Parasite ou le triomphe de la Nouvelle vague coréenne

Parasite / DR

Palmé d’or à Cannes pour Parasite, le cinéaste Bong Joon-ho incarne le triomphe de la Nouvelle Vague sud-coréenne, née dans les cendres de la dictature. Un cinéma hautement politique, corrosif, qui ne se refuse aucun genre et n’oppose pas succès critique et triomphe commercial.


Lors de la 72ème édition du Festival de Cannes, justice a été rendue. En offrant la récompense suprême à Bong Joon-ho et Parasite, le jury a réparé un terrible affront : la Corée du Sud n’avait jamais reçu de Palme d’or ! Impensable, tant le cinéma sud-coréen est, depuis plus de vingt ans et la naissance de sa Nouvelle vague , l’une des industries les plus rafraîchissantes du cinéma mondial.

La Nouvelle vague naît en Corée sur les ruines de la dictature militaire, au milieu des années 1990. L’heure est à la libéralisation de la culture : le cinéma, autrefois sous tutelle ministérielle et soumis à une forte censure, s’ouvre à une génération de nouveaux réalisateurs. Biberonnés à la culture cinéphile, souvent issus de la Korean Academy of Film Arts (KAFA) dont ils vont faire exploser les codes, ces jeunes cinéastes – Bong Joon-ho donc, mais aussi Park Chan-wook, Lee Chang-dong ou encore Kim Jee-won – vont bénéficier d’un contexte favorable.

Tous ont la rage au fond du ventre, une colère revendicatrice à déverser sur les bobines, mais ils refusent le classicisme dans lequel un certain cinéma social tend à s’enfermer. Cela tombe bien, en ces années de libertés nouvelles, les coréens sont avides de nouveauté, de jamais-vu, de grand spectacle et boudent le conformisme. C’est cette alliance entre le cinéma de genre, dans sa fonction première de divertissement, et un cinéma radicalement politique, qui va fonder la Nouvelle vague.

À la conquête de l’Ouest

Films de monstre (The Host), thrillers sanguinolents (J’ai rencontré le diable), fables féeriques (Okja), drames horrifiques (Dernier train pour Busan)… Ce cinéma-là digère Claude Chabrol comme George Romero et s’autorise tout, ou presque. Il faut dire qu’il en a les moyens. Les chaebols, ces méga-entreprises qui structurent l’économie du pays, sont enclines à investir massivement dans le cinéma national, garantissant des budgets à la hauteur des imaginations des réalisateurs. D’un autre côté, la politique de protectionnisme culturel pratiqué par l’Etat (les cinémas doivent avoir un film maison à l’affiche au moins 40 % de l’année) limite la concurrence nord-américaine. Résultat : là où en France le box-office semble se réduire à un triste affrontement entre blockbusters américains et comédies françaises interchangeables, en Corée du Sud, ce sont les champions locaux qui font la pluie et le beau temps.

Alors que le Nouvel Hollywood semble bien loin aux Etats-Unis, que les grands cinéastes s’effacent devant les grandes franchises (on ne va plus voir un Spielberg, on va voir un Marvel), la Corée du Sud réaffirme la possibilité d’un cinéma d’auteur tout à la fois accessible et exigeant. Et finit, enfin, par être reconnue à l’international.

C’est là sans doute une des grandes forces de la Nouvelle vague sud-coréenne : ces thématiques, bien que fortement influencées par la société sud-coréenne, sont facilement exportables. Un témoignage de l’érudition cinéphile de ses ambassadeurs, capables de traduire en langue cinématographique universelle des préoccupations très coréennes ; de leur talent de conteurs, aussi : leur film ne sont jamais théoriques, ont toujours le souci d’accrocher le spectateur à travers une bonne histoire (le principe même de la fiction).

Un cinéma peuplé de marginaux

Quasi-thèse sociologique, Parasite en est un très bon exemple. Une famille très pauvre, acculée par la misère et le chômage, contrainte de vivre dans un entre-sol de Séoul, au-dessous du niveau de la rue, décide de monter une arnaque. Tour à tour, faisant mine de ne pas se connaître, ils vont se faire embaucher dans une famille bourgeoise du sommet de la ville, pour pouvoir vivre confortablement avec eux et « parasiter » leur quotidien. Comme Bong Joon-ho préfère prophétiser des lendemains qui flambent que des surlendemains qui chantent, la suite leur prouvera qu’il faut bien plus qu’une simple combine pour s’extraire des carcans qui enserrent la société. Et que la lutte des classes ne fera pas l’économie de la violence.

C’est le message répété film après film par Bong et ses camarades de la Nouvelle vague : ce monde bout, se contorsionne en attendant d’exploser, et nourrit la violence ultra-graphique de leur cinéma. Si la critique prend particulièrement bien dans une Corée ultra-inégalitaire, elle sonne tout aussi juste en Occident. Peut-on faire plus universel que la misère, les inégalités, l’espoir du changement ?

D’autant qu’il y a chez ces cinéastes un amour sincère pour les personnages prolétaires, les marginaux, ceux qui sont dépassés par les événements et sont condamnés à le rester. Chez Bong, c’est la mère d’un fils malade mental face à la justice (Mother), une petite fille de campagne confrontée à l’industrie agro-alimentaire (Okja), un commerçant et sa famille seuls face à un scandale sanitaire impliquant l’armée américaine (The Host). Des figures rarement représentées, ou alors mal, singés grossièrement dans les comédies françaises de droite, ou condamnés à un cinéma de critique sociale plus confidentiel (Ken Loach, les Dardenne, Stéphane Brizé…). Les cinéastes sud-coréens entretiennent un amour profond de leurs personnages miséreux, en faisant de véritables héros.

Cannes ne s’y est donc pas trompé. La Nouvelle vague coréenne est peut-être ce qui se fait de mieux en cinéma politique. Parce qu’elle ne prend jamais le grand public pour un idiot. Parce qu’elle met en avant des auteurs complets et talentueux. Parce qu’elle épouse l’intégralité du spectre cinéphilique, ne se refusant ni aucun goût ni aucune couleur. Parce qu’elle a compris la nécessité de proposer autre chose face à la machine hollywoodienne et pour cela, d’y mettre des moyens économiques et politiques. À bon entendeur…

Retour sur la 70e édition du Festival de Cannes

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La 70 e édition du Festival de Cannes s’est achevée. Si la sélection officielle a pu être jugée par la presse spécialisée comme en partie décevante, cette année s’est avérée tout de même remarquable grâce à quelques chefs d’œuvres, des sélections parallèles de grande qualité et des polémiques qui ont donné à réfléchir.La première d’entre elles a d’ailleurs porté sur l’affiche elle-même : retouchée pour faire perdre des tours de taille à la pourtant magnifique Claudia Cardinale (1)…Un symbole bien triste…

Cet anniversaire est une bonne occasion de rappeler l’histoire antifasciste du festival de Cannes, dont la première édition pris place en 1946, mais qui fut imaginé dès les années 30 par le Front Populaire et Jean Zay comme une réponse au festival fasciste de Venise. Ce point est important car il permet de rappeler la dimension intrinsèquement politique du Festival de Cannes et donc…ses paradoxes : à la fois irrévérencieux et élitiste, provocateur et artificiel, révolutionnaire et bourgeois…

On se souvient de la palme de la précédente édition où l’on pouvait entendre le discours anti-austéritaire de Ken Loach à quelques mètres de rangées de yachts et de palaces.

Ce festival, qui consacre la France comme le pays du cinéma, permet de concourir pour la palme d’or mais aussi simplement de se faire remarquer et d’obtenir un important bénéfice promotionnel.C’est le cas notamment des films dits « hors compétition ».

C’est dans ce cadre qu’ont été projetés, entre autres, le film sud-coréen Sans Pitié (Bulhandang de Sung-hyun Byun), un thriller nerveux et efficace, et D’Après Une Histoire Vraie de Roman Polanski. Ce second film a relancé la polémique sur Roman Polanski dont nous parlions ici il y quelques mois de cela (2) : à savoir comment un homme qui fuit la justice pour des motifs extrêmement graves peut se pavaner librement sur le tapis rouge… Sur le film lui-même, sa présence en hors compétition plutôt qu’en sélection officielle laissait certes attendre le pire, mais il nous était impossible d’imaginer que le réalisateur de Rosemary’s Baby, Chinatown, Le Pianiste…soit capable d’accoucher d’une œuvre aussi médiocre. « D’après une histoire vraie » fait justement penser à ces émissions qui passent en semaine sur la TNT vers midi et qui sont censées retracer des histoires vraies : mal jouée, dialogues grotesques, effets visuels immondes…rien ne nous a été épargné. On ne peut pas reprocher à Eva Green sa performance, c’est bien le rôle qu’on lui attribue qui pose problème : il faut littéralement 30 secondes pour réaliser que son personnage est gravement psychopathe, neutralisant d’emblée tout espoir d’une quelconque subtilité. Sans parler de la tension sexuelle suggérée entre les deux femmes avec une grossièreté à peine croyable.

 La projection fut ponctuée sur toute sa durée de rires gênés voire de vraies hilarités pour les moins tolérants. Les admirateurs de Polanski durent attendre la moitié du film pour se résoudre à admettre que non, ce n’était pas du second degré. Comment qualifier ces scènes où Eva Green défonce un mixeur à grand coups de rouleau à pâtisserie pour nous suggérer avec subtilité son déséquilibre psychologique ? où Vincent Perez passe l’entièreté du long métrage les sourcils froncés au maximum en disant « je suis inquiet, il y a quelque chose qui cloche… » ? où Eva Green toujours, dit le plus sérieusement du monde, que « recevoir des lettres anonymes c’est une chose, mais se faire shamer sur les réseaux sociaux, ça non ce n’est pas acceptable » avant de se lancer dans une lecture dramatique de commentaires de trolls, non pas sans rappeler Youtube Comment Reconstruction. Tout ça avant que le film ne se termine comme une parodie de Misery

Certains se demandent comment Olivier Assayas, le coscénariste, a pu écrire des dialogues aussi gênants, lourds et remplis de banalités : ceux-là n’ont sûrement pas vu Après Mai, qui représente un petit peu la façon dont quelqu’un de droite se représenterait mai 68, avec des dialogues sur le mode « bonjour jeune hippie, aurais-tu quelques stupéfiants à ingérer ? ainsi nous pourrions « triper » puis aller faire l’amour et peindre en débattant de la révolution internationale prolétarienne »…C’est à peu près ce niveau de justesse qu’on retrouve ici
D’Après une histoire vraie parle du syndrome de la page blanche, celui dont ont été victimes Assayas et Polanski, mais cette mise en abîme ne nécessitait sûrement pas une heure et demie de notre temps…
Libération a conclu son article en s’adressant au réalisateur en ces termes : « mais pourquoi nous entraîner dans ton suicide ? » (3)

https://www.youtube.com/watch?v=PdtNPZZxWX8

En « Séance spéciale » était diffusé le retour de Twin Peaks…25 ans après la saison 2, marquant également le retour à la réalisation de David Lynch après une dizaine d’années. Une séance évidemment remplie d’émotions et de nostalgie pour deux épisodes virtuoses qui parviennent à nous replonger dans ce qui faisait l’atmosphère si particulière de la série tout en l’actualisant (le featuring parfait et mélancolique de Chromatics…). Un élément frappe toutefois : l’extrême violence graphique à laquelle la série ne nous avait pas habitué : corps déchiquetés et mis en scène façon Hannibal, meurtres extrêmement brutaux et gores… Comme un gage aux nouvelles normes télévisuelle auxquelles on peut être surpris que Lynch, créateur si libre, ait « cédé ».

En parallèle de la sélection officielle on trouve Un certain Regard qui fait concourir des réalisateurs débutants pour le prix Un Certain Regard et la Caméra d’Or. Ce fut l’occasion de découvrir Tesnota, premier long métrage du jeune Kantemir Balagov, qui dessine le portrait d’une femme en quête de liberté sur fond de tensions ethniques et religieuses en Russie. Se déroulant quelques années après la première guerre atroce de Tchétchénie, à la fin des années 90, le film évoque l’antisémitisme et les tensions avec les Kabardes (musulmans). La persistance de l’antisémitisme est suggérée par l’absence totale de confiance de la communauté juive en l’Etat (après des siècles de pogroms…) : quand des membres de leur famille sont kidnappés par les Kabardes elle préfère régler ces affaires en internes. IIana la jeune héroïne du film est juive mais fréquente Zalim, qui lui est kabarde. Cette relation, le plus souvent filmée avec une grande tendresse, permet de dessiner un mince espoir de s’émanciper de ces haines et des traditions oppressantes (mariages forcés entre autres).

Des images d’archives propagandistes tout bonnement insoutenables nous sont montrées à un moment où nous nous ne y attendons pas et permettent de recontextualiser : celles des islamistes tchétchènes égorgeant des soldats russes suppliant qu’on les épargne, annonçant déjà les méthodes de Daesh, et dont une partie des Kabardes affirment être solidaires. Tesnota livre ainsi un portrait noir mais virtuose des souffrances et des haines de plusieurs peuples des régions reculées de la Russie.

https://www.youtube.com/watch?v=gRDW0W3PHLo

Un certain regard était aussi l’occasion de découvrir le thriller Wind River avec Jeremy Renner qui se promettait d’être un polar rural au sein de la communauté amérindienne, capable d’exploiter les spécificités de son milieu, par exemple à la manière de Winter’s Bone (lui situé dans le Missouri). Malheureusement cette piste enthousiasmante est vite abandonnée au profit d’un film d’action efficace mais aux ressors connus : Jeremy Renner ne pouvant s’empêcher de faire des sermons de « survivor » à chaque fois qu’il ouvre la bouche, les locaux moquant les « feds » « venus de la ville » « qui ne connaissent pas le terrain » etc…et teintés de sexisme : le chasseur expliquant son métier à la détective du FBI surdiplomée mais forcément inexpérimentée, naïve, ayant besoin d’être sans cesse secourue et guidée. Il se trouve que Taylor Sheridan, le réalisateur, n’est autre que le scénariste de Sicario où déjà le personnage d’Emily Blunt était traitée comme une femme-enfant à qui les hommes doivent tout apprendre et réduite au rôle de victime. (4)

En parallèle de la compétition officielle, on trouve des compétitions indépendantes du Festival, c’est le cas de la Quinzaine des réalisateurs créée après mai 1968, année durant laquelle les débats houleux de la période se traduisirent par l’annulation pure et simple de cette édition du festival. La création de ce « contre-festival » eut alors pour but de proposer un autre regard, une sélection plus « libre » et des attitudes moins conventionnelles.

 C’est ce festival qui permettait cette année de découvrir le film d’action de Netflix : Bushwick dont le scénario est l’attaque d’un quartier de New York par des milices texanes tentant d’envahir le nord des Etats-Unis. Avec un scénario de ce type on pouvait s’imaginer à un second degré constant, et bien qu’existant, il est constamment contrasté par l’ultraréalisme et la brutalité de l’action, quasi-entièrement filmée en une succession de plan séquences (certains proprement virtuoses, particulièrement la terrifiante scène d’ouverture).

Comme nous l’avions dit dans notre article sur The Walking Dead (5), les contextes socio-politiques influent grandement sur les représentations de la violence. Dans Bushwick, l’irruption soudaine et absurde de la barbarie dans un contexte urbain occidental, à l’image de Cloverfield premier film véritablement « post 11 septembre », la mort soudaine des proches et l’absence d’espoir au milieu de l’attaque font évidemment penser aux images épouvantables des attaques récentes diffusées à travers le monde. L’action en temps réel, l’utilisation répétée du hors champ rappellent ces vidéos prises par smartphones captant les drames presque par inadvertance. De ce point de vue des films comme Bushwick témoignent de traumatismes très contemporains, où s’imprègne l’idée qu’un champ de bataille peut naître en quelques minutes au coin de notre rue.

Ce que ce film fait comprendre c’est comment se crée une mécanique de terreur ; à l’arrivée nous décuplons nous-mêmes notre sentiment d’insécurité par ce type d’œuvres dont le message est explicite : nous ne sommes nulle part à l’abri de la barbarie, elle n’a aucune frontière. Ce réalisme dur surprend dans un film dont le scénario nous promettait une farce parodique.  A dire vrai, à écouter les réalisateurs venus s’exprimer pour l’occasion, Bushwick est le fruit de sept années de travail, et derrière ce synopsis de série B ceux là ont voulu évoquer la fracture bien réelle entre l’Amérique des centres urbains et sa périphérie, entre le côte ouest et la Sun Belt, dimension qui gagne en actualité dans l’Amérique trumpienne.

Il s’agit maintenant d’aborder la sélection officielle, c’est-à-dire les films qui concourraient pour les prix du Festival officiel et le plus illustre d’entre eux, La Palme d’Or.

Le dernier film de Fatih Akin, In The Fade a obtenu le prix d’interprétation féminine pour Diane Kruger. Si on peut questionner, comme l’a fait récemment Emma Watson, la distinction genrée des prix d’interprétation, Diane Kruger mérite toutefois probablement son prix dans la mesure où la performance d’acteur-rice est généralement jugée indépendamment de la qualité globale du film dans laquelle elle prend place. Il faut alors reconnaître à Diane Kruger son talent, notamment pour pleurer puisque c’est globalement l’unique rôle qui lui est affecté dans ce long-métrage. C’est également celui qui est assigné aux spectateurs à qui l’injonction lacrymale est faite pendant plus de deux heures avec des procédés dont on peut questionner la subtilité. In The Fade est ainsi un film sadique qui met en scène une mère de famille faisant face à la mort de son petit garçon et de son mari d’origine turque dans un attentat néonazi. A partir de là rien ne nous sera épargné : les détails de la mort du petit garçon, Diane Kruger pleurant dans lit de son enfant mort, Diane Kruger regardant en boucle les vidéos de son mari et de son enfant sur son iphone, Diane Kruger se tranchant les veines dans sa baignoire…

Après cette partie insoutenable consacrée au deuil s’ensuit la partie sur le procès. Le spectateur commence à s’interroger sur la finalité de ce que nous avons dû subir et espère trouver quelques réponses, celles qui se dessinent deviennent malheureusement assez vite inquiétantes. Les néonazis sont des espèces d’attardés, très très racistes, qui ne regrettent rien et dont on ne sait au final rien sur leur processus de radicalisation. Attention Spoilers : Les nazis sont acquittés par une justice qui, comme semble nous le dire Fatih Akin, ne fait pas correctement son travail. Diane Kruger est alors amenée à se faire justice toute seule tout en se suicidant. Alors que le film se termine et que nous nous demandons ce que le réalisateur a bien voulu nous faire passer par ce fait divers atroce, celui-ci y répond alors par un encadré nous expliquant que plus de 9 personnes ont ainsi été tuées par les néonazis récemment en Allemagne… On est bien alors obligé d’admettre, consternés, et comme cela sera confirmé par les interviews ultérieurs de Fatih Akin, que c’est bien là que se trouve l’unique message du film : le nazisme, c’est mal. Le moins que l’on puisse dire est qu’il s’agit d’un engagement à peu de frais et somme toute…assez lâche.

Le néonazisme – par ailleurs un phénomène assez différent du nazisme, mais Fatih Akin ne semble pas s’encombrer des subtilités – ne dépasse pas (à ce stade) l’action groupusculaire et ultramarginale. La montée de l’extrême droite via AFD (6) (7) , de l’islamophobie via Pegida, et du racisme anti-turc sont eux des vrais sujets que F. Akin n’aborde jamais sur le fond. Aube Dorée (Grèce) est évoquée à un moment, et il s’agit bien là d’un des seuls mouvements néonazis dont l’importance est notable en Europe, coupable de crimes, et dont il serait intéressant de parler, mais là aussi le propos est malheureusement creux. Avec ses nazis tueurs d’enfants et acquittés, Fatih Akin ne prend aucun risque, ils incarnent le mal absolu, mal dont on ignore l’origine. À cette barbarie déshumanisée Fatih Akin peut alors opposer la barbarie légitime du personnage incarné par Diane Kruger, confortée par l’inaction de la justice. Fatih Akin oserait il défendre ouvertement la loi du Talion et l’action violente contre l’extrême droite, avec la pluie de critiques que cela lui aurait valu ? Si cette sortie avait été clivante, elle aurait eu au moins de le mérite de la cohérence et d’une forme de courage. Mais là aussi Fatih Akin fait le plus lâche des choix, celui de faire se suicider Diane Kruger dans son contre-attentat contre les meurtriers, manière de nous dire « oui la vengeance ne résout rien, mais elle est parfois la seule justice possible ».

Ainsi, si vous n’aimez pas les nazis, que vous croyez à l’Etat de droit mais que quand même, « on va pas pleurer pour des tueurs d’enfants » vous serez très satisfaits, si toutefois, vous pensez que si un film est insoutenable il se doit de tenir un discours qui donne à réfléchir alors vous feriez mieux de passer votre chemin.

You Were Never Really Here est peut être la grosse surprise de ce festival, la petite bombe sensitive que nous attendions : il a cumulé le prix du scénario (on aurait plutôt attendu celui de la mise en scène !) et d’interprétation pour Joaquin Phoenix. Il est très heureux que Lynne Ramsay ait reçu une récompense. Les femmes sont encore très peu récompensées dans le cinéma : une seule a obtenu la Palme d’Or en 70 ans… Jane Campion pour La Leçon de Piano. Cela témoigne de la difficulté à être une femme réalisatrice : on ne compte que 7% de femmes à Hollywood et 25% en France (8)…

La réaction de Joaquin Phoenix à l’annonce de son prix, hautement mérité en vue de sa performance à la fois brutale et sensible, a surpris. Il faut alors re-contextualiser le rapport de Joaquin Phoenix aux médias et à une certaine élite du cinéma : ayant grandi dans une famille assez pauvre et ayant conservé un rapport de distance vis-à-vis du luxe, Joaquin Phoenix a dû faire face, sous ses yeux, à la mort sous overdose de son frère, le talentueux River Phoenix. L’appel paniqué qu’il fît aux secours fut alors vendu aux médias et abondamment relayé, sans aucune pudeur… Plus tard quand il se met en retrait du cinéma pour se tourner vers le rap sans grand succès, les médias commentent avec violence, mépris et humiliations ce qu’ils considèrent alors comme une « descente aux enfers »…

Ces moments difficiles permettent de mieux comprendre la réaction à première vue distanciée de Joaquin Phoenix et la puissance mélancolique qu’il dégage dans l’hallucinant You Were Never Really Here. Ce film pourrait être décrit comme un cocktail mélangeant Drive (le marteau comme arme fétiche !), Taxi Driver (le vétéran « nettoyant » les bordels pédophiles de New York),  Logan (la relation entre un homme bourru et presque mutique et la jeune fille qu’il protège), Série Noire (le film noir qui met en scène un antihéro torturé qui tente de sortir une jeune femme du même type de situation) et Message From the King (le récent thriller de vengeance stylisé également dans le cadre de réseaux pédophiles fréquentés par les élites).

A propos du film abondamment comparé à Taxi Driver (Martin Scorsese, Palme d’or 1976), auquel on pense forcément, le magazine de cinéma (de gauche) SO FILM note que « là où le New York de Taxi Driver était pourri par la racaille, le ver qui dévore la grosse pomme a changé de visage : exit les maquereaux et les dealers, place aux délinquants en cols blanc, à une mystérieuse bande d’hommes blancs bien en chair, banquiers ou politiciens (carrément) qui kidnappent des fillettes pour alimenter un glauque bordel pédophile pour happy few, avec la complaisance et même la complicité de la police » (9). Très vite d’autres médias ont lié cela aux fantasmes complotistes et notamment au « pizzagate » où un homme avait débarqué armé dans une pizzeria de Washington après la propagation de rumeurs sur internet liant des proches d’Hillary Clinton à un réseau pédophile (10).

Il faut toutefois noter que si le film se déroule aux Etats-Unis, Lynne Ramsay est quant à elle britannique, et en Grande Bretagne l’existence de réseaux pédophiles organisés liés à l’élite politique n’a pas toujours relevé du délire conspirationniste : on se souvient notamment du scandale des révélations en 2014 du Daily Telegraph sur la possible existence d’un réseau pédophile organisé au Parlement de Westminster lors des années 1970 (11), qui ont entraîné l’ouverture d’une enquête où 261 « personnalités en vue » (dont 76 politiciens et 135 hommes de cinéma) avaient été identifiés comme soupçonnés d’abus sexuels sur enfants par la police britannique (12).

Cette année (comme d’autres) Cannes fut donc ultra violente, ses films durs à regarder. La Mise à Mort du Cerf Sacré de Yorgos Lanthimos (Prix du scénario ex-aquo avec You Were Never Really Here) en fut un autre exemple. Dans son brillant The Lobster (Prix du Jury en 2015) (13), le réalisateur grec filmait la solitude des êtres à l’ère post-moderne.  Cette fois il poursuit son analyse de l’égoïsme avec le même ton houellebecquien mais pousse le cynisme et la provocation beaucoup plus loin. Il prend alors le risque de diluer un propos flou (et un peu attendu…) sur la famille bourgeoise par un excès de complaisance et de sadisme. Ecranlarge.com a réussi à y voir une métaphore de «la Grèce condamnée à saccager son patrimoine, son économie et le futur de son peuple, au nom d’une incurie budgétaire plus que discutable » (14) : il faut saluer le mérite de cette analyse qui parvient à donner un sens à un exercice de style réussi formellement mais qui a pu sembler un peu vain sur le fond.

Joaquin Phoenix n’était pas le seul militant vegan de la croisette (15) , il y avait aussi le film Okja. Okja, c’est le dernier film du sud coréen Joon-Ho Bong, qui a été particulièrement hué sur la Croisette : non pas en raison de sa qualité intrinsèque mais…parce qu’il est produit et diffusé par Netflix. C’est l’occasion de revenir sur cette polémique fort intéressante puisqu’elle a pour enjeux la définition même du cinéma, ses évolutions techniques et la protection de l’audiovisuel français.

Vis-à-vis de Netflix, on peut résumer en caricaturant un peu les positions des corps professionnels en deux lignes dominantes : une première que l’on peut qualifier de « conservatrice »  qui considère que Netflix et son modèle vont ruiner le cinéma tel qu’on le connait, et une seconde ligne qui pense qu’il faut accompagner ces changements par des ajustements tout en les acceptant.

La première chose qui est reprochée à Okja c’est que le film ne sortira pas en salle, c’est donc la définition même du cinéma qui est en cause, car le cinéma n’est pas juste un produit audiovisuel, c’est aussi un lieu, le grand écran, avec ses particularités : la qualité du son, la taille de l’image, l’obscurité, la sociabilité… C’est la raison pour laquelle il a été demandé au festival de le déprogrammer. En conséquence le festival a suggéré à Netflix une projection en salle après le festival, ce que Netflix a refusé. Le compromis qui été trouvé, c’est qu’Okja resterait en compétition cette année (même s’il n’a rien obtenu…) mais que dès l’année prochaine un nouveau règlement s’appliquerait qui imposerait la diffusion en salle pour être éligible en sélection officielle.

Pour la défense du festival on peut admettre que ce n’est pas du mépris que de faire une distinction entre le cinéma et le reste, dans la mesure où il y a, qui plus est, de très bons festivals de série et d’audiovisuel. Et on peut, de plus, organiser des projections à Cannes en dehors de la compétition : c’est ainsi que l’on pouvait voir la saison 2 de la série féministe de Jane Campion, Top Of The LakeCe que craignent les professionnels c’est que petit à petit les films soient diffusés simultanément au cinéma et en ligne pour n’être ensuite finalement plus que diffusés en ligne, ce qui détruirait tout un corps de métier. Cette inquiétude n’est sans doute pas justifiée car le cinéma n’est pas qu’un lieu pour voir un film, c’est une sortie, un endroit où l’on dévore bruyamment ses popcorns, où l’on flirte, où l’on discute et on s’engueule avec ses amis à la sortie…C’est une expérience différente : quel rapport entre voir Gravity d’Alsonso Cuaron en 3D et sur son smartphone ? Finalement l’enjeu est d’adapter les contenus aux médias et aux différentes demandes.Ni le streaming ni le téléchargement n’ont durablement affaibli le cinéma, à contrario Netflix et son modèle de VOD par abonnement est une alternative honnête, peu coûteuse et de qualité au téléchargement en termes de consommation domestique (qui n’est donc pas la même que la consommation de cinéma…). Cette alternative permet de recréer de la valeur là où on pensait qu’elle était d’ores et déjà perdue.

La seconde inquiétude, et on peut aisément la comprendre, est le danger lié à la concentration du point de vue artistique. Mais là aussi il faut reconnaître que Netflix a eu pour l’instant un haut niveau d’exigence qualitative en poussant vers le haut ses concurrents tout en conduisant une politique d’auteurs avec de la prise de risques plutôt qu’en se contentant de réchauffer du contenu formaté. On peut citer la photographie dans Stranger Things, The OA dont les créateurs ont reçu une grande latitude – il s’agit en effet d’une véritable série d’auteur, co-créée, co-écrite et jouée par la même femme, Brit Marling – ou encore Black Mirror qui a finalement beaucoup plus de moyens et de libertés qu’à la télévision notamment en termes de durée (les formats rigides de 26 ou 52 minutes correspondant aux temps bloqués pour les pages de pub…). S’agissant des séries, la diffusion simultanée de tous les épisodes permet, elle, d’éviter, au niveau de l’écriture, des cliffhangers complétement arbitraires à la fin de chaque épisode. Une troisième critique, pleinement justifiée, est que le modèle de Netflix permet à l’entreprise de contourner la TSA, la taxe sur le prix des billets d’entrées dans les salles de cinéma en France, mesure protectionniste qui a prouvé son efficacité et qui permet de subventionner le cinéma français et lui permet de rester un des plus puissants du monde.

Une chose est sûre, les limites de Netflix ne l’ont en tout cas pas empêché de présenter un des films les plus ouvertement militant de cette édition. En effet Okja est une prise de partie assumée en faveur du végétarisme et du droit des animaux. Il est militant dans le sens le plus direct du terme puisqu’il met en scène l’ALF, le Front de Libération Animale, connu pour sa méthode d’action directe non violente. L’Animal Liberation Front n’est pas une organisation fictive mais un groupe écoterroriste né à la fin des années 70 aux Etats-Unis, s’étant rendu célèbre par tout un ensemble de libérations d’animaux et d’actes de sabotage parfois spectaculaires. Avoir choisi un groupe existant est un choix scénaristique important car il sort le film de l’abstraction ou de la lutte historique (donc apolitique comme le démontrait brillamment le numéro de septembre 2015 des Cahiers du cinéma sur « le vide politique du cinéma français ») pour l’ancrer dans le réel et le présent et ainsi prendre véritablement parti. C’est assez rare pour être souligné.

Ce faisant, Okja s’affirme comme un vrai film militant qui ose aller au bout de son idée quitte à se compromettre en défendant explicitement un groupe, ce qui est plus que louable quand on le met en perspective avec la lâcheté omniprésente de notre époque post-politique. On peut d’ailleurs reconnaître ici (et admirer) la force de conviction du réalisateur qui sait domestiquer Hollywood : après avoir résisté pour Snowpiercer qui racontait la lutte de classes à l’échelle d’un train et où la production voulait plus d’action et aseptiser le propos pour en faire un film aussi vide qu’Esylium, il a à nouveau réussi à imposer sa radicalité (un viol…ni plus ni moins dans un film dont la promo pourrait presque laisser croire à un film pour enfants ! ; la police au service des firmes multinationales ; répression super violente des manifestations…). Joon-Ho Bong explore ainsi les méthodes militantes pour sensibiliser à la condition animale tout en les mettant en abîme à travers son film : à savoir montrer la réalité. C’est ce que vont s’évertuer à faire les militants du film à la manière de l’association L214 Ethique & Animaux qui a fait connaître au grand public les conditions de mise à mort dans les abattoirs par des caméras dissimulées. Okja, qui raconte l’amitié entre une petite paysanne coréenne et un énorme cochon transgénique destiné à finir en tranches de lard, permet également d’aborder la question des OGM et le respect dû au vivant.

A l’heure où il devient de plus en plus urgent de réduire notre consommation de protéines carnées, notamment parce que l’élevage de bétail est responsable de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine (16), un film de fiction ouvertement en faveur du végétarisme a quelque chose d’original et de rafraîchissant. Le long métrage égratigne au passage les stratégies de storytelling des firmes et le greenwashing, qui consiste à faire croire à la compatibilité du capitalisme et de l’écologie par tout un ensemble de stratégies de communication. Joon-Ho Bong lie une fois de plus son écologisme (The Host) à son anticapitalisme (Snowpiercer).

Attention spoilers : Ce conte a quelque chose de faussement naïf puisqu’à la fin rien ne change vraiment : les militants de l’ALF sont arrêtés, les cochons continuent d’être tués, les citoyens se fichent des vidéos car ils sont avant tout intéressés par la baisse du prix de la viande… C’est d’ailleurs ce que note avec cynisme une des deux millionnaires jouées par Tilda Wilson (sœur jumelle de la première, manière de nous signifier que les deux capitalismes qui nous sont présentés ne se distinguent que par des nuances dans la communication) : pourquoi se fatiguer et dépenser des millions en marketing quand, au fond, les gens se fichent de manger mal ?  Ce dernier point est un message clair envoyé aux consommateurs : c’est la demande qui fait l’offre. Joon-Ho Bong rappelle à ce titre cette vérité issue de l’enfance et du traumatisme presque universel provoqué par la découverte par le jeune enfant du fait qu’il mange des animaux morts, c’est-à-dire que si les consommateurs aiment la viande, ils l’aiment autant car ils ont perdu le lien avec le vivant et s’épargnent les cris de peur et de souffrance de l’être sensible qu’on tue. C’est ce qu’expliquait Pierre Emmanuel Barré avec humour lors d’une de ses chroniques.

Peu de long-métrages (Chicken Run peut être ?) seront allés aussi loin dans la défense de l’animal. Le choix d’un « super cochon » n’est pas anodin : le porc représente près de 40% de la production mondiale de viande alors même qu’il dispose d’un QI supérieur au chien (17) et au chimpanzé et est capable d’empathie et d’altruisme (18) (comme cela nous est montré dans le film…). Le message du film qui nous montre la réalité des labos d’expérimentations, des élevages en batterie et des abattoirs est clair : Okja n’est pas une fiction… c’est notre vie et notre consommation quotidiennes. A la manière du philosophe Frédéric Lenoir qui publie sa Lettre ouverte aux animaux et à ceux qui les aiment, (19) le cinéaste coréen conclut son œuvre en nous invitant à trouver une nouvelle harmonie entre l’homme et la nature, à un respect retrouvé pour le vivant et la sensibilité animale.

La palme d’or fut finalement remise de manière inattendue au film controversé The Square. Si Snow Therapy offrait l’analyse saisissante de l’éclatement d’une cellule familiale, Politis voit dans ce film une « Palme d’or de droite » pour une œuvre qui porterait « un propos machiste et un regard ambigu sur les pauvres » (20) . Le film le plus commenté et qui a fait l’unanimité était finalement 120 battements par minutes (Prix du Jury) qui relate le combat des militants d’Act-Up contre l’épidémie de sida dans les années 90.

Au final un bel anniversaire pour Cannes puisqu’on y a retrouvé tout ce qui fait son charme : ses défilés de stars, ses polémiques, des chefs d’œuvres parfois ignorés et des déceptions parfois récompensées, des initiatives indépendantes, des belles rencontres et une excitation permanente jusqu’à la révélation. 70 ans plus tard, Cannes est toujours le plus grand festival de cinéma du monde.

Notes :

(1) “Cannes 2017 : Claudia Cardinale en majesté (mais retouchée) sur l’affiche du 70e Festival”, Télérama, 29 mars 2017 : http://www.telerama.fr/festivalcinema/2017/cannes-2017-claudia-cardinale-en-majeste-sur-l-affiche-du-70e-festival,156078.php
(2) “Roman Polanski ne sera pas président des Césars : l’incroyable amnistie des viols dans le milieu du cinéma”, LVSL, 14 février 2017: http://lvsl.fr/l-incroyable-amnistie-des-viols-dans-le-milieu-du-cinema
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3) “Roman Polanski, laideur supplémentaire”, Libération , 28 mai 2017 : http://next.liberation.fr/culture-next/2017/05/28/roman-polanski-laideur-supplementaire_1572885
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4) “Sicario (2015) de Denis Villeneuve” Librecinema, 24 octobre 2015 : : https://librecinema.jimdo.com/2015/10/24/sicario-2015-de-denis-villeneuve/
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5) “The Walking Dead : une série politique” LVSL , 18 décembre 2016 : http://lvsl.fr/the-walking-dead-serie-politique
(6) “Allemagne : qui a peur de l’AFD ?” LVSL, 13 décembre 2016 : http://lvsl.fr/allemagne-qui-a-peur-de-lafd
(7) “L’extrême droite allemande (AFD) enlève son masque” LVSL, 5 avril 2017 : http://lvsl.fr/lextreme-droite-allemande-afd-enleve-masque
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8) “Quelle place pour les femmes dans le cinéma ?” L’Express, 21 octobre 2015 : http://www.lexpress.fr/culture/cinema/quelle-place-pour-les-femmes-dans-le-cinema_1724264.html
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9) “Cannes J10 : You Were Never Really Here (Lynne Ramsay)” So Film, Samedi 21 mai 2017 : http://www.sofilm.fr/cannes-j-10-you-were-never-really-here-lynne-ramsay
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10) “Politique, pédophilie et désinformation : comment le “Pizza Gate” pourrit la vie d’un petit restaurant américain” Le Figaro, 06 décembre 2016 : http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2016/12/06/32001-20161206ARTFIG00110-politique-pedophilie-et-desinformation-comment-le-pizza-gate-pourrit-la-vie-d-un-petit-restaurant-americain.php
(11) “Pédophilie : le scandale qui ébranle le parlement britannique” Le Point, 07 juillet 2014 : http://www.lepoint.fr/monde/pedophilie-le-scandale-qui-ebranle-le-parlement-britannique-07-07-2014-1844149_24.php
(12) : “Plus de 1400 suspects de pédophilie identifiés en Grande Bretagne” Le Figaro, 25 mai 2015 : http://www.lefigaro.fr/international/2015/05/20/01003-20150520ARTFIG00445-plus-de-1400-suspects-de-pedophilie-identifies-en-grande-bretagne.php
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13) “FIFIB: Film d’ouverture : The Lobster” Librecinema, 15 octobre 2015 : https://librecinema.jimdo.com/2015/10/15/fifib-2015/#lobster
(14) “Mise à mort du cerf sacré – Cannes 2017 : critique d’un incroyable jeu de massacre mythologique” EcranLarge.com, 24 mai 2017 : https://www.ecranlarge.com/films/critique/988465-mise-a-mort-du-cerf-sacre-cannes-2017-critique-d-un-incroyable-jeu-de-massacre-mythologique
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15) “Joaquin Phoenix évoque son véganisme pour Téléram” Vegactu , 28 février 2015 : https://www.vegactu.com/actualite/joaquin-phoenix-evoque-son-veganisme-pour-telerama-18559/
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16) “Avant d’être cancérigène, la viande est polluante pour la planète” Le Monde, 29 octobre 2015: http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/10/29/la-viande-a-aussi-un-impact-majeur-sur-la-planete_4799570_4355770.html
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17) “Méfiez vous des préjugez ! Les cochons sont tout aussi futés que les chimpanzés” Daily Geek Show , 21 juin 2015 : http://dailygeekshow.com/porc-cochon-intelligence-animaux/
(18) “Intelligence et vie sociale des cochons” L214https://www.l214.com/cochons/intelligence-et-vie-sociale
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19) “Frédéric Lenoir : si on est cruel envers les animaux, on peut l’être avec les humains” Europe 1, le 28 mai 2017 : http://www.europe1.fr/societe/frederic-lenoir-si-on-est-cruel-envers-les-animaux-on-peut-etre-cruel-avec-les-humains-3343655
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20) “Une Palme d’Or de droite” Politis, le 28 mai 2017 : https://www.politis.fr/blogs/2017/05/une-palme-dor-de-droite-34207/

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Roman Polanski ne sera pas président des Césars : l’incroyable amnistie des viols dans le milieu du cinéma

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©Georges Biard

Roman Polanski, recherché aux Etats-Unis pour viol sur mineur, ne sera finalement pas président des Césars. Cela fait suite à une intense campagne menée par des organisations féministes. C’est l’occasion de rappeler l’incroyable banalisation du viol dans le milieu du cinéma et en quoi cela participe plus largement de la « culture du viol ».

Après une polémique qui enflait, le cinéaste Roman Polanski a décidé de se retirer, provoquant la satisfaction d’un certain nombre de personnes qui l’y poussaient. Pourtant nul lieu de se réjouir ici, car on doit maintenant s’interroger : comment est-il seulement possible qu’on ait suggéré qu’il préside les Césars, compte tenu de ce dont il est accusé ?   Comment peut-il avoir la possibilité de circuler librement en France ?

Samantha Geimer - victime de Roman Polanski
Samantha Geimer – victime de Roman Polanski

Petit rappel des faits : en 1977, Roman Polanski, âgé de 44 ans se rend chez Jack Nicholson pour réaliser un shooting photo avec une jeune fille. En vérité cette jeune fille est une enfant de 13 ans. Ce jour-là il la droguera et la violera dans des conditions effroyables.

Après qu’il a plaidé coupable pour rapports sexuels illégaux avec un mineur, en accord avec le juge (et en contradiction avec les déclarations de la victime décrivant sans nul doute possible un viol) il s’enfuit vers l’Europe et parcourt librement le monde où toutes les demandes d’extradition de la justice américaine trouveront une fin de non-recevoir.

Exception toutefois notable de la Suisse, qui, en 2010, décide de le faire arrêter alors qu’il est de passage sur son territoire. Roman Polanski publie alors, avec le soutien de Bernard-Henri Lévy, une lettre ouverte où il plaide pour sa liberté, expliquant que les 47 jours qu’il a passés en prison sont bien suffisants. Il avance pour argument le fait que la victime ait demandé l’arrêt des poursuites (après des années et des années de harcèlement médiatique).

Bernard-Henri Lévy lui apporta davantage de soutien avec une pétition rassemblant des gens aussi variés que Yann Moix, Harrison Ford, Jeremy Irons, Claude Lanzmann,  Sam Mendes, Isabelle Huppert, Milan Kundera et bien d’autres… Tous se déshonorèrent gravement ce jour-là, mais pas autant que la Suisse qui céda à la pression et relâcha le cinéaste.

Il ne s’agit pas de contester le talent artistique de Roman Polanski, ni le génie de certains de ses films, tels que La Jeune Fille et la Mort qui évoque d’ailleurs frontalement le thème du viol et de la quête de justice. Il s’agit plutôt de s’interroger sur les raisons pour lesquelles il est juste que le talent, ou même les souffrances inouïes auxquelles ce réalisateur fut confronté dans sa vie (son enfance dans le ghetto de Cracovie, l’assassinat monstrueux de sa femme par Charles Manson et sa secte) servent de passe-droit criminel.

Dylan Farrow
Dylan Farrow

La dernière fois que nous avions entendu parler de cette affaire c’était lors de la Cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes 2016. Laurent Lafitte est alors le bouffon officiel de la cérémonie et lance au réalisateur Woody Allen : « ça fait plaisir que vous soyez en France, parce que ces dernières années vous avez beaucoup tourné en Europe alors que vous n’êtes même pas condamné aux Etats-Unis » (contrairement à Roman Polanski donc).
A quoi fait donc référence Laurent Lafitte à ce moment précis ? Au fait que Woody Allen se soit marié avec sa fille adoptive qu’il a élevée toute son enfance ? C’est pour le moins étonnant mais pas illégal… Non, Laurent Lafitte fait ici référence à la lettre ouverte de Dylan Farrow, fille biologique de Woody Allen, qui a  raconté comment son père l’a violée à l’âge de 7 ans. Et que s’est-il passé ? Rien, ou si peu. On a même accusé par ci par là la mère d’avoir manipulé la fille…

Etant donnée la gravité de ce sujet, autant dire que cette blague a provoqué un malaise intersidéral. Il faut dire qu’il n’y a pas franchement de quoi se marrer. A défaut de rire on pouvait au moins admirer une certaine bravoure de l’acteur et se dire « bon, Lafitte n’est pas drôle, mais il a au moins osé, devant des centaines de personnes, mettre un terme au silence ignoble qui entoure ces deux agresseurs ». Mais ça, c’était avant qu’il soit sommé de se justifier. Car quelques jours plus tard le voilà expliquant que sa blague fût mal comprise et qu’il n’avait rien voulu dénoncer si ce n’est… moquer le « puritanisme américain » . C’est le moment où on se demande si on a bien lu, s’il est réellement possible qu’en 2016 un acteur puisse considérer que condamner le viol et l’inceste soit du puritanisme et poursuivre tranquillement sa carrière… Oui, c’est donc possible. Intéressant de voir par ailleurs pourquoi Laurent Lafitte était à Cannes cette année-là, car cela permet de voir que cette blague n’était pas un “dérapage”, comme on le dit trop souvent, mais fait bien partie d’un tout cohérent.

Laurent Lafitte était là pour présenter le film Elle. Dans Elle, réalisé par un homme (Paul Verhoeven) , Laurent Lafitte joue le violeur d’une femme incarnée par Isabelle Huppert qui apprend petit-à-petit à apprécier ses viols et à en jouir. La critique a adoré cette apologie du viol à l’image du Figaro qui, au moment de sa sortie à Cannes, trouva cela très subversif et qui pour l’occasion réussit à inventer le concept du « viol avec consentement » (« Michèle devra subir un nouveau viol avant de démasquer son agresseur, qui la violera à nouveau, cette fois avec son plein consentement, dans une scène mémorable où humour et perversité s’entremêlent. Jusqu’à l’orgasme » nous apprend l’article avec enthousiasme).  Pour Philippe Djian, le scénariste du film, « il s’agit d’une femme qui n’a pas envie de se soumettre aux codes qu’on nous soumet à longueur de vie », et le Figaro rajoute « comme par exemple d’appeler la police quand on est victime d’un viol ». Evidemment : les 10% de femmes violées qui portent plainte sont sacrément conformistes, elles feraient mieux d’être subversives comme le Figaro et Laurent Lafitte et d’apprendre à jouir quand elles se font violer. Finalement, nous dit Philippe Djian « c’est sa liberté qui gêne le spectateur ». Oui, possible. Ou bien c’est l’apologie du viol.

Pola Kinski
Pola Kinski

Il faut dire qu’il n’y a pas que sur l’affaire Dylan Farrow que le silence est de mise. Épuisée d’entendre que son père était un génie, Pola Kinski a fini par sortir en 2013 un livre, Tu ne diras jamais rien, où elle explique comment Klaus Kinski, son père, l’a violée, enfant, pendant plus de dix ans. Ces révélations auraient dû ruiner la réputation de Klaus Kinski : il n’en fût rien. Il faut dire qu’en 1975, dans son autobiographie, le tortionnaire expliquait déjà préférer sexuellement les mineurs et racontait avec des détails sordides comment il avait violé une adolescente de 15 ans, sans que cela ne mette un terme à sa carrière.

Maria Schneider
Maria Schneider

« Rien ne peut justifier l’horreur d’une agression sexuelle. Ni l’époque aux mœurs plus légères, dit-on, comme si cela pouvait effacer le traumatisme. Ni l’Art. » dit à raison Paris Match. Mais le magazine parle là d’une autre affaire, celle où Bertolucci a organisé, sur le tournage du Dernier Tango à Paris, une agression sexuelle de Marlon Brando sur une jeune actrice de 19 ans, par souci de réalisme, afin, comme l’explique le réalisateur lui-même, que Maria Schneider se sente réellement humiliée. Ce fut de ce point de vue réussi, la jeune fille fut traumatisée à vie et sa carrière en pâtit énormément.

Mais il n’y a pas besoin de remonter à 1972 pour retrouver ce type de comportements. Le nominé aux Oscars et acteur principal de Manchester by the Sea, Casey Affleck fut par exemple accusé à deux reprises de harcèlement sexuel par ses collègues.

Les abus sexuels à l’encontre des enfants continuent également malgré le fait que l’existence de réseaux pédophiles organisés à Hollywood commence à être connue grâce aux révélations du héros des Goonies ou du documentaire An Open Secret.

Alors quel est l’intérêt de faire cette longue liste glauque et ô combien incomplète des viols dans le milieu du cinéma ? C’est qu’elle permet de mettre en évidence que des personnes célèbres ont pu violer sans faire face à la justice et continuer à exercer dans une indifférence plutôt généralisée. Car l’enjeu est bien là : il ne s’agit pas ici de savoir s’il faut dissocier les artistes de leurs œuvres – c’est un débat interminable – mais d’appuyer le fait que ces hommes ne devraient pas être les auteurs de ces œuvres puisqu’ils devraient être en prison.

Le cinéma est un exemple marquant, mais il n’est qu’un exemple parmi d’autres, permettant d’illustrer parfaitement ce que les féministes appellent « la culture du viol » – c’est-à-dire les représentations qui façonnent la conception que l’on a du viol et qui permettent de le banaliser. On a ici la preuve que cette culture du viol est extrêmement puissante : dans ces affaires les victimes ont systématiquement été accusées d’avoir menti, d’avoir été consentantes (oui, même droguée à 13ans – Samantha Geimer raconte comment elle fût considérée comme « une petite salope »), d’avoir mis trop de temps à faire savoir qu’elles ont été violées… Pire encore, on a vu que le viol est érotisé, que l’on peut dire sans trop de soucis qu’il appartient au domaine du jeu sexuel. On a constaté la croyance selon laquelle la plupart des femmes violées portent plainte. On a remarqué qu’il est simple de se justifier d’avoir violé au nom de l’art ou de ses souffrances personnelles, que l’on trouve toute sorte d’excuses aux bourreaux et toutes sortes de blâmes à l’encontre des victimes. On a vu que les célébrités peuvent violer sans être inquiétées par la justice et que cela ne déclenche ni l’opprobre des critiques, ni celle des spectateurs ou plus largement de l’opinion publique, pire qu’une grande part de ces derniers n’hésite pas à prendre la défense des tortionnaires. Le fait que le viol soit socialement accepté dans le milieu du cinéma et par le public montre quelque chose d’encore plus grave et d’encore plus large.

Ce que cela prouve, c’est que ce n’est pas seulement chez les célébrités que le viol est banalisé et impuni : c’est dans toute la société. Pour le dire autrement, il ne s’agit pas ici d’une injustice de classe mais bien d’une injustice de genre. En effet si près de 100 000 femmes sont violées par an en France, seule 1 femme sur 10 porte plainte après un viol. Sur ces plaintes, seule 1 sur 10 aboutît à une condamnation. Le viol est donc massivement impuni. Son impunité s’explique en grande partie par une culture du viol omniprésente, dont le milieu du cinéma est un exemple tristement marquant.

Pour en savoir plus – la BD de Commando Culotte sur l’impunité des hommes célèbres. 

Crédits Photos :
– http://www.thetimes.co.uk/tto/arts/film/article3868909.ece
– http://www.thewrap.com/dylan-farrow-responds-backlash-betrayal-woody-allen-sex-abuse-allegations/

– http://www.huffingtonpost.fr/2013/09/18/roman-polanski-the-girl-victime-livre_n_3945603.html
– http://koktail.pravda.sk/hviezdne-kauzy/clanok/255600-klaus-kinski-roky-zneuzival-vlastnu-dceru-priznala-to-az-teraz/