« Si Assange est extradé, il sera coupable avant même d’avoir été jugé » – Stella Assange

Assange extradition - Le Vent Se Lève
© Joseph Édouard pour LVSL

Un bref répit pour Julian Assange ? Le journaliste australien est autorisé à faire appel de son extradition vers les États-Unis par la Haute cour de Londres. Mais le jugement final n’est pas de nature à rassurer son équipe juridique. Sur les neuf motifs présentés contre son extradition, seuls trois ont été retenus. La cour demande des « assurances » aux États-Unis, notamment la garantie qu’il échappera à la peine capitale – si elles sont fournies, Assange pourrait être extradé dans trois semaines. En outre, elle écarte les projets d’assassinat et de kidnapping élaborés par la CIA à son encontre comme des pièces non pertinentes au dossier (sous le prétexte que s’il était extradé, ces risques disparaîtraient). Si l’extradition de Julian Assange devait aboutir, il serait privé de tout moyen de défense. Sous la coupe de l’espionage act, il encourt 175 ans de prison ; comme il n’est pas citoyen américain, il ne bénéficie pas même de la mince protection qu’offre le premier amendement de la Constitution.

Nous retranscrivons ici l’intervention de Stella Assange, avocate et compagne de Julian Assange, lors d’une conférence en juin 2021 à l’Université Paris 2, à l’invitation de plusieurs associations. Elle appelle le gouvernement français à soutenir la libération d’Assange, au nom des services que lui a rendu Wikileaks – qui a notamment révélé les pratiques d’espionnage des agences américaines en France. Cette conférence s’est déroulée en compagnie d’Antoine Vey, avocat de Wikileaks, et a été modérée par Vincent Ortiz, rédacteur en chef adjoint du Vent Se Lève.

La cour en charge du cas Assange aux États-Unis est localisée dans la ville d’Alexandria en Virginie. Pourquoi à Alexandria ? Parce que toutes les agences de renseignement y ont leur quartier général. Cette cour se trouve à moins de 30 kilomètres du quartier général de la CIA. C’est essentiellement une cour de sécurité nationale. Aucune personne accusée d’avoir violé la sécurité nationale du pays n’y a jamais gagné un seul procès.

Un procès dont l’issue est connue d’avance

Accusé au nom de l’espionage act, qui a une portée très large, Julian Assange n’aurait aucun moyen de se défendre [ndlr : voté en 1917, l’espionage act avait pour but de combattre les opposants à la politique étrangère des États-Unis, dans un contexte de guerre. Sa compatibilité avec le premier amendement a fait l’objet de nombreux débats]. Il ne pourrait parler ni des motifs de publication des documents, ni de leur contenu. Tous ces arguments seraient hors de propos : on a affaire à une infraction de responsabilité absolue. « Avez-vous reçu ces documents ? Oui. Possédez-vous ces documents ? Oui. Avez-vous publié ces documents ? Oui » : avec l’espionage act, il est coupable avant même d’avoir été jugé. Et il risque une peine de 175 ans de prison.

Pour couronner le tout, du fait qu’il ne soit pas Américain, Julian Assange ne serait pas protégé par le premier amendement – que l’espionage act rend de toutes manières caduc. Il ne pourrait pas l’invoquer en sa faveur. Aucune personne non-Américaine extradée aux États-Unis ne possède de droits relatifs à la liberté de la presse s’il tombe sous le coup de l’espionage act. Comment organiserions-nous sa défense s’il était extradé ? Je n’en sais rien. Il n’y aurait aucune défense à monter.

L’affaire Assange crée un précédent

La persécution d’Assange menace la pérennité d’un ordre mondial basé sur le droit international. Le rapporteur spécial des Nations-Unies sur la torture, Nills Melzer, a été très clair. Il a mené une enquête et a conclu au fait qu’Assange a été confronté à de la torture psychologique. Le groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires a rendu un rapport en 2016 concluant au fait que Julian Assange était illégalement détenu dans l’ambassade d’Équateur. De nombreuses autres personnalités de l’ONU ont rendu des conclusions similaires et appelé à la fin de sa persécution.

© Anastasia Léauté

Que les États-Unis et le Royaume-Uni montrent un tel mépris pour les Nations-Unies menace l’intégrité d’un système international basé sur les Droits de l’homme.

Observez ce qui s’est produit en Biélorussie [ndlr : en mai 2021, un avion était détourné sur ordre du gouvernement d’Alexandre Loukachenko, visant à l’arrestation d’un opposant biélorusse]. C’est la conséquence lointaine d’une fracturation de l’ordre internationale à laquelle ont contribué les États-Unis. En 2013, ils avaient ordonné l’interception de l’avion d’Evo Morales, président bolivien [ndlr : voyageant de Russie vers la Bolivie, l’ex-président Evo Morales s’était vu refuser une escale en France, en Italie ou en Espagne. Une rumeur voulait qu’Edward Snowden ait été à bord de son avion, et accepter qu’il fasse escale dans ces pays aurait été un signe de défiance à l’égard des États-Unis]. Ce faisant, ils ont institué une norme qui est à présent prise pour référence par d’autres.

De même, l’affaire Assange crée un précédent. Observez la manière dont le premier ministre chinois et le président d’Azerbaïdjan utilisent ce cas pour justifier leur violation des droits de l’homme – puisque le monde entier les viole, pourquoi se priver ? [ndlr : dans une interview avec une journaliste britannique devenue virale, le président azéri avait répondu à une question concernant la liberté d’expression dans son pays en évoquant l’affaire Assange]. Les gouvernements non-occidentaux voient dans le cas Assange un blanc-seing pour justifier leurs pratiques répressives à l’égard des journalistes.

Le système américain offre des garanties particulièrement fortes concernant la liberté de la presse en comparaison du reste du monde. Le premier amendement est l’équivalent d’un étalon-or pour la liberté de la presse et d’expression. Avec cette mise en accusation, le premier amendement serait mis en danger. Cela aurait un impact profond sur la culture politique des États-Unis et du monde occidental – si une telle chose se produit aux États-Unis, d’autres suivront.

Un journaliste face au durcissement de l’administration américaine

Julian Assange est persécuté parce qu’il a dénoncé des crimes. Il ne faut pas avoir peur de parler de persécution politique. Si vous enleviez les drapeaux des pays concernés, que vous transposiez le cas Assange dans d’autres pays, tout le monde emploierait ces mots : prisonnier d’opinion, prisonnier politique, prisonnier pour avoir dénoncé des crimes d‘État, etc.

Revenons sur le contexte de sa mise en accusation.

Les États-Unis ont lancé une enquête sur Julian Assange en 2010, suite aux publications de Wikileaks relatifs aux États-Unis. Il faut rappeler leur nature : ces documents concernent la guerre en Irak, la guerre en Afghanistan, ou le fonctionnement de Guantanamo. D’autres révèlent le contenu des câbles du Département d’État. D’autres encore concernent les règles d’engagement, c’est-à-dire relatives à l’emploi de la force armée dans des théâtres de guerre. Ces documents sont la preuve vivante de crimes commis par l’armée américaine.

L’administration Obama a enquêté : un grand jury a été formé, une équipe d’investigation a été mise en place, ainsi qu’une task force dédiée à Wikileaks constituée de centaines de personnes. Après la mise en accusation de Chelsea Manning, condamnée à 39 ans de prison pour avoir été la source de Wikileaks, l’administration Obama, ayant examiné le résultat de ses enquêtes, en a conclu qu’Assange agissait de manière totalement conforme à n’importe quel acteur journalistique. C’est la raison pour laquelle ils ont laissé tomber l’accusation : aucune charge concluante ne pouvait être soulevée contre lui.

© Anastasia Léauté

Que s’est-il passé sous l’administration Trump ? Des relations hostiles se sont développées entre la presse et l’administration Trump. Celle-ci voyait dans l’arme judiciaire le moyen de limiter le pouvoir de la presse. Dans le même temps, Wikileaks publiait Bolt 7,des documents secrets à propos de la CIA, qui constituent la plus grande fuite de l’histoire de l’institution. Alors que Trump entrait dans le bureau ovale, Mike Pompeo était nommé directeur de la CIA. Il a prononcé un discours annonçant qu’il allait réduire Wikileaks au silence. Mike Pompeo est par la suite devenu secrétaire d’État, tandis que le Département de la justice subissait l’influence de la CIA et de la Maison blanche. Il a été l’objet de pressions visant à aboutir à la mise en accusation de Wikileaks. Voilà la signification de cette mise en accusation.

L’État américain, prisonnier de ses agences de renseignement ?

Joe Biden fait face à un choix politique. Aucun État n’est monolithique. Il y a des contradictions au sein même de l’État américain, de ses ministères, de ses agences. Lorsqu’Assange a été mis en accusation, plusieurs procureurs du Department of Justice ont demandé à être relevés de leurs fonctions parce qu’ils ne l’approuvaient pas. Des acteurs clefs au sein de l’État américain se sont opposés et s’opposent à la mise en accusation d’Assange. Certains le font au nom de motifs politiques. D’autres – ce fut le cas de Barack Obama – sont effrayés par les conséquences à long terme que pourrait avoir la mise en accusation d’Assange. D’autres enfin, au sein du secteur de l’espionnage et de la sécurité nationale, sont au contraire farouchement en faveur de son incarcération – en partie parce que Julian Assange a dénoncé les méthodes de la CIA et des agences de renseignement.

Rappelez-vous des révélations récentes, selon lesquelles les services secrets du Danemark coopéraient avec la CIA pour espionner les chefs d’État européens… et même leur propre gouvernement ! Elles disent assez du pouvoir de ces agences. Souvenez-vous des révélations de Wikileaks, qui nous ont appris que la NSA espionnait directement espionné Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac et François Hollande. À l’époque, les États-Unis se sont excusés auprès de François Hollande et ont promis de ne pas recommencer… Mais en 2017, Wikileaks a publié de nouveaux documents, établissant que la CIA avait infiltré les principaux partis politiques français – pas seulement à l’aide de piratages, mais avec des agents humains. Des espions américains ont littéralement infiltré les partis politiques français. Avec de telles révélations, ces agences ne peuvent qu’être hostiles à Wikileaks. Bien sûr, l’État américain n’est pas seulement constitué de ces agences. Les valeurs démocratiques et l’idéal de séparation des pouvoirs sont également des valeurs profondément ancrées. Aujourd’hui, cependant, les agences de renseignement ont la main haute. Elles sont parvenues à instrumentaliser et à politiser la loi afin de persécuter un journaliste qui a mis à nu leurs pratiques.

« C’est à Paris que Julian Assange a fondé Wikileaks ; la France doit agir pour sa libération »

La solution la plus optimiste que l’on pourrait envisager serait un abandon pur et simple des poursuites sur ordre de Joe Biden. Ce n’est pas impensable, car il y a un immense mouvement de pression aux États-Unis au sein des organisations journalistiques et de défense des Droits de l’homme. Ce serait un retour à la politique d’Obama, visant à ne pas criminaliser les journalistes et le journalisme.

La France pourrait agir. Elle pourrait faire quelque chose de très simple – et aucun cas suffisante, mais immédiatement réalisable – : envoyer des observateurs internationaux aux audiences du procès d’extradition. L’Allemagne le fait, ainsi que le Parlement européen. Envoyer des observateurs internationaux enverrait un signal aux États-Unis et au Royaume-Uni.

L’affaire Assange concerne la liberté de la presse et le droit de savoir du public. En France, elle concerne les droits de l’homme, la démocratie et la souveraineté. Julian Assange a vécu en France pendant trois ans. C’est dans ce pays qu’il a fondé Wikileaks. La France, pays leader en Europe, devrait agir en activant tous les leviers possibles pour la libération de Julian Assange.

Nouvelle défaite judiciaire pour Julian Assange

© Hugo Baisez pour LVSL

En janvier 2021, la juge Vanessa Baraitser avait refusé la demande d’extradition de Julian Assange aux États-Unis. Ceux-ci ont demandé à contester la décision. Le 11 août, la Haute cour du Royaume-Uni leur a donné une première satisfaction, en étendant le périmètre des questions sur lesquelles ils pouvaient faire appel. Les défenseurs de Julian Assange dénoncent cette reculade de la justice britannique face aux pressions américaines.

Les États-Unis cherchent à extrader le journaliste australien pour dix-sept chefs d’accusation – notamment violation de l’Espionage Act et « conspiration en vue d’intrusion dans un ordinateur. » L’accusation concernant l’Espionage Act repose sur la publication, au travers de Wikileaks, de câbles du Département d’État, de documents secrets sur l’intervention militaire en Irak ou de rapports concernant les détenus de Guantanamo. Elle constitue la première mise en examen d’un éditeur d’informations depuis la mise en place de l’Espionage Act.

L’affaire est d’autant plus trouble que Julian Assange est un Australien, qui travaille en dehors des États-Unis. Ceux-ci démontrent ainsi qu’ils peuvent non seulement poursuivre un journaliste qui dénonce leurs crimes de guerre, mais encore qu’ils peuvent poursuivre n’importe quel journaliste, où qu’il se situe dans le monde, pour l’avoir fait.

Le 11 août, le juge Timothy Holyrode a noté qu’il était extrêmement rare qu’une juridiction supérieure remette en question les décisions d’un juge sur des questions relatives à une demande d’extradition. Il a pourtant présidé à l’une de ces rares exceptions.

En janvier 2021, la juge Vanessa Baraitser avait bloqué la demande d’extradition des États-Unis. Elle avait cependant rejeté les arguments qui faisaient de l’extradition d’Assange une menace pour la liberté de la presse. Sa décision se fondait uniquement sur les mauvaises conditions carcérales aux États-Unis et sur les risques encourus par Assange quant à sa santé mentale. Elle estimait que l’extradition serait trop brutale pour Assange, et qu’elle pourrait mener à son suicide.

Les choses auraient pu en rester là. Les États-Unis avaient obtenu une victoire technique : leur démarche consistant à accuser d’espionnage un journaliste non Américain, tout en n’ayant pas à répondre sur la légalité de cette persécution politique, était validée.

Au lieu de cela, les États-Unis ont fait appel de la décision de la juge Baraitser sur cinq points distincts. Il était avéré qu’ils feraient appel sur trois d’entre eux, mais pas sur les cinq. Les États-Unis auraient pu faire appel du fait que la juge aurait dû leur notifier ses décisions préliminaires sur les effets des conditions de détention aux États-Unis sur la santé mentale d’Assange : ainsi, ils auraient pu donner des assurances quant à ses conditions de détention.

Les États-Unis n’avaient, cependant, pas la possibilité de faire appel de la décision du juge en ce qui concerne les conclusions basées sur les preuves médicales présentées lors du procès. Plus précisément, les États-Unis voulaient faire valoir que le témoignage d’un témoin de la défense aurait dû être jugé irrecevable, et que la juge a commis une erreur en évaluant le risque de suicide d’Assange. Après l’arbitrage du 11 août, les procureurs pourront également soulever ces problèmes. Une audition d’appel est prévue pour le 27 octobre et devrait durer 2 jours.

« Je n’arrive pas à comprendre »

La partie plaignante a démarré en déclarant que la juge avait rendu son verdict en ne se fondant pas sur l’état mental actuel d’Assange, mais sur son potentiel état futur. Alors que la défense a présenté des rapports d’experts sur ce point, un témoin à charge a affirmé que personne ne pouvait prédire la probabilité qu’une personne se suicide plus de six mois à l’avance. La partie plaignante a de plus déclaré que les témoins de la défense se basaient sur des propos d’Assange lui-même. Elle a ajouté que puisque Assange avait cherché et obtenu l’asile politique de l’Équateur et était resté dans son ambassade, il s’était donné beaucoup de mal pour éviter l’extradition vers les États-Unis. Enfin, elle a saisi cette occasion pour rappeler que lorsqu’il logeait dans l’ambassade équatorienne, Assange a « animé un débat sur Russia Today », supervisé les affaires de Wikileaks, et tenté d’aider Edward Snowden à échapper aux poursuites de la part des États-Unis.

NDLR : Pour une mise en contexte géopolitique de l’affaire Julian Assange, à écouter sur LVSL cet entretien avec Guillaume Long, ex-ministre des Affaires étrangères équatorien : « L’administration Trump sera impitoyable avec Julien Assange »

La plus grande partie de l’audition a été consacrée aux conclusions de Michael Kopelman, professeur émérite en neuropsychiatrie au King’s College de Londres. Kopelman était l’un des quatre psychiatres qui avaient témoigné au sujet de l’état mental d’Assange durant le procès de janvier 2021 – lequel avait temporairement bloqué son extradition. La juge Baraitser avait alors estimé que Kopelman et les autres experts de la défense étaient plus convaincants que ceux de l’accusation. Kopelman s’était notamment entretenu avec Assange, mais aussi avec ses amis et les membres de sa famille, avait préparé deux rapports séparés, et même présenté les notes de ses entretiens à l’accusation.

Lorsque Kopelman avait préparé son rapport préliminaire en décembre 2019, ni le fait qu’Assange ait entretenu une relation avec Stella Morris, ni le fait qu’ils aient eu deux enfants n’étaient connus du public. Stella Morris craignait que sa sécurité, ainsi que celle de ses enfants, puisse être mise en danger si cette relation était dévoilée.

Ces peurs n’étaient pas sans fondement : un ancien employé de l’entreprise de sécurité privée UC Global avait témoigné d’une discussion avec les services de renseignement américains dont l’objet était l’empoisonnement ou le kidnapping de Julian Assange. La même entreprise avait également pensé voler une couche retrouvée dans l’ambassade, appartenant à l’un des enfants d’Assange, afin de recueillir son ADN et d’établir sa filiation.

Ces éléments avaient été discutés en janvier 2021, lors du procès qui avait abouti au blocage de la demande d’extradition de Julian Assange par la juge Vanessa Baraitser. Selon la défense, bien que Kopelman avait choisi de ne pas divulguer cette information dans son rapport préliminaire, il avait prévu de demander des conseils juridiques sur la façon de gérer les craintes de Morris quant à sa vie privée, ainsi que ses obligations auprès du tribunal. Avant qu’il n’ait pu le faire, Assange et Morris avaient dévoilé leur relation aux magistrats. Morris avait ensuite fait circuler cette information dans les médias. Un nouveau rapport de Kopelman, en préparation, contenait toutes ces informations.

L’accusation avait alors déclaré que puisque le premier rapport de Kopelman ne faisait pas mention de ces faits, toutes les preuves qu’il présentait devaient être considérées sinon comme inadmissibles, du moins comme suspectes.

La juge Baraitser avait finalement tranché : le rapport initial était erroné. Elle avait néanmoins ajouté que la décision de Kopelman était « humainement compréhensible face à la situation embarrassante de Mme Morris. » La nature de la relation entre Assange et Morris était du reste connue au moment où le tribunal a entendu le témoignage médical, a tenu à rappeler la juge Baraitser. Si le rapport de décembre pouvait donc être erroné, la juge a estimé que le tribunal n’avait à aucun moment été induit en erreur. Après la prise en compte de l’ensemble des éléments, y compris un deuxième rapport et le partage de notes, la juge Baraitser avait estimé que l’éminent neuropsychiatre était crédible et impartial – et frappait de nullité, sur ces bases, la demande d’extradition des États-Unis.

Sept mois plus tard, la Haute cour du Royaume-Uni permettait pourtant aux États-Unis de faire appel.

Au cours de l’annonce de la décision du 11 août, le juge Timothy Holyrode a noté qu’il était extrêmement rare qu’une juridiction supérieure remette en question les décisions d’un juge sur des questions de cette nature. Il a pourtant présidé à l’une de ces rares exceptions. Il a de la même manière reconnu que dans la plupart des circonstances, la décision d’un juge concernant un risque de suicide n’était pas susceptible d’appel… avant d’ajouter que si l’accusation avait la possibilité de faire appel de l’admissibilité du témoignage d’un des experts, elle devrait également être autorisée à faire appel du fait qu’Assange encourt un risque de suicide en cas de transfert vers les États-Unis…

Jeremy Corbyn, l’ancien leader du parti travailliste, s’est adressé aux manifestants rassemblés devant le tribunal. Il a rendu hommage à Assange, déclarant qu’il s’inscrivait dans une « grande tradition de journalistes courageux »

À l’issue de l’audition et avant que la retransmission en direct ne soit interrompue, on a pu entendre Assange (qui assistait en visioconférence depuis la prison de Belmarsh) dire à ses avocats : « Je n’arrive pas à comprendre. Un expert a l’obligation légale d’empêcher les préjudices, surtout à mes deux enfants. »

Prisonnier politique de l’empire américain

L’audition du 11 août peut paraître cruelle. Mais elle a montré jusqu’où les États-Unis et le Royaume Uni sont prêts à aller pour piéger Assange.

Julian Assange est dans la mire du gouvernement américain depuis qu’il a publié pour la première fois la vidéo « Collateral Murder » dans laquelle des hélicoptères de combat américains ont fait feu et ont tué plus de dix-huit personnes, dont deux journalistes de Reuters, et blessé deux enfants.

Il a passé sept années dans l’ambassade d’Équateur à Londres, soumis à ce qu’un groupe de travail de l’ONU a établi comme une détention arbitraire. Le rapporteur spécial sur la torture de l’ONU a déclaré qu’Assange était victime de torture mentale. Et comme l’ont montré des documents américains déclassifiés, le gouvernement britannique était si déterminé à faire sortir Assange de l’ambassade équatorienne qu’il a créé une campagne gouvernementale nommée « Opération Pélican » pour atteindre son but.

Les questions soulevées lors de l’audition préliminaire peuvent être analysées d’un point de vue juridique, mais elles constituent plus simplement la dernière des tentatives des États-Unis de réduire au silence l’un de ses opposants. L’affaire Assange a suscité un tollé mondial considérable. L’accusation d’Assange a de larges implications en ce qui concerne le premier amendement aux États-Unis, et la liberté de la presse plus généralement. C’est la raison pour laquelle de si nombreux groupes de défense de la liberté de la presse, organisations internationales de défense des droits humains et médias de tous les continents se sont opposés à l’extradition d’Assange vers les États-Unis.

Comme les crimes d’Assange concernent des révélations sur les crimes de guerre et les affaires du département d’État américain, de nombreux militants pacifistes et leaders politiques des pays du Sud ont eux aussi rallié les soutiens à Assange.

Avant l’audition du 11 août, Jeremy Corbyn, l’ancien leader du parti travailliste, s’est adressé aux manifestants rassemblés devant le tribunal. Il a déclaré que de nombreux journalistes risquaient leur propre sécurité pour mettre à jour la corruption publique et les crimes de guerre. Il a rendu hommage à Assange, déclarant qu’il s’inscrivait dans une « grande tradition de journalistes courageux ».

Le combat pour Assange n’est pas terminé. La Haute Cour britannique doit encore rendre sa décision sur l’appel en cours. Mais en donnant la possibilité aux États-Unis de faire appel d’une décision fondée sur un témoignage médical, la justice britannique a ouvert une brèche peut-être décisive, dont il est possible qu’elle conduise en fin de course le Royaume-Uni à livrer le journaliste aux griffes de l’empire américain.