Les séquelles de l’intervention de l’OTAN en Libye

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Les conséquences de l’interventionnisme de l’OTAN en Libye © Théo A. @theo_atm

En 2017, 60% de la population libyenne souffrait de malnutrition. 1,3 million de Libyens étaient en attente d’une aide humanitaire d’urgence, sur une population totale de 6,4 millions d’habitants. Cette situation catastrophique fait suite à l’intervention éclair de 2011 conduite par l’OTAN. L’organisation s’estimait investie d’une mission humanitaire : sauver le peuple libyen du massacre que lui promettait son dictateur et lui offrir un modèle démocratique, gage de stabilité, de liberté et de prospérité. Le régime de Kadhafi est bien tombé. Mais la situation est très éloignée des promesses attendues de l’intervention des Occidentaux : violences, famines, instabilité politique et progrès de l’islamisme. Les principaux médias français, qui avaient couvert avec attention les événements en 2011, sont depuis bien silencieux sur les séquelles de cette intervention militaire. Une intervention qu’ils soutenaient alors, à l’unisson de la classe politique de l’époque.


L’intervention « éclair » de 2011 par l’OTAN

En février 2011, en écho à la révolution tunisienne, un mouvement de protestation gagnait l’est de la Libye, en particulier la ville de Benghazi, dirigé contre le régime au pouvoir depuis 42 ans. Cette protestation fut immédiatement réprimée par les autorités. En réaction, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopta les résolutions 1970[1] et 1973[2], qui interdisaient tous les vols à destination de la Libye et mettaient en avant la « responsabilité de protéger » la population libyenne. Les États-membres furent appelés à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire respecter cette interdiction. En parallèle de l’intervention de l’OTAN fut lancée l’opération Odyssey Dawn, menée par une coalition internationale dirigée par les États-Unis. Le 30 mars 2011, l’agence de presse Reuters révélait que le président américain Barack Obama avait signé un ordre secret autorisant le soutien du gouvernement américain aux forces rebelles qui cherchaient à destituer Mouammar Kadhafi[3]. Cette autorisation demeure dans la ligne adoptée par l’OTAN dès les débuts du conflit : lancer des frappes aériennes sur les forces gouvernementales libyennes et équiper les rebelles. Barack Obama avait alors déclaré que ces frappes avaient pour objectif de forcer Mouammar Kadhafi à se retirer du pouvoir, par le biais de pressions constantes tant sur le plan militaire que sur d’autres plans. Il n’excluait pas l’éventualité de fournir des armes aux rebelles. Un agenda qui outrepassait largement les prérogatives de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, qui n’autorisait aucunement une intervention de changement de régime.

En avril 2011, le chef des forces rebelles, le général Abdel Fattah Younes[4], déclarait dans une interview à la chaîne d’information saoudienne Al Arabiya que les rebelles avaient reçu des armes de la part de pays non identifiés[5]. Cette affirmation fut corroborée par les déclarations du porte-parole du Conseil national de transition, Mustafa Gheriani, sans fournir plus d’informations. Cette nouvelle intervenait au moment où les forces de Kadhafi intensifiaient les attaques contre la ville de Misrata[6].

Après la prise de Tripoli par les forces de l’opposition le 22 août 2011, le secrétaire général réaffirma l’engagement de l’OTAN à protéger la population civile libyenne et de l’accompagner vers la construction d’une démocratie[7]. Peu de temps après, Syrte, dernier bastion du régime, tomba, et le colonel fut tué au cours d’un raid impitoyable. La mission prit donc fin le 31 octobre 2011, 222 jours après le début de l’opération.

Malgré l’embargo sur les armes, l’OTAN en avait fournit en très grande quantité aux groupes rebelles. L’organisation avait également envoyé des forces spéciales et un personnel de renseignement qui agissait auprès de ces groupes comme des formateurs.

Il aura fallu seulement sept mois pour destituer Mouammar Kadhafi et ses fidèles. En comparaison avec les guerres en Afghanistan et en Irak, cette intervention a été d’une rapidité redoutable et bien moins coûteuse pour l’organisation. Il fut d’ailleurs mis en exergue que ce modèle d’intervention, considéré comme un succès, serait réadopté par l’OTAN[8]. Les difficultés concernant la gestion de l’après-conflit n’ont pas tardé à apparaître. Malgré l’embargo sur les armes, l’OTAN en avait fourni en très grande quantité aux groupes rebelles. L’organisation avait également envoyé des forces spéciales et un personnel de renseignement qui agissait auprès de ces groupes comme des formateurs. Ce soutien avait dissuadé les rebelles de convenir d’un cessez-le-feu avec Kadhafi, et n’a pas été pour rien dans la guerre civile qui a éclaté après la chute du chef d’État libyen. Dans les faits, rien n’établit que l’OTAN ait été favorable à une négociation pacifique avec le président libyen. Pourtant, le 11 avril 2011, celui-ci avait accepté un cessez-le-feu. Sans appui de l’OTAN, les rebelles n’auraient pas tenu très longtemps face à l’armée de Kadhafi (probablement seulement quelques mois). Avant l’intervention de l’OTAN, Kadhafi avait repris la majorité des villes qui étaient tombées dans les mains de rebelles. Certains observateurs considèrent qu’il aurait pu facilement reprendre Benghazi en mars 2011[9]. En effet, au début de l’intervention, l’armée rebelle était désordonnée et dépourvue de formation.

Une catastrophe humanitaire

Le gouvernement d’accord national, reconnu internationalement et soutenu par les Nations Unies, s’est battu en 2016 pour s’imposer dans la capitale Tripoli, alors que deux autres autorités, l’une basée également à Tripoli et l’autre dans l’est libyen, continuaient de se disputer la légitimité, ainsi que le contrôle des ressources et des infrastructures. Les affrontements entre ces différentes autorités ainsi que les dizaines de milices perdurent, faisant des victimes civiles et exacerbant la crise humanitaire. Formé sous l’égide de l’ONU, le gouvernement de Fayez el-Sarraj ou « Gouvernement d’union nationale » (GNA), reconnu comme le gouvernement de la Libye depuis le 12 mars 2016 s’oppose encore aujourd’hui à l’armée nationale libyenne sous le commandement du général Khalifa Haftar et son Gouvernement de Tobrouk, à l’est du pays. Si le GNA est soutenu par les principaux États occidentaux, le gouvernement du général Haftar est lui appuyé par l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Arabie Saoudite et la Russie. Quant à la France, elle observe une position des plus ambiguës, en reconnaissant d’une part le GNA comme gouvernement légitime de la Libye, mais a pu fournir de l’aide à l’armée d’Haftar, notamment dans le cadre de la lutte anti-terroriste[10]. En 2019, après avoir mené des offensives dans le sud-ouest de la Libye, et notamment dans la région forte des extractions pétrolières, le général Haftar lance une offensive contre Tripoli à partir du 4 avril 2019. Les pertes civiles augmentent tous les jours, et les infrastructures de soin sont quasi-inexistantes dans la capitale. Détentions arbitraires, actes de torture, homicides illégaux, attaques aveugles, enlèvements semblent constituer le quotidien des civils en Libye[11].

Détentions arbitraires, actes de torture, homicides illégaux, attaques aveugles, enlèvements semblent constituer le quotidien des civils en Libye.

L’intervention de l’OTAN a précipité une dégradation de la stabilité de l’État en prolongeant dans un premier temps la guerre civile. Lorsque Kadhafi fut destitué, les rebelles n’ont pas déposé les armes, prétextant la nécessité de pouvoir se défendre. Ni l’ONU ni l’OTAN n’ont été en mesure de désarmer les milices qui s’étaient constituées au moment de l’intervention. Le risque que ces milices armées deviennent instables était totalement prévisible, mais a été ignoré. Le Conseil National de Transition en Libye a plusieurs fois tenté de démanteler ces groupes armés. Cependant, il a dans le même temps subventionné plusieurs milices, tentant ainsi de les placer sous le contrôle minimal des ministères de l’Intérieur et de la Défense. Ces ministères sont d’ailleurs eux-mêmes tombés entre les mains de politiques concurrents. Le résultat de cette instabilité gouvernementale n’aura été que le gonflement de ces milices armées.

L’un des aspects caractéristiques du régime de Kadhafi était son implication personnelle dans la gouvernance de la Libye ; le système politique qu’il avait institué était doté de rouages d’une grande complexité. La destitution de Kadhafi et la condamnation de la plupart des membres du gouvernement ont créé les conditions d’émergence d’un régime exempt d’une administration centrale forte ou de personnes formées à l’exercice du pouvoir, capables d’assurer un minimum de stabilité. Une mission des Nations Unies a été mise en place mais elle s’est avérée totalement insuffisante.

Le rapport d’Amnesty International sur la Libye pour l’année 2018 est accablant[12]. Les milices, les groupes armés et les forces de sécurité ont continué de commettre en toute impunité des crimes de droit international et des violations flagrantes des droits de l’homme, y compris des crimes de guerre. Les affrontements entre milices concurrentes ont entraîné une augmentation du nombre de victimes civiles. Des milliers de personnes ont été arrêtées indéfiniment sans aucune procédure judiciaire à la suite d’arrestation totalement arbitraires. Les milices, les groupes armés et les forces de sécurité affiliées au gouvernement d’accord national (GNA), de l’Ouest et l’Armée nationale libyenne (LNA) de l’Est ont continué de fonctionner hors de l’État de droit. Tripoli est encore dominée par les quatre grandes milices.

À ce jour, il n’existe toujours aucune issue à l’impasse politique, malgré les discrets appels internationaux en faveur d’élections soutenues par l’ONU convenus lors d’un sommet à Paris en mai 2018, en raison du déclenchement du conflit à Tripoli au mois d’août de cette même année.

L’externalisation du conflit : l’armement de groupes islamistes au Mali et en Syrie et les liens avec Daech

Le conflit libyen a connu des retentissements dans plusieurs pays du monde musulman sous la forme d’un effet domino. L’alliance de fait entre les rebelles de Benghazi et les Occidentaux leur a ouvert l’accès à un grand nombre d’armes ; très vite, la Libye s’est trouvée surarmée (la capacité d’armement du pays se trouvant près de dix fois supérieure à celle de la Somalie, de l’Afghanistan ou de l’Irak). La chute du régime a entraîné la prolifération d’armes dans le Sahel et notamment au Mali. La région est devenue encore plus dangereuse qu’auparavant, véritable zone grise qui échappe à tout contrôle étatique, aux mains de trafiquants, de rebelles et d’islamistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Le nord du Mali s’est embrasé en 2012, avec d’emblée des attaques du Mouvement national de libération de l’Azawad. Cet afflux d’armes est allé de pair avec la radicalisation des groupes armés islamistes dans le Sahel. Il n’y a pas eu d’efforts de la part de l’OTAN, après la chute de Kadhafi, pour désarmer les rebelles qui ont trouvé un accès à l’arsenal de l’ancien dictateur.

De même, dès 2011, nous avons pu assister à une militarisation du conflit syrien. On peut supposer que l’implication de la Libye a encouragé les Syriens à prendre les armes, et il est également possible que ces armes aient pu être transférées de la Libye jusqu’en Syrie.

En 2016, la coalition dirigée par les États-Unis contre l’État islamique est parvenue à reprendre des territoires dominés par Daech dans la région Syrte. L’État islamique n’a jamais véritablement été en mesure d’étendre son contrôle territorial au-delà de cette région, ayant été perçu par les locaux comme une force d’occupation étrangère, puisqu’un bon nombre de ses combattants venaient d’Irak, de Syrie, et d’autres pays d’Afrique du Nord. Par ailleurs les loyalistes de Kadhafi ne se sont pas ralliés à l’État islamique, ce qui, à titre d’exemple n’a pas été le cas en Irak où les baathistes s’étaient ralliés à Daech.

Il ne suffit manifestement pas de mettre en place un gouvernement et de laisser le pays se débattre dans ses problèmes économiques.

Cependant, sans stratégie politique claire pour guider les efforts post-Daech, ces victoires n’ont plus vraiment de sens. Il ne suffit manifestement pas de mettre en place un gouvernement et de laisser le pays se débattre dans ses problèmes économiques. La nouvelle administration de Trump a montré peu d’intérêt pour la région, de même pour l’Union européenne, qui faisait partie des nombreuses coalitions internationales en Libye. L’UE, par sa proximité géographique, ne peut plus ignorer les rivalités politiques que le basculement du pays aux mains d’un gouvernement islamiste pourrait engendrer. De plus, après les pertes subies à Syrte, nombre de combattants de l’État islamique sont partis dans les pays voisins : dans l’extrême sud du pays dans la région de Sebha, certains vers le Soudan et le sud-est de la Libye, d’autres vers Sabratha et la frontière tunisienne. Si la Tunisie et l’Algérie tentent de se mobiliser pour parer cette menace, ce n’est pas le cas de l’Égypte, du Tchad ou du Niger.

La victoire de la coalition à Syrte n’est en aucun cas synonyme de la fin du djihadisme en Libye. D’autres groupes préexistants tentent de tirer parti de la débâcle de l’État islamique, ce qui pourrait de nouveau mener à une insurrection. L’autre menace d’une mauvaise gestion de ce post-conflit serait l’affrontement entre les forces qui ont combattu l’État islamique à Syrte et celles qui ont combattu à Benghazi, où Daech avait émergé d’une guerre civile locale à la suite d’assassinats ciblés en 2013, avant de dégénérer avec le début de l’opération Dignity lancée par Haftar à la mi-mai 2014.

Quelles conséquences pour le modèle interventionniste de l’OTAN ?

Dans les années 1990, deux notions font une apparition remarquée dans le discours des dirigeants occidentaux : celle de « responsabilité de protéger » d’une part, visant à offrir une protection militaire à des populations victimes de tueries imminentes. Celle « d’intervention humanitaire » de l’autre, consistant en une guerre visant à provoquer un changement de régime. Dans le contexte des épurations ethniques que l’on observe au Rwanda ou en Yougoslavie, la « responsabilité de protéger » connaît un succès grandissant, jusqu’à ce qu’elle soit érigée par le droit international au rang d’obligation pour les États-membres de l’ONU. « L’intervention humanitaire », cependant, demeure une notion controversée ; elle remet en cause le principe d’égale souveraineté des nations, inscrite dans le marbre de la Charte de l’ONU.

Bien sûr, il n’est pas toujours aisé de distinguer ces deux notions. En 1999, alors que la Russie s’opposait à une intervention au Kosovo, plusieurs pays de l’OTAN ont pris la décision d’intervenir dans cette région, pour la première fois, sous couvert de protéger les populations en faisant fi des Nations Unies. Cette intervention fut justifiée par des motifs humanitaires ; elle ne régla en aucun cas les problèmes de cette région. Le 24 mars 1999, les avions de l’OTAN lançaient une campagne de bombardements contre la République fédérale de Yougoslavie, la Yougoslavie de Slobodan Milosevic, le Monténégro et la province autonome du Kosovo. L’objectif affiché était de faire cesser les exactions menées par les forces serbes contre la population anti-albanaise au nom de la lutte contre la guérilla et de prévenir des crimes plus massifs. La guerre dura 78 jours. La Serbie avait opposé une résistance largement sous-estimée par l’ONU, et les pertes civiles furent importantes. Quelques années plus tard, le motif humanitaire devait constituer une part importante de la rhétorique de George W. Bush pour justifier l’intervention militaire des États-Unis contre les régimes « tyranniques » d’Irak et d’Afghanistan.

Quelques semaines après l’intervention militaire et le décès de Kadhafi, les médias français confessaient discrètement une erreur : le nombre de Libyens victimes du pouvoir avait été, semble-t-il, vingt ou trente fois inférieur aux « 6000 morts » initialement annoncés…

Le paradigme n’avait guère changé en 2011, alors que Kadhafi réprimait les premiers soulèvements en Libye. Les médias occidentaux insistaient alors sur la mission humanitaire qui incombait à l’ONU et à l’OTAN ; il s’agissait pour la coalition internationale d’empêcher un dictateur de massacrer son peuple pour les uns, et d’instaurer une démocratie nouvelle en Libye pour les autres. Qui pouvait alors s’opposer à de telles résolutions pour le pays [13]? Très rapidement, les médias titraient le chiffre de 6000 morts[14], victimes de la répression de Kadhafi. La répétition en boucle de ce chiffre rendait monstrueuses les quelques voix dissonantes qui s’opposaient à une intervention visant à faire cesser ce bain de sang. Quelques semaines après l’intervention militaire et le décès de Kadhafi, les médias français confessaient discrètement une erreur : le nombre de Libyens victimes du pouvoir avait été, semble-t-il, vingt ou trente fois inférieur aux « 6000 morts » initialement annoncés…

Côté africain, cette intervention était loin de faire l’unanimité. Le 30 mars 2011, un article du Monde donnait voix à ces réfractaires : de nombreux intellectuels et dirigeants africains affirmaient ainsi leur solidarité au Guide. Mouammar Kadhafi exerçait un poids considérable en Afrique subsaharienne, notamment depuis les années 1990, en multipliant les investissements dans certains secteurs comme l’immobilier et l’hôtellerie. Il était considéré par certains mouvements panafricanistes comme une figure de proue pour son opposition – pourtant erratique – à l’Occident et pour son soutien – tout aussi irrégulier et conditionné à ses délires mégalomaniaques – aux mouvements anti-colonialistes africains[15]. Les opposants à l’intervention de l’OTAN mettaient également en avant les motivations économiques et géopolitiques que l’on pouvait entrevoir : la volonté d’ouvrir le marché pétrolier libyen aux investisseurs étrangers – le dictateur ayant racheté Mobile Oil, future Oil Libya, à l’américain Exxon Mobile. Côté français, les projets économiques et financiers de Kadhafi – notamment la création d’une nouvelle monnaie transnationale – apparaissaient comme autant de contestations à l’hégémonie régionale française, dont le Franc CFA est la pierre angulaire.

Aucun gouvernement n’a aujourd’hui véritablement de légitimité : si le GNA est reconnu sur le plan international, c’est loin d’être le cas sur le sol libyen. Les infrastructures de l’ancien régime de Kadhafi et les acquis sociaux ont volé en éclat, la menace islamiste pèse plus que jamais en Libye et les civils sont les premières victimes. Ces victimes même que l’OTAN se devait de « protéger » par cette intervention. Désastre sur tous les plans, l’intervention en Libye en 2011 impose une remise en question du paradigme interventionniste adopté dès la fin du XXème siècle.

 

Notes :

[1] La résolution 1970 du Conseil de Sécurité des Nations Unies impose des sanctions contre le régime de Mouammar Kadhafi en réponse à la répression du mouvement contestataire. Cette résolution imposa une série de sanctions contre le régime et des mesures allant d’un embargo total sur les armes, au gel des avoirs de la Libye, l’interdiction pour le président de quitter le pays, ainsi que cinq de ses enfants et certains membres de son gouvernement etc. Le Conseil de Sécurité a également saisi le Procureur de la Cour pénale internationale. La résolution 1970 fut adoptée à l’unanimité.

[2] La résolution 1973 du Conseil de Sécurité des Nations Unies instaura un régime d’exclusion aérienne dans le but de protéger les civils des attaques. Cette fois-ci, cinq pays sur dix s’abstinrent de voter (Allemagne, Brésil, Chili, Russie, Inde). Cette résolution était alors présentée par la France et le Royaume-Uni.

[3] HOSENBALL M., «Exclusive : Obama authorizes secret help for Libya rebels», Reuters, 30 mars 2011 https://www.reuters.com/article/us-libya-usa-order-idUSTRE72T6H220110330

[4] Abdel Fattah Younes était un militaire libyen et major-général des forces armées libyennes. Auparavant ministre de l’intérieur sous Kadhafi, il démissionna le 22 février 2011. Il est assassiné dans des conditions obscures le 28 juillet de cette même année.

[5] NORDLAND R.,«Libyan Rebels Say They’re Being Sent Weapons», New York Times, 16 avril 2011 https://www.nytimes.com/2011/04/17/world/africa/17libya.html

[6] Ville située à environ 200km de la capitale à l’est, c’est le théâtre des affrontements de la révolution de 2011.

[7] La résolution 2009 du Conseil de Sécurité de l’ONU lève une partie du gel des avoirs libyens ainsi que l’embargo sur les armes et créé une mission d’appui chargée d’aider le pays à rétablir l’ordre et la sécurité et de promouvoir l’État de droit. Établie pour une période initiale de trois mois, la Mission d’appui des Nations Unies en Libye a également pour mandat d’épauler et soutenir les efforts faits par la Libye et de lancer la rédaction d’une constitution et un processus électoral. Cette Mission doit également protéger et défendre les droits de l’homme, étendre l’autorité de l’État et prendre des mesures immédiates afin de relancer l’économie du pays.

[8] NATO and Libya https://www.nato.int/cps/eu/natohq/topics_71652.htm

[9]Maj. KEEPING A.M., « Failure in Libya : The consequences of the intervention », Canadian Forces College, 2017 https://www.cfc.forces.gc.ca/259/290/402/305/keeping.pdf?fbclid=IwAR3TYKbwcdvqtF8FO5fTWVs5YIbeEElKatxTXpCQi1vL7Mwbccig1J1fzaA

[10] BERROD Nicolas, « Libye : La France soutient-elle le maréchal Haftar ? », Le Parisien, 19 avril 2019 http://www.leparisien.fr/international/libye-la-france-soutient-elle-le-marechal-haftar-19-04-2019-8056539.php

[11]Amnesty International Report 2016/2017, Libya https://www.refworld.org/docid/58b033df4.html?fbclid=IwAR1xaqDD4yIHmRRgjH0uyk_uRTbJj-gtzekH0VWl23YZfQskNI2r1T-c1ZE

[12] Amnesty International, Libya 2017/2018 https://www.amnesty.org/en/countries/middle-east-and-north-africa/libya/report-libya/

[13]  Selon un sondage mené en France du 5 au 7 avril et publié par Le Monde, près de 63 % des Français sondés approuvaient les opérations de l’OTAN en Libye contre 40 % en Italie, 50 % en Grande-Bretagne et 55 % aux États-Unis. De 63 % à 76 % des sondés dans les quatre pays estimaient qu’il fallait renverser le Guide libyen. https://www.lemonde.fr/libye/article/2011/04/12/l-intervention-armee-en-libye-continue-de-beneficier-d-un-net-soutien-en-france_1506244_1496980.html

[14] « En Libye, 6000 morts et Kadhafi menace encore », L’Express, 2 mars 2011  https://www.lexpress.fr/actualite/monde/en-libye-6000-morts-et-kadhafi-menace-encore_968125.html

[15] « Pourquoi beaucoup d’Africains soutiennent Kadhafi », Outre-Terre, 2011/3 (n° 29), p. 123-133.

 

Le maréchal Haftar, l’ancien joker américain bientôt maître d’une Libye en cendres

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Depuis l’éclosion de la seconde guerre civile libyenne en 2014, le maréchal Haftar s’est imposé comme l’homme incontournable du pays. Il ne s’agit pas d’un personnage neuf dans le monde politique libyen. Ancien protégé des États-Unis qui comptaient sur lui pour renverser le régime de Muhammar Kadhafi, il est aujourd’hui porté par des forces géopolitiques multiples et contradictoires. Retour sur un personnage au passé trouble dont le rôle aujourd’hui est bien loin du sauveur providentiel qui lui est assigné.

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Un passé trouble

Khalifa Haftar naît le 7 novembre 1943 à Syrte. Il s’agit d’un membre de la tribu des Ferjani, dont le fief se situe dans la région de sa ville natale, et qui est également la région des Gaddhafa, la tribu de Kadhafi. En Libye, l’appartenance tribale est un élément constitutif de l’identité de l’individu et joue très profondément sur les ressentis et les comportements des Libyens. Ainsi, le fait que Kadhafi et Haftar soient issus de deux tribus qui sont implantées dans le même territoire a un impact profond sur les relations entre les deux hommes.

En 1963, Haftar fait la connaissance de Kadhafi au sein de l’armée royale libyenne (le régime en place est alors une monarchie). Très vite, le jeune militaire rejoint le colonel Kadhafi dans son entreprise de renversement de la monarchie : le 1er Septembre 1969, le roi Idris Ier est renversé et Muhammar Kadhafi prend la tête de l’État. Très vite, Haftar gravit les échelons du régime kadhafiste. Il s’illustre durant la guerre du Kippour (opposant Israël à l’Egypte du 6 au 24 Octobre 1973) à la tête d’un contingent de chars libyens. Quelques années plus tard, il est envoyé en Union Soviétique parfaire sa formation militaire.

Finalement, à l’aube des années 80, Haftar devient l’homme de confiance de Kadhafi. Il est le grand ordonnateur des expéditions militaires de Kadhafi au Tchad, alors que son régime maintient une présence dans la bande d’Aozou. Il s’agit d’une portion de territoire de 100km de long à la frontière libyenne revendiquée par le régime kadhafiste. En 1976, Kadhafi envahit la bande et l’annexe. L’armée libyenne y maintient une présence constante.

Cependant, les ambitions kadhafistes d’une hégémonie libyenne sur son flanc sud se heurte aux français, désireux de maintenir leur domination dans leur ancien espace colonial. La force libyenne est rapidement dépassée par les Tchadiens appuyés par les Français et les Américains, et Haftar est fait prisonnier à N’Djamena en Avril 1987. Prisonnier des tchadiens, Haftar renie son ancienne allégeance à Kadhafi, et organise une « force Haftar », appuyée par ses nouveaux alliés tchadiens et occidentaux, dans le but de renverser Kadhafi. En 1990, Haftar sera chassé du Tchad par un Idriss Déby désireux de ne pas trop froisser son puissant voisin du nord.

Haftar devient, à ce moment, l’un des opposants les plus importants à Kadhafi, et devient lié aux intérêts américains dans la région.

Haftar devient, à ce moment, l’un des opposants les plus importants à Kadhafi, et devient lié aux intérêts américains dans la région. Il est vite extradé aux États-Unis où il réside près de Langley, en Virginie, lieu du siège de la CIA. Il tente bien un coup d’État en 1993 qui avorte rapidement. À partir de là, Haftar n’est plus actif politiquement tandis que les américains le voient comme un joker de réserve prêt à être déployé dès que le moment sera venu.

Le retour d’Haftar

L’éclatement de la guerre civile en 2011 voit le « joker Haftar » revenir dans le jeu libyen avec la bénédiction des Américains. Très vite, il devient l’une des figures emblématiques de la rébellion au niveau militaire. Après la mort de Kadhafi le 20 octobre 2011, Haftar est à deux doigts de devenir chef d’État-major de l’armée, mais il est bloqué par les islamistes qui y voient les intérêts américains propulsés au plus haut sommet de l’armée. Désavoué par le conseil national de transition (CNT), Haftar se retire de toutes ses fonctions militaires, puis, retourne dans sa maison en Virginie. De 2011 à 2013, il reprend donc son rôle de « joker » au service des américains.

En 2014, Haftar revient dans le jeu politique libyen. Devant l’incapacité de l’État à unifier les groupes armés qui sont issus de la première guerre civile, Haftar se donne pour mission de réaliser cette tâche. Le but est clair : il s’agit de détruire les coalitions islamistes qui contrôlent des pans entiers du territoire libyen. L’objectif est de stopper l’élan d’Al Qaida.

Haftar, malgré l’évidence, a toujours nié une tentative de coup d’État, et subordonne ses actions à la nécessité de la lutte contre le terrorisme qu’il utilisera toujours comme un épouvantail afin de justifier toutes ses actions.

Pour arriver à ses fins, Haftar ne lésine devant aucun moyen, quitte à remettre en question la légalité étatique. Le 14 Février 2014, il annonce le gel provisoire des fonctions du gouvernement et de la constitution. Le 18 Mai, ses forces attaquent le parlement de Tripoli tout en menaçant d’une offensive contre les islamistes de Benghazi. Haftar, malgré l’évidence, a toujours nié une tentative de coup d’État, et subordonne ses actions à la nécessité de la lutte contre le terrorisme qu’il utilisera toujours comme un épouvantail afin de justifier toutes ses actions.

À l’été 2014, la situation libyenne a tout d’un chaos inextricable : le gouvernement national d’accord (GNA à Tripoli), et le gouvernement de l’est à Tobrouk s’affrontent pour la direction de la Libye. C’est le début de la seconde guerre civile libyenne. Le sud voit s’affronter des milices Touaregs et Toubous dans une guerre inconnue mais très sanglante, tandis que le groupe Ansar al Sharia lié à Al Qaida annonce la formation d’un émirat islamique en Cyrénaïque. Cette année voit également l’organisation État islamique (OEI) établir une tête de pont à Derna en Cyrénaïque (est du pays).

Dans cette tourmente, Haftar s’impose comme l’une des figures militaires majeures du pays. Son « armée nationale libyenne » (ANL) supporte le gouvernement de l’est à Tobrouk, qui le lui rend bien : il est promu maréchal en septembre 2016. En théorie, il n’est que le chef militaire de la branche armée du Parlement de Tobrouk, l’ANL. En pratique, il se comporte comme un véritable chef d’État, et devient l’interlocuteur principal des acteurs locaux et des puissances étrangères au niveau diplomatique.

La contribution d’Haftar à la lutte contre le terrorisme est réelle bien que limitée. Il a en effet pacifié la Cyrénaïque en libérant Benghazi de l’emprise des islamistes et des djihadistes. De même, la ville de Derna, bastion d’Al Qaida et berceau du djihadisme libyen, passe sous le contrôle de l’ANL après un siège long et difficile. De la même façon, l’irruption de l’armée d’Haftar à l’hiver dernier dans le grand sud libyen lui a permis de décapiter le commandement d’Al Qaida dans la région dont les membres ne se cachaient pas et étaient connus publiquement. Pour autant, ses succès face à Daesh sont bien plus limités. Si Haftar a vaincu des éléments de Daesh coalisés avec d’autres groupes islamistes à Benghazi, il n’est pas à l’origine de la chute du bastion de terroristes à Syrte en décembre 2016. Ce succès revient aux brigades de Misrata, qui soutiennent le gouvernement d’union nationale de Fayez El Sarraj à Tripoli à l’ouest. Les troupes d’Haftar sont incapables d’évincer Daesh du centre du pays où le groupe a trouvé refuge auprès des tribus locales. Elles se montrent incapables de repousser les raids incessants de l’EI en direction des champs pétroliers depuis 2016, et ne trouvent pas de solutions, aujourd’hui, à une insurrection qui prend de l’ampleur dans le sud du pays. Désormais, les troupes de l’EI n’hésitent pas a attaquer les troupes de l’ANL dans le grand sud libyen au sein de leurs bases.

L’armée nationale libyenne, un colosse au pied d’argile

La grande armée d’Haftar, l’armée nationale libyenne (ANL), qui parait si redoutable sur le papier, ne résiste pas au choc de la réalité. Cette milice qui a bien réussi se base autour d’une composante forte, qui est la tribu d’origine d’Haftar, les Ferjani. Ce sont eux qui trustent la plupart des grands postes au sein de l’ANL, et qui tiennent l’armée au nom d’Haftar. D’emblée, nous nous trouvons devant un premier paradoxe : Haftar n’est pas né dans cette Cyrénaïque qui est le bastion de l’ANL, et apparaît comme un étranger aux yeux de la population. Les acteurs libyens de l’est du pays tolèrent donc la présence d’Haftar, tout en lui reconnaissant sa qualité de héros face à la menace djihadiste. Néanmoins, pour être véritablement ancrée dans l’est du pays, l’ANL doit trouver des figures lcales. Abelsallam al-Hassi, général considéré comme le « bras droit » d’Haftar, en est un bon exemple. Né dans l’est du pays, al Hassi s’est fait connaitre des Occidentaux dès 2011 ou il a officié en tant qu’agent de liaison entre l’armée rebelle et l’OTAN dans le cadre des frappes aériennes de l’alliance sur les positions kadhafistes. Il apparaît comme le successeur plébiscité par les occidentaux comme par la grande majorité de l’ANL.

Pour autant, une telle succession laisserait de côté la tribu d’Haftar, les Ferjani. S’ils occupent aujourd’hui des postes à responsabilité et constituent la tête de l’ANL, l’arrivée d’al Hassi au pouvoir va amener les membres de sa tribu, les Hassa, à revendiquer des postes. Il est peu probable que les Ferjani laissent le pouvoir leur échapper des mains. Ils sont emmenés par les fils du maréchal qui sont officiers dans l’armée, conseillers, ou lobbyistes vers l’étranger, tous, au service du clan familial et de sa tribu. Le grand favori des intérêts de la tribu Ferjani est Aoun Ferjani, conseiller proche du vieux maréchal.

Le maréchal Haftar a 75 ans et sa santé est déclinante. En Avril 2018, il a été hospitalisé à Paris après un accident cardiaque assez grave où il serait tombé dans le coma. La succession est donc clairement une affaire pressante au sein de l’armée nationale libyenne, mais peut déboucher sur des événements catastrophiques.

  • Si le clan d’Haftar, les Ferjani, sécurise la succession, les tribus de l’est emmenées par Al Hassi vont être écartées de la direction de l’armée, et donc se rebeller.
  • Si les Hassa passent, ce seront les Ferjani qui seront dans cette position.

Ainsi, la succession, au mieux, débouchera sur un affaiblissement interne de l’ANL qui perdra une partie de ses soutiens. Au pire, cela peut déboucher sur une guerre interne qui fera exploser l’ANL entre les tribus de l’est et du centre du pays.

Ainsi, la succession, au mieux, débouchera sur un affaiblissement interne de l’ANL qui perdra une partie de ses soutiens. Au pire, cela peut déboucher sur une guerre interne qui fera exploser l’ANL entre les tribus de l’est et du centre du pays. Néanmoins, la solution la plus probable serait un compromis momentané, car aucune des deux parties n’a intérêt à faire exploser cette armée. En effet, les tribus du centre du pays autour de la région de Syrte sont encore exposées aux raids de Daesh en provenance du désert libyen. De même, les forces de l’est du pays n’auraient aucun allié pour s’opposer aux makhdalistes, secte salafiste qui prend une importance de plus en plus forte dans la société libyenne.

Qu’Haftar annonce combattre l’islamisme et le djihadisme et s’acoquine avec une secte salafiste pour garantir la paix dans les zones sous son contrôle n’est qu’un des nombreux paradoxes auxquels le conflit libyen nous a habitués.

De même, le maréchal Haftar, s’il est indéniablement populaire en Cyrénaïque, doit composer avec des forces politiques bien définies pour éviter que son règne ne se délite. Les makhdalistes sont un bon exemple. Il s’agit de salafistes qui se sont ralliés à Haftar dans sa guerre contre le djihadisme. Leur ralliement a payé : il s’agit de la seule force salafiste à être véritablement puissante dans la Libye d’Haftar. Les frères musulmans ont été chassés de Cyrénaïque pour trouver refuge à l’ouest dans le gouvernement de Tripoli, tandis qu’Al Qaida et Daesh ont été chassés vers le désert libyen et le sud du pays. Haftar passe donc un accord avec ces salafistes : en échange de la paix sociale, les salafistes ont carte blanche pour développer leur prosélytisme et influer sur le travail législatif. Par exemple, en 2017, une loi a interdit les femmes de moins de 60 ans de prendre l’avion seules. Dans les mosquées, la présence des salafistes est tellement importante que les autres courants de l’islam sont obligés de passer dans la clandestinité. Le soufisme, un courant de l’islam centré sur la mystique, et historiquement très présent en Libye, est ardemment combattu. Qu’Haftar annonce combattre l’islamisme et le djihadisme et s’acoquine avec une secte salafiste pour garantir la paix dans les zones sous son contrôle n’est qu’un des nombreux paradoxes auxquels le conflit libyen nous a habitués.

Nous sommes encore devant une autre ironie de l’histoire : que celui qui ai trahit son mentor et participé à son renversement apparaisse aujourd’hui, pour nombre de kadhafistes, comme son héritier politique.

De même, le maréchal Haftar compte dans ses rangs de nombreux kadhafistes. Les kadhafistes sont encore très nombreux dans le pays. Ils soutiennent un pouvoir fort sur le modèle de la Jamahiriya arabe libyenne de Kadhafi, c’est-à-dire une dictature autoritaire et un État capable de maintenir la cohésion tribale du pays tout en excluant les étrangers du jeu politique interne. Les kadhafistes associés à Haftar voient, aujourd’hui, le vieux maréchal comme l’homme le plus à même de remplir ces critères. Il arrive à maintenir la cohésion tribale à l’intérieur de l’armée, domestique temporairement ses éléments salafistes, et joue des rivalités entre les grandes puissances afin de garder une autonomie relative. Pour autant, les kadhafistes n’oublient pas la trahison d’Haftar à l’égard de Kadhafi à la fin des années 1980, ni sa participation militaire au renversement du guide libyen en 2011. Nous sommes encore devant une autre ironie de l’histoire : que celui qui ai trahit son mentor et participé à son renversement apparaisse aujourd’hui, pour nombre de kadhafistes, comme son héritier politique. L’autre grande figure des kadhafistes, le fils de l’ancien dictateur, Saif al islam Kadhafi, est traité comme un paria par la société internationale et a peu de chances de revenir sans s’attirer les foudres des occidentaux.

Enfin le maréchal Haftar, en dehors de son bastion de l’est, tient les régions qu’il contrôle grâce à l’argent du pétrole. Ainsi, le pétrole de Cyrénaïque sert à acheter les différentes tribus libyennes du centre, qui laissent les forces d’Haftar passer au travers de leurs territoires. Les tentatives de pénétration d’Haftar dans cet espace ne sont pas nouvelles, mais les tribus se sont révélées être des adversaires trop forts pour le maréchal. Le pétrole permet donc ce que la force lui refuse. Néanmoins, cela n’empêche pas certaines de ces tribus d’abriter les éléments de Daesh qui officient depuis ces mêmes zones.
Le pétrole du centre du pays ainsi sécurisé par les troupes d’Haftar sert à alimenter le second niveau des conquêtes du maréchal, c’est-à-dire le sud du pays. Haftar déboule donc dans un espace libyen déjà fragmenté. Les tribus, milices, et organisations locales sont, pour la plupart, ralliées au maréchal. La résistance à l’armée nationale libyenne est donc faible. Néanmoins, les forces d’Haftar n’occupent que les grands axes routiers. Les Toubous (une ethnie à cheval entre le Tchad et le Niger), à l’est, et les Touaregs, à l’ouest, continuent à jouir d’un espace libre. La conquête, même imparfaite, du sud, permet à Haftar de sécuriser des gisements pétroliers. Ce pétrole, à nouveau, sert à paver les prochaines conquêtes. Les milices qui sont sur la route entre le sud du pays et la Tripolitaine sont à nouveau achetées. L’ANL peut donc déboucher directement au sud de Tripoli sans opposition forte.

Un pouvoir fragile

Néanmoins, la force de l’ANL au niveau économique est à mettre en exergue avec sa faiblesse militaire. Haftar n’a pas réussi à battre totalement les Touaregs et les Toubous. Il ne peut pas empêcher les attaques de Daesh sur ses arrières, dont l’insurrection a pris un coup d’accélérateur dans le grand sud libyen. Enfin, débouchant sur Tripoli, il s’est englué dans une guerre de tranchées qui s’éternise avec le gouvernement de Tripoli. On remarque donc que, dans tous les engagements militaires d’envergure, l’armée nationale libyenne n’est pas le rouleau compresseur que l’on croit.

La dimension internationale du conflit est donc un autre facteur de cette guerre civile, qui doit déjà composer avec ce mille-feuille ethnique, religieux, tribal et politique.

Pour le maréchal Haftar, la situation est donc beaucoup plus fragile qu’il n’apparaît. Les acteurs qui le soutiennent aujourd’hui sont soit achetés, soit partenaires dans le cadre d’un accord, soit soumis faute de mieux. Ses partenaires étrangers (France, Egypte, Russie Arabie saoudite, émirats arabes unis) l’appuient sans réserve, et fournissent au maréchal ce dont il a besoin pour maintenir son armée à flot et parachever la conquête du pays. Si le GNA n’était pas appuyé par l’ONU, la Turquie, le Qatar, l’Italie, l’Algérie et la Tunisie, Haftar serait déjà le grand gagnant de la guerre. Les Etats-Unis maintiennent des contacts avec les deux entités, mais penchent davantage du côté d’Haftar. La dimension internationale du conflit est donc un autre facteur de cette guerre civile, qui doit déjà composer avec ce mille-feuille ethnique, religieux, tribal et politique.

Son pouvoir provient donc de la force théorique de son armée, et de sa manne pétrolière, dont les installations en Cyrénaïque sont protégées par des mercenaires tchétchènes. Néanmoins, son armée est tellement faible que des mercenaires soudanais et tchadiens participent aux combats.

Dans ce cadre-là, une confrontation statique entre l’ANL et le GNA est un scénario auquel Haftar est clairement perdant en Libye.

Dans ce cadre-là, une confrontation statique entre l’ANL et le GNA est un scénario auquel Haftar est clairement perdant en Libye. Si l’ANL venait à essuyer une défaite, l’armée perdrait son prestige auprès d’acteurs qui n’auraient aucun intérêt à poursuivre une politique de connivence. Daesh a très vite compris les implications politiques de la guerre statique qui se poursuit au sud de Tripoli, en se posant comme le héraut de l’insurrection dans le grand sud libyen. Une poursuite du statu quo va donc probablement voir le grand sud libyen se détacher de l’ANL et retourner à son niveau antérieur : un espace partagé entre les Touaregs, les Toubous, les tribus, les milices, et – fait nouveau -Daesh.

Il y a donc de grandes chances qu’une poursuite des combats sans gagnants fasse perdre à Haftar la majorité des conquêtes qu’il a réalisées depuis l’hiver dernier, et le renvoie dans son bastion de l’est. Le gouvernement de Tripoli et lui-même le savent, ce qui résulte de combats particulièrement durs sur la ligne du front, avec utilisation de blindés, de l’aviation et de l’artillerie. Dans ce maelstrom, les civils et les migrants sont particulièrement touchés.

Même si Haftar prend Tripoli et devient le dirigeant d’un pays en cendres, la stabilité du pays est loin d’être acquise.

Même si Haftar prend Tripoli et devient le dirigeant d’un pays en cendres, la stabilité du pays est loin d’être acquise. Le maréchal est vieux, et les possibilités d’une guerre interne à l’ANL en cas de décès sont réelles. De même, la question du son rôle politique face aux institutions démocratiques se pose particulièrement. Enfin, l’accaparement des ressources du pays par les occidentaux est un secret de polichinelle, et il apparaît clairement que la Libye d’Haftar verra l’Occident mettre la main sur le pétrole libyen. Enfin, la force de la secte makhdaliste est difficile à contenir et peut devenir hors de contrôle. Bien sûr, dans le grand sud, Haftar n’a pas, et n’aura pas les moyens de faire de cette région autre chose qu’un pays d’occupation. Dans cette optique, Daesh continuera à se développer en l’absence d’État et de futurs pour les habitants de cette région.

Présenté comme un homme providentiel qui pourrait mettre fin à la guerre civile libyenne, Haftar n’en est finalement qu’un facteur d’aggravation.