Grande-Bretagne : la barque travailliste tangue déjà

Keir Starmer - Le Vent Se Lève
Keir Starmer, leader du Parti travailliste britannique, au Forum de Davos © Benedikt von Loebell

A-t-on jamais conquis un pays de cette façon ? Une majorité sans légitimité et un raz-de-marée qui n’en est pas un. Les travaillistes ont remporté 64 % des sièges avec 34 % des voix, soit la plus faible part de voix jamais obtenue par un parti arrivant au pouvoir. La participation, estimée à 59 %, a été la plus faible depuis 2001 (et auparavant, 1885 !). Lorsqu’à la fin du mois de mai le Premier ministre Rishi Sunak a fini par jeter l’éponge, tous les sondages donnaient aux travaillistes une avance à deux chiffres, soit plus de 40 %. La litanie des maladresses de Sunak, l’énorme écart de financement entre le parti travailliste et le parti conservateur ainsi que la cohorte d’hommes d’affaires et de journaux appartenant au magnat australien Rupert Murdoch apportant leur soutien aux travaillistes auraient dû contribuer à maintenir cette avance. Au lieu de cela, le nombre total de voix des travaillistes est tombé à 9,7 millions – contre 10,3 millions en 2019. Par Richard Seymour, traduction par Alexandra Knez pour LVSL depuis la New Left Review.

Les conservateurs ont chuté de 44 % à 24 %, alimentant une poussée du parti d’extrême droite Reform UK qui, avec 14 % des voix, a obtenu quatre sièges. Le vote combiné Tory-Reform, avec 38 % des voix, a été plus important que celui des travaillistes. Comme l’a souligné le sondeur John Curtis, ces derniers n’auraient pas progressé du tout sans les avancées des travaillistes en Écosse, rendus possibles par l’implosion du SNP. Dans le même temps, la gauche du pays, malgré son retard et son manque d’orientation stratégique, s’en est plutôt bien sortie. Les Verts sont passés de moins de 3 % à 7 % des voix et ont obtenu quatre sièges. Cinq candidats indépendants pro-palestiniens siégeront à leurs côtés à la Chambre des communes, dont Jeremy Corbyn, qui a battu son rival travailliste à Islington North avec une marge de 7 000 voix.

Jamais le fossé n’a été aussi béant entre les attentes de la population et sa représentation au sein des hautes sphères. Et peu de gouvernements ont été aussi fragiles au moment de leur entrée en fonction. Pour Keir Starmer, il n’y aura aucun état de grâce, tant les travaillistes et leur leader sont impopulaires – certes moins que les conservateurs, pour le moment.

L’ampleur de la majorité travailliste à Westminster cache la croissance spectaculaire des circonscriptions marginales, où le parti a eu du mal à s’accrocher. À Ilford North, la candidate indépendante de gauche Leanne Mohamad est passée à 500 voix de détrôner le nouveau ministre de la santé Wes Streeting ; à Bethnal Green & Stepney, la députée sortante Rushanara Ali, qui a refusé de soutenir un cessez-le-feu à Gaza, a vu son écart réduit de 37 524 à 1 689 voix ; à Birmingham Yardley, Jess Phillips, de l’aile droite, a failli être battu par le Workers’ Party ; et à Chingford et Woodford Green, Faiza Shaheen n’a pas pu se présenter comme candidate travailliste, mais s’est battue contre son ancien parti jusqu’à un match nul, divisant le vote et permettant ainsi aux Tories de conserver leur siège…

Comment les travaillistes ont-ils pu faire aussi bien avec des résultats aussi piètres ? La part de voix du parti diminue généralement au cours d’une campagne électorale. Pourtant, la problématique fondamentale est celle de la base sur laquelle il s’est appuyé. Le facteur décisif a été la crise du coût de la vie. En période de stagnation salariale, les hausses de prix érodent le pouvoir de consommation de ceux qui sont en marge du système, mais depuis 2021, les crises a répétition dans la chaîne d’approvisionnement et les profits des entreprises ayant fait grimper les coûts, une partie de la classe moyenne elle-même s’est sentie touchée. La tentative du gouvernement Tory de transformer alors les grévistes en boucs émissaires n’a connu qu’un faible succès. Le virage des conservateurs vers une guerre de classe ouverte a mis à mal leur discours sur le « nivellement par le haut » et a démenti leur volonté de se rapprocher des Britanniques ordinaires.

Vers la fin de la campagne, il est apparu que les travaillistes espéraient voir des gestionnaires d’actifs prendre la tête d’une vague d’investissements dans le secteur privé.

Le parti conservateur a réagi à cette crise en se repliant sur lui-même et sur son leader, Boris Johnson. Le résultat a été l’intermède désastreux de Liz Truss. Se présentant comme une réactionnaire « antimondialiste », à l’écoute des préoccupations d’un électorat conservateur protégé du pire de la crise mais stagnant par rapport à l’explosion de la richesse des super-riches, Liz Truss a littéralement écrasé le favori des médias, Rishi Sunak. Mais, après un mini-budget comprenant 45 milliards de livres de réductions d’impôts non financées, son gouvernement a immédiatement fait l’objet des mêmes agressions institutionnelles que celles habituellement réservées à la gauche. Le secteur financier, la Banque d’Angleterre et les médias nationaux n’ont fait qu’une bouchée d’elle.

Sunak a été hâtivement porté au pouvoir sans vote des membres du parti, et un assortiment de partisans de l’austérité a été nommé au Trésor. La stratégie adoptée depuis lors – et qui s’est poursuivie jusqu’aux élections – a consisté à combiner une pression fiscale avec une guerre culturelle sans efficacité. Cette stratégie s’est traduite par un réalignement du centre politique derrière les travaillistes, ce qui a modifié les calculs électoraux.

Dès lors, le parti travailliste pouvait bien se présenter aux élections sans légitimité. Il a vite abandonné ses engagements les plus ambitieux en matière de dépenses, notamment les 28 milliards de livres à consacrer aux investissements « verts ». Il s’est positionné comme une option sûre pour l’establishment. Son offre était parlante : une politique qui « pèserait plus légèrement » sur la vie des gens. Une plateforme à l’imprécision manifeste. Ses engagements en matière d’impôts et de dépenses n’y représentaient que 0,2 % du PIB, ce qui est peu compte tenu de la crise que traversent les infrastructures britanniques, la santé, les écoles, le réseau de distribution d’eau ou le logement. Mais le « petit changement » est le point fort de Keir Starmer : petit changement par rapport au dernier gouvernement, petit changement dans les dépenses, petit changement dans la part des votes. Le mantra fastidieux des travaillistes a été la « croissance ». Sans que soit jamais expliquée la manière dont elle devait être défendue, étant donné que les travaillistes ne sont pas disposés à augmenter les impôts sur les hauts revenus ou les bénéfices des entreprises pour financer l’investissement – si l’on l’excepte de vagues références à la législation sur l’aménagement du territoire.

Vers la fin de la campagne, il est clairement apparu que les travaillistes espéraient voir des gestionnaires d’actifs prendre la tête d’une vague d’investissements dans le secteur privé. Le patron de BlackRock, Larry Fink, qui a soutenu Starmer, a vanté les mérites de sa société qui, selon lui, permettrait de fournir des ressources supplémentaires pour les investissements verts sans augmenter la fiscalité des plus riches. « Nous pouvons construire des infrastructures », écrit-il dans le Financial Times, « en débloquant l’investissement privé ». On retrouve ici le fameux « partenariat public-privé » à grande échelle. BlackRock est déjà propriétaire de l’aéroport de Gatwick et détient une participation substantielle dans le secteur de l’eau en Grande-Bretagne, ces même entreprises étant actuellement en pleine déconfiture et vomissant des déchets et eaux contaminées à tout va (70 % de ce secteur est détenu par des gestionnaires d’actifs).

Comme l’écrit Daniela Gabor, « les profits que BlackRock espère générer en investissant dans l’énergie verte risquent d’avoir un coût énorme ». Comme le souligne Brett Christopher dans sa critique de la « société basée sur la gestion d’actifs », les propriétaires sont très éloignés des infrastructures qu’ils contrôlent et ne sont guère incités à en prendre soin. Ils se contentent de créer des mécanismes de mise en commun des capitaux d’investissement, d’exploiter l’actif pour ce qu’il vaut et de passer à autre chose. Et telle est la grande idée sur laquelle le parti travailliste fonde sa fragile fortune : on comprend mieux pourquoi il n’a pas voulu l’expliquer à l’électorat.

Le danger réside en ceci qu’un gouvernement impopulaire mais s’appuyant sur une majorité disproportionnée au parlement, se mette à imposer, à marche forcée, un programme dont la majorité ne veut pas. Starmer connaîtra-t-il le sort d’Olaf Scholz, ainsi que l’a suggéré Grace Blakeley ? Si tel est le cas tous ceux qui, à gauche, se seront compromis avec lui, sombreront avec lui.


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Nigel Farage, futur leader de la droite britannique ?

Nigel Farage, figure du Brexit et leader du Reform Party. © Gage Skidmore

L’élection générale organisée aujourd’hui au Royaume-Uni devrait largement rebattre les cartes de la politique d’Outre-Manche. Après 14 ans au gouvernement, le Parti conservateur, extrêmement impopulaire, sera violemment balayé. Si les travaillistes du Labour devraient largement l’emporter et les libéraux démocrates peuvent espérer en profiter pour devenir le second parti en nombre de députés, cette élection devrait aussi sonner le grand retour de Nigel Farage. Trublion de la politique britannique depuis plus de 20 ans, le chef du camp du Brexit entend profiter du rejet des Tories pour incarner le renouveau de la droite avec son Reform Party. Si le fond du projet de Farage reste très libéral, plusieurs mesures visent à séduire les Britanniques déclassés, qui ne se reconnaissent plus ni dans le thatchérisme des conservateurs, ni le blairisme incarné par Keir Starmer. Article de notre partenaire Novara Media, traduit par Alexandra Knez.

Selon l’institut de sondage britannique Survation, Nigel Farage est en bonne voie pour être élu député de Clacton, provoquant ainsi ce qui serait le plus grand basculement électoral de l’histoire de la politique britannique. Selon les données de l’institut de sondage, le leader du tout nouveau Reform Party, présidé par Nigel Farage, pourrait remporter 42 % des suffrages, les conservateurs 27 % et les travaillistes 24 %. Rappelons ici que les élections britanniques n’ont qu’un seul tour et que le candidat arrivé premier, même d’une voix, est automatiquement élu.

Survation n’est pas le seul institution à prédire cette victoire : d’après Ipsos, le Reform pourrait même recueillir 53 % des voix à Clacton ! Lors des dernières élections parlementaires britanniques il y a cinq ans, c’est le candidat conservateur, Giles Watling, qui avait obtenu près des trois quarts des voix dans cette circonscription. Après 2019, cette circonscription était considérée comme la cinquième plus sûre pour les Tories.

Considérer Farage comme un phénomène purement médiatique est tentant : c’est un showman capable d’exploiter toutes les opportunités pour attirer les caméras de télévision, se faire inviter à Question Time (émission politique phare de la BBC, ndlr) ou devenir un phénomène viral sur TikTok. Si cette constatation est juste, il est de plus en plus évident que sa politique et sa rhétorique évoluent à mesure qu’il se crée un nouvel espace, non seulement après le Brexit, mais aussi à mesure que le niveau de vie de la population britannique stagne. Exit le thatchérisme pur et dur. À sa place, Farage opte pour une sorte de nationalisme assorti de quelques protections sociales qui rappelle davantage le parti Droit et Justice en Pologne, ou celui de Viktor Orbán en Hongrie. Parallèlement, son programme est particulièrement tourné vers la défense des petites entreprises. Si la Grande-Bretagne est vraiment une nation de commerçants, comme le disait Napoléon, Farage souhaite être leur porte-parole.

Exit le thatchérisme pur et dur. À sa place, Farage opte pour une sorte de nationalisme assorti de quelques protections sociales qui rappelle davantage le parti Droit et Justice en Pologne, ou celui de Viktor Orbán en Hongrie.

La droite pro-Brexit, au-delà du courant conservateur, a longtemps eu des allures très thatchériennes. Outre Farage lui-même, il y a eu des gens comme Douglas Carswell (député conservateur, passé ensuite au UKIP, ndlr), Matthew Elliott (lobbyiste libertarien, ndlr) et Daniel Hannan (ancien eurodéputé conservateur, ndlr) qui ont tous défendu l’idée qu’une sortie de l’UE permettrait une plus grande déréglementation et un étatisme plus restreint. Malgré leur influence bien réelle, ces personnalités – que l’on retrouve généralement en train d’errer à Westminster au sein des think tanks spécialisés dans le libre marché – restent façonnés idéologiquement par le succès historique de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan dans la sphère anglo-saxonne. Farage et son Reform Party passent progressivement à autre chose et s’alignent plus étroitement sur les tendances observées en Europe continentale.

Prenez le manifeste du parti : il est « pro business », mais d’une manière très différente de celle préconisée par la Confédération de l’industrie britannique, les conservateurs et les innombrables experts télévisés qui répètent inlassablement cette formule. Le Reform Party prévoit de relever le seuil d’assujettissement à l’impôt sur les sociétés à 100.000 livres sterling (contre 50.000 livres actuellement), ce qui, selon le parti, permettrait de venir en aide à plus de 1,2 million de petites et moyennes entreprises. L’impôt sur les sociétés lui-même passerait progressivement de 25 % à 15 % et, surtout, le seuil de la TVA passerait à 150.000 livres (contre 90.000 actuellement).

Par ailleurs, et c’est plus intéressant, il y a la promesse d’abolir les taux d’imposition pour les petites et moyennes entreprises des centres-villes, financée par une « taxe sur la livraison de produits achetés en ligne » de 4 % imposée aux « grandes entreprises multinationales ». L’objectif, selon le document, est de « créer des conditions de concurrence plus équitables pour les commerces de proximité ». Une telle proposition aurait été impensable pour l’administration du conservateur David Cameron – et on peut presque imaginer Peter Mandelson, spin doctor de Tony Blair – se moquer de l’idée. Ce n’est assurément pas du copier-coller du thatchérisme.

Surtout, c’est politiquement astucieux. Aider le commerce de proximité en faisant payer les grandes entreprises ne peut qu’être populaire. Pour reprendre les termes de Dan Evans, auteur de A Nation Of Shopkeepers : The Unstoppable Rise of The Petty Bourgeoisie, le succès du trumpisme tient en partie à sa stratégie qui consiste à opposer (avec succès, en 2016) le « capital familial » au « capital national et mondialisé ». Il semblerait que Farage tente de s’en inspirer. Lorsque le parti affirme qu’il soutient les entreprises, il s’adresse ouvertement aux petits bourgeois – et non aux grandes chaînes de supermarchés, aux géants de l’industrie et aux consultants Linkedin que l’establishment politique estime être les meilleurs représentants de l’entreprise privée.

En outre, le Reform Party ne manque pas d’autres propositions populistes qui semblent plus de gauche que de droite. Le parti propose ainsi d’effacer les dettes des étudiants pour chaque année où les médecins, les infirmières et le personnel médical travaillent dans le National Health Service (NHS). Après dix ans de service, les dettes étudiantes de ces soignants seraient effacées. Cette proposition est extraordinairement populaire : 76 % du public y sont favorables.

Normalement, ce serait au parti travailliste de proposer ce type de mesure, à minima comme première étape pour supprimer les frais d’inscription à l’université en général, mais aussi pour arrêter la fuite des cerveaux du NHS. Aujourd’hui, l’infirmière moyenne a une dette étudiante de 48 000 livres. Il est frappant de constater que Farage leur offre plus que Keir Starmer, le chef du Labour. Plus largement, le Reform Party propose de supprimer les intérêts sur les prêts étudiants pour tous les diplômés : pas de quoi renverser la table, mais toujours plus que le Labour.

Encore plus remarquable, le manifeste du parti déclare : « Le contribuable britannique doit avoir le contrôle des services publics britanniques. » Ainsi, Reform souhaiterait que « 50 % de chaque entreprise de service public redevienne une propriété publique », les 50 % restants pouvant être « détenus par des fonds de pension britanniques, les services bénéficiant ainsi d’une nouvelle expertise et d’une meilleure gestion ».  L’idée que l’État puisse contrôler des actifs à une telle échelle rappelle le modèle français de l’Agence des participations de l’État, l’organisme gouvernemental chargé de gérer les participations de l’État dans les entreprises d’importance stratégique. Il semble que, dans certains secteurs au moins, Farage et son second, Richard Tice, prônent désormais un dirigisme à la française. Une sorte de mélange entre gaullisme et GB News (équivalent britannique de CNews, ndlr).

En matière industrielle, le Reform Party se focalise sur la relance de l’industrie de défense. Le parti prévoit ainsi d’ « introduire des incitations et des allègements fiscaux pour stimuler l’industrie de la défense britannique. Améliorer l’autosuffisance en matière d’équipement et fabriquer des produits mondialement reconnus pour l’exportation ». Il y a peu de chances que cela conduise à une relance significative de la fabrication d’armes au Royaume-Uni, mais l’idée que l’État puisse offrir des incitations aux entreprises privées qui produisent était inconcevable dans ces cercles idéologiques il y a quelques années. La crise du Covid, l’inflation et la baisse du niveau de vie, la guerre en Ukraine et le sentiment général de déclin continu ont rendu ces idées beaucoup plus populaires auprès du public. Les populistes suivent inévitablement le mouvement.

Pour cette élection, Farage cherche à séduire les anciens électeurs conservateurs, mécontents de la gestion catastrophique du pays. Alors que le Labour promet la poursuite de l’orthodoxie libérale, il pourrait bien séduire nombre de ses électeurs lors de la prochaine élection.

Parmi les autres points forts mis en avant par Farage, citons « l’éducation gratuite pendant et après le service » pour les membres des forces armées, ainsi que le remplacement des « dirigeants de la fonction publique par des professionnels performants du secteur privé, nommés par le pouvoir politique en place, et qui vont et viennent avec les gouvernements ». En d’autres termes, il s’agirait du plus grand bouleversement de la fonction publique moderne depuis sa création par le rapport Northcote-Trevelyan en 1854. En matière institutionnelle, le Reform Party va bien plus loin que les partis traditionnels, en proposant le passage à un scrutin à la proportionnelle pour la Chambre des communes (équivalent de l’Assemblée nationale, ndlr) et la réduction de la taille de la Chambre des Lords qui deviendrait élective (l’équivalent britannique du Sénat compte encore des personnes nommées par le roi, ndlr). Pour couronner le tout, Farage a récemment déclaré qu’il supprimerait le plafond des allocations parentales accordées pour deux enfants afin d’encourager les familles à avoir plus d’enfants – ce que la travailliste Angela Rayner a refusé de faire si son parti arrive au pouvoir. 

Bien sûr, Farage a souvent fait des promesses mensongères, mais des initiatives politiques comme celle-ci sont la preuve flagrante que Farage et Reform ont bien compris que quelque chose a changé. Pour cette élection, il cherche à séduire les anciens électeurs conservateurs, âgés et mécontents de la gestion catastrophique du pays. Alors que le Labour promet la poursuite de l’orthodoxie libérale, il pourrait bien séduire nombre de ses électeurs lors de la prochaine élection. En s’inspirant des politiques pseudo-sociales de l’extrême-droite d’Europe centrale plutôt de Thatcher et Reagan, Farage comprend que le monde a changé. Jusqu’à récemment, il était idéologiquement proche de Liz Truss, l’éphémère Première ministre ultra-libérale qui a causé une crise financière en à peine un mois au pouvoir. Cette dernière est maintenant la risée de tout le pays, tandis que Farage est la personnalité politique la plus populaire Outre-Manche. L’ancien trader en matières premières a repéré une lacune importante sur le marché politique, et il pourrait bien trouver de nombreux investisseurs.


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Plus Keir Starmer se rapproche du pouvoir, plus le Labour s’éloigne du monde du travail

Keir Starmer, leader du Labour Party au Forum Economique Mondial de Davos en 2023. © World Economic Forum

Le bilan catastrophique des Conservateurs britanniques, qui a conduit à deux changements de Premier ministre l’an dernier, promet une victoire électorale aux travaillistes l’an prochain. Mais si le parti se prétend toujours de « gauche », sa récente conférence annuelle, gangrenée par les lobbyistes en tout genre, donne le ton sur le programme que Keir Starmer entend mettre en oeuvre : le Labour se présente comme une équipe de secours compétente pour les capitalistes britanniques, tout en disant au citoyen lambda que ses besoins sont trop coûteux pour être satisfaits. Par Coll McCail, traduit par Alexandra Knez et édité par William Bouchardon [1].

Il y a cinq ans, la conférence du Parti travailliste était une mer de drapeaux palestiniens. Les délégués avaient alors voté à une écrasante majorité en faveur de la suspension des ventes d’armes à Israël, en solidarité avec le peuple palestinien. Cette année, lors de la conférence du Labour à Liverpool, ces mêmes fabricants d’armes ont été accueillis à bras ouverts. Boeing, qui a accepté en début d’année de fournir vingt-cinq avions de combat à l’armée de l’air israélienne, a sponsorisé les événements organisés en marge de la conférence par le magazine de gauche New Statesman. Ils ont été rejoints par un ensemble d’entreprises du secteur des énergies fossiles, par des banques et par des lobbyistes de l’industrie déterminés à courtiser le « gouvernement en devenir ». L’époque où un activiste anti-guerre dirigeait le parti semble bien lointaine.

Les représentants d’entreprises forment désormais près d’un tiers des participants à la conférence. Les délégués syndicaux, quant à eux, ne représentent plus guère que 3 % des participants, alors même que le parti a été fondé par les syndicats et que des liens forts avaient été rebâtis sous l’ère Corbyn. Malgré ce déséquilibre, les dirigeants continuent à limiter l’influence des membres. Il y a quelques semaines, le comité exécutif national (NEC) du Parti a décidé que, l’année prochaine, seules les motions considérées comme « contemporaines » seraient autorisées au programme. Cette mesure, qui constitue un pas de plus vers une véritable mise en scène de l’événement, permettra aux dirigeants de réduire la place accordée aux points de vue qui ne correspondent pas aux leurs.

Avec un débat muselé et un pouvoir confisqué aux membres, quel est l’objectif de la conférence de cette année ? Un examen plus approfondi des sponsors qui participent aux événements organisés en marge de la conférence par le New Statesman nous apporte des éléments de réponse. Pour Ovo Energy et SSE, l’objectif est sans aucun doute de rappeler le rôle important du marché privé de l’énergie dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le fournisseur privé de soins de santé Bupa cherche quant à lui à séduire Wes Streeting, probable futur ministre de la santé, qui s’est exprimé sur la possibilité de privatiser davantage le National Health Service (NHS), l’équivalent britannique de la Sécurité sociale. Des groupes financiers tels que TheCityUK, Santander et TSB tentent eux de mettre la main sur le fonds d’investissement vert de 28 milliards de livres promis par le Parti travailliste – une tâche qui s’annonce relativement facile.

La conférence de cette année confirme le virage à droite de Keir Starmer et représente bien plus qu’une trahison de la confiance des membres du Parti travailliste ou des principes énoncés au dos des cartes d’adhérent. C’est la question politique elle-même qui a été bannie du Parti travailliste.

La politique se résume au fond à la confrontation d’intérêts divergents. Historiquement, le Labour porte un conflit entre le grand nombre de ceux qui produisent la richesse et le petit nombre de ceux qui en profitent, c’est-à-dire la lutte des classes entre le travail et le capital. C’est ce que Starmer est déterminé à ignorer. Content de se laisser porter par les vents politiques dominants, le Parti travailliste annonce aux classes populaires qu’il ne lui appartient pas de « prendre parti » dans les conflits sociaux, dont l’ampleur est pourtant inédite depuis l’ère Thatcher. Les militants pour le climat sont priés de « se lever et de rentrer chez eux ». Alors que certains maires tentent de lutter contre la grande précarité qui touche environ 30% des enfants en leur offrant des repas gratuits à l’école et que de nombreux parents réclament cette mesure d’urgence, Starmer la rejette en arguant que « la crédibilité économique du pays doit d’abord être reconstruite ».

Starmer se déclare prêt à réparer la « Grande-Bretagne brisée », mais freine les aspirations des citoyens à un véritable changement en rétrécissant constamment les horizons du Parti. Sans jamais expliquer ce qu’elles sont, ni qui les fixe, les politiciens travaillistes évoquent des « règles fiscales » qui les contraignent à respecter les engagements budgétaires déjà pris par le gouvernement conservateur de Rishi Sunak. Leur promesse à l’électorat est de maintenir le cap, et non pas d’en changer.

L’après social-démocratie

Il s’agit également d’un changement plus large dans la manière de faire de la politique, le modèle traditionnel des partis de masse étant mis à mal. La politique des classes a été remplacée par un clientélisme éphémère, l’identité du Parti travailliste étant mise sur le marché comme n’importe quel bien de consommation. Les dirigeants actuels sont prêts à accélérer ce processus de dissociation avec la politique des classes et à éloigner encore davantage le Parti travailliste de sa base historique, la classe ouvrière. Derrière la promesse du Labour visant à une meilleure gestion se cache un vide quant à l’identité que le parti entend représenter, ce vide étant maintenant prêt à être occupé par le plus offrant. L’offre politique du Labour a été bien résumée par une question posée à un membre du gouvernement fantôme de Starmer sur la chaîne britannique Channel 4 : « donc, ce que vous offrez c’est juste plus de compétence, c’est bien ça ? ».

La politique des classes a été remplacée par un clientélisme éphémère, l’identité du Parti travailliste étant mise sur le marché comme n’importe quel bien de consommation.

Cet été, l’équipe de Starmer a réalisé son vœu de rencontrer des représentants du Parti démocrate américain. Loin d’être une simple rencontre avec des progressistes partageant les mêmes idées, cet épisode témoigne de l’adhésion des travaillistes à la cause atlantiste et donne un aperçu de la manière dont les dirigeants entendent gérer le Parti. Il est bien clair qu’ils sont déterminés à abandonner les principes fondamentaux de la social-démocratie.

Certes, ce processus est antérieur à l’élection de Starmer et s’est rapidement accéléré au cours des années du New Labour. Souvenons-nous de Tony Blair qui criait « Modernisez-vous ou mourez » tandis que la machine centralisée de son parti rompait ce qui restait du lien du Labour avec les communautés de la classe ouvrière, prenant les militants et l’électorat pour acquis. En 2004, après sept ans de gouvernement travailliste, le nombre de membres avait diminué de moitié.

Le leadership de Jeremy Corbyn, entre 2015 et 2020, a inversé cette tendance et le nombre de membres du Parti travailliste est passé à plus d’un demi-million. Toutefois, depuis ce pic, plus de 170.000 personnes ont annulé leur prélèvement automatique et le nombre d’adhérents est tombé à 385.000. Depuis son élection en 2020, Keir Starmer s’est fixé comme priorité de réduire le nombre de membres du Parti travailliste, en reprenant le flambeau laissé par Blair. Le NEC du Parti a approuvé une série de mesures visant à restreindre l’influence des membres. Leur dernière proposition vise à réduire le nombre de cadres locaux du parti, considérés comme peu utiles. En bref, le Labour de Keir Starmer ne veut que des adhérents passifs, qui frapperont aux portes pour rallier les électeurs au moment des élections, mais qui ne diront pas grand-chose sur la façon dont le parti est dirigé.

Le Labour de Keir Starmer ne veut que des adhérents passifs, qui frapperont aux portes pour rallier les électeurs au moment des élections, mais qui ne diront pas grand-chose sur la façon dont le parti est dirigé.

On peut déjà voir les effets de l’approche de Starmer en consultant les comptes du Parti travailliste. Lorsqu’il a été élu à la tête du parti en 2020, le financement par les syndicats représentait 80 % des dons au parti. Ce chiffre n’était plus que de 11 % au dernier trimestre, et les donateurs privés ont pris le dessus. Des pans entiers de la City estiment désormais qu’un gouvernement travailliste serait le résultat électoral le plus « favorable au marché ».

Les dirigeants ont exclu les questions politiques du Parti travailliste, comme en témoigne le dernier congrès. En cette ère « post-politique », comme l’a écrit l’essayiste Mark Fisher dans Le réalisme capitaliste, « la guerre des classes se poursuit, mais elle n’est menée que par un seul camp : les riches ».

Abattre le plafond de classe ?

Un récent épisode illustre parfaitement la mue du parti. Élu plus jeune député de Westminster à la faveur d’une élection partielle, le travailliste Keir Mather a été interrogé le soit de son élection sur le projet du Labour de maintenir le plafonnement punitif des allocations familiales mis en place par l’ancien ministre des Finances conservateur George Osborne, limitant l’aide à deux enfants par famille. « Nous allons devoir prendre des décisions extrêmement difficiles », a répété le jeune homme de vingt-cinq ans en apportant son soutien à la position de la direction du Parti travailliste.

La célèbre député travailliste Tony Benn, mentor de Jeremy Corbyn et figure de l’aile gauche du parti durant les années 1970, distinguait deux catégories d’hommes politiques : les balises qui indiquent clairement la voie à suivre et les girouettes qui oscillent au gré des vents de l’opportunisme. Mather semble avoir opté pour cette dernière catégorie dans les heures qui ont suivi son élection. Au début du mois, son homonyme et chef de parti a insisté sur le fait que, même si l’abolition du plafonnement fixé à deux enfants permettrait à 250.000 enfants de sortir de la pauvreté, sa décision manifestement « dure » de le maintenir était la bonne.

Malheureusement, Mather est loin d’être une exception. Les candidats parlementaires potentiels du parti travailliste sont prêts à suivre sans discussion la ligne de conduite des dirigeants. Une grande discipline professionnelle certes, mais un chemin sans vision politique ni curiosité intellectuelle. Alors que Starmer promet que son gouvernement « brisera le plafond de classe », la composition des candidats travaillistes indique plutôt le contraire, de nombreux candidats ayant déjà perfectionné leur savoir-faire dans les couloirs de Westminster en tant que conseillers politiques.

En effet, l’aile droite du Parti travailliste a sauté sur l’occasion offerte par les changements de délimitation des circonscriptions parlementaires pour éliminer des députés issus des classes populaires, tels que Beth Winter et Mick Whitley. Dans ces deux cas, ils ont réussi à réduire la taille du Socialist Campaign Group, les trois douzaines de députés de l’aile gauche du parti.

Néanmoins, Starmer a une conception biaisée de la notion de classe. Ce récit sur un supposé « plafond de verre » compense l’incapacité des travaillistes à promettre un changement transformateur en faveur de la collectivité. La notion d’ascension sociale avec sa classe a été supprimée. Il faut donc s’élever hors de celle-ci.

Lorsqu’on l’interrogeait sur le risque de perdre l’électorat populaire suite à des revirements du même ordre, Peter Mandelson, le communicant phare de Tony Blair, répondait qu’« ils n’ont nulle part où aller ». Cette complaisance se retrouve totalement dans le leadership actuel, dont Mandelson est d’ailleurs proche. L’autre scénario est que les électeurs traditionnels du Labour, à qui l’on ne promet pas grand-chose en échange de leurs votes, se détournent de la politique parlementaire et ne votent plus.

La dépolitisation est en réalité exactement ce que cette cabale de technocrates désire.

En abandonnant la politique des classes et en adoptant une position de distanciation, les dirigeants travaillistes contribuent à l’aliénation des seules forces sociales capables de renverser le paradigme politique après treize années de règne des conservateurs. Mais la dépolitisation est en réalité exactement ce que cette cabale de technocrates désire. S’ils parviennent à placer l’économie hors du contrôle des politiciens qui, dans l’imagination du public, s’en mêlent trop, alors leur mission d’abandonner complètement les questions politiques sera assurée, le conflit des classes sera exclu du débat au profit d’une neutralité.

Repolitiser le Labour

Face à une direction désireuse d’effacer l’objectif historique du Labour, le flanc gauche du parti doit impérativement défendre ce que les soutiens de Starmer veulent abandonner : la dynamique politique. Un gouvernement travailliste qui se prépare à mieux gérer le déclin des services publics n’est pas à la hauteur de la crise qui s’accélère. Mais renoncer au pouvoir de l’État est tout aussi inacceptable, surtout après les coups portés aux services publics au cours de la dernière décennie.

Dans l’état actuel des choses, Starmer entrera à Downing Street avec les voix d’un public désengagé et peu enthousiaste, convaincu qu’une rupture radicale avec l’orthodoxie économique n’est pas envisageable. En rejetant ce paradigme, les membres et les non-membres du parti doivent s’efforcer d’élever le niveau d’imagination du public et de montrer de nouvelles possibilités. L’histoire nous enseigne qu’au fur et à mesure que les crises s’intensifient, ce malaise d’impuissance se dissipe. Notre tâche consiste à créer les conditions d’une résistance de ceux que les dirigeants sont déterminés à ignorer.

Malgré tout son cynisme et son caractère anti-politique, le Parti travailliste fait preuve d’une certaine maladresse en passant que les crises peuvent être simplement gérées. Les intérêts matériels frustrés qui n’ont pas eu droit à un siège à la table de Starmer peuvent-ils simplement être renvoyés au second plan ? Ceux qui, selon Mandelson, n’ont « nulle part où aller » se réfugient pour l’instant dans des événements tels que The World Transformed, un festival politique socialiste organisé en parallèle du congrès officiel du parti, où des groupes pour la justice climatique côtoient des délégués syndicaux, et où l’on organise des séances de réflexion sur le potentiel de la politique des classes au XXIe siècle.

Pour faire pression sur un nouveau gouvernement travailliste, il est essentiel de nouer des alliances avec ceux qui opèrent en dehors du parti. Tony Benn, bien sûr, avait lui-même une bonne connaissance de la politique extraparlementaire et comprenait que la gauche est la plus forte lorsqu’elle a un pied dans le parti et l’autre dans la rue. Toutefois, comme l’a dit Benn, on aura besoin d’« un peu plus de balises et un peu moins de girouettes ».

Notes :

[1] Article originellement publié par notre partenaire Jacobin sous le titre « Keir Starmer’s Anti-Politics Is Taking the Labour Party Further From Workers ».


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Après Boris Johnson, les conservateurs toujours hégémoniques

Après une succession de scandales et la démission de nombreux ministres, Boris Johnson a annoncé sa démission le 7 juillet 2022. © Number 10

À la suite de sa mise en cause dans plusieurs scandales, Boris Johnson va quitter le 10 Downing Street. Mais les critiques à son encontre se focalisent presque exclusivement sur son manque d’intégrité et occultent son très mauvais bilan politique. Cherchant à se positionner comme un meilleur gestionnaire du pays, Keir Starmer, leader de l’opposition travailliste, ne remet pas en cause la plupart des décisions des conservateurs. Article de David Broder, rédacteur en chef Europe du magazine Jacobin, traduit par Alexandra Knez et édité par William Bouchardon.

La chute de Boris Johnson constitue l’aboutissement de mois de pression sur son leadership, ponctué par des scandales répétés sur ses mensonges au public et au Parlement. Les accusations d’agression sexuelle contre Chris Pincher, whip du Parti conservateur (leader du groupe parlementaire, chargé de faire respecter la discipline de vote du parti, ndlr) et le fait que Johnson était au courant de sa conduite passée avant qu’il ne le nomme – ne sont que les dernières étincelles d’une série d’affaires attestant du mépris flagrant du Premier ministre pour le respect de la loi. Avant cela, le scandale des fêtes organisées au 10 Downing Street en plein confinement avaient déjà fortement affaibli la popularité et la crédibilité du leader conservateur. Ces révélations, alimentées par les SMS et les emails parus dans la presse ces derniers mois, ne surprennent personne, et encore moins les ministres conservateurs auparavant fidèles qui ont soudainement considéré Johnson inapte à exercer ses fonctions.

Si Boris Johnson a annoncé sa démission le 7 juillet dernier, il demeure Premier ministre jusqu’à début septembre, le temps que les parlementaires conservateurs, puis les adhérents du parti, choisissent son successeur. Étant donné la large majorité conservatrice à la Chambre des communes – y compris les dizaines de nouveaux députés élus sous la direction de Johnson lors des élections de 2019 – un changement majeur de cap politique est peu probable. Les différents candidats à sa succession, qui ont été des alliés de longue date avant de le laisser tomber pour obtenir sa place, ont en effet presque tous le même programme thatchérien et très à droite sur les enjeux sécuritaires. La crise sociale et le changement climatique sont en revanche très peu abordés durant cette compétition interne.

Une grande partie du discours médiatique sur le refus initial de Johnson de quitter ses fonctions a pris la tonalité d’une crise constitutionnelle – et, pire que tout, le risque que ses efforts pour rester en poste finissent par « embarrasser la Reine ». Le producteur et journaliste écossais Andrew Neil, créateur de la chaîne de télévision d’extrême droite GB News, a pris la parole sur Twitter pour affirmer que les comparaisons entre Johnson et Donald Trump étaient finalement fondées. Des propos qui ne visent sans doute qu’à tracer un trait entre Johnson et du courant dominant des Tories, pour en faire un simple individu dévoyé dont on peut se passer sans trop de difficulté.

Le Labour est-il encore un parti d’opposition ?

Le leader du Parti travailliste, Keir Starmer, a quant à lui appelé à la tenue d’élections anticipées, déclarant qu’il souhaitait un changement « fondamental » de gouvernement et pas seulement un nouveau leader conservateur. Pourtant, M. Starmer et son parti ont soigneusement refusé de « politiser » leurs reproches à Johnson. Les plateaux de télévision ont vu ainsi défiler de nombreux ministres travaillistes de l’opposition (au Royaume-Uni, le principal parti d’opposition nomme des « ministres fantômes » amenés à exercer tel ou tel poste en cas de victoire électorale, ndlr) insistant sur le fait que Johnson était individuellement malhonnête, arrogant et indigne de sa fonction, et que le drame interne des Tories était une « distraction » handicapante pour la bonne conduite des affaires d’Etat. En revanche, les « Starmerites » évitent tout commentaire sur l’agenda idéologique que Johnson et ses ministres poursuivent depuis déjà douze ans (le parti conservateur est au pouvoir depuis 2010, avec successivement David Cameron, Theresa May et Boris Johnson, ndlr), pour se présenter uniquement – dans le plus pur style centriste – comme de compétents futurs gestionnaires d’une machine gouvernementale dépolitisée.

Les « Starmerites » évitent tout commentaire sur l’agenda idéologique que Johnson et ses ministres poursuivent depuis déjà douze ans pour se présenter uniquement – dans le plus pur style centriste – comme de compétents futurs gestionnaires d’une machine gouvernementale dépolitisée.

Certes, il est évidement important que les élus obéissent aux mêmes règles qu’ils imposent aux autres, mais cela ne suffit pas à représenter une alternative aux Tories. Les douze années de pouvoir des conservateurs – dont cinq en partenariat avec les libéraux-démocrates – ont été marquées par une très forte austérité qui a détruit de manière les services publics britanniques pour longtemps. En outre, les conservateurs ont adopté des mesures dignes du nationalisme réactionnaire, notamment une loi renforçant fortement l’impunité de la police et un système d’envoi des demandeurs d’asile déboutés vers le Rwanda, peu importe d’où ils viennent.

La réponse mitigée du Parti travailliste semble néanmoins conforme à la stratégie adoptée par M. Starmer depuis qu’il préside le parti depuis deux ans, qui consiste à se rapprocher le plus possible du gouvernement, en insistant sur le fait qu’il s’agit d’une opposition « responsable » et non d’une opposition « idéologique » comme celle du prédécesseur Jeremy Corbyn, qui promouvait explicitement le « socialisme ». Ainsi, lorsque la politique des vols vers le Rwanda a été annoncée, M. Starmer l’a critiquée en raison de son coût financier plutôt que sur son inhumanité pure et simple. Même le soutien à l’Union européenne qui galvanisait autrefois les partisans de Starmer est désormais marginalisé (ce dernier ayant fait le choix de ne pas rouvrir le débat du Brexit, qui avait permis à Johnson d’infliger une sévère défaite au Labour en 2019, ndlr). Pourtant, alors même que l’opposition politique est réduite à une question de probité individuelle et que le débat public britannique se focalise sur les normes sacrées de la vie publique qui sont souillées, des menteurs bien connus comme Tony Blair et son ancien assistant Alastair Campbell en profitent pour laver leur réputation, ternie par la désastreuse guerre en Irak et d’autres scandales.

« There is no alternative »

Les travaillistes n’ayant pas réussi à mettre en place une opposition politique, d’autres ont décidé de remplir ce rôle, au moins partiellement. En juin, les grèves ferroviaires menées par le syndicat National Union of Rail, Maritime and Transport Workers (RMT) ont suscité une large sympathie de la part des Britanniques touchés par la hausse du coût de la vie, alors même que les médias traditionnels et la direction du Parti travailliste s’accordaient à penser que le grand public ne voyait les syndicats que comme une nuisance. Lors d’une récente émission spéciale consacrée au mélodrame en cours à Westminster (siège du Parlement britannique, nldr), il ne restait plus que Martin Lewis, fondateur du site web Money Saving Expert, pour souligner que la flambée des prix de l’énergie empêchera des millions de Britanniques de payer leurs factures d’énergie cet hiver, ce qui pourrait provoquer des « troubles sociaux » qui éclipseraient les querelles entre conservateurs au sujet de Johnson.

Certes, le Parti conservateur rassemble des personnalités plus ou moins favorables à l’intervention de l’Etat dans l’économie. Cependant, la compétition interne aux conservateurs est marquée par un véritable fanatisme de l’économie de marché. Le remplacement du chancelier (équivalent du ministre des Finances, ndlr) milliardaire Rishi Sunak par le magnat du pétrole Nadhim Zahawi dans les derniers jours du mandat de Johnson – Zahawi ayant immédiatement promis de renoncer à la faible hausse prévue de l’impôt sur les sociétés – avait déjà donné le ton. Les critiques des conservateurs à l’encontre de M. Johnson, notamment de la part de Liz Truss (favorite pour succéder à Johnson, ndlr), ont essentiellement porté sur des appels à la réduction des impôts et à l’abandon de tout programme écologique, même théorique. Il est également probable que la course à la succesion de Johnson se joue sur la peur du nationalisme écossais et de la montée du Sinn Féin en Irlande (parti de gauche favorable à l’unification du pays, ndlr).

La chute de Johnson est en partie le résultat de la menace qui pèse sur les députés en place, ceux-ci craignant pour leurs sièges après les récentes défaites aux élections partielles. Il laisse son parti dans le doute à la fois dans les anciens sièges travaillistes – le très mythifié « Red Wall » (mur rouge) dans l’Angleterre désindustrialisée du Nord, conquis par les Tories en 2019 – et dans les régions plus riches du Sud, où les libéraux-démocrates sont de sérieux challengers. Pourtant, avec une opposition aussi faible que celle des deux dernières années, il semble très probable qu’un nouveau leader conservateur sera en mesure de définir sans encombre la politique du pays dans les mois à venir, auréolé de la même lune de miel médiatique que Boris Johnson et Theresa May ont eu lors de leur prise de pouvoir. Alors que les scandales n’ont pas manqué et que la population s’appauvrit, les travaillistes n’ont que quelques points d’avance dans les sondages nationaux, loin de la marge solide et durable nécessaire pour obtenir une majorité.

Avec une opposition aussi faible que celle des deux dernières années, il semble très probable qu’un nouveau leader conservateur sera en mesure de définir sans encombre la politique du pays dans les mois à venir.

Keir Starmer semble lui convaincu que le pouvoir va juste lui tomber dessus à mesure que les Tories se désintègrent. L’expulsion de milliers de « socialistes » des rangs du Labour et l’abandon de la défense de toute politique de gauche, sur lesquelles Starmer avait pourtant été élu leader en 2020, témoignent d’une rupture radicale avec l’ère Corbyn. Renouant avec le blairisme, il s’agit de faire du Labour une sorte de parti Tory « light » et respectable, une option « sans danger » pour le capitalisme britannique. Pourtant, au-delà de tous les débats sur la bienséance et la personnalité qu’un responsable politique est censé avoir, les lignes de fracture fondamentales de la politique britannique restent inchangés : les Tories peuvent compter sur une base solide et mobilisée de propriétaires, généralement âgés et riches, tandis que l’électorat visé par le Labour, à savoir les Britanniques en âge de travailler, qui voient leurs intérêts matériels quasiment ignorés dans ce cirque médiatique, ont toutes les chances de renoncer au vote. Tant que les travaillistes ne défendront pas ces derniers et ne traceront pas de véritables lignes de démarcation, ils n’auront aucune chance de briser l’hégémonie des conservateurs sur la scène politique britannique.


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Keir Starmer : le François Hollande britannique ?

Keir Starmer lors d’un débat de la primaire interne pour la direction du Labour Party, en 2020. © Rwendland

Un an après son élection à la tête du Labour, Keir Starmer semble échouer sur tous les fronts. À la peine dans les sondages, il ne parvient pas à capitaliser sur les erreurs de Boris Johnson et apparaît comme un politicien sans vision. Son bilan en matière de gestion interne n’est pas plus brillant : au lieu de réconcilier les différentes factions du parti, il a exacerbé les tensions sans en tirer un quelconque profit. Récit d’une année chaotique pour la gauche d’Outre-Manche.

« Notre mission est de rebâtir la confiance dans notre parti, d’en faire une force positive, une force de changement. » Tel était le cap fixé par Keir Starmer dans son discours de victoire lors de son élection à la tête du Labour Party il y a un an. Élu en plein confinement et quatre mois après une rude défaite de Jeremy Corbyn face à Boris Johnson, le nouveau leader de l’opposition héritait en effet d’une situation difficile. 

Le candidat de l’apaisement

D’abord, il fallait faire oublier que les travaillistes avaient désavoué le verdict des urnes en refusant de soutenir le Brexit. Pour se démarquer des conservateurs défendant un Brexit dur et capter l’électorat pro-européen des grandes métropoles, le parti avait en effet proposé un nouveau référendum aux électeurs en 2019. Un positionnement rejeté par l’électorat populaire, que le parti considérait comme lui étant acquis. Nombre de bastions historiques du Labour dans le Nord de l’Angleterre basculèrent en faveur des conservateurs, menant les travaillistes à leur pire défaite depuis 1935. Par ailleurs, le parti était fracturé entre une aile gauche pro-Corbyn et une frange blairiste, surtout présente dans le groupe parlementaire. Enfin, les controverses, totalement infondées, autour du supposé anti-sémitisme de Jeremy Corbyn avaient entaché l’image du parti.

Après cinq ans de tensions autour de la figure de Corbyn et du Brexit, Keir Starmer se présenta comme le candidat du rassemblement et de l’apaisement. Mettant en avant son image plutôt consensuelle, celle d’un ancien avocat engagé pour les droits de l’homme et d’un opposant à la guerre d’Irak ayant déchiré le parti sous Tony Blair, il n’oubliait pas pour autant d’affirmer son attachement au programme économique « socialiste » de son prédécesseur. Un positionnement plébiscité lors de la primaire avec 56% des voix. Soutenu par les médias dominants trop heureux de remplacer Corbyn par un progressiste tranquille, il parvint au passage à faire oublier sa responsabilité dans l’échec électoral de 2019, en tant que ministre fantôme en charge du Brexit, ou le fait qu’il soit député grâce à un parachutage dans une circonscription imperdable.

Guerre contre l’aile gauche

Mais la confiance des militants travaillistes envers leur nouveau leader s’est vite dissipée. Après avoir forcé Rebecca Long-Bailey, candidate de l’aile gauche durant les primaires, à démissionner de son poste de ministre fantôme, Starmer s’est attaqué à son ancien chef. Une déclaration de Corbyn à propos de l’antisémitisme au sein du Labour, dans laquelle l’ancien dirigeant reconnaissait pleinement le problème tout en ajoutant que son ampleur avait été largement exagérée, fut utilisée pour lui retirer sa carte de membre. Une décision extrêmement brutale, sans doute motivée par la volonté de Starmer d’asseoir son pouvoir et d’envoyer un signal fort aux médias, qui a suscité un tollé chez de nombreux militants et plusieurs syndicats affiliés au parti. Finalement, Corbyn récupéra sa carte de membre grâce au Comité National Exécutif (NEC) et Starmer en sortit humilié. En janvier, ce fut au tour du leader écossais du parti, Richard Leonard, proche de Corbyn, d’être débarqué le lendemain d’une visioconférence où des grands donateurs auraient demandé son départ.

Cette guerre contre l’aile gauche du parti semble lasser une bonne partie des militants. Avant le scandale autour de la suspension de Corbyn, environ 10% des membres n’avaient déjà pas renouvelé leur carte selon des données internes, un chiffre sans doute plus élevé aujourd’hui. Les syndicats, grands soutiens de Corbyn, semblent aussi traîner des pieds : le plus gros d’entre eux, Unite, n’a fait aucun don depuis l’élection de Starmer et a réduit sa contribution annuelle. Pour combler ce manque à gagner, le nouveau dirigeant cible donc des grands donateurs, mais ceux-ci paraissent peu intéressés. Ils semblent en effet avoir plus à gagner en misant sur les Tories, historiquement proches de leurs intérêts, comme l’a rappelé l’étrange attribution de juteux contrats publics liés au COVID à des proches du pouvoir.

Un opposant inaudible

Si les conflits internes ont fragilisé Starmer, il ne semble pas non plus séduire le grand public. Sans charisme, ses interventions à Westminster se sont révélées ennuyeuses et plutôt conciliantes envers les conservateurs, alors que la mauvaise gestion de l’épidémie lui offrait un moyen de se démarquer et de tourner la page du Brexit. Cet automne, les coups de gueule d’Andy Burnham, maire du Grand Manchester et ministre fantôme de la Santé auprès de Starmer, ont montré combien l’exaspération était réelle. Son rejet de nouvelles restrictions sanitaires dans le Nord – pauvre – de l’Angleterre en l’absence de meilleures indemnisations en a fait une icône des provinciaux face à la riche Londres qui décide de tout. De même, le Labour de Starmer a refusé de soutenir les dizaines de milliers d’étudiants qui demandent une baisse des frais de scolarité exorbitants et des loyers des résidences universitaires que nombre d’entre eux ne peuvent plus payer. L’ancien avocat des droits humains a également envoyé un signal incompréhensible en demandant à son parti de s’abstenir sur le « Spy Cops Bill », un texte garantissant l’immunité aux militaires et agents de renseignement s’ils commettent des actes criminels durant leurs missions. La liste pourrait être complétée.

« Au lieu de développer un message clair, Starmer a laissé des focus groups définir sa stratégie, qui consiste à ménager le gouvernement. »

Tom Kibasi, ancien soutien de Keir Starmer, dans The Guardian.

Certes, Starmer avait prévenu : il ne serait pas un opposant dogmatique. Mais pour l’heure, difficile de citer un seul exemple de réelle opposition. Pour Tom Kibasi, ancien soutien de Starmer, « au lieu de développer un message clair, Starmer a laissé des focus groups définir sa stratégie, qui consiste à ménager le gouvernement. » Si ce choix a été utile pour que le Brexit se réalise enfin, pour de nombreux électeurs, la différence entre travaillistes et conservateurs devient difficile à cerner. 

Pendant que que Starmer échoue à proposer une vision cohérente de l’avenir du pays, Boris Johnson tente lui de séduire l’électorat populaire en rompant avec le thatchérisme : après une hausse de 6% du salaire minimum en début de mandat, il a repris une partie de l’agenda promu par Corbyn en renationalisant certaines lignes de train et en annonçant un grand plan de « révolution industrielle verte ». Certes, les conservateurs ne renonceront pas pour autant à leur idéologie libérale et il faudra différencier effets d’annonce et résultats. Pour l’instant, Johnson bénéficie en tout cas d’une belle avance dans les sondages, gonflée par la réussite de la vaccination. Starmer, lui, va devoir se ressaisir. Ses reniements successifs et purges brutales ont détruit son image aux yeux des militants de gauche sans parvenir à prendre des voix au centre. Un scénario qui a conduit le PS français à l’abîme.


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