Pannier-Runacher, Perenco et Konbini : quand les intérêts pétroliers se repeignent en vert

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Parmi les rares ministres reconduits dans le nouveau gouvernement, on trouve Agnès Pannier-Runacher. Ancienne responsable de l’Énergie, puis déléguée auprès de l’Agriculture, la voilà ministre de la Transition écologique. Si cette technocrate qui penche « à gauche », selon ses propres dires, était une novice en politique avant l’avènement d’Emmanuel Macron, son ascension fulgurante ne doit rien au hasard. Et tout à l’appartenance de sa famille au cénacle étroit des élites économiques. Son père n’est autre que l’ancien Directeur général de la multinationale pétrolière Perenco, impliquée dans de multiples scandales de destruction environnementale et d’évasion fiscale. Plus discrète que Total, l’entreprise est la propriété de la quinzième fortune française, François Perrodo, qu’un article de l’Express surnomme « le milliardaire le plus secret de France ». Et une enquête de Disclose suggère qu’Agnès Pannier-Runacher continue d’en bénéficier financièrement. Tandis qu’elle gravissait les échelons de la Macronie, Perenco investissait la sphère médiatique avec le rachat de Konbini en 2018, la publication « engagée sur des sujets d’actualité, comme l’environnement » [1]. Deux manières de repeindre en vert des intérêts pétroliers bien compris ?

Perenco, la low-cost du pétrole

Perenco se distingue des autres entreprises du secteur par ses rachats de gisements pétroliers ou gaziers en fin de vie, afin de les exploiter jusqu’à la dernière goutte. Cette pratique lui vaut le surnom de low-cost du pétrole [2]. Cette entreprise cherche ainsi à s’imposer sur le marché du pétrole en développant des modalités d’extraction lui permettant de tirer profit de gisements qui ne sont plus considérés comme suffisamment rentables par ses concurrents. Ce mode opératoire coûteux en termes sociaux et environnementaux explique l’extrême discrétion du groupe Perenco, qui a été jusqu’à retirer sa cotation en bourse et fait l’objet d’un nombre très limité d’articles dans la presse.

Au cours de l’année 2020, 3 salariés sont décédés sur des sites appartenant à Perenco au Cameroun, un chiffre particulièrement élevé par rapport à la moyenne du secteur.

L’extraction pétrolière repose par essence sur une logique de survalorisation du capital, mais Perenco la pousse à son paroxysme, en réduisant au maximum ses investissements dans la modernisation des équipements qu’elle rachète, ce qui génère des conséquences non négligeables sur les conditions de travail de ses salariés [3]. Une émission de Complément d’enquête consacrée au pétrolier met notamment en lumière le fait qu’au cours de l’année 2020, 3 salariés sont décédés sur des sites appartenant à Perenco au Cameroun, un chiffre particulièrement élevé par rapport à la moyenne du secteur qui traduit des défaillances évidentes dans le dispositif de sécurité mis en place par ce groupe [4].

Ce manque notable d’investissements dans la rénovation des sites exploités par Perenco génère par ailleurs d’importantes conséquences environnementales, comme en témoigne notamment un rapport co-élaboré en 2021 par le Ministère du Pétrole, du Gaz, des Hydrocarbures et des Mines du Gabon, ainsi que son homologue chargé des Eaux, des Forêts, de la Mer et de l’Environnement. Celui-ci fait état de quatre pertes de confinement sur des sites appartenant à cette entreprise, ainsi que de la présence de brut en pleine nature à proximité de deux autres gisements exploités par ce groupe. Cette absence manifeste de prise en compte par Perenco des conséquences sociales et environnementales de ses activités s’est encore récemment traduite par son opposition affichée à la volonté du gouvernement péruvien de créer la réserve indigène de Napo Tigre, en vue de reconnaître les droits des « peuples indigènes en isolement et contact initial » (Piaci) qui y résident [5].

En effet, il se trouve que ce territoire se trouve au cœur du bloc pétrolier 67 situé au sein du bassin de Marañón, détenu à 50% par le groupe Perenco. Si ces activités viennent déstabiliser l’organisation sociale des Piaci, tout en les exposant à de nouveaux types de maladies importées dans ces espaces par les employés de ce groupe pétrolier, ce dernier refuse de reconnaître officiellement l’existence de ces peuples. Le pétrolier remet alors en question la légitimité de ce projet gouvernemental, arguant du fait que : « En vertu de la loi péruvienne, Perenco devrait être inclus dans l’évaluation de l’affaire Piaci, ce qui ne s’est pas produit » [6]. Soucieux de conserver sa mainmise sur les gisements pétroliers qu’il exploite au sein de cet espace, il décide, au mois de mai 2022, de déposer une plainte à l’encontre du Ministère péruvien de la Culture, à l’origine de cette initiative. 

Agnès Pannier-Runacher est la fille de Jean-Michel Runacher, ancien directeur général de Perenco qui conserve des liens étroits avec cette société.

Cette volonté de s’appuyer sur des instruments juridiques en vue de limiter les marges de manœuvre d’un État n’est pas sans rappeler la plainte déposée par ce même groupe en 2008 auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) à l’encontre de l’État équatorien. Cette plainte fait suite à la décision de ce dernier d’accroître le taux d’imposition sur les bénéfices des multinationales pétrolières. Perenco considère alors que cette réforme porte atteinte à l’interdiction de toutes « mesures d’expropriation ou de nationalisation » contenue dans le traité bilatéral d’investissement (TBI) signé entre la France et l’Équateur en 1996.

C’est ainsi sur la base de la juridiction française que ce tribunal international rattaché à la Banque Mondiale condamne l’État équatorien, au mois de mai 2021, à régler 400 millions de dollars à Perenco Ecuador, filiale chargée de l’extraction pétrolière au sein du territoire équatorien, et ce, alors même que cette filiale réside aux Bahamas. C’est ainsi qu’une entreprise qui échappe déjà à l’imposition en France s’appuie paradoxalement sur la protection française en vue d’échapper également à toute forme de taxation de ses profits réalisés en Équateur, sans que cela ne suscite la moindre réaction de la part du gouvernement français.

Le fait qu’Agnès Pannier-Runacher, actuelle Ministre de la Transition énergétique au sein du gouvernement Borne, occupe alors le poste de secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, y est-il pour quelque chose ? Celle-ci est la fille de Jean-Michel Runacher, ancien directeur général de Perenco qui conserve des liens étroits avec cette société dans la mesure où il est l’un des trois membres du conseil d’administration du gestionnaire de fonds BNF Capital Limited, qui appartient à la famille de François Perrodo, dirigeant de Perenco [7].

L’absence totale de réaction de la part du ministère de l’Économie au moment même où celle-ci y occupe un poste clé et ne peut ignorer cette affaire au vu de ses relations familiales interroge.

Quoi qu’il en soit, ce scandale est révélateur du fait qu’outre la dégradation des conditions de travail de ses salariés et l’absence de prise en compte des conséquences environnementales de ses activités, l’évasion fiscale constitue le troisième pilier sur lequel s’appuie Perenco en vue de maximiser la survalorisation de son capital. Il se trouve que ce sont justement de telles pratiques d’évasion fiscale qui permettent à Perenco d’investir dans le capital de certains groupes tels que Konbini. 

L’entrée de Perenco au capital de Konbini et la réorientation de la ligne éditoriale

En effet, le magazine Capital indique que les 30,1 millions d’euros investis par la famille Perrodo dans le site Konbini en 2018 ne proviennent pas directement de l’entreprise Perenco. C’est une holding [8] luxembourgeoise nommée Ommirep TMT Holdings qui rachète pour un montant de 18,8 millions d’euros les actions détenues par le fonds Nexstage au sein de Konbini cette année-là [9]. Or, si les informations obtenues par Capital à ce sujet nous apprennent que cette holding appartient à trois sociétés résidant aux Bahamas, à savoir Tchack LtdAnnacha Ltd et Magny-Cours Ltd, il se trouve que les noms de François, Bertrand et Nathalie Perrodo se trouvent derrière ces entités aux pratiques opaques. En d’autres termes, le capital de la holding luxembourgeoise qui rachète au départ 61,8% du capital de Konbini appartient directement à la famille qui se trouve à la tête de Perenco.

Et ces derniers ne s’arrêtent pas là. Soucieux de renforcer leurs parts au sein de ce site en ligne, ils décident de prêter 3 millions d’euros supplémentaires à Konbini, ainsi que 6,8 millions d’euros correspondant à des actions convertibles. Par ailleurs, ils versent 1,5 millions d’euros à Ich Liebe Dich SAS, une holding appartenant à David Creuzot et Lucie Beudet, les deux fondateurs de Konbini.

C’est ainsi que les Perrodo deviennent les premiers actionnaires de ce site en ligne en s’appropriant au total 79,7% de son capital en 2018, avant d’accroître encore leur part à 80,8% cet été, par le biais de la conversion de bons de souscription d’actions acquis en 2018. Ces petites manœuvres permettent à Konbini de préserver son image de média engagé et alternatif tout en étant abreuvé de fonds obtenus au détriment de la sécurité des travailleurs du secteur pétrolier et gazier, de la préservation de l’environnement et des finances publiques des États dans lesquels Perenco développe ses activités extractives. Le groupe Perenco semble tenir à la confidentialité de ses investissements médiatiques. Ils ont ainsi attaqué le site La Lettre A en justice pour diffamation, après ses révélations sur ses liens Konbini.

Or, l’entrée de l’un des groupes pétroliers les plus polluants au monde au sein d’un site qui prétend accorder une attention particulière aux questions environnementales conduit à réorienter de manière non négligeable les objectifs initialement poursuivis par ce dernier.

De ce point de vue, Capital souligne notamment le fait que la famille Perrodo ne se contente pas de s’approprier des parts significatives dans le capital du site, mais : « surtout, (…) semble apparemment s’investir de plus en plus dans les affaires de Konbini » [10]. L’entrée des Perrodo au sein du capital de Konbini se traduit ainsi par une réorientation significative de la ligne éditoriale de ce site, notamment caractérisée par la création de la chaîne Konbini News [11]. En effet, si ce site se consacre jusqu’alors principalement à la diffusion de contenus orientés vers le divertissement à des fins publicitaires, il affiche dès lors sa volonté de diversifier ses activités par le biais de la publicaton de nouveaux types de contenus plus orientés vers l’information, à l’image des reportages conduits par Hugo Clément qui se développent dans le cadre de cette nouvelle chaîne.

Seuls les concurrents directs de Perenco voient leurs activités dénoncées par ce média qui représente ainsi un instrument au service de la légitimation de ce groupe pétrolier.

Cette réorientation assumée vers le journalisme ne conduit cependant pas ce site à rompre avec son identité originelle. Konbini se signalait en effet déjà par une logique d’infotainment – un type d’informations orientées vers l’objectif de satisfaire un sponsor – avant l’arrivée de Perenco.

L’infotainment : un bras médiatique au service de la légitimation de Perenco

L’un des exemples les plus représentatifs de cette dynamique est la vidéo publiée sur la chaîne Konbini News le 8 avril 2018 en vue de dénoncer la défaillance d’un oléoduc sous-marin appartenant au groupe pétrolier Pertamina ayant conduit à une fuite de pétrole recouvrant 18km2 de la baie de Bornéo [12]. Si ce reportage semble simplement se contenter de retracer les faits ayant conduit à cet événement, il n’est pas interdit de relever qu’il vise un concurrent direct de l’entreprise Perenco.

En effet, au début de l’année 2017, soit un an auparavant, une réorganisation significative de l’extraction pétrolière s’opère au Gabon suite au retrait de groupes tels que les français Total et Maurel & Prom. Si Perenco rachète dans ce contexte près du quart des propriétés pétrolières de Total dans ce pays [13], augmentant sa capacité de production pétrolière à 72.000 barils par jour et confortant ainsi sa place de leader de la production pétrolière au Gabon, Pertamina s’approprie quant à elle 72% du capital de Maurel & Prom, dont la capacité de production s’élève alors à environ 28.000 barils par jour [14]. Konbini a-t-il permis à Perenco de discréditer un concurrent susceptible de fragiliser sa mainmise sur le pétrole gabonais ?

Bien sûr, aucun contenu de Konbini ne mentionne les conséquences sociales et environnementales des activités développées par Perenco. Seuls les concurrents directs de Perenco voient leurs activités dénoncées par ce média…

En réorientant de la sorte la ligne éditoriale de Konbini, la famille Perrodo offre ainsi un aperçu des instruments sur lesquels peuvent s’appuyer les groupes pétroliers en vue de défendre leurs intérêts et de conforter leur implantation au sein des territoires qu’ils exploitent. En effet, si Perenco a recours à des instruments juridiques en vue de limiter les marges de manœuvre des États en termes de régulation pétrolière, ce groupe s’appuie également sur un bras médiatique qui ne traite les conséquences des activités pétrolières qu’à la lumière de la dénonciation des défaillances relatives aux activités développées par ses concurrents directs. 

L’application à la sphère médiatique de la logique sur laquelle repose l’extraction pétrolière…

Le développement de ce type d’informations contribue à l’inverse à appliquer à la sphère médiatique la logique sous-jacente au développement de l’extraction pétrolière. En effet, cette réorientation de la ligne éditoriale de Konbini génère notamment des changements importants en termes de gestion du personnel, et en particulier des journalistes chargés de produire ce nouveau type de contenus.

En effet, dans la mesure où ces contenus informatifs restent orientés vers l’objectif de satisfaire des actionnaires ou sponsors ayant investi dans ce média en vue d’en tirer profit, ces journalistes sont contraints de produire des contenus courts susceptibles de créer le buzz en vue de favoriser une diffusion maximale au sein des réseaux sociaux. Dans cette perspective, l’objectif recherché est double puisqu’il s’agit, pour le sponsor ayant financé ces contenus, d’en tirer le maximum de profit par le biais de leur diffusion maximale, tandis que Konbini cherche à s’appuyer sur cette diffusion en vue d’attirer de nouveaux investisseurs.

« À propos de la Coupe du monde de football au Qatar, on voulait faire un article concernant les conditions de travail sur les chantiers (…) La rédactrice en chef a refusé, parce que Coca n’aurait pas accepté un tel sujet. »

Cependant, cette immersion d’investisseurs privés dans la production des contenus médiatiques diffusés sur ce site vient limiter les marges de manœuvre dont disposent les journalistes en termes de sujets abordés. A ce sujet, un rédacteur nommé Basile confie notamment au Monde diplomatique que : « À propos de la Coupe du monde de football au Qatar, on voulait faire un article concernant les conditions de travail sur les chantiers (…) La rédactrice en chef a refusé, parce que Coca n’aurait pas accepté un tel sujet. » [15] Cela traduit le fait que l’analyse approfondie des enjeux politiques, économiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés est délaissée au profit de la satisfaction des sponsors.

Dans cette perspective, les journalistes de Konbini sont simplement encouragés à publier le plus de contenus possibles en vue de générer le maximum de profits et ce, avec des moyens financiers réduits à l’extrême. De ce point de vue, Hélène, rédactrice au sein de Konbini également interrogée par le Monde diplomatique, ajoute que : « Dans l’espace ouvert, on a du mal à trouver une place où s’asseoir pour travailler, par contre il y a des baby-foot. La blague, c’est de dire qu’on va retourner le baby pour en faire un bureau ! » 

On retrouve ainsi, dans les locaux de Konbini, la logique de réduction au maximum des investissements de Perenco dans la modernisation de ses équipements pétroliers et gaziers…

Nul besoin de préciser que le traitement, par Konbini, des catastrophes pétrolières, n’offrira au spectateur aucune clé de lecture approfondie de leurs causes. En les évoquant surtout par le biais d’images choquantes, Konbini cherche à maximiser la viralité de ses contenus sur les réseaux sociaux. Là où des groupes pétroliers intègrent les ressources naturelles dans une logique marchande, Konbini va ainsi jusqu’à y intégrer la dénonciation même de l’exploitation de ces ressources…

Notes :

[1] https://mediagroup.konbini.com/page/notre-histoire/

[2] Utilisé par l’émission Complément d’enquête dans un reportage consacré aux activités pétrolières développées par ce groupe au Gabon et au Cameroun. Voir « Perenco : la low-cost du pétrole », publié par l’émission Complément d’enquête le 21 octobre 2021.

[3] Le géographe Andréas Malm explique que, si les principales puissances économiques décident de fonder leur modèle énergétique sur l’exploitation du pétrole au XXe siècle, c’est en raison du fait que ces ressources constituent des “leviers de production de survaleur du capital” [4]. Autrement dit, elles permettent d’optimiser au maximum la mise en valeur du capital en démultipliant dans des proportions considérables la production d’un travailleur. De ce point de vue, Malm explique notamment que l’avantage des ressources pétrolières est qu’elles ne nécessitent que peu de main d’œuvre pour être extraites. En effet, dès lors que le gisement est creusé, il est possible d’en retirer des quantités considérables de pétrole, ce qui permet de maximiser la production du travailleur qui se charge de son exploitation. Le salaire perçu par ce dernier ne représente alors qu’une part de la valeur produite, le surplus venant renforcer le capital généré par ces activités.

[4] Complément d’enquête, op. cit.

[5] KERINEC Moran, « Au Pérou, le pétrolier français Perenco veut exploiter des terres indigènes », Reporterre, 03/09/2022 ; https://reporterre.net/Au-Perou-le-petrolier-francais-Perenco-veut-exploiter-des-terres-indigenes.

[6] COGNASSE Olivier, « Perenco conteste en justice la création d’une réserve de peuples autochtones en Amazonie », L’Usine Nouvelle, 07/09/2022 ; https://www.usinenouvelle.com/article/perenco-conteste-en-justice-la-creation-d-une-reserve-de-peuples-autochtones-en-amazonie.N2038307

[7] KERINEC Moran, « Au Pérou, le pétrolier français Perenco (…), op. cit. 

[8] Une holding est une société qui possède des participations financières, ainsi qu’un rôle de gestion et de direction au sein de diverses autres sociétés, sur la base d’un régime lui accordant un certain nombre d’avantages fiscaux. 

[9] HENNI Jamal, « Déficitaire et endetté, Konbini se place sous mandat ad hoc », Capital, 21/09/2020 ; https://www.capital.fr/entreprises-marches/konbini-se-place-sous-mandat-ad-hoc-1380937?fbclid=IwAR0hhk1DLl3F1Xn7eqeJRa13hLllR-LI09gzFi1Xq0QI6Q9Xv4K2-UtUo0I

[10] HENNI Jamal, « Déficitaire et endetté, Konbini (…), op. cit. 

[11] FastNCurious, « Comment interpréter le virage éditorial de Konbini ? », 14/02/2018 ;   http://fastncurious.fr/2018/02/14/interpreter-virage-editorial-de-konbini/

[12] Konbini News, « Dans la baie de Bornéo, 18km2 de pétrole recouvrent la mer », 08/04/2018 ;  https://www.facebook.com/konbininews/videos/385721065243404/

[13] Ouest France, « Au Gabon, le secteur pétrolier se réorganise sous tension », 27/02/2017 ; https://www.ouest-france.fr/economie/au-gabon-le-secteur-petrolier-se-reorganise-sous-tension-4825322

[14] Agence Cofin, « Le secteur pétrolier gabonais laisse peu de perspectives de croissance à court terme », 09/05/2017 ; https://www.agenceecofin.com/gestion-publique/0905-47183-le-secteur-petrolier-gabonais-laisse-peu-de-perspectives-de-croissance-a-court-terme

[15] EUSTACHE Sophie, TROCHET Jessica, « De l’information au piège à clic », Le Monde diplomatique, août 2017 ; https://www.monde-diplomatique.fr/2017/08/EUSTACHE/57804

[16] LE QUANG Matthieu, « La trajectoire politique de l’initiative Yasuní-ITT en Équateur : entre capitalisme vert et écosocialisme », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 130, 2016, p. 105-121. 

Le Chiapas, une expérience révolutionnaire menacée par le tourisme

CRÉDIT PHOTO Arthur Temporal, https://www.flickr.com/photos/145920102

À la sortie de l’avion à Mexico, dans la file des douanes, impossible de ne pas remarquer les affiches géantes qui invitent les touristes à visiter les infrastructures écotouristiques du Chiapas. En une semaine à San Cristobal de Las Casas, j’ai rapidement constaté que pratiquement aucun touriste n’était au courant qu’il visitait des sites revendiqués par les zapatistes. Ce court séjour m’a permis de rencontrer deux organismes de la société civile chiapanèque qui travaillent avec des communautés autochtones sympathisantes des zapatistes. J’en suis venu à comprendre qu’au Chiapas, la politique de protection de l’environnement du gouvernement mexicain profitait principalement aux élites en place et surtout pas aux peuples autochtones qui luttent depuis près de 60 ans pour leur autonomie.

Ce reportage est publié en partenariat avec la Revue L’Esprit libre et a été rédigé par Émile Duchesne.


Le Chiapas et le mouvement zapatiste

L’histoire des zapatistes débute dans les années 1960-1970 alors que de nouvelles communautés autochtones s’établissent dans la Selva Lacandon. Plusieurs jeunes familles décident de quitter leur communauté pour créer de nouveaux espaces villageois en raison du manque de terres cultivables. Ces nouveaux établissements sont l’occasion de mettre en place de nouveaux rapports sociaux qui rompent avec une conception rigide de la tradition maya, mais qui rompent aussi, et surtout, avec le pouvoir des grands propriétaires terriens. Ce nouveau départ démocratise la vie communautaire et permet la stimulation de l’organisation politique chez ces jeunes familles. Pour plusieurs, il s’agit du point de départ de la lutte zapatisteLa politisation des autochtones du Chiapas se confirme en 1974 alors qu’a lieu le premier congrès autochtone de l’histoire du Chiapas.

Idéologiquement, l’Ejército zapatista de liberación nacional (EZLN) – Armée zapatiste de libération nationale – s’est construite d’après trois influences : le maoïsme, la théologie de la libération et la cosmologie maya. Ce sont des militants du mouvement étudiant révolutionnaire mexicain qui amènent l’idéologie maoïste dans les montagnes du Chiapas. Du maoïsme, les zapatistes retiennent surtout l’importance de la lutte armée pour arriver à la révolution. Certaines considérations stratégiques sont aussi retenues, par exemple celle de « commencer par occuper les villes et s’attaquer ensuite aux campagnes ». La deuxième influence, la théologie de la libération, est une mouvance très importante chez les catholiques d’Amérique latine. Au Chiapas, les membres du clergé associés à la théologie de la libération ont été d’une importance capitale dans l’organisation politique des peuples autochtones chiapanèques, qui sont devenus plus tard le foyer du mouvement zapatiste. Leur rôle est central dans l’organisation du congrès autochtone de 1974 et en 1989 dans la création de l‘universidad de la Tierra, une université pour et par les autochtones du Chiapas. Selon les tenants de ce courant, pour suivre la voie de Jésus et être un vrai chrétien, il faut faire cause commune avec les pauvres et élaborer l’évangile de la libération. Cette vision du catholicisme implique une certaine conscience de classe sans toutefois reprendre la lutte des classes marxiste.

La théologie de la libération s’oppose au réformisme et prône l’organisation des opprimés dans une optique de transformation sociale. Selon Leonardo et Clodovis Boff, deux théologiens brésiliens sympathisants de la théologie de la libération, « nous sommes du côté des pauvres seulement lorsque nous luttons à leurs côtés contre la pauvreté qui a été injustement créée et forcée sur eux ». Finalement, la culture et la cosmologie des peuples de la famille maya ont aussi eu leur importance dans la mise en forme de l’idéologie zapatiste. Les modes de prise de décision collective des peuples mayas, caractérisés par des assemblées et la recherche du consensus, ont été intégrés au mode de fonctionnement zapatiste. N’oublions pas que c’est un millénarisme inhérent à la culture maya – c’est-à-dire la recherche d’une terre meilleure – qui permet, dans les années 1960-1970, l’organisation politique des communautés autochtones.

Le reste de l’histoire est peut-être plus connu : le 1er janvier 1994, au moment où entre en vigueur l’Accord de libre-échange nord-américain – ALENA, des hommes et des femmes cagoulés, armés et affichant les couleurs de l’EZLN prennent d’assaut certaines villes du Chiapas dont San Cristobal de Las Casas, la capitale culturelle de la province. Après une dizaine de jours d’échauffourées avec l’armée mexicaine, les combattants et les combattantes de l’EZLN battent en retraite pour rejoindre les communautés autochtones des montagnes, dont la plupart sont originaires. Des négociations avec le gouvernement mexicain mènent en 1996 à l’accord de San Andres, qui prévoit une reconnaissance constitutionnelle des droits culturels et sociaux des peuples autochtones du Mexique. Cet accord n’est finalement jamais mis en œuvre. À partir de ce moment, les zapatistes cessent de négocier avec le gouvernement et intensifient leurs efforts d’auto-organisation des communautés. La même année, les zapatistes fondent le Congreso nacional indigena, qui est le premier rassemblement autochtone pan-mexicain. Cette instance est toujours active aujourd’hui et maintient une politique de non-collaboration avec le gouvernement. Ces efforts d’auto-organisation culminent en 2002 avec la création de cinq Caracoles – escargot en espagnol, des municipalités autogérées qui offrent des services aux communautés zapatistes du Chiapas : locaux de mairies, hôpital, école en langue autochtone, magasins d’artisanats, salle d’assemblée, etc.

Dans les dernières années, les efforts des zapatistes se sont surtout concentrés sur l’éducation et la connaissance. En 2013, on lance une invitation aux altermondialistes du monde entier à venir séjourner dans les Caracoles pour suivre des séminaires et des cours de langues. En janvier 2017, les zapatistes poursuivent leur lancée en organisant une conférence appelée ConCiencias. Le but recherché : échanger avec des chercheurs et chercheuses universitaires et mettre en place une structure pour leur permettre de collaborer avec les communauté zapatistes : « Il s’agit de la continuité de l’Escuelita zapatista lancée en 2013. Ils veulent vivre et apprendre ensemble en stimulant les échanges. À ConCiencias, les zapatistes ont invité des experts pour échanger sur des thèmes comme la globalisation et la protection de l’environnement. C’est un chantier pour une éducation plus horizontale et pour stimuler les discussions entre la science occidentale et les connaissances des peuples autochtones ». C’est ce qu’explique le représentant de l’organisme Desarollo economico y social de los mexicanos indigenas (DESMI) – Développement économique et social des mexicains autochtones.

Le Chiapas et la nouvelle image verte du Mexique

Lors de mon passage au Mexique en juin 2017, le gouvernement fédéral mexicain et le gouvernement du Chiapas multipliaient les annonces de projets à saveur environnementale. Depuis quelques années – mais surtout depuis la Conférence des Nations unies sur le climat à Cancún en 2010 – le Mexique tente de se placer comme un leader dans la lutte contre les changements climatiques. En effet, le 5 juin 2017, à l’occasion de la journée mondiale de l’environnement, l’État mexicain fait sa profession de foi envers la cause environnementale. Le gouverneur du Chiapas, Manuel Velasco, et le ministre de l’Environnement du Mexique annoncent à Ocosingo au Chiapas d’importants investissements du ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles du Mexique : 91 millions de pesos (6,3 millions de dollars canadiens) pour 250 projets de conservation dans la Selva Lacandona au Chiapas. Le gouverneur profite de l’occasion pour dénoncer la décision du président américain Donald Trump de retirer les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat.

Du même coup, les deux niveaux de gouvernements signalent leur intention de continuer d’offrir annuellement 1000 pesos (70 dollars canadiens) pour chaque hectare de terre protégé par les paysans autochtones. Mais, dans les faits, pour recevoir cette subvention, les autochtones doivent cesser de pratiquer l’agriculture sur les terres concernées. De l’investissement initial, 50 millions de pesos (3,45 millions de dollars canadiens) sont destinés à la diversification des activités productives des paysans autochtones. La même semaine, le gouverneur Velasco inaugure un nouveau centre écotouristique dans la région du Canon del Sumidero ainsi qu’un centre de collecte de produits agrochimiques.

De nombreuses ONG écologistes – comme World Wildlife Fund (WWF) et Parks Watch – se sont implantées au Chiapas dans les dernières années. Sur place, DESMI critique l’arrivée de ces nouveaux organismes : « Le gouvernement mexicain reçoit beaucoup d’argent de l’international pour mettre en œuvre des mesures de protection de l’environnement. Cet argent sert essentiellement à mettre en place des programmes de contrôle coercitifs », estime le représentant de DESMI. Un autre exemple permet de comprendre l’intérêt du Mexique à s’associer à des organismes écologistes internationaux. Le 8 juin 2017, Leonardo DiCaprio est au Mexique pour annoncer que sa fondation s’associe à la fondation Carlos Slim – l’homme le plus riche du Mexique – et au président mexicain Enrique Peña Nieto pour protéger l’écosystème marin du golfe de la Californie. L’acteur vante le président mexicain en disant qu’il est un « chef de file dans la conservation des écosystèmes ». Ce positionnement sur la scène internationale n’est pas anodin : pour assurer l’afflux de touristes, le Mexique doit garder une image acceptable aux yeux du monde. L’importance du tourisme dans le discours officiel est sans équivoque : le 7 juin 2017, le ministre du Tourisme, Enrique de la Madrid Cordero, martèle que le tourisme est la voie de la « transformation sociale » pour le Mexique. Les pressions économiques et politiques pour le développement de projets écotouristiques sont donc énormes. À ce titre, une étude réalisée récemment à l’université autonome de Guadalajara démontre qu’au Mexique, 60 % des zones où pourraient être réalisés des projets écotouristiques demeurent inutilisées. Aux yeux des autorités, les projets écotouristiques sont une priorité pour le développement du pays.

La protection de l’environnement et les peuples autochtones

Sur le papier, ces projets de protection de l’environnement semblent positifs pour le Mexique. Le fait est que la majorité des zones visées par ces projets ne sont pas inhabitées : de nombreuses communautés autochtones peuplent des territoires où l’environnement est protégé. Aux yeux du gouvernement mexicain, cette occupation du territoire est nuisible : les autorités dénoncent toujours les établissements irréguliers dans les parcs nationaux. Par contre, ce ne sont pas tous les peuples autochtones qui s’opposent aux mesures de protection de l’environnement. En effet, le gouvernement joue sur des divisions préexistantes au mouvement zapatiste et s’associe aux factions autochtones pro-gouvernementales pour légitimer ses projets de protection de l’environnement. Pour le représentant de DESMI, « les peuples autochtones qui luttent n’acceptent pas les mesures de protection du gouvernement.

Ces programmes visent à contrôler la population. Ce sont essentiellement des programmes de dépossession ». En effet, pour prendre un exemple, le programme ProArbo offre 1000 pesos (70 dollars canadiens) par hectare protégé par les paysans autochtones. Cela implique que ces paysans cessent de pratiquer l’agriculture sur les terres visées. L’effet insidieux du programme vient du fait que la loi agraire mexicaine est faite de façon à ce que les paysans qui cessent de cultiver finissent par perdre le droit sur leur terre. Selon la représentante de l’organisme Otros Mundos – Autre monde, « les autochtones qui vivent des subventions vertes finissent par perdre leur droit sur la terre étant donné qu’ils ne la cultivent plus. Ces autochtones font partie des autochtones pro-gouvernementaux qui vivent depuis longtemps du paternalisme gouvernemental ».

Elle poursuit en avançant que la plupart des programmes environnementaux au Mexique sont essentiellement du greenwashing : « Dans les discours officiels, le Chiapas fait figure d’exemple pour les politiques vertes au Mexique. Pourtant, d’un côté, le gouvernement considère que les autochtones qui cultivent la terre détruisent la Selva avec leur petite agriculture et instaure des politiques de criminalisation et, de l’autre, le gouvernement subventionne des projets de monoculture industrielle sur le même territoire. Les programmes environnementaux n’incluent pas les gens qui habitent le territoire. Ces programmes criminalisent les autochtones et valorisent les monocultures aux dépens de l’agriculture de subsistance. »

Les projets de protection de l’environnement cherchent aussi à accroître le contrôle de l’État sur des territoires difficilement accessibles comme les montagnes et les jungles du Chiapas. Pour le représentant de DESMI, le lien entre contrôle social et protection de l’environnement est clair : « Les projets écotouristiques du gouvernement ont un impact négatif pour les communautés autochtones. Les disputes sur le contrôle du territoire – comme dans la réserve de Agua Azules – entraînent une présence militaire et policière qui entrave la liberté de circuler. En construisant davantage d’autoroutes, le gouvernement accroît son pouvoir sur le territoire. Les projets écotouristiques sont avant tout des projets de contrôle de la population autochtone. »

On comprendra que dans un contexte où l’État mexicain cherche à mettre un terme à l’insurrection zapatiste, tous les moyens sont bons pour donner une apparence de légitimité à ses tentatives d’accroître son contrôle sur le territoire et la population du Chiapas.

La gendarmerie environnementale et les Montes Azules

L’aire protégée des Montes Azules, fort populaire auprès des touristes, a été créée dans les années 1970 par le gouvernement mexicain et couvre un territoire de 3000 km². Cette aire protégée se trouve en plein cœur du territoire d’expansion des communautés paysannes qui deviennent plus tard le foyer de l’insurrection zapatiste en 1994. De 1997 à 2008, la situation est déjà tendue en raison de la lutte de ces communautés pour la réappropriation de ces terres. Or, en 2008, le gouvernement du Chiapas adopte un Protocole d’expulsion pour forcer treize communautés autochtones à quitter les Montes Azules. Les agents de conservation peuvent alors compter sur l’aide de la police et de l’armée mexicaine pour forcer l’évacuation des communautés ciblées. Pour citer un exemple, en janvier 2010, dans la communauté de Rancho Corozal, quatre hélicoptères militaires se posent, causant la fuite des villageois. Quelques jours plus tard, le gouvernement annonce « le développement d’une station écotouristique qui exiger[a] le déplacement de sept autres communautés ». En guise de réponse, la société civile chiapanèque organise en mars 2010 un forum social en plein cœur des Montes Azules afin de parler de la « tension entre l’occupation autochtone du territoire et la création d’aires protégées ». La déclaration finale de l’événement souligne que le territoire doit être défendu dans toutes ses dimensions : son environnement mais aussi les droits, les cultures, les langues et les formes d’organisation des peuples qui l’habitent.

La répression n’a jamais pris fin dans les Montes Azules. Récemment, le gouvernement mexicain y a instauré une nouvelle force répressive : la gendarmerie environnementale. « Ce sont des soldats qui peuvent parcourir tous les Montes Azules. Elle a été créée par des environnementalistes. En réalité, ce sont davantage des soldats environnementaux. Avec ce programme, l’État cherche à accroître sa force répressive », explique le représentant de DESMI. Du côté de Otros Mundos, on abonde dans le même sens : « Le mandat de la gendarmerie environnementale relève davantage de la stratégie contre-insurrectionnelle à l’encontre des zapatistes que de la protection de l’environnement », avance la représentante. Un communiqué daté du 8 décembre 2016 signé par des communautés autochtones de la Selva Lacandona et des Montes Azules dénonce la création de cette gendarmerie environnementale. Pour les communautés signataires, la gendarmerie est une stratégie pour favoriser l’implantation des multinationales dans les forêts du Chiapas. De plus, avec l’arrivée d’ONG étrangères et l’implication de l’Unesco dans les projets de protection, les peuples autochtones chiapanèques ont l’impression de perdre encore plus de pouvoir sur leur territoire : « La responsabilité de la réserve de Montes Azules n’est même plus fédérale ou provinciale : avec sa reconnaissance par l’Unesco, elle devient une responsabilité mondiale. Pour nous, cela représente encore une perte de contrôle des peuples autochtones sur leur territoire », ajoute le représentant de DESMI.

Conclusion

Les projets écotouristiques et les mesures de protection de l’environnement au Chiapas sont une menace pour l’autonomie des communautés autochtones. « Les peuples autochtones souhaitent avant tout [détenir] le contrôle sur leur terre et sur les richesses de la terre-mère. Lorsqu’on a le contrôle de son territoire, on y fait attention et on le protège. Les peuples autochtones ne peuvent pas aspirer à l’autonomie s’ils n’ont pas le contrôle de leur territoire », souligne le représentant de DESMI. Mais pour atteindre l’autonomie et mettre en œuvre leurs propres mesures de protection de l’environnement, les peuples du Chiapas ont de nombreux obstacles structurels devant eux : « Les autochtones sont conscients qu’ils doivent faire attention à la terre. Par contre, leur conception de la protection entre en conflit avec le modèle de développement capitaliste », fait remarquer à son tour la représentante de Otros Mundos.

L’exemple du Chiapas nous montre que les grands pouvoirs de ce monde tentent de s’approprier la lutte environnementale afin de garder leur position hégémonique. Leur credo : protéger le territoire pour mieux contrôler et déposséder celles et ceux qui l’habitent. En mobilisant des universitaires et des ONG écologistes occidentales, l’État mexicain se dote d’un outil supplémentaire dans sa lutte contre l’insurrection zapatiste : la vérité technocratique de la science occidentale. On comprend peut-être mieux pourquoi les zapatistes ont lancé l’initiative ConCiencias et sont ainsi passés de la lutte armée à la question de la nature du savoir.

Pourquoi inscrire la protection de l’environnement dans l’article 1er de la Constitution ?

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Nicolas Hulot ©COP PARIS

« La République agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le réchauffement climatique ». Telle pourrait être la formulation inscrite dans l’article 1er de la Constitution française, si sont adoptés les projets de lois pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, présentés en mai 2018 par le gouvernement Edouard PhilippeD’abord attendue à l’article 34, qui définit les domaines où le Parlement peut légiférer, cette mesure symbolique, lancée par Nicolas Hulot, a été accueillie avec agréable surprise par les militants et les associations environnementales. Alors concrètement, qu’est-ce que cela change, et plus encore, cela change-t-il vraiment quelque chose ?


L’article 1er de la Constitution définit les principes fondamentaux de la République, comme l’égalité ou la laïcité. En y inscrivant la préservation de l’environnement, de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique, le gouvernement instaure ces notions comme un socle, comme un principe fondamental qui supplanterait les autres, y compris l’économie. Il s’agit donc d’un symbole fort.

Mais au-delà du symbole, il offre également une base juridique pour la rédaction et le vote de nouvelles lois, et tend à prévenir les retours en arrière, car les législateurs, sous peine de censure, ne peuvent proposer de lois explicitement contraires à l’article 1er. À l’examen des lois, il permet aussi de justifier une opposition devant le Conseil constitutionnel. Il sera donc désormais plus facile de défendre le principe de protection de l’environnement en s’appuyant clairement sur la Constitution. Dans un communiqué de presse, WWF explique ainsi que « cette décision permettra à l’environnement, au climat et à la biodiversité de peser davantage dans la balance qu’opère le juge constitutionnel entre les différents principes inscrits dans la Constitution, tels que la liberté d’entreprendre ou le droit de propriété». Il s’agit donc d’établir un équilibre.

Cependant, cette annonce ne fait pas l’unanimité au sein des militants écologistes et des députés. Certains décrient tout d’abord la formulation, et auraient préféré au verbe « agir » une formulation comme « assurer » ou « garantir »,  plus contraignante pour l’État. D’autres restent prudents quant aux conséquences réelles de cette décision tandis que des députés LR déplorent une perte de temps avec cette idée « d’enfoncer des portes déjà ouvertes ». Les associations se réjouissent, mais Véronique Champeil-Desplats, professeure de droit public à l’Université Paris-Ouest Nanterre, déplore quant à elle un progrès en demi-teinte avec l’abandon de l’article 34.

Si l’inscription dans l’article 1er relève d’un caractère symbolique important, y ajouter parallèlement une modification de l’article 34, en instaurant le principe de respect du bien commun, aurait permis de donner un cadre plus strict aux interventions et aux missions parlementaires. Qu’en sera-t-il également des projets déjà signés ou en cours ? Il est ainsi possible d’évoquer cette récente controverse concernant l’importation d’huile de palme sur le site Total de Mède, autorisée car résultant d’un accord signé avec le gouvernement précèdent, impossible à rompre malgré la contestation organisée par le secteur agricole en juin dernier. Sera-t-il désormais possible de s’y opposer frontalement, au nom de l’article 1er de la Constitution ? Cela semble encore difficile à dire, car les conséquences ne seront visibles qu’à partir de 2019, lorsque l’adjonction aura pris effet.

Un greenwashing gouvernemental ?

Mais alors comment expliquer un tel regain d’intérêt des députés pour l’environnement après les récentes déconvenues de Nicolas Hulot ? En refusant fin mai l’interdiction de l’utilisation du glyphosate, herbicide classé cancérigène probable par l’Organisation Mondiale de la Santé, d’ici à 2021, les députés se sont vus contestés tant par les militants écologistes que par l’opinion publique qui a, contre toute attente, pris la question très au sérieux. L’image du ministre de la Transition écologique et solidaire s’est vue écornée et le Make our planet great again du président Emmanuel Macron en a définitivement pris un coup. Apaiser le feu des tensions et engager une réhabilitation, donc ?

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Depuis 2008, la Constitution de l’Équateur fait de la Nature une personne juridique à part entière, porteuse de droits propres exigibles devant les tribunaux.

Il ne s’agit pas d’une rupture. La France a déjà intégré en 2004 la Charte de l’environnement dans la Constitution, et ce n’est pas le premier pays à se lancer dans cette voie verte, au contraire. Le mouvement pour la constitutionnalisation du droit de l’environnement est lancé depuis les années 70. Les constitutions grecque, espagnole et suédoise mentionnent par exemple la protection de l’environnement. En Allemagne, l’article 20a souligne la responsabilité de l’État pour les générations futures. Au Brésil et au Portugal, la Constitution décrit précisément les devoirs des pouvoirs publics afin de garantir le droit à un environnement écologiquement équilibré. D’autres pays sont allés encore plus loin : depuis 2008, la Constitution de l’Équateur fait de la Nature une personne juridique à part entière, porteuse de droits propres exigibles devant les tribunaux.

Cette victoire arrive donc à point nommé pour Nicolas Hulot. Celle-ci a certes plus de poids que l’inscription à l’article 34 ou que la Charte de l’environnement,  et possède un caractère plus astreignant. Cependant, elle n’offre aucune garantie. Les « Sages » posséderont toujours une marge de manœuvre, et cet ajout constitue avant tout un appui et une assise pour les défenseurs de l’environnement déjà ralliés à la cause, ce qui peut être prometteur si de nouveaux députés, davantage tournés vers ces problématiques, remplacent les membres actuels.

Mais inscrire une notion dans la Constitution, puisse-t-elle être au 1er article, ne la préserve pas des interprétations sur sa portée et sa signification, en sont ainsi les témoins les éternels débats autour de la laïcité et de l’égalité. La définition même de développement durable est sujette à discussion au sein des communautés scientifiques. Il s’agit donc d’une avancée porteuse d’espoir, sans aucun doute, mais dont les résultats sont encore incertains.

Photo de couverture : © COP PARIS

McDo, Coca, Activia, Pom’Potes : Les as du Greenwashing

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©Mike Mozart

Alors pour tout vous dire, j’étais parti sur une parodie – sulfureuse, mais moins littéralement sado-maso – d’un chef d’oeuvre de l’érotisme pour ménagères sous Xanax, sur un truc qui se serait appelé Cinquante nuances de vert, mais c’eût été interminablement jouissif à écrire et un peu long à lire.

Alors, pour rendre hommage à la grande distribution qui, malgré elle, c’est bien-connu -c’est-la-faute-au-consommateur-qui-tient-à-son-pouvoir-d’achat, purge nos rues piétonnes et nos adorables bourgs de leurs petits détaillants, écrase les petits producteurs avec des marges exorbitantes, et tant d’autres prouesses, j’aimerais parler de la belle énergie qu’elle déploie pour rassurer le consommateur, cette espèce pusillanime qui fraye à travers les rayons menaçants, glisse d’un pas furtif dans le sillage de son pesant caddie, écarquille des yeux gros comme ça en trouvant de l’huile de palme dans la pâte feuilletée bio, trépigne à la vue des caisses bondées et enfin se déleste de ses emplettes sur le plateau d’une caisse automatique qui lui fait l’injure, une fois sur deux, de ne pas “reconnaître” les articles.

Le consommateur, aujourd’hui, veut du vert. Et dans les moyennes et grandes surfaces irriguées par les bons gros géants de l’agroalimentaire, il y en a désormais comme s’il en pleuvait. Des produits 100 % nature, naturels, des achats verts dans des emballages “verts”, pour un petit geste “vert” et un monde plus “vert”, parce que la “croissance verte”, ça se fera pas en claquant des doigts, compris ?

Comme dit l’adage, tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. C’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, à vrai dire, il y en a qui n’ont pas vraiment pas raté le coche de l’enfumage (vert) généralisé. 

Pour un peu, je me sentirais presque coupable, presque lâche, d’accabler cette vaillante mère nourricière globale, qui a déjà aux fesses bien assez de scandales comme ça, entre Super Size Me, le silicone de pâte à modeler dans les frites et les relations houleuses avec les SDF.

Mais avouons-le, on ne s’en lasse pas de découvrir jours après jours la confirmation du bon sens populaire : plus c’est gros, plus ça passe. Pour ne pas infliger une regrettable gerbe à mes lecteurs, je ne vais presque pas parler de nourriture. Comment ? Non, je vais parler de patrimoine mondial, de Florence, de la piazza del Duomo, de ce joyau de l’époque des Médicis. Là-bas, ils sont plutôt branchés slow food, cuisine locale et de saison, agriculture urbaine dans des jardins partagés, sur les toits. Alors quand McDo a voulu s’installer sur la place du Dôme, la mairie n’était pas enchantée. C’est rien de le dire. McDo, blessée par le refus de la localité pourtant justifié par une réglementation interdisant l’installation de tout restaurant utilisant du précuit et du surgelé, pas gonflée, a réclamé… 19,7 millions de dollars de dommages-intérêts. De quoi se marrer, mais ce qui s’ensuivit, c’est vraiment le pied : McDo a tenté une diversion en brandissant la carte de la dérogation auprès de la mairie et de l’UNESCO, avec une transformation de son modèle à la sauce florentine. Concrètement tenez-vous bien : service à table, espace culturel, librairie (!!), points d’information pour les citoyens (verbatim de l’adjoint au développement économique à la mairie). Et 80% de produits locaux. À ce rythme-là, on se dit qu’ils vont bientôt ouvrir leurs restos du coeur et financer des AMAP ! En tout cas, la résistance florentine et mondiale s’est rapidement organisée, avec des pique-nique à la toscane de tripes à la tomate protestataires, une pétition sur change.org et des détournements gracieux comme un David de Michel-Ange macdonaldisé.

Comme leurs acolytes du Mcdo à la française, les rois du coca ont fini par s’apercevoir que le rouge, ça faisait peur, sanguinaire, le genre d’éventreur chez qui on a des scrupules à aller se salir le gosier. Heureusement pour l’humanité, et accessoirement pour faire rebondir des ventes stagnantes, Coca-Cola s’est fait philanthrope : non content de lutter contre l’obésité, il va sauver la nature. Avec quel miracle ? La stevia, une herbe paraguayenne bien connue des indiens Guarani, qui ont trouvé à s’en servir pour adoucir le goût du maté, et qui, pour le consommateur occidental moins accro à ce délicieux breuvage, des propriétés sucrantes et caloriques incroyables. Pas besoin d’insister sur la pirouette nutritionnelle : comme ils disent avec un délicieux euphémisme chez Que choisir ?, “ce nom et la couleur verte de l’emballage confèrent à ce produit une image de naturalité et d’aliment santé quelque peu usurpée” : eh oui, la stevia ayant un (indésirable) goût de réglisse, il a bien fallu revenir au bon vieux susucre. Le problème, c’est qu’on n’a pas expliqué aux indiens Guarani qu’ils auraient dû déposer un brevet sur la stevia, pour avoir leur part des immenses recettes de Coca-Cola, et que les seuls brevets actuellement détenus le sont par Coca et quelques concurrents. Juteuse affaire, mais surtout flagrant exemple de biopiraterie : s’il ne s’agissait d’ailleurs que de mixer les feuilles de stevia et de les jeter dans la marmite pour obtenir un succulent coca, à quoi bon polémiquer, mais extraire de la stevia un ingrédient potable nécessite des opérations assez compliquées, et les indiens étaient, depuis des siècles, les seuls dépositaires de ce genre de savoir. Heureusement, le protocole de Nagoya et la récente loi biodiversité en France ont décidé de mettre des freins à cette privatisation du vivant doublée d’une confiscation de savoirs traditionnels, mais d’ici à ce qu’on refasse les poches de Coca

Alors eux, ils colonisent en ce moment les affichages publicitaires avec un slogan irrésistible, “vivre en phase”. À part l’idée que ça me fera pas mal au bide, je n’en retire rien de très précis, si ce n’est de vagues effluves new age. Il y a quelques jours, quand j’apprenais que Lay’s a retiré de ses chips vendues en France l’huile de palme mais pas ailleurs, ça m’a rappelé qu’au Japon, Activia s’appelle encore Bio (espérons que les Japonais n’essaient pas de comprendre). Vous vous doutez bien qu’Activia n’est pas l’as du bio, mais comme son nom l’indique, il est actif. Il booste les défenses immunitaires, paraît-il : mais ça, c’était avant ! Avant le retrait de la pub Activia et Actimel pour publicité mensongère. Les probiotiques miraculeux que contiennent ces laitages, en revanche, n’ont pas fait leur valise. Or, une association qu’on peut difficilement taxer d’uluberlu, l’Association Santé Environnement France, relayait en 2013 une étude associant ces probiotiques avec le développement de l’obésité, menée en 2009, à partir du constat que les mêmes probiotiques sont utilisés massivement par les élevages industriels pour stimuler la croissance des porcs et des poulets. Danone s’est défendue en alléguant des erreurs méthodologiques (surdosage des probiotiques, qui n’auraient rien à voir avec les souches brevetées, extrapolation des résultats sur les poulets aux hommes), sans pour autant étayer le bénéfice santé de leurs probiotiques maison. Heureusement, ils choyent leurs éleveurs chez Danone, avec les résultats qu’on connaît : faillite de l’industrie laitière, standards téléphoniques de prévention du suicide inondés d’appels…

Je ne sais pas s’ils ont lu La Fontaine, mais “Maître Coq”, c’est pas loin d’être aussi con que “Père Dodu”. Avec le Poulet de ma Campagne de Maître Coq, même si le balcon donne sur le périph, on sait qu’on va se régaler, et qui plus est, accomplir un acte patriote : on n’aura pas manqué le label Bleu-blanc-coeur, parce que le rouge rappelons-le, c’est violent, qui signale un apport en oméga 3 naturels, qui en gros signifie qu’on file au poulet du lin quand il en a marre de grailler du soja.

Ce poulet, présume-t-on, ayant grandi dans ma campagne, a eu la joie de grandir dans une ferme bucolique, “au grand air”, furetant dans les herbes, les fleurs et les graminées, avant de tirer sa révérence après cinquante et quelques jours d’une vie bien remplie. Sauf qu’il n’y a pas écrit “plein air”, “label rouge” ou “biologique” sur l’emballage : quel dommage, ça veut probablement dire que ce poulet de nos campagnes a grandi tassé dans une cage avec des dizaines de congénères, elle même tassée entre d’autres cages au milieu d’un hangar probablement assez sinistre – c’est pas trop le genre d’endroit où l’on se promène quand “on se met au vert”. Au moins, c’est un poulet qui mangeait équilibré. Oui, mais l’argumentaire focalisé sur les bienfaits pour l’homme illustre bien une tendance à marchandiser à l’extrême ce qui n’est plus qu’un moyen au service d’une fin d’ailleurs assez vague, la santé du consommateur. Qu’on soit végétarien, -lien ou pas, c’est tout de même un peu fort de café et au bas mot attrape-couillons.

Pendant ce temps qu’on interdit les sacs plastiques à usage unique, les parents malins continuent à acheter pour le goûter de leurs mioches ce raffinement civilisationnel extrême qu’est la compote en gourde. Ça ne coule pas, ça ne se perce pas, ça se garde dans une poche de manteau, de cartable, bref, c’est l’idéal. À ceci près que, comme le montrait une émission de Capital en février 2015, les quelques 600 millions de gourdes de compotes qui sont achetées chaque année en France sont constituées de plusieurs types de plastiques et d’aluminium, et ne peuvent être recyclées, à moins de se rendre -encore faudrait-il qu’ils en parlent dans leurs pubs- dans un des 614 points de collecte disséminés sur le territoire français. En attendant, un dernier arrêt sur image : pomme “nature”, ça n’est pas de la pomme + de la nature, ou de la pomme tout court. Au cours de sa brève et juteuse carrière, une pomme reçoit en moyenne plus de 35 traitements phytosanitaires dans sa carrière, en agriculture conventionnelle, et donc s’orne de mignons petits résidus mutagènes, reprotoxiques… Réfléchissons un instant : nombre de ces traitements chimiques visent à prévenir les dégâts de “nuisibles”, pucerons, vers de la pomme, insectes variés, qui autrefois étaient régulés par d’autres insectes ou oiseaux insectivores qui ont fait les frais, entre autres… de traitements phytosanitaires. Concrètement, les insecticides paralysant le système nerveux des insectes et les mésanges ne font, comme on peut l’imaginer pas bon ménage, or, la mésange bleue comme le Calypso de Bayer enrayent la propagation du ver de la pomme. L’agrochimie industrielle se mord la queue, et ça rapporte sur le dos du “consommateur” et de la “nature”. Eh oui, l’industrialisation des vergers, ça veut dire densification des pommiers mais aussi recours à des épandages massifs “systématiques”, parce qu’il est plus rapide, plus économique, donc plus rentable de pulvériser un traitement à large spectre comme le Calypso que de leur balancer du sucre, qui fait aussi la peau au ver, d’encourager le travail des coccinelles, etc.

Pour l’amour des Guarani, des coccinelles, des tripes à la florentine, de la flore intestinale et des bonnes choses de la nature, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

 Crédits photos : ©Mike Mozart, https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/legalcode