Quand le clan Valls déverse sa haine de classe sur les électeurs de Farida Amrani (France Insoumise)

© Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license.

Suite à l’élection contestée de Manuel Valls dans la première circonscription de l’Essonne, l’ancien premier ministre et ses soutiens n’ont eu de cesse de dénoncer dans les médias « la campagne de haine » qu’aurait menée Farida Amrani, la candidate investie par la France Insoumise, à son encontre. A les écouter, les électeurs-type de sa concurrente seraient des délinquants stupides, brutaux, haineux, violents voire antisémites et islamistes. C’est en tout cas le portrait-robot qu’ils dressent, en reprenant les pires préjugés de classe à l’égard des habitants des quartiers populaires. L’accusation de compromission avec “l’Islam politique voire avec les islamistes” ne manque en tout cas pas de sel puisque Manuel Valls, sur ce sujet, est loin de pouvoir montrer patte blanche …

Manuel Valls, apôtre du blairisme, de la troisième voie, du social-libéralisme ou du libéralisme tout court, premier ministre de « gauche » qui déclarait sa flamme au grand patronat dans toutes les langues et sous tous les toits de Paris, Londres ou Berlin, est l’homme qu’on ne présente plus mais qui continue à se présenter. Candidat malheureux aux primaires du PS, rallié à Macron dès le premier tour, il cherche à obtenir l’investiture LREM puis PS mais n’obtient aucune des deux pour se présenter aux élections législatives dans la 1ère circonscription de l’Essonne dont il était le député de 2002 à 2012.  Lot de consolation : ni LREM ni le PS n’investissent de candidat face à lui. Le voilà donc candidat estampillé Divers Gauche « majorité présidentielle », En Marche pour un nouveau mandat. Face à lui, on ne dénombre pas moins de 22 candidats parmi lesquels Farida Amrani, soutenue par la France Insoumise.

Forts de leur ancrage local et de la dynamique présidentielle de Jean-Luc Mélenchon arrivé largement en tête sur la circonscription, Farida Amrani, ancienne candidate aux élections municipales d’Evry et son suppléant Ulysse Rabaté, conseiller municipal d’opposition dans la ville voisine de Corbeil-Essonnes et candidat aux législatives de 2012, mènent, loin des caméras, une campagne de terrain tambour battant et s’avèrent être de sérieux concurrents pour le député sortant. Un sondage réalisé avant le premier tour donne en effet Manuel Valls et Farida Amrani au coude-à-coude au second tour. Manuel Valls remporte l’élection d’une centaine de voix mais Farida Amrani ne reconnait pas le résultat et dépose finalement un recours auprès du conseil constitutionnel.

La cour et la plèbe

La soirée du second tour a donné lieu à des scènes de confusion et d’extrême tension à la mairie d’Evry comme l’a notamment relaté une équipe de Quotidien présente sur place. Manuel Valls, retranché dans la mairie qu’il a dirigée de 2001 à 2012 et entouré de ses soutiens qui comptent notamment l’actuel maire d’Evry, proche d’entre les proches et ami intime de l’impétrant, déclare sa victoire tandis que les policiers municipaux repoussent énergiquement les soutiens de la candidate de la FI à l’entrée de l’édifice. Cette dernière, flanquée de son suppléant et de ses militants, déclare dans la foulée qu’elle revendique la victoire et qu’elle souhaite un recompte des voix.

Classe laborieuse, classe dangereuse

Dans les jours qui suivent, alors que Farida Amrani et ses avocats préparent un recours devant le conseil constitutionnel, Manuel Valls et ses soutiens tant politiques que médiatiques s’emploieront à bestialiser Farida Amrani, ses militants et ses électeurs en dénonçant la « campagne de haine » que ces derniers auraient menée contre le vertueux et très républicain citoyen Valls. Les chevaliers blancs de Valls dénoncent la « haine » de la part de la France Insoumise, en déversant au passage leur propre haine de classe sans aucune retenue. En effet, les arguments et les termes employés par certains défenseurs de Valls relèvent d’un véritable mépris de classe, dans la plus pure tradition de l’animalisation et de la diabolisation des classes populaires de la part de la bonne société. Rappelons que le vote FI dans une circonscription comme celle-ci est un vote de classe ; c’est principalement celui des quartiers populaires.

Ainsi, dans une tribune intitulée «  Ce que révèle l’inquiétante soirée électorale à Evry »,  publiée par Le Figaro, propriété de Serge Dassault, l’ancien sénateur-maire de Corbeil-Essonnes qui a apporté un soutien appuyé à Valls pour cette élection, l’essayiste et ex-élue PS Céline Pina vole au secours de Manuel Valls et tente de laver l’honneur de son champion. On peut notamment lire, sous sa plume que « si l’idéal du barbare peut être l’homme fruste, violent et sans limite, réduit à ses besoins et ses appétits, l’idéal du citoyen réclame, lui, hauteur de vue, empathie et tenue. Sans capacité à s’empêcher et à s’élever, c’est la bête humaine qui prend toute sa place et elle a le visage de la bêtise et de la brutalité. » Il n’est point besoin ici de faire une explication de texte tant l’animalisation des électeurs de Farida Amrani y est explicite et littérale. Céline Pina poursuit : « Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé à Évry, en cette soirée de second tour des législatives. Voir des caïds, dont il serait intéressant de savoir si beaucoup d’entre eux ont voté, contester un scrutin à coups de poing devrait faire rougir de honte la candidate de la France insoumise. » Elle ajoute plus loin, toujours à propos de Farida Amrani, qu’ « avoir dans son entourage pas mal de casseurs potentiels mais pas d’assesseurs mobilisables n’est pas un bon signe quand on croit en la démocratie. » Les « adeptes » de la France Insoumise, comme Céline Pina les nomme, sont donc tout bonnement accusés d’être des caïds et des casseurs potentiels. A moins que Madame Pina ait accès par on ne sait quel miracle aux casiers judiciaires des personnes présentes à l’entrée de la mairie d’Evry, ces accusations sont entièrement gratuites et relèvent de la stigmatisation pure et simple et du bon vieux “délit de sale gueule” à l’encontre des habitants des quartiers populaires.

La rengaine de « la classe laborieuse, classe dangereuse » ne date pas d’hier. Les similitudes entre les allégations de Madame Pina et les propos tenus par certains représentants de la bourgeoisie du XIXème siècle contre les communards sont, à cet égard, saisissantes. Jules Favre, le ministre des affaires étrangères de l’époque, dans une circulaire diplomatique, écrivait que « les vieux codes barbares sont dépassés par le banditisme qui, sous le nom de Commune, se donne carrière à Paris » tandis que le poète Leconte de Lisle déclarait : « La Commune ? Ce fut la ligue de tous les déclassés, de tous les incapables, de tous les envieux, de tous les assassins, de tous les voleurs. »

Il est intéressant enfin de noter que Céline Pina établit un parallèle entre la soirée électorale d’Evry et l’épisode de la « chemise déchirée » d’Air France, autre événement qui avait déchaîné un flot ininterrompu de haine de classe dans les médias de masse.

Accusations d’islamogauchisme et soupçons d’antisémitisme

Quelques jours après l’élection, Manuel Valls déclare à Christine Angot dans les colonnes de Libération que « la France insoumise se compromet avec l’islam politique, voire avec les islamistes. » () sans avancer la moindre de preuve d’une telle affirmation. La directrice de La Revue des deux mondes, Valérie Toranian, abonde dans ce sens en évoquant l’islamo-gauchisme, sur le plateau de BFMTV, le 27 juin 2017 : « La violence de la haine contre Manuel Vals me donnerait plutôt envie de dire : “Ça suffit ! Trop c’est trop !” Autant d’acharnement, qui vient souvent-toujours des réseaux sociaux, des islamo-gauchistes… » . Céline Pina n’est pas en reste non plus dans sa tribune : « Ajoutons à cela qu’à Évry comme ailleurs, entre vision clientéliste du rapport au politique, montée en puissance de l’idéologie islamiste dans les esprits et replis identitaires, la victimisation est devenue une deuxième identité dans les quartiers et elle justifie tous les débordements et tous les refus de respecter la règle. »

Pourtant, le programme « L’avenir en commun » de la France Insoumise est clair et sans appel en la matière puisqu’il appelle à « combattre tous les communautarismes et l’usage politique de la religion ». De la même manière, aucune prise de position ou déclaration connue de Farida Amrani qui se présente avant tout comme une citoyenne, parent d’élève et syndicaliste ne laisse présager une quelconque complaisance avec l’islam politique. Rien ne justifie donc de telles allégations mais, dans un climat d’amalgames ambiants, personne ne semble demander aux vallsistes d’étayer des preuves de ce qu’ils avancent. Manuel Valls réitère ses propos sur le plateau de BFMTV le 4 juillet 2017 en répondant à Jean Jacques Bourdin qui lui demande s’il y a compromission entre la France Insoumise et les islamistes : « Oui, souvent, je l’ai vu en tout cas sur le terrain, en tout cas, un déni de refus d’un certain nombre de soutiens. Nous l’avons vu au cours de cette campagne. » sans que son contradicteur n’y trouve rien à redire. En raison de l’ampleur de la matrice médiatique, la charge de la preuve s’inverserait même : c’est à Farida Amrani qu’il reviendrait maintenant de se justifier, de montrer patte blanche et de prouver sa bonne foi au sens propre comme au sens figuré.

Pour compléter le tableau, Manuel Valls rajoute le soupçon de l’antisémitisme. Dans le même entretien à Libération, Manuel Valls déplore le fait que Farida Amrani « n’a rien dit » quand Dieudonné, candidat dans la circonscription battu, a appelé à voter pour elle au second tour. Il enfonce le clou : « C’est presque un angle mort. Comme on est du côté des plus faibles, on dit “ce sont des victimes”, on croit qu’il faut se mettre de leur côté, et on prend les voix. On est mal à l’aise, et on se retrouve à légitimer Dieudonné. » Même son de cloche et mêmes insinuations chez la journaliste Judith Waintraub (Figaro) qui estime sur BFMTV  qu’« il avait contre lui une coalition de mélenchonistes et de dieudonnistes. ». Les candidats qualifiés au second tour ne peuvent pas être tenus pour responsables des soutiens qu’ils engrangent à moins qu’ils les aient sollicités ou qu’ils les revendiquent par la suite. Ce n’est pas le cas de Farida Amrani en ce qui concerne Dieudonné. Peut-être Manuel Valls aurait-il apprécié que celle-ci appelle les électeurs de Dieudonné à ne pas voter pour elle, ce qui n’a aucun sens électoral. Dans un scrutin, chaque voix compte surtout lorsque le résultat s’annonce aussi serré. Manuel Valls le sait très bien et, d’ailleurs, il n’a rien dit non plus lorsque Serge Dassault, l’ancien sénateur-maire de Corbeil-Essonnes, vendeur d’armes de père en fils, condamné à 5 ans d’inéligibilité pour avoir caché des dizaine de millions d’euros au fisc et actuellement mis en examen pour achats de votes, lui a apporté son soutien.

Du reste, chez Manuel Valls, la dénonciation de l’islam politique est à géométrie variable. En effet, c’est sous son gouvernement que la France a remis la légion d’honneur à Mohammed Ben Nayef al Saoud, prince-héritier et ministre de l’intérieur d’Arabie Saoudite. C’est Manuel Valls qui s’enorgueillissait d’annoncer la signature de 10 milliards d’euros de contrats avec Riyad et qui ne trouvait pas indécent de faire des affaires avec l’Arabie Saoudite au nom de la défense de l’économie, de l’industrie et des emplois en France. En 2015, c’est bien son gouvernement qui a conclu avec le Qatar, une vente de 24 rafales  produits … par le Groupe Dassault. Le monde des puissants est petit et ne soucie guère de l’islam politique en son sein. La solidarité de classe dont ils font preuve n’a en revanche d’égal que leur mépris de classe à l’égard des habitants des quartiers populaires.

Crédits photo :© Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license.

Tribune : Le changement, ce n’est pas maintenant

Raphaëlle Martinez, candidate dans la 5e circonscription du Val de Marne.

Raphaëlle Martinez est candidate pour La France Insoumise dans la 5ème circonscription du Val de Marne. Elle prend ici la parole pour expliquer son choix de vote au second tour.

Le monde que nous voulons pour demain, nous le connaissons. Nous le rêvons, l’imaginons et tentons tant bien que mal de le construire. Un monde avec plus de justice sociale, plus de démocratie, moins d’inégalités de genre, d’orientation sexuelle ou d’origine, un air et des terres moins polluées, plus aucun danger nucléaire ou belliqueux, bref au monde où chacun serait en sécurité, écouté et respecté.

Au vu des candidats présents au second tour, cela va être (encore) plus compliqué que prévu. Les rêveurs s’en sont pris un coup. J’en ai pris un gros moi-même. Mais le moment est venu de se relever. J’ai ainsi décidé de partager avec vous ma réflexion et ma décision pour le 7 mai prochain.

Pour commencer, deux désintox : 

  • Quel que soit le niveau d’abstention ou de vote blanc, l’élection ne sera pas annulée
  • Le FN n’a pas perdu d’avance

Ainsi, 2 issues sont possibles au scrutin du 7 mai prochain : 

Marine Le Pen au pouvoir. Certains disent qu’elle ne fera rien. D’autres qu’elle fera le pire. Quoi qu’il en soit, la Ve République confèrera à Marine Le Pen et à plusieurs éléments dangereux du Front National des pouvoirs extrêmement importants. Dans l’état actuel de notre constitution, ceci serait réellement inquiétant.

Le FN n’a pas changé, malgré la réussite incontestable de sa stratégie de dédiabolisation notamment avec sa vitrine sociale et progressiste pourtant en totale incohérence avec sa prise de position au Parlement Européen. Réussite également facilitée par de nombreux grands médias qui allaient jusqu’à comparer à des heures de grande antenne le programme de Marine Le Pen à celui de la France Insoumise. On en finirait par oublier que le Front National, c’est la fin de la scolarité pour les enfants étrangers, la fin du droit du sol, la fin de la cantine gratuite pour les élèves les plus pauvres comme ils l’ont déjà entrepris au Pontet (Vaucluse). Le Front National c’est la fermeture des plannings familiaux, l’abrogation du mariage pour tous, la coupure des subventions aux associations LGBT+.

Durant le quinquennat Hollande, de nombreuses dérives policières ont eu lieu. Le meurtre d’Adama, le viol de Théo. Nos chers amis socialistes ont fait passer une loi assouplissant les cas autorisant les forces de l’ordre à tirer à balles réelles, l’élargissant au-delà de la légitime défense. Ils connaissaient alors le risque que le Front National arrive au pouvoir quelques mois après.

Enfin, l’article 16 de notre constitution actuelle permet d’instaurer légalement une quasi-dictature en accordant les pleins pouvoirs sans limite de durée. François Hollande voulait réformer cet article de la constitution, il ne l’a pas fait. Le gouvernement Le Pen n’hésitera pas à user de cet article, dédié aux «situations exceptionnelles», en instrumentalisant le premier acte terroriste du quinquennat, et ainsi s’octroyer les pleins pouvoirs, à elle et sa bande d’azimutés.

La Ve République ne permet ainsi pas dans l’état actuel des choses de protéger la démocratie.

Emmanuel Macron au pouvoir. Nous savons exactement ce qui nous attend, un deuxième quinquennat Hollande. Nous ne nous faisons pas d’illusions. Macron détricotera le code du travail et toutes nos avancées sociales sans pitié par ordonnances pendant les vacances d’été. Une super-loi El Khomri. Cependant, le quinquennat calamiteux que nous venons de vivre nous a permis de nous organiser, de développer nos idées, de prendre de l’ampleur et a permis à la France Insoumise de s’imposer de manière évidente comme première force de gauche. Ce quinquennat a permis d’éveiller les consciences en ayant de parfaits exemples de ce que les citoyens ne veulent plus. Il a également permis au FN de se développer. Certes. Mais nous l’avons combattu, tenté de le contenir. Nombre d’électeurs du FN sont des dégoûtés du système politique actuel, c’est un vote contestataire. À nous de continuer notre travail de démystification le FN, continuons de montrer que cette image sociale n’est qu’une vitrine, qu’ils votent le contraire au Parlement Européen et à l’Assemblée, et surtout, surtout, à nous de continuer à combattre le racisme et l’homophobie. Continuons de porter avec fierté notre triangle rouge.

Nous connaissons les responsables de cette situation calamiteuse, un deuxième tour avec un Front National aussi fort et dédiabolisé au portes du pouvoir où on leur donnerait des clefs loin d’être démocratiques. Nous avons tout fait pour que cela n’arrive pas. Maintenant, il est de notre devoir de continuer à protéger notre pays.

La Ve République n’est pas démocratique. Nous le savons. Alors ne laissons pas l’extrême droite arriver au pouvoir dans ce contexte. Le changement, pas maintenant. Laissons les clefs de l’Elysée aux néolibéraux pour encore 5 ans plutôt que de couper tout espoir d’un avenir en commun.

Je voterai pour le néolibéral Emmanuel Macron, pour que nous ne nous éloignions pas des jours heureux qui arrivent doucement mais sûrement avec l’éveil des consciences qui se propage. Soyons positifs et continuons de construire notre avenir. Protégeons le semblant de fragile démocratie que nous avons actuellement afin de pouvoir en établir une vraie au plus vite, et que cette situation indigne de prise en otage des électeurs ne se reproduise plus jamais. Protégeons également notre unité en respectant les choix de chacun. Je vote Macron, tu votes blanc, il s’abstient. Restons unis et tournés vers l’avenir.

Et la culture dans tout ça ?

Lien
Le site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France ©Poulpy

Tous les candidats à la présidentielle 2017, sans exception, mettent la culture au centre de leurs discours, mais pas au centre de leurs priorités. Si La France insoumise est le seul mouvement politique à avoir sorti tout un livret sur la seule question culturelle (Les Arts insoumis), tous les autres outrepassent cette thématique qui, si certains l’oublient, est aussi un secteur économique important qui génère plusieurs milliards d’euros tous les ans avec des retombées économiques directes non négligeables.

La culture comme secteur économique

Avant de comparer les programmes et propositions des différents candidats, rappelons que la culture est un secteur économique énorme. Si la France est le pays le plus touristique du monde, ce n’est pas seulement pour son vin rouge mais aussi pour le musée du Louvre, le festival d’Avignon, pour se tenir devant la cathédrale Notre-Dame-de-Fourvière ou la tombe de Georges Brassens à Sète.

En termes de chiffres, le secteur de la culture concentre 3% des emplois, à savoir 700 000 salariés et non salariés. C’est une augmentation de 50% sur vingt ans. Actuellement à 0,65% du PIB, le budget de la culture, quant à lui, n’a pas vraiment augmenté. Si on rapporte le budget de la culture aux personnels qu’elle emploie, il baisse de facto. En 2015, le poids économique direct de la culture — c’est-à-dire la valeur ajoutée de l’ensemble des branches culturelles — était de 43 milliards d’euros. La croissance des branches culturelles, depuis 2008, est en baisse. Seules certaines, comme l’audiovisuel et le patrimoine, augmentent faiblement – croissance qu’il nous faut garder à l’esprit.

En effet, si l’on avait une seule approche économique et de profit sur la culture, nous comprendrions bien vite qu’il y a intérêt à augmenter son budget. Presque tous les candidats sont d’accords pour, au moins, ne pas baisser ce budget. Quelques 180 artistes déploraient, dans un appel publié dans le Huffington Post de février, un « silence pesant sur la culture ». La grande oubliée des débats des primaires et à cinq et onze candidats, la culture, bien qu’elle apparaisse dans tous les programmes, fait figure d’ornements, là où elle devrait être un panneau de direction pour notre pays.

 

Les propositions

Nous faisons le choix d’évincer quelques candidats qui n’ont pas de réelles propositions concernant la culture (Nathalie Arthaud, François Asselineau, Jacques Cheminade, et Philippe Poutou).

Nicolas Dupont-Aignan propose la gratuité des musées le dimanche pour les Français et les résidents et rehausser le budget de la culture à 1% du PIB. Maigre effort. Abrogation de la loi Hadopi, bonne idée mais partagée par tous les candidats. Sinon, il souhaite investir 400 millions d’euros mais seulement dans le patrimoine. Si l’on comprend bien, NDA souhaite investir seulement où cela rapporte plutôt que d’essayer d’équilibrer les branches entre elles.

Quant à François Fillon, déjà responsable d’un quinquennat culturel désastreux sous l’ère Sarkozy, et en totale rupture avec les Grands Travaux culturels du passé, il n’est égal qu’à lui-même. Il souhaite « réduire la fracture culturelle, soutenir la création française et faire de nos atouts culturels un vecteur de développement et de rayonnement ». C’est un peu flou, on ne comprend pas. Concrètement, il souhaite développer ce qu’il appelle la « conscience d’appartenance à la civilisation européenne » ce qu’on peut rapprocher de sa  réécriture du « grand récit national ». Dangereux. En feuilletant son programme, on tombe sur quelques mentions du statut des intermittents qu’il ne porte pas vraiment dans son cœur. De fait, il souhaite lutter contre leurs soit-disants « abus » et exclure une « forme d’emploi permanent ». Quand on sait que les intermittents du spectacle sont dans la classe des travailleurs pauvres et les plus précaires de France, on ne peut que railler ces propositions. Le candidat anti-système, pour le coup, est à contre-courant de ce que tout le monde propose concernant la Loi Hadopi. Tous s’accordent pour l’abroger, M. Fillon souhaite la renforcer. Ses propositions parlent d’elles-mêmes.

Le ministère de la Culture et de la Communication

Concernant le Parti Socialiste et Benoît Hamon, derrière un slogan « La culture partout, par tous, pour tous » et appuyés par la réalisatrice Valérie Donzelli qui a réalisé le clip de campagne, leur projet ne comporte absolument aucune nouveauté, aucune proposition concrète, aucune idée. Benoît Hamon pense sans doute qu’allouer 4 milliards d’euros supplémentaires à la culture le fera passer pour le nouveau Malraux. C’est en réalité dans la droite lignée du quinquennat culturel de Hollande, sans étincelle, sans inspiration, mais un budget qui augmente.

Étonnamment, Jean Lassalle est le seul “petit candidat“ avec des idées. Bien qu’elles aient peu de chances d’être appliquées, ses propositions concernant la culture valent le détour pour leur singularité. Il souhaite créer, sur le modèle de la Fête de la Musique, les Fêtes de la Philosophie et des Savoirs, du Sport et de l’Engagement. Même si le français serait la langue de l’administration, il souhaite protéger les langues régionales ; et rattacher la francophonie au ministère de la Culture. D’autre part, il voit d’un bon œil la création d’un circuit de salles pour décentraliser les œuvres basées à Paris vers la province. Plus cocasse, il souhaite enseigner les arts martiaux dès l’école primaire à tous les enfants.

De nombreux artistes s’engagent depuis des décennies pour combattre l’idéologie du Front National. Marine Le Pen n’a pas de programme culturel, à part celui de rendre les Français trop fiers de leur pays dans une logique de repli national, que l’on connaissait déjà chez le père Le Pen. Elle souhaite une protection nationaliste de la culture et promouvoir le « roman national ». Il y a quelques temps, elle remettait en cause la culpabilité de l’État français dans la rafle du Vel d’Hiv’. Un « roman national » négationniste, ce ne serait justement qu’un « mauvais roman » et non pas l’Histoire de France. Le FN, en voulant créer une seule culture française, se retrouve à la nier.

En Marche ! et Emmanuel Macron sont fidèles à eux-mêmes et voient la culture comme un bien marchand. Pro-Europe, ils souhaitent la création d’un « Netflix européen » de libre-circulation des artistes et des projets culturels. Le nom du projet annonce l’arnaque. Au lieu de protéger les travailleurs de la culture qui subissent déjà la concurrence européenne sur les salaires et l’austérité des politiques étatiques, M. Macron veut l’amplifier en les intégrant dans un réseau “Netflix“ pour les précariser d’autant plus. D’ailleurs, que dit M. Macron des intermittents ? Il souhaite une « adaptation de leur statut », traduire : flexibilisation. Comme s’ils n’étaient pas déjà assez assujettis aux conjonctures économiques ! Ses amis mécènes ont d’ailleurs dû lui souffler à l’oreille qu’il serait bon qu’ils soient exemptés de l’ISF — impôt de solidarité sur la fortune — car, après tout, ils sont investis d’une mission culturelle, eux aussi, de diffusion de la culture. Sauf que lorsqu’on voit les fondations privées telles que Pinault ou LVMH braquer les trésors culturels du monde entier — comme ceux de la Syrie en guerre — pour les transformer en marchandises, on évite de leur faire pareil cadeau et on leur demande plutôt de payer des impôts. Tout simplement. D’autre part, M. Macron souhaite maintenir le budget tel qu’il est, alors qu’il scande dans ses meetings « Hors d’elle [la culture] il n’est pas de véritable citoyenneté ».

Le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a consacré avec son équipe de campagne un livret de 28 pages, Les arts insoumis, la culture en commun, sur les propositions culturelles. De tous les candidats, il est celui qui consacre le plus de propositions intéressantes et nécessaires sur les politiques culturelles. Il souhaite un retour progressif de l’État pour remplacer le privé afin d’accélérer la démocratisation culturelle. Connaissant les conditions de vie des intermittents du spectacle, il souhaite mettre fin à cette précarisation et supprimer les niches fiscales des mécènes et leur faire payer l’ISF. Il propose également de rehausser le budget à 1% du PIB — et non pas du budget de l’État. L’ancien professeur de français souhaiterait aussi la gratuité des musées le dimanche, un investissement de 100 millions d’euros dans l’éducation artistique et culturelle de la maternelle jusqu’à l’université. Il souhaite également s’appuyer sur les conservatoires qu’il juge cruciaux dans la formation de l’excellence artistique française de demain. Dans les nouveautés, sur le modèle d’Arte, la chaine franco-allemande, il imagine une chaine méditerranéenne semblable pour accroitre la coopération culturelle entre les pays européens du Sud. L’homme à l’hologramme investit également le numérique dans lequel il voit un atout important pour démocratiser la culture. Entre autres, mettre en place une cotisation universelle sur un abonnement internet pour accéder à une médiathèque publique de téléchargements non-marchands et rendre la culture accessible à tous. Cela permettrait aussi de mieux rémunérer les droits d’auteurs et de protéger ces derniers.

Croire à la culture, c’est croire à un futur commun

Avant d’être sauvagement torturé et assassiné par Klaus Barbie, Jean Moulin prévoyait une grande politique culturelle d’après-guerre, baptisée « Les jours heureux ». Il avait l’ambition d’une décentralisation culturelle, d’un maillage de structure et de lieux en région, et d’un plus grand accès à tous à la chose culturelle. La guerre finit. Arriva de Gaulle et Malraux qui fondèrent les Affaires culturelles. Puis Pompidou avec le centre éponyme. Giscard d’Estaing avec le musée d’Orsay et l’Institut du Monde Arabe. Puis Mitterrand et son acolyte Jack Lang qui firent le grand Louvre, l’opéra Bastille, la grande Arche et la Bibliothèque nationale de France. Déjà sous les deux quinquennats Chirac, on observa une baisse en régime avec le seul Quai Branly. Sous  Sarkozy et Hollande, rien… Une perte d’idées, de directions, une perte d’ambition.

André Malraux, premier ministre attaché aux Affaires culturelles

La chose culturelle est bien plus qu’une marchandise dans laquelle il faut investir pour espérer des retombées économiques directes. La culture est un bien commun de l’humanité, elle est ce qui nous différencie de l’animal et ce qui nous empêche de faire la guerre — contrairement à la conception lepéniste. Justement, André Malraux disait : « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert ». Puis d’ajouter, au Sénat en 1959 : « Il appartient à l’université de faire connaître Racine, mais il appartient seulement à ceux qui jouent ses pièces de les faire aimer. Notre travail, c’est de faire aimer les génies de l’humanité, et notamment ceux de la France, ce n’est pas de les faire connaître. La connaissance est à l’université ; l’amour, peut-être, est à nous. »


Sources : 

Images : 

©Poulpy

https://c1.staticflickr.com/7/6050/6329599067_3bbe03cfdd_z.jpg

http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/Andre-Malraux/MALRAUX-18-1.jpg

Alliance Hamon – Jadot – Mélenchon : pourquoi il faut tourner le dos au PS

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Primaires_de_la_gauche_-_janvier_2017_-SMdB_(5).JPG
© Benoît Prieur

Hacker la présidentielle. Mettre de côté les enjeux personnels. Présenter une candidature d’union au service de la France. Un projet qui fleure bon le printemps, là où tout est rose, tout est fleuri et merveilleux. L’idée est tentante… Mais cette alliance serait un piège stratégique qui ne ferait que redorer le blason du Parti Socialiste. Cette pétition qui commence à circuler sur les réseaux sociaux est à l’initiative d’un certain nombre de personnalités dont on connaît l’engagement pour un projet de société viable. Cet appel paré de toutes les belles intentions n’en constitue pas moins une grossière erreur de jugement. Et ceux qui, en la partageant, pensent faire preuve du meilleur sens politique, font en réalité le bonheur de tous les barons du système.

Le PS ne mérite aucun pardon

Le résultat du 2nd tour de la primaire est certes une bonne nouvelle. Il marque une étape supplémentaire dans l’effondrement du vieux monde politique. Deux présidents et deux premiers ministres ont été balayés par le piège des primaires. Moins de 15% des électeurs ont participé à celles du PS et de la droite. En faisant confiance aux chiffres surgonflés par M. Cambadélis, tout au plus 2 millions d’électeurs sur 48 potentiels à l’échelle nationale ont participé à la primaire du PS. Et plusieurs milliers sans doute, se sont précipités pour gifler une deuxième fois Manuel Valls. Pas nécessairement pour applaudir Hamon.

Mais les électeurs ont la mémoire courte. N’oublions pas qu’ Hamon est l’heureux héritier du bilan Hollande. Hamon est le complice de la Loi Travail, de la Loi Macron, auxquelles il s’est opposé bien mollement. Mais il est surtout responsable, alors au gouvernement, du vote du traité budgétaire européen (TSCG) en 2012 et du CICE (40 milliards offerts gracieusement au MEDEF sans contrepartie). Quelle crédibilité possède Benoît Hamon, qui prône aujourd’hui la justice sociale après avoir été membre d’un gouvernement qui l’a niée an bloc ? Il y a quelques jours, on soupçonnait le PS de manipulation des résultats au premier tour des primaires. Peu de votants, 35 000 adhérents tout au plus et un bilan catastrophique. Et soudain, au lendemain de la victoire de Benoît Hamon, un curieux bond dans les sondages, comme pour mieux rappeler au troupeau pour qui il faut voter. Le PS n’est plus qu’une coquille vide et ne mérite pas qu’on oublie son bilan. L’idée d’une convergence sous l’égide d’Hamon est tentante. Mais quelle est sa légitimité après avoir été le fossoyeur des valeurs de la gauche ?

Crédibilité et cohérence zéro 

Impossible de s’allier quand les projets sont trop différents. La pétition entend œuvrer pour un projet écologique, social et économique au service de la France. Il s’agirait de regonfler la voile de la gauche et de faire barrage aux dangers que constituent le néo-libéralisme de Fillon et Macron et la xénophobie de Marine Le Pen. Encore une fois, les électeurs ont la mémoire courte. On se remémore encore le fameux « mon ennemi c’est la finance ! » du brave Hollande. Les déclarations d’intention des candidats ne comptent pas : seules devraient nous intéresser la crédibilité des partis et la cohérence des programmes. Or, de crédibilité et de cohérence, le parti et le programme de Hamon n’en possèdent pas.

Le PS devrait d’abord commencer par résoudre ses propres incohérences en interne. On oublie vite que Myriam El Khomri dans le 18ème et Manuel Valls à Evry  sont candidats aux législatives. Cela signifie que la ministre de la Loi Travail, et le 1er ministre du 49-3 se présentent en promettant – via Hamon – d’abroger la Loi Travail et le 49-3. Sans compter les défections en cours et à venir des ténors du PS qui rejoignent Macron la queue entre les jambes, priant pour sauver leur carrière politique ! Même inconséquence pour le programme politique de Benoît Hamon : l’ex-ministre de l’Education nationale use et abuse de la communication sur un hypothétique « revenu universel » tout en jouant les européistes béats. Mais des revendications écologiques et sociales radicales ne seront pas dissociables d’une interrogation critique vis-à-vis du projet européen. Le programme de Benoît Hamon est strictement inapplicable dans le cadre de l’Union Européenne, fer de lance des politiques néolibérales et bras armé des lobbies pollueurs. Or, de son aveu même, Benoît Hamon ne croit pas à l’idée d’un “rapport de force” avec l’Union Européenne. Quelle crédibilité, dès lors, pour son programme écologique et social ?

Diviser pour régner

L’appel du pied d’Hamon et cette pétition sont un piège. Appeler à une telle convergence à moins de trois mois de l’élection présidentielle peut donner à certains l’impression d’œuvrer pour le meilleur des mondes en dénonçant le « jeu des égos » et la stratégie politicienne. C’est en réalité la manœuvre parfaite pour assurer la pérennité du système. Proposer une alliance sans avoir l’intention de, forcer les autres à la refuser, les dénoncer ensuite. Avec le renfort de la grande presse et de sondages bidonnés, huer les égoïstes et les stratèges. Le deal parfait pour semer le trouble et sauver le parti socialiste ! Classique. On nous a déjà fait le coup. Hamon, en 2012 déjà, déclarait au Figaro en parlant de Hollande : « On lui assure un flanc gauche qui évite que certains électeurs se tournent vers Mélenchon. » A moins que Hamon n’ai été touché ces 2 derniers mois par la grâce divine et la révélation écologiste, il pourrait tenir toujours le même rôle. Le risque, en définitive, à trop appeler à une convergence qui irait dans le même sens qu’en 2012, serait d’ouvrir la voie à un Macron qui siphonne d’ores et déjà des voix de tous les côtés. On apprend ce matin qu’ Hollande manifeste son soutien à Hamon. Au mieux, la preuve d’un bel aveu de filiation. Au pire, la marque de Caïn signé Hollande pour sacrifier définitivement Hamon au profit de Macron. En ce sens, et sans être défaitiste, il faut aussi s’attendre à l’éventualité d’un second tour Macron – Fillon. Dans cette perspective, aucun intérêt stratégique à se compromettre avec un parti dont les cadres abandonnent déjà le navire pour se jeter dans les bras de « monsieur Rothschild ».

16425477_10211651989557960_1323512987_n

Il s’agit de refuser d’être cette fois les complices d’un PS impardonnable. Yannick Jadot refuse déjà l’idée d’une alliance, souhaitant incarner seul les idées d’ EELV, à moins qu’Hamon ne “s’émancipe du PS“. Plutôt que de s’engouffrer à nouveau dans des manœuvres d’appareil, le défi des électeurs et des candidats sera de se focaliser justement sur un programme radical. Pour redorer le blason de la gauche, engageons-nous pour un projet global de planification écologique, de relocalisation de l’économie, de fin du productivisme et de justice sociale. Le défi est bien celui d’une exigence écologique couplée à une nécessaire justice sociale. Donc ce n’est pas sur un PS compromis qu’il faudra compter ! Si penser que ce qui nous unit est plus important que ce qui nous sépare, alors il apparaît indispensable de laisser le PS mourir pour mieux préparer l’avenir. Aller vers une « démocratie collaborative » implique de ne pas renouveler notre confiance à ceux qui se sont assis à la table du gouvernement. Et si Mélenchon avait les clés en main ? Il ne tient qu’à lui de fédérer pour la gagne, celle de la vraie gauche, sans concéder sur le fond. Appeler à une convergence, sans aucun doute. Mais sans le PS.

Crédit photo :

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Primaires_de_la_gauche_-_janvier_2017_-SMdB_(5).JPG