« Il faut rétablir la primauté de l’intérêt général » – Entretien avec Jean-Éric Schoettl

Conseiller d’État, Jean-Éric Schoettl a occupé de nombreuses fonctions au sein de l’administration française : directeur général du CSA de 1989 à 1992, il a ensuite été nommé directeur au secrétariat général du Gouvernement avant d’exercer la fonction de secrétaire général du Conseil constitutionnel de 1997 à 2007. Dans cet entretien, il analyse la transformation progressive de la République française fondée sur la primauté de la loi, la souveraineté nationale et l’intérêt général en une société libérale fondée sur les seuls droits individuels. Il plaide pour un rééquilibrage des priorités pour permettre à la France de faire primer les exigences du bien commun sur la coalition des desiderata individuels et des intérêts particuliers.


LVSL – Vous soutenez que l’État de droit tel qu’il a évolué depuis un demi-siècle se consacre essentiellement à préserver les droits et libertés, sans laisser une part importante aux exigences collectives. Est-ce que vous pouvez tracer les étapes qui ont jalonné la transformation d’une République fondée sur l’intérêt général en une société libérale centrée sur les droits individuels ?

Jean-Éric Schoettl – L’expansion des droits fondamentaux, et plus précisément des droits subjectifs, opposables par un particulier à une personne publique, caractérise l’évolution du droit, en France comme partout en Occident, depuis un demi-siècle.

La déferlante des droits fondamentaux trouve son origine ailleurs que dans le droit, mais elle a investi progressivement celui-ci. Sa source est dans la société, à la confluence de divers phénomènes. En premier lieu, elle tient au « vagabondage d’idées chrétiennes devenues folles » (Gilbert Keith Chesterton) et à l’épanchement d’un État-providence, assureur universel, devenu « État nounou » (Michel Schneider). Ensuite, on peut l’expliquer par le développement d’un individualisme exacerbé induit par les formes actuelles de la mondialisation et l’extension illimitée du domaine du marché d’une part, et le délitement du sens de la transmission, de la civilité, de la solidarité, de la discipline, de l’autorité et de la Nation, d’autre part. Enfin, il faut sans doute mentionner le rôle de la political correctness communautariste importée des campus américains et pointer un certain gauchisme découvrant dans le droits-de-l’hommisme un substitut aux luttes révolutionnaires de naguère.

Là où un droit est proclamé, le pouvoir politique et son bras administratif sont sommés d’exaucer. Ils ne peuvent plus arbitrer, ce qui est pourtant au cœur du politique et ce qui est le terrain d’élection de la recherche de l’intérêt général.

Le droit textuel et jurisprudentiel cautionne dans un second temps ce dévoiement de l’individualisme philosophique. Il devient, pour les militants de la transformation radicale de la société, le champ de bataille principal, alors qu’il n’était, pour leurs prédécesseurs marxistes, qu’une superstructure bourgeoise dont il fallait dénoncer les faux-semblants.

Selon leur nature, les droits fondamentaux contraignent diversement le législateur et l’administration. Les droits-libertés limitent toujours plus strictement les marges de manœuvre de l’État régalien, lorsque celui-ci entend faire prévaloir l’intérêt général ou sauvegarder l’ordre public. Les droits-créances assujettissent les pouvoirs publics en général et le législateur en particulier à une obligation de résultat, les transformant en simples courroies de transmission d’un logiciel qui dénie aux élus de la Nation, comme aux administrateurs, leurs prérogatives d’arbitrage.

Or là où un droit est proclamé, surtout si c’est un droit-créance, le pouvoir politique et son bras administratif sont sommés d’exaucer. Ils ne peuvent plus arbitrer, ce qui est pourtant au cœur du politique et ce qui est le terrain d’élection de la recherche de l’intérêt général.

LVSL – La République française est longtemps restée attachée aux principes qui l’ont fondée : les actes de souveraineté, par nature unilatéraux et arbitraires, la suprématie de la loi, des juges cantonnés au rôle de « bouche de la loi ». Le droit européen est construit sur un paradigme inverse, héritier de la tradition juridique allemande : la sanction juridictionnelle des droits et libertés et la régulation par le marché, le rôle central de la jurisprudence et du droit conventionnel, la place laissée aux principes découverts par le juge. Renouer avec l’intérêt général est-il possible dans ce cadre ?

J.-É. S. – C’est la grande question. Comme dirait Jean-Claude Michéa, l’addition d’une multitude de « C’est mon choix » ne dessinera jamais les contours du Bien commun. Une société sans valeurs ni disciplines collectives, une société reposant sur la seule autonomie de l’individu, retournerait tôt ou tard à l’état de nature décrit par Hobbes. La glorieuse apothéose de l’individu au sein de la démocratie occidentale moderne n’aurait été alors que l’antichambre d’une vertigineuse régression.

Pour remonter cette pente, il convient de rétablir la primauté de l’intérêt général. Rétablir la primauté de l’intérêt général, c’est reconnaître la noblesse du politique qui doit arbitrer entre besoins multiples et moyens limités, ce qu’ignore superbement l’intégrisme droits de l’hommiste.

Pour celui-ci, en effet, le politique, l’élu, l’administrateur ne sont que la courroie de transmission d’un catalogue de droits, dont le juge, actionné par les groupes militants, est l’unique protecteur, voire inventeur, légitime. Dans cette vision, chacun doit être complètement rempli de ses droits, y compris lorsque ses droits sont une créance sur la société et qu’honorer une telle créance devient matériellement impossible ou conduit à sacrifier une politique publique à une autre.

LVSL – La logique de l’intérêt général implique une subordination des désirs individuels au bien commun. L’épidémie du Covid-19 a montré tant la pertinence de ce principe que la réticence du Gouvernement à poser de tels actes unilatéraux. Dans ces conditions, sur quels principes supérieurs et transcendantaux peut-on fonder le retour à une République de l’intérêt général ?

J.-É. S. – Pour tenter de cerner ce que la notion d’intérêt général a d’incontournable pour les politiques publiques, on peut en effet partir, de façon peut-être un peu provocatrice, d’une méditation sur l’état d’urgence.

Nous avons connu en 2015 l’état d’urgence anti-terroriste ; nous connaissons aujourd’hui l’état d’urgence sanitaire. Pourquoi tant d’états d’urgence en si peu de temps ? Est-ce en raison de la récurrence de chocs exogènes qui ébranlent inopinément notre société ? De la répétition aléatoire de circonstances exceptionnelles ? Du retour du tragique dans l’Histoire contemporaine ? Cette réitération des états d’urgence révèle-t-elle une tentation liberticide de la part des pouvoirs publics ?

Je proposerai une tout autre explication : l’état d’urgence a pour véritable objet de rétablir un équilibre, rompu par le droit ordinaire, entre intérêt général, d’une part, prérogatives individuelles et catégorielles, d’autre part. En effet, en raison de l’évolution à laquelle je faisais allusion il y a un instant, le droit contemporain intègre de moins en moins le souci de l’intérêt général.

L’ordre constitutionnel dont il se réclame ne comprendrait plus, au terme de cette évolution, que des droits, dont la communauté politique en général, l’État en particulier, devraient se borner à assurer la satisfaction et la conciliation. La majeure partie de la doctrine (en France comme ailleurs en Occident) ne veut plus voir que des droits fondamentaux dans les chartes fondamentales et n’admet de limitation des droits fondamentaux qu’au titre de leur harmonisation.

ll n’y a plus beaucoup de place, dans notre État de droit, pour des exigences collectives (susceptibles de prévaloir sur les prérogatives individuelles), telles que les intérêts supérieurs de la Nation, l’ordre public ou le bien des générations futures. Voilà pourquoi, lorsque la nécessité oblige à restaurer la primauté du commun, à faire prévaloir des disciplines collectives sur l’autonomie personnelle, on a besoin d’une légalité d’exception, et qui n’est d’exception que parce que la légalité ordinaire fait l’impasse sur le commun.

Je retournerai donc, pour ma part, le procès fait par la doxa droits-de-l’hommiste aux pouvoirs publics lorsque ceux-ci instaurent un état d’urgence ou lorsque, au sortir de l’état d’urgence, ils en pérennisent certains aspects : l’anomalie est-elle là où ils la dénoncent ? Ou n’est-elle pas plutôt dans le fait que le droit contemporain, comme plus généralement les politiques publiques contemporaines (à l’exception peut-être, et encore, des politiques environnementales), ont mis en sourdine l’intérêt général ?

La démocratie ne peut être réduite à la promotion des droits. Lorsque je dis cela, lorsque je m’inquiète du droits-de-l’hommisme hégémonique, c’est-à-dire de la réduction de la démocratie aux droits, je ne remets en cause ni les droits fondamentaux, ni les libertés publiques, ni la nécessité de mettre fin aux injustices que tel ou tel groupe a pu subir dans le passé.

Notre société ne peut non plus renoncer à assurer le respect de ses valeurs, de son ordre public symbolique, car le besoin d’un surplomb commun, d’une forme de transcendance, survit à la sécularisation du politique.

Je ne chante pas les mérites de l’État autoritaire (même si je déplore la perte d’autorité de l’État, surtout en cette ère d’ensauvagement de la société). Je dis seulement que, tout en mettant un point d’honneur à respecter les droits et libertés, notre système juridique ne doit ni les laisser confisquer par les groupes de pression, ni tout leur sacrifier, notamment pas la solidarité, l’ordre public et la cohésion sociale.

Pensons aux vaccinations obligatoires, aux sujétions de la défense nationale (et demain, peut-être, du service national), aux servitudes d’urbanisme, à la sécurité routière, à l’ordre public économique et social, aux multiples sacrifices que supposerait une politique écologique ambitieuse pour nos libertés personnelles. Il faut bien construire les centres de traitement d’ordures ménagères, les établissements pénitentiaires et les hôpitaux psychiatriques quelque part (in someone’s backyard).

Paralysera-t-on demain le don d’organes, l’enseignement de la médecine et la recherche médicale, parce que, au nom de la liberté religieuse ou d’une conception subjective de la dignité de la personne humaine, on aura subordonné au consentement explicite de l’intéressé, donné de son vivant, l’utilisation de son corps après sa mort ?

Notre société ne peut non plus renoncer à assurer le respect de ses valeurs, de son ordre public symbolique, car le besoin d’un surplomb commun, d’une forme de transcendance, survit à la sécularisation du politique.

LVSL – Les cours de justice sont de plus en plus instrumentalisées par les intérêts privés qui prétendent se servir des juges pour satisfaire leurs intérêts catégoriels. Quelles ruptures faut-il consentir pour inverser cette dynamique ?

J.-É. S. – Les dispositions dans lesquelles le juge va chercher l’énoncé d’un droit font l’objet de formulations le plus souvent vagues, dont le juge est l’ultime exégète. Sa jurisprudence déterminera donc à la fois les implications véritables et la force contraignante de l’énoncé constitutionnel ou conventionnal en cause. Les intentions du constituant ou celles des négociateurs du traité ne feront plus entendre, à ce stade, qu’un écho lointain.

Il en résulte que c’est le juge, dûment actionné par les gardiens des colonnes du temple (autorités administratives indépendantes comme le Défenseur des droits, le CSA ou la CNIL, organismes européens ou onusiens, associations militantes dotées de la capacité de se porter partie civile, doctrine juridique acquise à l’expansion indéfinie des droits fondamentaux sous la protection active du juge), qui prescrira in fine le contenu des politiques publiques.

Qui plus est, le droit nouvellement proclamé entre tôt ou tard en conflit avec des droits concurrents ou avec l’intérêt général. Seul le juge saura dire (toujours trop tard pour que la sécurité juridique y trouve son compte) comment il convient de les concilier.

S’opère ainsi un déplacement du centre de gravité de la vie publique des deux premiers pouvoirs vers le troisième et vers d’autres, dépouillant les représentants directs de la souveraineté populaire (Gouvernement et Parlement) au bénéfice d’un pouvoir juridictionnel polycéphale (non moins de cinq cours suprêmes, dont trois nationales et deux européennes) et d’autres instances non élues, nationales ou supranationales, chargées de veiller à la suprématie des droits et au respect des traités.

Cette apothéose du juge est saluée par la nouvelle doxa juridique, avec des accents eschatologiques, comme l’accomplissement de l’état de droit. Le républicain y verra au contraire une régression : le retour des parlements d’ancien régime, contre lesquels la Révolution française s’est en partie faite.

Même les politiques régaliennes se voient « préformatées » par une jurisprudence poussant toujours plus loin le contrôle de proportionnalité et par un droit humanitaire toujours plus invasif, par exemple en matière d’immigration. La religion des droits fondamentaux et, plus généralement, ce que Marcel Gauchet a appelé l’« abouchement du droit des juristes et du droit des philosophes » ont fait émerger un juge démiurge, à l’image de la Cour suprême des USA, du Verfassungsgericht, des cours de Strasbourg et de Luxembourg et de leurs divers émules en Occident.

Ce juge démiurge, non content d’imposer la prépondérance des droits individuels sur l’intérêt général, en énonce de nouveaux en produisant à jet continu, par-dessus la tête du Représentant, un droit supra-législatif ineffable et arborescent, élaboré sans garde-fou à partir des formulations très générales qui abondent dans nos textes constitutionnels et conventionnels.

Cette apothéose du juge est saluée par la nouvelle doxa juridique, avec des accents eschatologiques, comme l’accomplissement de l’État de droit. Le républicain y verra au contraire une régression : le retour des parlements d’ancien régime, contre lesquels la Révolution française s’est en partie faite.

La souveraineté populaire, c’est la démocratie représentative avant la jurisprudence, l’élection avant le pouvoir juridictionnel. La recherche du bien commun par les représentants de la Nation, au travers du vote de la loi, est l’expression de la volonté générale. La règle commune ne peut résulter de l’exécution contrainte d’un catalogue de droits et principes pré-institués par des chartes et grossis sans contrepoids démocratique par la jurisprudence des cours.

La mission du juge est d’appliquer la loi. Il est aussi de l’interpréter, certes, mais sans la dénaturer, ni la compléter indûment. Le juge constitutionnel ou conventionnel ne devrait censurer que les dérapages manifestes du législateur dans l’exercice de la conciliation qui lui incombe entre droits et libertés (des uns et des autres) et intérêts généraux.

En France, Conseil d’État et Conseil constitutionnel ont d’abord résisté sur le terrain de l’intérêt général, de la conception universaliste de l’égalité des droits (notamment en matière de discriminations positives) ou pour mettre un frein à une conception illimitée de la liberté individuelle.

Mais la digue est rompue, y compris au Conseil d’État, par exemple avec une subjectivisation du droit des étrangers qui fait prévaloir sur toute autre considération les conséquences de l’application de la loi sur la situation personnelle de l’intéressé ; ou encore avec la technique de la neutralisation de la loi « dans les circonstances de l’espèce », sur la base de l’empathie du juge à l’égard d’une situation individuelle concrète, comme dans une affaire d’insémination post mortem jugée en mai 2016.

Des notions vagues comme le « respect de la vie privée et familiale » (convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme) ou « l’importance primordiale devant être accordée à l’intérêt supérieur de l’enfant » (convention de New York sur les droits de l’enfant) fondent, en France comme ailleurs, ce pouvoir juridictionnel (conventionnel, judiciaire ou administratif) impressionniste, désinvolte envers le législateur, plus souvent bienveillant pour le requérant que soucieux des enjeux collectifs.

Même empressement du côté du Conseil constitutionnel qui pourtant n’a pas à appliquer les traités et dont le contentieux normatif, même a posteriori (QPC), est objectif (voir sa jurisprudence ultra-restrictive sur les traitements de données personnelles ou l’intensité de son contrôle récent de proportionnalité en matière de procédure pénale et de police administrative).

Les deux ailes du Palais-Royal jouent  aujourd’hui les bons élèves de Luxembourg et de Strasbourg, rejoignant ainsi les juges judiciaires, depuis longtemps émules des cours supranationales. Tous les juges de France, de Navarre et de Lotharingie, communient désormais dans la suprématie des droits subjectifs. Ce ralliement trouve un moteur supplémentaire dans la griserie du juge à devenir le grand prêtre de la nouvelle religion, accueillant sous son aile les doléances des victimes du système et soumettant celui-ci à ses censures et injonctions, sous les applaudissements médiatiques.

L’intervention du juge, surtout si c’est un juge constitutionnel ou conventionnel, surtout si c’est une cour suprême, amplifie le phénomène en traduisant en exigences supra-législatives les pleurnicheries sociétales. Même les prudents du Palais-Royal ou du quai de l’Horloge y cèdent, sous la pression d’officines militantes (usant et abusant de leur capacité à se porter parties civiles), par concession à l’air du temps, de crainte d’être taxés de réactionnaires, pour jouer le jeu européen ou par panurgisme jurisprudentiel (puisque c’est à la seule aune de “l’audace” dans la défense des droits fondamentaux que les organes d’opinion jaugent les juges).

Du coup, le prétoire, plus encore que l’hémicycle, devient l’enjeu des groupes de pression et de leurs juristes (promus experts par les médias et par Bruxelles). Cercle vicieux car cet engouement pour le juge renforce l’hubris juridictionnelle et marginalise toujours plus les élus et gouvernants, réduits au rôle d’exécutants des arrêts ou à la fonction de souffre-douleur d’ailleurs consentants (masochisme attesté par la récurrence des lois de moralisation de la vie publique).

Comment rétablir l’équilibre entre contrôle juridictionnel et souveraineté populaire ? Je suis pour ma part partisan de la procédure dite du « dernier mot parlementaire », autrement dit du pouvoir donné au Parlement de faire prévaloir ses choix sur les arrêts des cours suprêmes, moyennant un vote de confirmation solennel acquis selon une majorité qualifiée.

Ainsi, la procédure pénale, la législation fiscale, les règles relatives aux traitements de données personnelles, la politique migratoire sont en grande partie dictées depuis une quarantaine d’années par la jurisprudence des cours suprêmes. De Gaulle aurait-il pu l’imaginer ? Dans tous les pays occidentaux, le pouvoir juridictionnel (ou para juridictionnel) décide désormais des politiques publiques sans en avoir ni la base légale, ni l’expertise, ni surtout la légitimité démocratique (qui – faut-il le rappeler ? – repose sur la responsabilité devant les électeurs).

Comment rétablir l’équilibre entre contrôle juridictionnel et souveraineté populaire ? Je suis pour ma part partisan de la procédure dite du « dernier mot parlementaire », autrement dit du pouvoir donné au Parlement de faire prévaloir ses choix sur les arrêts des cours suprêmes, moyennant un vote de confirmation solennel acquis selon une majorité qualifiée. Le « dernier mot parlementaire »permettrait au politique de reprendre la main en toute connaissance de cause, sans avoir (comme pour le droit d’asile en 1993) ni à convoquer le Congrès, ni à modifier la Constitution à chaque « lit de justice ».

Elle n’en paraîtra pas moins hérétique à tous ceux pour lesquels le respect des droits et libertés exclut que le politique – fût-ce à une majorité qualifiée – puisse priver d’effets une décision juridictionnelle.  Les lois de validation ne sont-elles pas déjà, selon eux, un affront à l’État de droit ? En acceptant que les élus puissent avoir le dernier mot sur le juge, même au terme d’une procédure exigeante, ne livrerait-on pas les droits fondamentaux aux pulsions illibérales et populistes ?

Le scandale leur paraîtrait plus grand encore si le Parlement pouvait faire fi du jugement d’une cour supranationale. Ne serait-ce pas là violer les traités que nous avons souscrits et créer une contradiction inexpiable entre droit interne et droit international ? Le « passer outre » envisagé ne heurterait-il pas de front nos engagements européens ? N’entrerait-il pas en contradiction, au sein de la Constitution, avec la règle du « Pacta sunt servanda » ainsi qu’avec les articles 55 (supériorité des traités) et 88-1 (primauté du droit de l’Union) ?

La règle du passer outre parlementaire (ou dernier mot) serait cependant un remède moins brutal, pour restaurer la souveraineté populaire, que le Frexit, ou que la dénonciation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ou que la suppression pure et simple du contrôle de constitutionnalité.

LVSL – L’histoire a montré que les principes de 1789 ne suffisent pas seuls à garantir que la décision démocratique rencontre les exigences de l’intérêt général. La captation de l’État par les intérêts particuliers est d’autant plus forte lorsque l’État est empêché par son auto-limitation croissante, d’une part et par l’obligation qui lui est faite d’assurer toutes sortes de catégories contre les risques qu’ils identifient, réalité évoquée par le Conseil d’État en 2018. Quels sont les mécanismes de gouvernance qui vous paraissent propre à favoriser la rencontre entre la prise de décision démocratique et les exigences de l’intérêt général ?

J.-É. S. – Les fondements historiques de l’intérêt général sont anciens et divers (pensons à Jean Bodin), mais on n’a pas assez insisté sur ses fondements républicains

L’intérêt général – ou plutôt, pour employer la langue si parlante de l’époque, le « bien commun » – était une préoccupation essentielle des hommes de 1789. Ainsi, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fait référence à des notions telles que le « bonheur de tous » ou « l’utilité commune ». La Déclaration proclame donc non seulement l’émancipation de la personne, mais encore la nécessité d’œuvrer au bien commun pour mener à bien cette émancipation. Ce n’est pas le manifeste d’individualisme bourgeois triomphant que nous a longtemps dépeint une certaine vulgate marxiste.

En témoignent ces passages de la Déclaration que je relis toujours avec émotion :

  • Son Préambule : « afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous»,
  • Ou son article 1er : « …les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » ;
  • Ou encore son article 12 : « la garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force commune : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée».

Les mécanismes représentatifs ont cependant révélé des défaillances dans l’identification de l’intérêt général. Pour les hommes de 1789, la loi tend spontanément à la réalisation du bien public, car elle exprime la volonté générale. Cette tradition légicentriste fonde la souveraineté sur le suffrage. Les tragédies du siècle dernier devaient toutefois montrer que la démocratie exige plus que le suffrage universel : la majorité peut s’abuser ou être abusée.

Déjà, dans la conception classique de la souveraineté nationale, la volonté générale ne se réduisait pas à la sommation des opinions et des intérêts particuliers. Jean-Jacques Rousseau l’avait bien pressenti, pour qui : « Il y a bien souvent de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale : celle‑ci ne regarde qu’à l’intérêt commun, l’autre n’est qu’une somme de volontés particulières ».

En dehors même de telles circonstances, le principe majoritaire ne garantit qu’approximativement la prise en compte, dans la conduite des politiques publiques, des intérêts supérieurs de la collectivité et ce, pour diverses raisons. Les mécanismes démocratiques de prise de décision font souvent plus grand cas d’un intérêt catégoriel actuel, organisé et bruyant que d’un intérêt plus ample et plus éminent, mais aussi plus diffus. Autrement, ces mécanismes arbitrent avec difficulté lorsque la problématique devient complexe.

En outre, le mode de décision démocratique fait plus grand cas des intentions que des conséquences indirectes ou des effets pervers des politiques suivies. La griserie de l’annonce supplante souvent les contraintes austères de la prévision. Surtout, ces mécanismes se révèlent volontiers indifférents aux intérêts des générations futures. L’expérience montre en effet, hélas, que beaucoup de consensus présents se réalisent aux dépens de nos descendants.

Déjà, dans la conception classique de la souveraineté nationale, la volonté générale ne se réduisait pas à la sommation des opinions et des intérêts particuliers. Jean-Jacques Rousseau l’avait bien pressenti, pour qui : « Il y a bien souvent de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale : celle‑ci ne regarde qu’à l’intérêt commun, l’autre n’est qu’une somme de volontés particulières ».

C’est encore plus vrai aujourd’hui, car la politique doit s’atteler aux problèmes ardus posés par la gestion de la société contemporaine, qu’il s’agisse de ses dimensions classiques (formation, santé, sécurité, aménagement du territoire, défense et relations internationales…), ou de préoccupations plus actuelles telles que l’environnement, les technologies de l’information, le développement durable, l’immigration, la lutte contre l’exclusion ou la bioéthique.

Ces préoccupations sont devenues si vives, et si relative la confiance accordée aux procédures de vote majoritaire classiques pour les prendre en compte que nous avons inscrit dans la Constitution elle-même une Charte de l’environnement. De même, nous envisageons de relayer la démocratie représentative par une démocratie participative fondée sur le référendum d’initiative populaire, ou sur le recours permanent à une « Agora électronique », ou encore sur des mécanismes d’implication directe de citoyens tirés au sort à la prise de décision publique, comme celui de la « Convention citoyenne Climat » expérimenté sous l’égide du CESE, mécanisme qu’un projet de loi organique prévoit de généraliser.

Mais la foi souvent naïve que beaucoup placent dans le dépassement de la démocratie représentative ne doit pas faire déraisonner. La raison est une notion constamment convoquée par les hommes de 1789, qui en font une sœur siamoise du « bien commun ». Intérêt général et raison sont en effet intimement liés pour les hommes de 89. Dès Condorcet, la pensée républicaine noue un lien étroit entre la raison d’une part, la liberté et la démocratie d’autre part.

L’autonomie de la personne, comme la participation à la vie publique, ne peuvent s’exercer à bon escient que si le libre arbitre du citoyen est éclairé par la raison, elle-même forgée dans le creuset de l’instruction. La raison doit non seulement éclairer le citoyen, mais guider le Représentant. Il s’en dégage un modèle de gouvernance fondé sur l’arbitrage réaliste entre ressources limitées et besoins infinis.

Cet arbitrage est soucieux de faisabilité et d’effectivité. Il se préoccupe des effets indirects, différés, collatéraux ou pervers des mesures prises. Il ne se contente pas de bonnes intentions. Il ne confond pas action et communication. Il pratique avec honnêteté l’évaluation des politiques publiques et les études d’impact. Il se défie des emballements émotionnels car il sait, avec Milan Kundera, que l’émotion, en évinçant le raisonnement, produit la tyrannie.

La recherche de l’intérêt général accorde plus d’importance aux résultats qu’aux intentions. Loin donc de s’écarter de l’éthique, la recherche de l’intérêt général se rattache à une éthique plus exigeante, qui est celle de la responsabilité. Cette dernière consiste non pas à se désintéresser des valeurs morales, mais à juger moralement une politique non au regard des intentions proclamées, mais en fonction des résultats raisonnablement escomptés (si on se place ex ante) ou des résultats objectivement obtenus (si on se place ex post).

Et comment ne pas évoquer à cet égard la figure tutélaire de Pierre Mendès France et sa République moderne ? Et comment ne pas parler, au travers de la figure de Pierre Mendès France, du courage en politique ? Courage et intérêt général vont en effet de pair. Est courageuse, au sens mendésien, une politique à la fois lucide dans la détermination de la meilleure conduite collective et entêtée dans la mise en œuvre de cette conduite.

Pierre Mazeaud, dans son discours de vœux de 2005 en qualité de président du Conseil constitutionnel, donnait quelques exemples de politiques courageuses et inspirées par l’intérêt général :

« L’intérêt général, en matière économique, c’est ne pas retarder l’adaptation des comportements par des artifices temporaires consistant à neutraliser, aux frais de la collectivité, le phénomène qui rend inéluctable une telle adaptation. L’intérêt général, en matière sociale, c’est ne vouloir un nouvel avantage ou une nouvelle prestation qu’en en assumant la contrepartie en termes de coûts, de bureaucratie ou d’effets secondaires.

L’intérêt général, en matière d’immigration, c’est mener de pair une intégration chaleureuse et volontariste des étrangers établis sur notre sol et une maîtrise effective du flux migratoire. Dans le domaine des libertés publiques, l’intérêt général consiste à concilier avec réalisme les droits potentiellement en conflit, sans oublier que la défense trop intransigeante d’un droit peut compromettre la protection des autres.

C’est compter le principe de réalité au nombre des grands principes et ne pas sacrifier la nécessité publique à une conception abstraite du droit. L’intérêt général, en matière de lutte contre la criminalité, c’est proportionner à la gravité des infractions non seulement les peines, mais encore les moyens de la justice et de la police.  L’intérêt général, en matière d’institutions, c’est de préférer leur pérennité à leur adaptation à l’air du temps, au demeurant souvent illusoire…

L’intérêt général commande aux responsables des affaires nationales (et à ceux qui aspirent à les remplacer) de se consacrer aux problèmes de fond affectant la vie de nos concitoyens et, demain, celle de leurs enfants, plutôt qu’à désorienter le public et à disperser l’énergie de la classe politique en remettant inconsidérément en cause un équilibre institutionnel dont le fonctionnement se compare plus qu’honorablement à celui des précédentes Républiques…. »

La question du devenir de l’intérêt général, dans la conception et l’exécution de nos politiques publiques,est profondément liée à celle du respect du principe de réalité.

De façon générale, la recherche raisonnée du bien commun privilégie l’efficacité sur toute autre considération, même parée des atours de l’idéal ou inspirée par les roueries de l’habileté politique. Seuls valent les remèdes réels, y compris lorsqu’ils sont difficiles à exposer ou à mettre en œuvre. Les remèdes virtuels ou les demi-mesures n’apportent qu’une consolation éphémère. Sur le moment, ils permettent au responsable public de prendre une posture avantageuse ou d’apaiser les appréhensions. Mais, à terme, lorsque se révèle l’inefficacité de ces médications en trompe l’œil, la crédibilité du politique subit une nouvelle érosion.

Ennemi des mesures fallacieuses, l’intérêt général ne l’est pas moins des projets utopiques. La recherche du bien commun consiste à concentrer les efforts sur le possible et à prendre clairement acte de ce qui échappe à la volonté politique.

Le contexte actuel nous donne moult exemples de ce dévoiement de l’intérêt général. La loi revêt souvent une fonction cathartique ou propitiatoire, d’où l’emploi de termes particuliers et peu précis. Elle poursuit parfois des buts inconciliables, en voulant satisfaire tout le monde et son père ; elle confie, pour ce faire, une mission impossible à des décrets d’application…dont il ne faut pas s’étonner, dès lors, qu’ils ne paraissent jamais ! Les lois se veulent radicales, mais, par exemple, celle sur le « droit au logement opposable » n’a pas fait construire un logement de plus.

Que dire de l’inversion de la règle selon laquelle le silence de l’administration vaut refus ? L’usine à gaz que constitue la réglementation déclinant cette règle ajoute les exceptions aux exceptions, produisant un maquis d’insécurité juridique. L’accessibilité généralisée des lieux publics aux personnes handicapées est une idée généreuse, mais son application doit être sans cesse reportée… L’idée du bonus-malus énergétique a présenté aussi de redoutables difficultés d’application.

Ennemi des mesures fallacieuses, l’intérêt général ne l’est pas moins des projets utopiques. La recherche du bien commun consiste à concentrer les efforts sur le possible et à prendre clairement acte de ce qui échappe à la volonté politique.

Nous en avons une nouvelle illustration, dans la période actuelle : l’intérêt général commande, plutôt que de rêvasser à un monde d’après, de réparer et d’amender le monde d’avant pour résister aux chocs futurs.  La crise sanitaire a moins remis en cause le monde d’avant qu’elle n’a renforcé certaines évolutions déjà à l’œuvre avant l’arrivée du virus (restauration de ce qu’il faut de frontière pour limiter les dégâts de la mondialisation ; modèle de développement plus respectueux de l’environnement et maîtrisant ses effets collatéraux négatifs ; État protecteur, dans sa dimension sociale comme dans sa dimension régalienne).

La restauration de la volonté politique n’est pas l’interventionnisme brouillon. A cet égard, je crains une relance se déclinant en trop de plans sectoriels et se donnant trop d’objectifs pour être pilotable… 

LVSL – L’épidémie de Covid-19 a révélé l’extrême fragilité de la société française : inexistence d’une base industrielle propre à assurer notre autonomie stratégique, absence de structures de planification et de prospective à même de permettre à l’État de réagir aux chocs exogènes et dépendance à l’égard de l’étranger pour des produits essentiels. Sur quels principes un gouvernement soucieux de l’intérêt général fonderait son action pour réarmer la France dans « le monde d’après » ?

J.-É. S. – Après la fin de la guerre froide, nous avons cru que le Droit et le Marché suffisaient aux besoins des démocraties contemporaines. Nous découvrons aujourd’hui que la réponse aux crises répétitives qui,depuis une vingtaine d’années,assaillent notre sécurité, dans toutes les acceptions du terme « sécurité » (matérielle, sanitaire, économique, culturelle…), exige quelque chose de plus, qui relève de l’intérêt général, du courage politique, de la souveraineté, qui appelle l’intervention d’un État non pas interventionniste au sens tatillon du mot, mais agile et stratège.

Gouvernement, Parlement, élus locaux sont aujourd’hui trop contraints par des normes, des contre-pouvoirs, des procédures, des juridictions nationales et supranationales. Ils sont comme Gulliver ligoté par les Lilliputiens. Pour redonner à leur action la vigueur que la société attend d’eux, il faut dénouer ces liens et libérer la force des ambitions.

Le principal enseignement à tirer de la crise sanitaire est en effet le besoin d’État, mais d’un État plus anticipateur, plus souple et plus réactif. Nous avons observé le meilleur (dévouement, imagination facilitatrice), mais aussi le pire (bureaucratie, défections…) de la part tant des responsables que des agents publics. Comment redonner à l’État ce ressort et ce tonus que la société attend de lui, particulièrement en temps de crise, mais aussi dans ses relations habituelles avec les particuliers et les entreprises ? Comment réarticuler entre elles (et dans l’esprit des citoyens) les grandes dimensions de l’action de l’État (régalien, prestataire et gardien du long terme) ?

Plusieurs facteurs sont en jeu dans cette restauration. D’abord une vision. Il faut retrouver la foi dans la chose publique, renouer avec une transcendance républicaine. Je renvoie à cet égard à ce que j’ai dit plus haut. Nous ne pouvons non plus faire l’économie d’une transformation radicale de l’environnement institutionnel

Pour accomplir efficacement leurs missions et honorer le pacte qui les lie aux citoyens, les délégataires de la souveraineté populaire, Gouvernement, Parlement, élus locaux sont aujourd’hui trop contraints par des normes, des contre-pouvoirs, des procédures, des juridictions nationales et supranationales. Ils sont comme Gulliver ligoté par les Lilliputiens. Pour redonner à leur action la vigueur que la société attend d’eux, il faut dénouer ces liens et libérer la force des ambitions.

C’est un changement de paradigme tant il y aurait à faire (et à défaire) et tant cette idée de restaurer les marges de manœuvre du législateur, du Gouvernement, des ministres, des maires, des administrateurs, est contre-intuitive à une époque où il n’est question que de contre-pouvoirs, de démocratie participative et de procédures garantissant la moralisation de la vie publique, et où l’action publique est toujours soupçonnée, faute d’être surveillée, d’en faire trop contre les libertés, trop pour les privilèges et pas assez pour la satisfaction des droits.

Je vais donc faire un rêve régalien, en étant conscient que ce rêve est le cauchemar de tous ceux qui ont trouvé un intérêt matériel ou idéologique à ficeler Gulliver. Dans ce rêve, libérer Gulliver des liens qui l’enserrent impliquerait d’’œuvrer, y compris par la renégociation des traités, en faveur d’une Europe des coopérations plutôt que des institutions, d’une Europe des nations plutôt que fédérale et d’une Europe respectueuse des frontières nationales (Schengen ne doit plus être un carcan). Sans frontière, l’État est un ectoplasme. Pour la monnaie, hélas, c’est trop tard.

Un tel rêve supposerait de dénoncer ou renégocier nos engagements internationaux pour s’affranchir de tutelles juridictionnelles supranationales (CEDH, en partie CJUE) et recouvrer notre souveraineté en matière migratoire. Là encore, pas d’Etat sans frontière.

Il imposerait de mettre fin à la dyarchie entre le Président de la République et le Premier ministre en instaurant un régime parlementaire, avec un mode scrutin garantissant l’émergence d’une majorité. Il conviendrait d’inscrire dans la Constitution elle-même, pour l’élection des députés, le principe du scrutin majoritaire uninominal de circonscription : chaque député doit en effet représenter l’ensemble de la Nation et non pas seulement un parti (comme ce à quoi conduit la proportionnelle).

Il conviendrait de revoir, dans la Constitution, le partage entre la loi et le règlement dans un sens plus souple, conformément à l’esprit de 1958, de supprimer la QPC et de revoir les procédures de référé administratif dans un sens moins intrusif pour l’administration. Il faudrait également replacer la primauté de la loi au centre de notre édifice institutionnel (notamment avec un « dernier mot » parlementaire pour contrer le gouvernement des juges).

Il s’agirait de dépénaliser la vie publique (en mettant fin aux infractions non intentionnelles), afin notamment d’éviter que la tentation d’ouvrir un parapluie pénal ne produise des comportements prudentiels de type bureaucratique (évitement, segmentation des responsabilités etc) nuisant à la réactivité administrative. Cela nécessiterait de mettre fin à l’existence d’organes dont l’action s’est révélée concurrente et paralysante de celle des pouvoirs publics (Défenseur des droits, CNIL, Commission nationale consultative des droits de l’homme…).

Il serait également utile d’alléger drastiquement les obligations formelles de l’administration, notamment leurs obligations consultatives et de démanteler en grande partie le maquis de normes enserrant l’action tant des collectivités territoriales que de l’État lui-même et de l’ensemble des administrations publiques. Je suggérerais également d’assouplir la procédure budgétaire au-delà de ce qu’a fait la LOLF (pluriannualité, enveloppes globales et programmes globaux).

Les experts doivent être placés à leur juste place: éclairer, non co-décider. Il apparaît également nécessaire de déconcentrer l’action de l’État en laissant la bride sur le cou des responsables tant pour l’emploi des crédits (fongibilité) que pour l’organisation et le fonctionnement de leurs services et pour la gestion des ressources humaines et de mettre fin à la cogestion syndicale, en laissant à chaque responsable le soin de mettre en place les modes de consultation qu’il estime appropriées.

Les ministres devraient être nommés en petit nombre (mais assistés de secrétaires d’État techniques), ayant un profil les rendant aptes à se comporter comme les patrons de leur ministère et, sous réserve de la faisabilité des ambitions, à faire prévaloir la volonté politique sur les résistances de l’État profond.

Les pouvoirs d’arbitrage et de régulation des préfets devraient être renforcés et les administrations de mission transversales et les guichets administratifs territoriaux polyvalents devraient être développées. Un tel mouvement implique également d’assouplir les rapports entre État et particuliers dans le sens de la sécurité juridique (rescrit par exemple) et de permettre aux collectivités territoriales (plutôt que de leur donner plus d’attributions) d’exercer leurs compétences de façon plus libre, tout en renforçant leur autonomie fiscale et en assouplissant les règles de l’intercommunalité.

Il en découlerait la nécessité de développer, face aux problèmes et aux crises, sous la houlette du Premier ministre (au niveau national) et du préfet (au niveau local), le réflexe de coopération au sein des services de l’État, comme entre services de l’État, collectivités et acteurs privés (associations et entreprises). L’obligation de continuité des services publics devrait être inscrite dans le marbre constitutionnel. Un service national obligatoire devrait être créé.

Il conviendrait aussi de construire un système de santé publique associant hôpitaux publics et médecine libérale, avec des obligations de service public pour les personnels soignants libéraux et de prendre beaucoup plus en charge les élèves de l’enseignement public, en multipliant les internats et en y développant le civisme et le sentiment d’appartenance national.

Enfin, l’État doit assumer la part régalienne, unilatérale, de l’action publique.

Je propose aussi d’ouvrir la magistrature aux expériences extérieures en recrutant hors ENM des personnes expérimentées (et pas seulement des universitaires) dans une proportion sensiblement supérieure à l’actuelle ; de favoriser la mobilité des magistrats dans la fonction publique de l’État et dans la société civile ; de permettre à un CSM rénové et moins corporatiste, saisi par les chefs de juridiction ou par les justiciables au travers de filtres appropriés, de connaître des abus dans la manière de juger et notamment des atteintes au devoir d’impartialité.

Il faut rendre au garde des Sceaux, pourvu qu’elles soient écrites et versées au dossier du contradictoire, la possibilité de donner des instructions écrites au parquet dans les affaires individuelles. La frontière tracée depuis 2013 entre politique pénale générale (pour laquelle le ministre de la justice peut adresser des instructions aux procureurs de la république par voie de circulaire) et affaires individuelles (dans lesquelles il ne peut plus intervenir) est en effet trop ténue pour ne pas être artificielle. A terme, c’est la séparation du parquet et du siège qu’il faut envisager. D’ici là, rien ne doit être fait qui banalise le statut du parquet au sein de la magistrature. C’est au contraire dans une plus grande participation des officiers de police judiciaire à la mise en mouvement de l’action publique, autrement dit dans un rapprochement entre police judiciaire et parquet, qu’il faut chercher une riposte aux formes contemporaines de délinquance aujourd’hui non maîtrisées.

Enfin l’État doit assumer la part régalienne, unilatérale, de l’action publique et de restaurer l’autorité de l’État, les marges de manœuvre de la police administrative et la capacité d’action des forces de sécurité face à l’ensauvagement de certaines franges de la société.

Cette libération de l’action publique doit trouver sa contrepartie dans une beaucoup plus grande responsabilité ex post de chaque élément du système à l’égard de celui qui le contrôle (agent public à l’égard de sa hiérarchie, Gouvernement à l’égard du Parlement dont le pouvoir de contrôle doit être considérablement renforcé…). Cela vaut en particulier pour les agents publics : un statut protecteur certes, contrepartie de leurs obligations de disponibilité, mais une mobilité beaucoup plus grande et une possibilité beaucoup plus large qu’aujourd’hui de radiation en cas d’insuffisance, à l’initiative du responsable hiérarchique.

La restauration de l’État est aussi affaire de conscience individuelle, d’honneur professionnel, de capacités personnelles et de formation des agents publics. Là encore, la crise sanitaire en fournit l’illustration. Face à l’inconnu, et dans la crainte de voir leur responsabilité engagée, les responsables publics ont souvent été tentés d’ouvrir le parapluie : par exemple, en s’en tenant à la procédure orthodoxe de passation des marchés pour acquérir les masques dont le besoin était pourtant urgent ; ou en imposant aux écoles et aux branches professionnelles des règles de sécurité sanitaire trop vétilleuses pour ne pas nuire à la reprise effective de l’activité.

C’est essentiellement cette attitude prudentielle qui a pu faire parler de blocages bureaucratiques. Sa cause se trouve plus dans le manque d’agilité des esprits que dans la rigidité des structures, comme le montre la comparaison des comportements des différentes agences régionales de santé au printemps 2020. Les responsables (publics et privés) n’ont pas fait tous preuve, tant s’en faut, du même degré de disponibilité et d’imagination. Et ce qui est vrai des responsables l’est tout autant de la base : à côté de dévouements magnifiques, nous avons assisté à de lamentables démissions. Pour reprendre l’image de la guerre, le corporatisme a poussé à la désertion.

Nous touchons ici du doigt une dimension essentielle du redressement de l’action publique, qui est culturelle : l’intériorisation par chacun de l’intérêt général. Cette dimension me semble aussi importante que tout ce qui tient aux règles juridiques, à la gouvernance, à l’organisation et au fonctionnement de l’administration, aux mécanismes de prise de décision. Et, au travers de cette dimension culturelle, nous mesurons également l’éminence des questions de recrutement et de formation des agents publics.

LVSL – On peut également relever deux faits saillants s’imposant de manière croissante : la judiciarisation de la vie politique d’une part, ce risque pénal influant sur le comportement des responsables politiques et la multiplication des lois guidées par la dictature de l’émotionnel. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?

J.-É. S. – Au modèle ambitieux – mais rationnel, réaliste et responsable – de gestion des affaires publiques, que je qualifierais de mendésien, s’opposent la prépondérance des droits subjectifs et des principes abstraits, la judiciarisation de la vie publique, le règne de la sensiblerie et de la moraline, qui, depuis que nous sommes entrés dans « l’Empire du Bien » de Philippe Muray, c’est-à-dire depuis une cinquantaine d’années produisent une « démocratie contentieuse» (Jean Paul Pagès).

Cette conception libérale de l’action publique préformate nos politiques publiques en réduisant toujours davantage, dans des domaines majeurs de l’action publique, la marge de manœuvre des pouvoirs exécutif et législatif et siphonnent la souveraineté populaire en dépouillant toujours plus le Gouvernement, le Parlement et l’Administration au profit d’organes non élus, de groupes de pression et de juges, tant nationaux que supranationaux, érigés par la clameur médiatique en chaperons de l’État et en protagonistes principaux des percées démocratiques.

Raviver le feu sacré pour la chose publique n’est qu’accessoirement affaire de structures et de méthodes. Il s’agit principalement d’état d’esprit, de critères de recrutement et de contenu des enseignements. Mieux et plus ambitieusement servir son pays, avec loyauté à l’égard des élus et avec la préoccupation constante de l’efficacité dans la recherche de l’intérêt général : voilà ce qui importe.

Prétendre faire advenir un idéal sans en cerner les voies et moyens conduit à l’émergence de ces lois bavardes d’autant plus difficiles à appliquer par l’administration et par le juge qu’elles instituent des obligations de résultat floues, équivoques ou inaccessibles. Le résultat, c’est l’assujettissent de la souveraineté à un droit qui déborde et contraint la loi, et dont la source se trouve ailleurs que dans la loi : plus particulièrement dans la jurisprudence des cours suprêmes, nationales et supranationales.

LVSL – Depuis le Consulat jusqu’à la Vème République, la République a fondé sa recherche de l’intérêt général sur un État fort et des serviteurs de l’État pour imposer sa puissance. On observe une interpénétration croissante entre les intérêts privés et les serviteurs de l’État : pantouflage entre le privé et le public, rôle croissant des cabinets de conseil et des groupes d’intérêt dans la décision publique. Dans ce contexte, comment faut-il envisager la réforme de l’ENA et, plus largement, l’évolution de la formation des fonctionnaires ?

J.-É. S. – La vraie réforme de l’ENA et des autres écoles de recrutement de la fonction publique consisterait à restaurer, dans le cœur des fonctionnaires, la ferveur du service public, l’amour de l’intérêt général et le souci de la cohésion sociale. Cela ne se décrète pas bien sûr : j’ai donc conscience de poursuivre mon rêve.

Raviver le feu sacré pour la chose publique n’est qu’accessoirement affaire de structures et de méthodes. Il s’agit principalement d’état d’esprit, de critères de recrutement et de contenu des enseignements. Mieux et plus ambitieusement servir son pays, avec loyauté à l’égard des élus et avec la préoccupation constante de l’efficacité dans la recherche de l’intérêt général : voilà ce qui importe.

A l’ENA comme dans les autres écoles de la fonction publique, par contagion avec l’évolution du reste la société, un certain individualisme, un certain désamour pour la Nation, une certaine ringardisation de l’État, une fascination inédite à l’égard du libéralisme économique et sociétal, un attrait accentué pour le pantouflage, ont fait leur nid depuis une trentaine d’années. Le service de l’État devient une forme comme une autre de management.

Le feu sacré ne s’est pas éteint, mais il a décliné. Le raviver est l’enjeu essentiel de la réforme des écoles de recrutement de la fonction publique.

« C’est le retour d’une morale individualiste qui bouscule le sens de l’Assurance chômage » – Entretien avec Hadrien Clouet

Muriel Pénicaud, ancienne ministre du Travail (2017-2020).

Alors que la réforme de l’Assurance chômage devrait revenir au cœur des débats de la rentrée, plusieurs des mesures envisagées par le gouvernement ont été reportées à 2021. La période économique et sociale particulière faisant grandement intervenir le dispositif de chômage partiel en est la raison. Cependant, il s’agit bien là d’une des grandes réformes du quinquennat Macron : une réforme en débat entre syndicats – salariés et patronaux – et le gouvernement depuis plus d’un an maintenant. Les mesures envisagées constituent des enjeux décisifs pour l’avenir du pays. Si les transformations qu’elles mettent en jeu apparaissent complexes à comprendre, elles procèdent toujours de la même visée : l’individualisation de la condition de la personne et sa privatisation. Pour nous éclairer sur les dangers qui guettent sur le sens et sur l’équilibre de ce pilier fondamental du système social français, nous avons rencontré Hadrien Clouet, docteur en sociologie et post-doctorant à Science Po Paris. Il est aussi membre du conseil d’orientation scientifique du laboratoire d’idées Intérêt Général, engagement sur lequel nous l’avons également interrogé. Entretien réalisé par Nicolas Vrignaud et retranscrit par Sebastien Mazou et Maxime Coumes. 


Le Vent Se Lève – La réforme de l’assurance chômage du quinquennat Macron est très complexe à comprendre pour celles et ceux qui s’y intéressent peu ou bien celles et ceux qui n’ont pas suivi depuis plus d’un an maintenant les évolutions de ce projet de loi. À l’aune des nouvelles négociations entre le gouvernement et les forces syndicales, pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste ce projet porté par la majorité ? 

Hadrien Clouet – Cette réforme de l’assurance chômage est fondée sur deux arguments distincts. Le premier, exclusivement comptable, est illustré par les phrases choc de Muriel Pénicaud, déclarant qu’en l’absence d’économie, il deviendrait impossible d’indemniser les chômeurs dans la décennie à venir. Le second argument est celui de l’étatisation, qui consiste à faire monter la part de l’indemnisation des chômeurs par l’État, au détriment de la part d’indemnisation des chômeurs par la Sécurité sociale et son administration paritaire. Cela a d’ailleurs valu des critiques patronales à ce projet de réforme – et c’est assez inédit que dans le cadre d’une diminution des droits des chômeurs, les organisations patronales se montrent critiques.

La réforme annoncée l’année dernière touche en premier lieu l’indemnisation des personnes. On le sait, seule la moitié des chômeurs inscrits à Pôle emploi bénéficie d’une indemnisation. Or, cette proportion va encore être réduite, notamment par un nouveau calcul des droits. Celui-ci repose sur deux piliers : d’abord, pour ouvrir des droits à l’indemnisation, il ne faut plus avoir cotisé 4 mois mais 6 mois, et cette durée de 6 mois n’est plus recherchée dans les 28 derniers mois mais dans les 24 derniers mois. Il convient de travailler plus sur une séquence plus courte. Mener à bien ce type de réforme – qu’on appelle paramétrique puisqu’elle joue exclusivement sur les paramètres – vise à exclure dans le futur quelques centaines de milliers de personnes de l’Assurance chômage. Non pas forcément les gens déjà indemnisés, mais plutôt des gens qui auraient été éligibles à l’avenir.

Ensuite, la moitié des personnes inscrites à Pôle emploi, entre 2 et 3,5 millions selon l’année ou la saison, exercent une activité réduite. Elles ne peuvent pas vivre de leur emploi et demeurent indemnisées par Pôle emploi. Jusqu’à présent, lorsque ces personnes acceptaient un contrat ponctuel, leur durée d’allocations était prolongée d’autant. Or, la réforme gouvernementale prévoit qu’une telle prolongation n’ait lieu qu’après 6 mois. Une partie des précaires est exclue de l’Assurance chômage.

Voilà le premier volet de la réforme qui durcit les conditions d’accès et réduit la fraction des demandeurs d’emplois indemnisés. On ré-individualise donc les risques sociaux. Le risque de perte d’emploi est renvoyé à la responsabilité individuelle : quelques centaines de milliers de personnes ayant cotisé contre la promesse d’ouvrir une assurance sont expulsées de la prise en charge collective !

LVSL – L’un des autres grands volets de la réforme apparaît surtout financier…

H.C. – Tout à fait, le nœud de l’affaire est financier, dans le sens où l’Unedic (l’association en charge de gérer l’Assurance chômage) possède un montant limité à distribuer entre les demandeurs d’emplois. Ce montant vient des cotisations chômage recouvrées. Or contrairement aux déclarations de Muriel Pénicaud, les comptes de l’Unedic sont en voie de rétablissement depuis 2008, frôlant l’équilibre en 2019 [1]. La seule chose qui les plonge régulièrement dans le rouge est l’accord de gestion avec Pôle emploi. L’Unedic est contrainte de verser 10% des cotisations recueillies à Pôle emploi, pour financer les deux-tiers des frais de fonctionnement de ce dernier, soit 3,3 milliards d’euros en 2019 [2] – alors que cette dépense profite aussi, et tant mieux, à des individus qui ne sont pas chômeurs, mais naviguent sur le moteur de recherche de Pôle emploi par exemple.

Cette même année, le bilan comptable de l’Unedic affichait un manque de 2 milliards d’euros… après en avoir versé 3 à Pôle emploi. Cette mission est même accrue depuis janvier 2020, avec le transfert d’1% de cotisations supplémentaire à Pôle emploi, au titre de l’accompagnement dit « renforcé » des demandeurs d’emploi. Les chômeurs cotisent de plus en plus pour financer le service public d’emploi au détriment de la couverture de leurs risques sociaux. Le milliard d’excédent, entre les cotisations perçues et les allocations versées, représente l’équivalent d’une prime de Noël de 150 euros à tous les demandeurs d’emploi inscrits, ou l’extension de l’indemnisation à 70 000 personnes supplémentaires.

La contrainte financière connaît un second motif : le gel depuis des années des cotisations chômage. On peut s’interroger sur ce dernier point car on assiste à une dérégulation du marché de l’emploi depuis 30 ans. Elle ne s’est pas accompagnée d’une contrepartie, face au risque accru des salariés d’être recrutés en emploi précaire, instable ou à durée réduite. Le risque s’accroît, sans que les cotisations ne suivent – sinon, les grands employeurs auraient aussi été mis à contribution dans la lutte contre la précarité.

Le second volet de cette réforme est aussi important. Il repose sur la manière de décompter les indemnités elles-mêmes. Le calcul des allocations dépend d’un salaire journalier de référence (SJR), approximativement calculé à partir du salaire de l’année passée, qui sert de base pour calculer l’indemnisation mensuelle. C’est un système contributif : plus le salaire antérieur était haut, plus on a cotisé, plus le montant de allocations est en conséquence élevé. Jusqu’à présent, pour établir le SJR d’une personne, on multipliait le salaire perçu chaque jour de travail par le nombre de jours du mois. Cela permettait de protéger les personnes ayant des contrats courts ou émiettés. Or désormais, le gouvernement entend prendre le salaire mensuel pour base et diviser le salaire par le nombre de jours, y compris les jours sans salaire. Par exemple, une personne qui a travaillé 10 jours et perçu 500 euros pour ce travail a finalement touché 50 euros au quotidien.

Avant, pour calculer son allocation, on multipliait ces 50 euros par 30 (soit 1500), c’est-à-dire le nombre de jours du mois. Sa base d’indemnisation est donc de 1 500 euros, mais elle sera pénalisée par rapport aux autres en ayant une durée d’indemnisation courte, puisqu’elle n’a travaillé que 10 jours. Elle devra enchaîner beaucoup de contrats courts pour ouvrir des droits. Désormais on considère que cette même personne a gagné 500 euros dans le mois, que l’on divise par les 30 jours calendaires. A travail égal, on indemnisera cette personne sur la base d’un salaire de 500€ au lieu de 1500€. Le SJR de référence est divisé par trois vis-à-vis de la situation antérieure. On aboutit à une diminution drastique des allocations versées par un nouveau mode de calcul des droits.

« Aujourd’hui, nous avons une logique de redistribution inversée, car une partie des cotisations chômage servent à rembourser des créanciers privés et rémunérer des détenteurs de fonds de pension. »

LVSL – Cette évolution de la modalité de calcul des allocations est donc la seconde mesure après celle de la modification des conditions d’éligibilité dont Muriel Pénicaud a annoncé le report à 2021. Elle a enfin également annoncé le report de l’évolution de la dégressivité des indemnisations. Quels étaient ces objectifs sur ce point ?

H.C. – L’un des enjeux de cette réforme est aussi celui de baisser dans le temps les allocations pour certaines personnes dont on considère qu’elles touchent des allocations élevées, surtout les cadres. Cela constitue une rupture du principe contributif puisque jusqu’à présent, plus on cotise, plus on touche. Désormais l’indemnisation du chômage ne poursuit plus l’objectif de maintenir le niveau de vie des bénéficiaires, mais se rapproche d’une allocation caritative pour la recherche d’emploi, qui est censée dépendre des efforts de la personne. C’est le retour d’une morale individualiste qui bouscule le sens de l’assurance chômage.

L’autre problème est que cela peut amener les cadres à réclamer l’extension de leur traitement aux autres, pour ne pas être les seuls frappés par une diminution progressive de leur allocation. A l’inverse, s’ils ne peuvent pas se fier à l’assurance-chômage pour assurer leurs revenus en cas de perte d’emploi (et l’ensemble des charges ou traites incompressibles, liées à leur niveau de vie), cela peut aboutir à la constitution de fonds privés visant à se protéger soi-même plutôt que de contribuer au collectif. La situation souligne le lien étroit entre réforme de l’assurance chômage et réforme des retraites : elles ambitionnent de créer un marché autour de la protection des risques personnels.

L’assurance chômage est devenue un terrain d’investissement lucratif à double titre. D’abord, la logique de dé-protection sociale se traduit par un recours à la financiarisation pour ceux qui ont des hauts revenus et entendent se protéger contre les risques de l’existence – en solitaire si nécessaire. Ceux qui sont les plus sujets au risque ne bénéficient ainsi pas de la solidarité des plus riches en période de crise, car les plus riches sont peu inclus dans l’assurance-chômage (au-dessus de 13 000€ par an, on cesse de cotiser à l’assurance-chômage, tandis que l’allocation est plafonnée à 296€ brut par jour). En outre, les logiques d’endettement de l’Unedic elle-même redoublent la financiarisation.

Victime d’une politique des caisses vides qui a liquidé une partie des cotisations – facilitation du travail détaché, suppression des emplois aidés, gel des salaires… – , l’Unedic a tenté de trouver des fonds ailleurs pour continuer d’indemniser les chômeurs. Elle a entamé une politique d’entrée sur les marchés financiers, accumulant pas moins de 35 milliards d’euros de titres financiers depuis 2008. Un audit citoyen a bien décrit ce processus [3]. Aujourd’hui, nous avons une logique de redistribution inversée, car une partie des cotisations chômage servent à rembourser des créanciers privés et rémunérer des détenteurs de fonds de pension. L’Unedic paye actuellement 400 millions d’intérêts annuels. Tenez-vous bien, son directeur a dû concéder ne pas connaître l’identité des acheteurs [4] – peut-être des groupes dont la politique industrielle ou financière favorise les destructions d’emploi ?

LVSL – Toutes ces logiques sont reliées à des représentations de la situation des travailleurs en France. Vous soulignez d’ailleurs assez souvent ce que vous appelez un « mythe des emplois vacants ». En quoi cette projection faussée et l’idéologie au cœur de la réforme de l’assurance chômage sont-elles liées ?

H.C. – Il faut distinguer deux notions. Les emplois vacants sont un pourcentage d’emplois non occupés à un moment donné. La France est un pays d’Europe où il y a le moins d’emplois vacants : 1.4% contre 6% pour la République tchèque qui est le pays comptant le plus d’emplois vacants, ou encore 3% pour la Belgique. Cela traduit un mauvais dynamisme du marché de l’emploi, car le niveau de l’activité est fortement corrélé aux créations d’emplois.

Cette donnée est souvent confondue avec les emplois non pourvus, des offres mises sur le marché sans trouver preneur. C’est un indicateur problématique. Un emploi est mécaniquement non pourvu pendant un temps minimum, donc cela pose la question de savoir à quel moment on l’estime non-pourvu. De plus, la dérégulation du marché de l’emploi favorise la montée du « non-pourvoi », car lorsqu’on tente de recruter en urgence pour quelques jours, les durées de prospection sont forcément limitées. En outre, des doublons sont toujours imaginables : si Pôle emploi pourvoit un poste proposé aussi à l’agence d’intérim du coin, cette dernière pourra signaler un emploi non-pourvu. Dans son enquête auprès des employeurs, Pôle emploi évalue à environ 7% les établissements qui échouent à recruter, soit aux alentours de 200 000 embauches concernées [5]. Une pour trente inscrits à Pôle emploi…

De plus, les emplois non pourvus le sont très majoritairement malgré des candidatures ! A Pôle emploi, moins d’1% des offres hébergées ne suscite aucune candidature [6]. Parmi ce petit pourcentage, il faudrait distinguer ce qui relève de l’offre peu attractive, de l’offre indigne, de l’offre illégale, ou même des pratiques illégales (par exemple une annonce fictive visant uniquement à compiler un réservoir de CV).

Les données statistiques de l’Acoss précisent même qu’en France, chaque année, 28 millions d’offres d’emploi trouvent preneurs – essentiellement en CDD. Dit autrement, les offres non-pourvues plafonnent en-dessous d’1 % du total et se regroupent dans 7% des établissements, qui déclarent ne pas réussir à recruter.

Le chômage de masse ne résulte pas d’un manque de motivation ou d’une inadéquation entre la formation des chômeurs et les attentes patronales : il est le produit d’un problème arithmétique, à savoir un volume général d’emplois en circulation insuffisant. Notons d’ailleurs que la politique de l’offre interroge à cet égard, puisque depuis 1950, les entreprises privées marchandes n’ont créé que 3 millions d’emploi, tandis que le secteur public et non-marchand en générait 5 millions, soit les deux-tiers [7]. Les subventions aveugles aux secteurs capitalistes s’avèrent assez peu probantes.

« Le chômage partiel demeure une réponse comptable à une question de pouvoir. […] La question du pouvoir en entreprise demeure aujourd’hui écartée par les décideurs français. »

LVSL – Le gouvernement a aussi annoncé que la rémunération perçue par les travailleurs pendant cette période de chômage partiel ne sera pas prise en compte dans le calcul de l’allocation afin de ne pas diminuer son montant. Quels sont les enjeux de salaire autour du chômage partiel ?

H.C. – Les périodes dites de chômage partiel, appelées périodes d’activité partielle en langage administratif, sont incluses dans le calcul de la durée d’indemnisation chômage, tout en étant exclues du calcul du montant de l’allocation pour ne pas le diminuer. C’est une mesure sociale, qui évite de tirer vers le bas les allocations-chômage en les basant sur des salaires plus faibles. Rappelons ici que le chômage partiel est une mise à contribution des salariés, puisqu’il entraîne une diminution de 16% du salaire net.

Cette décote est généralement justifiée par la possibilité, pour le salarié, de compenser sa perte de revenu en trouvant un autre emploi provisoire ou une autre activité rémunérée, parfois non-déclarés ou informels. Or, la période de confinement a empêché cette compensation, d’autant plus que les foyers ont vu une augmentation de leurs frais courants, via les hausses de leurs consommations quotidiennes d’eau, de chauffage ou d’électricité.

Mais le chômage partiel demeure une réponse comptable à une question de pouvoir. Lorsque des entreprises rencontrent une crise conjoncturelle tous les six mois, la justification conjoncturelle devient compliquée à suivre et on peut se demander si elle n’a pas simplement un problème dans la nature de la stratégie et des décisions prises par les propriétaires ou les administrateurs. Le problème se pose à nouveau avec la crise sanitaire : on observe une distribution massive d’argent public pour mettre en place le chômage partiel, sans que les autorités administratives ne soient en capacité humaine et logistique d’opérer un quelconque contrôle des motifs, et sans s’appuyer réellement sur les acteurs qui connaissent l’entreprise à l’instar des syndicats. Ces derniers n’ont qu’un rôle consultatif en France, contrairement à leurs homologues allemands par exemple, dotés d’un droit de veto et d’un pouvoir important sur le programme détaillé de mise en place du chômage partiel [8] – ils surveillent l’usage de l’argent public. La question du pouvoir en entreprise demeure aujourd’hui écartée par les décideurs français.

LVSL – Pouvez-vous nous raconter la genèse de la création du laboratoire d’idée « L’Intérêt Général » au sein duquel vous menez une bataille culturelle ? Quelles sont les raisons qui ont poussé à sa création ?

H.C. – Intérêt Général (IG) est né il y a un peu plus d’un an, au cours d’échanges entre universitaires, experts publics ou privés, syndicalistes et hauts fonctionnaires. Nous convergions pour diagnostiquer la faillite irrémédiable de la social-démocratie et sa mue en libéralisme autoritaire. En même temps, il nous manquait un outil pour mener la bataille culturelle sur le terrain adverse, c’est-à-dire le champ de l’expertise. Aussi ambitionnons-nous de construire une maison commune, qui rassemble l’espace intellectuel d’une gauche radicale de gouvernement, antilibérale et émancipatrice. La création d’Intérêt Général se veut aussi une réponse aux laboratoires d’idées français qui pullulent, majoritairement libéraux ou conservateurs, appuyés sur de puissants réseaux financiers ou médiatiques. Plusieurs notes ont été rédigées et produites depuis la création d’Intérêt Général. La première cartographie les think-tanks français eux-mêmes, traduite ultérieurement un article dans Le Monde diplomatique. Une seconde note porte sur les traités européens, afin de souligner les défaillances en série de la zone euro et de l’Union européenne, tout en proposant un répertoire stratégique de ruptures avec les traités et en actualisant la doctrine du plan A – plan B (portée par de plus en plus d’acteurs à gauche). La troisième analyse la réforme des retraites Macron-Delevoye et propose une réforme alternative, garantissant un régime de répartition plus favorable, tant pour le privé que pour le public. En mars 2020, une note préalable aux élections municipales proposait une réflexion territoriale, sur l’association libre des communes comme alternative aux intercommunalités afin d’opérer la bifurcation écologique. Finalement, la dernière note éditée revient sur le service public à la française, en tire un bilan positif, décrit les tentatives libérales visant à les liquider et propose des principes de reconstruction, pour une République des Communs.

Cette variété de sujets est tributaire d’une méthode de travail originale, qui respecte la plus grande interdisciplinarité possible et inclut des personnes aux agendas déjà remplis à craquer. Chaque note est écrite collectivement par les volontaires et pilotée par deux rapporteurs ou rapportrices. Les versions successives de chaque note sont ensuite examinées et débattues en séance plénière, afin d’aboutir à une version consensuelle finale.

LVSL – Est-ce que l’idée de rechercher un consensus sur les différentes notes à produire traduit que tous les contributeurs ne se reconnaissent pas nécessairement sur les mêmes positions ? Et de fait, ne craignez-vous pas que les consensus que vous trouvez soient au final atones, sans prises véritables sur le réel ?

H.C. – Notre laboratoire d’idée est composite, avec des personnes de sensibilités différentes – qui ont pu voter pour des personnes et des listes différentes lors des précédentes élections. L’avantage de la structure « laboratoire d’idées » consiste à proposer plusieurs scénarios qui, s’ils ne sont pas contradictoires, offrent un dégradé politique. Mais la précision n’implique pas d’être atone : IG a pris des positions collectives fortes. Prenons l’exemple des propositions alternatives concernant l’Union européenne, par une note résumant les six scénarios de rupture qui ont été portés par des forces politiques européennes. La rupture avec les traités européens fait ainsi consensus au sein d’Intérêt Général, mais sa déclinaison pratique prend des itinéraires hétérogènes et graduels. En l’absence de consensus, les groupes de travail élargissent tout simplement les pistes. Le principal est que ce laboratoire d’idées déploie un travail collectif inédit en France, pour qu’un gouvernement favorable à ces orientations puisse être armé dès son premier jour.

« Nous ne nous situons donc pas sur les rapports de force partisans en France, mais appartenons à un front international soucieux de formuler des politiques publiques alternatives, aussi sérieuses que radicales. »

LVSL – Que répondez-vous à celles et ceux qui peuvent taxer Intérêt Général d’un laboratoire d’idée qui ne serait que le laboratoire de construction des idées de la France Insoumise, au regard des personnes qui ont été à l’initiative du projet et qui le composent ?

H.C. – Je leur dis que c’est faux et les invite à venir travailler avec nous. Ces attaques viennent de personnes qui n’ont peut-être pas intérêt à coopérer avec d’autres ? Bien sûr, certains initiateurs et initiatrices assument une proximité idéologique avec le mouvement, ce qui n’enlève rien au sérieux – le résultat de leur implication dans la présidentielle de 2017 parle plutôt en leur faveur – mais elle n’engage personne d’autre, aucun membre du laboratoire d’idées, et n’implique rien vis-à-vis des travaux passés ou à venir.

Il existe ainsi un véritable pluralisme d’idées au sein du laboratoire. Et puis lorsqu’on travaille sur une note, l’expression politique de chacune ou chacun est assez secondaire dans la rédaction de propositions consensuelles. Le pluralisme est surtout attesté par la composition de notre Conseil d’orientation scientifique, internationalisé, regroupant des personnalités reconnues comme Jean Ziegler, Jihen Chandoul ou encore Clara Capelli. Les femmes et les hommes qui ont accepté d’y siéger – j’ai cette chance – ont même diffusé une déclaration explicite d’indépendance vis-à-vis de toute organisation politique. Nous ne nous situons donc pas sur les rapports de force partisans en France, mais appartenons à un front international soucieux de formuler des politiques publiques alternatives, aussi sérieuses que radicales.

LVSL – Quels sont sur les projets de travail à venir d’Intérêt Général au regard du contexte politique et des échéances électorales à venir ?

H.C. – Nous préparons actuellement une note sur l’État employeur en dernier ressort. Nous étudions la manière dont on peut assurer un droit inconditionnel à l’emploi pour certaines populations. L’emploi n’est alors plus une marchandise mais un bien commun. Cette mesure est défendue dans le cadre du Green New Deal par Bernie Sanders, mais on la retrouve dans d’autres contextes, comme la garantie rurale en Inde qui garantit 100 jours d’emploi aux ménages ruraux, ou encore l’Argentine qui, en 2002, a mis en place un droit à l’emploi avec l’embauche par l’État de 20% de la population pour faire face à la crise. La campagne syndicale et environnementale « One Million Climate Jobs » a été lancée au Royaume-Uni, affirmant que la condition de la transition écologique passe par un recrutement des chômeurs pour faire des emplois à fortes valeurs ajoutés dans le secteur de l’écologie. Historiquement, la France a déjà expérimenté ce genre de mesure, avec par exemple la création des Ateliers nationaux en 1848, bien qu’aucune réflexion n’avait alors été menée sur l’utilité collective du travail.

Plusieurs autres notes sont en cours de réalisation à différents stades d’avancement. Elles porteront sur la sécurité publique, la démocratie dans l’emploi et le travail, l’éducation émancipatrice, la politique commerciale, l’héritage, le patrimoine ou encore le gouvernement des crises climatiques.

LVSL – Et au-delà de la publication de vos notes sur votre site et sur vos différentes présences sur les réseaux sociaux, comment comptez-vous promouvoir vos travaux ?

H.C. – La promotion repose sur différents canaux. Intérêt Général s’est lancé récemment dans des campagnes numériques, notamment lors du mouvement contre la réforme des retraites. La note sur les intercommunalités a pu trouver son lectorat, essentiellement des élus locaux, grâce au partage sur les réseaux, dans les groupes. Nos travaux sont maintenant diffusés par des envois presse, avec pour but de trouver un écho, comme cela a été le cas dans Marianne, Le Monde, Les Inrocks, L’Obs, Politis, Reporterre, et bien sûr, dès la publication de cette interview, Le Vent Se Lève !

Les membres du Conseil d’orientation scientifique sont par ailleurs les premiers à partager les notes, à les diffuser dans leurs réseaux, à faire exister et animer des canaux de diffusion et de discussions intellectuels. Pour chaque note, nous identifions également les acteurs ou les réseaux que nous jugeons pertinent, afin de leur adresser de manière directe nos travaux (associations, syndicats, organisations locales, ONG, universitaires etc.). Nous avons le souci d’occuper un espace qui ne concurrence jamais ces organisations, ni ne les dépossède de leurs actions ou travaux. Cela permet d’être très complémentaire, d’échanger et d’exister en toute intelligence.

LVSL – Et au regard de votre ambition d’influencer le champ politique, est-ce vous avez des retours de parti politique sur vos travaux ou bien est-ce que vous estimez que ceux-ci aient pu s’en s’inspirer plus implicitement ?

H.C. – Oui. Pour prendre l’exemple de la réforme des retraites, des amendements des groupes communistes, insoumis et socialistes étaient directement inspirés de notre note. Ce travail s’est avéré être complémentaire du travail parlementaire. De même, au niveau syndical, des unions locales ou des branches ont diffusé la note tout en s’en inspirant dans la définition de leurs positions générales, alors que des figures syndicales ou universitaires, comme Thomas Piketty, citaient explicitement la note dans leurs interventions. Nous retrouvons la même chose pour la note sur l’intercommunalité, les élus ou les mouvements qui ne sont pas majoritaires dans les conseils avaient un intérêt évident à utiliser notre réflexion pour s’armer et essayer de se défendre. D’ordinaire, par exemple aux élections communales, vous avez mille personnes dans le pays qui accomplissent le même travail chacune de leur côté, eh bien là, le travail était déjà fait. Notre but, en agglomérant des personnes fortes, diverses et radicales est d’effectuer un travail qui ne soit pas à refaire.

LVSL – Nous sommes encore loin des présidentielles, est-ce que la possibilité de proposer un ensemble de mesures programmatiques pour la France auprès des forces politiques est posée au sein d’Intérêt Général ?

H.C. – Un laboratoire d’idée n’a pas vocation à soutenir des forces partisanes aux élections. Toutes nos notes contribuent à échafauder un projet et bâtir patiemment une hégémonie culturelle, via des notes qui seront toujours publiques. Nous n’avons pas l’ambition de proposer un projet général, mais de mettre à disposition sur des thématiques qui nous paraissent fortes et mobilisatrices, nos travaux et nos propositions clef en main. Intérêt Général peut armer toutes les personnes soucieuses d’élaborer une alternative politique majoritaire, qui se reconnaissent dans un courant éco-socialiste ou progressiste.


[1] https://www.unedic.org/espace-presse/actualites/lassurance-chomage-proche-de-lequilibre-en-2019
[2] https://www.unedic.org/indemnisation/vos-questions-sur-indemnisation-assurance-chomage/quel-est-le-role-de-lunedic-par
[3] https://static.mediapart.fr/files/2018/04/30/audit-dette-assurance-chomage-2.pdf
[4] http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/cr-soc/14-15/c1415043.pdf
[5] https://statistiques.pole-emploi.org/bmo
[6] http://www.pole-emploi.org/statistiques-analyses/entreprises/offres-demploi-et-recrutement/offres-pourvues-et-abandons-de-r.html?type=article
[7] http://hussonet.free.fr/empubpriv.pdf
[8] https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2016-1-page-63.htm