Mayotte, un petit coin de tiers-monde en France ?

À Mayotte, novembre 2011, gendarmes mobiles expulsant un manifestant pacifiste, sur le quai de la barge, en Grande Terre. ©Lebelot. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license..

Au mois de mars dernier, la population guyanaise se soulevait et bloquait le département pendant plusieurs jours afin de réclamer, simplement, d’être traités comme tous les autres citoyens français et de pouvoir bénéficier des mêmes services que leurs compatriotes de métropole. Au-delà du cas particulier de la Guyane, ces événements ont permis de mettre en lumière, certes trop peu, les espaces ultramarins français. Parmi eux, il en est un dont la situation semble particulièrement scandaleuse : Mayotte. En outre, les récentes catastrophes climatiques qui ont touché Saint-Martin et Saint-Barthélémy doivent également nous interpeller.

Peu de gens connaissent Mayotte, ce petit groupe d’îles se trouvant dans l’archipel des Comores, dans l’océan indien. Difficile de blâmer la population métropolitaine pour cette ignorance : dans les médias, on ne parle jamais de cet espace, qui est également loin d’être une priorité pour les élites politiques au pouvoir. Malgré cette méconnaissance, Mayotte est bel et bien un territoire français, peuplé de 235 000 habitants – près de la moitié de la population a moins de 15 ans -, doté de deux villes principales : Dzaoudzi et Mamoudzou. Le cas de Mayotte est intéressant dans la mesure où il est emblématique de la façon dont l’outre-mer est laissé à l’abandon par les gouvernements successifs.

 

De la colonie au département d’outre-mer

 

Si l’on souhaite comprendre la situation actuelle de ce territoire, il convient d’abord de revenir sur son histoire. Le territoire était jusqu’à la première moitié du XIXème siècle un sultanat, forme de gouvernement islamique. La situation change en 1841 : les Français arrivent dans la région et achètent Mayotte au sultan de l’époque, puis le territoire est intégré à l’Empire colonial français en 1843. Se met alors en place une économie coloniale, imposée par la violence aux populations locales. La politique menée y est désastreuse, sur un plan social aussi bien qu’économique : l’industrie sucrière mise en place décline rapidement et la population locale n’a que peu de moyens de vivre et de s’affirmer face à des autorités françaises toujours promptes à utiliser la force pour maintenir l’ordre colonial. La situation s’aggrave à partir de 1908 : Mayotte est rattachée à la région de Madagascar, alors colonie française. Dès lors l’archipel – peuplé selon les données de 1911 de 11 000 habitants – n’est plus qu’une périphérie oubliée de Madagascar, ce qui plonge encore plus rapidement la population dans une misère noire.

En 1947, Mayotte et le reste des Comores deviennent des Territoires d’Outre-Mer suite au démantèlement de l’Empire colonial français. De fortes tensions autonomistes voire indépendantistes agitent certaines îles. Consultée à plusieurs reprises au cours des années 1970, la population mahoraise fait figure d’exception : Mayotte est la seule partie des Comores à manifester sa volonté de rester française, malgré une situation d’isolement et de développement économique et social inexistant. Cela s’explique par le fait que les Mahorais avaient peur d’être persécutés et mis à l’écart s’ils étaient intégrés à l’Etat comorien nouvellement indépendant.

Ce sont ces craintes qui expliquent la volonté d’une partie de la population, exprimée dès les années 1980, de faire de Mayotte un département d’outre-mer (DOM) afin que le territoire soit pleinement rattaché à la République française. L’archipel obtient un statut proche du département en 2001 et, le 31 mars 2011, Mayotte devient officiellement le 101ème département de la République française.

 

Une situation économique et sociale désastreuse

 

Si la population mahoraise a exprimé son souhait d’une intégration plus profonde à la France, force est de constater que cette intégration est encore aujourd’hui toute relative. Mayotte est en effet dans une situation absolument scandaleuse dans un certain nombre de domaines, ce qui montre que peu de choses ont réellement changé depuis la période coloniale dans ce territoire.

“En 2017, en France, il existe un département où une grande partie de la population n’a pas accès à une eau courante et potable de façon régulière.”

L’accès à l’eau est un exemple emblématique. Si celui-ci est relativement aisé en métropole, Mayotte connaît depuis de nombreuses années des difficultés d’approvisionnement. Or l’Etat n’y a jamais fait les investissements nécessaires pour y acheminer de l’eau de façon régulière, des infrastructures vétustes étant jugées suffisantes pour ces lointaines populations dont Paris se soucie peu. Par conséquent, le territoire est extrêmement dépendant de la pluie : en cas de faible pluviométrie, la sécheresse s’installe et met en danger la vie des habitants. Ainsi, en 2017, en France, il existe un département où une grande partie de la population n’a pas accès à une eau courante et potable de façon régulière.

Outre cette situation sanitaire préoccupante, le tissu économique du territoire est également trop peu développé. La majorité de l’agriculture y est vivrière, c’est-à-dire qu’elle parvient à peine à nourrir ceux qui cultivent, qui ne peuvent vendre leur surplus au reste de la population mahoraise. Conséquence : Mayotte exporte très peu et importe énormément, ce qui la rend dépendante de l’extérieur quant à l’alimentation, et ce qui entraîne également une hausse prix particulièrement forte qui empêche la majeure partie de la population de vivre dignement. Ajoutons à cela que, malgré son statut de département, le SMIC y est inférieur de plus de moitié au SMIC métropolitain : la misère serait-elle moins pénible loin de Paris ?

Mais l’un des problèmes les plus sérieux que connaît Mayotte est celui de l’inefficacité des services publics, notamment celui de l’éducation. La langue française est loin d’être maîtrisée par toute la population, et près du tiers de celle-ci n’a jamais été scolarisée. Le gouvernement français, conscient de ces inégalités de traitement intolérables avec la métropole, ne fait rien pour régler le problème. Ainsi pour la rentrée 2015, le Syndicat National des Enseignements de Second Degré (SNES) déplorait des classes surchargées dans des proportions inimaginables : jusqu’à 38 élèves par classe au lycée, alors que tous les établissements du département sont classés en Réseau d’Education Prioritaire (REP) et devraient par conséquent bénéficier de moyens qui leur permettent d’assurer une relative égalité entre Mayotte et la métropole !

En ce qui concerne l’enseignement supérieur, la situation est tout aussi préoccupante : les jeunes mahorais qui entament des études après leur baccalauréat connaissent des taux d’échec particulièrement élevés. L’échec massif est surtout lié au manque d’investissements et de soutien financier de la part de l’Etat pour ces jeunes qui, faute de structures suffisamment importantes à Mayotte, sont forcés d’aller étudier à la Réunion ou en métropole, loin de leur famille et avec très peu de moyens.

La situation économique, sociale et sanitaire du département est donc très préoccupante. A cela, il faut encore ajouter que Mayotte est en situation de grand isolement par rapport à la métropole. Il faut en effet près de 15 heures d’avion pour s’y rendre depuis Paris, avec au moins un transit obligatoire au cours du trajet.

 

La question migratoire, emblème des problèmes de l’archipel

 

Au-delà de toutes ces questions cruciales pour l’archipel, qui témoignent d’une gestion indigne de la part de l’Etat qui ne se donne pas les moyens d’assurer à sa propre population les conditions d’une existence digne et sûre, Mayotte est également touchée par une vague migratoire autrement plus importante que celle que connaît actuellement la France métropolitaine.

“On évoque souvent la Méditerranée comme un cimetière pour les migrants : à Mayotte, on estime que 12 000 personnes ont perdu la vie sur des embarcations de fortune.”

C’est en effet l’un des nombreux paradoxes qui traverse Mayotte : territoire aux conditions de vie insupportables lorsqu’on le compare à la métropole, il est vu comme un îlot de prospérité par les habitants des Comores qui sont attirés notamment par le droit du sol, et qui espèrent offrir à leurs enfants un plus bel avenir s’ils deviennent français. Face à cela, la France a réagi par la répression et par une gestion indigne de ce problème en construisant en 1996 un centre de rétention qui détient le triste record d’établissement le plus surpeuplé de France : on y entasse les migrants dans des conditions désastreuses avant de les expulser le plus rapidement possible. On évoque souvent la Méditerranée comme un cimetière pour les migrants : à Mayotte, on estime que 12 000 personnes ont perdu la vie sur des embarcations de fortune.

Si le problème peut sembler réel pour la population locale, tant immigrée que française, il semble être un sujet de rigolade pour le nouveau président de la République. En déplacement en Bretagne peu après son élection, Emmanuel Macron s’entretenait avec le responsable d’un centre de sauvetage en mer. Ce dernier a évoqué les kwassa-kwassa, embarcations de fortune originellement destinées à la pêche, mais détournées de cet usage par les migrants comoriens qui cherchent à atteindre Mayotte. Le président de la République a alors répondu : « Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien, c’est différent », sous-entendant que la vie de ces migrants n’a pas beaucoup plus de valeur que le poisson que l’on pêche.

Ce que le président a présenté comme une boutade maladroite est en réalité très révélateur des rapports de Paris à Mayotte : un territoire dont le statut de département reste très théorique, car les habitants attendent toujours l’égalité et des conditions de vie supportables.

 

Les conséquences d’Irma : des territoires à réinventer

 

L’ouragan qui a touché Saint-Martin et Barthélémy a occupé le terrain médiatique ces derniers jours. Une véritable aubaine pour le président Macron qui a pu se mettre en scène en arrivant sur place, s’assurant que sa nuit sur un lit de camp, en bras de chemise, était bien filmée et photographiée sous tous les angles par une presse toujours aussi complaisante et béate avec lui. Mais au delà du bénéfice politique qu’en a tiré le président, ce malheureux événement a mis en lumière ces territoires particuliers, des Collectivités d’Outre-Mer (COM) dont on parle encore moins que les DOM.

Le traitement médiatique de ces territoires est particulièrement révélateur du statut assigné à l’outre-mer en France. On part des images d’Epinal sur le sujet (palmiers, plages…) pour faire pleurer dans les chaumières sur tous ces vacanciers qui vont devoir annuler ou reporter leur séjour. Par ailleurs, à la télé et à la radio, un certain nombre “d’experts” autoproclamés parlaient de ces territoires en les comparant à “la France”, comme si ces territoires étaient étrangers et que les lois de la République n’y avaient pas cours.

Et ils ont, malgré eux, raison: ces îles, et particulièrement Saint-Barthélémy, sont de véritables paradis fiscaux. Invoquant des raisons historiques particulières, une partie de la population locale, très aisée, a toujours refusé de payer l’impôt et a toujours pu s’y soustraire avec la bienveillance du pouvoir métropolitain. Aujourd’hui, les riches en appellent à la solidarité nationale pour rebâtir leurs villas détruites. En attendant, personne n’écoute les nombreux pauvres de ces îles, marginalisés et asservis par les puissants.

Aussi, il ne faut pas se contenter de reconstruire ces îles à l’identique: sur ces territoires comme ailleurs, il convient de les intégrer à la République, notamment sur le plan fiscal, afin d’y établir un nouveau modèle de développement plus juste et égalitaire. Les milliardaires américains qui y vivent depuis les années 1950 peuvent bien partir s’installer ailleurs: la France n’a pas besoin d’eux.

 

 

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Ordonnances : le PS tente de faire oublier sa loi Travail

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Myriam El-Khomri © Chris 93

Bien décidé à se refaire une santé après la débâcle du quinquennat Hollande, le PS tente de se redonner une image « de gauche » en s’opposant à la « réforme » du code du travail par ordonnances portée par Muriel Pénicaud. Un périlleux numéro d’équilibriste pour un parti qui a commis les lois Macron et la loi El Khomri, de la même veine libérale, lorsqu’il était aux affaires. Les représentants du PS ont beau jeu de fustiger aujourd’hui une politique qu’ils appliquaient, approuvaient et justifiaient il y a quelques mois encore. Quitte à prendre quelques libertés avec la vérité … Car si différence il y a entre les gouvernements de François Hollande et d’Emmanuel Macron, il s’agit tout au plus d’une différence de degré mais certainement pas d’orientation politique.

 

Une posture de « gauche » pour se refaire une virginité politique

Les députés Luc Carvounas, Stéphane Le Foll et leur président de groupe Olivier Faure font en ce moment le tour des plateaux pour dire tout le mal qu’ils pensent des ordonnances Pénicaud. Ils critiquent tant la méthode que le contenu des ordonnances. Ils martèlent que Macron est un président « et de droite, et de droite » et tentent de réactiver un clivage droite-gauche qu’ils ont eux-mêmes complètement brouillé en menant une politique antisociale à laquelle la droite ne s’est opposée que par opportunisme politique et par calcul électoral. Macron n’est-il pas un pur produit du PS de François Hollande ? Emmanuel Macron, après avoir conseillé Hollande pendant la campagne de 2012, est nommé secrétaire adjoint de l’Elysée de 2012 à 2014 puis ministre de l’économie de 2014 à 2016. Emmanuel Macron a été l’un des personnages clé du quinquennat de François Hollande et il a joué les premiers rôles sur les dossiers économiques et sociaux. C’est, en quelque sorte, la créature du PS qui lui a échappé des mains et qui a fini par se retourner contre lui. Une partie conséquente de la technostructure du PS a d’ailleurs migré vers LREM, dans les valises de Richard Ferrand.

Le groupe « Nouvelle Gauche » réunissant les députés PS rescapés de la gifle électorale de 2017, s’est du reste largement abstenu, lors du vote de confiance au gouvernement d’Edouard Philippe. Seuls 5 d’entre eux dont Luc Carvounas aujourd’hui très en verve contre la ministre du travail, ont voté contre.

 

L’enfumage de Luc Carvounas sur son soutien à la loi El Khomri

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Luc Carvounas © Clément Bucco-Lechat

Le 28 août, dans l’émission News et compagnie (BFM TV), Bruno Jeudy pose à Luc Carvounas la question suivante : « Quand on a soutenu la loi El Khomri il y a encore 2 ans, vous allez maintenant dire tout le mal que vous pensez des ordonnances Macron ? » Luc Carvounas rétorque : « Alors, Bruno Jeudy, je suis désolé, vous êtes un très grand observateur politique. Je suis sénateur, je n’ai pas voté la loi El Khomri. Voilà, je suis désolé. »  Suite aux objections du journaliste  (« D’accord mais vous avez soutenu le pouvoir qui était en place. Vous étiez un proche de Manuel Valls. Comment on passe de la situation de “je suis derrière la loi El Khomri” à “je suis contre les ordonnances Macron” ? »), Luc Carvounas persiste et signe : « Bon si vous voulez me faire dire que j’étais derrière la loi El Khomri, ce n’est pas le fait. J’appelle celles et ceux qui veulent vérifier sur internet le cas (sic). » Formulé ainsi, on pourrait tout à fait croire que Luc Carvounas était l’un des parlementaires PS “frondeurs” qui se sont opposés à la loi El Khomri et, plus largement, à l’orientation de plus en plus libérale de François Hollande.

Vérification faite : Luc Carvounas, à l’époque sénateur, a bien voté contre l’ensemble du projet de loi El Khomri le 28 juin 2016. Il omet cependant soigneusement de rappeler ce qui a motivé son vote. Et pour cause. Si Luc Carvounas n’a effectivement pas voté le texte final sur la loi travail présenté au Sénat, ce n’est certainement pas par opposition à la philosophie de la Loi Travail ni même à la dernière mouture du projet défendu par le gouvernement. Les sénateurs PS avaient en réalité tous voté contre la version du projet présentée par la majorité sénatoriale de droite qu’ils jugeaient « complètement déséquilibrée ». D’ailleurs, Myriam El Khomri elle-même y était opposée ! Elle fustigeait, dans un tweet datant du jour du vote,   « la majorité sénatoriale de droite [qui]  a affirmé sa vision de la Loi Travail : un monde sans syndicats, un code du travail à la carte. » Une question de degré en somme. Le sénateur Carvounas a également voté contre presque tous les amendements déposés par le groupe communiste  et par ses collègues socialistes frondeurs comme Marie-Noël Lienemann.

Luc Carvounas  appartient à l’aile droite du PS. Il a été un fervent défenseur de la loi Travail et, plus largement, de la ligne de Manuel Valls dont il était l’un des principaux lieutenants au Sénat comme dans les médias et qu’il a activement soutenu aux primaires du PS de 2011 et de 2017 avant de prendre ses distances. C’est lui qui s’exclamait, le 10 mai 2016, sur le plateau de France 24 (8’45) : « Il est où le problème pour celles et ceux qui nous écoutent, de ce texte [loi el Khomri, ndlr]? Il n’y en a pas en fait ! ». C’est toujours lui qui ne comprenait pas pourquoi une partie  jeunesse manifestait contre la loi El Khomri. C’est encore lui qui reprochait à ses collègues frondeurs « d’être plus jusqu’au-boutistes que la CGT ». Cette CGT qu’il accusait d’être une « caste gauchisée des privilégiés. » Et le voilà maintenant qui annonce qu’il participera, avec ses collègues du PS, à la manifestation organisée par la même CGT le 12 septembre contre les ordonnances Pénicaud ! La direction de la CGT n’a pourtant pas changé entre temps et elle s’oppose aujourd’hui aux ordonnances Pénicaud pour les mêmes raisons qu’elle s’opposait hier à la Loi El Khomri.

 

LR, LREM et PS : les 50 nuances du libéralisme économique UE-compatible

 La véritable ligne de démarcation se trouve-t-elle entre LREM et le PS ou entre le PS et la CGT ? En réalité, LR, LREM et PS ne sont aujourd’hui que des nuances d’une seule et même grande famille politique et intellectuelle : le libéralisme économique UE-compatible. Les uns et les autres s’accusent d’être « trop à gauche » ou « trop à droite » et de « ne pas aller assez loin » ou « d’aller trop loin » dans le démantèlement progressif des droits sociaux conquis auquel ils contribuent tous lorsqu’ils gouvernent.

Tous inscrivent leur politique dans le cadre de la « règle d’or » budgétaire européenne et entendent suivre bon an mal an les Grandes Orientations de Politique Economique de la Commission européenne, demandant çà et là des reports ou des infléchissements à la marge lorsqu’ils sont en exercice. La loi El Khomri était d’ailleurs une loi d’inspiration européenne. Rappelons aussi que c’est la majorité socialiste de l’Assemblée Nationale qui a permis, en octobre 2012, la ratification du « traité Merkozy » qui n’avait pas été renégocié par François Hollande, contrairement à sa promesse de campagne. Quant à Emmanuel Macron qui se faisait introniser au Louvre sur l’air de l’Hymne à la joie, il entend bien devancer les attentes des dirigeants européens euphoriques depuis son élection.

 

Se faire élire à gauche, gouverner à droite

 

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François Hollande © Matthieu Riegler

Le PS veut incarner aujourd’hui la gauche du capital face aux « Républicains » et à la « Grosse coalition » à l’allemande de Macron qu’il juge trop à droite. C’est ce qu’ils appellent la « gauche responsable » ou « la gauche de gouvernement ». Les socialistes surjouent cette posture de gauche maintenant qu’ils sont repassés dans l’opposition. Difficile de démêler la part de calcul, d’opportunisme et de conviction au regard de leur passé gouvernemental récent …

François Hollande s’est rappelé à notre mauvais souvenir cet été en exhortant son successeur à ne pas « demander des sacrifices aux français qui ne sont pas utiles » car il estime qu’il « ne faudrait pas flexibiliser le marché du travail au-delà de ce que nous avons déjà fait au risque de créer des ruptures. » Différence de degré encore une fois. François Hollande et le PS estiment qu’ils en ont déjà fait assez, les macronistes estiment qu’il en faut encore plus et Les Républicains estiment qu’il en faut toujours plus. Tous sont donc d’accord pour « flexibiliser », c’est-à-dire précariser, le travail et se disputent quant à la dose à administrer aux travailleurs. Le Medef et la Commission européenne, eux, jouent les arbitres et distribuent les bons et les mauvais points.

Du reste, François Hollande a beau jeu de jouer la modération aujourd’hui, ne se rappelle-t-il pas des premières versions de la Loi Travail ? Quant à sa version finale, elle prévoit qu’en matière de temps de travail, un accord d’entreprise puisse remplacer un accord de branche même s’il est plus défavorable aux salariés ; elle généralise la possibilité de signer des accords d’entreprise ramenant la majoration des heures supplémentaires à 10%, elle introduit les « accords offensifs », c’est-à-dire la possibilité de modifier les salaires à la baisse et le temps de travail à hausse dans un but de « développement de l’emploi », elle élargit les cas de recours au licenciement économique entre autres joyeusetés. Et les premiers dégâts se font déjà sentir … Modéré, vous avez dit ?

Le PS crie sur tous les toits qu’il faut « réinventer la gauche ». En réalité, ici, il n’est question ni de gauche, ni de réinvention. Il s’agit de se faire élire à gauche pour gouverner à droite comme François Hollande qui désignait en 2012 la finance comme son ennemi pour s’empresser de gouverner avec elle et pour elle. Le « retour » d’un François Hollande à la réputation « de gauche » bien trop ternie, pourrait compromettre cette opération de ravalement  de façade que tout le monde appelle de ses vœux à Solférino.

Crédits photo :

© Chris93 (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fourcade_El_Khomri_2.JPG)

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© Matthieu Riegler (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:François_Hollande_-_Janvier_2012.jpg)

Trump, La Fayette et le 14 Juillet

©US Embassy France. Licence : l’image est dans le domaine public.

On pourrait comprendre que le gouvernement français rende hommage aux Etats-Unis pour leur entrée en guerre aux côtés de la France, en 1917. Mais Emmanuel Macron a choisi d’inviter Donald Trump le 14 Juillet, et non le 2 avril (date de l’entrée en guerre des Etats-Unis). L’acte est lourd de symbole. Il s’agit de suggérer que le destin de France et des Etats-Unis sont indéfectiblement liées ; et d’inscrire la Révolution française dans le sillage de l’histoire des Etats-Unis. C’est ici que le bât blesse. Autant il serait stupide de nier les influences réciproques qu’ont exercé l’une sur l’autre la fédération américaine et la nation française, autant inscrire le 14 Juillet dans le sillage de l’histoire américaine revient à vider de sa substance cette date fondatrice et la Révolution qui l’a suivie. Et permet au Président de réécrire l’histoire des relations franco-américaines.

Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron évoque les liens qui unissent la Révolution Française à l’histoire américaine. “Monsieur Trump, regardez votre histoire: c’est celle de la Fayette, c’est la nôtre”, déclarait-il déjà le 18 janvier 2017. L’évocation du marquis de La Fayette, qui appuya militairement l’indépendance américaine et fut un protagoniste important de la Révolution française, permet à Emmanuel Macron de suggérer une filiation idéologique entre ces deux événements, et plus largement une continuité historique entre le destin de la République Française et de la République américaine.

L’invitation de Donald Trump un 14 Juillet en France a été interprétée de la même manière par la presse française, qui se réjouit que les liens franco-américains soient célébrés de la sorte.

On oublie ici de dire que La Fayette, qui apporta un soutien militaire important aux révolutionnaires américains, s’opposa de toutes ses forces aux révolutionnaires français lorsque ceux-ci devinrent républicains. On oublie de rappeler que Louis XVI, qui envoya des 12.000 soldats français à la jeune République américaine pour la consolider face aux Anglais, finit par être décapité par les révolutionnaires français.

C’est que les deux révolutions, française et américaine, ne sont absolument pas comparables dans les principes qu’elles proclamèrent, les réalisations qui furent les leur et les forces sociales qu’elles mobilisèrent.

La République française proclamait en 1792 le suffrage universel. La Constitution de juin 1793 mettait en place certaines structures de démocratie directe. La Constitution américaine de 1776, quant à elle, laissait intact le suffrage censitaire dans de nombreux Etats. Elle instituait un régime représentatif, explicitement opposé à toute forme de démocratie directe ou participative. Les Pères Fondateurs des Etats-Unis se caractérisent par leur hostilité à la démocratie. Le peuple était pour eux un mineur politique, gouverné par ses passions, incapable de discerner ce qui était bon pour lui ; une “grosse bête“, pour reprendre l’expression du juriste Alexander Hamilton, l’un des rédacteurs de la Constitution américaine. Pour cette raison, le pouvoir devait appartenir à une élite, seule capable de gouverner; Madison, président américain, écrivait par exemple que le pouvoir devait être placé entre les mains des “plus capables“, des “chefs d’Etats éclairés“, des “hommes doués d’intelligence, de patriotisme, de propriétés et d’un jugement impartial“. L’historien Gordon Wood n’a pas tort d’écrire que la Constitution américaine est un texte “à caractère aristocratique, destiné à contenir les tendances démocratiques de l’époque” et à “exclure du pouvoir ceux qui n’étaient pas riches ou bien nés“.

La constitution américaine de 1776 a créé un régime ségrégationniste. ©jp26jp. Licence : CC0 Creative Commons.

La République française abolit l’esclavage le 4 février 1794 ; elle proclama l’unité du genre humain et mis fin, dans la loi, aux discrimination liée à la couleur de la peau. On sait que la Révolution américaine, au contraire, renforça ce que les révolutionnaires français nommaient “l’aristocratie de l’épiderme” ; elle fut, après tout, l’oeuvre de planteurs esclavagistes, les mêmes qui dans la France de 1794 furent jetés en prison…

La Révolution fut le théâtre d’un bouleversement social majeur: une réforme agraire radicale eut lieu en 1793, et les bases d’une société égalitaire furent jetées. Le processus d’indépendance américaine, au contraire, renforça le pouvoir des grands propriétaires terriens ; James Madison, “père fondateur” et quatrième président des Etats-Unis, fait part dans une lettre de son souci de protéger “la minorité des riches” des abus de la “majorité“…

Saint-Just. Avec Robespierre, il est l’une des grandes figures de la phase radicale de la Révolution française (juin 1793 – juillet 1794).©: purchased.  Rama. L’image est dans le domaine public.

On voit tout ce qui oppose ces deux événements, entre lesquels Emmanuel Macron voudrait pourtant établir une filiation. À la racine de ces différences, c’est une divergence de philosophie politique qui est à l’oeuvre. La Révolution américaine est le produit de la tradition libérale, alors que la Révolution française est issue de la pensée républicaine. D’un côté, c’est l’extension illimitée des droits individuels qui est promue; de l’autre, le bonheur collectif et la souveraineté populaire. Régis Debray, dans Civilisation, résume cette différence. D’un côté, la Révolution française proclame que “l’individu tire sa gloire de la participation volontaire à l’ensemble”. Au contraire, la révolution américaine, forte de sa tradition individualiste, proclame que “l’ensemble tire sa gloire du degré de liberté qu’elle laisse à l’individu”. “Il y avait du Locke et de l’Epicure chez Jefferson, de l’Aristote et du Rousseau chez Saint-Just. Chez l’un, une promesse de bien-être donnée à chaque individu ; chez l’autre, la mise à disposition des plébéiens (“les malheureux sont les puissances de la terre”) des moyens de vivre dans la dignité”.

Inviter Donald Trump en France un 14 Juillet équivaut à édulcorer le tremblement de terre que fut la Révolution française, à passer sous silence ce qui lui donna un si grand retentissement : la proclamation de la République, l’abolition de l’esclavage, la décapitation du roi, la redistribution des terres aux paysans. Et à gommer une partie essentielle de l’histoire de France.

Plus que de célébrer l’entrée en guerre des Etats-Unis, il est ici question, pour Emmanuel Macron, d’inscrire la Révolution de 1789, l’acte fondateur de l’identité politique française, dans une tradition atlantiste et libérale. Et de réaffirmer l’attachement indéfectible de la France au gouvernement américain. À l’heure où le gouvernement américain multiplie les déclarations impérialistes à l’égard de l’Amérique latine, les provocations en Asie du Sud-Est et la signature de contrats juteux avec les pétro-monarchies obscurantistes, faut-il vraiment faire preuve d’un anti-américanisme primaire pour regretter que la France s’aligne aussi parfaitement sur la vision du monde des Etats-Unis ?

Crédits photo : ©US Embassy France. Licence : l’image est dans le domaine public.

Réforme du code du travail : cachez cette pénibilité que je ne saurais voir

©jackmac34. Licence : CC0 Creative Commons.

Le Compte Personnel de Prévention de la Pénibilité (C3PP) est mort avant que d’avoir vécu, mais les salariés se verront généreusement accorder un “compte de prévention” par l’énième réforme du droit du travail. Cet acte symbolise jusqu’à l’absurde le mépris d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe pour le bien-être des ouvriers et des employés, les plus touchés par cette pénibilité (dont l’existence est niée jusque dans les mots), et plus largement, l’absence de réflexion approfondie sur le travail.

Le compte pénibilité avait été négocié dans le cadre de l’Accord National Interprofessionnel de 2013 , et était entré en vigueur il y a un an, en juillet 2016. Système à points, il dénombrait dix critères de risque induisant un départ plus ou moins anticipé à la retraite. Ces critères étaient les suivants : le caractère répétitif des tâches effectuées, le travail de nuit, la pollution sonore, le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, l’exposition à des agents chimiques dangereux, le travail exercé en milieu hyperbare (pression supérieure à la pression atmosphérique), les températures extrêmes et enfin le travail en équipes successives alternantes[1]. Ce système, encore jeune, nécessitait souvent des efforts de la part des entreprises – notamment pour quantifier le “taux” de pénibilité pour certains critères – mais il permettait de prendre en compte l’impact du travail sur la santé des salariés, particulièrement en fin de carrière (problèmes d’articulation, maladies, handicaps…). Surtout, il visait une démarche de prévention, en faisant payer les employeurs qui infligeaient à leurs salariés des conditions de travail pénibles.

Avec la réforme du travail, le “compte de prévention” ressemblera au compte de pénibilité, si ce n’est qu’il sera sévèrement amputé. Quatre facteurs de risque quittent le compte : le port de charges lourdes, les postures pénibles, l’exposition aux vibrations mécaniques et à des risques chimiques. Des facteurs dont les risques pour la santé sont pourtant difficilement contestables – hormis pour le Medef, qui réclamait de longue date le rabotage du dispositif. Avec ce projet, le gouvernement prend donc pleinement la direction voulue par l’organisation de Pierre Gattaz, qui dénonce la complexité de l’évaluation de tels risques. Pire encore, la contribution spécifique des employeurs concernés est abandonnée, et avec elle, la logique de prévention et de diminution de la pénibilité.

Mais, au delà des arguments du Medef (pour autant facilement réfutables : au lieu de supprimer des critères, ne pouvait-on pas les clarifier ?), se cache une tendance plus profonde chez Macron : celle de nier les aspects pénibles, douloureux du travail, qui concernent pourtant un grand nombre de travailleurs en France. Lors de sa campagne, le chantre de la “start-up nation” avait déclaré à propos de la pénibilité : “Je n’aime pas le terme, donc je le supprimerai. Car il induit que le travail est une douleur.” Curieux, pour un président qui, dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès, avait cité la fameuse formule de Lacan sur le réel, celui auquel “on se cogne”. Car la pénibilité du travail est une réalité pour des millions de salariés, tout comme la différence d’espérance de vie entre les ouvriers et les cadres (à 35 ans, un homme cadre peut espérer vivre jusqu’à 84 ans, contre 77,6 ans pour un ouvrier selon l’Insee). Le refus de se confronter à cette réalité est révélateur de la vision macronienne du monde : une vision qui exclut les plus faibles et renonce à améliorer leurs conditions de vie, qui n’accepte de réfléchir au travail que dans sa dimension entrepreneuriale et managériale. A l’inverse, l’alternative à Macron ne pourra pas faire l’économie d’une vision du travail issue d’une réelle réflexion sur sa nature, son organisation et les souffrances qu’il peut engendrer.

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[1] Site officiel du compte personnel de prévention  de la pénibilité

Emmanuel Macron et « les gens qui ne sont rien » : plus qu’un dérapage, une vision du monde

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©Jeso Carneiro

[EDITO] Si à 30 ans t’as pas monté ta start-up, t’as raté ta vie. C’est en substance le message délivré par Emmanuel Macron jeudi dernier, lors de l’inauguration de la Station F, un gigantesque incubateur de start-up installé dans la halle Freyssinet, anciennement rattachée à la gare d’Austerlitz.

Aux côtés de la maire de Paris Anne Hidalgo et de Xavier Niel, patron de Free, le président de la République s’est adressé à un parterre de jeunes entrepreneurs particulièrement enthousiastes. Après avoir comparé sa propre ascension politique à la trajectoire d’un chef d’entreprise qui aurait réussi seul contre tous, il rend un vibrant hommage aux entrepreneurs et aux investisseurs, destinés selon lui à « écrire les prochaines pages de la planète ». Puis survient la séquence polémique : « vous aurez appris dans une gare. Et une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent, et les gens qui ne sont rien ».

« Les gens qui ne sont rien ». Certains y voient un malheureux dérapage, d’autres y perçoivent à juste titre la marque d’un mépris de classe plus qu’évident. Mais cette sortie est avant tout l’énième expression d’une vision du monde, qui irrigue l’ensemble du projet politique du président de la République. L’imaginaire politique d’Emmanuel Macron oppose constamment les « statuts » à la « mobilité ». Le marcheur en chef fustige ce qu’il considère comme une société figée, sclérosée par des règles et des « assignations à résidence » qui privent les individus de toute ascension sociale. En contrepoint, il en appelle à la construction d’une société de projets, composée d’individus flexibles et mobiles, encouragés à prendre leur risque, à tenter leur chance.

Son projet politique se donne donc pour objectif de dépoussiérer un grand coup la société française afin de permettre à chacun de s’élever dans l’échelle sociale. Ou plus exactement de permettre à chacun d’essayer. Car la vision du monde d’Emmanuel Macron est fortement guidée par l’illusion méritocratique, pierre angulaire du libéralisme politique, qu’il rebaptise lui-même en « élitisme ouvert et républicain ». Sa matrice ? L’égalité des chances, aussi appelée égalité des opportunités : dans la vie, chacun doit démarrer sur une même ligne de départ. C’est ensuite la compétition, aussi féroce soit-elle, qui départagera les individus dans l’accès aux plus hautes fonctions et légitimera ainsi les inégalités sociales. Le mythe de la concurrence pure et parfaite si prisé des économistes néo-classiques est en quelque sorte plaqué sur le monde social.

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Macron à la French tech night CES 2016 ©C.Pelletier

Cette feuille de route, Emmanuel Macron la résumait en novembre 2015, à l’occasion de la 5ème Université des Gracques : « cette mobilité sociale, c’est-à-dire cette capacité à redonner des opportunités, des perspectives, en acceptant que tout le monde ne les saisira pas, donc que tout ne le monde ne réussira pas, mais en s’assurant que toutes celles et ceux qui avaient la possibilité de le faire ou la volonté de le faire auront eu la chance d’y arriver ».

Dans les propos d’Emmanuel Macron, la réussite sociale est toujours appréhendée à l’aune de l’enrichissement matériel par l’entrepreneuriat. Sa conception de l’égalité se limite à l’égale liberté pour chaque  individu de devenir entrepreneur. Et tant pis pour lui s’il ne se lève pas chaque matin avec l’ « amour du risque » et l’envie frénétique de se ruer dans une pépinière d’entreprises. S’il tente sa chance et que le business fructifie, il aura réussi. S’il la saisit mais qu’il échoue, il aura au moins eu le mérite d’essayer. Mais s’il n’essaie pas, alors il n’est rien, et qu’il ne s’avise pas de mettre les pieds dans une gare, au risque de devoir croiser les regards condescendants de « ceux qui réussissent ». On connaissait déjà le concept d’ « assistanat », volontiers employé à droite pour stigmatiser les demandeurs d’emploi et les bénéficiaires de prestations sociales. Emmanuel Macron invente quant à lui le dénigrement de ces médiocres salariés qui n’ont pas eu le cran de se lancer dans la fabuleuse aventure entrepreneuriale.

Cette vision du monde ne poserait pas tant de problèmes si elle ne prétendait pas imposer à l’ensemble de la société les désirs d’une petite fraction de celle-ci qui aspire, légitimement, à s’engager dans la voie de l’entrepreneuriat. Alors que la majorité sociale, quant à elle, souhaite avant tout pouvoir vivre dignement de son travail et s’épanouir dans l’ensemble des sphères de vie, sans embrasser avec un enthousiasme béat l’utopie de la « start-up nation ». N’en déplaise aux hérauts de l’uberisation forcenée, les salariés représentent encore près de neuf actifs sur dix en France. Seulement, l’extension de l’insécurité sociale et la précarisation accrue des jeunes Français sont précisément le terreau sur lequel cherche à prendre forme la société qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux. Uber, Deliveroo et autres plateformes de l’économie dite « collaborative » ne rencontreraient probablement pas le même succès si la condition salariale et les perspectives d’insertion sur le marché de l’emploi ne s’étaient pas considérablement dégradées ces dernières années, voire ces dernières décennies. Si l’on en croit le récit politique d’Emmanuel Macron, la précarité est un état de fait, une donnée naturelle à laquelle l’individu ne peut espérer échapper qu’en prenant son destin en main, en « osant », en « prenant des risques ».

Enfin, cette vision du monde ne serait pas si problématique si elle n’imprégnait pas aujourd’hui les plus hautes sphères de l’Etat, d’ores et déjà phagocytées par les pratiques et la novlangue managériales. Elle devient destructrice lorsqu’elle se matérialise dans la conduite des politiques publiques. La future Loi Travail, avec sa probable remise en cause du CDI et la facilitation annoncée des licenciements, ne manquera pas d’en fournir un douloureux exemple. Elle contribuera à laisser davantage sur le carreau ceux qui n’ont pas eu le courage de « prendre des risques » et ont eu le « malheur » de se contenter de leur modeste condition salariale. Ceux qui, aux yeux d’Emmanuel Macron, ne sont rien, alors qu’en réalité, ils sont tout.

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Trump, une aubaine pour les hypocrites environnementaux

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L’indécence environnementale du président américain a été unanimement condamnée. Mais les donneurs de leçons sont pourtant loin d’être exemplaires  en la matière.

La décision du président américain Donald Trump de retirer les Etats-Unis de l’accord de Paris a été reçue comme par beaucoup comme un nouvel exemple du mépris total de la Maison Blanche actuelle pour l’environnement. Pourtant, après ses déclarations climatosceptiques durant la campagne, la nomination de Rex Tillerson, ex-PDG d’Exxon-Mobil, la plus grosse multinationale pétrolière mondiale, comme chef de la diplomatie et les déclarations d’amour de Trump à l’industrie du charbon, sa récente décision n’est finalement que l’officialisation d’une ligne politique déjà claire depuis des mois. En justifiant sa décision par le coût pour le contribuable américain de la participation au fonds de 100 milliards à l’attention des pays en développement, Trump joue sur les peurs du “petit peuple” américain, notamment dans la “Rust Belt”, pour mieux faire oublier les multiples affaires et les nombreux renoncements à ses promesses.

Cette annonce surmédiatisée a fait réagir au quart de tour les grands de ce monde, jouant les vierges effarouchées devant une fausse surprise. Le président français Macron, le Premier Ministre canadien Trudeau, le président de la commission européenne Juncker, l’ancien maire de New York Michael Bloomberg, les PDG de la Silicon Valley y sont allés de leurs petits commentaires. Évidemment, leur confiance dans le respect réel de l’accord de Paris était limitée, mais ils ne pouvaient pas manquer d’afficher leur appui à cet accord historique… d’autant que leurs choix politiques en la matière sont loin d’être excellents.

Ainsi, personne n’a rappelé l’absence de l’écologie comme thème de débat entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, pas plus que la volonté de rouvrir des mines de ce dernier. M. Trudeau, déjà haut classé dans les rangs des greenwashers, est lui en pleine bataille contre le gouvernement de Colombie Britannique pour faire passer un méga-pipeline. L’UE, jamais en retard dans le domaine du dumping, l’est beaucoup plus quand il s’agit de réformer le marché des permis d’émissions de carbone ou de sanctionner les fraudes liées au “Dieselgate”. M. Bloomberg, patron de presse milliardaire et ancien maire de New York, a certes mené un certain nombre d’efforts durant ses 3 mandats, mais sa politique de gentrification exacerbée a accentué l’exil forcé des working poors en dehors du centre de la métropole, conduisant à l’augmentation de trajets pendulaires engorgeant les axes de circulation et augmentant la pollution. Preuve que l’écologie est indissociable des questions socio-économiques dans le long-terme. Enfin, en ce qui concerne les multinationales, leur rôle est évidemment essentiel et le recours accru aux énergies renouvelables par les géants du web est positif, mais leur évasion fiscale colossale grève les etats et les collectivités des ressources nécessaires pour mener bien des projets.

Une fois encore, les meilleurs élèves en matière d’environnement sont ceux que l’on entend le moins. L’Equateur a produit 85% de son électricité par des énergies renouvelables en 2016 et compte atteindre 90% cette année. Le Costa Rica est même monté à 98% l’an dernier, tandis que ses forces armées se limitent à 70 hommes. L’occasion de rappeler que les maigres économies dégagées par le retrait des accords de Paris par Trump ne suffiront pas à financer les 54 milliards de dollars supplémentaires dévolus à l’armée américaine dans le budget de l’année prochaine…

Pour sa part, Nicolas Hulot aura quant à lui fort à faire face à la politique tout sauf écologique d’Emmanuel Macron, d’autant plus que la France régresse à de nombreux niveaux: le solaire photovoltaïque progresse de moins en moins, la filière éolienne a été bradée à l’Espagne et aux Etats-Unis sous le mandat Hollande et la réduction de la part du nucléaire prévue est quasi irréalisable. Sans oublier les retards de paiement des aides à la conversion à l’agriculture biologique, la multiplication des grands projets inutiles et tant d’autres dossiers.

De manière malheureusement peu surprenante, le système médiatique a, dans sa grande majorité, avalisé cette distribution des rôles simpliste et mensongère entre “méchants” et “gentils” du changement climatique, alors même que son rôle serait de déconstruire les postures et de décerner les hommages aux méritants. À l’heure du règne du marketing, la décision de Trump, homme gras de 71 ans incarnant à merveille les caricatures les plus répandues sur “l’américain moyen”, est une occasion en or pour tous les irresponsables environnementaux de mener une grande opération de greenwashing en affirmant haut et fort leur attachement à un accord qu’ils ne respecteront pas non plus. Non seulement cette décision ne devrait pas contribuer significativement à relancer l’emploi dans les bassins de charbon des Appalaches, mais elle risque surtout d’accroître le retard déjà important des Etats-Unis dans la transition écologique. Plus que tout, il serait temps de ne plus en profiter pour jouer le jeu des hypocrites environnementaux.

 

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Climat : Trump s’en lave les mains

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Trump dit au monde d’aller se faire voir. Pluie de condamnations internationales. La poignée de main de Macron n’aura pas suffi à le convaincre. Il avait pourtant serré si fort ! Sa décision de dénoncer l’Accord de Paris est en cohérence avec ses promesses de campagne. Pour autant, est-il l’unique coupable ?

    Des paramètres environnementaux catastrophiques

On n’aura de cesse de répéter que les signaux environnementaux sont alarmants. A tel point que les scientifiques en sont dépassés. La presse a déjà mentionné la fonte vitesse éclair des glaces des pôles et ses corollaires : montée du niveau de la mer, modification des températures océaniques et fonte du pergélisol qui libère des gaz (méthane notamment) qui risquent d’accélérer le réchauffement global. La température des villes pourrait d’ailleurs augmenter de 8 degrés, et les premiers symptômes sont déjà remarquables. Le week-end de l’Ascension, la France a vécu ses jours de mai les plus chauds depuis 70 ans. Et comme dans un écosystème tout est lié, le corail s’en trouve aujourd’hui au plus mal. Il semblerait que son « plan de sauvetage » soit tout bonnement inenvisageable. La Grande barrière australienne de corail a vécu sa plus grande période de blanchissement. 30% des coraux de surface sont déjà à l’agonie. Le corail, habitat et nourriture de base des poissons ; poissons eux-mêmes nourriture des hommes. Plus de corail, plus de poissons. Plus de poissons … Rien d’une bagatelle. L’accord de Paris, signé par 194 autres pays en décembre 2015, vise à contenir la hausse de la température moyenne mondiale en deçà de 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle. Le retrait des Etats-Unis de cet accord va-t-il réellement aggraver ce qui est déjà catastrophique ?

Un protectionnisme à l’américaine

Cet accord aurait selon Trump « moins trait au climat qu’aux intérêts financiers défavorables aux USA. » Le président des Etats-Unis a dénoncé des conditions d’accords qui placeraient son pays en position de faiblesse économique et de « désavantage concurrentiel » vis-à-vis des autres Etats. Son discours a été une longue litanie des injustices qu’il prétend subir. Premièrement, d’après lui, cet accord obligerait les Etats-Unis à se détourner de l’exploitation d’un certain nombre de ressources naturelles ; ressources qu’il considère comme propriété nationale. Les scientifiques ont en effet estimé que pour stopper radicalement les effets du changement climatique, il faudrait laisser dans le sol 80% des ressources fossiles de la planète. Mais c’est bien connu, le concept de réchauffement climatique a été créé par et pour les Chinois dans le but de rendre l’industrie américaine non compétitive. Deuxième point, le refus d’un déploiement d’une aide financière et technologique massive aux pays en développement par les pays principalement responsables du changement climatique par leurs activités. Belle solidarité que de tirer à boulets rouges sur le système de « Fond vert » d’aide à la lutte contre le réchauffement climatique.

“Le concept de réchauffement climatique a été créé par et pour les chinois dans le but de rendre l’industrie américaine non compétitive.”

Le principe fondamental de l’Accord de Paris est celui de la « responsabilité différenciée ». Et c’est bien tout ce qui gêne Donald Trump. Citant la Chine et l’Inde comme principaux concurrents, Trump a déploré la baisse inévitable de la production dans des secteurs clés de l’économie américaine (ciment, fer, acier, charbon, gaz naturel) en cas d’application des accords de Paris. En effet, les principaux pays pollueurs s’étaient engagés à limiter leurs émissions de GES selon des barèmes différents, fonction de leur développement historique, et de la structure de leurs économies. Et cela ne passe pas pour Monsieur le Président. Son objectif ? Le retour de la croissance américaine, des emplois pour tous les citoyens. Cet accord auquel il renonce représente selon lui de nombreux risques, en termes de coût pour l’économie nationale, de qualité de vie et de pertes d’emplois. De pannes d’électricité même ! Ces considérations apocalyptiques lui ont été soufflées par un think thank climato-sceptique bien connu, le National Economic Research Associates (NERA), sponsorisé par des lobbies conservateurs (American Council for Capital Formation et la US Chamber of Commerce) dont l’objectif est de balayer toute régulation environnementale. Un tel discours arriéré frôle la démagogie en occultant la transition énergétique et sa création d’emplois. En effet, si certains secteurs risquent de péricliter, la conversion de l’économie dans des secteurs soutenables tels que les énergies renouvelables n’est-elle pas possible ? Il ne tient qu’aux gouvernements de former ses travailleurs et d’investir dans des secteurs de transition.

Ce protectionnisme nationaliste tissé de mensonges n’est pas une surprise, il est en cohérence avec son programme. Mais sa décision est une insulte aux populations précaires qui ont subi et continuent de subir de plein fouet les effets des politiques de compétitivité et de concurrence internationale. Trump pense défendre l’Amérique défavorisée, celle de Pittsburgh,  qui fut longtemps un haut lieu de la sidérurgie mondiale et des chemins de fer, frappée de plein fouet par la désindustrialisation. Mais ils ne sont pas tant à blâmer que ceux que Trump protège réellement par sa décision politique, à savoir les multinationales qui sous couvert du retour à l’âge d’or du plein-emploi prennent à la gorge les habitants. L’industrie des gaz de schiste et ses arnaques en sont la preuve. Dans cette même région pauvre de l’Amérique, d’après Bastamag, 70% des propriétaires qui ont cédé les droits sur leur sous-sol à l’industrie du gaz de schiste se trouvent lésés.[1] Ainsi, nombreux sont les habitants qui soupçonnent les firmes pétrolières de la région de sous-déclarer les quantités de gaz et de pétrole qu’ils tirent du sol afin de baisser les redevances qui leurs sont dues (royalties). Véritable business que ces droits de forages, et cataclysme écologique, sur le dos des mêmes travailleurs que Trump prétend défendre.

Trump VS le reste du monde

L’annonce de la sortie des accords de Paris par Trump est reçue par la scène internationale comme une décision grave. Elle fait l’objet de condamnations multiples. Tout d’abord au sein de son propre pays. Ainsi, un certain nombre de grands patrons américains dont Tesla se sont dit inquiets. Le risque de ce retour au charbon est évidemment la perte de leadership que pourraient subir les Etats-Unis face à l’Europe et à la Chine en matière d’innovation énergétique. Selon un sondage réalisé par Yale, seulement 28 % des électeurs de Trump souhaitaient la sortie de cet accord.[2] Les Américains prennent-ils leur distance vis-à-vis du programme de leur Président ? De nombreuses personnalités américaines se sont indignées, parmi lesquelles Michael Moore, le réalisateur engagé contre le changement climatique, qui a tweeté un furieux : “USA to Earth : Fuck you”. 

Attac pointe par ailleurs les faiblesses intrinsèques de l’accord qui ne contient aucun aspect contraignant ni sanction. Avant même de contrevenir à l’accord, les Etats-Unis s’y soustraient sans efforts. Chaque Etat peut d’ailleurs y déroger à l’envi. Porte ouverte à l’impunité éternelle des écocides ? En plus d’être considéré par beaucoup d’écologistes comme comportant des objectifs climatiques et des moyens d’y parvenir insuffisants, l’accord de Paris ne donne aucun pouvoir aux institutions, aux Etats, ou encore aux citoyens de poursuivre les Etats qui ne le respecterait pas. Quand le FMI et l’OMC peuvent imposer des conditions économiques mortifères à des pays qui ne respectent pas leurs règles du jeu, un homme seul peut balayer des mois de négociations environnementales d’un revers de main. Si Trump risque de fait de mettre les Etats-Unis au ban de la diplomatie internationale, force est de constater qu’il est toujours plus facile de taper sur un individu isolé qui refuse d’emboîter le pas d’une dynamique collective, quand bien même mauvaise soit-elle. Cette sortie de piste est un déni de réalité climatique, mais également un déni de l’humanité et de son sort collectif. Pour autant, le petit jeu de l’indignité internationale sonne faux. En effet, les Etats signataires reconnaissent eux-mêmes l’insuffisance des dispositions de l’accord. Par ailleurs, il ne rentrera pas en application avant 2020 et les premiers réajustements sont prévus pour 2023. Et surtout, les conditions de sortie définitive de l’accord par les Etats-Unis restent floues.

            Droit dans le mur, avec ou sans les Etats-Unis

Si les déclarations sont navrantes, faire de Trump un bouc-émissaire ne ferait que nous détourner de la responsabilité du système économique tout entier auquel nous prenons part. Faut-il rappeler que le G7, réunissant les pays économiques les plus importants, n’a pas cru bon de discuter du climat ? Le Président de la Russie, responsable à elle seule de 8% de l’émission des GES, a été reçue en grande pompe à Versailles par Emmanuel Macron. Pourtant, les discussions se sont focalisées sur le terrorisme, cause jugée primordiale par notre président. Quid du changement climatique comme facteur aggravant du terrorisme ? S’il n’en est pas la raison exclusive, cela revient à souffler sur un brasier. A titre d’exemple, à cause du réchauffement climatique, le Lac Tchad a considérablement perdu de sa superficie. Les ressources en poissons, indispensables à la survie et à l’économie des populations locales s’amenuisent. Autant de malheureux jetés sur les routes à la recherche d’une vie meilleure. Autant d’individus désœuvrés qui peuvent rejoindre les rangs de Boko Haram, qui terrorise la région ; du moins constituer un terreau fertile à des déstabilisations sociales. Plutôt que de traiter les conséquences, ne devrait-on pas prévenir les causes ?

L’Europe regrette une « grave erreur » de la part de Trump et lui oppose déjà une fin de non-recevoir. L’accord de Paris ne sera pas renégociable. Mais que Trump ne soit pas l’arbre qui cache la forêt. Cet accord, au-delà du Fond vert de solidarité internationale, n’a jamais entendu infléchir le modèle économique à l’œuvre, basé sur un modèle productiviste, et entier responsable des dégâts irréversibles en cours. Quelle différence au fond entre un président américain qui entend conserver les emplois à l’échelle nationale dans l’industrie, et une Europe qui utilise l’écologie comme nouveau tremplin de croissance économique ? Pour se justifier, Trump a ainsi affirmé que les américains « seront écologiques mais ne mettrons pas en danger la croissance du pays. » L’Union Européenne parle elle de croissance verte, avec pour fer de lance les traités de libre-échange avec les USA (TAFTA) et le Canada (CETA), autre grand champion de l’exploitation des ressources fossiles. Soyons clair, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un capitalisme qui n’a de vert que le nom, avec l’écologie comme prolongement d’une guerre économique sans merci.

Macron, ou le leadership des faux-semblants

Au fond, le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris n’est qu’une goutte d’eau si le système lui-même n’est pas remis en question. Beaucoup de monde pour dénoncer Trump, mais qui pour mettre en avant le Nicaragua, qui a refusé de signer car jugeant l’accord trop peu ambitieux ? Par ailleurs, si l’Etat ne s’engage pas, plusieurs villes américaines ont déjà annoncé qu’elles mettraient en place une alliance pour le climat. Les gouverneurs démocrates des Etats de New York, de Californie et de Washington ont ainsi annoncé qu’ils s’engagent à “atteindre l’objectif américain de réduction de 26 à 28 % des émissions de gaz à effet de serre. » De nombreuses villes s’étaient déjà engagées à un objectif de 100 % d’énergies renouvelables. La Nouvelle Orléans, Los Angeles, New York ou encore Atlanta entendent poursuivre dans ce sens.

Le vrai sens critique à conserver doit se porter sur les positionnements emplis de faux-semblants de dirigeants européens qui vont sauter sur l’occasion pour verdir leurs intentions. En premier lieu, Emmanuel Macron qui dans un discours ému et empreint de solennité a souhaité conquérir le leadership abandonné par Donald Trump. Il a dénoncé une « faute pour l’avenir de notre planète », plagiant au passage une belle citation de l’ancien secrétaire général des Nations Unies : « Il n’y a pas de plan B car il n’y a pas de planète B ». Effectivement, il n’y a pas de planète B. C’est bien pour cela que nombreux sont ceux qui s’insurgent et luttent contre tous les symptômes, à commencer par les projets démesurés, inutiles et nocifs au nom du plein-emploi et de la croissance. Qu’Emmanuel Macron parade sur la scène internationale, soit. Mais qu’il n’oublie pas que son propre programme entend pérenniser le nucléaire et le diesel. Qu’il souhaite renouer avec la croissance en utilisant l’environnement comme tremplin à l’image de son soutien aux accords CETA et TAFTA. Et que dire des Cars Macron ? Non, le dogme Croissance-Productivité-Compétitivité n’est pas compatible avec une lutte contre les grandes perturbations environnementales. Il en est la cause. A trop vouloir produire, extraire, exploiter tant et tant de ressources, à trop louer les mérites d’une compétition commerciale internationale, notre propre existence est menacée. Make our planet great again. En nous inquiétant d’abord de la politique environnementale française à venir, menée par un Nicolas Hulot plein d’entrain mais cerné par un premier ministre ex-AREVA et une ministre du Travail ex-Business France.


[1] L’Amérique défavorisée, proie de l’industrie des gaz de schiste, de ses pollutions et de ses escroqueries, Bastamag, 13 janvier 2016

[2] Donald Trump quitte l’accord de Paris, la résistance s’organise, Reporterre, 2 juin 2017

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Bruno Le Maire, un ultra-libéral décomplexé à l’économie

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Bruno le Maire © Aron Urb (EU2017EE). Estonian Presidency. Licence : Creative Commons Attribution 2.0 Generic license.

Bruno Le Maire, député LR de l’Eure et candidat déçu de la primaire de la droite et du centre en 2016, a été nommé ce mercredi 17 Mai au ministère de l’économie par Emmanuel Macron. Si les tweets contre le Mariage pour Tous de Gérald Darmanin, nouveau ministre de l’Action et des Comptes publics, et la nomination d’une ancienne DRH proche des milieux patronaux au Ministère du Travail ont beaucoup fait réagir et à raison, la nomination de Bruno Le Maire à Bercy est restée peu ou pas commentée. Plus que le symbole de la véritable ligne politique et économique de droite d’Emmanuel Macron, la vision qu’à Bruno Le Maire de l’économie et du monde du travail a de quoi nous inquiéter.

Cap sur le modèle antisocial allemand

En 2011 dans un entretien accordé aux Inrocks, alors qu’il était Ministre de l’Agriculture de François Fillon, Bruno Le Maire s’insurgeait contre l’idée que la France puisse prendre le tournant du fameux « modèle allemand ». Il répondait alors aux attaques du Parti Socialiste qui accusait le gouvernement dont il faisait partie d’en prendre la voie. Bruno Le Maire pointait alors lui-même les incohérences et les conséquences du modèle allemand : « [Cela] ne veut pas dire adopter le modèle allemand, qui a de gros défauts : une population active avec beaucoup de travailleurs pauvres ; l’absence de salaire minimal. Tout cela n’est pas acceptable pour nous. ». Chose rare, puisque de Nicolas Sarkozy en 2012 à François Fillon en 2017, cette droite patronale a eu à cœur d’ériger le modèle allemand en solution pour sauver le pays du marasme économique.

Même s’il a pu réfuter cet engagement sur la voie du modèle allemand, la famille politique de laquelle il est issu, mais aussi et surtout le programme qu’il a dévoilé dans le cadre de la primaire de la droite et du centre fin 2016 ne laissent aucun doute. En plus de dire sans le moindre complexe qu’il « rigole » quand on lui parle du modèle social français, il a aussi avancé des mesures qui rappellent à s’y méprendre le « modèle » qui sévit outre-Rhin : il proposait des mini-jobs pour une maxi-précarisation . Bruno Le Maire mettait ainsi en avant les mal nommés « emplois-rebonds », des contrats précaires d’un an non-renouvelables, rémunérés 5€ nets de l’heure, pour une durée de travail maximale de 20h par semaine soit une rémunération de 433€ nets par mois.

Si on ajoute aux propositions de Bruno Le Maire la démarche de Macron qui prône l’ubérisation de la société, c’est-à-dire la rémunération à la tâche, sans protection ni droits sociaux, en bref un retour au monde du travail du XIXè siècle : oui, on peut l’affirmer, le nouveau gouvernement a mis le cap sur un modèle profondément antisocial.

Céder aux demandes du grand patronat

Non content de vouloir créer de nouvelles formes de contrats précaires, Bruno Le Maire est aussi le candidat parfait pour répondre aux exigences du grand patronat, il n’est donc pas très étonnant de le retrouver dans le gouvernement d’un nouveau président adoubé par le MEDEF.

En effet il s’était déjà prononcé en faveur d’un dialogue social à sens unique. Dans son programme de candidat à la primaire de la droite et du centre Bruno Le Maire dénonçait les « blocages par les syndicats », citant les grèves à la FNAC contre la mise en place du travail le dimanche, ou le passage aux 39h payées 37 chez Smart, pourtant obtenues d’une courte majorité par la direction de Smart au prix d’un odieux chantage à l’emploi. C’est donc ce modèle de dialogue social que promeuvent non seulement Bruno Le Maire, mais aussi Emmanuel Macron et le MEDEF. La loi travail prévoyait déjà ce genre de consultations d’entreprise sur le temps de travail, court-circuitant ainsi les syndicats et instaurant un rapport de force inégal entre patronat et salariés. Avec la nouvelle loi travail que le nouveau gouvernement espère faire passer par ordonnance cet été, il y a fort à parier que ce genre de dispositifs seront étendues.

Autre point d’accroche entre Bruno Le Maire et les attentes patronales : la baisse des charges des entreprises. Bruno Le Maire annonçait déjà dans son programme de candidat vouloir baisser l’impôt sur les sociétés pour un manque à gagner pour l’État de 5 milliards d’euros, mesure qu’il partage avec le programme défendu par Emmanuel Macron pendant la présidentielle. Mais plus important Bruno Le Maire s’était annoncé favorable tout comme le nouveau président à une pérennisation du CICE en une baisse des charges des entreprises. À toutes fins utiles rappelons que le CICE, mis en place pendant le quinquennat de François Hollande, a coûté 48 milliards à l’État en faveur des entreprises, sans avoir pourtant permis la création d’emplois qui étaient annoncées.

Enfin, dernier point de convergence et non des moindres entre Bruno Le Maire et Emmanuel Macron : baisser la fiscalité sur la finance en baissant la taxation sur les plus-values et les dividendes. Cette mesure qui figurait aux programmes de Bruno Le Maire et d’Emmanuel Macron va dans le sens d’une baisse de la fiscalité pour les actionnaires, en dépit de la bonne santé de la bourse. Pas étonnant donc que le CAC 40 se soit envolé après l’arrivée d’Emmanuel Macron en tête au premier tour de l’élection présidentielle !

Avec Emmanuel Macron, le socialiste de Schröedinger, à la tête de l’État nous assistons aujourd’hui à une recomposition presque consensuelle autour de lui de tous les néolibéraux du Parti Socialiste et de la droite conservatrice traditionnelle. Une recomposition hors du clivage gauche/droite traditionnel et qui est dangereuse sur le plan social avec l’offensive programmée contre les droits sociaux, ainsi que sur le plan politique avec une stratégie assumée de faire de Marine Le Pen la principale adversaire et peut-être la future cheffe de l’opposition.

Crédits : Bruno le Maire © Aron Urb (EU2017EE). Estonian Presidency. Licence : Creative Commons Attribution 2.0 Generic license.

 

Politique occidentale : vers la tripartition ?

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© Gymnasium Melle . Licence : Creative Commons Attribution 2.0 Generic license. © mélenchon.fr © Presidencia de la Republica mexicana. Licence : Creative Commons Attribution 2.0 Generic license.

Malgré la très mauvaise image de l’activité politique au sein des populations, c’est bien celle-ci qui s’apprête à se réorganiser en profondeur pour absorber les turbulences actuelles. Si la crise politique occidentale actuelle est porteuse d’un vent « dégagiste », la politique, avec un grand P vit un retour impressionnant de rapidité et de violence. Il y a quelques années encore, la « fin de l’histoire » et la mondialisation heureuse semblait guider l’ordre politique mondial, et de conflits d’idées, voire d’idéologies, il n’y aurait plus. 

Aussi profonde que soit la crise politique, elle n’en est encore qu’à ses débuts et les difficultés à former des gouvernements seront encore présentes aussi longtemps que le décès des formations bipartites traditionnelles ne s’est pas achevé. Toutefois, chaque crise finit par un dénouement et aujourd’hui, 3 grands courants idéologiques, conjuguant chacun le populisme de sa propre façon, sont en train de se former pour prendre la relève.

« Radicalisation » des forces libérales

C’est sans doute le courant politique que l’on attendait le moins, tant les logiques néolibérales régissent déjà notre planète. Si le libéralisme économique règne d’ores-et-déjà presque partout, ce sont souvent des formations politiques de centre-droit ou de « troisième voie » autrefois de gauche qui l’ont mis en place. La nouveauté actuelle réside plus dans l’émergence, ou la réémergence de courants authentiquement libéraux, voire de plus en plus orientés vers le libertarisme.

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Justin Trudeau, premier ministre libéral du Canada. © Joseph Morris. Licence : Attribution-NoDerivs 2.0 Generic (CC BY-ND 2.0)

L’un des grands atouts de ces forces libérales est d’avoir assez peu gouverné ces dernières années, bien que leur programme économique soit largement repris ailleurs dans le spectre politique. Le cas des Liberal-Democrats britanniques, ayant gouverné avec David Cameron de 2010 à 2015 est un bon contre-exemple. Cet argument est loin d’être mineur, à l’heure où les partis et les responsables politiques traditionnels sont plus discrédités et haïs que jamais. La lutte contre la corruption et l’accroissement de la transparence tiennent d’ailleurs une place importante dans les programmes libéraux, notamment dans celui de Ciudadanos en Espagne. La jeunesse et la supposée fraîcheur des leaders est également importante dans l’attrait qu’il suscite. Il suffit de penser à Albert Rivera, 37 ans, Emmanuel Macron, 39 ans ou même aux 45 ans de Justin Trudeau.

L’autre grande force de ces mouvements est d’allier le libéralisme moral ou culturel à l’économique, aidant en quelque sorte à faire passer la pilule. La mobilité des individus, la dépénalisation ou la légalisation des drogues, la bienveillance à l’égard du multiculturalisme, la reconnaissance et la protection des droits des minorités sont ainsi défendues clairement. Ici, le meilleur exemple venant à l’esprit est bien sûr celui de Justin Trudeau, télégénique premier ministre du Canada, ayant promis la légalisation de la marijuana, participant à la Gay Pride, accueillant déjà plus de 40.000 réfugiés syriens et ayant formé un gouvernement paritaire et pluriethnique.

L’influence du « capitalisme californien » y est particulièrement forte, en lieu et place d’un Wall Street trop discrédité. Le vocabulaire et les pratiques de la Silicon Valley sont en effet omniprésents : « l’innovation » fait l’objet d’un culte absolu, les codes de la communication de l’ère digitale sont parfaitement maitrisés (jusqu’aux messageries instantanées durant les meetings de Macron), l’entreprise y est décrite positivement (Google, Apple, Facebook, Tesla ne font-ils par rêver ?) et l’uberisation de tout est associée à un progrès. D’ailleurs, certaines personnalités publiques du monde de l’entreprise high-tech se positionnent de plus en plus en potentiels candidats, tel Mark Zuckerberg.

Parfois affublés du qualificatif « d’extrême-centre », qui ne fait pas l’unanimité en raison de leur nature syncrétique, ces formations ont appris à exploiter le populisme pour leurs intérêts, en rejetant tout amalgame avec les conservateurs et les anciens partis de gauche schizophrènes, en s’opposant systématiquement à la corruption et en jouant sur leur image « neuve ». Ce populisme libéral s’est construit sa propre centralité en opposant clientélisme, immobilisme, arriération et dynamisme, multiculturalisme et un supposé « progressisme ». Cela correspond typiquement aux lignes éditoriales de The Economist, de Les Echos ou de Vox.

En fait, le projet civilisationnel porté par ces nouveaux mouvements n’est ni plus ni moins que l’absolutisation de l’individualisme et de l’utilitarisme. Parfois décrite comme une « société liquide » ou une « société d’image » remplie d’interactions toutes plus superficielles les unes que les autres, la recherche de l’aboutissement de la « concurrence pure et non faussée » ne manquera pas d’achever le remplacement d’une solidarité organique, locale et traditionnelle par une solidarité mécanique mondialisée faite d’écrans, d’applications en tout genre et d’automatisation généralisée.

L’électorat de ces libéraux next-gen est avant tout constitué des gagnants de la mondialisation, bien éduqués, parfois expatriés, métissés et très majoritairement urbains. Ils voient dans l’Union Européenne un organisme qui facilite leurs déplacements, professionnels comme touristiques, et fond les « marchés » et les cultures nationales dans une grande soupe, riche de « flexibilité ». A ceux-là, la violence du modèle économique libéral à l’égard des « autres » n’émeut pas, ou plutôt est invisible, loin de leurs métropoles, de leurs écrans et de leurs pratiques hipster.

La nouvelle droite radicale au plus haut

Le populisme de droite radicale est une réalité de plus en plus incontestable dans de nombreuses démocraties occidentales, mais pas que. Le désenchantement du passage au libéralisme économique et de l’entrée dans l’UE de nombreux pays de l’ancien bloc de l’Est, associé à la discréditation encore fraîche de l’expérience communiste, a nourri une poussée d’extrême-droite que personne n’avait senti venir : PiS en Pologne, la Fidesz en Hongrie et toute une nébuleuse de mouvances nationalistes dans les autres pays.

Le clivage discursif utilisé par la droite radicale est simple : les nationaux, bons petits travailleurs et contribuables, se font rouler dans la farine à la fois par les immigrés, légaux comme illégaux, qui « profitent du système » et apporte l’insécurité, et par les pays étrangers ou institutions supranationales. La subtilité des nouveaux populistes de droite est également de récupérer un certain nombre de critiques de la gauche traditionnelle, à la fois pour susciter les votes des victimes de la mondialisation libérale coorganisée et pour s’offrir un vernis populaire. En sont les reflets la stratégie de Donald Trump, « milliardaire en col bleu », d’accuser la Chine ou le Mexique ou celle de Marine Le Pen, héritière et dirigeant d’un parti mouillé dans de nombreuses affaires, de pointer la responsabilité de l’UE dans tous les problèmes nationaux. Cette stratégie de triangulation s’est révélée d’autant plus efficace que la « gauche » de gouvernement participait ouvertement à la mise en place de politiques néolibérales, permettant un passage à droite toute du vote ouvrier.

En arrivant au pouvoir dans de nombreux états, la droite radicale populiste franchit une nouvelle étape, encore inimaginable il y a quelques années. Pourtant, cet accès aux responsabilités pose problème car elle se retrouve face à ses propres incohérences.

Pour l’instant, l’extrême-droite parvient à contourner ces problèmes en trouvant de nouveaux boucs-émissaires et en usant de la rhétorique d’un complot institutionnel à son égard, ce qui lui permet en outre de conserver une apparence « antisystème » et de revendiquer l’accès à toujours plus de pouvoir. Trump continue par exemple à tenir des meetings alors qu’il est élu, en se faisant passer comme victime des juges, qui empêchent son « Muslim Ban » d’entrer en vigueur, et des médias, « parti de l’opposition », qui tirent à boulets rouges sur tout ce qu’il fait. De manière semblable, les attaques de Vladimir Poutine contre la Cour Européenne des Droits de l’Homme lui permettent à la fois d’alimenter son discours de « victime de l’Occident » et de légitimer la sortie de son pays d’une institution qui s’est déjà montrée nuisible à son égard.

Une gauche populiste en plein essor

Longtemps divisée entre deux courants que Manuel Valls avait un jour qualifié « d’irréconciliables », entre sociaux-démocrates convertis au libéralisme et radicaux ne s’adressant qu’aux marges, la « gauche » semble enfin amorcer un renouveau populiste. Sur les préconisations théoriques de Chantal Mouffe et d’Ernesto Laclau, les dernières années ont conduit à la profusion de nouveaux mouvements. Le cas de Podemos est sans doute le plus éloquent, le jeune parti ayant, jusqu’à récemment en tout cas, construit son discours sur la lutte du peuple contre les forces de l’argent, des multinationales aux politiciens véreux, en passant par l’industrie financière, la Commission Européenne et l’éditocratie médiatique. La « caste » régulièrement évoquée par Jean-Luc Mélenchon et le « top 1% » de Bernie Sanders sont de la même manière les avatars des ennemis du peuple.

Les thématiques environnementales et la volonté d’un renouveau démocratique des institutions trouvent également toute leur place au sein de cette dichotomie, puisque l’immobilisme patent sur ces questions est expliqué par l’influence des lobbys et les intérêts des élites économiques. La lutte des classes, dans sa vision économique théorisée par Marx, se retrouve dès lors enrichie de nouvelles dimensions intrinsèquement liées à la répartition des richesses. Comment imaginer améliorer la situation climatique et environnementale sans une hausse du pouvoir d’achats des ménages ? Comment relancer l’économie sans de vastes plans de protection de l’environnement ? Comment, enfin, changer le système économique sans une refonte d’institutions sclérosées par le clientélisme, l’opportunisme et les conflits d’intérêts ou la récupération du pouvoir transféré aux bureaucrates bruxellois ?

Pour gagner, les populistes de gauche tentent donc à la fois de rejeter les marqueurs trop clivants de la gauche radicale classique et d’intégrer les nouveaux combats clairsemés que sont l’antiracisme, l’écologie, le féminisme ou l’altermondialisme. Cette « coalition des précaires », vise à réunir étudiants surdiplômés condamnés aux stages et aux petits boulots, « zadistes » décroissants, pacifistes, féministes ou minorités ethniques victimes de discrimination autant que syndicalistes, chômeurs, retraités précaires et ouvriers, électeurs de gauche plus traditionnels. Etant donné la réalité des inégalités et la prévalence de la hantise du déclassement, ce peuple potentiel rassemblant bien au-delà des frontières habituelles de la gauche a toutes les chances de pouvoir former une majorité électorale. Le problème réside plutôt dans l’inaudibilité des discours de la nouvelle gauche populiste dans les médias dominants, d’où la nécessité d’une offensive culturelle gramscienne considérable.

 

L’irrémédiable déclin des forces du passé

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Angela Merkel et Sigmar Gabriel, partenaires dans la grande “Koalition” © OTRS. Tobias Koch. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Germany license.

Si le débat sur la pertinence du clivage gauche-droite bat son plein en Europe, c’est bien parce que ces nouvelles formations politiques, viennent brouiller les lignes traditionnelles. Mais c’est aussi en raison de l’ébranlement du bipartisme traditionnel, entre la « gauche » et la « droite », tellement aseptisées au fil du temps que beaucoup les associent dans un même rejet. Les anciens partis « de gauche » se sont fourvoyés dans le néolibéralisme, par exemple à travers la « troisième voie » au Royaume-Uni ou la pratique des grandes coalitions en Allemagne et au Parlement Européen, tandis que le conservatismes chevronnés des partis « de droite » peinent à récolter le soutien des jeunes cadres, entrepreneurs et autres CSP dominantes, qui n’ont que faire de la religion et des traditions tant que le business fonctionne.

En France, la dynamique autour des campagnes de Benoît Hamon et François Fillon a rapidement pris du plomb dans l’aile, et ce malgré la prétendue légitimité qu’étaient censée leur apporter des primaires où c’est avant tout le dégagisme qui s’est exprimé. Le premier a été pris dans de multiples scandales dont les tentacules s’étendent chaque jour; sa guerre contre le « lynchage médiatique » dont il prétend faire l’objet, si elle a convaincu des partisans dont la moyenne d’âge n’invite pas à être confiant pour le futur du parti, a éloigné les sympathisants hésitants. Le second, refusant d’assumer le bilan d’un quinquennat désastreux qu’il n’a que très mollement critiqué, a vu son électorat potentiel être en partie siphonné par Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron et peine à remplir les salles.

Le second tour de la présidentielle se déroule finalement sans l’un ni l’autre, répliquant les séismes politiques de la présidentielle autrichienne et des élections espagnoles de Décembre 2015 où le bipartisme traditionnel s’est pris une claque à en faire pâlir Manuel Valls. Les Républicains et le PS semblent de plus en plus devoir choisir entre le schisme, la métamorphose ou la marginalisation. Qu’importe ? Pour beaucoup, la droite et la gauche de gouvernement et ses avatars étrangers ont montré ce dont ils étaient capables et le futur se dessine autour de ces 3 nouveaux courants politiques. Un match qui s’annonce d’une violence considérable.

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Pourquoi Macron risque d’achopper sur l’Europe [vidéo]

Crédits : SciencesPo
Macron à Sciences Po pour un débat sur l’Europe. Crédits non nécessaires

En ce jour de “fête de l’Europe” (oui, il y a une fête de l’Europe. Pourquoi pas : il y a bien une Journée mondiale de la scie sauteuse…), voici un court entretien vidéo – 12 minutes environ – avec l’économiste et professeur de finances Steve Ohana. Auteur en 2013 d’un ouvrage intitulé Désobéir pour sauver l’Europe (Max Milo), il est interrogé ici par Coralie Delaume pour la web télé du blog L’arène nue, désormais associé à LVSL. L’économiste effectue un tour d’horizon de la situation en zone euro, notamment en Grèce et en Italie, de l’inanité de la politique de l’offre telle qu’elle est prévue dans le programme électoral d’Emmanuel Macron, et revient en fin d’entretien sur la question du Brexit.