apparente à une logique de prédation sur une ressource d’intérêt commun. La maîtrise du sous-sol d’une ville par le biais d’autorisations administratives peut ensuite contraindre les collectivités concernées à travailler avec l’entreprise ayant préempté – en toute légalité – le sous-sol.

Ce qui est observé s’apparente à une logique de prédation sur une ressource d’intérêt commun.

Pourtant, il est possible de lutter contre cette prédation. Ainsi, à Trappes (Yvelines), la ville a émis un avis défavorable concernant la demande de permis exclusif de recherche déposée par Engie pour le compte de la ville de Bois-d’Arcy, Cette démarche, toujours en cours d’instruction, visait à contraindre Engie, via l’Etat, à modifier substantiellement le périmètre de son projet. En effet, le périmètre de recherche demandé par Engie empiétait sur la moitié du sous-sol de la ville de Trappes, oblitérant fortement la capacité de celle-ci à porter son propre projet de géothermie. De même, plusieurs tensions fortes sont déjà apparues en petite couronne parisienne, obligeant les services de l’Etat à mettre en urgence les collectivités concurrentes autour de la table pour trouver des chemins de médiation. En outre, la ressource, jugée quasiment infinie, ne l’est pourtant pas, et la trop grande proximité de puits de production et de réinjection (où l’en renvoie l’eau froide) diminue la productivité des forages.

Dans ce contexte, l’Etat se caractérise avant tout par la faiblesse de ses moyens de contrôle et son absence de planification sur le partage de la ressource. En Île-de-France, les demandes de permis sont instruites par un service préfectoral (la DRIEAT, direction régionale de l’environnement, de l’aménagement, des transports d’Ile-de-France) composé d’une petite poignée de personnes, dont les moyens n’ont pas été augmentés malgré la hausse exponentielle des dossiers à instruire. En outre, le cadre réglementaire ne donne aux fonctionnaires que des moyens très limités pour assurer le respect de l’intérêt général. Une fois une demande de permis exclusif de recherche accordée, les collectivités souhaitant contester le projet ne disposent que d’un mois pour déposer un contre-dossier, délai tout à fait insuffisant pour bâtir un dossier étayé, sachant que la majorité des collectivités ne disposent pas des compétences d’ingénierie en interne.

Carte du tracé prévisionnel de la campagne géophysique en Île-de-France (BRGM, ADEME, Région Île-de-France)

Figure 3 – Cartographie des installations de géothermie en IDF et zone d’exploration de l’étude en cours par le BRGM. © BRGM

La situation actuelle, caractérisée par le chaos et la concurrence à celui qui déposera son dossier en premier, est donc la conséquence directe d’une absence de planification étatique et intercommunale. Pour l’instant, l’Etat se contente d’instruire les demandes de permis, avec très peu de refus, tout en encourageant les collectivités à étudier les possibilités de géothermie sur leur territoire par le biais des services préfectoraux ou de l’ADEME, invitant parfois explicitement les collectivités à se tourner vers les grands groupes. Les rares démarches stratégiques entreprises par l’Etat visent uniquement à faciliter le développement de projets par ces grands groupes en les « dérisquant ». Ainsi, le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) et l’ADEME viennent de lancer une vaste étude pour un budget de trois millions d’euros, visant à acquérir une meilleure connaissance de la ressource géothermique dans le Sud-Ouest francilien, pour encourager les acteurs privés à se positionner. De même, la Caisse des dépôts (CDC) pilote un fonds de garantie, géré par la SAF-Environnement, qui permet d’assurer les investisseurs contre le risque d’échec dans les projets, dans une logique de socialisation du risque, alors même que les profits de chaque projet sont majoritairement distribués à des actionnaires privés.

Une grande diversité de modèles de gestion des réseaux de chaleur

Si l’absence de planification et de vision opérationnelle de l’Etat est particulièrement visible pour ce qui concerne la répartition de la ressource en eau chaude et de l’accès aux couches productrices, l’exploitation des réseaux de chaleur est aussi l’objet d’une bataille intense entre les intérêts privés et la puissance publique. Il existe un très grand nombre de modèles juridiques permettant de créer et d’exploiter un réseau de chaleur, allant de la régie à l’externalisation complète par des marchés publics ou des délégations de service public. On observe actuellement une réelle mise en concurrence des modèles, qui se différencient selon de nombreux critères : structure de l’actionnariat, niveau de rétribution des actionnaires, souplesse de gestion au quotidien, répartition du risque ou encore portage de l’investissement. 

En Île-de-France, de nombreux modèles sont mis en œuvre : société d’économie mixte comme la Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain (2/3 ENGIE, 1/3 Ville de Paris), société par action simplifiée permise par la LTECV à Vélizy-Villacoublay (80% ENGIE, 20% ville), délégation de service public comme à Saint-Denis ou bien société publique locale comme à Grigny, Viry-Châtillon, Fleury-Mérogis et Sainte-Geneviève des Bois au capital 100% public. Si chaque modèle présente ses avantages et ses inconvénients, et permet sur le papier de faire respecter l’intérêt général, on observe en réalité une concurrence entre deux types de modèles, représentés d’un côté par la délégation de service public (DSP) et de l’autre côté par la société publique locale (SPL).

D’une part, le recours à la délégation ou concession de service public s’inscrit dans une longue dynamique d’externalisation de l’action publique, comme le détaillait un rapport de l’association Nos Services Publics (association dont Lucie Castets, candidate NFP pour Matignon, assurait la coordination). Cette logique consiste à confier à des acteurs privés des missions de service public, en l’occurrence l’exploitation d’un réseau de chaleur et la livraison de chaleur à divers bâtiments. Le rapport analysait notamment les nombreux « faux avantages » de la gestion privée. Ceux-ci sont particulièrement observables pour ce qui concerne la création et l’exploitation du chauffage urbain. Tout d’abord, il faut rémunérer les apporteurs de fonds privés, qui empruntent en moyenne à des taux plus élevés que les acteurs publics. Il faut ensuite rémunérer des actionnaires tout au long de l’exploitation du réseau, à des taux pouvant atteindre deux chiffres. Rappelons par exemple que ce taux est monté jusqu’à 24% en ce qui concerne les autoroutes déléguées au secteur privé.

De manière assez classique, on observe généralement une forte asymétrie d’information entre le délégant public et le délégataire privé, qui peut également mener à des surcoûts importants. Ainsi, des logiques de surfacturation de prestations d’entretien (renouvellement de tuyaux, interventions) peuvent venir se répercuter sur le prix de la chaleur pour les usagers. En outre, le faible nombre d’acteurs dans le secteur ne permet pas de faire jouer pleinement la concurrence, créant des situations de monopole de fait, ou tout du moins de cartellisation. Ainsi, la remise en concurrence du réseau de chaleur de la ville de Paris n’a vu que deux acteurs se positionner : Engie et EDF. Enfin, la délégation de service public assure un contrôle public plus réduit des choix stratégiques sur le réseau : pourcentage d’énergie d’origine renouvelable, mise en place de tarifs sociaux, raccordement prioritaire des logements sociaux et des bâtiments publics…

Un retour des puissances publiques locales depuis une décennie 

A contrario, les dernières années ont vu naître un contre-modèle intéressant à plusieurs égards, celui de la société publique locale (SPL), sous l’impulsion notamment du SIPPEREC, une structure intercommunale de la périphérie parisienne. Les SPL sont des structures à capitaux 100% publics qui présentent à ce titre plusieurs avantages : contrôle public des choix stratégiques, fixation des tarifs du réseau de chaleur, maîtrise du développement du réseau de chaleur, possibilité de fixer à des niveaux très bas la rémunération de l’actionnaire, accès à de meilleurs taux de financements… La SPL est en outre une structure de droit privé, engendrant une facilité de gestion plus importante au quotidien, notamment pour ce qui concerne la gestion des ressources humaines, même si cela peut aussi être perçu comme un détournement du statut du fonctionnaire.

L’exemple des villes de Grigny et Viry-Châtillon est à cet égard particulièrement enrichissant. En 2014, elles contractualisent avec le SIPPEREC pour créer la société publique locale SEER (Société d’exploitation des énergies renouvelables), au sein de laquelle le SIPPEREC récupère 51% des parts. En 2017 est mis en service leur premier réseau de chaleur, qui permet dès le départ d’alimenter 10.000 logements, dont notamment l’ensemble de logements sociaux de la Grande Borne. Un des éléments déclencheurs du projet était notamment le niveau exorbitant de charges liées au chauffage payé par les habitants du quartier. Sa direction revendique un tarif du chauffage permis par la SPL jusqu’à 30% inférieur par rapport à ce que proposait initialement Engie. 

Si les grands groupes et leurs sous-traitants peuvent évidemment candidater aux différents marchés publics lancés ensuite par la SPL (forage, renouvellement du réseau, entretien de la chaufferie) dans le cadre de la commande publique, chaque projet de réseau de chaleur porté par une structure publique représente des dizaines voire des centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires potentiel qui leur échappent. Depuis, le SIPPEREC est entré au capital de plusieurs nouvelles SPL, que ce soit avec la ville de Malakoff (2021), Pantin, Les Lilas, Pré-Saint-Gervais (2022) ou encore Fontenay-aux-Roses, Bourg-la-Reine et Sceaux (2024), et de nouveaux projets sont à l’étude. 

Pourtant, là encore, l’État se démarque par son absence, traitant avec un même égard des projets 100% publics et des projets portés par des initiatives privées, avec des niveaux de soutien similaires. Les SPL doivent trouver des fonds sur le marché bancaire privé pour financer leurs projets et bénéficient des mêmes dispositifs de subventions que les autres structures. En outre, les projets doivent ensuite cotiser à un fonds de garantie, au sein duquel les acteurs privés disposent d’autant de voix que l’ADEME dans l’attribution ou non de la garantie. Jusqu’ici, le développement de projets 100% publics est principalement le fait de volontés politiques locales comme c’est le cas à Grigny, dirigé par le communiste Philippe Rio.

Penser la planification de la géothermie profonde

Le développement de la géothermie profonde doit réussir un tournant crucial. L’énergie géothermale a toutes les caractéristiques de l’énergie de demain : renouvelable et locale, elle constitue pour de nombreuses villes une solution de remplacement du gaz à un prix stable et maîtrisé. Mais elle possède aussi toutes les caractéristiques d’une ressource dont l’exploitation doit être planifiée par la puissance publique. La ressource géothermale reste limitée, géographiquement contrainte et source de concurrence entre collectivités, elle doit faire l’objet d’investissements en capitaux importants et repose sur des projets de long terme, très étroitement dépendants des autorisations publiques et de la volonté des élus locaux. En conséquence, il paraît nécessaire de réfléchir à ce que pourrait être une réelle planification publique du développement de cette ressource énergétique.

La méthode pourrait être similaire à celle mise en œuvre pour le développement de l’éolien en mer, où l’Etat intervient de manière assez forte. Dans toutes les régions propices à la géothermie, l’Etat piloterait et prendrait à sa charge de premières études générales, sous l’égide du BRGM, pour analyser le potentiel géothermique de chaque territoire. A ce titre, la grande étude GeoScan lancée sur l’Ouest francilien est pertinente mais aurait probablement gagné à être réalisée plus tôt. Une plateforme open source de partage de l’ensemble des études réalisées pourrait alors être mise à disposition. Une fois la ressource caractérisée, un processus démocratique, par exemple dans le cadre d’une COP régionale puis départementale, doit permettre la répartition de la ressource entre intercommunalités ou groupes de collectivités, avec notamment un pré-positionnement des puits de forages permettant d’éviter les conflits et donc de découper le sous-sol par zones. Une fois les zones identifiées, la main serait alors laissée aux collectivités pour porter les projets, pour assurer l’acceptabilité locale ainsi que le caractère localement adapté du projet porté (choix des bâtiments raccordés et des énergies d’appoint comme la biomasse).

L’Etat mettrait alors à disposition des collectivités une réelle capacité d’ingénierie à plein temps pour préfigurer chaque projet, avec des experts développeurs qui bénéficieraient des retours d’expérience des autres projets régionaux (à l’image de ce que propose le SIPPEREC), plutôt que d’obliger les collectivités à se reposer sur l’expertise privée. Enfin, l’Etat renforcerait ses services instructeurs et pourrait piloter lui-même les différentes études environnementales et enquêtes publiques nécessaires pour accélérer les projets et proposer des projets clés en main aux collectivités. 

L’Etat pourrait tout à fait encourager des structures 100% publiques, associant par exemple les collectivités locales et un opérateur énergétique public unique, par exemple EDF via sa filiale Dalkia.

Deux options seraient alors concevables. Pour la première, on laisserait aux collectivités le choix du mode de gestion, à l’image de ce qui se fait actuellement. Ce système permet notamment d’avoir plusieurs acteurs, qui se livrent notamment une bataille technologique pour développer de nouvelles techniques de forage et augmenter la productivité des puits. Dans cette perspective, l’Etat pourrait toutefois renforcer son taux de soutien pour les structures publiques en termes de subventions, d’accès aux prêts ou aux différents dispositifs de garantie. Dans le cadre de la seconde option, un niveau de planification et d’intégration plus complet pourrait être envisagé, en refusant la mise en concurrence des modèles juridiques et en réaffirmant la mainmise de la puissance publique sur le secteur.

L’Etat pourrait tout à fait encourager des structures 100% publiques, associant par exemple les collectivités locales et un opérateur énergétique public unique, par exemple EDF via sa filiale Dalkia. Ce schéma d’organisation permettrait notamment de favoriser une réintégration de la filière industrielle de la géothermie, par exemple avec un rachat des principales foreuses de puits (machines de l’entreprise Arverne) par l’entité publique, un contrôle des industries-clés fabriquant les tuyaux, les chaufferies, les pompes à chaleur. Une telle structuration permettrait aussi de confier à un acteur unique des objectifs de développement de la géothermie, tout en garantissant une maîtrise locale des projets par l’entrée au capital des collectivités. Revenons peut-être à la sagesse médiévale des habitants de Chaudes-Aigues qui avaient compris l’intérêt d’une gestion collective de leur réseau de chaleur, qui leur fournissait du chauffage… gratuit !


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CONFÉRENCE – ÉLECTRICITÉ : DÉBRANCHER LE MARCHÉ (ANNE DEBRÉGEAS & GWENAËL PLAGNE)

Après deux ans de forte hausse des prix de l’électricité (+40 % pour les particuliers, doublement en moyenne pour les entreprises et les administrations), la France et l’Union européenne sont en train de réformer le marché de cette source d’énergie indispensable. Au-delà des factures, c’est aussi le financement des investissements nécessaires pour le parc de production et l’avenir d’EDF qui sont en jeu. Or, la réforme en cours est bien moins rassurante que ce qu’annonce le gouvernement. Les prix continueront à fluctuer en fonction de la spéculation et le risque d’une plainte pour “concurrence déloyale” devant la Commission européenne n’est pas exclu. Par ailleurs, les menaces sur EDF restent nombreuses : projets risqués à l’étranger dont les coûts s’envolent, absence de souveraineté sur les turbines Arabelle rachetées à General Electric, concurrence des acteurs privés dans les énergies renouvelables… Alors que le gouvernement s’obstine à vouloir transformer ce bien public en un marché, syndicalistes et politiques se battent pour un vrai monopole public de l’énergie et des tarifs corrects pour tous les usagers. Une loi votée le 29 février à l’Assemblée nationale est un premier pas en ce sens. Après cette première victoire, comment transformer l’essai ?

Pour comprendre ces enjeux, Le Vent Se Lève recevait le 11 mars dernier à la Bourse du Travail de Paris deux syndicalistes spécialistes de ces questions : Anne Debrégeas, syndicaliste SUD Energie et économiste spécialiste du marché de l’électricité et Gwenaël Plagne, syndicaliste FNME-CGT et secrétaire du CSE-C d’EDF. La conférence était animée par William Bouchardon, directeur de la rubrique économie.


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Rachat des turbines Arabelle : la soumission française aux États-Unis continue

© Joseph Édouard pour LVSL

Deux ans après le discours de Belfort d’Emmanuel Macron au cours duquel le Président de la République annonçait un accord d’exclusivité entre EDF et General Electric (GE) pour l’acquisition des activités nucléaires de GE afin de garantir le plein contrôle de la technologie de turbine Arabelle, rien ne se passe comme prévu. Ce qui apparaît comme la poursuite d’un échec industriel, débuté avec la vente de la branche énergie d’Alstom à GE en 2014, est révélateur de l’inefficacité de la politique industrielle du chef de l’État.

Depuis dix ans, Emmanuel Macron tente de faire oublier ses responsabilités dans la funeste décision de vendre la division énergie du groupe Alstom à l’américain General Electric. Sa validation d’une telle vente en tant que Ministre de l’Économie de François Hollande a en effet conduit la France à ne plus disposer d’une technologie clé : les turbines Arabelle, qui équipent nos centrales nucléaires. Au-delà de ces turbines, cette vente a également privé la France d’un savoir-faire et de capacités de production utiles dans les domaines de l’éolien en mer, des barrages hydroélectriques, du porte-avion nucléaire et d’équipements pour les réseaux électriques (disjoncteurs, transformateurs etc.). Bref, des activités hautement stratégiques.

Durant son premier quinquennat, Emmanuel Macron a compté sur l’oubli de cette affaire. Peine perdue : les suppressions d’emplois dans les usines passées sous pavillon américain et la commission d’enquête parlementaire présidée par le député Olivier Marleix (LR) – qui a accusé le Président de faire partie d’un « pacte de corruption » – ont montré que le sujet ne pouvait être mis sous le tapis. Finalement, en pleine campagne pour sa réélection, Macron s’est rendu à Belfort pour annoncer en grande pompe le rachat des fameuses turbines. Une décision qui attend toujours d’être concrétisée.

La dernière phase de l’acquisition des activités nucléaires de GE par EDF devait être close le 1er décembre 2023. Mais l’événement a été reporté sine die sans aucune communication officielle. La presse rapporte qu’EDF s’inquiéterait des effets des sanctions américaines envers la Russie sur le carnet de commandes de GE Steam Power. D’après le journaliste Jean-Michel Quatrepoint, cette volonté des États-Unis de sanctionner Rosatom, principal acheteur des turbines, cache en réalité une guerre industrielle entre les États-Unis et la France. Rappelons que l’industrie nucléaire russe a échappé aux sanctions américaines et européennes jusqu’à présent du fait de la dépendance de l’Occident aux capacités d’enrichissement d’uranium de la Russie. Les États-Unis ont peut-être dorénavant des capacités d’enrichissement suffisantes pour envisager de sanctionner Rosatom.

La vente des turbines, une erreur historique

Cette guerre économique n’a rien de nouveau : cela fait des années que les États-Unis tentent de mettre la main sur les savoir-faire français et y parviennent. En 2014, GE rachète la branche énergie d’Alstom dans un contexte où l’entreprise française était engluée dans des affaires de corruption à l’étranger. Succinctement, Frédéric Pierucci, cadre dirigeant d’Alstom, est arrêté en avril 2013 aux États-Unis, Patrick Kron (PDG d’Alstom) négocie avec la direction de GE la cession de la branche énergie du groupe en 2014 sur fond de promesse américaine d’abandonner les poursuites contre Alstom et ses cadres dirigeants, Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif, préfère d’abord un rapprochement entre Alstom et Siemens et accuse Patrick Kron de négocier dans son dos. Alors que les négociations avec Siemens sont abandonnées, Arnaud Montebourg se rallie à l’option GE tout en cherchant une solution pour maintenir les activités nucléaires sous pavillon français. Nommé le 26 août 2014, Emmanuel Macron valide la cession de toute la branche énergie d’Alstom à GE en novembre 2014. La même semaine, Frédéric Pierucci est libéré sous caution aux États-Unis.

Lors de la vente, GE n’était plus le conglomérat industriel glorieux qu’il a été, mais un fonds d’investissement industriel agissant en lien étroit avec le gouvernement américain.

S’il est évident que la décision d’Emmanuel Macron d’autoriser cette cession a conduit à une perte de souveraineté française sur un secteur stratégique, le choix de GE était également mauvais. En effet, lors de la vente, GE n’était alors plus le conglomérat industriel glorieux qu’il a été mais un fonds d’investissement industriel agissant en lien étroit avec le gouvernement américain. La division la plus importante de GE au début des années 2000 était GE Capital. Cette filiale a participé au scandale financier des subprimes – pour lequel le groupe a payé une amende de 1,5 milliard de dollars aux États-Unis en 2019 – dont la bulle a lourdement endetté le groupe.

Après l’absorption de la branche énergie d’Alstom, GE licencie donc à tout va dans les usines françaises afin de rentrer dans ses frais et d’éponger ses dettes. Finalement, pour des raisons financières, le conglomérat américain va décider de se séparer de ces activités et Emmanuel Macron y verra une occasion de « réparer » l’erreur commise en 2014. Certes, le retour de la production des turbines Arabelle sous pavillon français est évidemment une bonne nouvelle pour la souveraineté économique du pays. Pour autant, EDF était-il le bon acheteur ? EDF est un producteur d’électricité mais n’est pas un producteur d’équipements : faire fonctionner une centrale nucléaire, ce n’est pas le même métier qu’usiner une turbine plus longue qu’un Airbus A380, pesant 1100 tonnes, déployant une puissance maximale de 1,7 GW et disposant d’une fiabilité de 99,96 %. 

EDF, acheteur par défaut

Si l’État a imposé à EDF d’entrer en négociation avec GE pour l’acquisition de cette activité, c’est parce qu’il n’existe aucune entreprise française ayant les compétences industrielles et financières pour opérer une telle activité. La production des turbines les plus puissantes et les plus efficaces en circulation suppose une compétence industrielle incomparable chez les salariés et dans la direction. Leur vente nécessite de pouvoir négocier d’égal à égal avec les gouvernements des pays concernés, le soutien de l’État français ne fait pas tout. Cette activité est éminemment risquée car l’usine n’est rentable qu’à la condition qu’elle produise deux turbines chaque année, tout creux de commande ou tout retard dans la production ou dans la livraison entraînant des coûts fixes importants qui ne peuvent être supportés que par un groupe industriel solide et diversifié.

L’État ne pouvait donc solliciter aucune entreprise privée à cette fin et encore moins lui imposer d’acquérir une activité dont les perspectives ne sont pas assurées sans une contrepartie financière substantielle. Et les solutions alternatives ayant émergé, notamment celle proposée par Frederic Pierucci, permettaient difficilement d’assurer l’avenir de l’usine de Belfort. EDF a donc été l’entreprise publique ayant la surface financière suffisante pour acquérir cette activité. 

La branche nucléaire de GE qu’EDF pourrait acheter recouvre la production et la maintenance des turbines Arabelle, des alternateurs Gigatop et de leurs auxiliaires ainsi que du contrôle commande de ceux-ci. Cela inclut l’usine principale de Belfort (la seule capable de produire des turbines Arabelle) mais également des usines à Rugby (Royaume-Uni) et Sanand (Inde) ainsi que des centres de maintenance en France et à l’étranger. Le groupe français pourrait ainsi intégrer l’ensemble de l’activité de construction d’une centrale nucléaire après l’acquisition de Framatome en 2018, génie civil mis à part.

Malgré le rachat, une dépendance aux Américains

Toutefois, la branche nucléaire qui pourrait revenir sous pavillon français va être singulièrement américanisée. Comme l’a rapporté Marianne, l’État s’est rendu compte que GE avait remplacé le contrôle commande historique d’Alstom (nommé ALSPA) par son propre contrôle commande (Mark) pour assurer la supervision de la turbine par l’opérateur. EDF n’a pas découvert cette information à l’occasion de ces négociations puisque l’entreprise française achète des turbines Arabelle pour ses projets d’EPR en France et à l’étranger. Dès lors, EDF a déjà accepté d’être livrée de turbines Arabelle avec le contrôle commande propriétaire de GE. Peut-être est-il aujourd’hui plus performant qu’ALSPA, mais GE a-t-il suffisamment investi pour le maintenir au plus haut niveau d’excellence ? En tout état de cause, EDF et l’État ont accepté que les turbines Arabelle soient opérées par un logiciel dont le brevet est américain et dont les évolutions seront assurées par GE. Ainsi, les États-Unis disposent d’un levier d’influence sur les nouveaux EPR français et devront valider chaque projet d’exportation français. L’État va-t-il attendre une nouvelle humiliation des États-Unis, comme le refus de livrer des catapultes utilisées par le porte-avion Charles de Gaulle en 2003, pour se rendre compte que la souveraineté nationale doit être assurée par tout moyen sur les technologies sensibles ?

EDF et l’État ont accepté que les turbines Arabelle soient opérées par un logiciel dont le brevet est américain et dont les évolutions seront assurées par GE.

Dans l’hypothèse où EDF acquiert effectivement cette activité, l’entreprise française devra faire face à deux difficultés majeures : les sanctions américaines et la concurrence avec Rosatom. Le conglomérat russe est tout à la fois le principal client des turbines Arabelle et l’un des concurrents d’EDF pour la construction de centrales dans le monde. Si les États-Unis imposent des sanctions contre la Russie, il est probable qu’EDF ne pourra livrer des turbines Arabelle à Rosatom qu’en transgressant les sanctions américaines. En effet, les turbines Arabelle contiennent des pièces dont les brevets appartiendront toujours à GE car l’entreprise américaine continuera à produire les mêmes pièces ou à utiliser les mêmes brevets pour des turbines utilisées dans d’autres types de centrale (à charbon, à biomasse ou à gaz par exemple). Si elle souhaite continuer à travailler avec les États-Unis et éviter un procès, EDF devra suivre les sanctions et renoncer à plus de la moitié de son carnet de commande actuel représenté par Rosatom, payer des pénalités à l’entreprise russe et abandonner les relations futures avec ce client fidèle. Que ferait le gouvernement français dans cette hypothèse ?

Même si les relations commerciales avec Rosatom devaient se poursuivre, EDF et Rosatom seront amenés à être concurrents ou partenaires pour la construction de centrales nucléaires dans de nombreux pays souhaitant développer ce type d’énergie. Est-il possible que se fassent concurrence une offre d’EDF et une offre de Rosatom intégrant la turbine Arabelle produite par EDF ? La seule hypothèse permettant d’imaginer une poursuite des commandes de Rosatom à l’usine de Belfort serait celle d’un accord entre EDF et Rosatom incluant probablement une prise de participation de l’entreprise russe dans l’usine française pour limiter la distorsion de concurrence entre les deux acteurs. Si Rosatom a besoin de turbines Arabelle parce que certains clients internationaux la demandent eu égard à ses performances et que l’usine de Belfort a besoin des commandes de Rosatom, le rapport de forces semble être plus favorable à Rosatom dès lors qu’elle construit des réacteurs sur sol et à l’étranger avec d’autres modèles de turbines, notamment celles produites par l’entreprise russe Power Machines ayant de solides références à l’export. 

Cette prise de participation ne semblant pas crédible aujourd’hui, le risque est réel qu’EDF doive opérer une usine amputée de la moitié de son carnet de commande. Une déconvenue directement dûe à l’inconséquence de Macron, ministre de l’économie en 2014 et Président de la République depuis 2017.

Une politique industrielle inexistante

Les autres activités de la branche énergie de GE en France (hydraulique, éolien, réseaux électriques et gaz) ont quant à elles été complètement sacrifiées par le gouvernement français. La lecture de la presse locale et nationale rappelle la casse sociale et la destruction des compétences opérées par GE partout en France, dans la branche gaz, dans l’éolien en mer, les réseaux électriques et les activités support. Il n’y a plus de production de turbines hydrauliques en France depuis 2019. Comment être exhaustif face à une telle casse sociale depuis 2015 ? En 2021, GE a annoncé la scission du conglomérat en 3 entités dédiées à la santé, à l’aéronautique et à l’énergie. Les salariés de la branche énergie, dénommée GE Vernova, craignent une poursuite de la casse sociale et une nouvelle perte de souveraineté de la France dans le domaine de l’industrie de l’énergie. 

Les autres activités de la branche énergie de GE en France (hydraulique, éolien, réseaux électriques et gaz) ont quant à elles été complètement sacrifiées par le gouvernement français.

Au-delà de GE, toute l’industrie de l’énergie française subit les errements de la politique industrielle de l’État. Des secteurs indispensables à la lutte contre le changement climatique, dans lesquels la France dispose de salariés très compétents et de technologies de pointe, sont sacrifiés sans que la politique industrielle du gouvernement ne permette d’arrêter l’hémorragie. Alors que certaines entreprises font croire qu’elles vont produire des usines de panneaux photovoltaïques sous réserve d’énormes subventions à l’investissement et d’une hausse des tarifs d’achat du photovoltaïque. Ainsi, une filiale de Total ferme ses dernières usines de panneaux photovoltaïques en France et livrera la France depuis le Mexique et la Malaisie…

Pourtant, l’État a mis en œuvre une politique économique dont l’objectif affiché est la réindustrialisation. Les dépenses fiscales (20 Md€ par an), les baisses des cotisations sociales (90 Md€ par an) et des impôts de production (10 Md€ par an) visent explicitement à renforcer la compétitivité des entreprises et notamment les entreprises industrielles exposées à la concurrence internationale. L’État a également lancé les plans France Relance et France 2030 à la suite de la pandémie de covid 19 dotés respectivement de 100 milliards d’euros et de 54 milliards d’euros. Des subventions massives ont été attribuées aux entreprises manifestant leur volonté d’en recevoir, souvent sans autre condition que celle de ne pas être une entreprise en difficulté… 

Même si le gouvernement se targue de l’ouverture d’usines, la part de l’industrie dans le PIB est inférieure en 2022, 13,3 % (dernière valeur consolidée publiée par l’INSEE), à ce qu’elle était en 2017, 13,8 %, lors de l’accession de M. Macron au pouvoir et en 2014, lorsque GE a acquis la branche énergie d’Alstom (14,1 %).

Il manque une évaluation quantitative de l’ensemble de la politique industrielle mise en œuvre par les derniers gouvernements auto-désignés comme « pro-business » mais il est manifeste que les fortunes déversées sur les entreprises privées sont sans commune mesure avec les résultats obtenus. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), symbole de la politique économique libérale de M. Hollande, a créé entre 100 000 et 160 000 emplois selon France Stratégie, bien loin du pin’s « 1 million d’emplois » arboré par M. Gattaz. Pour un coût de 18 Md€/an, chaque emploi créé grâce au CICE a coûté entre 112 500 et 180 000 € d’argent public. 

Des milliards distribués sans aucune vision

D’un point de vue qualitatif, le gouvernement a initié un semblant de politique industrielle verticale avec les plans France Relance et France 2030. Il a en effet choisi plusieurs filières telles que l’hydrogène vert, les batteries ou les petits réacteurs nucléaires (SMR). Pour prendre l’exemple des batteries, l’État subventionne directement les usines, indirectement via divers crédits d’impôts (comme le récent crédit d’impôt industrie verte, C3IV) et solvabilisera les acheteurs de batteries sur la base de prix permettant une rentabilité élevée aux producteurs. Profitant d’un rapport de forces très favorable, les industriels concernés mettent en concurrence les pays européens et les États-Unis pour l’installation d’une usine. En France, l’entreprise ACC réclame les mêmes conditions que Prologium pour la construction d’une usine de batteries. Et ACC a raison de s’émouvoir, l’État va subventionner 40 % de l’investissement de Prologium alors qu’elle-même ne recevra que 20 % de son investissement. Quelle rentabilité ces entreprises vont-elles atteindre lorsqu’elles toucheront le C3IV en plus et qu’elles pourront vendre leurs batteries très chères à des clients subventionnés par l’État ?

Si cette politique est si coûteuse et inefficace, c’est parce que le gouvernement français est le bon élève de la globalisation libérale.

Si cette politique est si coûteuse et inefficace, c’est parce que le gouvernement français est le bon élève de la globalisation libérale. Dans ce cadre, les entreprises mettent en concurrence les États pour sélectionner ceux proposant les subventions les plus importantes, les salaires les plus bas et le cadre juridique le moins protecteur des salariés et de l’environnement. De plus, comme les entreprises ont un intérêt à la concentration des activités industrielles comme le démontre l’économie géographique, la France, très désindustrialisée, doit subventionner d’autant plus les entreprises pour qu’elles aient un intérêt à s’installer. A ce désavantage s’ajoute celui d’une indifférence totale des capitaines d’industrie français pour leur pays, contrairement à leurs homologues allemands ou italiens, comme le montrent les données sur la délocalisation des entreprises françaises.

Réparer des erreurs aussi graves commises depuis des décennies prendra incontestablement beaucoup de temps. Néanmoins, les solutions sont connues depuis des années. En premier lieu, cesser de brader les entreprises stratégiques, dont Atos n’est que le dernier avatar, et abandonner la naïveté face aux conséquences des choix « du marché » et de la guerre économique menée par des pays hostiles mais aussi par nos alliés et partenaires, américains comme européens. Ensuite, recréer une véritable politique industrielle et des entreprises publiques fortes sur le fondement d’une analyse sérieuse de nos besoins et de nos dépendances. Si un appui sur le privé peut être nécessaire pour différentes raisons, il faut alors encadrer beaucoup plus strictement les subventions qui peuvent être distribuées, pour s’assurer de réels bénéfices sur l’emploi, les savoir-faire, la souveraineté et l’environnement. Un cap de planification incompatible avec le libre marché mondialisé ardemment défendu par Macron et ses alliés.


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Réforme des prix de l’électricité : tout changer pour ne rien changer

Nucléaire LVSL Le Vent Se Lève
© Édition LHB pour LVSL

« Nous avons réussi à trouver un équilibre vital entre la compétitivité de notre industrie, la stabilité pour les ménages et le développement d’EDF ». A la mi-novembre 2023, après deux ans de crise sur le marché de l’électricité, Bruno Le Maire était fier d’annoncer un accord entre l’Etat et EDF. A l’entendre, tous les problèmes constatés ces dernières années ont été résolus. Le tout en restant pourtant dans le cadre de marché imposé par l’Union européenne. En somme, la France aurait réussi l’impossible : garantir des prix stables tout en permettant une concurrence… qui implique une fluctuation des prix. 

Alors que la crise énergétique n’est toujours pas vraiment derrière nous et que les investissements pour la maintenance et le renouvellement des centrales électriques dans les années à venir sont considérables, cet accord mérite une attention particulière. Devant la technicité du sujet, la plupart des médias ont pourtant renoncé à se plonger dans les détails de la réforme et se sont contentés de reprendre les déclarations officielles. Cet accord comporte pourtant de grandes zones d’ombre, qui invitent à relativiser les propos optimistes du ministre de l’Économie. Alors qu’en est-il vraiment ?

Une réforme qui n’a que trop tardé

D’abord, il faut rappeler à quel point une réforme des prix de l’électricité était urgente. Depuis l’ouverture à la concurrence du secteur imposée par l’Union Européenne (UE) à la fin des années 90, le système est devenu de plus en plus complexe, EDF s’est retrouvée de plus en plus fragilisée et les prix pour les consommateurs ont explosé, contrairement aux promesses des apôtres du marché. En transformant l’électricité d’un bien public au tarif garanti en un bien de marché échangé sur les places boursières, son prix a été largement corrélé à celui du gaz, correspondant au coût marginal de production, c’est-à-dire au coût pour produire un MWh supplémentaire. Une absurdité alors que nos électrons proviennent largement du nucléaire et des renouvelables, notamment l’hydroélectricité.

Complexification du système électrique français depuis la libéralisation européenne. © Elucid

Dès la fin 2021, l’envolée des prix du gaz entraîne de fortes hausses des prix de marché de l’électricité, qui se répercutent ensuite sur les consommateurs. Pour la plupart des entreprises et les collectivités, qui ne bénéficient pas du tarif réglementé, l’augmentation a été brutale : +21% en 2022 et +84% en 2023 en moyenne selon l’INSEE., soit un doublement des factures en à peine deux ans ! Et cette moyenne cache de fortes disparités : les exemples d’entreprises ou communes ayant vu leur facture tripler ou quadrupler, voire multipliée par 10, sont légion. Les conséquences de telles hausses sont catastrophiques : faillites, délocalisations, gel des investissements, dégradation des services publics, hausse de l’inflation… Pour les particuliers, la hausse a été moins brutale, mais tout de même historique : après +4% en 2022, le tarif réglementé a connu une hausse de 15% en février 2023 et une autre de 10% en août. Soit presque +30% en deux ans, avant une nouvelle hausse de 10% prévue pour cette année.

Face aux effets dévastateurs de cette envolée des prix, l’Etat a bricolé un « bouclier tarifaire»  pour les particuliers et divers amortisseurs et aides ciblées pour les collectivités et les entreprises. Un empilement de dispositifs considéré comme une « usine à gaz » par un rapport sénatorial et qui aura coûté 50 milliards d’euros entre 2021 et 2023 rien que pour l’électricité. L’Etat français a ainsi préféré payer une part des factures lui-même pour acheter la paix sociale plutôt que de taxer les superprofits des spéculateurs ou de reprendre le contrôle sur l’énergie. Privatisation des profits et socialisation des pertes.

Le bilan des deux dernières années est accablant : les factures des ménages et des entreprises ont flambé, l’Etat a dépensé sans compter pour les aider et l’endettement d’EDF a explosé. Les seuls bénéficiaires de cette période sont les spéculateurs du marché, qui ont engrangé des profits indécents.

De manière absurde, alors que les prix étaient au plus haut, EDF a enregistré des pertes historiques en 2022 (18 milliards d’euros). Une situation qui s’explique par des erreurs stratégiques et une faible disponibilité du parc nucléaire, qui l’a obligée à racheter à ses concurrents les volumes vendus dans le cadre de l’Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire Historique (ARENH). Concession de la France aux fanatiques européens de la concurrence, ce système force EDF à vendre 120 TWh par an, soit environ un tiers de sa production nucléaire, à ses concurrents à un prix trop faible de 42€/MWh. Si la situation de l’énergéticien s’est depuis améliorée, le bilan des deux dernières années est accablant : les factures des ménages et des entreprises ont flambé, l’Etat a dépensé sans compter pour les aider et l’endettement d’EDF a explosé. Les seuls bénéficiaires de cette période sont les spéculateurs du marché, qui ont engrangé des profits indécents.

Un « tarif cible » encore très flou

Après un tel échec du marché et alors que le mécanisme de l’ARENH doit prendre fin au 1er janvier 2026, une réforme devenait indispensable. Suite à des mois de négociations, un accord a finalement été trouvé entre l’Etat et EDF pour la période 2026-2040 pour « garantir un niveau de prix autour de 70€ le MWh pour l’électricité nucléaire » selon Bruno Le Maire. Si certains ont jugé la hausse trop forte par rapport aux 42€/MWh de l’ARENH, il convient de relativiser. D’une part, l’ARENH ne concernait qu’une part de la production nucléaire, le reste étant vendu bien plus cher. D’autre part, le tarif de l’ARENH était devenu trop faible par rapport aux coûts de production du nucléaire, estimés autour de 60€/MWh dans les années à venir, et aux besoins d’investissement d’EDF. Une hausse conséquente était donc inéluctable.

Le nouveau tarif paraît donc élevé, mais pas délirant. Mais voilà : ces 70€/MWh ne sont en fait pas un tarif garanti mais un « tarif cible » que se fixe le gouvernement, « en moyenne sur 15 ans et sur l’ensemble des consommateurs ». Cette cible repose sur des prévisions d’évolution des prix de marché absolument impossibles à valider et sur un mécanisme de taxation progressive des prix de vente d’EDF aux fournisseurs, qui démarre à 78 €/MWh. A partir de ce seuil, les gains supplémentaires seront taxés à 50%, puis à 90% au-delà de 110€/MWh. Rien qui permette de garantir un prix de 70 €/MWh aux fournisseurs… et encore moins aux consommateurs puisque la marge des fournisseurs n’est pas encadrée. Si l’Etat promet que les recettes de ces taxes seront ensuite reversées aux consommateurs, le mécanisme envisagé n’est pas encore connu. S’agira-t-il d’un crédit d’impôt ? D’une remise sur les factures suivantes ? Sans doute les cabinets de conseil se penchent-ils déjà sur la question pour concevoir un nouveau système bureaucratique.

Ce système bricolé reste vulnérable aux injonctions européennes.

En attendant, une chose est sûre : les factures vont continuer à osciller fortement, pénalisant fortement les ménages, les entreprises et les communes, à l’image de la situation actuelle. On est donc loin de la « stabilité » vantée par le gouvernement. Enfin, ce système bricolé reste vulnérable aux injonctions européennes : si les tarifs français sont plus attractifs que ceux d’autres pays européens – par exemple, ceux d’une Allemagne désormais largement dépendante du gaz américain particulièrement cher – rien ne garantit que ceux-ci ne portent pas plainte auprès de l’UE pour distorsion de concurrence. Quelle nouvelle concession la France fera-t-elle alors aux gourous du marché ?

En revanche, le fait que les fournisseurs et producteurs privés continuent à engranger des superprofits sur le dos des usagers ne semble gêner personne. Imaginons par exemple une nouvelle période de flambée des prix durant laquelle TotalEnergies, Eni, Engie ou d’autres vendent de l’électricité à 100 ou 150€/MWh : si les consommateurs ne percevront pas la différence – le mécanisme de taxation prévoyant une redistribution indépendamment de leur fournisseur – les profits supplémentaires n’iront pas dans les mêmes poches suivant qui les réalisent. Chez EDF, d’éventuels dividendes iront directement dans les caisses de l’Etat, désormais actionnaire à 100%. Chez ses concurrents, ces profits sur un bien public enrichiront des investisseurs privés.

EDF, gagnant de la réforme ?

Pour l’opérateur historique, la réforme ouvre donc une nouvelle ère incertaine. Certes, en apparence, EDF semble plutôt sortir gagnante des négociations. Son PDG Luc Rémont n’a d’ailleurs pas hésité à menacer de démissionner s’il n’obtenait pas un tarif cible suffisant. Une fermeté qui doit moins à son attachement au service public qu’à sa volonté de gouverner EDF comme une multinationale privée, en vendant l’électricité à des prix plus hauts. Or, EDF doit faire face à des défis immenses dans les prochaines décennies : il faut non seulement assurer le prolongement du parc existant, notamment le « grand carénage » des centrales nucléaires vieillissantes, mais également investir pour répondre à une demande amenée à augmenter fortement avec l’électrification de nouveaux usages (procédés industriels et véhicules notamment). Le tout en essayant de rembourser une dette de 65 milliards d’euros, directement causée par les décisions désastreuses prises depuis 20 ans et en essayant de se développer à l’international.

A première vue, le tarif cible de 70€/MWh devrait permettre de remplir ces différents objectifs. D’après la Commission de Régulation de l’Énergie, le coût de production du nucléaire sur la période 2026-2030 devrait être de 60,7€/MWh. La dizaine d’euros supplémentaires ponctionnés sur chaque MWh devrait servir à financer la « politique d’investissement d’EDF, notamment dans le nouveau nucléaire français et à l’export », indique le gouvernement. Selon les calculs d’Alternatives Economiques, cette différence par rapport aux coûts de production permettrait de financer un réacteur EPR tous les deux ans. Que l’on soit pour ou contre la relance du programme nucléaire, cet apport financier supplémentaire pour EDF reste une bonne nouvelle, les énergies renouvelables nécessitant elles aussi de gros investissements.

Les factures d’électricité des Français serviront-elles à payer les réacteurs EPR britanniques ?

Cependant, l’usage exact de ces milliards par EDF reste entouré d’un grand flou. L’entreprise est en effet le bras armé de la France pour exporter son nucléaire dans le reste du monde. Or, les coûts des centrales atomiques construites à l’étranger ont eu tendance à exploser. C’est notamment le cas au Royaume-Uni, où EDF construit la centrale d’Hinkley Point C. Un projet dont le coût est passé de 18 milliards de livres au début de sa construction en 2016 à presque 33 milliards de livres aujourd’hui. Des surcoûts que le partenaire chinois d’EDF sur ce projet, China General Nuclear Power Group (CGN), refuse d’assumer. EDF risque donc de devoir assumer seule cette facture extrêmement salée, ainsi que celle de la future centrale de Sizewell C, également en « partenariat » avec CGN. Les factures d’électricité des Français serviront-elles à payer les réacteurs EPR britanniques ? Si rien n’est encore décidé, le risque existe bel et bien.

La France osera-t-elle s’opposer à l’Union Européenne ?

Enfin, EDF fait toujours figure d’ennemi à abattre pour la Commission Européenne. Étant donné la position ultra-dominante de l’opérateur national, les technocrates bruxellois cherchent depuis longtemps des moyens d’affaiblir ses parts de marché. Le nucléaire intéresse peu le secteur privé : il pose de trop grands enjeux de sécurité et est trop peu rentable. Les concurrents d’EDF espèrent donc surtout mettre la main sur le reste des activités du groupe, c’est-à-dire les énergies renouvelables et les barrages hydroélectriques, amortis depuis longtemps et qui garantissent une rente confortable. Si un pays européen venait à se plaindre de la concurrence « déloyale » d’EDF, la Commission européenne pourrait alors ressortir des cartons le « projet Hercule », qui prévoit le démembrement de l’entreprise et la vente de ses activités non-nucléaires. Bien qu’ils disent le contraire, les macronistes ne semblent pas avoir renoncé à ce scénario. En témoignent la réorganisation actuelle du groupe EDF, qui ressemble fortement aux plans prévus par Hercule, et leur opposition intense à la proposition de loi du député Philippe Brun (PS) qui vise, entre autres, à garantir l’incessibilité des actifs d’EDF.

EDF fait toujours figure d’ennemi à abattre pour la Commission Européenne.

Etant donné la docilité habituelle de Paris face aux injonctions européennes, le retour de ce « projet Hercule » est donc une possibilité réelle. La France pourrait pourtant faire d’autres choix et désobéir à Bruxelles pour pouvoir appliquer sa propre politique énergétique. L’exemple de l’Espagne et du Portugal montre que des alternatives existent : en dérogeant temporairement aux règles européennes pour plafonner le prix du gaz utilisé pour la production électrique, les deux pays ibériques ont divisé par deux les factures des consommateurs bénéficiant de tarifs réglementés. Quand le Parti Communiste Français et la France Insoumise, inspirés par le travail du syndicat Sud Energie, ont proposé que la France revienne à une gestion publique de l’électricité, les macronistes ont agité la peur d’un « Frexit énergétique », estimant que la sortie de la concurrence reviendrait à cesser tout échange énergétique avec les pays voisins. Un mensonge qui témoigne soit de leur mauvaise foi, soit de leur méconnaissance complète du sujet, les échanges d’électricité ne nécessitant ni la privatisation des centrales, ni la mise en concurrence d’EDF avec des fournisseurs nuisibles.

Si cette réforme s’apparente donc à un vaste bricolage pour faire perdurer l’hérésie du marché, l’insistance sur la « stabilité » des prix dans le discours de Bruno Le Maire s’apparente à une reconnaissance implicite du fait que le marché n’est pas la solution. Les consommateurs, qu’il s’agisse des particuliers, des entreprises ou des collectivités et organismes publics, souhaitent tous de la visibilité sur leurs factures pour ne pas tomber dans le rouge. De l’autre côté, les investissements menés sur le système électrique, tant pour la production que pour le réseau, ne sont amortis que sur le temps long. Ainsi, tout le monde a intérêt à des tarifs réglementés, fixés sur le long terme. Un objectif qui ne peut être atteint que par un retour à un monopole public et une forte planification. Exactement l’inverse du chaos et de la voracité des marchés.

Note : L’auteur remercie la syndicaliste Anne Debrégeas (Sud Energie) pour ses retours précis et ses analyses sur la réforme en cours.


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Risque de pénurie énergétique : la France est-elle prête ?

© Fré Sonnevald

Après des mois de déni, le gouvernement français a fini par reconnaître que la perspective d’une pénurie énergétique, et notamment d’électricité, cet hiver était bien réelle. Dans l’urgence, une centrale à charbon a été rouverte et un plan de sobriété est en train d’être bricolé. Le manque probable d’énergie avait pourtant été anticipé depuis des années, durant lesquelles tous les choix ont été reportés sine die. À court terme, plusieurs options de sobriété peuvent être mises en place pour pallier le pire. Mais à moyen terme, une véritable planification énergétique et une sortie des mécanismes européens qui ont ruiné et affaibli EDF est indispensable.

Le 25 juin dernier, une tribune des patrons des trois grands énergéticiens – EDF, Engie et Total – faisait l’actualité. Face à la flambée des prix de l’énergie et aux risques de pénuries pour l’hiver prochain, les trois entreprises appelaient à mettre en œuvre un « plan d’urgence de sobriété » au regard d’une situation qui « menace notre cohésion ». Une annonce qui venait contredire le discours officiel du gouvernement, qui évoquait alors une situation énergétique contrôlée et maîtrisée. Ainsi, deux jours plus tôt, Matignon affirmait que « nous sommes dans une situation plus favorable que d’autres pays européens pour assurer notre sécurité d’approvisionnement ». La veille, le gouvernement annonçait pourtant discrètement le prolongement de l’utilisation de la centrale à charbon (une énergie 250 fois plus polluante que le nucléaire ou 70 fois plus que l’éolien) Emile Huchet de St-Avold, près de Metz, afin de répondre aux risques de pénurie.

Depuis, le ton a changé : le 10 juillet dernier, Bruno Le Maire reconnaissait être face à des “choix compliqués” et déclarait que “nous ne pourrons pas continuer à nous chauffer et à nous déplacer comme si de rien n’était”. Quatre jours avant, Elisabeth Borne annonçait quant à elle la renationalisation d’EDF, qui fait face à de grandes difficultés financières. Enfin, le 14 juillet, Emmanuel Macron a évoqué un objectif de 10% d’économie d’énergie d’ici deux ans. La tribune des PDG a donc certainement contribué à faire bouger le gouvernement, qui, sans doute par électoralisme, a refusé pendant des mois de reconnaître l’ampleur du problème, préférant mentir et infantiliser les Français, en leur faisant croire que tout allait bien. Notons ici l’ironie de la situation. Ce sont bien des patrons d’entreprises, dont le business consiste à vendre de l’énergie qui appellent à mettre en œuvre une sobriété d’urgence ! Comment en sommes-nous arrivés là ?

Un problème constamment reporté

Si la France est aujourd’hui menacée par une pénurie d’énergie, cette dernière était évitable. La situation actuelle s’explique en effet par l’impréparation complète des politiques publiques depuis une quinzaine d’année pour assurer l’autonomie énergétique française. Les risques de pénurie portent à la fois sur les énergies fossiles, et notamment le gaz, mais aussi sur l’électricité. Pour chaque énergie, les causes de potentielles pénuries ne sont pas exactement les mêmes. Mais tandis qu’en matière de pétrole et de gaz, les causes sont d’origine géopolitique, en particulier en lien avec la crise en Ukraine, la situation préoccupante en matière d’électricité possède des explications directement liées aux politiques publiques françaises et à l’impréparation gouvernementale en matière de mix électrique. Celles-ci sont de trois ordres : conséquence de la crise en Ukraine et des tensions sur le marché du gaz, dysfonctionnements importants du parc nucléaire de l’Hexagone et retards de développement des énergies renouvelables.

RTE, Bilan électrique 2021

Pour mémoire, l’électricité représentait environ 25% des consommations énergétiques en France en 2021, principalement produite par le nucléaire (environ 70%), les renouvelables (22%) et les centrales thermiques à gaz, charbon et fioul (8%). La diminution forte des importations de gaz liée à la guerre en Ukraine a une incidence relativement modérée sur le niveau de production. Les centrales à gaz représentent 6% de l’électricité produite en France et moins d’un cinquième du gaz provient de Russie. Toutefois, et de manière très défavorable pour la France, le marché européen aligne le prix de l’électricité sur celui du gaz, qui est généralement utilisé dans la dernière centrale appelée pour répondre à la demande. Ainsi, la guerre a surtout une incidence sur le coût de l’électricité, plus que sur le niveau de production absolu.

La tension sur l’approvisionnement électrique est la conséquence d’une forte diminution des marges du système électrique pour répondre aux pics de consommation.

La tension sur l’approvisionnement électrique est surtout la conséquence d’une forte diminution depuis une décennie des marges du système électrique pour répondre aux pics de consommation : fermeture de plusieurs centrales à charbon, arrêt anticipé de Fessenheim, retards sur l’EPR de Flamanville. Ces fermetures n’ont été que très insuffisamment compensées par de nouvelles capacités renouvelables. Cette marge est donc actuellement réduite à presque rien en raison des fortes secousses que connait le parc nucléaire. Alors que celui-ci garantit historiquement une marge de sécurité importante au pays, il connaît un taux de disponibilité particulièrement bas, et ce pour deux raisons.

D’une part, toute une série d’arrêts pour maintenance, prévus pendant le Covid, ont été repoussés et ont lieu maintenant. D’autre part, le parc fait face à l’événement redouté par les stratèges de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), celui des défauts dé série. En effet, en fin d’année dernière, un défaut de corrosion sur le circuit secondaire, le circuit de refroidissement du réacteur a été détecté sur les centrales de Penly, Chooz et Civaux, obligeant à les arrêter pour organiser des contrôles. Par la suite, ce sont tous les réacteurs d’un même palier, c’est-à-dire construits à la même période et correspondant à la même technologie, qui vont devoir être arrêtés rapidement pour maintenance et vérification, faisant fortement baisser le nombre de réacteurs disponibles. A l’heure où nous parlons, 27 des 56 réacteurs sont à l’arrêt pour des travaux prévus ou non, soit presque la moitié du parc hexagonal. Cet état de fait est probablement la conséquence des nombreuses années de sous-investissement dont a souffert le parc nucléaire au tournant des années 2000, ainsi qu’à la forte hausse du niveau de sûreté post-Fukushima.

Enfin, le dernier élément expliquant la forte tension en matière de production électrique est le retard conséquent pris en matière de développement des énergies renouvelables (EnR) depuis dix ans en France. En cumulé, la France accuse déjà un retard de près de 20% par rapport à ses objectifs : en 2020, les EnR constituaient 19,1% de l’électricité produite, alors que les objectifs prévoyaient d’atteindre 23%. L’absence de planification et de leadership fort pour soutenir leur développement explique en partie ce retard. A l’heure actuelle, alors que nous possédons la plus grande façade maritime européenne, aucun parc éolien en mer n’est encore raccordé, en raison notamment de retard au niveau des autorisations ! Par ailleurs, la production renouvelable a légèrement reculé (-5% par rapport à 2020), conséquence d’une situation météorologique défavorable qui a vu les barrages être moins productifs et le vent des éoliennes plus faible.

Alors que nous possédons la plus grande façade maritime européenne, aucun parc éolien en mer n’est encore raccordé !

Toutefois de manière plus globale, le retard pris en matière d’éolien et de solaire est aussi la conséquence d’une absence de planification et de construction de filières de production françaises. Là encore, les règles européennes sont largement en cause : en rendant obligatoires les appels d’offre pour la création d’EnR, elles ont encouragé l’achat de matériel étranger moins cher, notamment d’origine chinoise. Par exemple, la société Photowatt, qui produit des panneaux photovoltaïques bas-carbone en France, ne reçoit aucune commande de son propriétaire, EDF, qui souhaite s’en séparer ! En matière d’hydroélectricité, si le potentiel de la France est déjà largement exploité, les investissements dans les barrages demeurent insuffisants. En effet, la menace d’une ouverture à la concurrence exigée par l’UE conduit EDF à retarder les grands travaux : pourquoi améliorer des outils de production qui risquent de se retrouver aux mains des concurrents ? Enfin, l’absence de planification et de portage politique mène à une acceptabilité plus faible, notamment en ce qui concerne l’éolien, donnant un pouvoir démesuré à des intérêts très localisés.

Objectifs et développement des EnR, Observatoire climat-énergie 2021

Globalement, cette situation est le reflet d’une impréparation forte de l’Etat français depuis plusieurs années et de l’absence de stratégie claire. Notre parc électrique se trouve à un tournant déterminant, et nécessite des choix clairs de la part des pouvoirs publics. Quel que soit l’avenir du futur mix électrique, 100% renouvelable ou bien avec une relance du nucléaire, des options doivent être prises pour assurer le fonctionnement de notre production électrique. Pour reprendre les mots de l’étude structurante de RTE : « Quel que soit le scénario choisi, il y a urgence à se mobiliser ». Alors que les centrales du programme de nouveau nucléaire voulu par Macron ne seraient raccordées qu’au plus tôt en 2035, il faut lancer une stratégie de développement du renouvelable très rapide et avec un fort soutien de l’Etat. Pour cela, des investissements conséquents doivent être consentis. Selon le scénario, ces investissements devraient s’élever entre 20 et 25 milliards d’euros par an. Pour l’heure actuelle, ils s’élèvent à environ 13 milliards par an, auxquels il faudrait donc ajouter de 7 à 12 milliards supplémentaires.

Dépenses d’investissements dans le système électrique sur les 40 prochaines années (18 à 25 Md€ par an), RTE, “Futurs énergétiques”

L’urgence d’un plan de sobriété énergétique

Pour faire face à l’urgence qui vient, et en attendant que de nouveaux moyens de production décarbonés ne soient raccordés, il est vital de décréter un plan d’urgence nationale en matière de sobriété énergétique. Qu’entend-on d’ailleurs par cette notion de sobriété ? Il existe en réalité plusieurs types de sobriété : la sobriété d’usage consistant à réduire l’usage de certains équipements ou diminuer certaines activités particulièrement énergivores, la sobriété de substitution consistant à remplacer un appareil énergivore par un autre, plus performant, ou prendre le vélo ou les transports en commun plutôt que la voiture, la sobriété dimensionnelle consistant à ajuster les appareils aux besoins et enfin la sobriété collaborative, consistant à mutualiser des équipements à plusieurs. Chacune de ces dimensions permet de faire des économies d’énergie sans réduire considérablement le confort de nos vies. Elles relèvent à la fois de comportements individuels et de comportements collectifs.

Afin de redonner de la marge de sécurité à notre réseau et à nos approvisionnements, RTE liste dans son étude « Futurs énergétiques » toute une série de comportements et de mesures qui pourraient être mis en œuvre à court ou moyen terme. Autant de propositions utiles pour baisser la consommation lors des pics de froid du prochain hiver. Un plan de sobriété efficace permettrait de baisser la consommation de l’ordre de 5 à 10% dès cet hiver.

En cas de tension sur le réseau électrique, plusieurs mesures permettent d’empêcher les coupures chez les citoyens. Tout d’abord, un certain nombre d’industries, fortement consommatrices, s’engagent chaque année à arrêter leur production. On dit qu’elles « effacent leurs consommations » en échange d’une rémunération fixée par contrat en amont. Dans un deuxième temps, RTE peut baisser légèrement la puissance électrique transmise à l’ensemble des consommateurs, sans que ce soit réellement perceptible pour chaque consommateur. Enfin, il est ensuite possible de procéder à du lissage intelligent de la consommation, en diminuant dans chaque foyer ou entreprise les consommations qui peuvent être repoussées ou diminuées. Ce n’est qu’en dernier recours que RTE procède à des délestages tournants, consistant à couper pendant quelques heures des groupes importants de foyers ou de bâtiments. Les choix de priorisation sont fixé par décret préfectoral avec une seule règle : “tout le monde est délestable”, sans réelle stratégie ni protection prévue des ménages les plus précaires.

La tribune des patrons énergéticiens, ainsi que différents signaux d’alarme, laissent toutefois entendre que sans réel plan de sobriété, nous pourrions en arriver cet hiver à cette dernière extrémité. Pour y échapper, il est donc intéressant d’étudier le scénario de sobriété accrue proposé par RTE dans son scénario. Plusieurs mesures pourraient être mises en place très rapidement en cas de pointe de consommation trop importante. Parmi celles proposées par RTE et permettant de diminuer la consommation d’électricité, notons notamment la réduction des panneaux publicitaires qui pourraient par ailleurs être coupés en priorité (0,5 TWh, -0,1% sur l’année ), la baisse volontaire de la température de consigne de chauffage de 1°C (4 TWh, -0,8% sur l’année), la limitation et la réduction des consommations et du chauffage du tertiaire, et la réduction de leur surface, notamment pour les grands centre commerciaux : jusqu’à 2,9 TWh (2,9 TWh, -0,6% sur l’année) ou encore une hausse du recours au télétravail (jusqu’à 9,1 TWh en moins, soit -1,8%).

Par ailleurs, il est nécessaire en amont d’identifier toutes les industries qui peuvent être arrêtées sans mettre en danger l’économie du pays et les productions essentielles. L’industrie représente en effet 17% des consommations électriques. Enfin, toute une série de mesures à la fois symboliques mais offrant un potentiel non négligeable lorsqu’additionnées, peuvent être mises en place : extinction complète des lumières du tertiaire et des commerces la nuit, interdiction de laisser ouvert alors que la climatisation ou le chauffage est à fond, etc. Bref, il existe de nombreuses mesures rapidement transposables pour baisser la consommation et éviter de relancer des moyens de production fortement carbonés comme les centrales thermiques ou avoir recours à des importations d’électricité tout aussi carbonées. Bien évidemment, toute cette logique s’applique aussi pour ce qui concerne les consommations de gaz, afin de limiter notre dépendance extérieure, qu’elle soit russe, américaine ou qatari.

Gisements de sobriété, RTE, Futurs énergétiques 2021

Rebâtir un système électrique fonctionnel

A moyen terme, afin d’éviter ce genre de situations, il est nécessaire de mettre en œuvre une réelle planification de l’énergie en France, au-delà des documents stratégiques. Il n’y a pas de solution miracle. Garantir notre souveraineté énergétique et éviter les coupures passe tout d’abord par un niveau d’investissement à la hauteur des enjeux, soit entre 7 à 12 milliards d’euros supplémentaires selon RTE. Ces fonds doivent être débloqués dès aujourd’hui pour adapter le réseau électrique au développement d’énergies renouvelables intermittentes et décentralisées, construire ces nouveaux moyens de production décarbonés et garantir l’entretien du nucléaire existant.

Evidemment, rien de cela ne pourra se faire sans EDF. Or, suite à un enchaînement de très mauvaises décisions depuis une quinzaine d’années, l’entreprise est désormais très mal en point. Ainsi, la renationalisation d’EDF (déjà possédée à 87% par l’Etat) annoncée dans le discours de politique générale d’Elisabeth Borne doit se lire à l’aune de la situation financière de la firme : en 2022, sa dette pourrait passer de 48 milliards d’euros à 70 milliards ! Certes, des mauvais choix stratégiques sur le nucléaire, comme la construction de l’EPR d’Hinkley Point au Royaume-Uni ou le rachat au prix fort des turbines d’Alstom qui n’auraient jamais dues être vendues, sont en cause. Mais le principal problème reste celui du marché européen de l’électricité, qui a fait exploser les tarifs pour le consommateur (+45% en dix ans, alors que les coûts de production ont augmenté de seulement 4%) pour le seul bénéfice des spéculateurs. L’ouverture à la concurrence et la vente à perte de près d’un tiers du volume de production d’EDF à ses concurrents dans le cadre de l’ARENH ont ainsi ruiné l’entreprise. Le fait que l’Espagne soit récemment sortie de ce système témoigne de l’impasse absolue qu’il représente.

En outre, si le principe de la renationalisation fait consensus à l’Assemblée nationale, celle-ci pourrait bien être un piège. Le gouvernement n’a en effet donné aucune indication précise sur le périmètre de celle-ci, ce qui fait craindre aux syndicats qu’il ne s’agisse d’un moyen détourné de remettre sur la table le “projet Hercule”, qui visait à étatiser les activités déficitaires (notamment le nucléaire, éventuellement l’hydraulique) et à privatiser celles qui sont bénéficiaires, notamment les EnR. Les propos de Bruno Le Maire, qui a déclaré qu'”il n’y aura pas de débat parlementaire sur la prise de contrôle de l’intégralité du capital d’EDF” laissent planer le doute. En outre, aucun changement de statut n’est prévu : EDF resterait une société anonyme, avec pour mission le profit, et non un EPIC (établissement public industriel et commercial). Ainsi, si sans débat parlementaire sur l’avenir de l’entreprise, la remise en cause des choix désastreux des dernières années et du système européen qui a détruit l’entreprise a peu de chances d’advenir.

Garantir notre souveraineté énergétique et éviter les coupures passe tout d’abord par un niveau d’investissement à la hauteur des enjeux, soit entre 7 à 12 milliards d’euros supplémentaires.

En parallèle, outre la mise en place d’un plan de sobriété d’urgence dès cet hiver, il faut aussi proposer une réelle stratégie s’appuyant sur le diptyque sobriété-efficacité sur le moyen terme. Cela passe en premier lieu par l’isolation des logements et la rénovation des bâtiments publics et privés. Or, en la matière, encore une fois, le gouvernement est défaillant. Très axé sur le remplacement des chaudières ou des fenêtres, le dispositif d’aide à la rénovation MaPrimRénov n’aurait permis de sortir que 2 500 logements du statut de passoire thermique, très loin des 80 000 prévues initialement. A l’heure actuelle, le niveau d’investissements pour la rénovation est de 3,9 milliards d’euros/an (France Stratégie), alors qu’il faudrait ajouter 9,1 milliards d’argent public en plus et garantir un niveau de rénovation équivalent au label bâtiments basse consommation (BBC).

Encore une fois, les instruments de marché (taxes, aides) promulgués par la logique néolibérale montrent leurs limites et leur incapacité à atteindre des objectifs, car ils sont incapables de remettre en cause la logique première du profit. Les incitations économiques et les logiques de marché ne suffiront donc pas. La transition écologique ne pourra faire l’impasse sur une approche qui combine une orientation étatique via l’outil de la planification, une approche réglementaire qui fixe des objectifs clairs et une volonté politique qui porte des politiques publiques ambitieuses et en phase avec la crise écologique et sociale que nous traversons.

Pour en savoir plus sur les pistes de reconstruction d’un service public de l’électricité, lire la note d’Intérêt Général « Planifier l’avenir de notre système électrique »


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Rachat des turbines Arabelle par EDF : une politique industrielle sans boussole

Turbines Arabelle et logo de General Electric derrière Emmanuel Macron. © Marius Petitjean pour LVSL

En pleine guerre en Ukraine, Rosatom, entreprise publique russe, pourrait prendre 20% des parts des turbines Arabelle, en cours d’acquisition par EDF (Électricité de France). Emmanuel Macron a en effet choisi l’électricien français pour racheter ces turbines, fleuron de l’industrie française, à General Electric. Si ce rachat est présenté comme un symbole de souveraineté industrielle, le choix d’EDF, en grande difficulté financière, est très curieux. Ainsi, en ouvrant le capital à Rosatom, EDF deviendra fournisseur d’un de ses concurrents. Alors que d’autres options étaient pourtant sur la table, cette décision hâtive illustre l’absence de politique industrielle sérieuse.

Alstom est le symbole du déclin industriel de la France. Cette entreprise, autrefois florissante, a subi le mythe du fabless (sans usines, ndlr) de plein fouet. La vente de la branche énergie de l’ex-Compagnie générale d’électricité s’est faite sur fond de guerre économique et d’extraterritorialité du droit étasunien. La cession à General Electric (GE) confirme les errements industriels du secrétaire général adjoint de l’Élysée, puis ministre de l’Économie, puis Président de la République, Emmanuel Macron. Ce dernier a joué un rôle prépondérant dans ce qu’Arnaud Montebourg avait qualifié d’« humiliation nationale ». Rôle qui lui a valu une saisine de la justice de la part du député Olivier Marleix (LR) pour ce qu’il a appelé un « pacte de corruption ». Ce dernier a également diligenté une commission d’enquête parlementaire sur le sujet, ce qui témoigne du sérieux de l’affaire.

Les turbines Arabelle équipent un tiers de centrales nucléaires du monde, dont les 56 réacteurs en activité dans l’Hexagone, nos sous marins à propulsion nucléaire et le porte-avions Charles de Gaulle.

Ironie de l’histoire, c’est ce même Emmanuel Macron qui tente aujourd’hui un rétropédalage avec le rachat d’une partie de l’activité nucléaire de GE par EDF. Après sept ans passés, durant lesquels GE n’a respecté aucune des promesses tenues au moment de l’accord de vente. Ce rachat est hautement symbolique et stratégique car GE-Alstom (GEAST) a accueilli à la suite de la vente de 2014 un bijou de technologie française, les turbines Arabelle. Ces dernières équipent un tiers de centrales nucléaires du monde, dont les 56 réacteurs en activités dans l’Hexagone, nos sous-marins à propulsion nucléaire et le porte-avions Charles de Gaulle. Le fait que les gouvernements de François Hollande et d’Emmanuel Macron aient été aussi passifs, voire complaisants, face au délitement d’une activité aussi vitale pour notre souveraineté nationale avait légitimement choqué de nombreux Français.

La fausse bonne affaire

C’est depuis Belfort qu’Emmanuel Macron a confirmé l’accord d’exclusivité signé entre GE et EDF sur la reprise des activités nucléaires du conglomérat américain. Cette production concerne en particulier les turbines Arabelle, fleurons de l’industrie nucléaire française présentes au sein de GEAST, une filiale de GE. Ces accords devraient se finaliser d’ici 2023. Profitant de l’événement, le Président a affiché ses ambitions en matière de nucléaire civil avec l’ambition d’atteindre la neutralité carbone à travers une relance de l’atome. Tournant le dos à une immense turbine, le Président, pas encore candidat à l’époque, voulait s’assurer l’image d’une ambition de réindustrialisation pour la France. Or, loin des effets de communication, ce sont les atermoiements face à la difficile mais nécessaire tâche de réindustrialiser le pays qui sont apparus. Et, à ce jeu, le bilan d’Emmanuel Macron est de 10 ans et non de 5 ans.

En effet, si le bataillon de communicants de l’Élysée s’est mis en branle dès l’annonce de Belfort pour étaler les éléments de langage sur la reprise d’une partie de GE, mettant en avant le regain de souveraineté et la bonne affaire financière que représente la transaction, la réalité est bien moins reluisante. D’abord, l’accord entre EDF et GE ne concerne pas l’ensemble des activités achetées à Alstom il y a sept ans. Il s’agit des « équipements d’îlots conventionnels de GE Steam Power pour les nouvelles centrales nucléaires, ainsi que la maintenance et les mises à niveau des centrales nucléaires existantes », indiquent les deux groupes. En somme, cela concerne les turbines Arabelles et la société de maintenance GEAST, déjà détenue à 20% par l’État.

Ensuite, le prix du rachat semble avoir été particulièrement mal négocié. Au départ, celui-ci était annoncé à 270 millions de dollars. Pourtant, EDF va débourser 1,2 milliard de dollars au total pour cette acquisition. Ce tour de passe-passe est réalisé grâce aux 800 millions de trésorerie que possède GEAST au moment de la vente. Or, cette trésorerie est en réalité constituée d’avances de paiement de clients, soit une partie du chiffre d’affaires, d’ores et déjà amputées pour les années à venir. À cela s’ajoute 65 millions de dettes, reprises par EDF. En comparaison, ce prix est deux fois plus élevé que la valeur estimée de GEAST en 2014, au moment de la vente d’Alstom. Le prix était alors estimé à 588 millions d’euros. Selon Frédéric Pierrucci, ancien cadre d’Alstom et victime collatérale de la guerre économique menée par les États-Unis, le gouvernement français a largement contribué à faire gonfler la valeur de GEAST, en annonçant le rachat avant même que les négociations soient terminées, ce qui a fait grimper le cours en bourse de GE. M. Pierrucci avait pourtant monté un plan de rachat 100% français beaucoup moins onéreux, dont Bercy n’a jamais voulu entendre parler. Alors que General Electric subissait encore les conséquences de la crise des subprimes, l’opportunité était pourtant réelle.

En outre, le flou reste total sur le périmètre de la vente. Et cela questionne avec plus d’acuité le prix de 1,2 milliard. GE garde en effet les activités rentables de maintenance de centrales à charbon et conserve la construction de l’îlot conventionnel pour le parc américain qui représente 100 GW. Pire, il n’y a aucune certitude sur la présence des précieux brevets dans l’opération. Sitôt la vente de la branche énergie d’Alstom conclue, GE les avait en effet placés à l’étranger. Par ailleurs, dans son ouvrage l’Emprise (Seuil, 2022), le journaliste Marc Endeweld, évoque des possibilités d’espionnage industriel et technologique, autant par les Américains que par les Chinois. Il y révèle notamment le témoignage d’une source affirmant que des erreurs ont été produites lors de contrats passés avec la Chine.

Casse sociale et pertes de compétence

Par ailleurs, la branche d’Alstom que va racheter EDF n’est plus la même que celle qui a été vendue. Au moment de la vente, en 2014, le ministre Arnaud Montebourg avait négocié des garanties en matière de création d’emplois. À l’époque, GE faisait miroiter la création de 1 000 emplois sur le site de Belfort, une promesse insérée dans une clause particulière qui prévoit une amende de 50 millions d’euros en cas de non-respect des engagements. De même, Emmanuel Macron, successeur de Montebourg, assurait à l’Assemblée nationale en 2015 qu’il veillerait au respect des engagements de GE.

Dans les faits, ce millier d’emplois n’a cependant jamais été créé. Au contraire, les plans sociaux se sont multipliés sous l’ère GE. Selon le syndicat CFE-CGC, GE a ainsi détruit 3 000 emplois depuis 2014. Les conséquences pour la ville de Belfort sont désastreuses : des commerces qui ferment, des logements vides, une vie sociale qui s’évade. Face à ce constat, l’État a tardé à exiger le paiement de l’amende de 50 millions, censés alimenter un fonds de réindustrialisation (fonds Maugis) pour Belfort.

Les conséquences pour la ville de Belfort sont désastreuses : des commerces qui ferment, des logements vides, une vie sociale qui s’évade.

Cette casse sociale n’est pas sans conséquence pour les performances industrielles. Les compétences perdues sont en effet difficiles à retrouver à court et moyen termes. Ce faisant, nos industries se retrouvent dans l’obligation de sous-traiter ou de délocaliser des productions à des endroits où les compétences sont soit présentes en grand nombre soit moins chères. Ainsi le retour d’une souveraineté industrielle vantée par le gouvernement est peu crédible. Les répercussions pour notre industrie nucléaire sont importantes : les échecs répétés de l’EPR de Flamanville s’expliquent en grande partie par la disparition d’un savoir-faire que le monde entier enviait à la France.

Un cadeau empoisonné pour EDF

Enfin, le choix d’un rachat par EDF interroge, alors que le groupe traverse actuellement une profonde crise. Néanmoins le fournisseur historique d’électricité est l’atout du duo Macron Kohler dans la nouvelle stratégie nucléaire de l’Élysée. Cette stratégie prend racine dans le fameux plan Hercule de scission d’EDF. La création de six nouveaux EPR puis huit autres pour 2050, annoncé par Macron à Belfort, rentre dans cette logique. Reste à savoir si EDF, pressurisé aussi par le dispositif ARENH, a les reins assez solides pour encaisser cette demande. Les financements à mettre en œuvre sont colossaux et la perte de compétence sur le nucléaire est considérable.

NDLR : Pour en savoir plus sur la crise que vit EDF, lire sur LVSL l’entretien de William Bouchardon avec Anne Debrégéas : « Électricité : C’est le marché qui a fait exploser les prix »

Dès lors, le rachat des turbines Arabelle apparaît comme un cadeau empoisonné dont on mesure encore mal les conséquences. Pour Jean-Bernard Lévy, dirigeant d’EDF, cela apparaissait incongru d’aller sur une activité industrielle alors que ce n’est pas son cœur de métier. De plus le PDG d’EDF préfère, selon ses propres dires, se fournir en turbines venues de Chine plutôt que de Belfort. L’État possédant 87% d’EDF, Emmanuel Macron a toutefois réussi à tordre le bras à l’électricien et à conclure cet accord.

Si l’entrée de Rosatom au capital de GEAST fait sens, elle pose de nombreuses questions alors que la Russie est sous le feu des sanctions et subit une mise au ban de l’économie mondiale suite à la guerre en Ukraine.

Par cette opération, EDF devient en effet fournisseur de son principal concurrent, l’entreprise publique russe Rosatom, qui est l’un des premiers clients des turbines Arabelle. De même, Rosatom fait également appel à de nombreuses entreprises françaises, telles que Vinci, Bouygues, Assystem, Bureau Veritas ou Dassault Systèmes. Ces interdépendances, et la nécessité pour EDF que Rosatom continue à acheter des turbines Arabelle, se réglera sûrement par l’entrée de Rosatom au capital de GEAST. Les premières informations, bien que niées par le gouvernement, laisse entendre une prise de participation de 20% pour Rosatom contre 80% pour EDF. Si l’opération fait sens, elle pose de nombreuses questions alors que la Russie est sous le feu des sanctions et subit une mise au ban de l’économie mondiale suite à la guerre en Ukraine. Le secteur de l’énergie, en particulier le gaz et le nucléaire, reste néanmoins exclu des sanctions pour le moment.

Bien sûr, on peut légitimement se réjouir du retour des turbines Arabelle en France pour la souveraineté industrielle du pays. Néanmoins, ce nouvel épisode ne répare pas les dégâts causés durant sept ans à notre filière nucléaire qui poursuit son délitement. En outre, le choix du repreneur est problématique à plusieurs niveaux. Cette concentration verticale fait d’EDF, en grande difficulté financière, un fournisseur de ses propres concurrents. Le fait que d’autres projets de reprise plus pertinents étaient sur la table laisse présager que cette décision répond surtout à une logique court-termiste : effacer la cicatrice de la braderie d’Alstom à l’approche des élections. Une nouvelle fois encore, un coup de communication a visiblement été préféré à un véritable projet industriel.


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Electricité : « C’est le marché qui a fait exploser les prix » – Entretien avec Anne Debrégeas

Centrale nucléaire EDF et éoliennes. © Bastien Mazouyer pour LVSL

Explosion du prix de l’électricité, difficultés en série de la filière nucléaire, potentielle privatisation des barrages hydroélectriques, absence de filière industrielle dans le solaire ou l’éolien… Le système électrique français est plus fragile que jamais. Pour Anne Debrégeas, porte-parole du syndicat SUD Energie et chercheuse en économie au sein d’EDF, tous ces maux ont une même cause : l’obsession du marché imposé par l’Union européenne. Dans cette interview fleuve, elle nous explique comment l’ouverture à la concurrence fait exploser nos factures et mine la transition énergétique et nous propose des pistes pour rebâtir une grande entreprise de service public. Entretien réalisé et édité par William Bouchardon, retranscrit par Dany Meyniel.

LVSL : Alors que les élections présidentielles se profilent, les prix de l’électricité risquent d’augmenter fortement. Pour limiter cette hausse, le gouvernement a décidé courant janvier d’augmenter de 20% les volumes d’électricité qu’EDF est contrainte de vendre très bon marché à ses concurrents dans le cadre de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique, ndlr). En réaction, le 26 janvier dernier, plus de 40% des employés d’EDF ont fait grève pour dénoncer cette décision qui va coûter plus de huit milliards d’euros à l’entreprise. Pourquoi EDF est-elle obligée de vendre de l’électricité à ses concurrents et comment analysez-vous cette décision du gouvernement ?

Anne Debrégeas : EDF est obligée de vendre à ses concurrents depuis 2011. Le volume concerné est de 100 térawatts-heure (TWh), ce qui correspondait à l’époque à un quart de sa production nucléaire. Cette décision a été prise suite à l’ouverture des marchés de l’électricité à la concurrence. Personne ne voulant mettre en concurrence les centrales les unes par rapport aux autres, EDF a continué à exploiter presque l’intégralité du parc français de production, dont tout le nucléaire. Les concurrents ont vite compris qu’ils n’auraient pas accès à la ressource nucléaire, moins chère à la production que toutes les autres énergies. Sauf à rogner sur leurs marges, ils risquaient de ne pas être concurrentiels sur le marché. Ils ont commencé à râler auprès de la Commission européenne. Cédant à la pression de cette dernière, la France a mis en place ce système d’accès régulé.

Celui-ci est totalement aberrant : EDF est obligée de mettre à la disposition de ses concurrents ces 100 TWh pour qu’ils puissent les revendre à leurs clients ! On fait mine de mettre en concurrence quelque chose qu’il n’était pas possible de mettre en concurrence puisqu’on se refusait à privatiser la majorité des centrales. Pour concurrencer EDF, on a créé une activité qui n’existait pas auparavant et qu’on pourrait appeler une activité de fourniture à coût forcé. Parler des concurrents d’EDF est un terme impropre : ce sont principalement des fournisseurs qui ne produisent rien et dont l’activité consiste à acheter à un prix cassé de l’électricité grâce à l’Arenh (complété par des achats sur les marchés de gros, ncldr) pour la revendre en engrangeant des bénéfices. En fait, ces prétendus concurrents ne font rien. Ils ne produisent pas, ils ne stockent pas et ils ne choisissent même pas l’électricité qu’ils vendent puisque le courant arrivant chez le client est le même pour tout le monde et, par exemple, n’est absolument pas plus “vert” que celui de son voisin. Ils ne livrent même pas l’électricité puisque l’alimentation se fait par le réseau géré par RTE et Enedis, qui contrôle 95 % de la distribution d’électricité. Ces “concurrents”, entre guillemets donc, font seulement du trading, voire de la spéculation. Ils mettent leur logo sur la facture ! Je cite souvent cette phrase d’un fournisseur, le groupe Equateur, qui est assez emblématique : « Nous ne sommes pas plus énergéticiens qu’Amazon n’est libraire »…

« Les concurrents d’EDF ne produisent pas, ne stockent pas, ne choisissent même pas l’électricité. Ils ne la livrent pas… Ils font seulement du trading, voire de la spéculation, et ils mettent leur logo sur la facture. »

Nous sommes donc en présence d’un système de concurrence aberrant entre environ 80 fournisseurs qui vivent sous perfusion. Comme consommateurs, nous savons tous ce dont il s’agit : nous avons tous été démarchés par ces fournisseurs qui nous vendent une électricité moins chère, plus verte etc., alors que c’est la même pour tout le monde ! Les associations de consommateurs disent que ces démarchages sont souvent très agressifs, parfois frauduleux. Il ne peut pas en être autrement. Si on veut créer de la concurrence, il faut de toute façon faire un système aberrant. En dehors de ces 100 TWh, les fournisseurs achètent sur les marchés de l’électricité dont le fonctionnement est assez délirant. Le prix y est fixé par ce qu’on appelle le “coût marginal”, à savoir un coût variable dépendant de la quantité de courant produite par la centrale électrique la plus chère en production à un instant donné. Ce qu’ils ne se procurent pas dans le cadre de l’Arenh, les revendeurs l’achètent à un prix très volatile, complètement décorrélé des vrais coûts de production et très dépendant du prix du gaz, qui alimente souvent ces centrales.

Que s’est-il passé en 2021 ? Bien que les coûts de production n’aient bougé que de 4% dans l’ensemble des centrales, par le jeu du “coût marginal”, les prix du gaz se sont envolés et les prix de l’électricité ont suivi. Mis en difficulté, les fournisseurs ont répercuté la hausse sur certains clients dont les tarifs étaient indexés à ces prix marchés. Ces derniers ont vu leur facture exploser, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises plus ou moins grandes. Les industries dites « électro-intensives », c’est-à-dire pour lesquelles l’électricité représente une grande partie des coûts, par exemple la métallurgie, étaient vraiment menacées. L’État a donc dû intervenir en pompier afin d’éviter les hausses infernales pour les particuliers et de limiter les risques économiques pour les industriels.

« EDF va devoir racheter 20 TWh de sa propre électricité à 257€/MWh sur le marché et la revendre au tarif de 46€/MWh à ses concurrents ! Rien ne garantit que ceux-ci répercutent bien ces tarifs plus bas sur leurs clients ! »

Résumons. Pour les particuliers, l’Etat a plafonné la hausse du tarif réglementé de vente à 4%. Nous reviendrons sur le sujet. Pour ceux qui sont partis chez des fournisseurs alternatifs sans tarif réglementé, l’Etat a donc imaginé de donner aux fournisseurs un accès à une quantité supplémentaire de courant fourni par EDF à prix coûtant (ARENH) afin qu’ils puissent reporter cette baisse sur la facture de leurs clients. On aurait pu faire plus simple en versant une subvention aux clients. Hélas, nos dirigeant ont souhaité repasser par un mécanisme de marché en disant à EDF : “Dorénavant, ce ne sera plus 100 TWh mais 120 qu’il faudra vendre à la concurrence”. Problème, cela a été fait très tardivement : pour 2022, EDF avait déjà soit réservé son nucléaire pour ses propres clients, soit vendu cette électricité à l’avance sur le marché pour se protéger des fluctuations des cours. Les 20 TWh, EDF n’en disposait pas !

Demander en 2022 à EDF de vendre 20 TWh de plus à ses concurrents revient donc, ni plus ni moins, à lui demander de payer la différence entre les prix de marché et le coût de production. EDF va devoir racheter ces 20 TWh – de sa propre électricité ! – au prix de marché de décembre 2021, soit 257€/MWh et la revendre au tarif de 46€/MWh à ses concurrents ! Rien ne garantit que ceux-ci répercutent bien ces tarifs plus bas sur leurs clients ! La commission de régulation a bien annoncé qu’elle allait surveiller le comportement des fournisseurs privés. Les experts pensent qu’il sera difficile de mettre en place cette surveillance.

En résumé, le prix de l’électricité a complètement explosé alors que les coûts de production sont très stables simplement parce qu’on a créé un mécanisme complètement absurde de concurrence. Cette pseudo-concurrence a donné naissance à une armée de fournisseurs qui ne font que du trading. Les prix ayant flambé dans un épisode spéculatif, l’État, une nouvelle fois, est intervenu en pompier sans régler le problème, via un mécanisme ultra compliqué qui subventionne les fournisseurs en pillant EDF.

« D’une manière ou d’une autre, ce sont les usagers ou les contribuables qui vont finir par payer. »

Oui. Malgré ce manque à gagner de huit milliards, personne ne va laisser couler EDF (depuis l’interview, le gouvernement a annoncé une recapitalisation de 2,1 milliards d’euros, ndlr). Antérieurement, EDF était en grande difficulté car les prix de marché étaient trop bas, et donc inférieurs à ses coûts de production. La conjoncture s’est inversée ces derniers temps et l’entreprise se portait bien grâce à des prix plus hauts. Alors qu’elle avait l’opportunité de remplir ses caisses, on lui demande de donner une partie de ces profits à ses concurrents ! Oui, c’est un problème. D’une manière ou d’une autre, ce sont les usagers ou les contribuables qui vont finir par payer.

LVSL : Revenons sur les prix de l’électricité. Vous avez expliqué qu’ils sont largement indexés sur le prix du gaz puisque, pour produire un MWh supplémentaire, le plus simple est d’allumer une centrale au gaz, d’où cette corrélation et la flambée récente. Pour la France, dont l’électricité est produite à environ 70% par le nucléaire, le reste étant essentiellement de l’hydraulique, cette indexation sur le prix du gaz est particulièrement aberrante : comme vous l’avez rappelé, les coûts de production d’EDF ont augmenté de 4%, ce qui est très faible par rapport à la hausse des prix de marché. A l’automne dernier, la France avait demandé à l’Union européenne de définir un nouveau mécanisme de fixation des prix. Elle s’est heurtée à un refus. Êtes vous dans l’espoir qu’une réforme de ces prix de l’énergie puisse être trouvée ?

A.D. : Non, c’est impossible tant qu’on reste dans le marché. Le 21 septembre 2021, sur le plateau de Public Sénat, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, lui-même, expliquait que le marché européen de l’électricité était « aberrant » et « obsolète ». Mais début novembre, devant l’Eurogroupe, il est revenu sur ses propos en disant que le problème n’était pas le marché de gros, mais le marché de détail, c’est-à-dire les contrats qui lient les fournisseurs à leurs clients. On va bricoler des rustines, comme un système de stabilisateur de prix pour les clients individuels, où le producteur reverse aux fournisseurs, qui reversent à leurs clients l’écart entre le prix de marché et un prix fixe. Des contrats à long terme pour certains clients ont également été évoqués, mais uniquement sur le renouvelable. Troisième rustine possible, on va mettre en place un mécanisme pour garantir la viabilité des fournisseurs… En fait, le ministre ne propose que des mécanismes ultra compliqués. Depuis vingt ans, on n’a cessé d’agir de la sorte. Cette logique a donné naissance à l’Arenh.

« Tout le monde veut un prix stable qui reflète les coûts de production ! Cela s’appelle une grille tarifaire et cela signifie qu’il n’y aura plus de marché. Il n’existe pas de marché qui n’impose son prix.»

Ces rustines ne cherchent qu’à contourner le problème du marché de l’électricité. Pourtant, quand on y réfléchit, une telle politique n’a aucun sens ! D’une part, les producteurs disent qu’il leur faut obligatoirement une visibilité sur leurs revenus car autrement ils ne peuvent pas investir sur des dizaines d’années : une centrale à énergie renouvelable est amortie sur 25-30 ans, le nucléaire sur 60 ans. D’autre part, les consommateurs ont eux aussi besoin de visibilité : les ménages pour maîtriser leur budget, les entreprises pour assurer la viabilité de leur activité. Donc tout le monde veut un prix stable qui reflète les coûts de production ! Cela s’appelle une grille tarifaire et cela signifie qu’il n’y aura plus de marché. Il n’existe pas de marché qui n’impose son prix ! Dans le secteur de l’énergie électrique, Il n’y a logiquement pas de place pour la concurrence. En créant un marché pour rien avec cette activité délirante de fourniture imposée à EDF, on a juste créé un immense bazar, des coûts supplémentaires et de la gêne pour les consommateurs. En outre, un tel système n’aide en aucun cas la transition énergétique.

LVSL : Il y a vingt ans, les associations de consommateurs étaient pourtant plutôt en faveur de la création de ce marché, en disant que la concurrence allait faire baisser les prix… Aujourd’hui, ils en reviennent parce qu’ils voient bien que cela génère tout un tas de coûts supplémentaires comme les activités comptables, le démarchage et, bien sûr, la rémunération des actionnaires…

A.D. : Absolument. Par exemple, la CLCV, Consommation logement cadre de vie, la plus grosse association de consommateurs après UFC-Que Choisir, a carrément écrit un plaidoyer pour un retour au monopole de l’électricité. Les membres de cette association sont vent debout contre l’ouverture du marché : ils expliquent que cela ne peut pas fonctionner et que le problème du démarchage agressif est lié au fait que les fournisseurs n’ont aucun autre moyen de se démarquer. L’UFC-Que Choisir a une position plus ambiguë. Au début, ses dirigeants se sont dit : « puisque les marchés sont ouverts, essayons de faire des achats groupés avec nos clients ». De manière générale, ils deviennent de plus en plus critiques.

On assiste à la même évolution chez les industriels. Fort logiquement : avec l’ouverture de marché, les tarifs ont explosé. Entre 2007 et 2020, le prix de l’électricité pour les ménages a augmenté de 50% hors taxes, alors que les coûts ont augmenté d’environ 1% par an en moyenne. Durant la seule année 2021, si rien n’avait été fait, l’augmentation aurait été de 45% hors taxes sur nos factures ! Or, en 2021, les coûts de production n’ont augmenté que de 4 à 5%. Cette flambée est lié à la volatilité des marchés spéculatifs, qui ne reflètent pas les coûts.

Par ailleurs, sur le long terme, cette mise en concurrence génère des surcoûts du fait de la naissance d’activités qui n’existaient pas : le réseau commercial et publicitaire, le trading, la négociation des marchés et la rédaction des contrats, la multiplication des systèmes d’information puisque chaque opérateur a désormais son système de facturation… Tous les fournisseurs ont aussi été contraints de dupliquer certaines fonctions d’ingénierie comme la prévision de consommation. Des coûts juridiques peuvent s’ajouter à tout cela lorsqu’il y a des différends. Ces coûts de transaction finissent par se retrouver sur la facture. Pour l’opérateur historique, EDF, ce sont aussi des surcoûts nets. Enfin, la rémunération du capital est de loin le surcoût plus important. 

Nous n’avons parlé jusqu’à maintenant que des concurrents d’EDF qui ne produisent rien. Parallèlement, des délégations de services publics sur certains moyens de production, principalement ceux relatifs au développement des renouvelables, se font beaucoup par l’appel aux capitaux privés via des appels d’offres. L’investisseur qui l’emporte se voit garantir par l’Etat un prix d’achat sur toute la durée de vie de la centrale. C’est une forme de rente. Certains se diront que les choses ne seraient pas différentes si le projet restait public. Ce n’est pas le cas. Dans le coût de production de l’électricité, le coût d’investissement sur le long terme pèse plus que tout. Donc le taux de rémunération de l’apporteur de capitaux, la banque ou les actionnaires, pèse énormément dans le coût total. Quand vous achetez une maison à crédit, vous en payez deux fois le prix en comptant les intérêts car le taux de l’emprunt n’est pas nul. Il en sera de même pour l’Etat quand il fait appel aux capitaux privés pour construire une centrale.

Anne Debrégeas. © Anne Debrégeas

RTE a récemment proposé des scénarios pour 2050, appelés « Futurs Énergétiques 2050 » (avec plusieurs variations selon la part de nucléaire, ndlr). Pour évaluer l’impact de ce taux de rémunération des apporteurs de capitaux – appelé « coût moyen pondéré du capital » -, ils ont pris en compte deux niveaux de rémunération du capital à 4% ou à 7%, mis en regard du taux à 1% auquel l’Etat peut s’endetter ou auquel on rémunère les livrets A. Les résultats sont clairs : lorsqu’on passe de 1 à 4%, les coûts du système électrique (production+réseau) augmentent d’environ 30% (29% pour le scénario renouvelable, 38% pour le scénario nucléaire). Or, 4%, c’est vraiment le minimum de ce que demandent les investisseurs privés ; Total, par exemple, a récemment annoncé qu’il refuserait tout investissement dont le taux de rentabilité du capital serait inférieur à 10%. En passant de 1% à 7%, le coût total gonfle de 70% pour le scénario renouvelable et de 93% pour le scénario nucléaire !

Lorsqu’on paie sa facture d’électricité, on paie donc en très grande partie le capital apporté par les investisseurs. Il est essentiel de faire en sorte que la rémunération du capital soit la plus faible possible. Pour cela d’abord, il faut supprimer un maximum le risque et s’adresser à des structures solides et la plus solide, c’est l’État. Deux options s’offrent à nous. Soit l’Etat finance les investissements, en empruntant à faible taux ou en utilisant l’épargne des Français – tel que le livret A rémunéré 1%/an – et les tarifs de l’électricité seront largement indexés sur ces coûts. Soit l’Etat s’adresse au privé et les consommateurs vont payer largement plus cher leur courant, peut-être de 50% , juste pour rémunérer les investisseurs…

LVSL : Parlons du mix électrique de la France, et notamment du nucléaire, qui fait à nouveau débat dans la campagne présidentielle. Emmanuel Macron a récemment annoncé vouloir construire six réacteurs EPR, voire huit supplémentaires . En parallèle, un certain nombre de réacteurs sont à l’arrêt cet hiver, à tel point que nous avons dû remettre en activité des centrales à charbon. Le fameux EPR de Flamanville a déjà dix ans de retard, ce qui engendre des surcoûts très importants. Quoi que l’on pense du nucléaire, la filière nucléaire française est-elle encore capable de construire et de faire fonctionner ces réacteurs EPR ?

A.D. : On peut effectivement se le demander. L’EPR est un fiasco. Le retard est absolument incroyable. Pour le construire, trois milliards d’euros avaient été budgétés. On avoisine les dix-neuf milliards, dont déjà sept milliards de ce qu’on appelle les intérêts intercalaires, c’est à dire les frais financiers portant sur la phase de construction. Jadis, la France a su construire l’essentiel de son parc au rythme de cinq réacteurs mis en service chaque année ! Peut-être avons-nous perdu des compétences parce que nous n’avons pas assez développé le parc. Mais depuis longtemps, Sud Energie souligne d’autres problèmes nés d’une hiérarchie confisquée par des financiers et des gestionnaires, peu encline à s’intéresser à la technique. Les collègues qui travaillent dans le nucléaire nous disent que maintenant les chefs sont trois ans dans un endroit, trois ans dans un autre. Ils n’ont pas les compétences suffisantes. De plus, comme ils ne souhaitent pas faire de vague, quand il y a un problème, ils sont souvent tentés de le masquer plutôt que de chercher à le régler collectivement.

N’oublions pas la question de la sous-traitance : 80% de l’activité de maintenance du parc existant est sous-traitée. Or, les sous-traitants sont moins bien formés que les gens en interne, ont de moins bonnes conditions de travail et débarquent dans la centrale sans connaître vraiment les installations. De plus, par peur de payer des pénalités et en raison de leur statut précaire, il est encore plus difficile pour un sous-traitant de dire quand il y a un problème. Par exemple, sur le chantier de l’EPR de Flamanville, on trouve pas moins de 600 sous-traitants, s’exprimant en 25 langues différentes. On imagine bien que cela ne facilite pas l’organisation ou la transparence lorsqu’il y a des problèmes à reconnaître ! Pour EDF, les nouvelles difficultés résultent aussi de l’évolution constatée dans la gestion des ressources humaines, donc des carrières. Elle a conduit à une rupture entre le monde de ceux qui exécutent et celui de ceux qui encadrent. Jadis, les premiers progressaient en interne et se retrouvaient dans l’encadrement. Cette désorganisation est renforcée par un management calé sur le dogme libéral : chacun regarde ses indicateurs, puis change de boulot régulièrement…

« Par peur de payer des pénalités et en raison de leur statut précaire, il est encore plus difficile pour un sous-traitant de dire quand il y a un problème. »

Concernant le parc nucléaire actuel, qui assure 70% de la production, celui-ci est fragile et de plus en plus souvent à l’arrêt. Cette très faible disponibilité est liée à trois choses. D’abord à un défaut générique de corrosion sur les circuits primaires, constaté sur la centrale de Civaux puis sur d’autres installations comme celle de Chooz ou Penly. On craint que ce problème ne soit assez répandu, en particulier sur le palier de 1350-1400 MWh, le plus général sur le parc nucléaire. Outre ces problèmes techniques, on était déjà en situation tendue car le COVID a désorganisé les plannings de maintenance, prévus très longtemps à l’avance. Enfin, nous avons un parc vieillissant, donc les problèmes se cumulent. Tout cela entraîne un niveau de production très bas pour le nucléaire : on prévoit entre 280 et 300 TWh pour 2022, alors qu’on pouvait jadis tourner jusqu’à 400 !

Que se passe-t-il quand on manque d’électricité et que le nucléaire et les renouvelables ne peuvent pas produire plus ? Généralement on se tourne vers le gaz, l’énergie la plus rapide à mobiliser . Hélas, le gaz devient très cher. Le charbon lui est préféré. Le problème, évidemment, c’est que le charbon est beaucoup plus polluant que le gaz. Certains nous disent que l’on paie plus cher parce qu’on est connecté au marché européen. Ce serait le prix à payer pour avoir une sécurité qui permet de mutualiser les productions de pointe. Cette théorie est complètement fausse : il est certain que le réseau interconnecté est une sécurité et que la France doit rester connectée au reste de l’Europe, mais cette interconnection a été créée bien avant les marchés. Certes, les autres pays européens utilisent plus de gaz que nous, mais pas au point d’expliquer les envolées des prix du marché. Le recours au charbon est donc lié à ce mécanisme de tarification au coût marginal qui fixe les prix sur les marchés.

LVSL : Le nucléaire français est donc plutôt mal en point. Préconiseriez-vous d’en construire davantage ou plutôt de se tourner vers le renouvelable ?

A. D. : Pour définir une trajectoire vers la neutralité carbone, la seule démarche possible est de partir des scénarios de long terme. C’est ce que propose notamment RTE, à horizon 2050, voire 2060. Quel que soit le scénario retenu, des investissements majeurs doivent être faits sur le parc de production et le réseau. Vu le temps que va prendre la construction des centrales nucléaires ou la création des filières pour l’éolien offshore, il faut s’y mettre maintenant. RTE a vérifié la faisabilité technique des différents scénarios, en a étudié le coût mais aussi les impacts écologiques, les risques industriels, les enjeux d’acceptabilité sociale etc. D’après son analyse, la différence de coût avec ou sans nucléaire est de l’ordre de 15% en 2050. Quand on voit les incertitudes dans lesquelles on est, j’estime que ça s’appelle l’épaisseur du trait. La question n’est donc pas économique, mais politique, écologique et sociale. Il y a aussi d’autres associations ou organismes publics qui font ce type de scénarios notamment l’ADEME et NégaWatt. Bref, nous avons tous les éléments pour faire notre choix.

« Dans tous les cas, il va falloir accepter des éoliennes ou du nucléaire et faire des efforts pour réduire la consommation. Pour moi, tout cela est une question démocratique majeure, qui doit faire l’objet d’un vrai débat citoyen, suivi d’un référendum. »

Maintenant, un choix politique doit être fait : préfère-t-on les risques intrinsèques au nucléaire avec les déchets qu’il produit ou l’impact sur les paysages et les paris industriels que comporterait un développement massif des énergies renouvelables et des moyens d’équilibrage comme l’hydrogène ? Dans tous les cas, il va falloir accepter des formes de nuisance et faire des efforts pour réduire la consommation, comme tous les scénarios le prévoient. Pour moi, tout cela est une question démocratique majeure, qui doit faire l’objet d’un vrai débat citoyen, suivi d’un référendum. Or, que s’est-il passé ? Dix jours après la sortie des scénarios RTE à l’automne, Emmanuel Macron annonçait qu’il relançait le nucléaire ! D’un point de vue démocratique c’est presque insultant… EDF avait aussi fait ses propres scénarios mais ne les a jamais sortis, préférant sans doute les utiliser pour du lobbying loin des regards. Le président de la République a pris sa décision de manière unilatérale, dans l’ombre, sous l’influence des lobbys. C’est tout sauf démocratique.

Un autre problème s’est rajouté, celui de la taxonomie verte européenne (classification des différentes sources d’énergie, qui a reconnu le gaz et le nucléaire comme énergies vertes, ndlr). Tout le monde discute pour savoir ce qui doit être considéré comme énergie verte, mais personne ne se demande ce qu’est ce mécanisme. En fait, cette labellisation des énergies vertes incitera les investisseurs privés à investir plutôt dans telle ou telle technologie. Donc au lieu de choisir un scénario, de planifier et d’investir via le secteur public, on abandonne la décision aux investisseurs ! La « main invisible du marché » incitera à aller plutôt vers le nucléaire ou pas. C’est d’autant plus scandaleux que les choix énergétiques ne relèvent pas de l’Europe. D’où le fait que les autorités bruxelloises créent des mécanismes ultra-compliqués que personne ne comprend pour noyer le poisson. RTE nous dit qu’il faut investir entre 20 et 25 milliards d’euros par an dans le système électrique, aujourd’hui on en est à 12 ou 13 milliards. Ce n’est pas avec ce genre de mécanismes incitatifs tordus, qui ont largement fait la preuve de leur inefficacité, qu’on va arriver à quelque chose. Nous allons nous retrouver, comme chaque année, à rater nos objectifs et même pire puisque le charbon remonte…

LVSL : Puisque vous parlez de rater nos objectifs, la France, avait comme tous les autres pays de l’Union européenne, des objectifs de développement du renouvelable. Nous sommes le seul pays européen qui les a ratés : on visait 23% de renouvelable dans le mix énergétique en 2020, on dépasse à peine les 19%. Comment expliquez-vous ce retard ?

A.D. : Nous sommes dans une situation un peu différente des autres en raison de notre parc nucléaire et, jusqu’à récemment, nous étions largement surproducteurs. Il ne faut pas non plus idéaliser les performances des autres pays. Les Allemands, par exemple, sont ultra-dépendants des énergies fossiles : ils “crament” énormément de charbon et ont besoin de Nord Stream 2 pour le gaz. Grâce au nucléaire, l’électricité française est très décarbonée et nous avons donc un peu moins le couteau sous la gorge que les autres. 

Le problème de la France, c’est le manque de volonté politique, alors qu’il faut faire des choix maintenant. Le système est dans un tel état de désorganisation que nos gouvernements passent plus de temps à essayer de remettre sur pied le marché, plutôt que d’atteindre nos objectifs. Par ailleurs, non seulement les objectifs de renouvelables ne sont pas atteints, mais c’est la même chose pour l’isolation des bâtiments, absolument essentielle pour baisser la consommation. Pour les énergies renouvelables, les projets sont soumis à des mécanismes de marché, à des appels d’offres très compliqués : comme le secteur évolue très vite, il est difficile de définir la réglementation et de rédiger des cahiers des charges qui prévoient tout. Donc on perd un temps fou et à l’arrivée, cela coûte beaucoup plus cher.

LVSL : Par conséquent, on se retrouve sans aucun parc éolien offshore en France alors qu’au Royaume-Uni, en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, il y en a déjà beaucoup…

A.D. : Oui. Par ailleurs, le fait de recourir au privé n’aide pas à résoudre les problèmes d’acceptabilité. On le voit sur les éoliennes offshore dans la baie de Saint-Brieuc, où la polémique dure depuis 2012 : bien sûr il y a une opposition citoyenne au projet en général, mais je pense aussi que les habitants ont le sentiment que ce projet ne va pas leur apporter grand chose. Une entreprise locale candidatait. Le marché a été donné à Iberdrola, une grosse entreprise espagnole. Je rappelle que l’été dernier, celle-ci a osé faire turbiner l’eau de ses barrages pour produire de l’électricité parce que les prix étaient très hauts alors même que l’Espagne était en pleine sécheresse. Obnubilés par le marché, nous n’avons pas protégé nos filières françaises dans l’éolien. Cela vaut aussi pour le solaire ; on importe tout massivement d’Asie alors qu’on a du silicium chez nous ! C’est totalement absurde : le seul critère, c’est le prix et la rentabilité à court terme. Cela a détruit nos filières industrielles, pourtant indispensables.

LVSL : Avant de revenir sur ces filières, restons sur le renouvelable dont nous disposons, c’est-à-dire principalement les barrages hydroélectriques. Ayant été construits depuis un certain temps déjà, ils sont largement amortis aujourd’hui. Il s’agit donc de rentes pour EDF ou pour les autres opérateurs comme la CNR ou la Shem (qui appartiennent en partie au groupe Engie, ndlr). Or, dans ce cas également, l’Union Européenne est revenue à la charge en demandant que les concessions soient ouvertes à la concurrence. La position de la France a évolué plusieurs fois sous le quinquennat : au début, le gouvernement semblait vraiment vouloir privatiser des barrages, puis on a eu le projet Hercule (projet de restructuration du groupe EDF, ndlr) où le secteur hydroélectrique était sanctuarisé et restait public, mais Hercule a été suspendu suite à la mobilisation des syndicats. Où en est-on aujourd’hui ? De nouvelles concessions de barrages vont-elles être confiées, au moins en partie, au privé ?

A.D. : On est toujours en standby, mais à vrai dire, nous avons gagné une bataille idéologique. Nous avons développé tout un argumentaire, repris par certains députés, notamment Marie-Noëlle Battistel (PS) et Delphine Batho (anciennement PS, désormais non-inscrite). Nous avons fait un gros rapport qui détaille cette aberration à la fois sur le plan de la sûreté – ce sont des ouvrages ultra-sensibles – et sur le problème de la gestion de la ressource en eau. En effet, l’eau des barrages sert essentiellement à l’électricité, mais elle répond aussi à d’autres usages comme l’irrigation, le tourisme, le maintien de l’écosystème en aval etc. La ressource en eau est appelée à se raréfier avec le réchauffement climatique ; la situation est déjà tendue et l’eau va devenir une ressource très rare donc ultra-stratégique. Enfin, le réseau de barrages est la pierre angulaire de notre système électrique. Il représente pratiquement l’unique moyen de stockage, il est donc vraiment crucial de l’utiliser au mieux.

NDLR : Lire à ce sujet l’article de Pierre Gilbert sur LVSL (2018) : « Scandale de la privatisation des barrages : une retenue sur le bon sens »

Je pense que c’est grâce à cette action syndicale que, dans Hercule, il était prévu de mettre les barrages à l’abri de la concurrence en les mettant dans une filiale 100% publique. En effet, le droit européen impose une mise en concurrence quand il s’agit de concessions, sauf dans le cas où tout le secteur est géré par une entité à 100% publique ou en régie c’est à dire par l’État. Hercule a capoté. On ne va pas s’en plaindre. Même s’il y avait des choses positives, comme la nationalisation des filières de production historiques, il y avait aussi des choses très négatives.

Notre colère n’est pas retombée. Une proposition de loi sénatoriale des écologistes, visait à garder ce petit bout d’Hercule, c’est-à-dire à placer l’hydroélectricité dans une entité 100% publique, ce qui aurait définitivement écarté le risque de concurrence. En plus, ce projet incluait tous les barrages de France, c’est-à-dire à la fois ceux gérés par EDF mais aussi ceux gérés par la CNR et par la Shem, les filiales d’Engie. Comment pouvait-on s’opposer à cette proposition ? De manière invraisemblable, toutes les organisations syndicales autres que la nôtre (Sud Energie, ndlr) s’y sont opposées sur des arguments assez hallucinants. Nos détracteurs ont, par exemple, dit qu’il fallait sortir tout le système public de la concurrence, sinon rien, ou qu’inclure la CNR et la Shem signifierait dissoudre ces entreprises ou qu’EDF risquerait d’éclater. Dans Hercule, la Commission européenne utilisait la sanctuarisation de l’hydroélectricité comme monnaie d’échange pour augmenter l’ARENH et éclater véritablement EDF. Dans le contexte de la proposition de loi sénatoriale, les barrages auraient effectivement été séparés du reste d’EDF mais dans une entité 100% publique. Une coordination aurait été obligatoire. Les syndicats s’étant prononcés contre ce projet, les parlementaires se sont appuyés sur leurs avis pour le rejeter. Je pense qu’il y a aussi eu des calculs politiciens derrière ces choix. Toujours est-il que le projet n’est pas passé alors que nous avions une occasion de mettre nos barrages hors concurrence dans un système public.

LVSL : Revenons sur les filières. Sous pression de l’Etat, qui possède 84% des parts d’EDF, l’établissement a dû absorber au cours des dernières années un certain nombre d’entreprises. On pense notamment à Areva en 2017, qui était très fragilisée par le scandale Uramin. Sur le solaire, où nous importons presque tout de Chine, EDF est propriétaire de l’entreprise Photowatt mais ne lui passe pas de commandes. Plus récemment, ce sont les turbines Arabelle, vendues à Général-Electric, qui ont été rachetées par EDF pour plus d’un milliard d’euros. On pourrait se dire qu’EDF se retrouve désormais en capacité d’avoir une filière complète couvrant l’ensemble des moyens de production énergétique. Pourtant ces acquisitions ont été beaucoup critiquées, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

A.D. : S’agissant du rachat d’Areva, il est certain que l’entreprise a quelques casseroles. Il faut un contrôle citoyen et un peu plus de transparence sur cette filière, donc instaurer des garde-fous. Photowatt était une entreprise française indépendante. Sarkozy avait demandé à EDF de la racheter. Elle a développé une technologie de couche mince un peu avant-gardiste, donc ses panneaux photovoltaïques sont plus chers (mais sont moins polluants à fabriquer, ndlr). Les prix s’étant complètement effondrés sur la technologie dite classique, dans une logique de marché, les filières plus chères ont été abandonnées.

EDF se comporte comme un acteur privé. D’abord, ses dirigeants investissent très peu en France, l’essentiel de leurs investissements sont à l’international. Parmi ces projets internationaux, il y a parfois des choses très discutables comme la mise en danger de la communauté autochtone d’Union Hidalgo au Mexique. En fait, ils vont là où ça rapporte et participent à la privatisation du système électrique des autres pays. Au contraire, dans tous les pays qui n’ont pas encore un accès suffisant à l’électricité, EDF devrait avoir une politique de coopération, pas une politique expansionniste guidée par la recherche de profit. Je pense aussi que l’Etat a demandé à EDF de ne pas trop investir en France afin de faire de la place à la concurrence, l’établissement assurant déjà 80 % de la production d’électricité . C’est pour cela qu’il faut une vraie volonté publique, une vraie planification, une vraie politique industrielle pour faire en sorte que le dernier mot ne reviennent pas toujours au moins-disant. Avec le moins-disant, c’est simple, ce sont les Chinois qui gagnent. Ils subventionnent leurs productions, leur main-d’œuvre est moins chère, leurs normes environnementales et de sécurité sont plus laxistes 

« On fait d’EDF un oligopole privé comme un autre au lieu d’une entreprise chargée d’une mission de service public. »

Tout cela ressort en partie de la responsabilité d’EDF, mais principalement de la puissance publique qui n’a aucune stratégie industrielle pour le pays. Ce constat va bien au-delà de l’énergie. Je conseille à tous de regarder La guerre fantôme, un documentaire très bien fait, qui revient sur la vente scandaleuse d’Alstom à Général Electric et de ses turbines hydrauliques. Sous la menace, nous avons bradé nos turbines, alors qu’elles sont la garantie de notre avenir (ndlr : les turbines ont été rachetées, mais pour un coût deux fois supérieur à celui de leur vente). Au lieu d’avoir une optique de service public de long terme et de développer une politique industrielle en matière énergétique en support au scénario qu’on a choisi, on laisse tout au marché. On fait des coups financiers, on vend, on rachète à l’étranger, bref on fait d’EDF un oligopole privé comme un autre au lieu de la concevoir comme une entreprise chargée d’une mission de service public.

LVSL : En effet, EDF est en train de devenir un groupe dont on ne comprend plus vraiment l’objectif si ce n’est qu’il agit comme un acteur privé. Si on voulait revenir à une grande entreprise publique, à un monopole qui produit de l’électricité avant tout pour la France, comment faudrait-il s’y prendre ? Ne faudrait-il pas se confronter aux traités européens ?

A.D. : Clairement oui. Sur la question des traités européens, lorsque nous avons interrogé les représentants des différentes commissions parlementaires, ils nous ont certes dit qu’il était possible de sortir l’hydroélectricité de la concurrence en créant une entité publique, mais ils nous ont clairement indiqué qu’il n’était pas possible de sortir du marché tout le secteur électrique. Donc pour moi, il n’y a qu’une solution possible, nous devons renationaliser le secteur électrique, et même énergétique (plusieurs candidats à la présidentielle proposent, tel que Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot, proposent de renationaliser EDF et Engie, le gouvernement a également indiqué ne pas exclure l’hypothèse étant donné les difficultés de l’entreprise, ndlr), en sachant que nationaliser n’est pas forcément tout étatiser. 

Cela signifie qu’il faut sortir de la sphère marchande et de la concurrence le secteur énergétique. La propriété doit être publique et le seul objectif de gestion doit être l’intérêt général et non la rentabilité à court terme. Clairement, cela implique qu’on désobéisse aux traités européens. Nous devons refuser de les appliquer et essayer de les renégocier. Si ce n’est pas possible, l’Europe nous donnera des pénalités, et bien nous ne les paierons pas. Je ne pense pas qu’on nous envoie des chars pour cela. D’ailleurs, d’autres pays sont dans une situation similaire. J’en veux pour preuve ce qui s’est passé en Espagne cet été quand les consommateurs ont vu leurs factures s’envoler. Ce sont plutôt les pays du Nord qui ne veulent apparemment pas toucher au marché. Très bien pour eux, mais nous, nous nous y opposons. Quant au niveau international, il faut s’en tenir à de la coopération, notamment aider les pays qui n’en ont pas les moyens à avoir accès à l’électricité sans passer par la case charbon. L’objectif ne doit pas être lucratif. Par ailleurs, s’opposer aux thèses de l’Union européenne ne veut pas dire se déconnecter du réseau européen.

Rien ne justifie de créer le bazar que l’on a sous les yeux, tout ça pour le compte d’intérêts privés. Les résultats de Total font froid dans le dos : ils sont là à se congratuler sur leurs excellents résultats avec un taux de distribution de dividendes très élevé et prévoient que ce sera encore mieux en 2022 car les prix du gaz ont explosé. Et cela ne les empêche pas de profiter des aides d’État sur l’électricité ! Ils disent même que la volatilité des prix est une bonne chose pour eux parce qu’elle leur donne une marge de spéculation pour se faire de l’argent ! Alors évidemment ils se verdissent. Par exemple avec un méga-projet solaire au Qatar grâce auquel les investisseurs sont invités à la Coupe du monde. Les dirigeants de ces groupes sont vraiment sans foi ni loi. Ils n’en ont rien à faire de l’intérêt général, ils se gavent et c’est tout. Voilà ce qu’on est en train de faire du secteur public.

Note : Anne Debréagéas a développé ses propositions dans plusieurs textes tels que la note du think tank Intérêt général « Planifier l’avenir de notre système électrique », une contribution pour The Other Economy et le syndicat Sud-Energie.


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Libéralisation du secteur de l’électricité : la grande arnaque

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Initialement justifiée par une promesse de prix plus bas pour les consommateurs français, la libéralisation du secteur de distribution de l’électricité aux particuliers s’est finalement traduite par une envolée des tarifs réglementés de vente (TRV) d’EDF et des prix du marché privé au cours de la décennie 2010. Le 1er août dernier, les TRV ont encore augmenté de 1,23%, cette hausse faisant suite à un renchérissement spectaculaire de 5,9% intervenu le 1er juin dernier. La libéralisation est également responsable d’une explosion des abus des fournisseurs d’énergie à l’encontre des ménages français, dont s’alarme aujourd’hui le Médiateur National de l’Énergie. Elle nous enjoint à questionner la pertinence de la privatisation et de la mise en concurrence systématiques des anciens marchés dits « de monopole public ».


Mauvaise nouvelle pour le portefeuille des ménages français. Le 1er août dernier, les tarifs réglementés de vente (TRV) qui déterminent les montants des factures d’électricité domestique d’EDF, dont s’acquittent encore 28 millions de ménages français, ont augmenté de 1,23%[1]. En juin dernier, ils avaient déjà bondi de 5,9%, soit la plus forte augmentation depuis 20 ans[2]. Une telle hausse équivalait à 90 euros de facture par an pour un foyer se chauffant à l’électricité, soit une part considérable du reste-à-vivre des ménages appartenant aux trois premiers déciles de revenus. Or, un tiers d’entre eux est déjà en situation de précarité énergétique en France[3].

Sous la pression du mouvement des « Gilets jaunes », le Gouvernement avait pourtant annoncé vouloir différer leur augmentation. Après avoir connu une envolée entre 2010 et 2018, les TRV devaient temporairement se stabiliser. Un tel répit aurait été bienvenu car leur revalorisation annuelle avait abouti à une augmentation des prix de l’électricité de plus de 20%[4][5]. Las, la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) en a décidé autrement. Elle a rappelé en février dernier qu’une hausse de 5,9% devait intervenir au mois de juin 2019 au plus tard.

Dans le même temps, le phénomène de précarité énergétique se développe en France et touche aujourd’hui 12% des ménages[6]. La hausse des prix de l’électricité et du gaz fait courir le risque à une part croissante d’entre eux de basculer dans des situations d’insolvabilité ou de grave privation énergétique, dont plusieurs organisations comme la Fondation Abbé Pierre[7], le CREAI[8] ou le CLER[9] soulignent les effets dévastateurs sur l’état de santé physique et psycho-sociale des personnes concernées.

La hausse des prix de l’électricité et du gaz fait aujourd’hui courir le risque à de nombreux ménages français de basculer dans des situations d’insolvabilité ou de grave privation énergétique.

Au-delà d’être excessive, la hausse actuelle des prix de l’électricité est en grande partie la conséquence de la politique de privatisation et de mise en concurrence dans le secteur de la distribution de l’électricité et du gaz. La principale justification politique apportée par la Commission européenne à cette mise en concurrence était pourtant de permettre aux consommateurs de bénéficier de prix bas[10].

Genèse de la libéralisation

En France, sous l’effet de la transposition des directives européennes de libéralisation des marchés de fourniture de l’électricité et du gaz aux particuliers[11], ces derniers se sont ouverts à la concurrence. En 2000, la CRE était créée afin de veiller au fonctionnement du marché en voie de libéralisation de l’énergie et d’arbitrer les différends entre opérateurs et consommateurs[12]. En 2004, EDF perdait son statut d’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) pour devenir une société anonyme (SA) [13][14]. Ce choix fut effectué afin de réduire l’entreprise à l’état de simple concurrent au sein du futur marché privé de distribution énergétique. Enfin, début 2007, les marchés de distribution du gaz et de l’électricité aux ménages ont été définitivement libéralisés[15]. À cette date, les ménages français ont pu souscrire un contrat de fourniture auprès d’opérateurs privés concurrents.

Conformément aux exigences de Bruxelles, Paris a ainsi mis en place un système de fonctionnement de marché privé dont il était attendu qu’il favorise la concurrence entre distributeurs, et par là, une baisse des prix des énergies dont les consommateurs devaient être les bénéficiaires[16]. Il s’agissait également de permettre à tout opérateur privé de s’installer sur le marché de distribution de l’énergie et à ces nouveaux utilisateurs des réseaux de distribution de bénéficier, selon les termes de la Commission, d’un droit d’accès « libre, transparent et non-discriminatoire »[17].

Dans la réalité, le démantèlement des monopoles publics de distribution en vigueur dans de nombreux pays européens a eu un effet exactement inverse. Les prix de vente des énergies aux particuliers se sont littéralement envolés. La libéralisation du marché de l’électricité a abouti à une hausse à trois chiffres des prix de l’électricité en Espagne[18][19]. Elle a également été particulièrement douloureuse au Danemark, en Suède et au Royaume-Uni[20] tandis que dans l’Hexagone, les prix de l’électricité connaissent aujourd’hui un plus haut historique et continuent d’augmenter à un rythme sans précédent depuis le Second Choc pétrolier[21]. Comment a-t-on pu en arriver à une telle situation ?

Dans certains pays européens, la libéralisation a abouti à une hausse à trois chiffres des prix de l’électricité.

Dans le sillage de la libéralisation du marché national de distribution de l’électricité en 2007, le législateur fait voter le 7 décembre 2010 la loi NOME[22], portant sur une nouvelle organisation des marchés de l’électricité.  Cette loi est à l’origine de la création d’un mécanisme dit d’« accès régulé à l’énergie nucléaire historique» ou « ARENH », mécanisme par lequel EDF se voit obligé de céder une part de son électricité produite grâce au nucléaire à ses concurrents pour des tarifs « représentatifs des conditions économiques de production » selon les termes de la loi [23]. En France, le secteur du nucléaire permet de produire de l’électricité à prix faible, car inférieur aux sources de production autres que l’hydraulique[24]. L’objectif était donc de stimuler la concurrence, afin que les fournisseurs alternatifs s’approvisionnent en électricité au même coût qu’EDF et abaissent leurs tarifs de distribution.

Concrètement, avec l’ARENH, EDF devait céder un quart de sa production nucléaire à la concurrence privée, à un prix fixé par arrêté ministériel de 42€/MWh[25]. Les concurrents d’EDF avaient ainsi accès à 100 TWh/an d’électricité nucléaire. Cependant, dans un contexte de mondialisation du marché des énergies, ces sociétés sont également amenées à se fournir sur des marchés étrangers au sein desquels les cours de l’électricité, soumis à la conjoncture internationale, sont fortement instables. Parfois, comme en 2016, les prix du marché mondial s’effondrent. Durant cette période, EDF n’a par conséquent vendu aucun kilowatt à ses concurrents qui préféraient s’approvisionner ailleurs. D’autres fois, au contraire, dans un contexte de crise de l’offre ou d’inflation de la demande, les prix augmentent et l’ARENH devient compétitif. Ce mécanisme offrait ainsi aux opérateurs concurrents d’EDF une opportunité d’arbitrage : ils pouvaient se fournir sur le marché mondial quand les prix étaient bas ou via l’ARENH quand ils étaient élevés.

Au cours des années 2010, cependant, en raison de l’appétit du marché asiatique, les prix de gros internationaux ont beaucoup augmenté, de sorte que l’ARENH est devenu hyper-compétitif au regard du marché mondial. Les fournisseurs privés internationaux se sont alors rués vers l’ARENH et ont fait exploser son plafond de vente. 132,98 TWh d’électricité ont été demandés pour l’année 2019, soit 33 TWh de plus que la limite fixée par la Loi[26], forçant le Gouvernement et le Parlement à considérer en urgence, et contre l’avis d’EDF, une augmentation du plafond de vente [27][28][29][30]. En attendant, pour continuer à fournir leurs clients, les opérateurs privés ont été contraints de se tourner vers le marché international[31].

Le mythe de l’auto-régulation

L’histoire aurait pu s’arrêter là. EDF aurait ainsi vu sa compétitivité-prix accrue sur le marché de distribution aux particuliers, aux dépens des autres opérateurs privés soumis aux prix élevés et peu concurrentiels du marché international. Cependant, adoptant l’interprétation « hard line » du principe de concurrence de la Commission européenne, la CRE a estimé que  l’accroissement des écarts de prix de vente entre ceux d’EDF et des autres opérateurs privés représentait une menace à l’encontre du principe de libre concurrence. Elle a alors décidé d’intervenir afin d’affaiblir par la force l’avantage concurrentiel d’EDF. Dans une délibération datant de février dernier, elle a préconisé au Gouvernement français de mettre en oeuvre une augmentation des TRV afin de respecter le principe de « contestabilité » des tarifs[32].

Selon cet anglicisme qui constitue désormais une notion de droit économique européen, le niveau des TRV doit être fixé afin que tout fournisseur privé soit en mesure de les concurrencer afin de garantir son maintien sur le marché[33]. En clair, la contestabilité suppose une inversion totale du paradigme de réglementation des marchés. Elle protège les intérêts de l’offre (les fournisseurs) plutôt que ceux de la demande (les ménages). À ce titre, 40% de l’augmentation du prix proposée par la CRE au Gouvernement — 3,3€/MWh sur 8,3€/MWh — n’est pas liée à la hausse objective des coûts d’exploitation d’EDF. Elle provient d’un choix méthodologique consistant à faire correspondre le prix de vente de l’électricité produite par le nucléaire d’EDF à celui fixé dans le cadre de l’ARENH[34]. L’objectif de la CRE était ainsi de limiter les effets négatifs que des TRV bas pouvaient avoir sur la capacité de pénétration et de maintien sur le marché des opérateurs privés concurrents d’EDF.

La contestabilité suppose une inversion totale du paradigme de réglementation des marchés : elle protège les intérêts de l’offre plutôt que de la demande.

Par ailleurs, Bruxelles ne s’est pas contentée d’affaiblir la position d’EDF sur le marché de distribution aux particuliers. La Commission a également ordonné à la France de supprimer définitivement son système de réglementation tarifaire. Adoptée le 11 avril dernier, la loi PACTE a d’ores et déjà programmé la suppression des TRV pour les particuliers et copropriétés au 1er juillet 2023[35]. Elle constitue la suite logique d’un arrêt du Conseil d’État où ce dernier estimait que le maintien des TRV était « contraire au droit de l’Union européenne », constituant « une entrave à la réalisation de marchés de l’électricité et du gaz naturel libres et concurrentiels »[36].

Concurrence(s) et guerre civile

La suite de l’histoire a fait la une de la presse au cours des derniers mois, sur fond de tensions sociales et politiques brutalement ravivées par le mouvement des Gilets jaunes, mais aussi d’inquiétude grandissante exprimée par les ménages françaises quant à l’acquittement de leurs factures énergétiques en explosion.

La validation par le Gouvernement des préconisations de la CRE a d’abord fait bondir les associations de consommateurs. En avril, la CLCV et UFC-Que Choisir adressaient une lettre ouverte au Président de la République, lui enjoignant de renoncer à la hausse du tarif[37]. Selon elles, « approuver cette augmentation reviendrait à tourner le dos aux attentes des Français en termes de pouvoir d’achat et à la logique de dialogue mise en place avec ces derniers depuis le Grand Débat National ». La lettre est restée sans réponse.

À l’annonce de l’augmentation effective des tarifs en juin dernier, les deux associations décident de saisir le Conseil d’État[38]. Le secrétaire général de la CLCV, François Carlier, justifiait cette saisine sur RTL : « cela fait dix ans que le marché français de distribution de l’énergie a été libéralisé. Le fait que les autorités prétendent aujourd’hui être obligées d’augmenter les tarifs de vente du fournisseur historique afin de stimuler la concurrence est complètement paradoxal. (…) C’est en tout cas une décision injustifiable si l’on se place du point de vue de l’intérêt des consommateurs pour lesquels la seule chose qui compte est de bénéficier de prix abordables. La proposition de hausse de la CRE pose donc des problèmes de droit et en la suivant, le Gouvernement commet une faute »[39].

EDF se retrouve dans une situation déloyale et insensée, que ce soit du point de vue de la mission d’intérêt général des services publics ou d’un fonctionnement concurrentiel de marché. L’entreprise se retrouve confrontée à des concurrents qui ne produisent aucune valeur ajoutée dans l’économie, mais vivent d’une rente énergétique.

Les associations de consommateurs n’ont pas été les seules à réagir à l’augmentation des TRV. L’Autorité de la Concurrence l’a elle-même contestée. Dans un avis du 25 mars, l’AAI (Autorité Administrative Indépendante) en charge de la réglementation des marchés en France a estimé que la hausse proposée « conduirait à faire payer aux consommateurs les effets du plafonnement de l’accès régulé à l’électricité nucléaire. Le surcoût serait de 600 millions d’euros pour ces derniers. (…) La hausse des tarifs apparaît dès lors comme contraire à la volonté du Parlement de proposer des tarifs permettant de restituer aux consommateurs le bénéfice de la compétitivité du parc nucléaire historique. (…) Une telle régulation conduirait à transformer, sur le marché de détail aux particuliers, le prix plafond réglementé en prix plancher pour EDF, avec pour effet d’offrir aux clients restés fidèles aux TRV la garantie pour le moins paradoxale de « bénéficier des prix les plus élevés du marché ».[40]

Ces derniers mois, Jean-Bernard Lévy, directeur d’EDF, alertait l’opinion publique sur la position de faiblesse dans laquelle EDF est actuellement mise par la faute de la CRE et de la doctrine libérale du « marché privé de l’électricité » défendue par la Commission. Dans une tribune parue dans Le Figaro en mai dernier[41], c’est le principe de fonctionnement même de l’ARENH qu’il dénonçait, permettant selon lui à des acteurs privés d’accroître considérablement leurs marges sur le dos d’investissements publics, en se dédouanant des charges et risques financiers liés à l’entretien matériel du réseau. En juin dernier, il tirait la sonnette d’alarme : « depuis des années, EDF est victime du système actuel de régulation de l’accès à l’énergie nucléaire. On ne peut pas obliger EDF, entreprise qui a à sa charge l’ensemble des investissements infrastructurels, à subventionner d’autres distributeurs d’électricité privés qui ne font, eux, aucun investissement dans le réseau public (…). Nos concurrents attendent que nous leur fournissions à un prix ultra-compétitif une énergie qu’ils ne produisent même pas afin d’accroître leurs marges. Aujourd’hui, des grands groupes s’implantent sur le marché de la distribution d’électricité et viennent faire beaucoup d’argent aux dépens d’EDF»[42].

Il est vrai que le principe de séparation des gestionnaires de réseau et des fournisseurs de services voulu par Bruxelles produit aujourd’hui un tel niveau d’incohérence que même des think-tanks ultra-libéraux et minarchistes comme la Fondation IFRAP reconnaissent qu’il n’est pas viable, voire même absurde. Selon l’IFRAP, EDF est : « victime d’un système qui contraint l’entreprise à subventionner ses propres concurrents privés alors que dans un fonctionnement de marché libéralisé, ces derniers devraient plutôt réaliser les investissements pour produire eux-mêmes de l’électricité »[43]. EDF se retrouve ainsi dans une situation déloyale et insensée, que ce soit du point de vue de la mission d’intérêt général des services publics ou d’un fonctionnement concurrentiel de marché. L’entreprise se retrouve confrontée à des concurrents qui ne produisent aucune valeur ajoutée dans l’économie, et donc virtuellement aucune richesse, mais vivent malgré tout d’une rente énergétique.

Il est dès lors permis d’acquiescer aux propos d’Henri Guaino, ancien Commissaire général du Plan qui, dès 2002 dans les colonnes du Monde, alertait l’opinion publique sur « l’absurdité économique et technique de la séparation des secteurs de production et de distribution de l’énergie ». Selon lui, « la privatisation voulue par la Commission est un leurre, compte tenu des besoins considérables de financement qu’appellent le renouvellement des équipements de production et la diversification des modes de production énergétique. (…) Comme celle de la SNCF, la réorganisation d’EDF est porteuse de conséquences graves, que les institutions européennes s’efforcent de dissimuler derrière de pseudo-impératifs d’efficacité concurrentielle »[44].

Leçons d’un mirage idéologique

En résumé, le cas de la libéralisation et de la privatisation du marché de l’électricité en France est instructif à plusieurs égards. Premièrement, il nous offre un cas d’étude des incohérences folles auxquelles tout raisonnement logique trop dogmatique peut conduire. De ce point de vue, le paralogisme ultra-libéral — ou plutôt néolibéral — de la concurrence artificiellement stimulée avancé par la Commission européenne et la CRE est digne d’un enseignement scolastique sur les syllogismes. En bref, la puissance publique prétend intervenir en augmentant les TRV, et en sacrifiant ainsi l’intérêt des consommateurs, « au nom du principe de concurrence ». Or, aux yeux de la Commission européenne elle-même, un tel principe est légitimé par le fait que « seule la concurrence permet de défendre l’intérêt des consommateurs »[45]. Marcel Boiteux et les économistes de la Fondation Robert Schuman n’ont pas manqué de s’amuser de ce savoureux paradoxe[46]. Dans un article intitulé « Les ambiguïtés de la concurrence », l’auteur du problème de Ramsey-Boiteux, maître à penser des politiques de tarification publique, déclarait : « avec la suppression des tarifs régulés, il ne s’agit plus d’ouvrir la concurrence pour faire baisser les prix, mais d’élever les prix pour favoriser la concurrence! »[47].

Avec la suppression des tarifs régulés, il ne s’agit plus d’ouvrir la concurrence pour faire baisser les prix, mais d’élever les prix pour favoriser la concurrence!

Deuxièmement, cette affaire nous permet de constater que derrière la prétendue neutralité axiologique du « jeu pur et parfait de la concurrence » avancé par la Commission, se cache une entreprise politique visant à démanteler le monopole de distribution du secteur public de nombreux États membres[48]. On voit se dessiner ici ce qui constitue le cœur d’une idéologie politique en même temps que sa quadrature du cercle. Afin de faire basculer le maximum de ménages clients du système public réglementé vers le marché privé, les fournisseurs concurrents doivent être capables de concurrencer les TRV d’EDF. Or, en France, ces derniers en sont actuellement tout bonnement incapables. La Commission et la CRE multiplient alors les initiatives politiques afin d’altérer les règles du jeu de façon plus ou moins conforme à leurs dogmes, osant pour cela user de méthodes coercitives[49] ou même renier certains postulats idéologiques originels quant au fonctionnement des marchés[50].

Ce constat nous amène à notre troisième point. Le cas de figure dans lequel nous sommes plongés remet en question l’illusion selon laquelle la mise en concurrence tendrait systématiquement à un lissage optimal des tarifs pour le consommateur et devrait à ce titre constituer l’unique horizon de fonctionnement des marchés[51]. Comme le résume l’économiste Paul de Grauwe, « il existe bel et bien des limites au marché »[52][53]. De ce point de vue, la première observation pragmatique qui s’impose est que si la CRE en est réduite à demander au Gouvernement d’intervenir afin de fixer artificiellement à la hausse les prix de la ressource électricité, le marché est faillible et il est très loin d’être autorégulé[54].

Par ailleurs, certains secteurs, et notamment les activités de réseau (trains, distribution énergétique), constituent des « monopoles naturels ». Cela veut dire qu’ils ont traditionnellement été organisés comme tel parce qu’ils y ont naturellement intérêt[55]. En effet, ce sont des activités où les économies d’échelle et les coûts d’entrée sur le marché sont si considérables que la collectivité publique doit contrôler ce dernier afin d’empêcher qu’il ne tombe aux mains d’un nombre limité d’opérateurs privés. Comme cela a déjà été le cas par le passé dans des secteurs comme le transport ferroviaire au début du XXe siècle aux États-Unis[56] ou la distribution d’électricité en Californie au début des années 2000 (scandale Enron), les acteurs privés pourraient profiter de leur position dominante afin de soutirer une rente d’oligopole en pratiquant des prix trop élevés auprès de leurs clients ou en évinçant une demande jugée trop coûteuse à satisfaire. Une telle dynamique emporte des implications dramatiques en termes d’accroissement des inégalités entre les consommateurs, et donc d’érosion du fonctionnement démocratique des marchés[57][58][59][60][61].

À ce titre, comme le disent Jean-Pierre Hansen et Jacques Percebois, « le marché de distribution de l’électricité n’est pas un marché comme les autres » parce que « l’électricité doit à la fois être perçue comme une marchandise qui peut s’échanger et un service public qui requiert une intervention de l’État » [62]. L’observation est a fortiori justifiée compte tenu du fait qu’un phénomène de monopolisation est actuellement à l’œuvre dans des pans entiers des économies développées[63][64]. Sont notamment concernées les activités de réseaux et celles qui nécessitent des investissements infrastructurels ou informationnels considérables[65][66]. Or, le phénomène d’hyper-concentration aux mains d’un secteur privé sur-consolidé génère une dégradation de la diversité, du prix et de la qualité des biens et services proposés aux consommateurs[67][68].

Le marché de l’électricité n’est pas un marché comme les autres. L’électricité doit à la fois être perçue comme une marchandise qui peut s’échanger et un service public qui requiert une intervention de l’État.

Dans le cadre d’un fonctionnement de marché privé du secteur de l’électricité, un autre risque est lié au fait que certains usagers périphériques pourraient être purement et simplement exclus des services de distribution en raison des coûts d’accès à l’offre que représentent le raccordement et l’entretien du réseau électrique pour ces derniers, notamment dans des territoires mal desservis[69]. De ce point de vue, le service public de l’électricité permet la péréquation tarifaire, en subventionnant les coûts d’accès des ménages[70][71][72]. La loi du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, avait consacré cette notion de service public de l’électricité dans le droit français, qui « a pour objet de garantir l’approvisionnement en électricité sur l’ensemble du territoire national, dans le respect de l’intérêt général (…) des principes d’égalité et de continuité du territoire, et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d’efficacité économique, sociale et énergétique »[73].

Il est donc pertinent de considérer le marché de l’énergie comme un service d’intérêt général, a fortiori compte tenu du fait que notre territoire national est vecteur d’inégalités potentielles en raison de ses nombreux espaces ruraux, d’altitudes variées, insulaires ou ultra-marins[74][75]. Ces réalités sont à mettre en comparaison avec celles d’autres pays européens comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, dont les populations sont réparties de manière plus homogène et sur des territoires beaucoup plus densément peuplés et imposant beaucoup moins de contraintes physiques. Cet argument élémentaire de géographie économique[76] semble n’avoir jamais été entendu par la Commission européenne qui estime qu’il n’existe aucune spécificité géographique ou institutionnelle dans le fonctionnement des marchés nationaux.

Par ailleurs, la théorie néoclassique du marché adopte le postulat d’une offre homogène et ignore la question de l’inégale qualité des biens et services fournis aux consommateurs. Or, la libéralisation du secteur de la distribution aux particuliers s’est traduite par une dégradation spectaculaire et à géométrie variable de la qualité des services de distribution d’énergie aux particuliers. En France, on constate notamment une envolée du nombre de plaintes pour harcèlement lié au démarchage téléphonique, de litiges portant sur des contestations de souscriptions abusives, ou encore de dénonciations de pratiques commerciales trompeuses. À tel point que Jean Gaubert, Médiateur National de l’Énergie (MNE), s’en est inquiété dans son rapport annuel, publié en mai dernier[77][78].

Selon l’enquête menée par le MNE, 56% des Français interrogés ont déclaré avoir été démarchés de manière intempestive par au moins un distributeur au cours de l’année 2018, soit une augmentation de plus de 50% en un an. Afin d’augmenter leur clientèle, plusieurs fournisseurs ont aussi eu recours à des pratiques de tromperie aggravée. Le MNE a souligné la multiplication des démarchages téléphoniques visant à informer de fausses mesures législatives en vertu desquelles le changement de fournisseur serait obligatoire. Plus grave encore, le nombre de ménages saisissant le MNE pour changement de fournisseur de gaz ou d’électricité à leur insu s’est lui aussi envolé, en augmentation de 40% sur un an. Plusieurs fournisseurs d’électricité ont même eu recours à des stratégies de souscriptions de contrats cachées, notamment à l’occasion de la vente de produits électroménagers dans des magasins grand public[79].

Enfin, comme les travaux des théoriciens britanniques de la welfare economics l’ont démontré[80], le secteur public doit prendre en compte le coût environnemental des activités de production d’énergie, passé sous silence dans le cadre du fonctionnement de marché privé[81][82]. La question est cruciale en ce qui concerne le secteur énergétique, non seulement s’agissant du nucléaire et de ses déchets radioactifs aux demies-vies de millions d’années[83][84], mais également des déchets engendrés par les infrastructures de production d’autres énergies dont l’État ne détient pas le monopole de production, comme le solaire[85]. De telles externalités environnementales ne sont en principe pas assumées par les acteurs privés [86][87], a fortiori dans le cadre d’un paradigme de fonctionnement séparant les activités de production (publiques) et de distribution (privées) d’électricité.

Une réglementation à réinventer

En ce qui concerne le marché de distribution d’électricité en France, il semble donc que les bienfaits des politiques de libéralisation et de privatisation soient davantage un horizon idéologique qu’une réalité empirique. Si réalité il y a, elle est plutôt liée à la façon dont ces politiques se traduisent aujourd’hui sur le portefeuille des ménages. 12% d’entre eux sont aujourd’hui en situation de précarité énergétique[88]. Dans les régions françaises les plus touchées par ce phénomène, comme le Grand-Est ou la Bourgogne-Franche-Comté, ce pourcentage s’élève d’ores-et-déjà à 25% de la population ou plus[89][90]. Il devrait encore s’accroître, compte tenu de l’inflation des prix des énergies et de la stagnation des revenus des trois premiers déciles, parmi lesquels se trouve l’essentiel des ménages énergétiquement précaires. Le coût social du « paralogisme de la concurrence » est donc considérable. Il conduit des millions de Français à envisager avec moins de confiance leur niveau de vie futur.

Comme le résume le juriste Alain Supiot, « il y a donc de bonnes raisons de soustraire à la toute puissance du Marché des produits ou services qui, comme l’électricité, le gaz, la poste, les autoroutes ou les chemins de fer, reposent sur un réseau technique unique à l’échelle du territoire, répondent à des besoins partagés par toute la population et dont la gestion et l’entretien s’inscrivent dans le temps long qui n’est pas celui, micro-conjoncturel, des marchés. En ce domaine, la France s’était dotée de structures juridiques particulièrement adaptées, hybrides de droit privé et de droit public, qui avaient fait la preuve de leur capacité à conjuguer efficacité économique et justice sociale. Le bilan particulièrement désastreux de la privatisation de ces services doit inciter à faire évoluer ces structures plutôt qu’à les privatiser »[91]. En France comme ailleurs en Europe, il est urgent de changer le paradigme de réglementation du secteur de l’électricité.

 


[1]Le Monde. Les prix de l’électricité augmentent encore, ceux du gaz baissent légèrement. 29 juillet 2019. https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/07/29/les-prix-de-l-electricite-augmentent-encore-ceux-du-gaz-baissent-legerement_5494698_3234.html

[2]La Croix. Électricité, pourquoi les tarifs réglementés augmentent de 5,9%. 31 mai 2019. https://www.la-croix.com/Economie/France/Electricite-pourquoi-tarifs-reglementes-augmentent-59-2019-05-31-1201025744

[3]Observatoire National de la Précarité Énergétique, Centre Scientifique et Technique du Bâtiment. Analyse de la précarité énergétique à la lumière de l’Enquête Nationale Logement (ENL) 2013. 8 novembre 2016. https://onpe.org/sites/default/files/pdf/ONPE/onpe_cstb_indicateurs_pe_enl_2013.pdf

[4]INSEE Première n°1746. Les dépenses des Français en électricité depuis 1960. 4 avril 2019. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3973175

[5]Le Monde. Le prix réglementé de l’électricité augmente depuis le début des années 2000. 31 mai 2019. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/05/31/des-prix-reglementes-de-l-electricite-qui-augmente-depuis-le-debut-des-annees-2000_5470021_4355770.html

[6]Observatoire National de la Précarité Énergétique. Tableau de bord de la précarité énergétique, édition 2018. 6 mai 2019. https://onpe.org/sites/default/files/tableau_de_bord_2018_v2_1.pdf

[7]Fondation Abbé Pierre (2017). La précarité énergétique en infographie. Focus sur la précarité énergétique en France. https://www.fondation-abbe-pierre.fr/nos-publications/etat-du-mal-logement/les-infographies-du-logement/la-precarite-energetique-en-infographie

[8]CREAI-ORS Languedoc-Roussillon (2013). Liens entre précarité énergétique et santé : analyse conjointe des enquêtes réalisées dans l’Hérault et le Douaisis. https://www.fondation-abbe-pierre.fr/documents/pdf/rapport_precarite_energetique_sante_conjoint_vf.pdf

[9]CLER – Réseau pour la transition énergétique. Comment en finir avec la précarité énergétique? 12 mars 2019. https://cler.org/tribune-comment-en-finir-avec-la-precarite-energetique%E2%80%89/

[10]Commission Européenne (2012). Effets positifs de la politique de concurrence : en quoi la politique de concurrence est-elle importante pour les consommateurs? http://ec.europa.eu/competition/consumers/why_fr.html

[11]Voir directives 1996/92/CE, 1998/30CE, 2003/54/CE et 2003/55/CE. (1. Commission Européenne. Directive 1996/92/CE of the European Parliament and of the Council of 19 December 1996 concerning common rules for the internal market in electricity ; 2. Commission Européenne. Directive1998/30/CE of the European Parliament and of the Council of 22 June 1998 concerning common rules for the internal market in natural gas ; 3. Commission Européenne. Directive 2003/54/EC of the European Parliament and of the Council of 26 June 2003 concerning common rules for the internal market in electricity and repealing Directive 96/92/EC – Statements made with regard to decommissioning and waste management activities ; 4. Commission Européenne. Directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE).

[12]Légifrance. Loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité.

[13]Légifrance. Loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

[14]EDF France (2018). Statuts juridico-légaux d’EDF. https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/investisseurs-actionnaires/statuts-d-edf

[15]Légifrance. Loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie.

[16]Commission Européenne (2012). Effets positifs de la politique de concurrence : en quoi la politique de concurrence est-elle importante pour les consommateurs ? http://ec.europa.eu/competition/consumers/why_fr.html

[17]Commission Européenne. Directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE.

[18]El País. ¿Ha funcionado la liberalización del mercado eléctrico en España? 15 novembre 2018. https://cincodias.elpais.com/cincodias/2018/11/14/mercados/1542207624_665776.html

[19]El Correo. La liberalización del sector eléctrico: dos décadas de luces y sombras. 10 décembre 2018. https://www.elcorreo.com/economia/tu-economia/liberalizacion-sector-electrico-20181207175056-nt.html

[20]Le Monde. Le marché et l’électricité, le dogme perd l’Europe. 4 septembre 2017. https://www.lemonde.fr/blog/huet/2017/09/04/le-marche-et-lelectricite-le-dogme-perd-leurope/

[21]INSEE Première n°1746. Les dépenses des Français en électricité depuis 1960. 4 avril 2019. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3973175

[22]Légifrance. Loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.

[23]Slate. Nucléaire, éolien… quelle est l’énergie la moins chère en France ? 30 novembre 2011. http://www.slate.fr/story/46785/nucleaire-eolien-energie-moins-chere-france

[24]Connaissance des énergies (2013). Coûts de production de l’électricité en France. https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/couts-de-production-de-l-electricite-en-france

[25]Le Monde, AFP. L’arrêté ministériel fixant les tarifs pour la vente de l’électricité nucléaire publié au JORF. 20 mai 2011. https://www.lemonde.fr/economie/article/2011/05/20/l-arrete-ministeriel-fixant-les-tarifs-pour-la-vente-de-l-electricite-nucleaire-publie-au-jo_1524752_3234.html

[26]Commission de Régulation de l’Énergie. Les demandes d’ARENH pour 2019. 29 novembre 2018. https://www.cre.fr/Actualites/Les-demandes-d-ARENH-pour-2019

[27]Assemblée Nationale. Am. n°CD153. 1erjuin 2019.

[28]Assemblée Nationale. Am. n°CE357. 14 juin 2019.

[29]Les Échos. Électricité : comment le Gouvernement veut stabiliser la facture. 18 juin 2019. https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/electricite-comment-le-gouvernement-veut-stabiliser-la-facture-1029981

[30]Sénat. Am. n°200 rect. bis. 16 juillet 2019.

[31]Le Point. Électricité : ce marché où la concurrence ne marche pas. 16 mai 2019. https://www.lepoint.fr/economie/electricite-ce-marche-ou-la-concurrence-ne-marche-pas-16-05-2019-2313063_28.php

[32]Commission de Régulation de l’Énergie. Délibération de la CRE portant proposition des tarifs réglementés de vente d’électricité. 7 février 2019. https://www.cre.fr/Documents/Deliberations/Proposition/Proposition-des-tarifs-reglementes-de-vente-d-electricite

[33]Transposée en droit français, cette notion a été précisée par le Conseil d’État dans un arrêt de 2015, étant définie comme : « la faculté pour un opérateur concurrent d’EDF de proposer des offres à des prix égaux ou inférieurs aux tarifs réglementés ». Voir CE, juge des référés, 7 janvier 2015, Association nationale des opérateurs détaillants d’énergie (ANODE), n° 386076.

[34]Commission de Régulation de l’Énergie (2018). Marché de détail de l’électricité. https://www.cre.fr/Electricite/Marche-de-detail-de-l-electricite

[35]Légifrance. Loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

[36]CE, Ass., 19 juillet 2017, Association nationale des opérateurs détaillants d’énergie (ANODE), n°370321.

[37]CLCV, UFC-Que-Choisir. Lettre ouverte au président de la République. 11 et 12 avril 2019. http://www.clcv.org/images/CLCV/Lettre_ouverte_Emmanuel_Macron_11042019.pdf; https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-hausse-du-tarif-de-l-electricite-au-president-de-la-republique-de-la-court-circuiter-n65619/

[38]CLCV. Hausse du prix de l’électricité : la CLCV et UFC-Que-Choisir vont saisir le Conseil d’État. 15 mai 2019. http://www.clcv.org/energies/hausse-du-prix-de-l-electricite-la-clcv-va-saisir-le-conseil-d-etat-pour-demander-son-annulation.html

[39]RTL. Électricité : « augmenter les tarifs d’EDF pour faire vivre la concurrence ». 31 mai 2019. https://www.rtl.fr/actu/conso/tarifs-de-l-electricite-comment-expliquer-une-telle-hausse-de-5-9-7797743600

[40]Autorité de la concurrence. Avis n°19-A-07 du 25 mars 2019 relatif à la fixation des tarifs réglementés de vente d’électricité.

[41]Le Figaro. Jean-Bernard Lévy: « Des fortunes privées se sont construites sur le dos du parc d’EDF ». 15 mai 2019. http://www.lefigaro.fr/societes/jean-bernard-levy-des-fortunes-privees-se-sont-construites-sur-le-dos-du-parc-d-edf-20190515

[42]BFMTV. Jean-Bernard Lévy : « Tout est organisé pour qu’EDF perde des clients! ». 13 juin 2019. https://bfmbusiness.bfmtv.com/mediaplayer/video/jean-bernard-levy-tout-est-organise-pour-qu-edf-perde-des-clients-1168130.html

[43]IFRAP. Prix de l’électricité : pourquoi ça ne va pas. 25 avril 2019. https://www.ifrap.org/agriculture-et-energie/prix-de-lelectricite-pourquoi-ca-ne-va-pas

[44]Le Monde. Tribune : Henri Guaino : « EDF : vers le démantèlement? ». 8 février 2002. https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/02/08/edf-vers-le-demantelement_4209384_1819218.html

[45]Commission européenne (2012). Effets positifs de la politique de concurrence : en quoi la politique de concurrence est-elle importante pour les consommateurs? http://ec.europa.eu/competition/consumers/why_fr.html

[46]Fondation Robert Schuman (2008). Ivoa Alavoine, Thomas Veyrenc : « Idéologie communautaire vs. Réalisme national ? L’épineux problème des tarifs d’électricité ». https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/questions-d-europe/qe-95-fr.pdf

[47]Futuribles. Marcel Boiteux : « Les ambiguïtés de la concurrence. Électricité de France et la libéralisation du marché de l’électricité ». 1er juin 2007. https://www.futuribles.com/fr/revue/331/les-ambiguites-de-la-concurrence-electricite-de-fr/

[48]Le Monde Diplomatique. Aurélien Bernier : « Électricité, le prix de la concurrence ». Mai 2018. https://www.monde-diplomatique.fr/2019/05/BERNIER/59843

[49]Voir procédures d’infraction susmentionnées, engagées par la Commission européenne à l’encontre de la République Française.

[50]Dans la théorie économique néoclassique, le principe de concurrence pure et parfaite n’admet pas que des acteurs privés de l’offre bénéficient de situation de rentes de profitabilité, qui sont considérées comme un élément de concurrence déloyale et un coin (« wedge »)  dans la réalisation de l’équilibre de marché. Voir : Union Européenne – Europa EU (2019). Concurrence : préserver et promouvoir des pratiques de concurrence loyale. https://europa.eu/european-union/topics/competition_fr

[51]La Documentation Française. État, marché et concurrence : les motifs de l’intervention publique. In Concurrence et régulation des marchés. Cahiers français n°313. https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/libris/3303330403136/3303330403136_EX.pdf

[52]Paul de Grauwe (2015). Les limites du marché : l’oscillation entre l’État et le capitalisme. Préfacé par Jean-Paul Fitoussi. Bruxelles. De Boeck Supérieur.

[53]Financial Times. The Limits of the Market by Paul de Grauwe — from excess to redress. 7 avril 2017. https://www.ft.com/content/6e07ebe2-19eb-11e7-bcac-6d03d067f81f

[54]Confère l’expression « market failure » employée par Yves Croissant et Patricia Vornetti, économistes enseignant à l’Université de la Réunion et à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Voir : La Documentation Française. État, marché et concurrence : les motifs de l’intervention publique. In Concurrence et régulation des marchés. Cahiers français n°313. https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/libris/3303330403136/3303330403136_EX.pdf

[55]Ibid.

[56]Stanford University – Stanford CS (1996). Rise of Monopolies: the development of the railroad monopoly in the United States. In Andy Conigliaro, Joshua Elman, Jeremy Schreiber, Tony Small: « The danger of corporate monopolies ».

[57]The Commonwealth Club of California. Harvard University Professor Tim Wu: Inside Tech Monopolies. San Francisco. 22 février 2019. https://www.youtube.com/watch?v=pQVRP3-8yhQ

[58]The New Yorker. Opinion: Tim Wu: « The Oligopoly Problem ». 15 avril 2013. https://www.newyorker.com/tech/annals-of-technology/the-oligopoly-problem

[59]The New York Times. The Opinion Section: Tim Wu: « Be Afraid of Economic Bigness. Be Very Afraid. 10 novembre 2018. https://www.nytimes.com/2018/11/10/opinion/sunday/fascism-economy-monopoly.html?login=facebook

[60]The Washington Post. Opinion: Felicia Wong: « Why monopolies are threatening American democracy ». 8 décembre 2017. https://www.washingtonpost.com/news/democracy-post/wp/2017/12/08/why-monopolies-are-threatening-american-democracy/?noredirect=on&utm_term=.41c2a742748c

[61]The Washington Post. Opinion: Tim Wu: « A call to save democracy by battling private monopolies ». 28 décembre 2018. https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2foutlook%2fa-call-to-save-democracy-by-battling-monopolies%2f2018%2f12%2f27%2f949cf8f4-06fe-11e9-a3f0-71c95106d96a_story.html%3f&utm_term=.6d7239a41cd1

[62]Jean-Pierre Hansen, Jacques Percebois (2017). Transition(s) électrique(s). Ce que l’Europe et les marchés n’ont pas su vous dire. Préfacé par Gérard Mestrallet. Paris. Odile Jacob.

[63]The Atlantic. The Return of the Monopoly: An Infographic. April 2013. https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2013/04/the-chartist/309271/

[64]The Guardian. Joseph Stiglitz: The new era of monopoly is here. 13 mai 2016. https://www.theguardian.com/business/2016/may/13/-new-era-monopoly-joseph-stiglitz

[65]Stanford University – Stanford CS (1996). Rise of Monopolies: the making of Microsoft. In Andy Conigliaro, Joshua Elman, Jeremy Schreiber, Tony Small: « The danger of corporate monopolies ».

[66]The London School of Economics – LSE Blog. Patrick Barwise: « Why tech markets are winner-take-all ». 14 juin 2018. https://blogs.lse.ac.uk/mediapolicyproject/2018/06/14/why-tech-markets-are-winner-take-all/

[67]The New York Times. The opinion section: David Leonhardt: « The monopolization of America ». 25 novembre 2018. https://www.nytimes.com/2018/11/25/opinion/monopolies-in-the-us.html

[68]Robert Reich. The monopolization of America ». 6 mai 2018. https://www.youtube.com/watch?v=KLfO-2t1qPQ

[69]La Documentation Française. État, marché et concurrence : les motifs de l’intervention publique. In Concurrence et régulation des marchés. Cahiers français n°313. https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/libris/3303330403136/3303330403136_EX.pdf

[70]Frank P. Ramsey (1927). A contribution to the Theory of Taxation. The Economic Journal. Vol. 37, n°145.

[71]Marcel Boiteux (1956). Sur la gestion des monopoles publics astreints à l’équilibre budgétaire. Econometrica, n°24.

[72]Observatoire de l’Industrie électrique (2017). Une histoire de la péréquation tarifaire. https://observatoire-electricite.fr/IMG/pdf/oie_-_fiche_pedago_perequation_072017.pdf

[73]Légifrance. Loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000750321

[74]France Stratégie. 2017/2027 – Dynamiques et inégalités territoriales. 7 juillet 2016. https://www.strategie.gouv.fr/publications/20172027-dynamiques-inegalites-territoriales

[75]Pierre Veltz (1996). Mondialisation, villes et territoires. L’économie d’archipel. Paris. Presses Universitaires de France.

[76]The Atlantic (2005). Richard Florida: « The World in numbers: The World is spiky ». https://www.theatlantic.com/past/docs/images/issues/200510/world-is-spiky.pdf

[77]Médiateur National de l’Énergie (2018). Rapport annuel d’activité 2018. https://www.energie-mediateur.fr/wp-content/uploads/2019/05/RA-MNE-2018-interactif.pdf

[78]Marianne. Électricité : l’hérésie de l’ouverture à la concurrence. 1erjuillet 2017. https://www.marianne.net/debattons/tribunes/energie-electricite-edf-heresie-concurrence

[79]Ibid.

[80]Arthur Cecil Pigou (1920). The Economics of Welfare. London. Macmillan.

[81]International Monetary Fund. Thomas Helbling : « Externalities: Prices Do Not Capture All Costs ». 18 décembre 2018. https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/basics/external.htm

[82]Paul de Grauwe (2015). Les limites du marché : l’oscillation entre l’État et le capitalisme. Préfacé par Jean-Paul Fitoussi. Bruxelles. De Boeck Supérieur.

[83]OCDE (2003). Électricité nucléaire : quels sont les coûts externes ? https://www.oecd-nea.org/ndd/reports/2003/nea4373-couts-externe.pdf

[84]Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (2013). Quelle est la durée de vie d’un déchet radioactif à haute activité ? https://irsn.libcast.com/dechets/dechets_quelle_est_la_duree_de_vie_d_un_dechet_radioactif_a_haute_activite-mp4/player

[85]Greenpeace (2019). Quel est l’impact environnemental des panneaux solaires ? https://www.greenpeace.fr/impact-environnemental-solaire/

[86]Elinor Ostrom (1990). Governing the commons: The evolution of institutions for collective action. Cambridge University Press. https://wtf.tw/ref/ostrom_1990.pdf

[87]Garrett Hardin (2018). La tragédie des communs. Préfacé par Dominique Bourg. Presses Universitaires de France.

[88]Observatoire National de la Précarité Énergétique. Tableau de bord de la précarité énergétique, édition 2018. 6 mai 2019. https://onpe.org/sites/default/files/tableau_de_bord_2018_v2_1.pdf

[89]INSEE Dossier Grand-Est, n°10. Vulnérabilité énergétique dans le Grand Est. Le Grand Est, région la plus touchée par la vulnérabilité énergétique pour se chauffer. 25 janvier 2019. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3703441

[90]INSEE Flash Bourgogne, n°31. Un ménage sur trois exposé à la vulnérabilité énergétique en Bourgogne-Franche-Comté. 15 décembre 2015. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1304080

[91]Alain Supiot (2010). L’esprit de Philadelphie : la justice sociale face au marché total. Paris. Seuil.


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