Konbini, le média écolo financé par un pétrolier lié à la Macronie

© LHB pour LVSL

Il y a la façade : officiellement, Konbini est un média « engagé sur des sujets d’actualité, comme l’environnement » [1]. Et il y a l’arrière du décor : Konbini est détenu à 80.8 % par le géant pétrolier Perenco. Multinationale franco-britannique, elle a été épinglée à de nombreuses reprises pour ses pratiques de fraude fiscale et les ravages environnementaux qu’elle cause dans les pays du Sud. Plus récemment, les liens de Perenco avec la Macronie ont été pointés du doigt. La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher n’est autre que la fille de l’ancien Directeur général du pétrolier. Une enquête de Disclose suggère qu’elle continue d’en bénéficier financièrement. Rien d’étonnant, donc, à ce que Konbini soit avare de critiques à l’encontre du gouvernement actuel et de l’industrie pétrolière… sauf lorsqu’il s’agit d’attaquer un concurrent de Perenco

Perenco, la low-cost du pétrole

Perenco se distingue des autres entreprises du secteur par ses rachats de gisements pétroliers ou gaziers en fin de vie, afin de les exploiter jusqu’à la dernière goutte. Cette pratique lui vaut le surnom de low-cost du pétrole [2]. Cette entreprise cherche ainsi à s’imposer sur le marché du pétrole en développant des modalités d’extraction lui permettant de tirer profit de gisements qui ne sont plus considérés comme suffisamment rentables par ses concurrents. Ce mode opératoire coûteux en termes sociaux et environnementaux explique l’extrême discrétion du groupe Perenco, qui a été jusqu’à retirer sa cotation en bourse et fait l’objet d’un nombre très limité d’articles dans la presse.

Au cours de l’année 2020, 3 salariés sont décédés sur des sites appartenant à Perenco au Cameroun, un chiffre particulièrement élevé par rapport à la moyenne du secteur.

L’extraction pétrolière repose par essence sur une logique de survalorisation du capital, mais Perenco la pousse à son paroxysme, en réduisant au maximum ses investissements dans la modernisation des équipements qu’elle rachète, ce qui génère des conséquences non négligeables sur les conditions de travail de ses salariés [3]. Une émission de Complément d’enquête consacrée au pétrolier met notamment en lumière le fait qu’au cours de l’année 2020, 3 salariés sont décédés sur des sites appartenant à Perenco au Cameroun, un chiffre particulièrement élevé par rapport à la moyenne du secteur qui traduit des défaillances évidentes dans le dispositif de sécurité mis en place par ce groupe [4].

Cette absence manifeste de prise en compte par Perenco des conséquences sociales et environnementales de ses activités s’est récemment traduite par son opposition affichée à la volonté du gouvernement péruvien de créer la réserve indigène de Napo Tigre.

Ce manque notable d’investissements dans la rénovation des sites exploités par Perenco génère par ailleurs d’importantes conséquences environnementales, comme en témoigne notamment un rapport co-élaboré en 2021 par le Ministère du Pétrole, du Gaz, des Hydrocarbures et des Mines du Gabon, ainsi que son homologue chargé des Eaux, des Forêts, de la Mer et de l’Environnement. Celui-ci fait état de quatre pertes de confinement sur des sites appartenant à cette entreprise, ainsi que de la présence de brut en pleine nature à proximité de deux autres gisements exploités par ce groupe. Cette absence manifeste de prise en compte par Perenco des conséquences sociales et environnementales de ses activités s’est encore récemment traduite par son opposition affichée à la volonté du gouvernement péruvien de créer la réserve indigène de Napo Tigre, en vue de reconnaître les droits des « peuples indigènes en isolement et contact initial » (Piaci) qui y résident [5].

En effet, il se trouve que ce territoire se trouve au cœur du bloc pétrolier 67 situé au sein du bassin de Marañón, détenu à 50% par le groupe Perenco. Si ces activités viennent déstabiliser l’organisation sociale des Piaci, tout en les exposant à de nouveaux types de maladies importées dans ces espaces par les employés de ce groupe pétrolier, ce dernier refuse de reconnaître officiellement l’existence de ces peuples. Le pétrolier remet alors en question la légitimité de ce projet gouvernemental, arguant du fait que : « En vertu de la loi péruvienne, Perenco devrait être inclus dans l’évaluation de l’affaire Piaci, ce qui ne s’est pas produit » [6]. Soucieux de conserver sa mainmise sur les gisements pétroliers qu’il exploite au sein de cet espace, il décide, au mois de mai 2022, de déposer une plainte à l’encontre du Ministère péruvien de la Culture, à l’origine de cette initiative. 

Agnès Pannier-Runacher est la fille de Jean-Michel Runacher, ancien directeur général de Perenco qui conserve des liens étroits avec cette société.

Cette volonté de s’appuyer sur des instruments juridiques en vue de limiter les marges de manœuvre d’un État n’est pas sans rappeler la plainte déposée par ce même groupe en 2008 auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) à l’encontre de l’État équatorien. Cette plainte fait suite à la décision de ce dernier d’accroître le taux d’imposition sur les bénéfices des multinationales pétrolières. Perenco considère alors que cette réforme porte atteinte à l’interdiction de toutes « mesures d’expropriation ou de nationalisation » contenue dans le traité bilatéral d’investissement (TBI) signé entre la France et l’Équateur en 1996.

C’est ainsi sur la base de la juridiction française que ce tribunal international rattaché à la Banque Mondiale condamne l’État équatorien, au mois de mai 2021, à régler 400 millions de dollars à Perenco Ecuador, filiale chargée de l’extraction pétrolière au sein du territoire équatorien, et ce, alors même que cette filiale réside aux Bahamas. C’est ainsi qu’une entreprise qui échappe déjà à l’imposition en France s’appuie paradoxalement sur la protection française en vue d’échapper également à toute forme de taxation de ses profits réalisés en Équateur, sans que cela ne suscite la moindre réaction de la part du gouvernement français.

Le fait qu’Agnès Pannier-Runacher, actuelle Ministre de la Transition énergétique au sein du gouvernement Borne, occupe alors le poste de secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, y est-il pour quelque chose ? Celle-ci est la fille de Jean-Michel Runacher, ancien directeur général de Perenco qui conserve des liens étroits avec cette société dans la mesure où il est l’un des trois membres du conseil d’administration du gestionnaire de fonds BNF Capital Limited, qui appartient à la famille de François Perrodo, dirigeant de Perenco [7].

L’absence totale de réaction de la part du ministère de l’Économie au moment même où celle-ci y occupe un poste clé et ne peut ignorer cette affaire au vu de ses relations familiales interroge.

Quoi qu’il en soit, ce scandale est révélateur du fait qu’outre la dégradation des conditions de travail de ses salariés et l’absence de prise en compte des conséquences environnementales de ses activités, l’évasion fiscale constitue le troisième pilier sur lequel s’appuie Perenco en vue de maximiser la survalorisation de son capital. Il se trouve que ce sont justement de telles pratiques d’évasion fiscale qui permettent à Perenco d’investir dans le capital de certains groupes tels que Konbini. 

L’entrée de Perenco au capital de Konbini et la réorientation de la ligne éditoriale

En effet, le magazine Capital indique que les 30,1 millions d’euros investis par la famille Perrodo dans le site Konbini en 2018 ne proviennent pas directement de l’entreprise Perenco. C’est une holding [8] luxembourgeoise nommée Ommirep TMT Holdings qui rachète pour un montant de 18,8 millions d’euros les actions détenues par le fonds Nexstage au sein de Konbini cette année-là [9]. Or, si les informations obtenues par Capital à ce sujet nous apprennent que cette holding appartient à trois sociétés résidant aux Bahamas, à savoir Tchack LtdAnnacha Ltd et Magny-Cours Ltd, il se trouve que les noms de François, Bertrand et Nathalie Perrodo se trouvent derrière ces entités aux pratiques opaques. En d’autres termes, le capital de la holding luxembourgeoise qui rachète au départ 61,8% du capital de Konbini appartient directement à la famille qui se trouve à la tête de Perenco.

Et ces derniers ne s’arrêtent pas là. Soucieux de renforcer leurs parts au sein de ce site en ligne, ils décident de prêter 3 millions d’euros supplémentaires à Konbini, ainsi que 6,8 millions d’euros correspondant à des actions convertibles. Par ailleurs, ils versent 1,5 millions d’euros à Ich Liebe Dich SAS, une holding appartenant à David Creuzot et Lucie Beudet, les deux fondateurs de Konbini.

Ces petites manœuvres permettent à Konbini de préserver son image de média engagé et alternatif tout en étant abreuvé de fonds obtenus au détriment de la sécurité des travailleurs, de la préservation de l’environnement et des finances publiques des États.

C’est ainsi que les Perrodo deviennent les premiers actionnaires de ce site en ligne en s’appropriant au total 79,7% de son capital en 2018, avant d’accroître encore leur part à 80,8% cet été, par le biais de la conversion de bons de souscription d’actions acquis en 2018. Ces petites manœuvres permettent à Konbini de préserver son image de média engagé et alternatif tout en étant abreuvé de fonds obtenus au détriment de la sécurité des travailleurs du secteur pétrolier et gazier, de la préservation de l’environnement et des finances publiques des États dans lesquels Perenco développe ses activités extractives. Le groupe Perenco semble tenir à la confidentialité de ses investissements médiatiques. Ils ont ainsi attaqué le site La Lettre A en justice pour diffamation, après ses révélations sur ses liens Konbini.

Or, l’entrée de l’un des groupes pétroliers les plus polluants au monde au sein d’un site qui prétend accorder une attention particulière aux questions environnementales conduit à réorienter de manière non négligeable les objectifs initialement poursuivis par ce dernier.

De ce point de vue, Capital souligne notamment le fait que la famille Perrodo ne se contente pas de s’approprier des parts significatives dans le capital du site, mais : « surtout, (…) semble apparemment s’investir de plus en plus dans les affaires de Konbini » [10]. L’entrée des Perrodo au sein du capital de Konbini se traduit ainsi par une réorientation significative de la ligne éditoriale de ce site, notamment caractérisée par la création de la chaîne Konbini News [11]. En effet, si ce site se consacre jusqu’alors principalement à la diffusion de contenus orientés vers le divertissement à des fins publicitaires, il affiche dès lors sa volonté de diversifier ses activités par le biais de la publicaton de nouveaux types de contenus plus orientés vers l’information, à l’image des reportages conduits par Hugo Clément qui se développent dans le cadre de cette nouvelle chaîne.

Seuls les concurrents directs de Perenco voient leurs activités dénoncées par ce média qui représente ainsi un instrument au service de la légitimation de ce groupe pétrolier.

Cette réorientation assumée vers le journalisme ne conduit cependant pas ce site à rompre avec son identité originelle. Konbini se signalait en effet déjà par une logique d’infotainment – un type d’informations orientées vers l’objectif de satisfaire un sponsor – avant l’arrivée de Perenco.

L’infotainment : un bras médiatique au service de la légitimation de Perenco

L’un des exemples les plus représentatifs de cette dynamique est la vidéo publiée sur la chaîne Konbini News le 8 avril 2018 en vue de dénoncer la défaillance d’un oléoduc sous-marin appartenant au groupe pétrolier Pertamina ayant conduit à une fuite de pétrole recouvrant 18km2 de la baie de Bornéo [12]. Si ce reportage semble simplement se contenter de retracer les faits ayant conduit à cet événement, il n’est pas interdit de relever qu’il vise un concurrent direct de l’entreprise Perenco.

En effet, au début de l’année 2017, soit un an auparavant, une réorganisation significative de l’extraction pétrolière s’opère au Gabon suite au retrait de groupes tels que les français Total et Maurel & Prom. Si Perenco rachète dans ce contexte près du quart des propriétés pétrolières de Total dans ce pays [13], augmentant sa capacité de production pétrolière à 72.000 barils par jour et confortant ainsi sa place de leader de la production pétrolière au Gabon, Pertamina s’approprie quant à elle 72% du capital de Maurel & Prom, dont la capacité de production s’élève alors à environ 28.000 barils par jour [14]. Konbini a-t-il permis à Perenco de discréditer un concurrent susceptible de fragiliser sa mainmise sur le pétrole gabonais ?

Bien sûr, aucun contenu de Konbini ne mentionne les conséquences sociales et environnementales des activités développées par Perenco. Seuls les concurrents directs de Perenco voient leurs activités dénoncées par ce média…

Si Perenco a recours à des instruments juridiques en vue de limiter les marges de manœuvre des États souhaitant réguler les activités pétrolières qui se développent au sein de leur territoire, ce groupe s’appuie également sur un bras médiatique qui ne traite les conséquences des activités pétrolières qu’à la lumière de la dénonciation des défaillances relatives aux activités développées par ses concurrents directs.

En réorientant de la sorte la ligne éditoriale de Konbini, la famille Perrodo offre ainsi un aperçu des instruments sur lesquels peuvent s’appuyer les groupes pétroliers en vue de défendre leurs intérêts et de conforter leur implantation au sein des territoires qu’ils exploitent. En effet, si Perenco a recours à des instruments juridiques en vue de limiter les marges de manœuvre des États en termes de régulation pétrolière, ce groupe s’appuie également sur un bras médiatique qui ne traite les conséquences des activités pétrolières qu’à la lumière de la dénonciation des défaillances relatives aux activités développées par ses concurrents directs. 

L’application à la sphère médiatique de la logique sur laquelle repose l’extraction pétrolière…

Le développement de ce type d’informations contribue à l’inverse à appliquer à la sphère médiatique la logique sous-jacente au développement de l’extraction pétrolière. En effet, cette réorientation de la ligne éditoriale de Konbini génère notamment des changements importants en termes de gestion du personnel, et en particulier des journalistes chargés de produire ce nouveau type de contenus.

En effet, dans la mesure où ces contenus informatifs restent orientés vers l’objectif de satisfaire des actionnaires ou sponsors ayant investi dans ce média en vue d’en tirer profit, ces journalistes sont contraints de produire des contenus courts susceptibles de créer le buzz en vue de favoriser une diffusion maximale au sein des réseaux sociaux. Dans cette perspective, l’objectif recherché est double puisqu’il s’agit, pour le sponsor ayant financé ces contenus, d’en tirer le maximum de profit par le biais de leur diffusion maximale, tandis que Konbini cherche à s’appuyer sur cette diffusion en vue d’attirer de nouveaux investisseurs.

« À propos de la Coupe du monde de football au Qatar, on voulait faire un article concernant les conditions de travail sur les chantiers (…) La rédactrice en chef a refusé, parce que Coca n’aurait pas accepté un tel sujet. »

Cependant, cette immersion d’investisseurs privés dans la production des contenus médiatiques diffusés sur ce site vient limiter les marges de manœuvre dont disposent les journalistes en termes de sujets abordés. A ce sujet, un rédacteur nommé Basile confie notamment au Monde diplomatique que : « À propos de la Coupe du monde de football au Qatar, on voulait faire un article concernant les conditions de travail sur les chantiers (…) La rédactrice en chef a refusé, parce que Coca n’aurait pas accepté un tel sujet. » [15] Cela traduit le fait que l’analyse approfondie des enjeux politiques, économiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés est délaissée au profit de la satisfaction des sponsors.

Dans cette perspective, les journalistes de Konbini sont simplement encouragés à publier le plus de contenus possibles en vue de générer le maximum de profits et ce, avec des moyens financiers réduits à l’extrême. De ce point de vue, Hélène, rédactrice au sein de Konbini également interrogée par le Monde diplomatique, ajoute que : « Dans l’espace ouvert, on a du mal à trouver une place où s’asseoir pour travailler, par contre il y a des baby-foot. La blague, c’est de dire qu’on va retourner le baby pour en faire un bureau ! » 

On retrouve ainsi, dans les locaux de Konbini, la logique de réduction au maximum des investissements de Perenco dans la modernisation de ses équipements pétroliers et gaziers…

Konbini va ainsi jusqu’à intégrer la dénonciation même de l’exploitation des ressources pétrolières à ses sources de profit…

Nul besoin de préciser que le traitement, par Konbini, des catastrophes pétrolières, n’offrira au spectateur aucune clé de lecture approfondie de leurs causes. En les évoquant surtout par le biais d’images choquantes, Konbini cherche à maximiser la viralité de ses contenus sur les réseaux sociaux. Là où des groupes pétroliers intègrent les ressources naturelles dans une logique marchande, Konbini va ainsi jusqu’à y intégrer la dénonciation même de l’exploitation de ces ressources…

Notes :

[1] https://mediagroup.konbini.com/page/notre-histoire/

[2] Utilisé par l’émission Complément d’enquête dans un reportage consacré aux activités pétrolières développées par ce groupe au Gabon et au Cameroun. Voir « Perenco : la low-cost du pétrole », publié par l’émission Complément d’enquête le 21 octobre 2021.

[3] Le géographe Andréas Malm explique que, si les principales puissances économiques décident de fonder leur modèle énergétique sur l’exploitation du pétrole au XXe siècle, c’est en raison du fait que ces ressources constituent des “leviers de production de survaleur du capital” [4]. Autrement dit, elles permettent d’optimiser au maximum la mise en valeur du capital en démultipliant dans des proportions considérables la production d’un travailleur. De ce point de vue, Malm explique notamment que l’avantage des ressources pétrolières est qu’elles ne nécessitent que peu de main d’œuvre pour être extraites. En effet, dès lors que le gisement est creusé, il est possible d’en retirer des quantités considérables de pétrole, ce qui permet de maximiser la production du travailleur qui se charge de son exploitation. Le salaire perçu par ce dernier ne représente alors qu’une part de la valeur produite, le surplus venant renforcer le capital généré par ces activités.

[4] Complément d’enquête, op. cit.

[5] KERINEC Moran, « Au Pérou, le pétrolier français Perenco veut exploiter des terres indigènes », Reporterre, 03/09/2022 ; https://reporterre.net/Au-Perou-le-petrolier-francais-Perenco-veut-exploiter-des-terres-indigenes.

[6] COGNASSE Olivier, « Perenco conteste en justice la création d’une réserve de peuples autochtones en Amazonie », L’Usine Nouvelle, 07/09/2022 ; https://www.usinenouvelle.com/article/perenco-conteste-en-justice-la-creation-d-une-reserve-de-peuples-autochtones-en-amazonie.N2038307

[7] KERINEC Moran, « Au Pérou, le pétrolier français Perenco (…), op. cit. 

[8] Une holding est une société qui possède des participations financières, ainsi qu’un rôle de gestion et de direction au sein de diverses autres sociétés, sur la base d’un régime lui accordant un certain nombre d’avantages fiscaux. 

[9] HENNI Jamal, « Déficitaire et endetté, Konbini se place sous mandat ad hoc », Capital, 21/09/2020 ; https://www.capital.fr/entreprises-marches/konbini-se-place-sous-mandat-ad-hoc-1380937?fbclid=IwAR0hhk1DLl3F1Xn7eqeJRa13hLllR-LI09gzFi1Xq0QI6Q9Xv4K2-UtUo0I

[10] HENNI Jamal, « Déficitaire et endetté, Konbini (…), op. cit. 

[11] FastNCurious, « Comment interpréter le virage éditorial de Konbini ? », 14/02/2018 ;   http://fastncurious.fr/2018/02/14/interpreter-virage-editorial-de-konbini/

[12] Konbini News, « Dans la baie de Bornéo, 18km2 de pétrole recouvrent la mer », 08/04/2018 ;  https://www.facebook.com/konbininews/videos/385721065243404/

[13] Ouest France, « Au Gabon, le secteur pétrolier se réorganise sous tension », 27/02/2017 ; https://www.ouest-france.fr/economie/au-gabon-le-secteur-petrolier-se-reorganise-sous-tension-4825322

[14] Agence Cofin, « Le secteur pétrolier gabonais laisse peu de perspectives de croissance à court terme », 09/05/2017 ; https://www.agenceecofin.com/gestion-publique/0905-47183-le-secteur-petrolier-gabonais-laisse-peu-de-perspectives-de-croissance-a-court-terme

[15] EUSTACHE Sophie, TROCHET Jessica, « De l’information au piège à clic », Le Monde diplomatique, août 2017 ; https://www.monde-diplomatique.fr/2017/08/EUSTACHE/57804

[16] LE QUANG Matthieu, « La trajectoire politique de l’initiative Yasuní-ITT en Équateur : entre capitalisme vert et écosocialisme », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 130, 2016, p. 105-121. 

Quand la loi française permet à une entreprise des Bahamas d’extorquer 400 millions de dollars à l’Équateur

© Hugo Baisez pour LVSL

La dénonciation de l’évasion fiscale est un leitmotiv d’Emmanuel Macron depuis son élection. Aucune mesure n’a cependant été prise pour défaire l’architecture juridique internationale qui la rend possible. Dernière affaire en date : la multinationale pétrolière Perenco, implantée aux Bahamas et propriété du milliardaire français François Perrodo, a remporté un procès contre l’État équatorien. Celui-ci est condamné à lui verser 400 millions de dollars pour la dédommager contre une hausse d’impôts effectuée quinze ans plus tôt. Fait notable : c’est en vertu d’un traité bilatéral entre la France et l’Équateur que ce jugement a été rendu. Alors même que la filiale équatorienne de Perenco siège aux Bahamas – haut lieu de blanchiment d’argent -, c’est la nationalité française de son PDG qui a permis à un tribunal d’arbitrage de la Banque mondiale de condamner l’État équatorien.

Grâce à sa résidence aux Bahamas, Perenco Ecuador (la filiale équatorienne de l’entreprise) est exemptée de toute forme d’imposition ; grâce à la nationalité de sa société-mère, elle bénéficie de la législation française pour la protéger lors de procès internationaux. Fin mai, un tribunal de la Banque mondiale, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a condamné l’État équatorien à payer 400 millions de dollars à l’entreprise, sur la base d’un traité bilatéral d’investissements (TBI) signé entre la France et l’Équateur deux décennies plus tôt. La nationalité française, rejetée lorsqu’il est question de fiscalité, permet à l’entreprise de bénéficier du support légal de la sixième puissance mondiale lorsqu’il s’agit de défendre ses investissements.

Pour une analyse du rôle et du fonctionnement des traités bilatéraux d’investissement, lire sur LVSL l’article de Vincent Arpoulet : « Les traités bilatéraux d’investissement, entraves à la souveraineté des États : le cas équatorien »

Cet arbitrage international est ainsi représentatif de la manière dont un TBI peut permettre à une entreprise qui contourne les législations nationales de bénéficier d’une protection juridique face à la volonté régulatrice des États. En effet, afin de pouvoir bénéficier de la protection d’un TBI, un investisseur étranger doit simplement démontrer que son capital est originaire d’un pays ayant signé ce type de traité avec l’Etat à l’encontre duquel il souhaite intenter un procès. Ce tour de passe-passe est passé pratiquement inaperçu dans les médias français.

L’Équateur et les multinationales pétrolières

L’histoire récente de l’Équateur est marquée par de nombreux conflits entre son gouvernement, ses entreprises pétrolières et sa population environnante, dont l’intensité est allée croissante depuis les années 1980. Le cas Chevron-Texaco, celui d’une multinationale américaine accusée d’avoir déversé du pétrole dans l’Amazonie, en est la manifestation la plus emblématique. Trois décennies durant, des réformes néolibérales ont réduit les attributions économiques de l’État équatorien à peau de chagrin et permis aux multinationales d’imposer un cadre à leur avantage (incluant notamment une fiscalité marginale et des normes peu contraignantes en matière environnementales).

Sur l’affaire Chevron-Texaco, lire sur LVSL l’article de Vincent Ortiz : « Chevron contre l’Équateur : comment la multinationale a fini par vaincre les indigènes »

L’élection de Rafael Correa en 2006 marque un tournant. Élu sur un agenda de confrontation avec les entreprises multinationales, elle marque la fin d’un cycle de privatisations et de déliquescence des structures étatiques. Plusieurs années durant, une lutte s’engage alors entre l’État équatorien et le secteur pétrolier sur la question de la fiscalité. L’une des réformes les plus ambitieuses initiées par Rafael Correa consiste à promouvoir une taxation à 99% des bénéfices considérés comme « exceptionnels » effectués par les entreprises pétrolières – une situation qui, dans un contexte de hausse constante du cours des matières premières, survient fréquemment. D’abord imposée par décret – puis retoquée sous la forme d’une loi qui abaisse le taux à 80 % -, cette réforme suscite l’opposition frontale des entreprises pétrolières.

Dans la plupart des cas, un compromis aboutit cependant avec les investisseurs étrangers. Un nombre non négligeable d’entre eux est issu de la Chine ou du Brésil [1], alliés géopolitiques du nouveau gouvernement équatorien, ce qui l’a sans doute conduit à modérer son agenda d’étatisation du secteur pétrolier [2]. Seule une entreprise étrangère présente en Équateur refuse le compromis et attaqué l’État en justice : il s’agit de la multinationale franco-anglaise Perenco, propriété de la quatorzième fortune française, François Perrodo.

Les tribunaux d’arbitrage internationaux

Celle-ci dénonce une « expropriation », et s’appuie sur un traité bilatéral d’investissement (TBI) signé entre la France et l’Équateur en 1994. Par cet acte, l’Équateur s’interdit de prendre des « mesures d’expropriation ou de nationalisation, ou toute autre mesure dont l’effet est de déposséder, directement ou indirectement, les nationaux et sociétés ». C’est le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), un tribunal d’arbitrage dépendant de la Banque mondiale, qui est chargé du respect de cet accord. De nombreuses entreprises multinationales, notamment américaines, avaient déjà attaqué l’Équateur en justice auprès de cette instance, s’appuyant sur des TBI similaires.

Extrait du TBI signé entre la France et l’Équateur en 1994

Ces procès internationaux sont parfois utilisés par certaines de ces entreprises comme des instruments de dénonciation des politiques publiques adoptées par l’Etat équatorien. En effet, Charles Brower, l’arbitre choisi par Perenco en 2008 en vue de défendre ses intérêts, s’est notamment fait remarquer en critiquant publiquement les politiques mises en place par le gouvernement de Rafael Correa, dans le cadre d’une interview accordée à la revue The Metropolitan Corporate Counsel [3]. Il ne s’agit pas d’un cas isolé dans la mesure où 71% des arbitres qui interviennent dans les procès impliquant l’Etat équatorien sont membres de directoires d’entreprises et reconnaissent : « qu’ils ne se considèrent pas comme des garants de l’intérêt public » [4]. Cela démontre à quel point ces TBI portent atteinte aux marges de manœuvre dont disposent les Etats en termes de régulation de leurs secteurs économiques stratégiques, tout en offrant une impunité aux entreprises cherchant à contourner les législations nationales.

C’est la raison pour laquelle, peu après son élection, Rafael Correa initie un processus de dénonciation des principaux TBI, conteste l’autorité du CIRDI et refuse de payer plusieurs amendes auxquelles l’Équateur était condamné (par exemple une sanction de deux milliards auprès d’Occidental Petroleum, multinationale américaine qui avait porté plainte contre l’État équatorien juste avant son élection). L’État équatorien engage alors un bras de fer juridique avec Perenco.

Lire sur LVSL notre entretien réalisé avec l’ex-président équatorien à Bruxelles, en mai 2019 : « Rafael Correa : la presse est l’arme létale des élites néolibérales »

C’est en 2017 que ce volontarisme prend fin, avec la volte-face de Lenín Moreno, successeur de Rafael Correa, qui initie un tournant résolument libéral et pro-américain. Les TBI dénoncés par Correa sont peu à peu reconnus, et les multinationales qui avaient porté plainte contre le pays obtiennent gain de cause les unes après les autres. Loin de rompre avec cette dynamique engagée par son prédécesseur, le gouvernement de Guillermo Lasso s’est non seulement engagé à régler la totalité de la somme demandée par l’entreprise Perenco, mais il a également accepté de ratifier la Convention du CIRDI portant sur la législation internationale relative aux investissements privés, 11 ans après le retrait de l’Équateur de cet organisme.

Pour une mise en contexte de la rupture politique opérée en Équateur depuis l’élection de Lenín Moreno, lire sur LVSL l’article de Vincent Arpoulet : « Le pouvoir judiciaire, meilleur allié du néolibéralisme en Amérique latine » et celui de Vincent Ortiz : « Comment Washington a remis la main sur l’Équateur : quatre ans d’une reconquête souterraine ».

La France et l’évasion fiscale des multinationales

Si le cas Perenco met ainsi en lumière la manière dont la législation internationale relative aux investissements bride la souveraineté de l’Etat équatorien, elle vient également questionner l’implication du gouvernement français dans la lutte contre l’évasion fiscale. D’après les journalistes Yannick Kergoat et Denis Robert, celle-ci représente chaque année 100 milliards d’euros pour la France – soit une perte bien plus significative que les 800 millions d’euros générés par la fraude au RSA, régulièrement pointée du doigt par le gouvernement d’Emmanuel Macron. Malgré cela, le gouvernement français persiste à accorder des avantages fiscaux aux grandes fortunes, sans que cela ne conduise à une augmentation significative de l’investissement privé dans l’économie française. Un rapport publié par l’organe gouvernemental France Stratégie révèle qu’en 2018, les dividendes ont augmenté de 60% en France, pour atteindre 23,2 milliards d’euros, sans que cela n’ait d’impact significatif sur l’investissement productif.

En parallèle de l’octroi d’avantages fiscaux à l’égard des grandes fortunes, l’action du gouvernement français dans la lutte contre l’évasion fiscale semble à tout le moins insuffisante ; dernièrement, la France vient de retirer les Bahamas de sa liste de pays qu’elle considère comme des paradis fiscaux. Cette liste qui énumère officiellement l’ensemble des Etats n’ayant pas ratifié avec l’Etat français une convention visant à favoriser l’échange d’informations susceptibles de déceler des pratiques d’évasion fiscale n’est donc pas exhaustive.

Davantage qu’une anomalie juridique, l’affaire Perenco apparaît plutôt comme la manifestation d’un système international qui donne un blanc-seing aux multinationales.

Notes : 

[1] Vincent Arpoulet, « Les variations de la politique pétrolière équatorienne à la lumière du contexte économique régional et international (1972-2017) », mémoire rédigé pour la Sorbonne-Nouvelle, 2020.

[2] Historiquement, ce sont deux “géants” américains qui ont dominé le marché pétrolier équatorien : Chevron-Texaco et “Oxy” (Occidental petroleum). Quand Rafael Correa est élu, Chevron-Texaco a quitté le pays depuis plusieurs années. Quant à “Oxy”, il a de fait été exproprié de l’Équateur par le gouvernement précédent, où Correa siégeait en tant que ministre. 

[3] Brower Charles N., « A World-Class Arbitrator Speaks ! », The Metropolitan Corporate Counsel, 2009.

[4] Park, W. & Alvarez, G.2003, ‘The New Face of Investment Arbitration: NAFTA Chapter 11’, The Yale Journal of International Law, vol. 28, p. 394.