Comment le « en même temps » mémoriel d’Emmanuel Macron sert l’extrême-droite

Discours d’Emmanuel Macron lors de la cérémonie de panthéonisation des époux Manouchian en février 2024. © Capture d’écran Public Sénat

Panthéonisations, hommages à la Résistance, volonté de tourner la page de la colonisation… mais aussi réhabilitation partielle du maréchal Pétain et de Napoléon. Depuis sept ans, Emmanuel Macron n’a cessé d’instrumentaliser l’histoire française pour réaliser des coups de com, au point que sa politique mémorielle est devenue illisible. Mais derrière cette apparente inconstance, le Président et son conseiller mémoire Bruno Roger-Petit auront finalement réussi à grandement affaiblir le récit d’une France des Lumières et à faire entrer le Rassemblement national dans l’arc républicain. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, Macron aura été le marchepied de l’extrême droite.

« 643 suppliciés dont 207 enfants et 246 femmes. Non pas simplement victimes, mais bien martyrs parce qu’ils ont été pris pour bouc émissaire de la liberté. […] Les massacres d’Oradour sont de l’ordre de l’impensable, l’indicible, l’imprescriptible. » 80 ans après le meurtre des habitants d’Oradour-sur-Glane par des membres de la division « Das Reich » le 10 juin 1944, l’heure est au recueillement et à la commémoration des victimes. Devant une foule de Limousins venus honorer leur mémoire, Emmanuel Macron rappelle l’horreur de l’événement avec gravité. Puis, se tournant vers son homologue allemand, Frank-Walter Steinmeier, il insiste sur la nécessité du pardon, du dialogue et de la réconciliation des peuples européens. Solennel et endeuillé, le ton du président lors de son discours officiel est à mille lieues de l’ironie obscène avec laquelle il évoque la dissolution de l’Assemblée nationale. Entre deux cérémonies, lorsqu’un de ses proches lui demande si les derniers jours n’ont pas été trop durs, Emmanuel Macron répond « Mais pas du tout ! Je prépare ça depuis des semaines, et je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils s’en sortent… ». Après avoir rendu hommage aux civils fusillés, aux femmes et aux enfants morts dans l’église du village « mitraillée, dynamitée, incendiée », le Président estime donc la métaphore guerrière tout à fait appropriée pour qualifier son coup de poker de la veille. Mise à part leur indécence évidente, ces propos sont révélateurs du rapport qu’il entretient avec les cérémonies mémorielles. 

Pour Emmanuel Macron, la mémoire des Français, et les célébrations qui y sont liées, sont avant tout des outils politiques qu’il faut savoir utiliser à bon escient, des occasions à saisir au moment opportun.

Pour Emmanuel Macron, la mémoire des Français, et les célébrations qui y sont liées, sont avant tout des outils politiques qu’il faut savoir utiliser à bon escient, des occasions à saisir au moment opportun. Réaliser la dissolution de l’Assemblée dans les meilleures conditions exigeait, pour l’Elysée, de préparer le terrain en amont en organisant une communication efficace. Le 80e anniversaire de la Libération tombait à point nommé. Les visites du Président en Bretagne et en Normandie lui ont permis de raffermir son image de dirigeant digne, respectable, profondément attaché à la République et à ceux qui l’ont fait renaître à partir de 1944. En célébrant la bravoure des maquisards et des soldats américains dans leur combat contre l’Occupant – ce qui, par ailleurs, est légitimement attendu de tout Président de la République –, Macron établit aisément des liens avec la situation contemporaine. Alors que le vote Rassemblement National est plus élevé que jamais, le rappel inquiet des années noires et les discours à la gloire des patriotes « [dressés] contre l’infamie et la barbarie » lui permet de se présenter comme le seul rempart contre le danger des « extrêmes ». 

Commémorations, hommages et panthéonisations : les coups de com historiques du Président

Après s’être rendu à Plumelec, à Caen et à Saint-Lô, Emmanuel Macron était en « visite à Bayeux » le 7 juin dernier pour y célébrer le « retour de la souveraineté républicaine ». L’évènement est hautement symbolique. Huit jours après l’opération Overlord, pendant que les troupes alliées chassent l’armée allemande du territoire, le général de Gaulle s’adresse publiquement aux Français depuis l’une des premières villes libérées. Décidé à faire de la France une puissance victorieuse à part égale avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, le chef de la Résistance y réaffirme son vœu d’indépendance nationale et exhorte les combattants à poursuivre la lutte « jusqu’à ce que la souveraineté de chaque pouce du territoire français soit rétablie ». S’imaginant sans doute marcher dans les pas de l’Homme du 18 juin, le chef de l’État prend la parole après la récitation du discours par un comédien. 

Aux louanges de son prédécesseur, de son courage et de sa détermination à sauver l’honneur de la patrie, suivent rapidement les dithyrambes sur la France régénérée, rétablie dans sa grandeur par le retour de la République. « La France renaît », martèle le président tout au long de son discours, avant d’établir un parallèle peu subtil avec l’actualité politique. « Ce jour-là, à Bayeux, rien n’était écrit » affirme- t-il, « mais par la volonté d’un homme et l’intuition d’un peuple, tout s’est réinstallé et nous sommes tous ensemble, chacun, chacune, les dépositaires de cette histoire plus grande que nous, de ces femmes et ces hommes que je viens ici d’évoquer devant vous et qui ont eu le courage, au milieu du chaos, de restaurer l’autorité de l’État pour que revive la nation libre et indépendante ». La portée politique d’un tel discours est évidente : à deux jours du scrutin européen, tandis que la France est en proie à la montée de l’extrême-droite et alors qu’il a déjà en tête la « grenade » qu’il s’apprête à dégoupiller, Macron souhaite incarner la seule solution raisonnable à l’impasse des deux « extrêmes ». La commémoration de Bayeux lui en donne l’opportunité par la filiation républicaine qu’il peut établir entre lui et le Général. 

Comme toutes les cérémonies qui l’ont précédé depuis avril, l’hommage au général de Gaulle est un moyen pour Macron de se construire une identité politique à moindre frais, de s’inscrire dans la lignée des grandes figures républicaines de l’histoire et donc de rendre crédible sa posture de rempart face à l’extrême-droite.

Plus qu’un devoir mémoriel, cet événement est une véritable aubaine pour la stratégie de campagne du président. Comme toutes les cérémonies qui l’ont précédé depuis avril, l’hommage au général de Gaulle est un moyen pour Macron de se construire une identité politique à moindre frais, de s’inscrire dans la lignée des grandes figures républicaines de l’histoire et donc de rendre crédible sa posture de rempart face à l’extrême-droite. Dès lors, le chef de l’État devient, dans l’esprit de ses électeurs, principalement des retraités et des cadres aisés, le gardien des institutions et des valeurs républicaines ; solide, intègre et intransigeant face aux agitateurs de tous bords.     

L’utilisation politique de la mémoire n’est pas une chose nouvelle pour Emmanuel Macron. Depuis le début de son mandat, celui-ci a déjà procédé à quatre panthéonisations, et celle de Robert Badinter a été annoncée en février dernier. Tant le choix de la personnalité qui entre au « temple de la nation » que les modalités de la cérémonie répondent à des objectifs politiques précis. A la suite de Simone Veil et de Maurice Genevoix (respectivement panthéonisés en 2018 et en 2020), c’est Joséphine Baker qui y est inhumée en novembre 2021. Danseuse et chanteuse afro-américaine, naturalisée française en 1937 puis résistante sous l’Occupation ; le gouvernement ne pouvait trouver meilleur symbole pour redorer l’image du président, ternie par son autoritarisme. A la fin de l’année 2021, la répression aveugle des Gilets Jaunes et les mesures liberticides prises pendant la crise sanitaire sont encore dans tous les esprits. Dans ces circonstances, le vernis progressiste que confère la panthéonisation de Joséphine Baker au quinquennat Macron est tout à fait bienvenu, d’autant que l’échéance présidentielle approche.

La cérémonie, organisée le soir du 30 novembre, est une ode à l’universalisme, à l’humanisme et à la liberté. « Joséphine Baker ne défendait pas une couleur de peau, elle portait une certaine idée de l’homme, et militait pour la liberté de chacun. Sa cause était l’universalisme, l’unité du genre humain. » affirme le Président. Telle une nouvelle Marianne, elle donne chair à la devise républicaine tout en symbolisant l’anticolonialisme et le combat contre le racisme. L’hommage qui lui est rendu est donc stratégique pour le chef de l’État, qui tient à placer son mandat sous le signe de l’inclusion, de la diversité et de la fraternité, pour regagner du crédit auprès des électeurs de gauche. Certes, malgré cet élan progressiste, Macron rappelle aux étrangers aspirant à la citoyenneté française que « Joséphine Baker ne considère pas sa nouvelle nationalité comme un droit, mais avant tout comme un devoir, une conquête de chaque jour. » Or, s’il est évident que l’obtention de la nationalité suppose de respecter les lois françaises, on devine aisément dans les propos du Président une réprobation tacite à l’égard d’une partie de la population française d’origine étrangère qui, régulièrement accusée de communautarisme ou de séparatisme, serait indigne de sa nationalité. Le meilleur exemple en est la loi immigration adoptée en décembre dernier avec les voix du RN, qui durcit singulièrement les conditions de naturalisation et d’obtention de titre de séjour, et dont les débats ont largement tourné à la surenchère xénophobe.  Ainsi, à travers la panthéonisation de Joséphine Baker, Macron allie plus ou moins habilement les ambitions assimilatrices de la gauche institutionnelle aux inquiétudes sécuritaires de son électorat droitier.

Moins d’un mois après la promulgation d’une loi qui complique considérablement l’accès au statut de réfugié, le chef de l’État se sent en mesure de jouer les redresseurs de torts et de s’ériger en protecteur des exilés.

L’entrée des époux Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon s’inscrit également dans la conjoncture politique de ce début d’année 2024. En ayant proposé, puis voté, la loi Darmanin, qui facilite les expulsions et durcit les conditions d’accueil des réfugiés, le camp macroniste s’est plus que jamais compromis avec l’extrême-droite, Marine Le Pen allant jusqu’à saluer une « victoire idéologique ». Injonction au « réarmement démographique », durcissement de la politique migratoire, demande d’une « pause » en matière de règles environnementales, instauration du SNU… Macron s’arrime de plus en plus aux thèmes chers au Rassemblement national, à tel point qu’il apparaît désormais aux yeux de nombreux citoyens comme le défenseur de la « vieille France ». Soucieux de préserver son électorat de centre-gauche, le Président donne à son discours une orientation plus radicale que celle de son hommage à Joséphine Baker. Aux louanges des étrangers qui ont fait la France s’ajoute la dénonciation de la IIIe République finissante et de ses manquements. « Pour servir ce drapeau, Missak Manouchian demande par deux fois à devenir Français. En vain, car la France avait oublié sa vocation d’asile aux persécutés. » Moins d’un mois après la promulgation d’une loi qui complique considérablement l’accès au statut de réfugié, le chef de l’État se sent en mesure de jouer les redresseurs de torts et de s’ériger en protecteur des exilés. Mais les bons sentiments et les grandes envolées lyriques sur « l’idéal communiste » cachent mal la tolérance de l’exécutif envers l’extrême-droite.

Pétain, colonisation, esclavage : le « en même temps » mémoriel de la macronie 

« Vichy a protégé les juifs français et donné les juifs étrangers » soutient sans trembler Éric Zemmour, interrogé à l’antenne de Cnews le 26 septembre 2021. Deux mois plus tard, comme en réponse aux propos du candidat Reconquête, Emmanuel Macron se rend à Vichy en compagnie du couple Klarsfeld, où il honore la mémoire des juifs raflés au Vélodrome d’Hiver et des quatre-vingt parlementaires ayant refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain. L’été suivant, à l’occasion des 80 ans de cette rafle, il reconnaît pleinement la responsabilité de l’État et de l’administration française dans la déportation des juifs. Prenant la parole dans l’ancienne gare de Pithiviers, le président réaffirme que « l’État français manqua de manière délibérée à tous les devoirs de la patrie, des Lumières et des droits de l’homme. » En conclusion, il avertit contre le révisionnisme et la falsification de l’histoire. Nul doute que se trouvent ciblés en priorité Éric Zemmour et ses partisans. 

Mais alors qu’il se montre intransigeant face à la négation du rôle de Vichy dans la destruction des juifs d’Europe, Macron semble nourrir une certaine sympathie, du moins de la déférence, à l’égard du Maréchal. Alors que l’opinion publique avait été outrée par la possibilité d’un hommage à Philippe Pétain, le président l’avait estimé « légitime » dans le cadre du centenaire de la Grande Guerre. « Le maréchal Pétain a été pendant la Première Guerre mondiale un grand soldat, c’est une réalité de notre pays, c’est aussi ce qui fait que la vie politique, comme l’humaine nature, sont parfois plus complexes que ce qu’on pourrait croire, on peut avoir été un grand soldat et avoir conduit à des choix funestes durant la Deuxième [Guerre mondiale] » s’était-il justifié avant d’ajouter « je ne fais aucun raccourci, mais je n’occulte aucune page de l’Histoire. » Il faudrait donc faire la part des choses ; célébrer le « grand soldat » tout en se contentant de regretter ses « choix funestes », chérir le héros national tout en déplorant ses errements de vieillard. La formule est pour le moins maladroite, mais elle est symptomatique, chez Emmanuel Macron, d’un souci de réconciliation mémorielle cohérent avec l’image qu’il souhaite renvoyer depuis 2017. Ni de droite, ni de gauche, homme de la nouveauté et du changement, le candidat des médias représentait, en somme, une troisième voie, un dépassement des positionnements politiques traditionnels.

Cette posture du « ni l’un ni l’autre » est rapidement devenue un « en même temps » généralisé qui ne satisfait au final à peu personne et sème le doute sur les intentions réelles du Président. Cette insatisfaction est manifeste concernant les relations entre la France et ses anciennes colonies. Durant sa première campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait fortement mis en avant sa volonté de réconcilier ces rapports. Lors d’un déplacement en Algérie en février 2017, il avait notamment qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité ». En visite à Ouagadougou le 28 novembre 2017, le chef de l’État fraîchement élu transpose sa maxime de campagne en déclarant reconnaître « les crimes de la colonisation européenne » comme étant une « partie de notre histoire » et en annonçant l’ouverture « [d’] une nouvelle page de la relation entre la France et l’Afrique ». Si quelques initiatives en ce sens ont eu lieu – reconnaissance de la persécution des harkis, création de la commission Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie, restitution d’objets d’art africains – les rapports néocoloniaux, tant en matière économique que militaire, sont restés quasi-identiques. En 2021 puis en 2023, le chef de l’État est même revenu sur ses propos, estimant ne pas avoir à demander pardon et refusant catégoriquement de s’adonner à la « honte de soi et à la repentance ». Certes plus modérés, ces propos ne sont pas sans rappeler ceux d’un François Fillon ou d’une Marine Le Pen.

La stratégie de Macron qui consiste à ménager la chèvre et le choux pour dépasser les clivages, loin de les abolir, ne fait que légitimer les réappropriations nationalistes de l’histoire.

Alors que l’extrême-droite remet au goût du jour la thèse du glaive et du bouclier et voue un culte aux « héros nationaux », la stratégie de Macron qui consiste à ménager la chèvre et le choux pour dépasser les clivages, loin de les abolir, ne fait que légitimer les réappropriations nationalistes de l’histoire. La célébration du bicentenaire de la mort de Napoléon en est un bon exemple : après avoir déposé une gerbe sur la tombe de l’Empereur, le président de la République prend la parole. S’il dénonce ses « fautes », comme le rétablissement de l’esclavage, il insiste également sur le fait que « Napoléon Bonaparte est une part de nous ». A travers son discours, Macron s’en prend à demi-mots au déboulonnage des statues en réaffirmant sa « volonté de ne rien céder à ceux qui entendent effacer le passé au motif qu’il ne correspond pas à l’idée qu’ils se font du présent. » Faire le tri et garder le meilleur de l’Empereur, en ce qu’il est incontestablement une grande figure de l’histoire de France ; voilà, en substance, le message que fait passer Emmanuel Macron ce 5 mai 2021. Se refusant à « juger le passé avec les lois du présent », le Président se pense certainement impartial, mais il redonne en réalité une place au roman national, si cher à la droite jusque dans ses franges les plus radicales. Il lui offre, en tout cas, un espace pour s’implanter et apparaître comme la compréhension la plus sage et la plus respectable de l’histoire, par opposition aux discours de gauche qui culpabiliseraient les Français et traineraient dans la boue les hommes illustres du passé. Ainsi, si Emmanuel Macron ne rechigne pas à admettre les torts et les responsabilités de l’État français lorsque celui-ci est en cause, ses prises de positions résonnent souvent, et de plus en plus, avec celles des hommes politiques et intellectuels de droite et d’extrême-droite, notamment par son refus de la repentance

Le Rassemblement national fait son entrée dans l’arc républicain

L’ambiguïté mémorielle a certainement contribué à la banalisation du Rassemblement national dans l’opinion publique, mais son action a été renforcée par une complaisance croissante de l’exécutif à l’égard de l’extrême-droite. Le conseiller « mémoire » du président, Bruno Roger-Petit, en est l’émanation paroxystique. Bien qu’il ait été mis en cause pour son rôle dans la récente dissolution de l’Assemblée, son influence dépasse de loin la basse cuisine des coups de poker présidentiels. D’abord porte-parole du gouvernement, il occupe des fonctions mémorielles à partir de l’été 2018 et propose d’emblée la panthéonisation de Charles Péguy, figure ambivalente du socialisme qui termine sa vie dans le rejet de la modernité, de l’anticléricalisme et du pacifisme. Il ne s’arrête pas en si bon chemin et persévère dans ses propositions controversées. D’après les révélations d’Ariane Chemin et d’Olivier Faye dans Le Monde, Bruno Roger-Petit aurait mûri le projet, en 2019, de rapatrier le corps du général Gudin – mort dans les campagnes napoléoniennes de Russie – et de lui rendre hommage aux Invalides en présence de Vladimir Poutine. Un moyen, pense-t-il, de rallier une partie de l’électorat de droite et d’extrême-droite. 

Plus encore, le conseiller du président fréquente régulièrement les personnalités réactionnaires les plus en vogue. De Robert Ménard à Pascal Praud, en passant par Marion Maréchal, on ne compte plus le nombre de ces politiques et éditorialistes d’extrême-droite invités à dîner par Bruno Roger-Petit. Comment s’étonner, ensuite, que le Rassemblement national, et a fortiori son président, Jordan Bardella, soit devenu l’ennemi favori du camp présidentiel dans les dernières élections européennes ? Comment s’étonner de la reprise par Emmanuel Macron des termes de l’extrême-droite, qu’on pense à « l’ensauvagement » ou à la « décivilisation » ? Dans la vie politique quotidienne comme dans les événements mémoriels, la gauche est marginalisée tandis que le parti de Jordan Bardella prend les atours de l’adversaire respectable et républicain. A l’occasion de la panthéonisation des époux Manouchian, alors que le dernier camarade de Missak, Léon Landini, n’était finalement invité qu’à la dernière minute grâce à l’intervention du média indépendant Blast, tandis que Marine Le Pen avait reçu de longue date son carton d’invitation pour venir honorer la mémoire de deux résistants, pourchassés puis liquidés par ses ancêtres politiques. 

Dans la vie politique quotidienne comme dans les événements mémoriels, la gauche est marginalisée tandis que le parti de Jordan Bardella prend les atours de l’adversaire respectable et républicain.

Féroce contre les mouvements sociaux et intransigeant face à la gauche, Macron a essayé de regagner son capital progressiste par la panthéonisation des Manouchian ou de Joséphine Baker. Mais en parallèle, le président et ses alliés ne cessent de légitimer la présence de l’extrême-droite dans l’espace public. Ainsi, l’automne dernier, quelques députés Renaissance et la présidente de l’Assemblée Nationale ont participé à une marche contre l’antisémitisme où défilait également des membres du Rassemblement national ; parti qui a récemment investi dans le Morbihan un candidat ayant tenu des propos très peu défendables à l’égard victimes de la Shoah. A cet égard, la politique mémorielle d’Emmanuel Macron est finalement un bon résumé de son bilan politique. D’une part, en brouillant tous les repères mémoriels dans un grand fourre-tout, le Président a saboté la construction d’un récit historique centré sur les valeurs des Lumières et de la Résistance, affaiblissant ainsi les idées portées par la gauche en les dénaturant. D’autre part, en réhabilitant des figures très controversées comme le maréchal Pétain, il rend service à la droite la plus extrême, qui trouve là un relais efficace. Au vu d’un tel résultat, le Rassemblement national devrait bien trouver un poste pour recaser Bruno Roger-Petit.

Union de la gauche ou unité du peuple ? Le défi du nouveau Front Populaire

Manifestation du 10 juin 2024 à Rennes pour un Front Populaire. © Vincent Dain

La recomposition de la vie politique française qui devait occuper les trois prochaines années va finalement se précipiter en trois semaines. Depuis l’annonce inattendue de la dissolution de l’Assemblée nationale dimanche dernier, le monde politique est en ébullition : retour surprise de l’union à gauche, centralité du Rassemblement national qui absorbe les Républicains et Reconquête, fébrilité du camp macroniste qui sent sa défaite se préciser chaque jour un peu plus… Dans ce contexte de sanction pour la politique gouvernementale, la plupart des seconds tours des législatives pourraient se jouer entre les candidats du RN et ceux du nouveau Front Populaire, ces derniers auront fort à faire pour convaincre. Si l’union est en effet indispensable pour contrecarrer l’inexorable progression de l’extrême-droite, un cap politique autour d’un socialisme de rupture sera nécessaire pour susciter l’enthousiasme des électeurs.

« Nous avons gagné les élections européennes. Nous sommes le parti le plus fort, nous sommes l’encre de la stabilité. Les électeurs ont reconnu notre leadership au cours des 5 dernières années. C’est un grand message. » C’est en ces termes que la Présidente sortante de la Commission européenne Ursula Von der Leyen s’est exprimée dimanche soir. On mesure ainsi davantage l’insignifiance du scrutin et le décalage avec les résultats nationaux, notamment français, aboutissant à la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée Nationale.  

En France, les résultats couronnant le Rassemblement National ont été sans appel. L’annonce du Président de la République le soir même de l’élection a surpris et ébranlé la scène politique française. Elle passe comme un coup de poker stupéfiant. On s’épargnera la noblesse républicaine que ses amis présentent comme explication rigoureuse à cette dissolution. Mais l’inconséquence aussi ne saurait expliquer avec justesse cette instrumentation politique. Pour saisir un pareil choix dans de pareilles circonstances et de tels délais il faut convoquer le cynisme. Provoquer une dissolution quand un parti d’extrême-droite s’enracine et est en mesure de l’emporter, c’est oser lui offrir sciemment le pouvoir et s’avérer complètement inconséquent. L’arrivée du RN à Matignon n’est plus une chimère mais un risque, donc une possibilité envisageable comme une autre pour Macron et son monde. Le prix de deux années minimum d’exercice du pouvoir par l’extrême droite est donc devenu admissible. 

L’inconscience du Président tient surtout de sa certitude à toute épreuve qu’il gagnera ces élections, comme sa conférence de presse 72h après, en apesanteur, le confirme : rien ne doit changer puisque « les Français veulent que nous allions plus vite ». Le vote RN ? C’est la faute aux écrans… A la lecture des dynamiques et du temps très court imposé, Macron pense donc clore le camouflet en triomphe en faisant le pari simple d’une gauche perdante car décomposée et de sa propre capacité à engendrer des victoires au second tour face à un RN pris de vitesse. Mais la gauche partira semble-t-il unie et les cartes sont en partie rabattues dans l’indétermination de ce qu’il peut advenir. 

En réalité, si les conditions dans lesquelles ces élections s’organisent apparaissent indignes d’une véritable campagne politique, la dissolution en soi était parfaitement envisageable. Depuis l’élection législative de 2022, la situation parlementaire est en crise, avec une majorité introuvable et des 49.3 à foison, empêchant la promptitude des réformes libérales désirées par le Président et demandées par la Commission européenne et les agences de notations. L’idée d’une dissolution a fait son chemin et allait, tôt ou tard, advenir, puisque le changement de cap politique, lui, n’est pas une option. Finalement, en voulant gagner de nouvelles législatives pour ré-élargir son socle parlementaire, par-delà les avertissements électoraux, Macron dévoile son hubris et sa difficulté à s’accommoder des manifestations de la démocratie.

Alors, on se souviendra que si la situation était somme toute différente, dissoudre pour gagner était aussi l’idée sous-jacente à celle provoquée par Jacques Chirac en 1997 ; on en connaît le revers pour le camp présidentiel. Cette-fois, c’est le RN qui pourrait rafler la mise, acter la fin d’une époque et en ouvrir une autre sans doute encore plus douloureuse. 

La mort du bloc bourgeois

Une telle débâcle peut s’interpréter de différentes manières. Mais on ne saura effacer le véritable carburant durable et raffermi de cette élévation continue du vote RN. Ce pénible résultat vient chasser les garde-fous démocratiques d’un système à bout de souffle. Le cercle de la raison s’est fracassé sur la réalité affective et lucide du pays. Le parti des gestionnaires, au sens le plus juste qui soit – du centre-gauche hollandiste à la droite sarkozyste -, a la fièvre, il suffoque de son détachement hostile aux afflictions populaires et subit électoralement sa colère retentissante.

La vulgate libérale n’imprime plus ni sur le fond ni dans la forme pour les subalternes – entendu dans un sens gramscien. L’abaissement des « charges », la lutte contre le déficit, la flexibilisation du marché du travail, la libre compétition, « l’efficacité » partout… ces mythes de la gouvernance par les nombres constituent un idéal normatif austéritaire face auquel il n’y aurait aucune échappatoire. Ces névroses obsessionnelles de la cohorte des experts et éditorialistes et de ceux qui gouvernent le pays en apôtres depuis tant d’années sont désormais rejetées extrêmement violemment par des catégories entières de la population qui les subissent depuis des années sans être écoutées. Face à ce rejet de la foi intérieure qu’il prêche dans le vide, l’extrême-centre libéral ne répond que par des appels à faire davantage de « pédagogie » pour vendre ses réformes incomprises par le peuple victime de la démagogie.

Par-delà la brutalisation des politiques que leur logiciel induit, ces bureaucrates du marché n’ont plus d’histoire à raconter si ce n’est celle de s’opposer aux « populistes ». Ce « devenir nul de la politique » que prédisait le philosophe Cornelius Castoriadis ressemble désormais au chant du cygne.

Comme si l’adhésion au monde libéral ne dépendait plus que d’une explication rationnelle des gouvernants, « les pédagogues du renoncement » comme les appelait l’historien Max Gallo, face à l’ignorance et l’inintelligibilité présumée des gouvernés. L’obéissance aux injonctions européennes, sans véritablement y trouver le sens et le bénéfice d’une telle délocalisation politique constitue également une légende retoquée par ceux dont la souveraineté ne semble encore s’exercer que dans le cadre national. Depuis quelques années, il faut dire que les chiens de garde ont commencé à s’éveiller : le réel invalide tellement leur serments que l’équation leur est devenue conceptuellement insupportable. Le disque est rayé, les injonctions à l’adaptation déraillent. Par-delà la brutalisation des politiques que leur logiciel induit, ces bureaucrates du marché n’ont plus d’histoire à raconter si ce n’est celle de s’opposer aux « populistes ». Ce « devenir nul de la politique » que prédisait le philosophe Cornelius Castoriadis ressemble désormais au chant du cygne.

À force de prêcher là où la multitude ne croit plus, les représentants gouvernementaux se sont distanciés de ceux qu’ils administrent. L’avènement de la macronie ne fut qu’une accélération ostentatoire de l’accaparement technocratique du pouvoir, avec des députés interchangeables, thuriféraires de l’ordre libéral et de la révolution conservatrice, dont on ne perçoit pas la chair politique qui les spécifie. Et leur légèreté vis-à-vis de ce qui se joue dans l’instant témoigne de leur effroi devant le mystère de leur destinée et l’apparence trompeuse de leur volonté. Derrière le discours d’une arrière-garde médiocre, c’est le système fléchissant du néant faisant advenir le désordre social et politique.

Pourquoi tout concourt au succès du RN

Face à un tel vide au cœur de la République, au déclin des idéologies politiques, à la société de consommation individualisante et à la fin du consentement des gouvernés au libéralisme, les identités collectives et politiques se sont peu à peu liquéfiées. Quand les électeurs cherchent depuis des années dans la recomposition le débouché électoral antagonique, alors ils le trouvent là où l’on répète à l’envie qu’il se situe. Dans cette perspective, le RN s’accommode très bien du temps présent : mise en exergue assumée de leur position d’opposant numéro 1 au système en place, discours normalisant des dominants sur « l’’égalitarisation » des figures « extrêmes » – sous-entendu, Mélenchon-Le Pen, même péril -, accommodement des médias à l’institutionnalisation du parti, décrédibilisation des offres de gauche…

Tout est fait pour catalyser la victoire culturelle des réflexes et du récit xénophobe : les libertés publiques de plus en plus compromises depuis 10 ans, l’expression toujours plus audible d’une citoyenneté ethnique, etc.

Parallèlement, le discours nationaliste de l’extrême-droite tend depuis deux décennies à sédimenter et capter de façon croissante les réalités et sentiments d’insécurité variées, du malaise économique à la peur instillée par les faits divers sanglants. Il leur donne une dimension identitaire monolithique, en étreinte, de plus en plus acceptée et ancrée dans la fenêtre d’Overtone. La peur de l’immigration – par exemple très vite assimilée comme cause des émeutes consécutives à la mort de Nahel – constitue d’ailleurs le premier moteur du vote RN. En sus, tout est fait pour catalyser la victoire culturelle des réflexes et du récit xénophobe : les libertés publiques de plus en plus compromises depuis 10 ans, l’expression toujours plus audible d’une citoyenneté ethnique, etc. Oui, tout est fait pour polariser le champ politique et positionner le RN comme l’alternative à ceux dont la majorité populaire ne veut plus. 

Les manifestations contre les lois Travail durant le quinquennat Hollande ont réordonné le conflit social, la vague dégagiste ayant portée l’élection de 2017 ne s’est pas arrêtée et l’irruption des Gilets Jaunes sur la scène politique fût un rappel fracassant de la défiance profonde dont nos institutions font l’objet. Ce moment populiste refoulé est revenu modeler l’expression électorale. Dans cette configuration sociétale angoissante pour une part de la France dite périphérique, bien davantage que les propositions programmatiques, en premier lieu c’est le diagnostic simpliste (assistanat, sécurité et immigration) qui raffermit le score du RN. Devenant à mesure du temps le réceptacle dominant d’une majorité des rejets, contre la force gouvernante qu’il revient de renverser, la poussée du RN semble être inexorable.

Quand bien même leurs lignes politiques sont en constante mises à jour au fil des intérêts mouvants, d’alliances européennes variantes, ce parti ne subit aucun trouble électoral. Sans s’agiter pour, l’adjonction annoncée de cadres Les Républicains renforce, elle encore, la normalisation du RN et sa stratégie de respectabilité. De plus, il ne faudra pas croire que la masse abstentionniste aux européennes soit structurellement défavorable au RN en cas de sursaut aux législatives, puisque sa structuration composite correspond plutôt à leur transversalité socio-professionnelle et intergénérationnelle grandissante. Et les classes populaires se sont davantage abstenues, ce qui donne à penser, en analyse des dernières élections, que le RN dispose de grandes réserves pour dans 20 jours. Tout prélude à son arrivée au pouvoir. Il y a comme une lame de fond vers l’abîme. 

À gauche, une union indispensable

Face au macronisme décadent et à une extrême-droite exaltée, la gauche se cherche et peut s’écraser à mesure que le cours du temps persévère dans l’ordre actuel des choses. Ces dernières années, ni les trahisons d’une gauche socialiste au pouvoir, ni les erreurs communicationnelles décrédibilisantes de la force insoumise, ni les réflexes bobos caricaturaux des écologistes et encore moins l’inertie de chaque organisation n’ont aidé à clarifier le dessein commun de société que la gauche proposait encore à tous les Français. La gauche comme repère est devenu un espace politique informe, décousu, s’effaçant arithmétiquement, au détriment de l’attrait de chacune de ses composantes politiques ; si ce n’est peut-être au cours d’une campagne insoumise alléchante à la présidentielle de 2017, où la progression ardente et la transversalité de l’offre générale qualifiaient bien l’agencement d’un important potentiel électoral. 

Nul ne peut nier l’évidence : l’attente est notre adversaire face aux changements climatiques en cours, à l’approfondissement des inégalités et à la mise à mort des services publics. Il nous faut agir vite et fort.

Pourtant, malgré ses atermoiements, seule la gauche peut permettre d’éviter le déclin toujours plus prononcé du pays, s’accaparer du désir destituant et conjurer par le haut la résignation. Si aucun rendez-vous politique n’éteint l’histoire, dans une optique de survie organisationnelle, au regard de l’état du pays et des prochaines échéances, celui du 30 juin semble cardinal. Car nul ne peut nier l’évidence : l’attente est notre adversaire face aux changements climatiques en cours, à l’approfondissement des inégalités et à la mise à mort des services publics. Il nous faut agir vite et fort. Alors chaque opportunité historique doit être saisie. Ainsi, ne serait-ce qu’au regard de la faiblesse structurelle et récurrente des offres politiques à gauche à remporter une élection, l’union apparaît indispensable pour espérer ne serait-ce que résister. D’autant plus que le temps passe vite et qu’aucune autre option plus crédible, non boutiquière, ne se pose sur la table pour une guerre de mouvement extrêmement rapide. 

L’union paraît d’autant plus nécessaire pour le Parti socialiste qu’il ne sait comment exister en dehors des murs parlementaires ; le premier quinquennat de Macron avait déjà failli lui être fatal, notamment sur le plan financier. Pour la France Insoumise, son histoire semble indiquer qu’elle est capable de poursuivre son existence en dehors des institutions. Mais son effacement de l’Assemblée Nationale serait un sérieux coup porté à son indispensable notabilisation, certes encore embryonnaire, et la condamnerait à sa fixation dans la figure sclérosée d’opposant bruyants mais impuissants. L’union a été faite, un nouveau Front populaire est né, dont acte. Il a déjà fort à faire. 

Au-delà de l’union de la gauche, rebâtir l’unité du peuple

Le jour d’après, il faut déjà dire que l’union pour l’union ne peut constituer un projet politique en soi. Dans cette situation, nous pouvons nous accorder à dire que l’une des immatriculations politiques évidentes reste l’ordonnancement axiologique, c’est-à-dire ce qui fait sens et touche le domaine du sensible. Mais la gauche a depuis longtemps cru, en miroir du libéralisme, qu’agiter des mots, un jargon, des expressions incantatoires, des alliances de survie suffirait à produire des identifications fortes et des repères politiques de long cours. Au contraire, elle s’est rabougrie, sans matrice transversale, à mesure que l’extrême droite, elle, débordait de son socle et propageait sa lecture du monde. Et le discours sur les valeurs, sans adhérence aux vécus, est devenu un discours vide, ampoulé, dénué d’attrait, dénué d’imaginaire, dénué d’un zénith perceptible.

La gauche a depuis longtemps cru qu’agiter des mots, un jargon, des expressions incantatoires, des alliances de survie suffirait à produire des identifications fortes et des repères politiques de long cours.

Le calcul politique de la gauche est aujourd’hui des plus limpides : s’étendre ou s’éteindre. Alors, il convient encore de rappeler que convaincre consiste à réussir à affecter les individus et la multitude dans un sens positif, commandant des conditions discursives et pratiques. On ne saurait ici être exhaustif sur ce qui provoquerait, au-delà des bases électorales présentes, l’adhésion à une offre de gauche, ni en expliquer le jeu complexe des affects qu’il faudrait provoquer pour cela : il faut se garder des prophéties et de l’outrecuidance des apprentis sorciers. Cependant, nous ne sommes pas dispensés de déceler des positionnements sincères et des paramètres stylistiques, dans le contexte actuel, qui sauraient demain reconstruire une dynamique en capacité d’entraîner l’assentiment le plus large qui soit. L’union doit dépasser la gauche plurielle, telle est sa tâche historique.

Nous avons besoin d’un récit instituant, surtout après avoir démontré ces dernières années le morcellement d’un espace politique autrefois plus tangible. Il faut justifier que le Front populaire en vaut le vote, mobiliser une rhétorique et des dénominateurs communs solides et ancrés dans le réel. Déjà, l’accord rapidement entendu des forces constituées à gauche nous enlève le simulacre qu’aurait été de longues et vaines réunions occupant l’espace médiatique comme une banale série télévisuelle. Il faut à présent tenir et décliner les temporalités, prendre cette élection à la fois comme un objectif existentiel et le commencement d’une œuvre plus longue. 

L’idéal politique de gauche ne s’est pas éteint. Il est simplement orphelin d’un corpus politique concret, de figures qui l’incarnent, d’une nouvelle esthétique qui le redessine et d’un camp qui le porte de façon harmonieuse. L’édification d’une nouvelle proposition de contrat social, ancrée dans les valeurs de partage, de solidarité et d’écologie qui réenchante la vie, constitue la nécessité d’un nouveau bloc historique majoritaire qu’il faudra d’ailleurs continuer de construire, même après l’élection, quoi qu’il puisse en résulter. Dans la fenêtre aujourd’hui imposée des législatives, les partis vont s’accorder sur les urgences. C’est une première étape. Le reste attendra d’être discuté et tranché par le vote du peuple, du moins il devra l’être pour que l’unité advienne réellement après l’union. Pour le reste, ce nouveau Front populaire pourrait détailler une méthode rigoureuse et un calendrier de mise en œuvre des politiques publiques proposées ; sans démesure ni indétermination, avec un chiffrage et un agenda permettant à tout un chacun de se projeter facilement.

Acter la mort de la social-démocratie

Il faut bien admettre que la social-démocratie ayant gouverné, sidérée et médiocre devant la puissance du capitalisme financier, est justement assimilée aux politiques d’errement nous ayant conduit dans la situation économique, sociale et politique actuelle. Le rêve européen et la mondialisation heureuse des bien lotis ont été vécus à l’envers, dans le malheur économique pour la majorité : désindustrialisation et mise en concurrence d’économies disparates, pression à la baisse sur les salaires, précarisation des emplois, démantèlement des services publics… Les perdants de la mondialisation ont été abandonnés par cette droite complexée et ce qu’il reste de la gauche s’en détourne discursivement bien trop souvent en paraissant de moins en moins capable d’invoquer des codes et des modes de vie autres que ceux des habitants des centres-villes métropolitains. C’est l’incapacité de nos élites à construire un réel rapport de force avec l’Allemagne et ses intérêts singuliers qui empêche d’envisager une véritable construction européenne au service des peuples. Or, on le disait, absolument rien ne dit qu’une majorité des abstentionnistes qui va revenir sur la scène politique à l’occasion de ces législatives soit favorable à la gauche. On peut même s’inquiéter du contraire et, a minima, en prendre acte.

Il y a pour le moment un désir de rupture décorrélé d’un désir de gauche qu’il est interdit de regarder avec condescendance. C’est à ce dessin d’adjonction qu’il faut travailler à la formation face à l’extrême-droite. Par conséquent, concourir à démontrer que la ligne choisie programmatiquement par ce nouveau Front populaire soit cette fois-ci authentiquement de gauche paraît vain tant le signifiant a été décrédibilisé. Sans s’oublier idéologiquement, cette coalition de gauche doit s’arracher de ces réflexes, de ses signifiants et de son petit espace urbain où elle ne se comprend plus qu’elle-même pour se reconnecter et recomposer avec les aspirations majoritaires du peuple français. 

La radicalité de l’offre à proposer ne doit pas être confondue avec une « gauchisation » de sa teneur et la mise en exergue de milles mesures programmatiques.

Fixer cet horizon enviable nécessite pour commencer d’acter très clairement que la proposition de gouvernement entre en réelle rupture avec la politique de l’offre, productiviste et inégalitaire. Mais elle doit aussi permettre à la gauche de se reconnecter avec le sens commun « dégagiste » : la radicalité de l’offre à proposer ne doit pas être confondue avec une « gauchisation » de sa teneur et la mise en exergue de milles mesures programmatiques. Elle doit en premier lieu s’exprimer en termes d’ambition de changement, loin des symboles et des rustines, dans un contexte de guerre aux pauvres et de tenaille identitaire.

A l’avenant, elle devra se traduire par la mobilisation des compétences obligatoires face à la complexification juridique des rouages organisationnels et administratifs des politiques publiques installées ; et au regard d’un affrontement à venir inévitable avec les marchés financiers. Enfin, elle pourra affirmer avec bon sens, clarté et autorité : à court terme notamment, retraite à 60 ans, indexation des salaires sur l’inflation et hausse du SMIC, abrogation de la loi immigration, école publique totalement gratuite ; à moyen et long terme, réduction du temps de travail, extension des services publics, démocratisation des entreprises, déconstruction de l’hydre bancaire etc. Le retour d’un ordre alternatif, c’est-à-dire le retour de la justice dans les politiques économiques, salariales et fiscales est fondamental face à la sécession grandissante des très riches.

Dans le même temps, la narration enveloppant le projet doit aussi porter sur l’unification du pays, la volonté de résorber les fractures de la société et soigner l’atomisation néolibérale. L’une des voies pour ce faire pourrait être de défendre un patriotisme vert. La question écologique est une menace qui est venue s’ajouter à celles historiquement générées par la mondialisation pour les classes populaires et appuyer le sentiment anti-élite. Il faut donc réussir à articuler et hybrider dans le discours et les propositions les enjeux de protection sociale et de transition écologique pour répondre principalement aux besoins et inquiétudes des catégories paupérisées qui sont déjà exposées aux conséquences de la dérégulation environnementale. La constitution d’une telle politique de soin appuyée par des mutations davantage structurelles qu’individuelles – du fait d’une forte reprise en main des orientations économiques par l’Etat – pourrait reconstruire une fierté nationale positive, et l’édification d’un projet à proposer par delà les frontières, c’est-à-dire d’un projet internationaliste. 

Une victoire improbable mais pas impossible

Dans son dernier essai, le politiste Rémi Lefebvre se demandait s’il fallait désespérer de la gauche et répondait qu’il fallait commencer par déjouer le piège du défaitisme. Si l’empreinte des élections européennes fait mal, le problème de la gauche reste encore celui de l’offre davantage que celui de la demande. Au jeu des alliances et coalitions à l’œuvre sur l’ensemble de l’arc politique, les élections législatives s’annoncent des plus incertaines, qui plus est au regard d’une géographie électorale en pleine transformation, où les conditions des victoires ne se posent plus dans les mêmes termes dans chaque territoire. Aux seconds tours, la question de la résistance du front républicain aura encore son sens dans certaines circonscriptions, tandis qu’ailleurs le concours à l’opposition la plus crédible à Macron sera la variable décisive.

Aux seconds tours, la question de la résistance du front républicain aura encore son sens dans certaines circonscriptions, tandis qu’ailleurs le concours à l’opposition la plus crédible à Macron sera la variable décisive.

En outre, les premières projections donnent à voir un sursaut de participation limité, réduisant la part des triangulaires, et montrent un nombre massif de seconds tours où l’opposition Front Populaire – Rassemblement National mettra de côté l’offre présidentielle. La campagne qui s’ouvre, extrêmement rapide, devra donc mobiliser chaque composante interne du Front Populaire en ce qu’elle peut apporter, sur les représentations de stabilité et de rupture qu’elles emportent. En même temps, toute la société doit être mobilisée comme force d’entraînement pour dépasser le cartel partidaire. 

Dès à présent, dans ce déchaînement des passions, il convient de se confronter avec humilité aux circonstances et de ne rien céder à la beauté illusoire du renoncement. Aussi loin soit la rive, il faudra nager et travailler sans relâche pour préempter des électorats populaires divers, que la gauche est censée défendre. Toute projection de résultat qui soit, la suite du scrutin sera tout aussi importante que la campagne immédiate, puisque le RN est désormais ancré si puissamment dans le paysage politique que chaque jour sera une lutte pour le soustraire de toute entrée ou de tout développement dans les institutions. Le choc ne fait que commencer. 

Le parti espagnol Vox, point de rencontre de l’extrême-droite mondiale

Santiago Abascal, leader de Vox. © Vox España

Les élections européennes organisées aujourd’hui dans les 27 Etats-membres de l’UE devraient être marquées par une forte percée de l’extrême-droite. Trois semaines avant le scrutin, une bonne partie de cette famille politique, de Marine Le Pen à Javier Milei, se réunissait à Madrid lors d’un grand rassemblement organisé sous l’égide du parti espagnol Vox. Alors que ce parti est en perte de vitesse dans le champ politique espagnol, il a réussi à structurer un vaste réseau international d’extrême-droite européen et latino-américain. Par Eoghan Gilmartin, traduction Alexandra Knez [1].

À trois semaines des élections européennes, l’extrême droite mondiale s’est réunie à Madrid dans une démonstration sans précédent de sa coordination internationale. Organisé par le parti néo-franquiste espagnol Vox, cet événement de trois jours s’est achevé par un grand meeting dont les orateurs étaient la française Marine Le Pen, le portugais André Ventura, le Président argentin Javier Milei et le ministre israélien du Likoud Amichai Chikli, ainsi que, par vidéo, la Première ministre italienne Giorgia Meloni et le Premier ministre hongrois Viktor Orbán.

L’événement de clôture, auquel ont assisté plus de 10.000 personnes, a été inauguré par une vidéo dénonçant les objectifs de développement des Nations unies comme une conspiration « écoféministe », tandis que des images déformées de Bill Gates et de Greta Thunberg défilaient à l’écran. Cette vidéo a été rapidement suivie par l’intervention de Mercedes Schlapp, une ancienne responsable du gouvernement de Donald Trump, entonnant un chant pro-sioniste : « Viva España ! Viva Israël ! »

Si les contradictions entre les différents discours d’extrême-droite étaient manifestes, l’animosité collective à l’égard d’ennemis communs et l’allégeance à des formes d’autoritarisme réactionnaire compensent largement tous les écarts de points de vue.

Si les contradictions entre les différents discours d’extrême-droite étaient manifestes, l’animosité collective à l’égard d’ennemis communs et l’allégeance à des formes d’autoritarisme réactionnaire compensaient largement tous les écarts de points de vue. Vox a pu ainsi inviter le négationniste néo-nazi Pedro Varela et déclarer dans la même foulée qu’Israël était « une référence internationale dans la lutte contre le terrorisme islamique », tandis que l’anarcho-libertarisme de Milei et la rhétorique chauvine et protectionniste de Le Pen ont été chaleureusement accueillis.

« Nous, les patriotes, devons rester unis », a insisté le président de l’American Conservative Union, Matt Schlapp, lors du rassemblement. « Nous n’allons pas laisser George Soros ou Biden nous diviser ».

À cet égard, ce rassemblement était également une nouvelle preuve du rôle de plus en plus central de Vox dans la liaison entre les mouvements politiques réactionnaires du monde entier. Vox n’est pas seulement un pont essentiel entre l’extrême droite européenne et l’extrême droite latino-américaine, mais, à l’approche des élections européennes, le parti cherche également à resserrer les liens entre les deux principales familles d’extrême droite au sein de l’Union européenne (UE) : les Conservateurs et Réformistes Européens (CRE) dominés par Giorgia Meloni, pro-OTAN et plus traditionalistes, et le groupe Identité et Démocratie (ID) dont fait pour l’instant partie le Rassemblement National, davantage pro-russes et aux positions plus extrémistes.

Alors que les sondages montrent que l’extrême-droite va probablement réaliser des percées significatives lors des élections européennes, Santiago Abascal, de Vox, se positionne désormais comme une figure centrale de cette « internationale réactionnaire », alors même que son propre parti a perdu du terrain au niveau national depuis l’année dernière. Un responsable du parti est même allé jusqu’à se vanter que « seul Vox est capable d’organiser un tel rassemblement [d’extrême droite] ».

Une internationale anticommuniste

L’actualité autour de la convention a été dominée par la brouille diplomatique déclenchée par Javier Milei, qui a qualifié la femme du premier ministre espagnol Pedro Sánchez de « corrompue ». Pourtant, la relation du Président argentin avec Vox est antérieure à son entrée en politique, puisqu’il a été l’un des signataires de la Charte de Madrid 2020, aux côtés d’Eduardo Bolsonaro (un des fils de l’ancien Président brésilien, ndlr) et de l’extrémiste chilien José Antonio Kast. Il s’agit du document fondateur de l’alliance anti-gauche dirigée par Vox, le Forum de Madrid, qui cherche à lutter contre la propagation des « régimes totalitaires d’inspiration communiste » en Amérique latine.

Le Forum de Madrid aspire à devenir une « organisation permanente des partis d’extrême droite », dotée d’un plan d’action annuel.

Comme le souligne Miguel Urbán, fondateur de Podemos, dans son livre Trumpismos (2024), le Forum de Madrid cherche à se distinguer de la Conservative Political Action Conference (CPAC) aux États-Unis. Alors que cette dernière organise des événements périodiques réunissant des dirigeants et des militants de la droite internationale, le Forum de Madrid aspire à devenir une « organisation permanente des partis d’extrême droite », dotée d’un plan d’action annuel. Comme l’écrit Urbán, « Vox a mené un programme frénétique de mise en réseau, de voyages et d’événements dans le but de construire un premier cadre stable pour la coordination des forces d’extrême droite latino-américaines, un cadre qui, de surcroît, aurait [“Vox”] pour centre névralgique ».

Cette organisation transfrontalière reste quelque peu embryonnaire. Pourtant, selon un rapport récent de Progressive International, « l’impact le plus important” du Forum de Madrid jusqu’à présent “a été sa capacité à créer et à mobiliser un réseau […] pour saper les gouvernements de gauche dans la région ». Une enquête majeure menée par un consortium de publications latino-américaines a révélé que des politiciens associés à l’alliance s’étaient engagés dans des campagnes coordonnées visant à « délégitimer les résultats électoraux dans plusieurs pays » – en collaborant au-delà des frontières pour amplifier les fake news de fraude électorale au Pérou, en Colombie et au Chili, soutenues par des campagnes organisées de trolling en ligne.

En réalité, le Forum de Madrid fait également partie d’une infrastructure d’extrême droite plus large composée d’associations catholiques extrémistes, d’exilés latino-américains et de think tanks réactionnaires basés dans la capitale espagnole, ce qui a également contribué à faire de la ville un point de rencontre clé pour les forces autoritaires du monde entier. La première ministre de la région de Madrid, Isabel Ayuso, qui appartient à l’aile radicale du Parti populaire (droite conservatrice espagnole, ndlr), a adopté le slogan des exilés cubains « Liberté ou communisme », tandis que pendant le mois de violentes manifestations qui ont suivi la réélection de Sánchez en novembre dernier, le même réseau d’extrême-droite et la même rhétorique insurrectionnelle ont été mobilisés pour tenter de jeter le doute sur la légitimité de sa majorité parlementaire.

Faire basculer l’équilibre des pouvoirs

Milei a repris ces tactiques lors de la convention de Vox, en s’envolant vers l’Espagne avec pour objectif d’en découdre avec le Premier ministre de centre-gauche du pays, allant même jusqu’à dénoncer le « totalitarisme » de Sánchez, le qualifiant de « socialiste arrogant et délirant » à son retour à Buenos Aires. La querelle diplomatique qui s’en est suivie, au cours de laquelle l’Espagne a rappelé son ambassadeur d’Argentine, a donné le coup d’envoi de la campagne électorale européenne de Vox.

M. Abascal espérait pourtant lancer sa campagne d’une manière plus solennelle, en s’affichant avec Marine Le Pen et Giorgia Meloni afin de plaider pour une coopération accrue entre les deux ailes de l’extrême-droite européenne. Le parti post-fasciste Fratelli d’Italia de Meloni et le Rassemblement national de Le Pen sont actuellement en tête des sondages dans leurs pays respectifs, tandis que la combinaison des sièges prévus pour leurs deux groupements à l’échelle de l’UE devrait faire de l’extrême-droite la deuxième force la plus importante au Parlement européen.

Le Parlement européen pourrait donc, pour la première fois de son histoire, compter une majorité d’eurodéputés de droite, les Verts et le groupe libéral Renew d’Emmanuel Macron devant tous deux subir de lourdes pertes. Cette majorité n’évincerait pas nécessairement la grande coalition dominante des partis centristes, mais pourrait permettre au Parti populaire européen (PPE) conservateur d’obtenir une majorité alternative lors de certains votes, notamment sur les questions environnementales, les libertés civiles ou l’immigration.

Le groupe CRE, qui comprend notamment les Fratelli, Vox et Reconquête d’Éric Zemmour, se différencie le plus du groupe Identité et Démocratie de Marine Le Pen en matière de politique étrangère – et, par conséquent, sur leur degré de respectabilité au sein des opinions dominantes.

Pourtant, comme le note l’universitaire Cas Mudde, cette poussée historique de l’extrême droite « pourrait bien être une victoire à la Pyrrhus, si [les] partis restent aussi divisés ». Le groupe CRE, qui comprend notamment les Fratelli, Vox et Reconquête d’Éric Zemmour, se différencie le plus du groupe Identité et Démocratie de Marine Le Pen en matière de politique étrangère – et, par conséquent, sur leur degré de respectabilité au sein des opinions dominantes. Depuis qu’elle est devenue Première ministre, grâce son positionnement strictement pro-OTAN, Meloni a cultivé des liens plus étroits avec le PPE et souhaite garder la porte ouverte à un pacte avec Ursula von der Leyen pour sa réélection à la tête de la Commission européenne, à l’issue des élections de juin.

À cet égard, sa décision de ne pas assister en personne à ce grand événement pour l’extrême-droite l’a placée dans une situation ambiguë, son intervention vidéo n’ayant pas pour but de mettre un terme aux ouvertures de Vox à Mme Le Pen ni de s’aligner sur celles-ci. « Nous verrons ce qui se passera après les élections », a insisté un responsable de Vox – le parti se considérant comme le mieux placé pour servir de pivot entre les différents groupes au cours du prochain mandat.

En particulier, l’annonce faite ce mardi par Marine Le Pen et Matteo Salvini que leurs partis ne feraient plus partie du même groupe que le parti allemand Alternative für Deutschland ouvre la possibilité d’un réalignement significatif de l’extrême droite européenne après les élections – tout comme l’intégration attendue du Fidesz d’Orbán au sein de l’ECR.

Quoi qu’il en soit, la menace d’une avancée majeure de l’extrême droite est claire. « Nous, les patriotes, devons occuper Bruxelles », a proclamé Orbán lors de son intervention à la convention de Vox, tandis que Ventura de Chega a déclamé : « L’Europe est à nous. L’Europe est à nous ! » Le scrutin d’aujourd’hui montrera dans quelle mesure ce scénario est réaliste.

[1] Article de notre partenaire Jacobin, traduit par Alexandra Knez.

En Autriche, le Parti communiste défie le virage à droite

© KPÖ Bundespartei

Alors que les Autrichiens éliront plusieurs maires, leurs députés et leurs eurodéputés cette années, les sondages pronostiquent une forte poussée de l’extrême-droite (FPÖ), avec laquelle la droite traditionnelle a l’habitude de former des coalitions. Dans ce paysage politique bien sombre, les communistes du KPÖ font figure d’exception. Après avoir conquis Graz, la deuxième ville du pays, ils espèrent obtenir la mairie de Salzbourg et envoyer des députés au Parlement. Leur programme redistributif et pacifiste séduit en effet de plus en plus d’Autrichiens, en particulier d’anciens abstentionnistes [1].

Il y a à peine cinq ans, le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), appartenant à l’extrême droite, s’embourbait dans une crise dont on ne voyait pas la fin. Les choses ont commencé à mal tourner pour eux en mai 2019, lorsque la presse a obtenu des images de caméras cachées montrant le président du FPÖ et vice-chancelier fédéral Heinz-Christian Strache apparemment ivres et sous l’emprise de la cocaïne lors de vacances à Ibiza. On le voyait promettre des faveurs politiques à une héritière russe (en réalité une actrice impliquée dans un coup monté) si elle achetait le plus grand tabloïd d’Autriche et le transformait en porte-parole de son parti.

Le retour triomphal de l’extrême-droite

Dans les vingt-quatre heures qui ont suivi sa diffusion, la vidéo a entraîné la chute du gouvernement fédéral, une coalition entre le FPÖ et le Parti populaire autrichien (ÖVP) de centre-droit, et a contraint M. Strache à démissionner de toutes ses fonctions politiques. Le FPÖ était privé de son étoile et se révélait au moins aussi corrompu que l’« establishment » qu’il aime à critiquer. L’automne de cette année-là, il a perdu près de 10 points de pourcentage lors d’une élection nationale anticipée. Dans les mois qui ont suivi, le parti d’extrême droite a essuyé de nouvelles défaites électorales au niveau des Länder et a sombré dans des luttes intestines.

Une pandémie et une vague d’inflation massive plus tard, la crise auto-infligée par le FPÖ semble être de l’histoire ancienne. En 2024, se tiendront des élections à Salzbourg (155 000 habitants) et Innsbruck (130 000 habitants), respectivement quatrième et cinquième villes d’Autriche, tout comme dans les Länder de Styrie (1,25 million d’habitants) et de Vorarlberg (400 000 habitants). À cela s’ajoutent deux élections nationales : en juin pour le Parlement de l’Union européenne (UE) et probablement en septembre pour le Parlement national autrichien. Alors que l’Autriche s’apprête à vivre une grande année électorale, les perspectives du FPÖ ne pourraient être meilleures, au niveau national en particulier.

Alors que l’Autriche s’apprête à vivre une grande année électorale, les perspectives du FPÖ ne pourraient être meilleures, au niveau national en particulier.

Depuis des mois, Herbert Kickl, président du FPÖ, est en tête de tous les sondages. La seule variable est l’ampleur de sa victoire. Bien que celui-ci n’ait pas le charisme d’un Strache ou d’un Jörg Haider, le pionnier de la nouvelle droite qui a transformé le FPÖ d’un parti « national libéral » en un parti ethnonationaliste dans les années 1980, le parti mené par Kickl tourne actuellement autour de 30 % au niveau national. En revanche, l’ÖVP et le parti social-démocrate autrichien (SPÖ) de centre-gauche peinent à dépasser les 20 %, tandis que les Verts de gauche et le parti libertaire NEOS se situent à environ 10 %.

Bien que l’élection d’Andreas Babler, figure agitatrice de la gauche, à la présidence du SPÖ ait fait naître l’espoir d’une remontée du parti dans les sondages, cela n’a pas été le cas jusqu’à présent. Son élan a été freiné, du moins en partie, par des éléments hostiles au sein de son parti. Entre-temps, les Verts ont perdu une grande partie de leur crédibilité depuis qu’ils ont remplacé le FPÖ en tant que partenaires juniors dans le gouvernement de coalition autrichien dirigé par l’ÖVP, et qu’ils sont ainsi devenus les exécutants de son programme de droite.

S’il existe une lueur d’espoir pour la gauche dans la République alpine, elle se trouve dans le Parti communiste autrichien (KPÖ), qui connaît une recrudescence après des décennies de marginalité. En Styrie, les communistes sont prêts à faire une percée. Après l’élection en 2021 d’Elke Kahr en tant que maire de Graz (300 000 habitants), la capitale de la Styrie et deuxième ville d’Autriche, son camarade Kay-Michael Dankl semble avoir une chance de devenir maire de Salzbourg. Cet automne, le KPÖ pourrait même franchir le seuil des 4 % requis pour entrer au Parlement autrichien.

L’inexorable progression des communistes

En 2024, le KPÖ devrait bénéficier de l’organisation d’élections dans les Länder où il a déjà connu le succès ces dernières années. Le premier d’entre eux est la Styrie, où le parti est représenté au Landtag (Parlement du Land) depuis 2005. Selon un récent sondage, les communistes de Styrie atteindraient 14 % des voix, soit plus du double de leurs résultats aux élections régionales de 2019. Bien qu’il faille prendre les sondages avec des pincettes, on peut supposer que le parti réalisera des gains significatifs dans son bastion traditionnel.

Jusqu’à présent, la maire de Graz, Elke Kahr, n’a pas déçu. Elle a d’ailleurs été élue meilleure maire du monde en 2023 grâce à son « dévouement désintéressé pour sa ville et ses habitants ». Depuis, les tentatives des opposants politiques à Graz d’attaquer le KPÖ en ciblant les positions du parti en matière de politique étrangère n’ont eu que peu d’effet. Ni le refus des communistes de « déclarer leur soutien » aux sanctions de l’UE contre la Russie lorsque le parti résolument atlantiste NEOS les a mis au défi de le faire, ni le fait qu’ils aient été le seul parti à voter contre le déploiement du drapeau israélien à l’hôtel de ville après le 7 octobre 2023, n’ont nui à leur soutien. Werner Murgg, membre KPÖ du Parlement en Styrie, a à lui seul apporté au parti un flot continu de presse négative pour ses voyages au Donbass en 2019 et en Biélorussie en 2021, mais il ne se présentera pas à nouveau aux élections de 2024.

Dans ses bastions de Styrie et de Salzbourg, le KPÖ s’est révélé être un antidote efficace contre la désaffection politique. L’analyse des tendances de vote lors de l’élection du maire de Graz en 2021 révèle que les communistes ont pris des voix à tous les partis, mais surtout réussi à convaincre d’anciens abstentionnistes. Les analyses des élections régionales d’avril 2023 à Salzbourg, qui ont vu l’historien et guide de musée Kay-Michael Dankl, âgé de 34 ans, mener le KPÖ à un score sans précédent de 11,7 %, révèlent une situation similaire. Depuis cette élection, Dankl n’a fait que gagner en popularité. Selon un sondage réalisé en décembre, il jouit de loin du taux d’approbation le plus élevé de tous les hommes politiques siégeant au Landtag de Salzbourg. Michael Dankl est aujourd’hui candidat à la mairie de Salzbourg et a de bonnes chances de remporter les élections du 10 mars. Comme lors des élections régionales de l’année dernière, sa campagne est largement axée sur le logement, un sujet brûlant dans la deuxième ville la plus chère d’Autriche en termes de loyers.

Dans ses bastions de Styrie et de Salzbourg, le KPÖ s’est révélé être un antidote efficace contre la désaffection politique. L’analyse des tendances de vote lors de l’élection du maire de Graz en 2021 révèle que les communistes ont pris des voix à tous les partis, mais surtout réussi à convaincre d’anciens abstentionnistes.

Fidèles à une tradition instaurée il y a plusieurs décennies par le KPÖ de Styrie, les membres nouvellement élus du Landtag de Salzbourg ont décidé de plafonner leur salaire à 2 400 euros par mois, ce qui correspond à peu près au salaire moyen d’un ouvrier, et de donner le reste aux personnes dans le besoin. Les communistes de Salzbourg ont ainsi collecté un total de 45 626,60 d’euros pour les électeurs au cours de la seule année 2023, qui s’ajoutent aux 3,2 millions d’euros collectés par l’organisation du parti en Styrie depuis 1998. Partout où il a été élu, le parti à pu établir sa crédibilité grâce à cette pratique, ce qui l’a aidé à accéder à la tête de la mairie de Graz et en a fait un concurrent sérieux à Salzbourg.

Avec Pia Tomedi, une assistante sociale de 35 ans, le KPÖ cherche également à s’implanter à Innsbruck, la capitale du Land du Tyrol. Au Tyrol, le parti en est encore aux premiers stades de sa construction et recueille actuellement des signatures en vue de figurer sur le bulletin de vote des élections municipales d’Innsbruck en avril. Mais il n’est pas improbable que la recette de Graz et de Salzbourg y fonctionne également. Innsbruck a les loyers les plus chers de toutes les villes d’Autriche, et dans le Tyrol, le SPÖ est traditionnellement faible. Comme Kahr et Dankl, Tomedi met l’accent sur la question du logement. Si elle est élue au conseil municipal d’Innsbruck, cela pourrait conduire à des gains pour le KPÖ dans d’autres régions du Tyrol : en Styrie et dans le Land de Salzbourg, les succès des communistes ont commencé lorsqu’ils ont obtenu des sièges dans les conseils municipaux de leurs capitales respectives.

Entre la droite et l’extrême-droite, une collaboration de longue date

À l’approche de l’automne, ces élections pourraient donner au KPÖ l’élan nécessaire pour faire une entrée spectaculaire au Parlement autrichien, où il a siégé pour la dernière fois en 1959. Malheureusement, ce n’est pas suffisant pour que la gauche jubile, car dans tout le pays, le succès potentiel du KPÖ est plus qu’éclipsé par les pronostics à la hausse concernant le FPÖ.

Il est fort probable que le FPÖ soit l’un des partis composant le prochain gouvernement autrichien, très vraisemblablement avec le soutien de l’ÖVP. Bien que tous les membres de l’ÖVP, depuis le président et chancelier autrichien Karl Nehammer, aient affirmé qu’une coalition avec un FPÖ dirigé par Herbert Kickl était hors de question, cette vague promesse ne doit pas être prise au sérieux, sans compter que le FPÖ est un parti d’extrême droite, qu’il soit ou non dirigé par Kickl. Beaucoup soupçonnent l’ÖVP d’être prêt à céder la chancellerie au FPÖ dans le cadre d’un accord de coalition.

Contrairement à l’Allemagne, la collaboration avec les extrémistes de droite n’est plus taboue depuis longtemps en Autriche. Outre l’ÖVP et le SPÖ, le « Drittes Lager » (troisième camp) est un élément essentiel de l’ordre d’après-guerre dans le pays. En 1949 est fondé le prédécesseur du FPÖ, la Fédération des indépendants (VdU). D’orientation ostensiblement libertaire, il a ouvert ses portes aux pangermanistes et aux anciens nazis qui avaient été mis à l’index par deux grands partis, les réintégrant dans la politique nationale. À partir des années 1980, Jörg Haider a transformé le FPÖ en prototype de ce que la plupart des médias appellent aujourd’hui un parti « populiste de droite ». Vingt ans avant la création de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le FPÖ avait déjà obtenu jusqu’à 22 % des voix lors d’une élection nationale.

D’orientation ostensiblement libertaire, le parti d’extrême droite a ouvert ses portes aux pangermanistes et aux ex-nazis qui avaient été mis à l’index par deux grands partis, les réintégrant dans la politique nationale.

Pendant des années, les hommes politiques autrichiens ont traité avec le FPÖ exactement de la même manière que ce qui est fait aujourd’hui en Allemagne : les conservateurs et les sociaux-démocrates ont pris leurs distances avec les extrémistes de droite et pendant les campagnes, ils promettaient de ne pas former de coalition avec eux. Puis, l’année 1999 a connu un revirement spectaculaire : le président de l’ÖVP, Wolfgang Schüssel, a annoncé la formation d’un gouvernement national de coalition avec le FPÖ. Le cordon sanitaire contre l’extrême droite, auquel tant d’Allemands continuent de s’accrocher aujourd’hui, a été coupé en Autriche dans les années 1990.

Sous l’ex-chancelier autrichien disgracié Sebastian Kurz (ÖVP), une sorte d’Emmanuel Macron autrichien dont la rhétorique se distinguait à peine de celle du FPÖ, l’alliance entre le centre-droit et l’extrême droite s’est pleinement consolidée. Depuis sa coalition avec le FPÖ au niveau national entre 2017 et 2019, de telles coalitions sont devenues la nouvelle norme au niveau des Länder. Dans le Land de Salzbourg et en Basse-Autriche, l’ÖVP gouverne avec le FPÖ depuis 2023, après la remontée électorale massive de ce dernier. En Haute-Autriche, le lieu de naissance d’Adolf Hitler et de Jörg Haider, une coalition droite/extrême droite harmonieuse existe depuis 2015.

Si l’ÖVP n’a aucun scrupule à gouverner avec le FPÖ même en Basse-Autriche, le Land où l’organisation du FPÖ est peut-être la plus à droite, pourquoi hésiterait-il à le faire au niveau national ? Lors des élections régionales de 2018 en Basse-Autriche, le FPÖ a attaqué la présidente de l’ÖVP en Basse-Autriche, Johanna Mikl-Leitner, en la qualifiant de « Moslem Mama Mikl », et Udo Landbauer, du FPÖ de Basse-Autriche, a été dénoncé comme appartenant à une fraternité nationaliste allemande de duellistes dont le chansonnier comprenait des chants sur la reprise de l’Holocauste. Aujourd’hui, Udo Landbauer est vice-gouverneur de Basse-Autriche, sous la direction de Johanna Mikl-Leitner.

Depuis le virage à droite opéré par Sebastian Kurz, l’ÖVP est idéologiquement beaucoup plus proche du FPÖ que des Verts ou du SPÖ. Dans l’actuel gouvernement national avec les Verts, les conservateurs ont été contraints d’aborder des questions qu’ils auraient personnellement préféré ignorer, comme la demande de longue date des Verts d’une nouvelle loi globale sur le climat. Avec le FPÖ, en revanche, ils seraient en mesure de parvenir rapidement à des accords sur des points essentiels : moins de législation sur le climat, des lois sur l’immigration encore plus racistes et un État plus « lean ».

Dans son dernier programme économique, rédigé en 2017, le FPÖ demandait des allègements fiscaux pour les riches et les entreprises, ainsi que des réductions des dépenses sociales. Si ces politiques semblent tout aussi bien pouvoir provenir de l’ÖVP, il ne faut pas s’en étonner : ces deux partis servent avant tout les intérêts de la classe dirigeante.

Malgré les idées reçues, le FPÖ n’a jamais sérieusement compromis sa popularité en participant à des gouvernements. Pas une seule fois les actions du parti lorsqu’il était au pouvoir n’ont conduit les Autrichiens à être « désenchantés » par lui ou soudainement indignés par son extrémisme de droite. De même, les autres partis n’ont pas encore trouvé de recette efficace pour arrêter le FPÖ. Au contraire, ses crises ont toujours été auto-infligées, causées par la corruption ou des conflits internes. À chaque fois, le parti a réussi à rebondir tôt ou tard. Aujourd’hui, cinq ans après le plus grand scandale de corruption de son histoire, le FPÖ est plus fort que jamais.

Un pays de droite ?

Au lieu de contrer le FPÖ avec des récits alternatifs et des positions politiques de principe, les autres grands partis autrichiens ont progressivement adopté ses positions comme les leurs, la même stratégie infructueuse que celle poursuivie actuellement par Emmanuel Macron contre le Rassemblement national en France et par Friedrich Merz contre l’AfD en Allemagne. En particulier sur la question de l’asile politique et de l’immigration, les anciennes demandes du FPÖ sont aujourd’hui devenues la norme. Le principal bénéficiaire de cette évolution a été le FPÖ.

Le SPÖ et l’ÖVP ont longtemps évité de développer leurs propres positions sur ces questions, partant du principe que l’Autriche disposait simplement d’une « majorité de droite » insurmontable. Selon cette idée reçue, les Autrichiens sont tout simplement culturellement de droite et ne peuvent pas être convaincus par des questions de gauche.

Au lieu de contrer le FPÖ d’extrême droite par des discours alternatifs et des positions politiques de principe, les autres grands partis autrichiens ont progressivement adopté ses positions.

Il est vrai que, additionnés, les partis de droite en Autriche jouissent d’une majorité depuis des décennies de façon presque ininterrompue. Pourtant, pour le SPÖ en particulier, supposer qu’il s’agissait d’une réalité immuable a été une grave erreur. Personne ne naît de droite ou fasciste, même en Autriche. Il s’agit plutôt de construire des majorités. Si quelqu’un devrait le savoir, c’est bien la gauche. À maintes reprises, elle a répété comme un mantra que les gens peuvent être touchés par des propositions politiques crédibles qui améliorent de manière tangible leur quotidien.

Depuis qu’il a pris la présidence du SPÖ il y a six mois, Andreas Babler a essayé d’en faire le credo de son parti. Il y est brièvement parvenu lors de sa campagne pour la présidence du parti : un affrontement entre lui et Hans Peter Doskozil, plus à droite, sur l’orientation future de la démocratie sociale. Pendant des semaines, les médias autrichiens se sont concentrés non pas sur les questions centrales du FPÖ, l’asile politique et l’immigration, mais sur des propositions concernant la réduction de la semaine de travail, l’impôt sur la fortune et l’égalité de rémunération pour les femmes.

Pourtant, depuis son élection, Babler se retrouve dans la position difficile de devoir rassembler derrière lui à la fois ses partisans et ses opposants. Au sein de la gauche, on redoute que son projet soit mis à mal par les structures conservatrices et les collègues de droite au sein de son propre parti, comme cela s’est produit pour Jeremy Corbyn au sein du parti travailliste britannique.

Dans le Süddeutsche Zeitung, un journal allemand de centre-gauche, Babler a expliqué sa récente attitude plus réservée en public comme suit : « Dans une situation difficile, nous avons vu que nous devions d’abord diriger notre énergie vers l’intérieur pour unifier le parti. » Une fois cette étape franchie, le parti travaillera sur une « large palette de questions » à présenter à l’extérieur. Babler doit effectuer ce tournant de toute urgence.

La plupart des sondages nationaux placent Babler en deuxième position. Pour battre Kickl, il devra réveiller l’esprit des primaires du SPÖ. Il doit s’en tenir fermement à ses exigences, même s’il s’attire les critiques de ses adversaires au sein des organisations du SPÖ dans les Länder. Il doit montrer qu’il maîtrise son parti et qu’il ne cédera pas face au tapage de Doskozil et de ses semblables.

Une performance respectable du SPÖ et une reprise régionale du KPÖ de l’ampleur actuellement prévue ne suffiront pas à empêcher le scénario le plus pessimiste d’une chancellerie du FPÖ cette année. Pourtant, les développements en Styrie et à Salzbourg alimentent l’espoir de jours meilleurs. Après tout, ces « îlots de résistance » de gauche, comme les a qualifiés la maire de Graz, Elke Kahr, prouvent qu’il est possible de mener une politique au-delà de l’insensibilité économique et de l’agitation raciste.

Note :

[1] Article originellement publié par Jacobin, traduit par Lava.