Pacte mondial pour l’Environnement : quand la volonté politique méprise l’expertise environnementale

Eugen Bracht (1842–1921): Hoeschstahlwerk von Norden. Signiert. Datiert 1905. Rückseite betitelt. Öl/Lwd., 70 x 86 cm

Le projet du Pacte mondial pour l’Environnement est d’unifier le droit international de l’environnement. Ce n’est pas un autre traité, sur un problème environnemental donné, mais une uniformisation des principes juridiques environnementaux et/ou une unification des accords déjà existants afin de les rendre plus efficaces. Poussé par Laurent Fabius et Emmanuel Macron depuis 2017, il est actuellement discuté par les Etats membres de l’Assemblée Générale de l’ONU. Pour l’instant, il n’y a aucun accord sur les principes, ni sur la nature du Pacte. Si l’ambition est louable, les objectifs restent flous et la méthode utilisée par le gouvernement français fait abstraction de la société civile. Les négociations internationales, initiées dans l’urgence, sont donc peu précises et peu concluantes. Dans de telles conditions, on a du mal à voir comment le Pacte pourrait rendre plus efficace le droit international de l’environnement.

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En août 2016, Laurent Fabius lance, dans une tribune au « Monde », un appel pour un Pacte mondial pour l’Environnement. Quelques mois plus tard, le think tank Le Club des Juristes publie une proposition de 36 articles pour un Pacte mondial pour l’Environnement. Cette proposition est portée par Emmanuel Macron devant l’Assemblée Générale des Nations Unies et votée en mai 2018.

En janvier 2019, les premières consultations officielles se tiennent à Nairobi. Une majorité d’États se prononce en faveur d’un texte contraignant. D’autres émettent des doutes quant à l’efficacité d’un Pacte universel par rapport aux pactes et traités régionaux déjà existants – l’Équateur fait même part d’une crainte que le Pacte mondial ait un effet négatif sur ces derniers.

LA POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE FRANÇAISE : UNE VOLONTÉ SANS STRATÉGIE

Avec le soutien d’Emmanuel Macron, l’ancien ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius a su mobiliser un réseau capable de promulguer le Pacte sur la scène internationale. L’idée du Pacte a été popularisée dans les sphères les plus à même de lui donner corps dès sa première présentation, à la Sorbonne en juin 2017, devant Ban-Ki Moon, Anne Hidalgo, Laurence Tubiana, Manuel Pulgar-Vidal, Nicolas Hulot, Arnold Schwarzenegger et Mary Robinson.

La volonté de Laurent Fabius le pousse à utiliser ses ressources politiques, mais la démesure de son ambition l’empêche d’approfondir ce qu’il entreprend. Bien qu’il soit désormais président du Conseil Constitutionnel, il s’est illustré par les efforts déployés pour achever les missions qu’il s’était données au cours de son mandat au Ministère en tentant de jouer sur tous les fronts, du climat au statu quo israélo-palestinien. Ce remarquable investissement personnel clive avec son manque de temps et de ressources adéquates. Le Centre International du Droit Comparé de l’Environnement (CIDCE) avait envoyé personnellement à Laurent Fabius une proposition de 36 articles en janvier 2017. Cette proposition, fruit d’un travail réunissant des juristes en droit de l’environnement de plusieurs pays et précédant celle du Club des Juristes, n’a pas reçu de réponse de Laurent Fabius. Il aurait pourtant été simple de saisir cette opportunité pour mettre en contact le CIDCE et le Club des Juristes.

Emmanuel Macron a ensuite choisi de proposer le projet de Pacte à l’Assemblée Générale (AG)[1] plutôt que de le pousser à être examiné par la Commission des droits de l’homme ou le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). En préférant l’AG, Emmanuel Macron lance un processus à grande vitesse, certes, mais qui risque de se faire au détriment de la qualité. Le processus est dirigé par le Secrétariat Général et non par un organe de l’ONU spécialisé dans les questions environnementales. Aucune proposition n’a été déposée à l’ANUE (Association des Nations Unies pour l’Environnement) avant les premières consultations. Le PNUE est absent du processus. Ses ressources n’étant allouées qu’aux délégations étatiques, l’unité de la société civile du PNUE n’a pas pu se rendre à Nairobi – bien qu’elle possède une expertise qui permettrait de cerner plus rapidement les lacunes de droit international que les Etats ont l’ambition de combler grâce au Pacte.

Il revient donc aux États membres de mobiliser l’expertise en droit de l’environnement. Or, le Quai d’Orsay n’a pas émis d’appel à participation aux ONG françaises à propos du Pacte Mondial, et n’a pas proposé aux ONG scientifiques de faire partie de la délégation française à la session de Nairobi.

À travers la COP21, le One Planet Summit et le Pacte, le gouvernement français prouve qu’il a compris l’urgence environnementale et qu’il est prêt à y répondre. Une quantité impressionnante de ressources est déployée. En 2017 et 2018, les première et deuxième éditions du One Planet Summit ont eu pour objectif de faciliter les échanges entre les mondes de la finance privée et publique autour d’une lutte contre le changement climatique. La troisième édition, qui vient de se tenir à Nairobi deux mois après la première session de discussions du Pacte, a mis l’accent sur l’intégration des Etats et sociétés d’Afrique dans cette lutte commune. Le Pacte mise quant à lui sur le droit international. La France promeut ainsi, sur la scène internationale, sa « politique environnementale ».

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Laurent Fabius, lors de l’investiture de François Hollande en tant que président de la République, le 15 mai 2012. © Cyclotron

Dans cette urgence diplomatique, le gouvernement oublie de consulter ceux dont le métier est de penser les stratégies de « sortie de la crise environnementale ». Il est pourtant en France des scientifiques, économistes, juristes, anthropologues et historiens de l’environnement qui seraient à même de penser ces stratégies. L’absence de consultations, qui rendraient cohérente la politique environnementale de la France, est d’autant plus regrettable que ceux-ci se portent volontaires avant même que l’État ne lance d’appel, comme le CIDCE, qui a envoyé une déléguée aux premières négociations de Nairobi.

NÉGOCIATIONS SANS CONCLUSIONS A NAIROBI

La forme du Pacte, ainsi que la question de savoir s’il devrait être contraignant ou non, ont été discutées avant qu’il y ait accords sur les principes du Pacte. Pour le Professeur de droit de l’environnement Michel Prieur, il s’agit d’une « catastrophe méthodologique »[2].

« Les lacunes du droit international de l’environnement et des instruments relatifs à l’environnement : vers un Pacte mondial ». Tel est le titre du rapport officiel produit par le groupe de travail de l’ONU en décembre 2018, signé par le Secrétaire Général et servant de base aux consultations de Nairobi de janvier. Entrer dans le problème par le prisme des failles du droit et des instruments existants devrait orienter les discussions vers une première étape : identifier le droit international de l’environnement et ses failles.

Les lacunes que le Pacte viendrait combler peuvent être normatives, institutionnelles ou applicationnelles. Les lacunes normatives témoignent de l’absence d’unité, au niveau international, entre différents principes. Certains principes, comme le droit de la nature, n’ont été formulés et juridicisés que dans certains pays : il s’agirait de les universaliser. D’autres principes – universels – sont interprétés différemment selon les pays, notamment car il n’existe pas d’institution supranationale compétente pour unifier ce droit. Le Pacte mondial est l’occasion de déterminer s’il manque des institutions pour augmenter l’efficacité du droit international. Enfin, les lacunes applicationnelles du droit de l’environnement sont liées à un manque de traités contraignants, ce qui ne rend pas systématique l’application de nombreux principes pourtant reconnus.

Quelle serait la plus-value d’un pacte mondial de l’environnement par rapport aux pactes régionaux qui existent actuellement ? Il est difficile d’avoir du recul sur la question, car aucun pacte proprement international n’a été passé à ce jour. Le droit international de l’environnement n’existe pas encore car il n’existe aujourd’hui aucun traité contraignant sur l’environnement incluant l’ensemble de la communauté internationale. En revanche, il existe un corpus de droits régionaux épars, passés entre différents pays et à différentes dates. L’ambition du Pacte mondial pour l’environnement est-elle de les regrouper ? Ou s’agit-il de faire advenir de nouveaux principes ? Faut-il universaliser les principes qui existent déjà dans les codes régionaux de l’environnement, ou bien faut-il en inventer de nouveaux ?

La conclusion du rapport officiel des négociations de Nairobi, signé par le Président de session, ressemble à tout sauf à une conclusion : « Il y a eu une absence d’accord, pour un instrument global, clarifiant les principes ». Cette phrase, qui ne définit ni l’ « instrument global » ni les « principes » dont il est question, est représentative du flou qui continue à régner autour du Pacte mondial après cette première session. Néanmoins, bien que la question n’ait pas été posée, 21 États se sont déjà prononcés formellement en faveur d’un pacte contraignant. Il reste à espérer que les prochaines sessions incluent les associations pertinentes de la société civile, et qu’à la volonté politique française s’ajoute enfin la mobilisation de l’expertise environnementale par le gouvernement.

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[1] Le pacte a été vote à 142 voix lors de la résolution A/72/L.51 du 10 Mai 2018

[2] Michel Prieur, 29/01/2019, intervention à la conférence Qu’attendre d’un Pacte Mondial pour l’Environnement ?, organisée par l’IDDRI et modérée par Lucien Chabason, { https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/conference/quattendre-dun-pacte-mondial-pour-lenvironnement}

7. Le neuroscientifique : Thibaud Griessinger | Les Armes de la Transition

Thibaud Griessinger est docteur en neurosciences et chercheur indépendant en sciences comportementales appliquées aux questions de transition écologique. Il a récemment fondé un groupe de recherche qui s’est donné pour mission de remettre par la recherche et le conseil, la composante humaine au centre de la problématique écologique. Il travaille avec le ministère de la Transition écologique, ainsi que des villes et collectivités. Thibaud Griessinger nous éclaire sur le potentiel des sciences cognitives à guider le développement de stratégies de transitions écologiques plus adaptées aux citoyens.


Dans cette série de grands entretiens, nous avons choisi de poser les mêmes questions à des personnalités du monde de l’écologie ayant chacune une approche, un métier, différents. Un tel projet est inédit et son but est de donner à voir comment chacun se complète pour esquisser les grandes lignes de l’urgente transition écologique. Chacun détient une partie de la solution, une partie des armes de la transition. La transdisciplinarité doit devenir une norme de travail, pas une exception.

La série Les Armes de la Transition existe aussi en format vidéo :

LVSL – À quoi sert un neuroscientifique dans le champ de la transition écologique ? Pourquoi avez-vous choisi cette voie-là plutôt qu’une autre ?

Thibaud Griessinger – J’ai un doctorat en neurosciences cognitives, mais le champ dans lequel je me place actuellement c’est celui des sciences cognitives. On peut dire que c’est un programme de recherches qui a pour but de naturaliser l’esprit humain, et qui regroupe toutes sortes de disciplines comme la psychologie, l’anthropologie, la robotique, etc. auxquelles les neurosciences contribuent activement.

Ce programme de recherches a pour but d’améliorer la connaissance de notre cognition, de comprendre les substrats biologiques qui mènent à des mécanismes cognitifs, et comment ces mécanismes vont pouvoir générer nos comportements, et in fine façonner notre organisation collective.

Ce qui est au cœur de ces recherches, c’est de croiser les approches et les disciplines. Par exemple, mon doctorat en neurosciences – on s’intéresse aux interactions sociales, comment on décide, ce qu’on apprend avec et sur autrui – était en interaction avec les neurosciences computationnelles, l’économie comportementale et la psychologie sociale. Donc, au sein de mon doctorat ou de mes études, dans le champ des sciences cognitives, on croise déjà toutes ces disciplines et ces approches.

Durant ces dernières années, il nous a paru évident que les connaissances qu’on avait sur le comportement, sur la manière dont on fonctionne, pouvaient apporter quelque chose sur des problématiques sociétales, au même titre que tout un tas d’autres disciplines. On le voit actuellement sur la question de l’éducation, où les sciences cognitives – entre autres – peuvent apporter des outils pédagogiques aux enseignants.

De la même manière, je suis concerné depuis quelques années par la question écologique, et on pensait qu’il était possible de faire un pont entre ces domaines de recherches et la question écologique, d’amener ces connaissances sur le comportement pour essayer de mieux penser à cette question de la transition, du changement de nos comportements.

LVSL – En quoi consiste votre activité ? Quelle est votre méthode de travail et à quoi ressemble une de vos journées types ?

TG – J’ai deux casquettes. La première, c’est d’être chercheur-consultant en sciences comportementales, et mon métier c’est d’accompagner la prise de décisions ou les actions écologistes d’acteurs de terrain, notamment de décideurs publics (économie circulaire, réparabilité, recyclage, covoiturage, etc.). Les missions vont vraiment dépendre des comportements que les décideurs publics souhaitent accompagner pour le citoyen. Mon rôle est d’essayer de leur donner des clefs de lecture sur ces comportements, d’essayer de poser un diagnostic un peu fin sur les freins comportementaux potentiels… Par exemple, pour le covoiturage, il y a tout un tas de freins qui peuvent dissuader les individus de faire du covoiturage : le confort, les habitudes, etc.

Ma deuxième casquette, c’est celle de chercheur indépendant. Il y a quelques mois, on a monté un groupe de recherche indépendant, avec une dizaine de jeunes chercheurs, qui a pour but de générer de nouvelles connaissances sur la nature des freins et des leviers qui vont conditionner différents types d’actions écologistes.

Notre but est de créer un pont entre la recherche académique et les actions de terrain. Le but de ce groupe de recherche qui s’appelle ACTE Lab – ACTE pour Approche comportementale de la transition écologique – c’est vraiment de créer une passerelle entre ce que l’on sait sur les comportements et comment ils peuvent être pris en compte dans les différentes actions, que ce soit de la sensibilisation ou de l’accompagnement de politiques publiques.

Dans ce groupe de recherche là, on a principalement trois volets d’actions qui concernent la recherche :

1 – Essayer de synthétiser les connaissances qu’on a sur les comportements dans la recherche fondamentale, et voir quelles hypothèses peuvent se poser, en termes de freins ou de leviers comportementaux sur le terrain.

2 – Faire le mouvement inverse : essayer de comprendre quels problèmes rencontrent les acteurs de terrain, essayer avec eux de coconstruire des projets de recherches-actions, d’accompagnement, et d’essayer en contrepartie d’avoir une information sur la nature des facteurs qui vont conditionner ou peut-être freiner, la question de la transition écologique.

3 – Organiser des séminaires, des colloques, de manière à acculturer le monde de la recherche académique et le monde des acteurs de terrain.

Thibaud Griessinger © Clément Tissot

LVSL – Quel est votre objectif ?

TG – Mon objectif est d’essayer de créer un espace entre le domaine de la science et la société, et de faire en sorte qu’il y ait une plus grande perméabilité entre ces deux sphères-là ; que la science contribue à des problématiques aussi sur des questions écologiques, mais également que les citoyens se sentent engagés dans les questions scientifiques ou soient générateurs de connaissances. Qu’il y ait un échange de savoir, ça, c’est mon objectif.

Une chose qui m’anime énormément : essayer de montrer qu’on peut mettre ces connaissances sur les mécanismes cognitifs à disposition du bien commun, et non de nous manipuler. Parce qu’ignorer ces contraintes-là, quelque part, ignorer la matière humaine, c’est faire des plans qui sont irréalisables ou inadaptés.

LVSL – Pourriez-vous nous livrer trois certitudes que vous vous êtes forgées, ou trois concepts que vous avez développés au fil de vos travaux ?

TG –  La première est qu’on a une perception, une compréhension du monde qui est assez partiale. Notre attention, nos capacités de traitement de l’information sont limitées, et notre cognition repose beaucoup sur des principes qu’on appelle « d’inférence » : la capacité de pouvoir extrapoler à partir de nos connaissances sur les données manquantes, pour pouvoir justement naviguer dans ce monde-là qui est incertain, du point de vue du cerveau. En plus de ce principe d’inférence, on va avoir des petites règles simples, des heuristiques, qu’on va mettre en place, pour pouvoir avoir des comportements qui seront peut-être approximatifs, mais vont fonctionner la plupart du temps, malgré le fait que l’on ne puisse pas tout voir et que l’on n’est pas omniscient.

La conséquence de ça, c’est que beaucoup de notre perception du monde est teintée de nos croyances, de notre expérience, des interactions sociales qui nous ont forgés. Donc quand on parle de la transition écologique, les connaissances qu’on peut avoir vont contraindre notre appréhension de cette problématique-là et, a fortiori, nos comportements.

On a cette propension à combler cette vision lacunaire du monde par ce que l’on pense, par nos opinions, et ça montre la nécessité des actions de sensibilisation. Tous ces acteurs de terrain qui font la sensibilisation, qui font la pédagogie sont nécessaires à faire en sorte qu’on parte sur un socle commun de croyances ou de convictions pour nous diriger dans la même direction.

Une deuxième conviction, ou plutôt propriété qu’on peut souligner sur la cognition c’est le fait qu’on a très peu conscience de nos propres comportements. On a un accès limité à ce qui dirige nos comportements, pour des raisons assez simples. L’une d’elles, c’est qu’on est conduit par énormément d’automatismes, d’habitudes, et ces automatismes-là sont assez efficaces, puisqu’ils nous permettent de pouvoir automatiser différents comportements. Si vous êtes venu ici, vous n’êtes pas forcément conscient du chemin que vous avez pris, en revanche, ça vous a peut-être permis, en parallèle, d’être sur votre téléphone, de parler à quelqu’un, de faire attention au paysage, etc. Ces automatismes-là sont, quelque part, nécessaires pour qu’on puisse appréhender le monde, sans devoir développer une énergie folle à être en contrôle permanent de ce qu’on fait.

Le pendant de cela, c’est qu’on a un contrôle sur nos actions qui est très limité. Déjà, on n’a pas le contrôle que de ce dont on est conscient, et en plus, une fois qu’on est conscient d’une habitude qu’on voudrait changer, il y a énormément d’inertie comportementale qui nous empêche de pouvoir changer ces habitudes. Encore une fois, que ce soit difficile, c’est un avantage. Si on pouvait changer extrêmement facilement nos comportements, on serait extrêmement fluide et on aurait une difficulté à appréhender le monde de manière certaine. Il en va de même pour la première propriété, c’est-à-dire que d’avoir des connaissances, ou des croyances, ou des opinions sur le monde, le fait qu’elles ne changent pas si facilement que ça, ça nous permet de partir avec des représentations, des certitudes, avec une vision stable du monde.

Il y a donc énormément de barrières aux changements, ce qui a conduit à ce concept de intention action gap, cette idée qu’entre l’intention et l’action, il y a un monde, et ce fossé va être difficile à combler.

Nos habitudes peuvent être changées, mais pour cela, il faut que les comportements qu’on va mettre en place soient relativement facilement accessibles et qu’on y voit un intérêt. Souvent, il faut qu’il y ait une récompense, un plaisir associé.

En ce qui concerne toutes les questions de changements de comportement par rapport à la transition, on voit qu’il y a tout un tas de comportements qui sont bénéfiques pour l’écologique qui sont soit inconfortable, soit perçues comme étant moins plaisantes. Il y a cet aspect du confort qu’il est important de prendre en compte.

Je me permets une petite digression, mais la société dans laquelle on est, notre société moderne, a quand même la propriété de s’adapter à nos comportements, plutôt que l’inverse, de manière à servir notre confort, notre plaisir ; on peut être livré en nourriture extrêmement rapidement, on a des paiements facilités, etc. Dans un environnement qui s’adapte à nos comportements, à notre plaisir immédiat, et c’est encore plus difficile de pouvoir mettre en place de nouvelles habitudes et changer vraiment de mode de vie.

Troisième point : les interactions sociales sont au cœur de notre psychologie et de notre individualité, on a une grande tendance à imiter les autres, donc à suivre des comportements collectifs, et même à suivre des normes sociales. La norme sociale, ce sont des règles implicites qu’on va suivre, sans avoir conscience de pourquoi elles sont là ; le fait de mettre une veste de costume, par exemple, c’est une norme sociale. C’est une fonction sociale, mais on n’a pas forcément conscience de ce qu’il y a derrière. Or, pour la transition, il y a un grand enjeu, ce que certains appellent changer de récit, ou en tout cas de « changer de culture », qui est de mettre en place de nouvelles normes sociales vertueuses d’un point de vue écologique.

Pour ce qui est de la capacité d’imitation, on a tendance à côtoyer des personnes qui vont partager nos croyances, nos opinions, les mêmes centres d’intérêt, donc se réunir autour des mêmes centres d’intérêt. Il va y avoir ces bulles sociales, qui précédaient Internet, qui vont apparaître et empêcher les comportements de passer d’une bulle à l’autre, ou qui vont contraindre des types de changements à une certaine partie de la population, à certains groupes sociaux, etc.

Ces propriétés cognitives là sont des propriétés générales, des grandes conclusions issues de résultats qui sont issus du domaine de la recherche académique, et qui peuvent poser des bases pour réfléchir à comment ces différentes propriétés vont impacter la transition sur le terrain. En revanche, il y a une autre propriété : l’importance des différentes propriétés citées va changer en fonction du contexte, du groupe auquel on appartient, etc. Il est donc important de sortir de la généralité et essayer de voir comment dans les territoires, dans certaines parties de la population, ces différentes propriétés vont s’exprimer et vont conduire, ou impacter, la transition écologique.

Quand on parle de transport, par exemple, les barrières ou les contraintes psychologiques vont être bien différentes que sur les questions de sobriété énergétique, ou des questions de consommation, etc. Il y a une nécessité de comprendre de quoi on parle, et qui est concerné par ces différents comportements, donc c’est un peu dans cet esprit-là que ACTE Lab se place : essayer de faire un travail sur chaque territoire, ou en tout cas, sur chaque spécificité, pour bien comprendre comment ces connaissances un peu générales de nous-mêmes peuvent s’articuler et aider à optimiser les actions écologiques.

LVSL- Concrètement, pourriez-vous nous donner des exemples de traduction de ce que vous venez de dire en politique publique ?

TG – Ces traductions-là ont été initiées dans plusieurs pays il y a une dizaine d’années, notamment en Angleterre : on retrouve des unités gouvernementales, ou privées, mais qui vont travailler pour la puissance publique, qui ont pour but d’adapter l’action publique aux comportements des citoyens pour éviter qu’elles soient hors-sol, décorrélées des vraies problématiques de terrain qu’on peut observer. Quand il s’agit de mettre en place des actions publiques pour essayer d’épauler les citoyens pour utiliser les moyens de transport en commun, par exemple, il est nécessaire de s’assurer qu’ils ont déjà accès à ces moyens de transports, et si c’est le cas, qu’est-ce qui les empêche d’opérer ce transfert-là s’ils ont l’intention d’opérer ces transferts, et qu’ils comprennent bien les enjeux qu’il y a à l’intérieur de ces transferts.

Donc, dans cette ligne-là, il y a tout un tas d’acteurs en France, et notamment je pense à l’équipe de la Direction interministérielle de la transformation publique, au gouvernement, où ils ont une équipe sciences comportementales qui essaye de faire rentrer ces sciences et ces approches dans les questions de politique publique.

J’ai rédigé un rapport pour la DITP il n’y a pas longtemps, qui reprend ce que ces sciences du comportement peuvent apporter aux politiques publiques, d’un point de vue théorique, mais également en citant tout un tas d’exemples sur des questions de transition écologique. Par exemple, le fait de prendre en compte quels sont les freins au gaspillage alimentaire, initié en Angleterre. L’idée, c’était d’essayer de jouer notamment sur l’information, faire en sorte que les citoyens, qui se retrouvent en situation de gaspiller énormément de nourriture et à produire un certain nombre de déchets soient au courant que des dispositifs de tri sont mis en place, et ensuite que ces dispositifs soient rendus saillants, de telle manière que ça pousse à l’action. Et donc, en jouant sur une information saillante, sa compréhension, sur l’accessibilité, sur toutes sortes de leviers qui sont dans l’environnement des citoyens, il est possible de conduire à pouvoir mieux gérer leurs déchets.

Cette approche a été initiée au départ par ce concept du nudge il y a une dizaine d’années : C’était l’idée qu’il était possible, en changeant l’environnement de choix ou les options qui étaient données aux différents individus, d’orienter leurs choix. Donc, si eux appelaient ça le paternalisme libertaire, cette idée qu’en changeant la disposition des différents aliments dans des cantines scolaires, par exemple, il était possible de conduire les élèves, en l’occurrence, à consommer plus ou moins d’aliments gras, salés ou sucrés. Ils en sont venus à l’idée que ça pourrait être un outil pour les politiques publiques, faire en sorte de changer l’architecture du choix, pour conduire les citoyens à des comportements plus écologiques.

À cela, il y a des limites éthiques évidentes : lorsqu’on a bien conscience des comportements, des barrières, des limites à ces différents comportements-là, une manière de pousser ou de faciliter le passage de l’intention à l’action chez ces citoyens c’est de jouer avec cette architecture du choix.

Ce que j’essaie de pousser un maximum, c’est de remettre ce nudge dans la perspective de l’approche scientifique. Le nudge n’est pas une solution magique qui peut permettre de pousser les citoyens à des comportements plus écologiques. C’est un outil parmi d’autres, et cet outil-là doit être entraîné dans un processus de décision ou de conception d’actions publiques qu’on va appeler « evidence based ». C’est un anglicisme qui a pour but d’exprimer le fait qu’il faut s’ancrer dans une connaissance du terrain, et dans des données autant que faire se peut. Cette approche d’evidence base a pour règle de, déjà, bien comprendre quels sont ces freins au comportement : est-ce l’accès à l’information ? Est-ce l’accessibilité à ces différentes options ? Est-ce que les citoyens n’ont pas conscience d’avoir cette chose-là à disposition ? Y a-t-il, autour d’eux, une norme sociale qui les pousse dans la direction opposée au recyclage ? Etc.

Thibaud Griessinger © Clément Tissot

Une fois qu’on a ces barrières bien en tête, on peut commencer à imaginer quels pourraient être les moyens d’actions publiques qui vont guider ces citoyens vers des comportements qui soient plus écologiques. Et ensuite, une fois qu’on l’a fait, on voir si ces différentes actions ont un quelconque effet sur les comportements qu’on essaie de guider, et si c’est le cas, essayer de regarder si, dans le temps, ça se tient. Ce n’est pas du tout dit que, parce qu’on met des poubelles de tri de différentes couleurs, les citoyens vont trier, et qu’en plus, ils vont maintenir leur niveau de tri dans le temps. Donc il y a une espèce de mécanisme à comprendre comment cette action évolue, est-ce qu’elle s’érode dans le temps, et d’essayer un maximum, si jamais ces résultats ne sont pas à la hauteur de ce qu’on attend, de raffiner ces actions, d’essayer de comprendre pourquoi elles n’ont pas marché.

LVSL – Quelle devrait être la place de votre discipline dans la planification de la transition ? À quel moment doit-elle intervenir par rapport à la décision ? Avez-vous déjà pensé à une structure qui pourrait faciliter cela ?

TG – Beaucoup des stratégies ou des préconisations qui sont faites en termes de transition écologique (qu’on parle d’économie circulaire, qu’on parle de rénovation thermique, ou même de circuit court, etc.) sont des stratégies ou des planifications très techniques. Simplement, à l’approche purement technique de cette transition, je vois au moins deux limites :

Premièrement, lorsqu’on imagine un monde dans lequel notre confort est préservé, où notre manière d’agir, nos plaisirs sont préservés, l’aspect technique propose de remplacer chacun de ces rouages par des alternatives qui sont écologiques, décarbonées (énergies renouvelables, etc.). Or il y a déjà un coût à ce remplacement, il y a un coût à la production de ces systèmes alternatifs, et il y a un coût à ce remplacement-là. Ce que négaWatt préconise, c’est d’attaquer la question d’abord par la sobriété, ensuite par l’optimisation de nos systèmes énergétiques, et ensuite, à la fin, par la question des alternatives techniques. Et la question de la sobriété, c’est déjà de diminuer notre consommation énergétique, en tant qu’individu, en tant que collectivité, en tant que société. Et pour diminuer cette consommation énergétique, on voit qu’il y a une dimension comportementale extrêmement forte.

Une deuxième limite à cette approche purement technique, c’est qu’on voit bien que la technique ne fait pas l’usage. Il y a ce qu’on appelle « l’effet rebond négatif », ou des optimisations techniques ou technologiques : par exemple, créer des voitures qui consomment de moins en moins d’énergie fossile. Sachant que ces véhicules consomment moins de carburant, et que ça revient moins cher, il va y avoir un usage accru de ces véhicules-là, de telle manière à ce que la résultante soit au moins pas aussi efficace que ces innovations techniques espérait qu’elle le soit. Donc entre la mise en place d’alternatives techniques et l’usage qu’on en fait, il y a quand même un monde, et je pense que la question de comprendre les comportements est primordiale. Donc, ces clefs qu’on peut fournir, elles nous permettent également de sortir de tout un tas d’impasses quand il s’agit de penser, de planifier la transition.

Il y a tout un tas de biais dont les décideurs sont porteurs, donc là, les sciences du comportement peuvent également apporter des réponses, pas simplement en termes de transition sur le terrain, mais également en termes de planification..

Il y a un point que je n’ai pas mentionné, mais qui est quand même assez crucial, c’est la question de la résilience. Parce qu’on a émis une quantité déjà conséquente de carbone dans l’atmosphère, pour faire en sorte que les conséquences du réchauffement climatique vont venir. Elles sont déjà là. Donc, même si on avait une approche décarbonée dans la semaine qui suit, il y a une inertie climatique extrêmement forte qui va nous conduire à des changements environnementaux, et donc sociétaux, assez importants. Donc les sciences du comportement ont également un rôle à jouer pour penser les questions de résilience : résilience des territoires, résiliences des communautés, etc. C’est quelque chose qu’on essaie d’explorer.

Une structure qui serait indépendante, qui se place au carrefour de ces différents points d’action, des différents acteurs de la transition, me paraît non seulement pertinente, mais nécessaire à développer pour essayer d’accompagner cette transition au mieux. C’est ce qu’on essaie de pousser avec le ACTE Lab notamment.

LVSL – Si un candidat à la présidentielle vous donnait carte blanche pour l’élaboration de son programme en matière de transition écologique, que pourriez-vous proposer, concrètement, dans le cadre de votre spécialité ?

TG – C’est une question assez difficile ! Premièrement, je ne pense pas qu’on puisse concevoir un programme écologique en marge d’un programme politique, c’est-à-dire que la question écologique doit être transversale. On le voit bien quand on prend le regard des sciences du comportement : qu’on parle de transport, de consommation, de confort ou de système économique, toutes ces composantes-là, tous ces rouages de modes de vies et d’organisation, de faire société, jouent un rôle crucial dans la question écologique. Donc, cette approche transversale me semble inévitable et souhaitable.

Quelque chose qui me paraît assez évident, c’est la nécessité d’établir des priorités. Quelles sont les priorités si l’objectif est de décarboner notre mode d’organisation ?  Qu’est-ce qui est le plus émetteur de carbone ? Et de s’attaquer à ces questions. Ces priorités, ce n’est pas à moi de les donner, certains le font assez bien. Il y a le bureau d’études B&L Evolution, qui a sorti un rapport il n’y a pas longtemps, sur quelles pourraient être, justement, ces différentes priorités à l’échelle de la France pour pouvoir rester sous le seuil des 1,5°C. Mais les priorités ne donnent aucun indice sur la faisabilité. C’est là qu’il est important de prendre en compte la dimension comportementale. Si on établit comme priorité de réduire drastiquement le nombre de vols par avion, par exemple, comme eux le préconisent, est-ce que c’est faisable ? Si c’est faisable, quelles sont les conséquences en termes de confort, en termes de sacrifice pour les citoyens, et pour quels citoyens ? Le rôle, peut-être, de ces sciences-là, c’est de comprendre, à partir des priorités, ce qui est le plus faisable pour essayer d’organiser un plan de transition qui soit efficace, sur les dix ou quinze années à venir, pour réduire de 50% nos émissions de carbone comme il est préconisé.

Une fois qu’on a cette faisabilité en tête, je pense qu’il assez important de recentrer cette transition-là au niveau des territoires, parce que les personnes qui habitent les territoires connaissent le terrain, savent exactement ce qui est faisable et comment c’est faisable ; elles sont aussi porteuses d’initiatives et d’innovation, que ce soit en termes d’organisation citoyenne ou en termes d’entrepreneuriat, et il est nécessaire de redonner ce qu’on appelle de l’agentivité, redonner un pouvoir d’action aux individus sur leur destin, ou en tout cas, sur cette transition. Imposer par la force des préconisations, c’est une très mauvaise manière, je pense, de les faire accepter.

Une autre composante que, peut-être, les sciences du comportement nous dictent, c’est qu’on a une forte aversion pour l’iniquité. C’est quelque chose qu’on partage avec d’autres primates, et ça a pour conséquence que, si on doit réfléchir à des politiques de transition écologique au sein des territoires, il est nécessaire de penser à ce que cet effort collectif soit bien réparti. C’est-à-dire qu’en fonction de l’impact carbone ou biodiversité que l’on a, il faut qu’on ait un rôle plus fort ou en tout cas, un sacrifice doit être fait de manière plus forte. Si tout le poids repose sur des personnes qui n’ont que très peu d’impact sur ces émissions de carbone, il va y avoir un sentiment d’injustice, qui sera justifié du point de vue de l’efficacité, et du point de vue de la perception de la justice. C’est l’idée qu’on y a tous ensemble, ou on n’y va pas. Et ce tous ensemble, c’est cette perception de la justice sociale, etc.

Un point que j’évoquais plus tôt, c’est celui de la résilience : anticiper les changements à venir dans ces territoires. Il faut penser à comment ces territoires vont évoluer dans les prochaines années, sachant la fréquence d’événements météorologiques, sachant les conséquences qu’on peut attendre du changement climatique, de penser à quel vont être les impacts sur les territoires, d’anticiper ces changements, et de prendre en compte cette anticipation dans la question de la transition. Parce que si on prévoit une transition pour les territoires dans l’état actuel des choses, en 2019, mais qu’on ne pense pas l’évolution de ces territoires sur les années à venir, on va se retrouver avec un décalage entre les deux, donc c’est important de l’anticiper ; et il est possible d’anticiper les conséquences écologiques du réchauffement climatique et les conséquences sur ces populations.

Un point peut-être assez trivial, c’est la question de l’éducation. On parlait de pédagogie un peu plus tôt, mais sachant que le réchauffement climatique, la crise de la biodiversité, ont des conséquences sur notre environnement, il faut qu’on soit à même d’équiper nos citoyens avec une capacité de s’adapter au changement. De pouvoir penser un monde en changement, c’est assez primordial. Donc, axer l’éducation sur un autre rapport à la nature. Penser un autre rapport avec la nature, c’est se penser en tant qu’humain, comme inclus dans un écosystème qui influe sur tout un tas d’autres espèces et tout un tas d’autres composantes.

LVSL – Êtes-vous en lien avec des spécialistes, de spécialités différentes ? Si oui, comment travaillez-vous ensemble ?

TG – On est en lien avec des spécialistes de différentes disciplines, à plusieurs niveaux. Au niveau du ACTE Lab, parce que dans les sciences cognitives, il y a tout un tas de disciplines qui sont partie prenante : anthropologie, psychologie, neurosciences et même robotique, donc l’équipe en tant que telle est transdisciplinaire. Ensuite, on interagit également avec d’autres niveaux du comportement : on échange avec des sociologues, des écologues, des designers… Sur le terrain, on est en interaction avec des personnes qui sont porteuses d’expertise, pas d’expertise académique ni scientifique, mais qui sont porteuses de savoir empirique – associations de citoyens, décideurs, entrepreneurs, etc.

Notre approche du comportement est tellement transversale qu’on est forcé d’être en interaction permanente avec ces différentes disciplines. Et d’un point de vue de sensibilisation aussi, c’est important pour nous d’échanger avec des ingénieurs, d’échanger avec des personnes qui ont une bonne connaissance de ces problématiques climatiques, énergétiques, de biodiversité, parce qu’une fois qu’on dit qu’il faut changer les comportements, la question est : Quels comportements ? Et vers quoi ?

LVSL – Êtes-vous optimiste ou pessimiste quant à la faculté de l’humanité à relever le défi climatique ?

TG – Je ne pose pas forcément la chose en termes d’optimisme ou de pessimisme. Ce que je vois, c’est qu’en tant qu’humains, on a une capacité de changement, que ce soit à titre individuel, mais aussi collectif, d’organisation etc. Ces structures politiques et économiques sont le produit de l’humain, quelque part… Donc on a une capacité d’étendre notre cognition individuelle pour faire société, faire groupe, qui est assez impressionnante. De ce point de vue, on a clairement les outils pour aborder ce type de problème.

Une des manières qu’on a de regarder les comportements, c’est à partir de ses limites, c’est d’identifier les biais qui rendent difficile la perception du changement climatique, des biais qui nous empêchent d’agir, de changer nos croyances, de changer nos comportements. Ces biais, bien sûr, existent, mais ils sont aussi le reflet de limites humaines, mais aussi le reflet de potentiels : c’est-à-dire que ce ne sont des biais que si on considère que nous ne sommes pas optimaux à opérer certains changements. Donc, si on pose ce regard-là, plus positif, sur l’humain, on a énormément de possibilités de changement, d’adaptation, et on est, quelque part, les maîtres de notre navire…

Donc, optimiste ? Ça va totalement dépendre de notre capacité en tant qu’humains, en tant qu’organisation, en tant que société, à utiliser ces différents leviers, ces différentes cordes sur lesquelles on peut tirer, pour faire tourner le bateau. J’ai tendance à dire qu’on le peut. Le fera-t-on ? Ça dépend vraiment de nous, et on essaie de contribuer, par nos disciplines, à justement participer à cette transition.

 

Retrouvez l’ensemble des épisodes de Les Armes de la Transition dans le dossier suivant (écrit) :

Et sur YouTube (vidéo) :

 

L’avenir de l’éolien français n’est-il que du vent ?

Wikipedia

Coup sur coup, la France vient de voir plusieurs projets autour de l’énergie éolienne se développer sur son territoire. Siemens-Gamesa va déposer un permis de construire pour la production d’éoliennes en mer au Havre tandis que la Commission européenne a autorisé la création de fermes éoliennes au large de Belle-Île et de Groix dans le Morbihan ainsi que trois autres fermes en Méditerranée. Total, de son côté, s’est lancée avec deux partenaires étrangers dans la bataille de l’appel d’offres lancé par l’État pour le parc éolien au large de Dunkerque. Face à la major du pétrole, les français EDF et Engie, l’anglo-néerlandais Shell et le suédois Vattenfall sont sur les rangs pour une décision au courant de l’année 2019. Ce développement des projets tous azimuts marque-t-il enfin l’avènement de cette énergie renouvelable dans une France encore très dépendante de la filière nucléaire ?


Lors de la présentation de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) le 27 novembre 2018, Emmanuel Macron a insisté sur le fait que « Nous concentrons nos efforts sur le développement des énergies renouvelables les plus compétitives. Et parce que nous veillons au pouvoir d’achat des Français, nous serons exigeants avec les professionnels sur la baisse des coûts ». Ce volontarisme, également exprimé par François de Rugy, le ministre de la Transition écologique et solidaire, se montre avec l’engagement du gouvernement à ce que le premier parc éolien en mer, porté par EDF Énergies Nouvelles au large de Saint-Nazaire, soit mis en service durant le quinquennat. « La montée en puissance des énergies renouvelables en France est inéluctable » a répété M. Macron.

On entend de plus en plus parler d’énergies renouvelables (ENR) sans que pour autant on sache toujours bien les définir. Les ENR correspondent aux énergies qui sont produites par des ressources primaires inépuisables, à savoir le vent, l’eau et l’ensoleillement. En France, en 2017, 16,7% de la production totale de l’énergie provenait des énergies renouvelables contre 71,6% pour le nucléaire et 10,3% par des moyens thermiques que sont les hydrocarbures et le charbon. L’éolien a participé à 4,5% de la production totale de l’énergie en France en 2017, ce qui en fait le quatrième producteur européen. Une marge reste cependant, puisque selon l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), le territoire français est le deuxième producteur européen potentiel derrière le Royaume-Uni mais devant l’Allemagne, l’Espagne ou le Danemark.

Une énergie renouvelable par le soleil et le vent

Contrairement à la croyance populaire, l’énergie éolienne provient d’abord de l’énergie solaire qui créée les vents par les différences de température et pression qu’elle entraîne à la surface de la Terre. La force de Coriolis, énergie cinétique de la Terre qui tourne sur elle-même, actionne aussi des vents. On estime de 1 à 2% la part de l’énergie solaire convertie en énergie éolienne de manière naturelle. Généralement, toutefois, l’énergie éolienne utilise la force du vent qui est renouvelable et inépuisable. Les éoliennes peuvent être terrestres, comme on le voit dans les Hauts-de-France ou dans le Grand-Est – 57% de la production totale en France – mais également offshore, sur la mer comme au Danemark.

Une éolienne présente l’avantage de fonctionner et produire de l’électricité en moyenne 90 % du temps.

Une éolienne produit donc de l’électricité grâce au vent qui met en mouvement un rotor, permettant sa transformation en énergie. La vitesse de rotation entraînée par le mouvement des pales est accélérée par un multiplicateur. Cette énergie mécanique est ensuite transmise au générateur. Un transformateur situé à l’intérieur du mât élève la tension du courant électrique produit par l’alternateur, pour qu’il puisse être transporté dans les lignes à moyenne tension du réseau électrique. Un parc éolien est constitué de plusieurs éoliennes espacées de plusieurs centaines de mètres et connectées entre elles par un réseau interne souterrain et raccordées au réseau public. Pour pouvoir démarrer, une éolienne nécessite une vitesse de vent minimale d’environ 10 à 15 km/h. Pour des questions de sécurité, l’éolienne s’arrête automatiquement de fonctionner lorsque le vent dépasse 90 km/h. La vitesse optimale est de 50 km/h.

Même si elle ne fonctionne pas en permanence à pleine puissance, une éolienne fonctionne et produit de l’électricité en moyenne 90% du temps. En pratique, une éolienne produit quatre fois plus d’énergie si la pale est deux fois plus grande et huit fois plus si la vitesse du vent double. La densité de l’air entre également en jeu : une éolienne produit 3% de plus d’électricité si, pour une même vitesse de vent, l’air est plus froid de 10°C. La puissance éolienne dépend ainsi principalement de l’intensité du vent et de ses variations.

L’avantage de l’énergie éolienne est qu’elle est donc renouvelable mais également décarbonnée en phase d’exploitation. Les terrains où les éoliennes sont installées restent toujours exploitables pour les activités industrielles et agricoles. Implantées localement, les éoliennes peuvent permettre de répondre à des besoins électriques de masse comme à des besoins domestiques limités.

De nombreux détracteurs du développement de l’éolien

Les détracteurs de l’éolien, nombreux en France, continuent de souligner que cette énergie dépend de la puissance et de la régularité du vent, que c’est une source d’énergie intermittente, que les zones de développement sont limitées et qu’elles peuvent susciter des conflits d’usages d’ordre environnemental comme les nuisances visuelles et sonores. Ces conflits sont d’ailleurs la cause principale des nombreux recours lancés contre les projets éoliens terrestres – 50% des projets attaqués entre 2012 et 2014 avec un retard de 3 à 5 ans, tout comme l’éolien en mer où les pécheurs se mobilisent en Normandie à Courseulles-sur-Mer, avec succès auprès de la population, contre des projets offshores en mer.

Les projets de parcs éoliens en France ont été pour moitié attaqués en justice entre 2012 et 2014.

La critique récurrente concerne l’impact sur la protection de la nature, la question des nuisances sonores mais également l’intégration des éoliennes dans le paysage. S’agissant de la nature et de la faune, les oiseaux et les chauves-souris sont les animaux les plus sensibles à l’implantation d’éoliennes. Selon une étude de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) de juin 2017, le taux de mortalité des oiseaux varie en fonction de la configuration du parc – entre 0,3 et 18,3 individus par an et par éolienne. Les facteurs déterminants de cette mortalité sont la proximité avec les zones de protection spéciales (ZPS, qui font partie du réseau Natura 2000) et la sensibilité des migrateurs nocturnes à la présence d’éoliennes. Pour comprendre et réduire au maximum ces impacts, la LPO, les professionnels du secteur et des organismes publics comme l’ADEME œuvrent à travers la réalisation d’études sur le sujet et la prévention auprès des développeurs de projet.

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Parc éolien offshore © Alan O’Neill

En mer, les travaux d’installation des éoliennes (forage, battage de pieux, etc.) émettent des sons qui peuvent perturber la faune marine. Cela peut occasionner de réels problèmes car les mammifères marins s’orientent grâce à des échos sonores. Une autre approche consiste à imposer un contrôle pour qu’aucun mammifère ne pénètre dans la zone de travaux. Si cela arrive, les travaux sont alors interrompus temporairement. Il faut noter toutefois qu’il existe en mer des opérations plus bruyantes que l’installation d’éoliennes, comme les relevés sismiques sous-marins, le passage de navires commerciaux ou les essais sonar de la marine. Ces différentes activités ne sont pas régulées de la même façon, voire pas régulées du tout.

Sur terre, les émissions sonores des éoliennes sont très réglementées et les plaintes des riverains sont rares. L’acoustique des sites éoliens est réglementée par la réglementation ICPE ou Installation classée pour la protection de l’environnement, applicable depuis le 1er janvier 2012 à l’ensemble des parcs français. Les textes fixent en effet un seuil de niveau ambiant à 35 décibels (dB) dans les zones à émergences réglementées, ainsi que les valeurs maximales admissibles lorsque ce seuil est dépassé. Ces valeurs sont de 5 dB le jour et de 3 dB la nuit – entre 22 h et 7 h du matin. Cela signifie que lorsque le niveau de bruit ambiant dépasse 35 dB, la différence entre le bruit résiduel et le bruit ambiant ne doit pas dépasser 5 dB supplémentaires la journée et 3 dB la nuit. Si le niveau de bruit ambiant est inférieur à 35 dB, la mesure ne s’applique pas.

L’Anses (Agence nationale de sécurité de l’alimentation, de l’environnement et du travail) renforce le dispositif de sûreté en préconisant trois mesures : « renforcer l’information des riverains lors de l’implantation de parcs éoliens ; systématiser les contrôles des émissions sonores des éoliennes avant et après leur mise en service et poursuivre les recherches sur les relations entre santé et expositions aux infrasons et basses fréquences sonores ». Un rapport de mars 2017 de l’autorité tend à rassurer puisque, selon l’Anses, « aucun dépassement n’a été attesté pour les seuils d’audibilité dans les domaines des infrasons et des basses fréquences » sur les parcs éoliens existants en France depuis le début des années 2000. L’autorité ajoute : « Les connaissances actuelles ne justifient ni de modifier les valeurs d’exposition au bruit existantes, ni d’introduire des limites spécifiques aux infrasons et basses fréquences sonores ».

Leurs détracteurs estiment que les éoliennes participent à la défiguration du paysage sur terre et en mer.

La dernière critique importante, si ce n’est peut-être la plus répandue, concerne l’intégration dans le paysage des éoliennes. Précisons d’emblée que l’esthétique et l’intégration des éoliennes dans le paysage sont des questions subjectives qui divisent l’opinion où revient la question du NimbyNot in my backyard ou « Pas dans mon arrière-cour ». En France, la réglementation est parmi l’une des plus strictes d’Europe. Ainsi, les lois Grenelle de 2009 et 2010 ont notamment prévu des permis de construire obligatoires pour les éoliennes de plus de 12 mètres, une enquête publique pour celles de plus de 50 mètres, un minimum de 5 éoliennes par parc, une étude d’impact, l’installation des éoliennes de plus de 50 mètres à plus de 500 mètres des zones d’habitation. Les parcs doivent également se situer dans des zones favorables déterminées par des schémas régionaux éoliens. Ces schémas prennent en compte la protection des paysages, des monuments historiques ainsi que des sites remarquables ou protégés, situés à proximité des éoliennes. Les développeurs de projets éoliens font parfois appel à des paysagistes pour déterminer la meilleure implantation, en concertation avec les riverains. En 2015, la fédération d’industriels France Énergie Éolienne (FEE) a commandé une consultation au cabinet d’études CSA auprès de riverains de parcs éoliens en France. L’échantillon a porté sur 508 personnes, représentatives de la population française, résidant dans une commune située à moins de 1 000 mètres d’un parc éolien. Avant la réalisation du parc, les riverains étaient partagés entre indifférence et confiance à l’égard de cette implantation près de chez eux. Ils disent avoir manqué d’informations sur le projet (seuls 38% des habitants disent avoir reçu l’information nécessaire avant la construction du parc éolien). En revanche, une fois les éoliennes implantées et en fonctionnement les avis changent et sont plus positifs.

Paradoxalement, un problème plus durable n’est guère évoqué en amont. Une éolienne a une existence de vie d’environ vingt ans. On parle ici du cycle de vie de l’éolienne. Or, le démantèlement de la partie aérienne d’une éolienne coûte environ 30 000 euros par MW de puissance installée, soit 60 000 euros pour une éolienne de 2 MW. La plupart des exploitants, notamment les municipalités, seraient mal préparés à financer ce démantèlement. Une solution serait de vendre ces équipements à l’étranger pour récupérer le coût des travaux. Certains pays, notamment la Russie et divers États d’Europe de l’Est et du Maghreb rachètent de vieilles éoliennes pour leurs propres besoins. Mais le marché demeure limité et des problèmes environnementaux se posent dans ces pays si le démantèlement est mal réalisé.

Renouvelable mais non recyclable à la fin de sa vie

Même si le financement du démantèlement peut être assuré à terme, que faire de tous les matériaux récupérés ? Les parties métalliques, en acier ou en cuivre, se recyclent aisément. Mais il n’en va pas de même des pales, habituellement composées d’un mélange de fibre de verre et de fibre de carbone, liées à l’aide de résine de polyester. On ne sait pas séparer et recycler ces matériaux, qui pourraient s’accumuler au rythme de 16 000 tonnes par année à partir de 2021. Même leur combustion est à exclure, car les résidus obstruent les filtres des incinérateurs.

La question des socles de béton est aussi problématique. Dans le cas d’une grande éolienne, ils peuvent faire jusqu’à 20 mètres de profondeur et représenter 3 000 tonnes de béton armé. Leur présence est un enjeu environnemental, car l’obstacle qu’ils forment permet souvent à plusieurs niveaux de la nappe phréatique, normalement séparés, de se mélanger. En Allemagne, le droit du bâtiment prévoit leur démolition complète. Mais cela serait rarement le cas en réalité, en raison des coûts de centaines de milliers d’euros liés à cette mesure. Une pratique plus courante, et officiellement tolérée, serait de les démanteler sur les deux ou trois premiers mètres, voire sur un seul, puis de les recouvrir de terre. Nous ne parlons pas là du bilan carbone du béton, responsable de quelques 5% des émissions de GES au niveau mondial. En somme, les éoliennes vieillissantes sont un nouvel enjeu, qui pose des problèmes de gestion du mix électrique, de finances et d’utilisation des matériaux récupérés. Il faudrait sans doute songer à forcer les exploitants à mieux provisionner la fin de vie de leur produit.

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Construction d’un parc éolien ©Pxhere

Sébastien Lecornu a rendu les conclusions du groupe de travail sur l’énergie éolienne installé en octobre dernier le 18 janvier 2019, et a suggéré cette disposition. Le secrétaire d’État à la Transition écologique a présenté dix propositions « pour accélérer la concrétisation des projets et améliorer leur acceptabilité au niveau local ». Avec ces mesures, le gouvernement entend donner aux porteurs de projets les moyens de diviser par deux le délai de construction des parcs d’éoliennes terrestres. Celui-ci est actuellement de sept à neuf ans, explique le ministère. Cette accélération doit servir « l’ambition de doubler la capacité de production issue de l’éolien terrestre entre 2016 et 2023 ». Le secrétaire d’État précise que « les mesures dévoilées aujourd’hui sont le fruit d’un consensus entre tous les acteurs impliqués dans le secteur éolien », ce que n’ont pas manqué de souligner France Énergie Éolienne et le Syndicat des énergies renouvelables qui ont « salué » les mesures prises.

L’énergie éolienne ne cesse d’être de plus en plus compétitive.

L’éolien ne présente, dès lors, pas forcément d’obstacles rationnels à son développement comparé à d’autres production d’énergie. L’énergie éolienne présente l’avantage d’être parmi l’une des plus compétitives – 66 € le MWh et devrait atteindre d’ici 2028 55 € le MWh, contre 59,8 € le MWh pour le nucléaire en 2013 d’après un rapport de la Cour des comptes. Le mégawatt (MW) correspond à un million de watts. Le watt est l’unité internationale de mesure de la puissance et le mégawatt est fréquemment utilisé en production électrique.

Un rapport coûts-avantages favorable à l’éolien

En matière économique, les chiffres de l’Observatoire de l’éolien de France Énergie Éolienne indiquent qu’au 31 décembre 2016, la filière éolienne comptait 800 sociétés actives dans le secteur et 15 870 emplois sur le territoire français. C’est une augmentation de 9,6 % de l’emploi dans le secteur par rapport à 2015, soit 1400 emplois créés par rapport à 2014. L’augmentation de l’emploi dans le secteur éolien représente 26,8% et plus de 3 300 emplois créés. De plus, le marché de l’éolien a pesé en 2016 pour 4,5 milliards d’euros. Cette augmentation va de pair avec la croissance du parc éolien prévu par la loi de Transition énergétique pour une croissance verte ou loi Royal adoptée en août 2015 et réaffirmée par la PPE puisqu’il existe 1653 installations au 31 décembre 2017 et qu’il est prévu de passer en 2023 entre 21 800 et 26 000 MW ; jusqu’à atteindre un parc de 14 200 à 15 500 éoliennes en 2028 avec une production moyenne de 35 000 MW – ou 35 GW.

Les éoliennes produisent en moyenne trois fois moins de CO2 que le photovoltaïque et autant que le nucléaire en phase d’exploitation.

Pour donner un ordre de grandeur, en France, une éolienne de 2 MW permet en moyenne d’alimenter en électricité environ 900 foyers. En comparaison, un réacteur nucléaire français a une puissance installée comprise entre 900 MW et 1450 MW. Précisons toutefois que cette comparaison à une limite car il est important de noter qu’un MW de puissance éolienne installée produit moins d’électricité qu’un MW installé dans une centrale nucléaire. De fait, une éolienne ne fonctionne que si le vent est assez fort.

Une énergie parmi l’une des plus décarbonées

Le dernier argument qui pourrait convaincre les plus sceptiques est l’impact environnemental que représente l’énergie éolienne. Les éoliennes émettent environ 12,7 d’équivalent CO2 selon l’ADEME pour produire un kWh électrique ce qui en fait l’une des énergies les plus décarbonées avec l’hydroélectricité et… le nucléaire. Cet impact environnemental moindre par rapport à d’autres énergies renouvelables comme le photovoltaïque ne semble toutefois pas convaincre le gouvernement d’afficher une ambition plus forte en la matière pour produire plus durablement de l’électricité. Ce dernier, avec la PPE, s’est certes engagé à ce que le mix énergétique voit la part du nucléaire passer de 70% à 50%, et à la progression de 16% à 40% de la part des énergies renouvelables. Néanmoins, beaucoup d’associations environnementalistes ont souligné que le gouvernement n’allait pas assez loin et restait trop en faveur de la trajectoire prévue par EDF, numéro un mondial de l’électricité.

Un réel changement de trajectoire qui reste à prouver

L’État lui aussi souhaite-t-il réellement changer de trajectoire ? Le jeudi 28 février 2019, l’ensemble des élus de Normandie, que ce soit Hervé Morin, le président du Conseil régional ou encore le député communiste Sébastien Jumel ont encouragé lors du salon Nucléopolis à Caen le PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy – qui vient d’être reconduit à son poste pour quatre ans supplémentaires par le gouvernement français et Emmanuel Macron – à pousser pour la création de deux réacteurs EPR à Penly. La décision appartient à l’État, qui tranchera en faveur ou contre ce projet en 2021. On serait tenté de penser que l’État, qui détient encore 83% du capital de l’entreprise, pourrait appuyer ce projet si l’EPR de Flamanville se révèle être finalement un succès après sa probable mise en service en 2020.

https://ifpnews.com/coverage/french-president-hails-irans-role-fighting-terror-mideast/
Emmanuel Macron ©IFP

EDF a, de son côté, pris depuis longtemps la trajectoire des énergies renouvelables en devançant l’État via sa filiale EDF Énergies Nouvelles où le développement de l’éolien en France et d’une manière générale des ENR est l’une des stratégies opérées par le groupe pour diversifier son mix de production énergétique, actuellement très dépendant de la filière nucléaire.

Si certains élus ont tendance à encore concevoir le rôle du nucléaire comme prépondérant pour assurer l’indépendance énergétique de la France, le grand débat national peut peut-être également remettre en question certaines trajectoires prévues par la PPE. Le 25 janvier 2019, la PPE a été présentée dans son intégralité et est en cours de discussion avec les agences environnementales dans l’attente du décret d’application. Or, les réminiscences liées à la taxe carbone ou à l’augmentation du tarif de l’électricité de 6% au printemps prévue par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pourraient remettre en question certains axes prévus par la PPE. Déjà, la fermeture des centrales thermiques à charbon prévue pour 2022 ne semble plus à l’ordre du jour. Ces considérations conjoncturelles ne doivent pourtant pas oublier l’urgence structurelle de modifier en profondeur nos moyens de production d’énergie en France. L’éolien, en tant qu’énergie renouvelable ne doit être sacrifié à l’autel de logiques économiques d’arrière-garde. Gageons qu’en la matière, le « Make out planet great again » d’Emmanuel Macron ne soit pas du vent.

De la COP1 à la COP24 : une histoire d’avancées et de renoncements

Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, lors de la COP24 de Katowice (2018), photo © Vincent Plagniol pour Le Vent se Lève

Katowice  accueille  la  24ème édition de la Conference Of the Parties, ou COP24. Historiquement, certaines COP ont plus particulièrement marqué les esprits, comme la COP3 qui a vu naître le protocole de Kyoto en 1997, ou plus récemment la COP21 avec la mise en place de l’accord de Paris sur le climat. Mais alors, qu’en est-il des autres COP, comment sont nées ces conférences annuelles internationales et que peut on retenir de ces évolutions?


Des premières inquiétudes environnementales à la naissance de la COP

Les premières inquiétudes collectives en matière d’environnement se cristallisent en 1972, avec l’organisation par l’ONU du premier Sommet de la Terre à Stockholm. Alors que partout ailleurs en Europe, les thématiques écologiques n’en sont qu’à leur balbutiement, la Suède s’est déjà largement investie dans la voie du développement durable. Les discussions s’engagent sans réelle action concrète.

Ce n’est qu’au troisième Sommet de la Terre à Rio en 1992 que les consciences s’éveillent. 182 États sont présents pour débatte de l’avenir de la planète, c’est un record. La déclaration de Rio de Janeiro sur l’environnement et le développement, qui souligne entre autre la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, est signée. Les pays présents s’accordent sur une définition officielle du développement durable et sur la mise en place de nouveaux accords multilatéraux. À travers la signature de la convention, les États s’engagent à se rassembler chaque année en compagnie d’acteurs non gouvernementaux (citoyens, ONG, entreprises…) pour poursuivre les débats et engager collectivement de nouvelles politiques communes en matière de développement durable. Ainsi naît la COP.

Trois ans plus tard, en 1995, la première COP voit le jour à Berlin. Des objectifs chiffrés en matière d’émissions de gaz à effet de serre sont assignés à chaque pays, sans véritable cadre contraignant. Parallèlement, le GIEC (Groupe d’Expert Intergouvernementale sur l’Evolution du Climat) publie son deuxième rapport d’évaluation et souligne que  « des preuves suggèrent une influence détectable de l’activité humaine sur le climat planétaire ». Ce rapport se retrouve par la suite au cœur des négociations, et amorce la mise en place du protocole de Kyoto.

Le protocole de Kyoto, un premier grand pas, une réussite à demi-teinte

Ce n’est qu’en 1997 à Kyoto que la COP connaît un tournant. Pour la première fois, un protocole contraignant encadre les émissions de CO2 et s’appuie sur des données chiffrées. Les pays signataires s’engagent à réduire d’au moins 5,2% les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire d’ici à 2020, avec la naissance de « permis d’émissions » qui donne lieu à un véritable marché. Le principe de « responsabilités communes mais différenciées » opère une différenciation entre les pays en voie de développement et les pays industrialisés de façon à en adapter les objectifs. Le protocole de Kyoto n’entre en vigueur qu’en 2002, suite à la 55ème signature et l’assurance que l’ensemble des pays représentent au moins 55% des émissions de gaz à effet de serre. Il est officiellement ratifié en 2005, lors de la COP11 de Montréal. Opposés à la présence d’un cadre contraignant, les États-Unis, alors émetteurs de 20% des émissions, refusent l’accord et proposent une alternative baptisée “Asia-Pacific Partnership for Clean development and Climate” regroupant l’Australie, la Chine, l’Inde et la Corée du Sud, qui vise à mettre en place des politiques de réduction des émissions sans contraintes juridiques.

Entre 1998 et 2012, les COP de l’après- Kyoto tendent d’une part à négocier et à mettre en place les directives engagées à Kyoto, dont les systèmes d’observation, et d’autre part, à partir de 2005,  à organiser la relance du protocole en 2012. Le Canada, la Russie et le Japon refusent de signer ce deuxième engagement, dénonçant l’absence des États-Unis et de la Chine, les deux principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre. L’Europe signe l’accord de manière symbolique, les pays signataires ne représentent plus que 15% des émissions à l’échelle mondiale. Pour le premier accord à visée contraignante, il s’agit donc d’un progrès à demi-teinte.

La COP15, avec l’accord de Copenhague, s’accorde sur une limitation du réchauffement climatique à 2 degrés. Les États-Unis sont parallèlement toujours sur la réserve. En 2011 à l’occasion de la COP17, les accords de Durban se donnent pour objectif l’adoption d’un nouvel accord universel en 2015, l’accord de Paris. Des groupes de travail sont mis en place.

L’accord de Paris, un moment historique

De 2012 à 2015, les COP s’organisent autour de la mise en application des directives de Kyoto et la préparation de l’accord de 2015.

En 2015, la COP21 regroupe 195 pays, tous signataires de l’accord, y compris les États-Unis de Barack Obama qui rejoignent la communauté internationale. Il est considéré comme un moment «historique » en matière de politique environnementale puisqu’il est le premier accord universel sur le climat, et le texte le plus largement signé dans l’histoire de l’humanité. Seuls la Syrie, en pleine guerre civile, et le Nicaragua, qui estime l’accord insuffisant, restent à l’écart. L’accord entre en vigueur en novembre 2016, mais un an plus tard, alors que la Syrie appose sa signature, les États-Unis sous Donald Trump se retirent, refusant les contraintes imposées par cet engagement.

La volonté de contenir le réchauffement climatique sous la barre des 2 degrés, voire de le limiter à 1,5 degrés d’ici à 2100, est entérinée. Les pays sont sommés de publier sur le site des Nations-Unis leurs objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). La France s’est ainsi engagée à réduire de 40% ses émissions d’ici à 2030. Sont aussi évoqués l’abandon progressif des énergies fossiles et la neutralité carbone.

Et après ?

Si l’accord de Paris a défini les grands principes de la nouvelle gouvernance internationale en matière de climat, les COP22 et 23 étaient chargées d’en discuter les définitions et les modalités d’application. La COP24 de Katowice s’inscrit dans cette lignée, et doit aboutir à une mise en place opérationnelle des engagements et à une définition précise des financements relatifs au climat, incluant l’assistance internationale aux victimes des changements climatiques. Surtout, l’enjeu est de s’accorder sur la mise en place de mesures contraignantes, laissées en désuétude depuis le protocole de Kyoto. Deux ans et demi après l’accord de Paris, aucun pays ne s’est encore aligné sur les objectifs fixés. Les progrès à faire sont encore considérables, et au vu des résultats, l’efficacité de ces conférences internationales est de plus en plus remise en question.

Aperçu des 24 COP, de 1995 à 2018

Année    COP      Ville, Pays
1995      COP1     Berlin , Allemagne
1996      COP2     Genève, Suisse
1997      COP3     Kyoto, Japon
1998      COP4     Buenos Aire, Argentine
1999      COP5     Bonn     Allemagne
2000      COP6     La Hague, Pays-Bas
2001      COP6     Bonn, Allemagne
2001      COP7     Marrakech, Maroc
2002      COP8     New Delhi, Inde
2003      COP9     Milan    Italie
2004      COP10  Buenos Aires, Argentine
2005      COP11  Montréal, Canada
2006      COP12  Nairobi, Kenya
2007      COP13  Bali, Indonésie
2008      COP14  Poznań, Pologne
2009      COP15  Copenhague, Danemark
2010      COP16  Cancún, Mexique
2011      COP17  Durban, Afrique du Sud
2012      COP18  Doha, Qatar
2013      COP19  Varsovie, Pologne
2014      COP20  Lima, Pérou
2015      COP21  Paris, France
2016      COP22  Marrakech, Maroc
2017       COP23  Bonn, Allemagne
2018       COP24  Katowice, Pologne

 

 

Pourquoi inscrire la protection de l’environnement dans l’article 1er de la Constitution ?

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Nicolas Hulot ©COP PARIS

« La République agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le réchauffement climatique ». Telle pourrait être la formulation inscrite dans l’article 1er de la Constitution française, si sont adoptés les projets de lois pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, présentés en mai 2018 par le gouvernement Edouard PhilippeD’abord attendue à l’article 34, qui définit les domaines où le Parlement peut légiférer, cette mesure symbolique, lancée par Nicolas Hulot, a été accueillie avec agréable surprise par les militants et les associations environnementales. Alors concrètement, qu’est-ce que cela change, et plus encore, cela change-t-il vraiment quelque chose ?


L’article 1er de la Constitution définit les principes fondamentaux de la République, comme l’égalité ou la laïcité. En y inscrivant la préservation de l’environnement, de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique, le gouvernement instaure ces notions comme un socle, comme un principe fondamental qui supplanterait les autres, y compris l’économie. Il s’agit donc d’un symbole fort.

Mais au-delà du symbole, il offre également une base juridique pour la rédaction et le vote de nouvelles lois, et tend à prévenir les retours en arrière, car les législateurs, sous peine de censure, ne peuvent proposer de lois explicitement contraires à l’article 1er. À l’examen des lois, il permet aussi de justifier une opposition devant le Conseil constitutionnel. Il sera donc désormais plus facile de défendre le principe de protection de l’environnement en s’appuyant clairement sur la Constitution. Dans un communiqué de presse, WWF explique ainsi que « cette décision permettra à l’environnement, au climat et à la biodiversité de peser davantage dans la balance qu’opère le juge constitutionnel entre les différents principes inscrits dans la Constitution, tels que la liberté d’entreprendre ou le droit de propriété». Il s’agit donc d’établir un équilibre.

Cependant, cette annonce ne fait pas l’unanimité au sein des militants écologistes et des députés. Certains décrient tout d’abord la formulation, et auraient préféré au verbe « agir » une formulation comme « assurer » ou « garantir »,  plus contraignante pour l’État. D’autres restent prudents quant aux conséquences réelles de cette décision tandis que des députés LR déplorent une perte de temps avec cette idée « d’enfoncer des portes déjà ouvertes ». Les associations se réjouissent, mais Véronique Champeil-Desplats, professeure de droit public à l’Université Paris-Ouest Nanterre, déplore quant à elle un progrès en demi-teinte avec l’abandon de l’article 34.

Si l’inscription dans l’article 1er relève d’un caractère symbolique important, y ajouter parallèlement une modification de l’article 34, en instaurant le principe de respect du bien commun, aurait permis de donner un cadre plus strict aux interventions et aux missions parlementaires. Qu’en sera-t-il également des projets déjà signés ou en cours ? Il est ainsi possible d’évoquer cette récente controverse concernant l’importation d’huile de palme sur le site Total de Mède, autorisée car résultant d’un accord signé avec le gouvernement précèdent, impossible à rompre malgré la contestation organisée par le secteur agricole en juin dernier. Sera-t-il désormais possible de s’y opposer frontalement, au nom de l’article 1er de la Constitution ? Cela semble encore difficile à dire, car les conséquences ne seront visibles qu’à partir de 2019, lorsque l’adjonction aura pris effet.

Un greenwashing gouvernemental ?

Mais alors comment expliquer un tel regain d’intérêt des députés pour l’environnement après les récentes déconvenues de Nicolas Hulot ? En refusant fin mai l’interdiction de l’utilisation du glyphosate, herbicide classé cancérigène probable par l’Organisation Mondiale de la Santé, d’ici à 2021, les députés se sont vus contestés tant par les militants écologistes que par l’opinion publique qui a, contre toute attente, pris la question très au sérieux. L’image du ministre de la Transition écologique et solidaire s’est vue écornée et le Make our planet great again du président Emmanuel Macron en a définitivement pris un coup. Apaiser le feu des tensions et engager une réhabilitation, donc ?

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Depuis 2008, la Constitution de l’Équateur fait de la Nature une personne juridique à part entière, porteuse de droits propres exigibles devant les tribunaux.

Il ne s’agit pas d’une rupture. La France a déjà intégré en 2004 la Charte de l’environnement dans la Constitution, et ce n’est pas le premier pays à se lancer dans cette voie verte, au contraire. Le mouvement pour la constitutionnalisation du droit de l’environnement est lancé depuis les années 70. Les constitutions grecque, espagnole et suédoise mentionnent par exemple la protection de l’environnement. En Allemagne, l’article 20a souligne la responsabilité de l’État pour les générations futures. Au Brésil et au Portugal, la Constitution décrit précisément les devoirs des pouvoirs publics afin de garantir le droit à un environnement écologiquement équilibré. D’autres pays sont allés encore plus loin : depuis 2008, la Constitution de l’Équateur fait de la Nature une personne juridique à part entière, porteuse de droits propres exigibles devant les tribunaux.

Cette victoire arrive donc à point nommé pour Nicolas Hulot. Celle-ci a certes plus de poids que l’inscription à l’article 34 ou que la Charte de l’environnement,  et possède un caractère plus astreignant. Cependant, elle n’offre aucune garantie. Les « Sages » posséderont toujours une marge de manœuvre, et cet ajout constitue avant tout un appui et une assise pour les défenseurs de l’environnement déjà ralliés à la cause, ce qui peut être prometteur si de nouveaux députés, davantage tournés vers ces problématiques, remplacent les membres actuels.

Mais inscrire une notion dans la Constitution, puisse-t-elle être au 1er article, ne la préserve pas des interprétations sur sa portée et sa signification, en sont ainsi les témoins les éternels débats autour de la laïcité et de l’égalité. La définition même de développement durable est sujette à discussion au sein des communautés scientifiques. Il s’agit donc d’une avancée porteuse d’espoir, sans aucun doute, mais dont les résultats sont encore incertains.

Photo de couverture : © COP PARIS

Trump, une aubaine pour les hypocrites environnementaux

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© US Embassy France. Licence : l’image est dans le domaine public.

L’indécence environnementale du président américain a été unanimement condamnée. Mais les donneurs de leçons sont pourtant loin d’être exemplaires  en la matière.

La décision du président américain Donald Trump de retirer les Etats-Unis de l’accord de Paris a été reçue comme par beaucoup comme un nouvel exemple du mépris total de la Maison Blanche actuelle pour l’environnement. Pourtant, après ses déclarations climatosceptiques durant la campagne, la nomination de Rex Tillerson, ex-PDG d’Exxon-Mobil, la plus grosse multinationale pétrolière mondiale, comme chef de la diplomatie et les déclarations d’amour de Trump à l’industrie du charbon, sa récente décision n’est finalement que l’officialisation d’une ligne politique déjà claire depuis des mois. En justifiant sa décision par le coût pour le contribuable américain de la participation au fonds de 100 milliards à l’attention des pays en développement, Trump joue sur les peurs du “petit peuple” américain, notamment dans la “Rust Belt”, pour mieux faire oublier les multiples affaires et les nombreux renoncements à ses promesses.

Cette annonce surmédiatisée a fait réagir au quart de tour les grands de ce monde, jouant les vierges effarouchées devant une fausse surprise. Le président français Macron, le Premier Ministre canadien Trudeau, le président de la commission européenne Juncker, l’ancien maire de New York Michael Bloomberg, les PDG de la Silicon Valley y sont allés de leurs petits commentaires. Évidemment, leur confiance dans le respect réel de l’accord de Paris était limitée, mais ils ne pouvaient pas manquer d’afficher leur appui à cet accord historique… d’autant que leurs choix politiques en la matière sont loin d’être excellents.

Ainsi, personne n’a rappelé l’absence de l’écologie comme thème de débat entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, pas plus que la volonté de rouvrir des mines de ce dernier. M. Trudeau, déjà haut classé dans les rangs des greenwashers, est lui en pleine bataille contre le gouvernement de Colombie Britannique pour faire passer un méga-pipeline. L’UE, jamais en retard dans le domaine du dumping, l’est beaucoup plus quand il s’agit de réformer le marché des permis d’émissions de carbone ou de sanctionner les fraudes liées au “Dieselgate”. M. Bloomberg, patron de presse milliardaire et ancien maire de New York, a certes mené un certain nombre d’efforts durant ses 3 mandats, mais sa politique de gentrification exacerbée a accentué l’exil forcé des working poors en dehors du centre de la métropole, conduisant à l’augmentation de trajets pendulaires engorgeant les axes de circulation et augmentant la pollution. Preuve que l’écologie est indissociable des questions socio-économiques dans le long-terme. Enfin, en ce qui concerne les multinationales, leur rôle est évidemment essentiel et le recours accru aux énergies renouvelables par les géants du web est positif, mais leur évasion fiscale colossale grève les etats et les collectivités des ressources nécessaires pour mener bien des projets.

Une fois encore, les meilleurs élèves en matière d’environnement sont ceux que l’on entend le moins. L’Equateur a produit 85% de son électricité par des énergies renouvelables en 2016 et compte atteindre 90% cette année. Le Costa Rica est même monté à 98% l’an dernier, tandis que ses forces armées se limitent à 70 hommes. L’occasion de rappeler que les maigres économies dégagées par le retrait des accords de Paris par Trump ne suffiront pas à financer les 54 milliards de dollars supplémentaires dévolus à l’armée américaine dans le budget de l’année prochaine…

Pour sa part, Nicolas Hulot aura quant à lui fort à faire face à la politique tout sauf écologique d’Emmanuel Macron, d’autant plus que la France régresse à de nombreux niveaux: le solaire photovoltaïque progresse de moins en moins, la filière éolienne a été bradée à l’Espagne et aux Etats-Unis sous le mandat Hollande et la réduction de la part du nucléaire prévue est quasi irréalisable. Sans oublier les retards de paiement des aides à la conversion à l’agriculture biologique, la multiplication des grands projets inutiles et tant d’autres dossiers.

De manière malheureusement peu surprenante, le système médiatique a, dans sa grande majorité, avalisé cette distribution des rôles simpliste et mensongère entre “méchants” et “gentils” du changement climatique, alors même que son rôle serait de déconstruire les postures et de décerner les hommages aux méritants. À l’heure du règne du marketing, la décision de Trump, homme gras de 71 ans incarnant à merveille les caricatures les plus répandues sur “l’américain moyen”, est une occasion en or pour tous les irresponsables environnementaux de mener une grande opération de greenwashing en affirmant haut et fort leur attachement à un accord qu’ils ne respecteront pas non plus. Non seulement cette décision ne devrait pas contribuer significativement à relancer l’emploi dans les bassins de charbon des Appalaches, mais elle risque surtout d’accroître le retard déjà important des Etats-Unis dans la transition écologique. Plus que tout, il serait temps de ne plus en profiter pour jouer le jeu des hypocrites environnementaux.

 

Crédits photo:© US Embassy France. Licence : l’image est dans le domaine public. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Donald_Trump_and_Emmanuel_Macron_II_France_July_2017.jpg