Télésurveillance à l’université : quand la crise du COVID est prétexte à l’extension de procédés intrusifs

Reconnaissance automatique des visages, détection de comportements suspicieux, analyse de l’environnement de l’étudiant, etc. Depuis le début de la crise du COVID-19, les services du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche encouragent des dispositifs intrusifs visant à éviter les fraudes aux examens universitaires. Précipitées par la crise, ces solutions seraient illégales et inégalitaires selon l’avis de nombreux observateurs. 


Les solutions du ministère

La crise du COVID a considérablement modifié les modalités d’enseignement et d’examens à l’université. En mars dernier, la direction générale de l’Enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) recommande, entre autres, dans le cadre de son Plan de continuité pédagogique la mise en place de la télésurveillance des examens. En effet, dans ce document, il est préconisé que « les examens écrits nécessitent une télésurveillance particulière qui permet de vérifier l’identité de l’étudiant et d’éviter les fraudes. Ils nécessitent donc un recours à des services de télésurveillance ». Aussi, le ministère liste dans cette même fiche les fournisseurs de service européens ayant l’habitude de travailler avec les universités. Avant la crise, Sorbonne Université ou l’Université de Caen Normandie « en pointe sur la question de la télésurveillance » selon le ministère, avaient déjà testé ce dispositif. Depuis le début du confinement, la possibilité de le généraliser s’est présentée comme une alternative dans certaines universités qui ont alors recours à des prestataires privés.

Surveiller à tout prix

Plusieurs procédés sont envisagées pour surveiller les étudiants et éviter les fraudes : accès à la webcam permettant une surveillance constante, prise régulière ou aléatoire de photos ou système de double caméras (webcam et smartphone) pour un contrôle de l’environnement de l’étudiant.

Parfois, le choix est laissé aux enseignants d’organiser les examens comme ils le souhaitent. C’est dans ce contexte que, fin avril, un chargé de TD  en anglais de l’université Paris II Panthéon-Assas enverra à ses étudiants les conditions de passation de leur épreuve. Au programme : webcam allumée, contrôle total de l’ordinateur, accès aux boîtes mails et comptes des réseaux sociaux afin de vérifier que l’étudiant ne communique pas avec ses amis, etc. Le dispositif incluait également le « eyeball tracking » permettant de détecter les mouvements oculaires des étudiants. Face à l’inquiétude des étudiants, l’enseignant abandonnera finalement ce dispositif de surveillance. L’université, quant à elle, affirme ne pas cautionner ces pratiques. 

© Capture d’écran démo ProctorExam

Pratiques illégales ?

Selon la Quadrature du Net, ces alternatives présentées par le ministère comme des solutions sont considérées illégales. En effet, pour les juristes de l’association, elles enfreignent l’article 9 du Règlement général sur la protection des données (RGPD) où il est fait mention de l’interdiction de traiter des données biométriques (système de reconnaissance faciale notamment) « aux fins d’identifier une personne physique de manière unique ». Ces pratiques sont d’autant plus problématiques qu’elles ne recueilleraient pas le consentement des étudiants. 

Outre l’inquiétude que suscite cette intrusion dans la vie privée, l’analyse des comportements et de l’environnement provoque chez les étudiants un sentiment d’autoritarisme de la part du corps pédagogique. Des témoignages interrogent ainsi sur la problématique plus large d’adaptation des modalités d’enseignement et d’évaluation à l’université.

Fracture sociale et numérique

Ces solutions techniques sont révélatrices des inégalités sociales et posent la question de la prise en compte des situations socioéconomiques des étudiants. Pour beaucoup d’entre eux, les conditions nécessaires pour la mise en place à leur domicile de ces dispositifs ne peuvent être réunies (absence ou défaillance du matériel informatique, connexion impossible ou erratique, habitat précaire, etc.). Ils ne prennent, en effet, pas toujours compte de la fracture sociale et numérique dont témoignent pourtant les enseignants depuis le début de la crise . 

Amphithéâtre, IUT de Nîmes

Cela est d’autant plus étonnant que les services du ministère ajoutent dans leur Plan de continuité pédagogique qu’« il est nécessaire de demander à l’étudiant un engagement explicite à assumer la responsabilité des conditions techniques, matérielles et opérationnelles du déroulé de l’examen à son domicile. ». Ainsi les universités trouvent ici une faille qui leur permettrait de se défausser si l’étudiant venait à rencontrer des difficultés techniques ou matérielles pendant l’épreuve. 

Pour certains universitaires, ces nouvelles modalités d’enseignement et d’examen fragilisent encore plus durement ces étudiants en période de crise. Si certains ont encouragé la mise en place de ces dispositifs, d’autres y voient une opportunité pour le ministère de tester et de précipiter leur généralisation ainsi que leur pérennité dans un contexte où la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) prévoit une dérégulation du système de l’enseignement et de la recherche qui impactera autant les étudiants que leurs enseignants.